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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 14 février 2012

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Guy Teissier, Président

–– Examen du rapport d’information sur les sociétés militaires privées (MM. Christian Ménard et Jean-Claude Viollet, rapporteurs).

La Commission procède à l’examen du rapport d’information sur les sociétés militaires privées (MM. Christian Ménard et Jean-Claude Viollet, rapporteurs).

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

M. le président Guy Teissier. Nous nous réunissons aujourd’hui pour entendre la présentation du rapport de MM. Christian Ménard et Jean-Claude Viollet sur les sociétés militaires privées (SMP), qui est le dernier de la législature. Il s’agit d’un sujet de la plus haute importance, sur lequel le Gouvernement mène également une réflexion.

Les SMP sont aujourd’hui très présentes dans le monde. Sur tous les théâtres où nous nous sommes rendus, nous avons constaté que des entreprises, souvent anglo-saxonnes, participaient aux opérations, par exemple en Afghanistan, au Kosovo ou encore des Espagnols dans le Golfe persique. En général, elles assurent des missions de logistique ou de formation, ce qui en soi ne semble pas choquant.

Mais les médias ont également rapporté qu’elles pouvaient mener des actions de combat, comme on l’a vu en Irak, aux côtés de l’armée américaine avec, par exemple, la société Blackwater. Dans ce cas, le recours au secteur privé heurte notre vision régalienne de l’emploi de la force.

Vous nous donnerez vos points de vue sur ce que doit être leur champ d’action. Vous nous préciserez notamment ce qui est permis par le droit international et le droit français.

Par ailleurs, il me semblerait utile que vous décriviez ce secteur en France : quelles sont nos entreprises ? Leur offre est-elle compétitive ? Comment faire face à la concurrence internationale ?

J’ai observé que beaucoup d’acteurs prônent désormais une ouverture au secteur privé pour protéger nos navires de la menace pirate au large de la Somalie. Tous les navires ne peuvent pas être protégés par des moyens militaires, le transit dans cette région étant particulièrement important. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Vous avez mené de nombreuses auditions et vous êtes rendus en Algérie, à Djibouti et en Libye. À l’appui des informations que vous avez recueillies, vous pourrez certainement formuler des propositions pour clarifier l’image de ce secteur et concilier la nécessité de soutenir son développement avec le respect de nos valeurs.

M. Christian Ménard, rapporteur. Le sujet des SMP a donné et donne toujours lieu à de nombreuses réflexions de la part du Gouvernement, de scientifiques ou encore de journalistes. À l’heure où ces travaux pourraient bien donner le signal de changements majeurs, il nous a semblé crucial que le Parlement, et notre commission en particulier, prenne une position la plus claire et consensuelle possible.

Le premier point que nous avons relevé est l’enjeu sémantique. La notion de société militaire privée nous vient du monde anglo-saxon, où elle désigne les entreprises dont l’activité repose sur toutes sortes de services à la défense. Les grandes SMP américaines ou britanniques assurent la restauration sur les bases, des prestations médicales et de transport ou encore de formation. L’essentiel de leur chiffre d’affaires vient de leurs contrats publics et privés réalisés en métropole. Mais elles sont également très actives à l’étranger, bien souvent pour mettre en œuvre des contrats financés par l’État. Certaines d’entre elles assurent des missions armées et parfois de combat comme on a pu le voir en Irak, par exemple lors de la célèbre bataille de Falludjah qui a impliqué des combattants de Blackwater.

Les entreprises françaises susceptibles de répondre à la dénomination de SMP occupent un périmètre d’activité beaucoup plus restreint. Pour des raisons juridiques, les activités armées et notamment de combat en sont exclues. Pour des raisons politiques et économiques, elles bénéficient d’une masse de contrats publics proportionnellement moins importante. Nous refusons par exemple de confier au secteur privé le soutien médical des armées et nous nous montrons prudents sur les externalisations. Beaucoup de pays confient la garde de leurs ambassades à des sociétés privées. Ce n’est pas notre cas, même si la révision générale de la politique publique peut rendre la perspective crédible pour des missions d’appoint.

La notion de « SMP » est donc peu adaptée à ces entreprises. Elle entretient l’idée qu’elles tutoient le mercenariat ou encore portent le risque de dérapages à la Blackwater. Cette image est inexacte, injuste et, en entravant tout véritable débat politique sur leur développement, dessert l’intérêt national.

