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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 27 mai 2009

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 47

Présidence de M. Guy Teissier, Président

— Audition de M. Hervé Morin, ministre de la défense, dans le cadre du projet de loi (n° 1336) relatif à la gendarmerie nationale

Audition de M. Hervé Morin, ministre de la défense, dans le cadre du projet de loi (n° 1336) relatif à la gendarmerie nationale

La séance est ouverte à dix-sept heures

M. le président Guy Teissier. Mes chers collègues, nous sommes très heureux de recevoir le ministre de la défense pour débattre du projet de loi relatif à gendarmerie nationale.

Monsieur le ministre, au terme des auditions auxquelles nous avons procédé et avant d’examiner le projet de loi proprement dit, nous souhaiterions que vous puissiez apaiser les craintes que suscite aujourd’hui, sur tous les bancs de notre assemblée, le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur. Nous sommes nombreux à recevoir des courriers sur ce sujet, je suis parfois surpris de leur dureté, voire de leur violence, traduisant une véritable inimitié entre la police et la gendarmerie. Ce phénomène est certes ancien, mais la rivalité bon enfant d’autrefois prend aujourd’hui un tour très différent, même si la proximité des élections professionnelles peut encourager les syndicats de police à la surenchère.

Pour mettre fin à ces interrogations persistantes, nous devons examiner ce texte au plus vite. Le délai de six mois qui vient de s’écouler favorise les rumeurs, les pressions et le mécontentement qui sont de mauvais aloi. À ce titre, je souhaiterais que vous puissiez nous confirmer que l’examen de ce texte aura bien lieu les 1er et 2 juillet prochains.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Le Président de la République avait annoncé le 29 novembre 2007 que l’autorité organique et budgétaire de la gendarmerie serait, à compter du 1er janvier 2009, le ministre de l’intérieur. Ce rattachement ne remettra pas en cause le statut militaire auquel le Président de la République a rappelé son attachement et auquel nous tenons tous. Le Sénat l’a d’ailleurs affirmé lors de l’examen du texte en première lecture.

La coexistence de deux forces de sécurité intérieure, l’une civile et l’autre militaire, garantit à la République de pouvoir disposer d’une force de sécurité à statut militaire qui contribue à garantir la continuité de l’État, en tous temps, en toutes circonstances, en métropole, outre-mer et à l’étranger sur les théâtres d’opérations extérieures.

Dans l’ensemble, les principales orientations du projet de loi auquel le ministère de la défense a apporté sa contribution confortent le statut militaire de la gendarmerie, ses missions de police et son ancrage territorial.

J’évoquerai tout d’abord le maintien du statut militaire, que le rattachement fonctionnel, depuis 2002, des missions de sécurité intérieure de la gendarmerie au ministère de l’intérieur n’a pas remis en cause. Il n’est pas question de fusionner la gendarmerie avec la police, comme l’a d’ailleurs rappelé le ministre de l’intérieur en réponse à une question d’actualité le 12 mai dernier.

Il n’est pas davantage question de porter atteinte à l’ensemble des missions de la gendarmerie nationale.

Le maintien du statut militaire de la gendarmerie et de son identité militaire se traduira d’abord dans les attributions exclusives du ministère de la défense. Certaines d’entre elles seront ou ont déjà été transférées au ministère de l’intérieur, d’autres seront partagées, d’autres encore demeureront du ressort exclusif du ministre de la défense.

Les compétences transférées en matière de ressources humaines concerneront notamment les décisions relatives au recrutement et au déroulement de carrière des militaires d’active avec l’attribution des congés de position d’activité, le placement en détachement ou la saisine de la commission de réforme ; la notation de tous les militaires et le déroulement de carrière des militaires sous contrat seront également du ressort du ministre de l’intérieur.

Les compétences exercées conjointement porteront sur le processus d’avancement de grade, l’attribution des congés de reconversion et les décisions en matière de gestion des réserves.

