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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 29 juin 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 45

Présidence de M. Guy Teissier, Président

– Audition de l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état–major des armées

La séance est ouverte à dix heures.

M. le président Guy Teissier. Avant de commencer cette séance, je veux rendre hommage à Cyrille Hugodot, parachutiste du 1er régiment de chasseurs parachutistes, qui a été tué ce samedi 25 juin au cours d’un combat avec les insurgés dans le secteur de Tagab en Kapisa. Il était arrivé en Afghanistan le 25 mai dernier. Nous partageons le deuil de sa famille et de ses camarades et nous avons bien entendu une pensée pour tous les soldats qui se trouvent encore actuellement en Afghanistan.

Nous accueillons ce matin le chef d’état-major des armées, l’amiral Guillaud, à qui je souhaite, en votre nom à tous, la bienvenue.

Le nouveau décès au sein de notre armée porte à 63 le nombre de soldats tombés en Afghanistan depuis la fin 2001.

La Présidence de la République vient d’annoncer que la France va engager un retrait progressif des troupes, de manière proportionnelle et selon un calendrier comparable au retrait des forces américaines.

Amiral, pouvez-vous nous dire, concrètement, la forme que prendra ce retrait ?

Par ailleurs, quelle est la situation sur place ? Quels sont les progrès que vous pouvez mesurer s’agissant de la formation et de l’efficacité de l’armée afghane ?

Je souhaiterais également que cette audition soit aussi l’occasion de faire un point général sur la situation des opérations extérieures (OPEX), sachant que le général Paloméros nous a présenté, ici même, il y a quelques jours le travail de ses pilotes de l’armée de l’air en Libye. Une délégation de la commission s’est également rendue à Solenzara, il y a à peine quelques semaines pour rencontrer nos pilotes.

Après ce tour d’horizon des OPEX, il serait utile que vous évoquiez la réorganisation du ministère. Quel sera finalement le nombre de bases de défense ? Des chiffres différents ont circulé et, même si « la réforme se fait en marchant », il serait naturel que nous ayons maintenant d’avantage de précisions.

Il nous faudrait aussi un aperçu de la situation budgétaire du ministère et tout particulièrement un premier bilan des recettes dites exceptionnelles pour cette année. Nous aimerions bien les voir se concrétiser.

Amiral Édouard Guillaud, chef d’état–major des armées. C’est toujours un plaisir pour moi de m’exprimer devant la représentation nationale pour faire part de mes préoccupations. Préoccupations qui sont aussi les vôtres, comme vient de le confirmer votre propos monsieur le Président. Et qui sont également celles des citoyens français soucieux de leur défense et de leur sécurité.

Je commencerai évidemment par les opérations. Je vous ferai ensuite un bref rapport d’étape sur notre transformation et puis enfin bien sûr j’évoquerai le « nerf de la guerre », c’est-à-dire les contraintes de nos ressources budgétaires.

Commençons par les opérations. Aujourd’hui nous avons plus de 27 000 militaires français déployés hors de métropole, pour assurer notre défense et notre sécurité. La moitié d’entre eux, 13 500 sont engagés dans des OPEX. À titre de comparaison ils n’étaient que 9 000 le 1er janvier dernier. Si l’on regarde sur les quinze dernières années on tourne sur une moyenne de 10 000 environ, puisque les opérations démarrent, certaines se terminent, mais il y en a toujours de nouvelles qui débutent.

Et il ne faut pas oublier les 2 500 militaires qui, au quotidien, sont engagés dans ce que nous appelons des « missions socle », socle au sens du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui sont les missions liées à la dissuasion nucléaire, à la posture permanente de sûreté aérienne, à la sauvegarde maritime ou encore bien sûr à Vigipirate sans oublier naturellement, les opérations devenues malheureusement permanentes, car les circonstances nous y obligent, de lutte contre l’orpaillage clandestin en Guyane, de lutte contre les trafics illicites –  nous avons sur les neuf derniers mois saisi neuf tonnes de drogue dans les Caraïbes et en Méditerranée – de protection du centre spatiale guyanais ou bien encore les interventions ponctuelles de nos forces en soutien des services publics. Tout le monde se souvient de la récente catastrophe qui a touché Draguignan ; de même nous allons sans doute fournir une aide pour le transfert de foin pour les éleveurs à la suite de la sécheresse des mois passés.

Toutes ces opérations sont ordonnées par le président de la République, chef des armées, commandées par le chef d’état-major des armées et mises en œuvre par l’état-major des armées.

L’évolution à la hausse de ces chiffres traduit à mon sens une évidence et une exigence, avec une conséquence.

L’évidence, c’est l’imprévisibilité des crises et donc la fragilité de la situation internationale. Les révolutions arabes nous l’ont rappelée.

Pour l’exigence, c’est l’impérieuse nécessité d’avoir l’outil de défense de nos ambitions pour assumer à la fois notre sécurité, notre rang et nos responsabilités sur la scène européenne et internationale.

J’observe, à cet égard que la réciproque est vraie : si notre outil de défense diminue, nos ambitions, mécaniquement, diminuent également.

Enfin la conséquence de cette évidence et de cette exigence nous conduit à faire le choix d’un modèle d’armée qui soit complet, cohérent, réactif, flexible et – ce que les derniers événements nous ont fortement rappelé – un modèle qui soit associé à un positionnement géographique qui appuie nos ambitions.

C’est cet outil de défense qui nous a permis d’intervenir dans la crise des otages au Sahel en quelques heures ; d’évacuer les ressortissants français mais aussi étrangers de Côte-d’Ivoire, du Japon à la suite du tsunami qui a frappé l’archipel ; de soutenir le président légitimement élu, M. Ouattara ; ainsi que de sauver Benghazi in extremis d’un massacre.

Avec cet outil, nous sommes capables de peser sur la scène internationale et d’assumer nos responsabilités de façon simultanée sur six théâtres différents. Peu de pays sont capables d’intervenir simultanément sur six théâtres à la fois. Quels sont ces théâtres d’opérations ?

Je vais commencer par l’actualité immédiate avec la Libye. L’opération Harmattan, représente le volet français de l’opération de l’OTAN baptisée Operation Unified protector (OUP). La France avec 8 navires fournit un tiers des bâtiments, 80 % des hélicoptères d’attaque, c’est-à-dire 18 hélicoptères au total, 30 % de l’aviation de combat, autrement dit 40 chasseurs dont 23 de l’armée de l’air et 17 de l’aéronavale et enfin 20 % des avions de soutien, c’est-à-dire aussi bien des avions ravitailleurs, que des avions de transport, ainsi que des avions de patrouille maritime. Ce dispositif nous permet de réaliser plus de 30 % des frappes de la coalition et permet de confirmer le rôle moteur de notre pays.