Ainsi, au cours des nombreuses auditions que nous avons conduites, nous avons retenu la proposition formulée par le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationales (SGDSN) qui est de les inclure dans un ensemble appelé « entreprises de services de sécurité et de défense » (ESSD), suggérant une communauté d’intérêts et d’activités entre celles des sociétés de sécurité privée (SSP) et celles davantage orientées vers la défense (SMP).

À des degrés divers, les États ont toujours recouru à des moyens privés pour soutenir leur effort militaire. On pense aux Nubiens recrutés par Ramses II, aux Germains au service de Jules César, aux fameux gardes suisses ou encore à la guerre de Course. Bien que difficile à évaluer, le marché de la sécurité privée est aujourd’hui très vaste, de l’ordre de 200 à 400 milliards de dollars chaque année.

Le marché est dominé par des entreprises américaines telles que MPRI ou Blackwater, rebaptisée Xe puis Academi, ou, la plus importante, la britannique G4S qui revendique plus de 600 000 employés. Cette dernière assure des missions multiples et a notamment été retenue pour sécuriser les Jeux Olympiques de Londres. De leur côté, les entreprises françaises sont de taille bien plus modeste et leur activité est plus spécialisée. La principale est GEOS, avec 38 millions d’euros de chiffre d’affaires et 480 employés dans 80 pays, ce qui est bien supérieur à la moyenne des entreprises du secteur qui s’établit à trois millions d’euros.

La seconde entreprise est GALLICE fondée par d’anciens cadres de la DGSE et du GIGN, avec environ 20 millions d’euros de chiffre d’affaires. Elle est notamment présente au Gabon, en Mauritanie, à Madagascar ou encore dans l’océan Indien.

Le troisième est Galea, créé en Guyane pour la protection du site de Kourou et la lutte contre l’orpaillage illégal. Son chiffre d’affaires est aujourd’hui d’environ 15 millions d’euros.

Ces entreprises sont très utiles, et d’abord à leurs États. Elles permettent de répondre à des besoins en termes de soutien et offrent un moyen d’action efficace et plus discret pour la coopération militaire. Par exemple, la société américaine MPRI avait été mobilisée pour soutenir la rébellion albanophone au Kosovo après avoir fait montre de ses capacités auprès des Bosniaques.

Blackwater a décroché un contrat de près de 350 millions d’euros pour former une sorte de légion étrangère aux Émirats.

Elles répondent également à une forte demande de la part du secteur privé : en premier lieu des grands groupes, mais également des ONG qui souhaitent le plus haut niveau de sécurité pour leurs déplacements et surtout pour leurs établissements dans des zones à risques. La demande est aussi encouragée par des jurisprudences récentes, et notamment celle dite de Karachi qui a vu la DCN condamnée en 2004 pour avoir mis en danger la vie de ses employés en ne prévoyant pas un dispositif sécuritaire suffisant.

Les ESSD proposent un large panel de prestations, allant de la veille sécuritaire à l’accompagnement des personnels expatriés en passant par la sécurisation de sites ou encore le recrutement et l’encadrement de prestataires locaux, ou encore l’extradition des ressortissants.

En Algérie, nous avons constaté que les ESSD françaises étaient relativement bien implantées. Le droit local ne leur permet pas d’exercer directement leur activité, mais elles jouent un rôle crucial pour guider nos entreprises : choix du partenaire algérien, entretien de bonnes relations avec les autorités locales, actualisation des plans de sûreté, etc.

La sécurité maritime est l’autre domaine dans lequel elles sont devenues des acteurs incontournables, en particulier pour protéger les navires de la menace pirate. Statistiquement, aucun des navires ayant à son bord une équipe de sécurité armée, qu’elle soit privée ou publique, n’a été pris en otage par les pirates somaliens. Les zones touchées par ce phénomène s’étendent et la marine n’a ni les moyens ni la vocation à fournir des équipes de protection embarquées (EPE) indéfiniment et pour couvrir l’ensemble de la demande, fût-ce en mobilisant des réservistes. Partant de ce constat, les armateurs de France ont profondément évolué, se prononçant finalement pour le recours aux gardes armés du secteur privé. Nous avons d’ailleurs constaté à Djibouti combien l’offre privée était dynamique et organisés. Beaucoup de Français s’y investissent, mais pour le compte de sociétés anglo-saxonnes !

Après s’y être longtemps et fermement opposés, les armateurs réclament aujourd’hui une évolution rapide de la législation et du cadre réglementaire. Ils souhaitent des EPE incluant éventuellement des réservistes ou, à défaut, des sociétés privées.