Enfin resteront du ressort exclusif du ministre de la défense l’exercice du pouvoir disciplinaire, sur proposition du ministre de l’intérieur, l’emploi des gendarmes pour l’exécution des missions militaires, notamment pour l’envoi en opérations extérieures, et l’ensemble des gendarmeries spécialisées qu’il s’agisse de la gendarmerie de l’air, de la gendarmerie maritime, de la gendarmerie de l’armement ou du groupement chargé de la sécurité des armements nucléaires.

La préservation du lien avec les autres armées et les services du ministère de la défense sera assurée par la poursuite d’une formation militaire des personnels de la gendarmerie et le maintien du recrutement d’officiers à la sortie des grandes écoles des trois armées. En effet, la formation initiale, continue ou supérieure, constitue et entretient le socle culturel et opérationnel du caractère militaire de la gendarmerie.

La préservation du lien passera aussi par une collaboration active en matière de soutien logistique avec les services du ministère de la défense.

Ce lien sera également préservé par un engagement opérationnel avec ou aux côtés des autres armées sur les théâtres d’opérations extérieures. Cette proximité opérationnelle se concrétise d’ailleurs de façon quotidienne dans de nombreux engagements. Je retiendrai l’exemple de la Côte-d’Ivoire : en 2003 et 2004, dans les moments les plus tendus, la gendarmerie mobile a été d’un secours extraordinaire pour l’armée de terre, tant par sa compétence et son professionnalisme face aux mouvements de foule que par sa capacité à assurer la formation du personnel de l’armée de terre dans ce domaine.

Enfin, les gendarmes continueront, en qualité de militaires, à bénéficier de l’ensemble des actions sociales du ministère de la défense.

J’en viens aux implications du transfert de la gendarmerie vers le ministère de l’intérieur.

Ce transfert, qui implique celui de l’autorité organique et budgétaire au ministère de l’intérieur, aura des conséquences notamment pour les fonctions du soutien et les ressources humaines. En étroite collaboration avec les services du ministère de l’intérieur, les modalités du rapprochement entre la police et la gendarmerie ont été précisées dans un accord de gestion cadre signé en juillet 2008 entre les deux ministères.

Dans le domaine du soutien, le ministère de la défense continuera demain à assurer une grande partie de la fonction soutien au bénéfice de la gendarmerie. Pour ce faire vont être prochainement finalisées 37 conventions déclinées à partir de l’accord cadre. Elles portent notamment sur l’organisation du soutien immobilier, la santé des militaires de la gendarmerie, l’action sociale, la protection juridique, le bénéfice de la convention SNCF pour les militaires de la gendarmerie ainsi que sur la reconversion du personnel civil et militaire de la gendarmerie.

La délégation générale pour l’armement restera l’interlocuteur majeur de la gendarmerie pour les grands programmes, qu’il s’agisse des aéronefs ou des blindés. La gendarmerie continuera également d’acquérir des matériels auprès des armées pour ses besoins militaires propres ou, par voie de délégation de gestion, pour continuer à bénéficier du savoir-faire déjà acquis dans certains domaines comme celui de la gestion de l’immobilier.

Dans le domaine des ressources humaines, je veille et je continuerai de veiller à ce que le transfert s’accompagne du maintien pour l’ensemble des personnels, qu’ils soient militaires ou civils, des avantages statutaires, matériels et moraux dont ils bénéficient aujourd’hui.

Les modalités de l’opération pour les personnels contractuels et les ouvriers de l’État ont fait l’objet d’études entre la direction des ressources humaines du ministère de la défense et les services du ministère de l’intérieur. Il est envisagé de leur laisser le choix entre leur maintien au ministère de la défense en qualité d’agents de ce ministère ou leur rattachement statutaire au sein des personnels civils du ministère de l’intérieur.

Dans le cadre des restructurations, je vais signer un décret permettant aux personnels civils de la gendarmerie de bénéficier des mesures d’accompagnement prévues pour les autres personnels civils des autres armées.

Le Président de la République a souhaité que les gendarmes et les policiers bénéficient d’une parité globale de traitement et que les écarts éventuels puissent être identifiés et gommés après un état des lieux exhaustif dans les domaines statutaires ou indemnitaires.