La France consent donc un effort militaire conséquent au sein de l’OTAN, en coordination étroite, avec nos alliés britanniques.

Je considère que la situation évolue favorablement, bien que trop lentement peut-être, et que le point de rupture du régime reste difficilement prévisible.

Nous avons porté et nous continuons à porter des coups sévères aux forces du colonel Kadhafi : je vous le disais, nous avons évité le massacre de Benghazi, nous avons stoppé l’offensive sur Misratah, nous avons également empêché la répression contre les populations berbères du djebel Nafoussa, qui se situe dans la chaîne montagneuse à une centaine de kilomètres au sud de Tripoli.

Les forces du colonel Kadhafi sont affaiblies ; l’attrition est lente, trop lente sans doute, mais elle est régulière. Les gains du Conseil national de transition (CNT), bien que limités, sont réels. Les forces de l’opposition s’organisent mais elles ne sont malheureusement pas encore en mesure d’exploiter tous les bilans de l’OTAN et de la coalition.

C’est pour cette raison que la coalition doit poursuivre son effort. Mais une fois encore, le temps opérationnel et le temps diplomatique ne sont pas le temps médiatique.

L’Afghanistan est le deuxième théâtre que vous avez évoqué, monsieur le Président.

À la suite des récentes décisions politiques concernant notre début de retrait de ce théâtre, nous planifions dès aujourd’hui la mise en œuvre opérationnelle du désengagement.

Avec 4 000 hommes déployés, nous avons fait des progrès significatifs en matière de contrôle effectif de notre zone de responsabilité, notamment dans la zone verte de la vallée de Tagab, celle dans laquelle un de nos camarades est mort la semaine dernière, et qui est désormais sous notre contrôle permanent avec tous les risques associés.

Néanmoins, l’insurrection est affaiblie : globalement dans notre zone le nombre d’accrochage a diminué ; les insurgés se tournent davantage vers des modes d’action du type IED (engin explosif improvisé) et vers les attaques suicides. Vous avez sans doute noté qu’il y a une dizaine de jours, dans la capitale de la province de Kapisa une tentative d’attentat suicide s’est produite, peu de temps avant l’arrivée de notre ambassadeur.

En revanche, les avancées s’agissant de la gouvernance et du développement sont encore limitées. J’estime néanmoins que la situation générale dans la zone française permet d’envisager le début de la transition en Surobi dès l’automne 2011.

Le Liban est le troisième théâtre sur lequel nous sommes engagés, dans des conditions différentes. Aujourd’hui notre contribution à la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL), représente 1 350 hommes. Elle constitue depuis la réorganisation de la FINUL la réserve du Commandant de la force, alors que jusqu’au mois de décembre dernier nous occupions une zone territoriale.

L’essentiel des objectifs de la résolution 1701 est désormais atteint avec l’arrêt des combats depuis cinq ans et le retour des forces armées libanaises (FAL) au sud Liban. Il s’agit à présent de réfléchir à la suite, parce que la dégradation de la situation régionale et la complexité de l’échiquier sécuritaire militent pour sortir d’un immobilisme pernicieux.

Cela passe évidemment par une accélération du processus d’autonomisation des FAL. Cela passe également par une coopération renforcée, avec l’aide de nos partenaires internationaux, pour permettre aux FAL d’être réellement autonomes, notamment dans le sud Liban. Comme vous le savez elles sont assez régulièrement redéployées plus au nord de la zone couverte par l’ONU, en raison de la situation sécuritaire, notamment intérieure.

La Côte-d’Ivoire représente le quatrième théâtre d’opérations pour nos troupes, qui fort heureusement est en train de baisser en intensité.

Le traitement général de la crise ivoirienne est un exemple particulièrement intéressant d’une stratégie globale qui a parfaitement fonctionné.

Je note l’application effective du chapitre VII par l’ONU ; je note également une parfaite coordination politique, diplomatique et militaire. Au final, je remarque que cet ensemble a permis l’étouffement diplomatique du régime de Laurent Gbagbo depuis la tenue du deuxième tour des élections présidentielles en décembre dernier. In fine un emploi de la force extrêmement ciblé, limité dans l’espace et dans le temps a permis de conduire à la sortie de cette crise. Parler de «frappes chirurgicales » me paraît ici parfaitement justifié.

Je mentionne aussi la pertinence de notre dispositif pré positionné qui a permis l’emploi optimisé de nos capacités militaires et nous a donc épargné de longs et coûteux transferts depuis la métropole, qui se seraient révélés déstructurants.

Évidemment la fin de cette crise nous permet d’envisager le retrait d’une grande partie de la force Licorne.

Néanmoins comme le ministre de la défense l’a annoncé, nous allons entamer des négociations avec la Côte-d’Ivoire afin de conclure un accord militaire. En effet, à la demande du président Ouattara, une force française d’environ 250 hommes restera sur le camp de Port-Bouët. Elle permettra, d’une part, d’assurer la sécurité de nos ressortissants qui reviennent s’installer en Côte-d’Ivoire, et plus particulièrement à Abidjan, et d’autre part, elle aura pour mission, à la demande des autorités ivoiriennes, de former la nouvelle armée ivoirienne.

La piraterie dans l’océan Indien représente pour nos troupes un autre théâtre d’opérations, ou plus exactement une crise permanente.

Le phénomène est contenu même si les origines du mal sont toujours au sein d’États faillis que nous connaissons bien. De réels efforts de la communauté internationale ont été conduits pour une meilleure synergie entre les nombreux acteurs que sont notamment l’ONU, l’Union européenne, l’OTAN, mais aussi une task force américaine, ainsi que des forces chinoise, indienne, ou russe.

Cet engagement est appelé à durer tant que l’on ne se sera pas attaqué aux racines de la piraterie. Et ces racines sont à terre. Le traitement juridique des pirates malgré quelques avancées est encore trop limité. En France, les derniers décrets d’application de la loi votée en début d’année dernière vont sortir et tout sera prêt pour la fin de l’été, mais il reste beaucoup à faire sur le plan international.

Le Kosovo, bien que se situant au cœur de l’Europe, est un théâtre d’opérations dont nous parlons moins.

Les progrès politiques ont permis la réduction de la force de l’OTAN à deux bataillons multinationaux. La France y participe avec 300 hommes dans le cadre de la brigade franco-allemande. Normalement nous devrions désengager nos unités de combats en 2012, et ne plus participer à cette opération qu’avec quelques officiers insérés dans l’état-major de la KFOR.