M. Jean-Claude Viollet, rapporteur. Ce constat nous a conduits à étudier les enjeux juridiques, législatifs et réglementaires de ce dossier. Nous avons observé tout d’abord que le droit international évolue rapidement. Ainsi, 34 pays, dont la France ont adopté, le 17 septembre 2008, le document dit de Montreux, premier cadre juridique international couvrant l’activité de ce que nous appelons les ESSD. Ce document rassemble 73 bonnes pratiques non contraignantes, les États signataires n’étant pas censés veiller à leur mise en œuvre. La France, qui a soutenu son adoption par le plus grand nombre possible d’États, aurait souhaité qu’il serve de base à un encadrement universel de l’activité des ESSD, sous un contrôle étatique.

Mais, en l’état, l’espoir est mince. En effet, de leur côté, les principales entreprises – anglo-saxonnes – du secteur ont adopté, le 9 novembre 2010 à Genève, un Code de conduite qui, bien que se réclamant officiellement du document de Montreux, vise en fait à éviter la mise en place d’une convention internationale contraignante, en organisant la régulation du secteur à partir d’un dispositif d’autocertification des entreprises. La France, qui avait participé aux travaux préalables, s’est retirée par la suite, n’adhérant pas à cette démarche. Ce faisant, le risque est grand que la « norme » se crée sans nous, le comité de pilotage de ce Code de conduite, où les États sont minoritaires – proposant une charte de certification qui pourrait conduire à la constitution d’un « club » fermé, seul à même de concourir aux appels d’offres, y compris des Nations Unies.

Le retour de la France dans le jeu passe maintenant par la structuration rapide d’un secteur d’activités de services de sécurité et de défense au niveau national et la recherche de partenariats européens afin de peser sur le cours des événements, dans un domaine absolument stratégique.

Pour ce faire, il nous faut tout d’abord créer les conditions dans notre droit interne, aujourd’hui silencieux sur cette question.

En effet, la loi du 12 juillet 1983 encadre l’activité des seules sociétés de sécurité privées intervenant sur le territoire national, en définissant les métiers autorisés et les conditions d’agrément. Quant à la loi de 2003 prohibant le mercenariat, elle relève une fois de plus essentiellement du message politique mais n’a pas d’impact sur l’activité des ESSD.

Tout se passe comme si nous avions, par confort d’esprit, ignoré le sujet pendant que nos concurrents anglo-saxons s’en emparaient et en faisaient un enjeu stratégique. L’idée que nous nous faisons de la France nous fait penser qu’il est temps de créer les conditions juridiques, législatives et réglementaires, pour favoriser la structuration et le développement de ce secteur d’activités.

Dans cette perspective, nous formulons quelques propositions.

Un premier pas doit être franchi rapidement pour la protection de nos intérêts contre la piraterie maritime, en autorisant l’embarquement de personnels privés armés sur nos bateaux de commerce. Cela conforterait un certain nombre d’ESSD françaises sur ce segment d’activités spécifique.

Au-delà de ce premier pas, nous préconisons d’enrichir notre droit d’une loi définissant précisément l’ensemble des domaines d’actions des ESSD, en dressant une liste des activités autorisées et en mettant en place une forme d’agrément tant pour les sociétés elles-mêmes que pour leurs personnels. Pour ce faire, la loi de 1983 pourrait, a minima, servir de guide méthodologique.

Les dispositions prises pour sa mise en œuvre nous semblent en effet constituer un guide utile afin de mettre en œuvre un contrôle amont lors de l’instruction des demandes d’agréments mais également a posteriori sur les activités des ESSD, voire in situ lorsqu’elles interviennent en soutien de nos forces armées.

De même, l’acquisition, la détention, le transport des armes doivent être minutieusement réglementés. Leur usage doit s’inscrire dans le cas de la légitime défense. Le dispositif de contrôle pourra s’organiser par analogie avec ce qui se fait pour les convoyeurs de fonds, par exemple.

Une structure s’inspirant du conseil national des activités de sécurité (CNAPS), établissement public et administratif en place depuis le 1er janvier dernier pour contrôler les activités privées de sécurité sur le territoire national pourrait être retenue.

Enfin, nous formulons quelques propositions pour que l’État favorise l’émergence d’acteurs de taille critique dans ce secteur, par exemple en passant des marchés nationaux pluriannuels mais également en soutenant nos ESSD dans les appels d’offres européens ou des Nations Unies.