Les groupes de travail chargés d’établir cette comparaison ont rendu leurs conclusions qui permettent de constater un équilibre général dans le traitement des fonctionnaires et des militaires des deux forces ; il conviendra de le préserver. Dans le cadre de la future loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI), le ministre de l’intérieur vous présentera prochainement ces éléments.

Au final, la gendarmerie reste militaire dans ses statuts, son organisation et son sens du devoir, et elle est rattachée organiquement et budgétairement au ministère de l’intérieur. Tirant les conséquences de la décision prise en 2002, il est logique que le ministère de l’intérieur puisse bénéficier des crédits liés aux problématiques de sécurité par département. Au même titre que les décisions relatives aux commissariats de police, qui sont fonction de la délinquance, la décision de financer telle brigade de gendarmerie plutôt que telle autre me semble relever moins du ministre de la défense que du ministre de l’intérieur, lequel doit avoir une approche globale au niveau départemental et en tirer les conséquences en termes d’affectation des moyens.

Dans mon département, par exemple, en vertu de quelles analyses le ministre de la défense pourrait-il décider de fermer la brigade de gendarmerie de Tournedos-Boishubert, à six kilomètres d’Évreux ? Les décisions relatives aux forces chargées d’assurer la sécurité de nos compatriotes relèvent du ministre de l’intérieur et il est donc cohérent qu’on lui donne les moyens budgétaires et de gestion qui lui permettent d’assumer ses responsabilités.

M. le président Guy Teissier. Comment concevez-vous votre rôle de ministre de la défense une fois que la loi relative à la gendarmerie sera entrée en vigueur ?

Les dispositions prises pour assurer la parité globale de traitement, dont vous vous dites satisfait, ne constituent-elles pas un facteur de discorde avec les armées, et en particulier avec l’armée de terre ? Ne s’expose-t-on pas à une possible surenchère des revendications ?

M. le ministre. Je préside depuis deux ans le conseil supérieur de la fonction militaire auquel participent des représentants des trois armées et de la gendarmerie. Les débats y sont souvent animés, ce qui rend d’autant plus difficile la gestion des personnels. Il est révélateur que les gendarmes ne comparent pas leur situation à celle des autres militaires, mais à celle des fonctionnaires de la police nationale. Cette situation n’est pas nouvelle, Alain Richard la relevait déjà dans les années 2000.

Les événements de 2001 ont profondément marqué les relations entre les armées et la gendarmerie. Le transfert de l’emploi et du budget de la gendarmerie au ministère de l’intérieur me semble donc constituer plutôt une simplification de la gestion des ressources humaines du ministère de la défense.

Le ministère de la défense ne se désengage pas pour autant de tout ce qui concerne la gendarmerie. Il est prévu qu’au sein du conseil supérieur de la gendarmerie, les ministres de l’intérieur et de la défense soient représentés pour évoquer ensemble les questions propres à la gendarmerie. En revanche, le ministre de la défense présidera seul le conseil supérieur de la fonction militaire, rappelant bien le statut militaire des gendarmes.

Le projet de loi relatif à la gendarmerie est conforme aux engagements pris par le Président de la République durant la campagne présidentielle.

Alors que la réforme du ministère de la défense entraîne une réduction des effectifs des armées et qu’il faut faire face à l’entretien programmé du matériel et aux charges courantes, la LOPSI précédente s’est traduite par une légère augmentation du nombre de postes et des crédits de fonctionnement de la gendarmerie, ce qui rend très difficile la gestion budgétaire pour le ministre de la défense, les autres armées se plaignant de payer pour la gendarmerie. Dès l’automne de 2007, j’ai indiqué au Premier ministre qu’il serait cohérent de tirer les conséquences du rattachement fonctionnel de la gendarmerie au ministère de l’intérieur en transférant les budgets nécessaires.

Cela ne veut pas dire que tous les liens sont rompus, la défense continuant d’assurer des missions de soutien ou de formation grâce aux protocoles que j’évoquais précédemment. Le contact sera également assuré par la participation des gendarmes aux opérations extérieures. Ils vont par exemple assurer la formation de la police afghane. Le projet de loi clarifie donc les choses en donnant au ministre de l’intérieur les moyens d’assurer une politique de sécurité aussi cohérente que possible. Le ministère de la défense continuera quant à lui d’assumer toutes les fonctions liées notamment à la logistique, à l’entretien du matériel, à l’action sociale, à la santé, à l’immobilier et même aux aumôneries.