Il s’agit désormais pour nous de réfléchir à une meilleure intégration des efforts dans la région sous la tutelle de l’Union européenne. La principale mission menée actuellement au Kosovo est la mission baptisée EULEX, sécuritaire, avec des gendarmes et des policiers, mais aussi judiciaire avec un certain nombre de magistrats. Elle est dirigée par un Français qui est un général en retraite qui fut d’ailleurs auparavant commandant de la KFOR.

Je souhaiterais à présent faire trois remarques générales sur les opérations.

Première remarque, elles se caractérisent par leur grande diversité et leur complexité avec la variété et l’urgence des capacités et des modes opératoires à mettre en œuvre.

Deuxième remarque, ces opérations sont des succès sur le terrain. Ces succès, nous les devons d’abord aux femmes et aux hommes des armées. J’observe qu’ils sont bien formés, bien entraînés, bien équipés et surtout, qu’ils possèdent ces forces morales qui font toute leur valeur. Et c’est bien cette valeur qui est aujourd’hui reconnue et appréciée dans le monde entier. Ces succès, nous les devons aussi à notre chaîne décisionnelle particulièrement réactive et efficace et à l’utilisation pragmatique de nos forces pré positionnées. Ils sont aussi les fruits du maintien de notre effort de défense, et ce même pendant la crise financière. Ce ne sont pas seulement les entrées en service de matériels majeurs, comme le Rafale, le Tigre ou les véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) mais aussi tous les équipements acquis depuis 2008 dans ce que nous appelons la procédure des urgences opérationnelles.

Contre la morosité ambiante, c’est un motif de satisfaction. Il ne s’agit pas de dire que tout va bien et de nier nos difficultés, mais il y a des succès dont nous pouvons nous féliciter. Les armées peuvent être légitimement fières de ce qu’elles ont accompli et accomplissent depuis plus de six mois.

Troisième remarque, ces opérations nous imposent une véritable endurance opérationnelle. Nous devons en tenir compte dans la préparation de nos forces et dans les budgets consentis. C’est ce qui se trouve dans le terme de « résilience » dans le Livre blanc.

Je voudrais avant de terminer sur les opérations évoquer tous les engagements dont nous parlons un peu moins : nos engagements sur le territoire national.

J’évoquais au début de mon propos les 2 500 soldats qui veillent en permanence sur notre souveraineté nationale ; je vais vous donner quelques chiffres complémentaires qu’il est nécessaire de conserver à l’esprit.

Ainsi, en raison des inondations qui ont durement frappé Draguignan, nous avons mis sur cette zone du 16 juin au 8 juillet 2010, environ 600 hommes par jour en moyenne, et 800 au pic de la crise, avec 20 engins du génie, 11 hélicoptères et un avion de patrouille maritime.

De même à l’occasion du sommet du G3 à Deauville qui s’est tenu les 18 et 19 octobre 2010 et réunissait des chefs d’États et de gouvernements étrangers, 400 militaires ont été mobilisés dans le cadre d’un dispositif de sécurité maritime et de sécurité aérienne.

Nous avons également contribué au profit du tribunal spécial pour le Liban (TSL) à la reconstitution de l’attentat qui a coûté la vie à Rafic Hariri avec environ 200 de nos militaires.

En outre à l’occasion de l’épisode neigeux de décembre 2010, une centaine d’hommes et vingt camions ont été mobilisés, et 13 500 rations ont été distribuées.

Il faut également rappeler que le sommet du G8 qui s’est tenu à Deauville du 12 au 30 mai 2011 a nécessité plus de 1 000 hommes par jour en moyenne, et 2 330 hommes pendant les deux jours du sommet. Cet événement a également mobilisé trois M2000, 17 hélicoptères, un drone Harfang, 30 camions, trois engins du génie, sans compter l’ensemble des moyens maritimes.

Je pourrais poursuivre avec nos engagements des mois à venir en évoquant notamment HEPHAISTOS qui commence le 1er juillet prochain ; comme tous les ans, la lutte contre les feux de forêts mobilise 300 hommes. Ou encore le mariage du prince de Monaco qui va mobiliser 450 hommes, puisque la présence de chefs d’État à cet événement impacte directement notre espace maritime et notre espace aérien. Le prochain G20 qui se tiendra à l’automne à Cannes nécessitera 1 000 hommes en moyenne, sans compter « l’imprévisible imprévu » qui ne manque jamais de nous surprendre.

Pour conclure sur l’emploi opérationnel de nos forces armées que ce soit en OPEX ou sur le territoire national, je ferai une dernière remarque : pour la première fois depuis 60 ans, nous sommes confrontés à un triple phénomène : la simultanéité d’un taux d’engagement particulièrement élevé, de contraintes budgétaires importantes et une transformation sans précédent dictée tant par la mise en œuvre du Livre blanc que par la révision générale des politiques publiques. Par le passé nous avions déjà dû faire face à deux de ces trois phénomènes combinés, mais aujourd’hui nous devons continuer d’œuvrer en supportant de façon concomitante ces trois phénomènes. Nous parvenons à remplir nos missions, nous remplissons notre contrat. C’est, je crois, un véritable tour de force à mettre encore une fois au crédit du personnel de la défense, à sa volonté de réussir, à son dévouement et à son sens opérationnel. C’est là un autre motif de satisfaction.

La transformation de nos armées est conduite avec discrétion, dans l’ordre et la discipline, qui sont notre marque de fabrique. Mais ce n’est pas parce que cette transformation n’est pas fortement médiatisée qu’elle se fait sans labeur ni douleur.

Quelques chiffres vous permettront de bien mesurer les efforts entrepris par nos armées, alors même que nous soutenons un effort opérationnel conséquent. Cette année, plus de 50 000 personnes connaîtront une mobilité géographique et fonctionnelle avec la dissolution de cinq régiments, de cinq états-majors de l’armée de terre, d’une base aéronavale, et de deux bases aériennes. Nous aurons également le retrait du service d’un escadron de chasse et de trois bâtiments de guerre de la Marine. Nous verrons aussi 122 transferts d’unités.

Dans le même temps, les bases de défense montent en puissance, elles sont toutes officiellement créées depuis le 1er janvier dernier, et le 1er juillet prochain près de 89 % des effectifs auront déjà rallié leur poste. Le système devrait être stabilisé en 2012 avec le déploiement attendu des principaux systèmes d’information qui permettront la rationalisation voire la dématérialisation des procédures. Cette phase de transition est sensible et fragile à la fois.

En effet 20 000 postes sont encore à supprimer d’ici à 2015 : ce sera une phase plus compliquée parce que ces déflations ne seront plus la conséquence de dissolutions d’unités mais bien de la rationalisation de notre fonctionnement, notamment pour les métiers du soutien. Ces déflations vont aussi dépendre du déploiement de nouveaux systèmes d’informations et des infrastructures adaptées.