M. Alain Moyne-Bressand, rapporteur. Je me réjouis que vous nous apportiez la confirmation que nous attendions sur le statut de la gendarmerie. Je déplore le report de l’examen du projet de loi, préjudiciable à la bonne entente entre police et gendarmerie. La loi doit maintenant affirmer clairement la dualité entre la gendarmerie, dont la militarité est préservée, et la police nationale, sans mise en concurrence ni critique de ces deux piliers de la sécurité de nos territoires et de nos concitoyens.

Certains craignent toutefois un affaiblissement de la gendarmerie face à la police, voire son absorption par cette dernière. Le texte permet-il, dans sa rédaction actuelle, d’éviter ce risque ? Certaines garanties complémentaires vous paraissent-elles nécessaires pour rendre encore perfectible un dispositif déjà amélioré par le Sénat ? Dans l’affirmative, quelles dispositions envisagez-vous ?

Au-delà de la protection juridique du caractère militaire de la gendarmerie, comment envisagez-vous de faire vivre sa militarité ? La protection juridique actuelle vous paraît-elle suffisante ?

Pensez-vous que les instances de concertation, notamment le conseil supérieur de la fonction militaire, pourraient y contribuer ? Cela suffira-t-il pour maintenir cette proximité entre la gendarmerie et les armées ?

Comment doit, selon vous, évoluer l’autorité des préfets sur les commandants de groupement? De nombreux élus s’interrogent en effet sur les risques de dérive sur ce point, peut-être pas immédiatement mais à long terme.

Quel est votre sentiment sur les réquisitions ?

Pour finir, vous paraît-il souhaitable d’inscrire dans la loi l’obligation que le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) soit systématiquement un général de gendarmerie, comme c’est le cas dans certains autres pays européens ?

M. Jean-Pierre Soisson. C’est du domaine réglementaire !

Mme Françoise Olivier-Coupeau. En tout cas, en Italie, c’est dans la loi !

M. le ministre. La protection juridique me semble tout à fait satisfaisante. Le statut militaire est réaffirmé et ne change nullement.

Le texte issu du Sénat a bien précisé que la gendarmerie, force républicaine, est placée sous l’autorité du préfet tout en conservant la hiérarchie propre à ce corps.

Je crois avoir déjà répondu à la question relative aux relations entre les armées et la gendarmerie. La formation constitue le meilleur lien possible. Pour le maintenir, il faut aussi que les gendarmes acceptent l’ensemble des contraintes du statut militaire. Un troisième élément, très important, tient à la participation de la gendarmerie aux opérations extérieures. En Côte-d’Ivoire, je le répète, la gendarmerie mobile a joué de toute évidence un rôle majeur et évité que la situation ne se dégrade. Enfin, le conseil supérieur de la fonction militaire continuera d’offrir une instance de concertation et de dialogue où les gendarmes auront toujours leur place.

Par ailleurs, en quoi le fait que la fermeture d’une brigade de gendarmerie ne relève plus de la décision du ministre de la défense remettrait-il en cause la militarité de la gendarmerie ?

Quant au choix du directeur général de la gendarmerie nationale, il relève du domaine réglementaire. De fait, dans une répartition équilibrée des pouvoirs, la gestion des ressources humaines est de la responsabilité de l’exécutif. Il est probable que le poste de DGGN sera encore durablement occupé par un militaire, mais il a déjà été occupé par des préfets ou des magistrats : l’exécutif doit pouvoir choisir en fonction des circonstances.

M. Michel Grall. La gendarmerie joue un rôle très important dans les opérations extérieures (OPEX). C’est le cas en Côte-d’Ivoire, mais aussi au Kosovo, où elle forme les militaires aux opérations de maintien de l’ordre. De même en Afghanistan, une force de gendarmerie européenne, à laquelle participera la gendarmerie nationale française, sera amenée à former la police afghane.

Quelle sera la répartition des rôles entre le ministère de l’intérieur et celui de la défense pour l’emploi et l’affectation des forces de gendarmerie en OPEX ? N’y a-t-il pas un risque de conflit d’intérêts dans le partage entre la sécurité intérieure et les opérations extérieures ?

M. Philippe Folliot. Ce texte n’a rien d’anecdotique car notre pays adopte une loi sur la gendarmerie une fois par siècle. La coexistence au sein d’un même ministère de deux forces très différentes, l’une civile, l’autre militaire, suscite certaines inquiétudes, notamment pour la représentation et l’expression des personnels. J’observe que votre position en la matière est légèrement différente de celle qu’a exprimée votre prédécesseur devant notre Commission voici quelques années.

Au moment où des transferts seront possibles entre la police et la gendarmerie, les passerelles qui existaient jusqu’à présent entre les armées et la gendarmerie seront-elles préservées ?

Pour assurer la militarité de la gendarmerie et sa chaîne de commandement, je suis personnellement favorable à l’inscription dans la loi du fait que le DGGN doive être un officier de gendarmerie. La police nationale est d’ailleurs toujours dirigée par un policier.

Comment s’articuleront les responsabilités de la gendarmerie et celles de l’armée de terre pour la défense opérationnelle du territoire ?

Enfin, pensez-vous qu’il faille poursuivre l’amélioration déjà engagée par le Sénat ou, comme l’ont proposé certains, revenir sur certaines modifications ?

M. François Cornut-Gentille. Il ne faut pas contribuer à alimenter les craintes et les tensions, peut-être plus fortes au sein de la haute hiérarchie que sur le terrain. De fait, il semble que, dans nos circonscriptions, la collaboration entre la police et la gendarmerie se soit sensiblement améliorée au cours des dix dernières années.

Monsieur le ministre, qu’attendez-vous de ce rapprochement ? Le directeur général de la police nationale, que nous recevions récemment, observait que, s’il est souhaitable que la police et la gendarmerie conservent tout le spectre des interventions qui leur incombent aujourd’hui, les doublons posent des problèmes. Selon lui, une coordination est nécessaire et, sans qu’il soit question de fusion, les différents sujets doivent être répartis entre la police et la gendarmerie. Il a pris notamment l’exemple du terrorisme. Quelle est votre position face à cette approche ?

Par ailleurs, la gendarmerie est-elle intégrée, et jusqu’à quel point, aux bases de défense ? Certains soutiens peuvent-ils être mutualisés avec les armées et d’autres avec la police ?

M. le ministre. Je rappelle que la décision d’envoyer des forces en opérations extérieures n’est prise ni par le ministre de l’intérieur ni par le ministre de la défense, mais par le Président de la République, chef des armées, dans le cadre du conseil de défense ou du conseil restreint. Il est alors entouré du Premier ministre et des membres du Gouvernement qui prennent leurs responsabilités devant le Parlement.

Dès que les gendarmes sont en opérations extérieures, ils relèvent entièrement de l’autorité du ministre de la défense, même si le ministère de l’intérieur continue de les payer.

Les passerelles entre la gendarmerie et l’armée de terre continueront d’exister.

Pour ce qui est de la défense opérationnelle du territoire par la gendarmerie, le fait que son budget soit désormais géré par le ministère de l’intérieur plutôt que par celui de la défense ne change rien.

Les bases de défense assureront autant que nécessaire une partie du soutien à la gendarmerie, notamment pour tout ce qui relève de l’action sociale et de la reconversion, voire du mobilier et l’entretien du matériel. Ce sera notamment le cas pour les équipements lourds.

Quant à l’utilité du texte, il me semblait avoir répondu à cette question par les exemples que j’ai évoqués. Il s’agit de rendre cohérente l’action politique : je le répète, dès lors que les gendarmes sont, comme c’est le cas depuis 2002, placés sous l’autorité fonctionnelle du ministre de l’intérieur, ce dernier doit disposer des moyens nécessaires à l’exercice de cette autorité.