Notre difficulté principale sera d’atteindre cette cible de déflation dans le respect du format défini par le Livre blanc, en tenant compte également des mesures nouvelles intervenues depuis 2008 comme la création de la base aux Émirats arabes unis, mais aussi la montée en puissance indispensable de la cyber défense, ainsi que le maintien de certains sites qu’il n’était pas initialement prévu de maintenir. C’est-à-dire l’équivalent de 4 000 postes supplémentaires. Il faudra de plus tenir compte des effets de la loi sur les retraites.

Naturellement, nous devons aussi ne pas obérer l’avenir et pouvoir nous adapter à la révision prévue du Livre blanc de 2012. Ces éléments que j’évoque devant vous sont des facteurs supplémentaires de déséquilibre et de fragilité, notamment pour le moral des armées.

Et celui-ci est inégal. Le moral des troupes déployées en opérations est excellent. Ces hommes et ces femmes font leur métier, ils ont la priorité en termes d’équipements et de maintien en condition opérationnelle (MCO). Si vous interrogez le personnel en garnison, leur moral est mitigé. Il dépend du degré d’impact des restructurations, des réformes en cours et des difficultés du MCO. Enfin, c’est dans les échelons centraux qu’il est le plus bas. En effet les officiers d’état-major aux prises quotidiennes avec la complexité de la transformation et les contraintes budgétaires sont ceux qui vivent le plus difficilement ces réorganisations. Il y a un climat de morosité, qui est en partie, paradoxalement contrebalancé par le fait que nous remportons des succès en opérations extérieures,.

Enfin je terminerai par la situation actuelle de la programmation militaire.

La loi de programmation militaire (LPM) de la période 2009-2014 a traduit des ambitions reposant sur le principe simple suivant : les marges de manœuvre acquises grâce à notre transformation – tant en termes de masse salariale, que de fonctionnement – devaient être réinvesties dans les programmes de renouvellement des équipements.

Mais cette programmation reposait aussi sur des hypothèses budgétaires avec des ressources gagées sur la masse salariale, sur des ressources exceptionnelles et sur les exportations de nos fleurons technologiques comme le Rafale. Au bout de presque trois années d’exécution, elles ne se sont pas concrétisées. Les recettes exceptionnelles ne sont pas au rendez-vous au rythme et à la hauteur de ce qui était prévu. Il en est de même des exportations, avec néanmoins quelques réussites, comme les bâtiments de projection et de commandement (BPC).

Cette situation a rigidifié notre programmation et aujourd’hui nos marges de manœuvre sont nulles, à ambitions constantes. De plus, la crise financière de 2008 a imposé une nécessaire maîtrise des déficits publics.

Cela s’est traduit concrètement par une triple pression. Tout d’abord, sur le fonctionnement courant avec un impact direct sur le fonctionnement des bases de défense. Ensuite sur les conditions de notre préparation et de notre endurance opérationnelles avec un impact sur notre « rapidité de régénération ». Enfin une pression, sur le renouvellement de nos équipements : c’est sans doute l’un des enjeux majeurs puisque cela affecte la réalité de notre modèle d’armée et donc la viabilité de nos ambitions affichées sur la scène internationale. Aujourd’hui, je ne connais pas la future trajectoire des ressources : elle dépendra de notre santé économique et financière et des décisions politiques à venir. L’année 2012 est à la croisée des chemins de la programmation militaire. Elle combine des échéances électorales majeures, l’actualisation du Livre blanc, et la révision de la programmation militaire (LPM pour la période 2013-2018).

Le maintien à niveau comme le renouvellement de nos capacités militaires nécessite, sur le long terme, une préservation de l’effort de défense. La question se pose de savoir si nous aurons la volonté de consentir cet effort pour disposer d’un outil de défense cohérent et complet. La réponse ne m’appartient pas. En revanche, je connais l’Histoire et ses « surprises stratégiques ». Nous pouvons être surpris et nous le serons ; mais nous n’avons pas le droit d’être démunis.

M. le président Guy Teissier. Vous avez évoqué, amiral, les nombreux conflits et territoires où étaient engagées nos armées. Les récents propos du chef d’état-major de la marine sur la nécessité, pour le groupe aéronaval, engagé aujourd’hui en Libye, de faire une escale technique avant de poursuivre les opérations, ont suscité quelques remous. Quel est votre point de vue sur ce sujet, pourrait-on poursuivre les opérations en Libye sans l’appui du Charles de Gaulle ?

Amiral Édouard Guillaud. Sur les dix derniers mois, le porte-avions a été huit mois en opérations, il est donc normal que la question de son entretien se pose. Il faut néanmoins avoir à l’esprit deux éléments suivants : tout d’abord le porte-avions n’est pas encore arrivé au bout de son potentiel ; ensuite nous avons les moyens de compenser un éventuel retrait du porte-avions grâce aux avions de l’armée de l’air. Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu besoin de rapatrier des avions d’autres théâtres pour intervenir en Libye. Nous n’avons donc pas encore épuisé l’ensemble de nos capacités.

M. Philippe Vitel. Vous avez évoqué l’intervention de l’armée au cours des inondations à Draguignan, l’année dernière. Je crois que tous les Varois lui sont reconnaissants. Les 350 hélitreuillages réalisés au cours des douze premières heures de la crue ont permis de sauver de nombreuses vies.

Dans un entretien donné à un journal de défense, vous dites que vous êtes particulièrement attentif à la cohérence du format des armées, notamment à l’équilibre entre l’ambition et l’effort. Dans ma ville, Toulon, on se pose beaucoup de questions à propos de l’absence de décision sur la programmation du deuxième porte-avions et je pense que cela cultive une certaine morosité au sein des troupes. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Un autre sujet de préoccupation circule à Toulon concernant le renouvellement de la flotte de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA). Certains ont évoqué une diminution du format de six à cinq sous-marins. Cela correspond-il à une quelconque décision ?

M. Bernard Cazeneuve. Je voudrais vous interroger sur l’intervention en Libye : quels sont les moyens mobilisés ? Quel est le surcoût OPEX de cette opération ? Est-ce que le financement de ce surcoût est prévu par la réserve interministérielle ?

J’ai également une question sur la réforme du ministère de la Défense. En 2008, dans son discours à la Porte de Versailles, le Président de la République avait annoncé qu’avec une baisse des effectifs de 54 000 hommes, elle se traduirait par des économies de 2,7 milliards d’euros. L’an dernier, il a été décidé de taxer le ministère de la défense à hauteur de 3,7 milliards d’euros, soit 1 milliard de plus que le niveau des économies escompté par la réforme. Dans le même temps, nous savons que le niveau des recettes exceptionnelles est extrêmement aléatoire. Par conséquent, le niveau des économies qui devait être affecté aux équipements est quasiment nul. Par ailleurs, le Livre blanc prévoyait une hausse de 1 % des budgets d’équipement pour l’année prochaine. Qu’en sera-t-il ? À quels arbitrages capacitaires le ministère de la Défense se prépare-t-il ?