Certaines améliorations sont certainement encore possibles en matière d’interopérabilité et de mutualisation, certains doublons ne se justifiant pas. Ainsi, il n’y a pas lieu de séparer l’entretien du parc de véhicules légers issus des mêmes constructeurs français.

Enfin, une fois encore, je ne vois pas pourquoi il reviendrait au ministre de la défense de décider, en fonction des chiffres de la délinquance, l’affectation de quelques gendarmes de plus ou de moins dans une brigade de gendarmerie ou la création d’une communauté de brigades. Comme l’exprimait fort bien Pierre Messmer, les fonctions du ministre de la défense consistent à faire en sorte que les forces armées soient opérationnelles lorsqu’on en a besoin. Ce rôle d’« intendance » me semble pertinent : l’organisation, les moyens et l’équipement doivent être prêts le jour où le Président de la République décide, sous le contrôle du Parlement, d’employer les armées.

Quant au DGGN, je ne pense pas qu’il relève de la loi de fixer qu’il devrait être officier de gendarmerie ; pas plus, d’ailleurs, que dans le cas du DGPN.

Mme Françoise Olivier-Coupeau. Monsieur le ministre, je m’interroge sur les « anecdotes » que vous venez d’évoquer. Ainsi, le souci de la gestion commune du matériel pour les deux forces ne me semble pas justifier une loi, les armes et les véhicules faisant déjà l’objet d’achats communs.

Surtout, je ne comprends pas qui est demandeur de cette loi. En tout état de cause, les responsables de la gendarmerie et ceux de la police que nous avons rencontrés nous ont déclaré qu’ils ne l’étaient pas.

Quels seront les gains d’efficacité et les économies que permettra cette loi ? Dans un rapport de mars 2009, l’inspection générale de l’administration s’interroge elle aussi et recommande que les mutualisations à venir, lesquelles peuvent être nombreuses, ne soient pas évaluées seulement à l’aune des économies qu’elles généreront, mais également en fonction de leur impact sur le statut militaire des gendarmes. La question est bien posée : le problème est moins le poids économique des dispositions proposées que le risque qu’elles font courir au statut militaire de gendarmerie. Je crains d’ailleurs que les mesures proposées ne coûtent plus cher qu’elles ne rapporteront, car les policiers demanderont qu’on leur donne autant qu’aux gendarmes et vice versa.

Dans son discours du 29 novembre 2007, le Président de la République s’est certes voulu rassurant en précisant qu’il n’y aurait pas de fusion entre les deux forces, mais il a ajouté : « en tout cas, tant que je serai président ». Que se passera-t-il après lui ?

M. le ministre. Votez donc pour lui en 2012 !

Mme Françoise Olivier-Coupeau. Par ailleurs, ce projet de loi met à mal la réquisition, qui était une garantie précieuse pour la gendarmerie et pour la République ; le texte fait passer le préfet du rôle de donneur d’ordres à celui de chef hiérarchique. Il y a tout lieu d’être inquiet.

Une étude d’impact de cet éventuel rapprochement a-t-elle été réalisée ? En outre, l’intégration de 100 000 gendarmes au ministère de l’intérieur, qui vous apparaît comme un soulagement,…

M. le ministre. Non : comme une cohérence !

Mme Françoise Olivier-Coupeau. …n’aurait-elle pas dû être précédée d’une réforme du ministère de l’intérieur ? N’est-ce pas aller trop vite et anticiper sur ce qui n’est pas encore fait ?

Enfin, envisagez-vous de placer les 150 gendarmes envoyés en Afghanistan sous l’égide de la force de gendarmerie européenne ?

M. Michel Voisin. La différence de statut des gendarmes et des policiers placés sous le même commandement ne risque-t-elle pas de conduire à des événements tels que ceux que nous avons connus dans les années 1990, les policiers disposant d’une représentation syndicale quand seules les épouses de gendarmes peuvent s’exprimer ?

Par ailleurs, l’utilisation des armes, notamment le commandement du feu, n’est pas la même pour les policiers et les gendarmes. Comment comptez-vous résoudre ce problème en cas d’opérations conjointes ?