Amiral Édouard Guillaud. Les moyens financiers du ministère de la Défense ne nous permettent pas d’envisager le deuxième porte-avions pour le moment. Son coût est de l’ordre de 3 à 3,5 milliards d’euros, étalés sur huit ans.

Le programme Barracuda comprend bien six SNA. Ces unités constituent un passage obligé pour nos sous-mariniers qui vont servir ensuite nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE) et il faut donc veiller à la cohérence de l’ensemble du dispositif. J’y suis très attentif.

En Libye, 4 000 hommes sont engagés, dont les trois quarts en OPEX. Comme l’a expliqué le ministre, le surcoût peut être décomposé en deux parties : la première représente 100 millions d’euros et la deuxième, qui correspond au maintien en condition opérationnelle (MCO) de nos matériels, ne peut être chiffrée qu’a posteriori. On peut néanmoins l’estimer à 60 millions d’euros. La provision dans le budget pour les surcoûts OPEX était de 630 millions d’euros pour 2011, avec un taux de couverture estimé à 71 % de la totalité des surcoûts, sensiblement au même niveau que l’année précédente. Depuis 2009, la réserve interministérelle couvre la partie non budgétisée, avec un décret d’avance jusqu’à la loi de finance rectificative.

Concernant la réforme du ministère, les 2,7 milliards d’euros que vous évoquez correspondent aux économies en régime établi, une fois les 54 000 postes supprimés. Or si nous en avons déjà supprimé 34 000, l’effort restant à accomplir est de 20 000. La lettre de cadrage pour le budget 2012 est encore à l’étude mais la hausse de 1 % du budget d’équipement semble improbable. L’effort est d’ailleurs d’actualité pour tous les ministères.

M. Daniel Boisserie. L’opération en Libye se poursuit depuis de longs mois mais le régime de Khadafi est toujours là. Pensez-vous qu’il finira par tomber ou devrons-nous nous contenter de son affaiblissement et d’une éventuelle partition du pays ?

Mon autre question est plus iconoclaste : en effet un officier américain m’a confié que pour lui, une des particularités de notre armée est qu’elle comprend de nombreux officiers. J’aimerais donc savoir si un lien est fait entre la suppression des effectifs et le glissement technicité vieillesse ?

M. Michel Voisin. J’ai lu un article du Figaro qui disait l’inverse de ce que vous avez dit tout à l’heure : le budget est en baisse, l’activité en hausse, et le moral en berne ! L’article faisait même état d’une certaine « mélancolie pour l’avenir » de la part de certains officiers. Qu’en pensez-vous ?

Amiral Édouard Guillaud. J’observe que la part des officiers au sein des armées est bien plus importante aux États-Unis qu’en France. Par ailleurs, en France, le nombre de généraux est en train de diminuer de 15 %. Je ne pense donc pas que nous ayons de leçons à recevoir sur ce point.

Pour la Libye, rappelons que le régime du colonel Kadhafi est une dictature et que le propre des dictatures est de s’effondrer brusquement, comme cela a été le cas en Côte-d’Ivoire avec le gouvernement de Laurent Gbagbo. Le colonel Kadhafi sait qu’il ne peut plus remporter la victoire, il sait que cela se terminera par son départ, et il doit maintenant décider s’il ira jusqu’à se faire tuer. La rapidité de la victoire des opposants dépend beaucoup du CNT et des Libyens eux-mêmes.

Un autre signe de l’affaiblissement du régime du colonel Kadhafi est que, depuis une semaine, ce dernier évoque la poursuite du combat dans l’au-delà. Par ailleurs, son entourage commence à dire qu’il pourrait ne pas être associé aux négociations.

En ce qui concerne l’article publié par Mme Lasserre dans le Figaro, comme je l’ai dit tout à l’heure, l’état du moral des militaires n’est pas le même à l’état-major qu’en Kapisa – malgré les pertes que nous avons connu –, sur le BPC Tonnerre ou à Solenzara. Il est vrai que les restrictions budgétaires suscitent une angoisse particulière chez les militaires. Et j’ai bien dit que le moral des troupes est aujourd’hui contrasté.

M. Michel Grall. Je voudrais saluer l’engagement de nos troupes en OPEX mais je m’interroge sur l’accroissement de nos interventions. N’avons-nous pas atteint la limite de nos capacités militaires ? Pourrions-nous ouvrir un autre front ? Par ailleurs, le problème de l’engagement dans la durée semble également se poser. Notre effort de défense en pourcentage du PIB s’étant réduit depuis les années 80, n’y a-t-il pas un risque de décrochage et de distorsion croissant avec le maintien de nos ambitions internationales ?

M. Daniel Mach. Disposez-vous d’un échéancier du retrait des troupes d’Afghanistan, annoncé par le Président de la République ?

Amiral Édouard Guillaud. L’armée française peut tenir dans la durée. Certes, elle ne pourrait pas multiplier par quatre ses engagements, mais aujourd’hui, nous n’avons pas atteint nos limites capacitaires. Nous sommes dans l’épure du Livre blanc. Ce dernier prévoit que l’armée française doit être capable d’opérer sur quatre théâtres or nous sommes actuellement présents sur six. Les propos rapportés ici ou là sont des déclarations inconsidérées faites par des responsables militaires qui sont sortis du cadre de leurs responsabilités.

Cependant, notre pays ne pourra pas continuer à ce rythme pendant un an et demi. Le problème réside dans le fait qu’au moment où les armées françaises seront en phase de régénération, il y aura des choses qu’elles ne pourront plus faire. Par exemple, des exercices de l’OTAN qui étaient prévus vont devoir être annulés, ce qui ne me choque pas.

S’agissant de l’effort de défense, on peut souhaiter qu’il représente 2 % du PIB plutôt que 1,7 %, mais c’est un choix d’ambition nationale qui a été fait. Revenir à 3 % du PIB serait surdimensionné par rapport aux ambitions que nous affichons depuis 15 ans. Il est incontestable que l’armée française a pu remplir les contrats qui lui avaient été fixés.

En ce qui concerne le retrait des troupes françaises d’Afghanistan, nous sommes en train de travailler sur un calendrier, que je ne souhaite pas détailler ici pour deux raisons : il nous faut consulter nos alliés et nous devons éviter de fournir des informations aux Talibans, passés maîtres dans la manipulation des médias.

Tous les indicateurs permettant la transition en Surobi sont au vert. Cependant, c’est au Gouvernement afghan et au président Karzaï de prendre la décision finale. Nous espérons que sa mise en application pourra débuter dès le premier décembre.