M. Jean-Claude Viollet. Monsieur le ministre, la coordination de nos forces de sécurité et la mutualisation des moyens en vue de leur optimisation sont déjà une réalité depuis 2002. Ainsi, comment une évolution qui n’était « ni opportune, ni justifiée », comme l’écrivait le 21 juillet 2003 votre prédécesseur au ministère de la défense au ministre de l’intérieur de l’époque, aujourd’hui Président de la République, l’est-elle devenue aujourd’hui ?

La gendarmerie devrait conserver l’intégralité du spectre de ses missions, y compris donc le renseignement et l’antiterrorisme, ses personnels devant notamment être intégrés à la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). La préservation de toutes les missions est primordiale, ne serait-ce que pour lui permettre de répondre à tous les besoins en OPEX.

Pour la force en projection permanente qu’est la gendarmerie, comment sera assurée, dans le nouveau dispositif, la mobilité des moyens que permet la région de gendarmerie qui n’est pas citée dans le texte ?

Ma dernière question porte sur les moyens et leur coordination avec la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Je rappelle que les gendarmes n’ont effectivement perçu que 80 % des crédits de la précédente programmation. Le 14 octobre 2008, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2009, le ministre de l’intérieur convenait qu’il serait pertinent d’examiner la LOPPSI en même temps que la LPM et avant le projet de loi sur la gendarmerie. Finalement on nous demande d’approuver le texte sans avoir tous les éléments.

Aurons-nous ici, chaque année, un débat nous permettant de nous assurer que la gendarmerie dispose bien des moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions militaires ?

Enfin, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous soyez présent dans l’hémicycle tout au long des débats que nous aurons sur le projet de loi relatif à la gendarmerie.

M. le ministre. Si je ne puis vous promettre d’assister à l’intégralité des débats, il ne fait aucun doute que je serai présent dans l’hémicycle à cette occasion.

Quant aux conditions d’examen du budget de la gendarmerie par votre Commission, vous ne manqueriez pas, si je me prononçais sur cette question, de me rappeler qu’il n’est pas du rôle de l’exécutif d’évoquer le travail du Parlement.

Je ne suis nullement tenu d’adopter la même position que mon prédécesseur. Il y va en outre de la cohérence de l’action politique : un responsable, quel qu’il soit, doit avoir les moyens d’exercer sa responsabilité, sous le contrôle des institutions démocratiques. Faudrait-il que je demande à un autre ministre les moyens d’assurer le maintien en condition opérationnelle du Rafale ? La lettre de 2003 de Mme Alliot-Marie que vous avez citée a été rédigée au début du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur. Peut-être son auteure réviserait-elle sa position six ans plus tard. J’ajoute que 80 % des missions de la gendarmerie sont des missions de police. Les missions de la gendarmerie, telles que les définit le projet de loi, consistent à assurer le respect des lois, assurer la police judiciaire, qui est une mission prioritaire, assurer la sécurité et l’ordre publics dans les zones rurales et périurbaines, le renseignement et l’information des autorités publiques et la participation à la défense de la patrie. Toutes les missions de la gendarmerie sont bien consacrées.

Quant à la nécessité de la coordination, l’exemple des véhicules n’en est qu’un parmi bien d’autres. Pour ce qui est des règles d’utilisation des armes, évoquée par M. Michel Voisin, on s’acheminait déjà vers l’harmonisation.

Vous demandez qui a voulu ce texte ? C’est le Président de la République, élu par les Français, et qui a donc la légitimité requise. Pour ma part, j’ai rapidement constaté que ce texte répond à une exigence de cohérence et qu’il ne remet pas en cause l’attachement des gendarmes à leur statut.

La force de gendarmerie européenne est européenne par son intitulé, mais elle est une simple organisation de forces issues de pays européens, nullement intégrées dans les institutions européennes. Au Tchad, on aurait pu utiliser une partie du corps européen mais nos partenaires allemands ne l’ont pas souhaité. Des divergences existent également avec l’Italie.

Mme Marguerite Lamour. Je note que les carrières, la notation et l’affectation des gendarmes dépendront du ministère de l’intérieur, alors que les éventuelles sanctions, s’il y en a, seront prises par le ministère de la défense. Est-ce pertinent ?