Nous souhaitons par ailleurs transférer la Kapisa à l’été 2012. L’armée française y est en permanence sur le terrain et ne se contente plus seulement d’y mener des opérations ponctuelles. Il faut rappeler que l’armée soviétique n’a jamais pu s’y engager.

M. Jean-Claude Viollet. À l’occasion de la guerre en Libye, il est probable qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a acquis des équipements qui pourraient lui servir dans la bande sahélienne. Ne faudrait-il pas que nous nous appuyions sur nos éléments au Tchad, pays dont nous avions pourtant pensé nous désengager ?

Par ailleurs, la tension est forte entre Israël et le Hezbollah. Envisage-t-on de reconfigurer notre présence au Liban, notamment pour pouvoir exfiltrer des expatriés ?

Mme Patricia Adam. Ma question portera sur l’actualisation du Livre blanc. Nous constatons que l’arc de crise, tel qu’il y est défini, ne correspond pas à celui qui s’impose à nous aujourd’hui. L’Afrique est certainement le continent qui reste prioritaire. Quelle est donc aujourd’hui votre vision de l’arc de crise ? Dans quel sens doit être envisagée la révision de la loi de programmation militaire ? Dans le contexte présent, nos moyens sont limités et des choix devront être faits, lesquels ?

Amiral Édouard Guillaud. En ce qui concerne la Libye, l’armement éventuellement obtenu par AQMI nous préoccupe et fait l’objet d’une attention particulière. On sait que des combattants ont été envoyés sur place pour négocier des rachats d’armes dans cette région qui est une porte sur le Sahel, zone dans laquelle il y a toujours eu beaucoup de trafics.

Nous ne disposons pas d’accord de défense avec le Tchad mais seulement d’un accord de stationnement des troupes. La question de sa révision doit se poser dans le cadre de la réactualisation du Livre blanc ; notre relation avec la Côte-d’Ivoire va faire l’objet d’un ré examen.

S’agissant du Liban, une réflexion sous l’égide de l’ONU est sans doute nécessaire pour s’adapter à la réalité de la situation actuelle, libanaise et régionale.

L’arc de crise défini par le Livre blanc est acceptable dans sa dimension est-ouest, même si le constat du déplacement vers l’est du centre de gravité du monde serait cohérent avec l’extension orientale de cet arc. Il me paraît un peu étroit dans son interprétation nord-sud. À l’époque de la rédaction du Livre blanc, l’Afrique était déjà au centre de nos préoccupations mais AQMI ne menaçait pas aussi violemment nos intérêts. Le Livre blanc se décompose en trois parties : la première correspond à un état des lieux, c’est la partie la plus facile à actualiser, notamment avec les événements relatifs aux révolutions arabes et avec les jeux en mer de Chine. La deuxième partie est l’exposé des ambitions nationales, la troisième partie est la transposition de ces ambitions au travers de lois de programmation militaire.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je me réjouis que la France se retire enfin de l’Afghanistan. Il est néanmoins dommage d’avoir attendu la décision américaine pour que la France annonce à son tour le retrait de ses troupes. La nécessité de posséder un second porte-avions me paraît être une évidence, puisqu’en cas d’immobilisation du Charles de Gaulle sur une longue durée, l’armée française se trouverait fragilisée. Comment lutter contre les forces terroristes au Sahara ? Quelles sont les perspectives de coopération avec les pays limitrophes de la bande sahélienne ? Comment envisagez-vous la réorientation de notre politique de défense à la suite du retrait de nos troupes d’Afghanistan ?

M. Patrick Beaudouin. Quelles sont les actions envisagées qui permettront une traduction concrète de l’accord militaire avec le Royaume-Uni ?

Amiral Édouard Guillaud. La durée d’immobilisation pour entretien d’un porte-avions est de l’ordre de 3 mois environ. Ce laps de temps lui permet de récupérer l’ensemble de ses capacités. Cette immobilisation peut être contrebalancée par une augmentation de la mise à disposition des avions de l’armée de l’air. Dès lors, il n’y a pas d’inquiétudes particulières à avoir. Nous ne sommes pas à la limite de nos capacités en ne disposant que d’un seul porte-avions. Bien sûr, je suis favorable à ce que la France puisse disposer d’un deuxième, mais je vous renvoie à la réponse faite à M. Vitel.

Notre pays travaille beaucoup avec les pays riverains du Sahara pour lutter contre le terrorisme. Les contraintes inhérentes à chaque pays de la bande sahélienne rendent ces coopérations complexes.

En dépit de l’opération en Libye, nous avons maintenu l’exercice Flandres 2011 qui constitue un laboratoire pour la coopération franco-britannique en matière de défense. Nous voulons constituer ensemble une force expéditionnaire conjointe et ce type d’entraînement permet de mieux nous connaître. Cette coopération bilatérale permet aussi d’établir un benchmarking sur les performances de l’armée française et celles-ci ne sont pas si mauvaises. Pour 2010, le budget de la défense était de 34 milliards d’euros pour la France et de 52 milliards d’euros pour le Royaume-Uni. Et pourtant, en Libye, les Britanniques ont actuellement des difficultés pour aligner 4 hélicoptères alors que la France en compte 18. La différence avec les Britanniques s’explique par deux postes financiers qui pèsent lourdement sur leur budget. Tout d’abord, les soldats britanniques ont une rémunération plus importante que les soldats français, et ils disposent également d’avantages sociaux conséquents. L’autre poste excessivement lourd concerne les externalisations, ce qui donne à réfléchir. En effet certains contrats leur permettent d’être gagnants mais d’autres, en particulier lorsqu’ils sont renouvelés, les pénalisent en raison notamment de problèmes d’ordre juridique qui n’avaient pas été prévus en amont.

Les autres axes majeurs envisagés en commun avec les Britanniques sont notamment un BPC projetable commun, la mise au point d’un successeur pour le fusil d’assaut FAMAS, ou encore un drone dans une version combat.

M. Gérard Charasse : Peut-on avoir de plus amples informations sur les bases de défense ? En effet certains syndicalistes font état de rumeurs sur de nouvelles fermetures.

M. Jean-Jacques Candelier. Jeudi dernier, le Président de la République a annoncé le retrait progressif de nos troupes d’Afghanistan. Il est regrettable que cette décision ne soit pas intervenue auparavant. Les forces afghanes sont-elles en mesure d’assurer leurs nouvelles tâches ? Certains médias indiquent que les insurgés gagnent du terrain, est-ce vrai ? Comment s’articule le dialogue avec les Talibans dits modérés ? Et qu’en est-il du double jeu pakistanais ? Par ailleurs, pouvez-vous nous indiquer le nombre de civils libyens victimes de ce conflit, ainsi que les pertes de l’OTAN ?

Amiral Édouard Guillaud. Nous comptons actuellement 60 bases de défense ; 51 d’entre elles sont situées en métropole. Il conviendra de dresser un bilan de leur fonctionnement en 2013 ou 2014 afin de déterminer s’il est nécessaire d’en diminuer encore le nombre. La qualité du service rendu et le moral des personnels doivent être au cœur de la décision. Les organisations syndicales ont soulevé la question des personnels « poly-restructurés ». On constate aujourd’hui que dans les bases de défense les plus anciennes, avec deux ans et demi d’existence, le taux de satisfaction est assez élevé. Il est plus mitigé dans celles datant de seulement un an et demi. Il est encore moindre dans les plus récentes. Si les perceptions sont contrastées, la tendance globale est très positive. L’idéal n’est pas encore atteint mais l’ensemble avance, de manière certes différenciée, y compris aux yeux des personnels civils et des organisations syndicales.

La presse française, se montre toujours défaitiste sur ce qui se passe en Afghanistan. Si l’ANA se montre capable de remplir ses missions, si elle tient sa place comme elle le fait en Surobi et commence à le faire en Kapisa, il n’y a aucune raison de ne pas la laisser jouer pleinement son rôle.

Les traditions hiérarchiques dans les forces nationales de sécurité afghane sont différentes des nôtres mais les Afghans sont capables d’assumer leurs fonctions. L’expérience acquise permettra d’affiner le niveau du volume final de ces forces, pour combiner efficacité et autonomie. La discussion avec les Talibans est inévitable : ils sont chez eux. Le dialogue reste néanmoins difficile à établir avec le réseau Haqqani. Une partie de la solution est au Pakistan, État certes en difficulté mais qui détient l’arme nucléaire ; le pays est à la fois une partie du problème et de sa solution.

Avant d’évoquer les pertes civiles en Libye, il nous faut admettre notre candeur face à la manipulation de l’information dans laquelle Kadhafi est passé maître. Nous sommes même d’une naïveté quasi coupable. Je citerai un exemple criant de manipulation : nous avons des photos d’un immeuble identifié comme un quartier général militaire. Le lendemain, la même photo circule mais un jardin d’enfants est installé sur le toit. On déplore peu de pertes civiles libyennes. De fait, beaucoup d’objectifs n’ont pas été frappés parce que nous avions de forts soupçons concernant la présence de civils à proximité. M. Kadhafi a déployé des canons sans recul dans l’hôpital de Misrata ; nous n’avons jamais frappé cet objectif. L’OTAN n’a enregistré aucune perte. Elle a connu deux déboires : une panne de moteur sur un F15 dont l’équipage a pu être récupéré et la perte d’un drone venant d’un navire américain. Ce drone a ensuite été présenté par M. Kadhafi comme un hélicoptère d’attaque…

M. Gilbert Le Bris. Le traité de Lisbonne a consolidé la base juridique de la politique de sécurité et de défense commune (PESDC). Mais la sanctuarisation des budgets de la défense est une illusion. Il semble que nous assistions aujourd’hui à un partage des tâches : tout ce qui relève de la prospérité relevant de l’Union européenne et l’OTAN se chargeant de la sécurité. Les États-Unis nous demandent maintenant de prendre en charge des actions civilo-militaire (ACM). Les échéances électorales de 2012 ne font-elles pas craindre que certaines décisions soient retardées, notamment sur les drones ?

M. Guillaume Garot. Vous évoquez la situation en Libye avec un ton plutôt optimiste. Quels éléments objectifs permettent de l’être ?

Amiral Édouard Guillaud. La PESDC ne peut fonctionner sans une volonté commune. À cet égard, le dernier discours de M. Gates peut avoir un effet dynamisant. Mais on ne peut préjuger de la réaction des Européens. L’idée bruxelloise faisant de l’Europe une « grande Suisse » paraît quelque peu utopique. L’affaire libyenne comme les mouvements en Syrie pourraient également être stimulants, tout comme les tiraillements actuellement en Bosnie-Herzégovine.

S’agissant des drones, les craintes sur l’absence de décision doivent être mesurées à l’aune de la durée d’un programme d’armement. Le besoin en drones est certes avéré mais il faudra attendre 2020 pour avoir un système franco-britannique satisfaisant. Compte tenu des contraintes juridiques et techniques, les offres promettant une réponse satisfaisante plus rapidement ne sont pas sérieuses. Il ne faut pas laisser les industriels nous manipuler.

S’agissant de la Libye, je n’ai pas dit que ce sera rapide mais qu’il est possible que ce soit rapide. L’issue dépend aussi de l’attitude du CNT, et des mouvements de rébellion. Le sud commence à se libérer de l’emprise de Kadhafi mais cela sera-t-il suffisant ?

M. Francis Hillmeyer. Amiral, où en est le retrait de nos 300 hommes au Kosovo, est-il bien nécessaire de les maintenir ?

M. Franck Gilard. J’aimerais avoir votre sentiment sur les mouvements des stocks d’armes du Hezbollah et leurs éventuelles conséquences pour la mission de nos forces au sud-Liban.

Amiral Édouard Guillaud. Au Kosovo, l’entrée dans la phase 3 de l’opération, décidée par l’OTAN, devrait nous conduire à ne plus mener que des activités de mentoring. Nous ne devrions donc plus conserver des compagnies de combat.

Cependant il me semble que retirer totalement les troupes alors que ce pays est au cœur de l’Europe ne serait pas un bon signal. Il serait souhaitable que l’Union européenne reprenne ici, comme elle l’a fait en Bosnie-Herzégovine avec l’opération Althéa, les missions jusque-là exercées par l’OTAN. Du point de vue diplomatique, je pense donc qu’il est important que nous laissions quelques soldats sur place, même peu nombreux.

M. le président Guy Teissier. Avons-nous encore des soldats en Bosnie ?

Amiral Édouard Guillaud. Non, nous n’en avons plus. Concernant les stocks d’armes du Hezbollah, oui il y en a vraisemblablement au sud-Liban. Nous devons prendre acte de la constitution du nouveau Gouvernement libanais dans lequel le Hezbollah est très bien représenté. Je crois, encore une fois, que l’ONU devrait réexaminer le mandat pour éviter des situations intenables.

M. Christian Ménard. J’aimerais vous interroger, Amiral, sur la piraterie maritime. Vous avez dit tout à l’heure que la solution était à terre et que la réponse devait être globale, et vous avez tout à fait raison. Si l’opération Atalante est un vrai succès, à la fois technique et juridique, j’ai l’impression que l’Europe traîne et qu’aucune décision n’est prise en dehors de cette opération.