Par ailleurs, les maires qui consentent actuellement de lourds investissement en construisant des gendarmeries redoutent que l’évolution en cours ne conduise à terme à la disparition de la gendarmerie. Elle est pourtant le seul garant de la sécurité sur nos territoires les plus reculés.

M. Philippe Nauche. Il me semble qu’il faut revenir à la question centrale : pourquoi cette loi ? Qui la veut ? J’entends vos arguments fondés sur la cohérence, mais je crains que la gendarmerie ne se retrouve dans une situation encore plus instable à l’issue de la réforme.

Vous n’avez pas répondu à la question de M. Jean-Claude Viollet sur l’avenir de l’échelon régional de la gendarmerie. Cet enjeu est pourtant très symptomatique des interrogations que tous les membres de cette Commission se posent.

Le fait que la gestion du personnel soit assurée par un ministère et le pouvoir disciplinaire par un autre me paraît délicat et compliqué. Il semble qu’on n’aille pas au bout de la logique, à moins que celle-ci ne soit une logique de sécurité globale, dans laquelle les ministères de la défense et de l’intérieur auraient vocation à se regrouper

M. Jean-Pierre Soisson. C’est ce qu’avait fait Gambetta !

M. Jean-Jacques Urvoas. J’ai été frappé par l’inquiétude que j’ai observée chez les policiers et les gendarmes au cours des auditions auxquelles j’ai assisté en tant que membre de la commission des lois. Les engagements du Président de la République sont clairs : il n’y aura pas de fusion. Si l’inquiétude persiste néanmoins, n’est-ce pas parce que l’on perçoit un mouvement, engagé en 1995 par Charles Pasqua, qui vise à donner une apparence de militarité à la police et à abaisser le caractère militaire de la gendarmerie ?

Ni le directeur général de la police nationale, ni le directeur général de la gendarmerie nationale ne sont demandeurs de cette évolution. En outre, l’encadrement normatif suffit, car le décret du 15 mai 2002 relatif aux attributions du ministère de l’intérieur, la LOLF, qui règle tous les problèmes budgétaires, et le décret du 15 mai 2007 qui définit la mission au ministère de l’intérieur rendent le texte inutile. L’inquiétude ne provient-elle pas d’un mouvement dont on pressent qu’il va implicitement vers la fusion, comme l’ont affirmé d’ailleurs plusieurs de nos collègues lors des débats au sein de la commission des lois ?

M. le ministre. Rien ne peut vous empêcher de dire, bien entendu, que les engagements du Président de la République ne valent que pour sa présidence. Heureusement que le jeu démocratique permet des évolutions ! Je comprends que le changement génère des interrogations, mais il faut raison garder.

La région de la gendarmerie est un échelon de soutien plus que de commandement opérationnel. Les régions, qui existent depuis quatre ou cinq ans, remplacent les légions, qui ne suivaient pas le découpage administratif. Elles s’inscrivent dans la pyramide hiérarchique de la gendarmerie et il est normal que le préfet n’intervienne pas dans cette organisation.

Pour ce qui est des protocoles, pour la seule formation, il en existait autrefois 72 entre la gendarmerie et les armées. En travaillant sur ce sujet, nous avons engagé un important travail de rationalisation, d’organisation et de clarification des attributions des différentes forces, qui ne remet nullement en cause le statut militaire des gendarmes.

La relation entre police et gendarmerie a toujours été marquée par le doute et la suspicion. Le phénomène n’est pas nouveau.

M. Gérard Millet. Je suis maire d’une commune située en zone police mais qui abrite trois établissements de la gendarmerie : la gendarmerie départementale, une caserne de gendarmerie mobile et l’école des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN). Quel impact le texte aura-t-il sur le fonctionnement de l’EOGN ? Plus généralement, quelles seront ses conséquences sur l’immobilier et notamment sur les casernes de la gendarmerie mobile, dont certaines, comme celle de ma ville, sont dans un état de délabrement avancé ?

M. le ministre. La loi ne change rien pour l’EOGN. Quant au programme immobilier, il s’agit de la priorité du DGGN.

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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