Je voudrais donc savoir si une résolution de l’ONU est en cours de discussion pour mettre en place des tribunaux à terre, comme Jack Lang le préconisait dans son rapport. Je trouve qu’il serait souhaitable de nommer un haut responsable chargé de ce sujet.

Que pensez-vous aussi de l’idée de créer un corps de marins spécialisés, composé peut-être de réservistes, dans la protection des bateaux et financé par les armateurs ?

Mme Michèle Alliot-Marie. Vous avez évoqué les contraintes d’effectifs mais vous n’avez pas, Amiral, mentionné ceux qui participent au plan Vigipirate. J’aimerais également connaître les effectifs qui sont mis à disposition d’organisations internationales, notamment auprès de l’Union européenne et de l’OTAN.

Par ailleurs, compte tenu des contraintes budgétaires que nous connaissons et du poids des opérations extérieures, je m’interroge sur les moyens réservés pour l’entraînement des hommes.

Enfin, que pensez-vous des mandats de l’ONU : sont-ils réellement adaptés aux missions ?

M. Georges Mothron. J’ai une suggestion à faire pour améliorer le moral des troupes : que les militaires viennent rendre visite aux collectivités, aux associations qui connaissent, partout, de grandes difficultés budgétaires. Ils verraient que toutes essaient de faire avec moins !

Amiral Édouard Guillaud. Sur la piraterie, je n’ai pas d’éléments précis sur un projet de résolution porté par l’ONU. Je crains que cela n’avance pas beaucoup… Votre suggestion de nommer un haut responsable chargé de cette question me semble intéressante.

L’organisation maritime internationale bouge un peu sur cette question. Nous attendons de sa part un nouveau rapport sur l’emploi des équipes de protection embarquées, étatiques et privées. Concernant la création d’un corps de marins spécialisés, je crois que les armateurs français sont un peu frileux et ne semblent pas spécialement disposés à y contribuer financièrement. L’armée ne peut pas augmenter les équipes de protection embarquée. Faire appel à des réservistes ? Peut-être. Des changements récents de pavillon français vers des pavillons de complaisance conduisent également à réexaminer la question des sociétés militaires privées (SMP). J’attends donc avec intérêt les conclusions de l’organisation maritime internationale pour voir ce que nous pourrons faire.

Le plan Vigipirate mobilise en moyenne 774 militaires par jour sur le territoire métropolitain. J’évoquais précédemment les 2 500 soldats affectés aux « missions socles » ; 200 d’entre eux sont affectés à la sûreté aérienne et 500 à la sûreté maritime et au fonctionnement des sémaphores, etc. Les missions de sécurité sont donc bien une partie intégrante de notre activité.

Actuellement la France met environ 800 hommes et femmes à la disposition de l’OTAN, sachant que notre plafond est fixé à 1 100 personnels. Nous avions prévu une montée en puissance jusqu’en 2012 pour atteindre 85 % de notre quote-part, comme nos principaux partenaires. La transformation et le changement des structures de commandement de l’Alliance montrent que notre anticipation était la bonne. Notre engagement définitif devrait donc se stabiliser à son niveau actuel.

En ce qui concerne l’entraînement, je suis obligé de faire des choix compte tenu de la contrainte budgétaire. Nous mettons l’accent sur la préparation opérationnelle avec des durées adaptées aux différentes situations : avant de partir en Afghanistan, nos soldats suivent une formation intensive de six mois ; pour les autres théâtres, elle oscille entre trois et quatre mois. Ces entraînements incluent des modules spécifiques pour les états-majors, de façon à ce qu’ils soient opérationnels dans les meilleurs délais. Cette situation est très positive mais pour tenir cet objectif, étant donné que nous sommes soumis à des contraintes budgétaires, je me retrouve dans l’obligation de réduire le volume de l’entraînement courant. Il y a donc un risque d’avoir une armée à deux vitesses, l’écart se creusant entre les unités déployées en opérations extérieures et les autres. La difficulté est globale : pour rallier les champs de tir ou les camps d’entraînement, il faut par exemple disposer de moyens de transport. Or ces derniers sont mobilisés presque exclusivement en opérations.

Vous avez évoqué l’engagement français sous mandat international. Lorsque l’ONU décide d’appliquer ses résolutions, la sortie de crise est rapide et heureuse. L’exemple ivoirien l’a parfaitement montré : pour la première fois depuis longtemps, les hélicoptères de l’ONU ont ouvert le feu à Abidjan, avant même les appareils français. Lorsque les résolutions sont appliquées, les succès sont réels. Le cadre juridique est généralement suffisant mais il manque souvent la volonté politique de l’appliquer, ce qui génère une certaine frustration.

Le fait que le département des opérations de maintien de la paix (DOMP) soit dirigé par un Français est un atout pour nous : cela me permet d’avoir avec lui des échanges francs et de faire passer un certain nombre de messages.

Mme Michèle Alliot-Marie. Nous avons donc tout intérêt à ce que le prochain chef reste français !

Amiral Édouard Guillaud. Je partage totalement votre position. J’en viens enfin à vos remarques sur le moral. Je retiens la proposition très intéressante de M. Mothron. Comme je le répète aux militaires, nous devons sortir de nos canaux habituels de raisonnement et penser différemment. Il faut revisiter les schémas acquis ; nous ne devons pas avoir peur d’être lucides et innovants.

La séance est levée à douze heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Présents.  —  Mme Patricia Adam, Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Patrick Beaudouin, M. Jean-Louis Bernard, M. Daniel Boisserie, M. Pascal Brindeau, M. Dominique Caillaud, M. Patrice Calméjane, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, M. Bernard Cazeneuve, M. Guy Chambefort, M. Gérard Charasse, M. François Cornut-Gentille, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Jean-Pierre Dupont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Laurent Fabius, M. Yves Fromion, M. Guillaume Garot, M. Franck Gilard, M. Michel Grall, M. Francis Hillmeyer, Mme Françoise Hostalier, M. Marc Joulaud, M. Jacques Lamblin, Mme Marguerite Lamour, M. Jack Lang, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Marie Le Guen, M. Daniel Mach, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Christian Ménard, M. Damien Meslot, M. Georges Mothron, M. Étienne Mourrut, M. Philippe Nauche, M. Jean-Claude Perez, M. Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset, M. Michel Sainte-Marie, M. Bruno Sandras, M. Michel Sordi, M. Guy Teissier, M. Yves Vandewalle, M. Jean-Claude Viollet, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin.

Excusés.  —  M. André Gerin, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Jean Michel, M. André Wojciechowski

Assistaient également à la réunion.  —  M. Jean-Michel Fourgous, M. Louis Giscard d’Estaing