Le secteur des services de sécurité et de défense, aujourd’hui en plein développement, est devenu incontournable pour un État moderne. À nous donc de construire notre modèle, un modèle susceptible de s’élargir à une approche commune aux États européens qui le souhaitent, pour être en mesure de peser sur l’organisation de ce secteur d’activités stratégique au niveau mondial, en y soutenant les valeurs qui sont les nôtres.

M. le président Guy Teissier. Je tiens à saluer le travail effectué par les deux rapporteurs tout au long de cette législature alors qu’ils ont tous deux pris la décision de ne pas se représenter. Votre force de proposition manquera à la Commission. Je note également que votre présentation prouve, s’il en était besoin, la pertinence d’associer un parlementaire de la majorité et un parlementaire de l’opposition. Nous avions inauguré cette pratique avec le rapport sur le suivi social de GIAT et elle a donné pleine satisfaction depuis lors.

Vous avez parfaitement identifié les enjeux en soulignant notamment l’intérêt économique du sujet. Pour ma part, je reste convaincu que les missions régaliennes ne peuvent être conduites que par les États.

M. Daniel Boisserie. En préambule, je veux me féliciter de l’état d’esprit qui a régné dans la Commission tout au long de la législature et il faut le porter au crédit de son président.

Dans votre présentation, vous avez mentionné plusieurs sociétés françaises mais sans faire référence à Secopex. S’agit-il effectivement d’une société militaire privée ? Ses personnels ont-ils bien été employés en Libye ? Interrogé par Patricia Adam, le ministre de la défense avait assuré que non, mais je voudrais avoir votre sentiment car la réponse me semblait un peu ambiguë.

M. Philippe Nauche. Lors de mes auditions budgétaires, j’avais rencontré un grand groupe français qui s’interrogeait sur l’opportunité de diversifier son activité en offrant, en plus de la livraison de matériels, des services de sécurité et de défense. S’agit-il d’une idée propre à cette entreprise ou s’inscrit-elle dans une tendance plus globale ?

M. Damien Meslot. Je rejoins la proposition de légiférer de nos collègues mais il me semble qu’il faut le faire avec beaucoup de prudence de façon à ce que les interventions militaires restent bien dans le champ exclusif de l’État. Il est certes nécessaire d’autoriser certaines actions mais il faut impérativement éviter toute dérive. L’usage de ces sociétés par les États-Unis ne s’est pas nécessairement fait à leur bénéfice et n’a pas amélioré leur image ; ne nous alignons pas sur eux !

M. Philippe Folliot. Je rejoins la position de Damien Meslot : la prudence doit prévaloir. Légiférons, mais avec « une main tremblante ».

Je relève que les conflits sont de plus en plus asymétriques et font désormais intervenir des acteurs qui ne respectent pas nécessairement ni le droit international, ni les usages, sans parler d’un certain « art de la guerre ». Il ne faudrait pas que l’absence de cadre juridique finisse par opposer des rebelles exempts de toute contrainte juridique à des employés de SMP aussi peu encadrés. Ce ne serait pas un progrès ; il est donc nécessaire de définir un cadre précis et applicable globalement.

Par ailleurs, je crois qu’il faut trouver un équilibre entre la préservation des activités régaliennes et un certain réalisme économique. Nous ne pouvons pas passer à côté de ce marché, mais il n’est pas non plus question que notre pays se trouve engagé par des personnes ne respectant ni le droit ni la morale.

M. Guy Chambefort. Quels seront les moyens de contrôle des employés des sociétés militaires privées ? La loi que vous proposez devra-t-elle par exemple s’intéresser aux conditions de recrutement de ces personnels ?

M. le président Guy Teissier. Ces sociétés font aujourd’hui un travail de filtrage très avancé avant de procéder au moindre recrutement. Par ailleurs, ce sont souvent d’anciens militaires qui les rejoignent, ce qui permet assez aisément de retracer leur parcours et de s’assurer de leur professionnalisme. J’ajoute que la plupart de ces entreprises sont dirigées par d’anciens spécialistes du domaine, parfaitement rompus à ce genre d’exercice.

M. Christian Ménard. Thales a effectivement décidé d’élargir son offre en participant à la création de Global (X) qui propose une offre large.

Le recours à la loi me semble aujourd’hui indispensable. Je suis également très attaché à la préservation du champ régalien d’intervention de l’État. Initialement, je pensais que seules les armées pouvaient accomplir pareilles missions. Pourtant, j’ai rapidement constaté qu’elles ne suffisaient pas à répondre à la demande, notamment dans le cas de la lutte contre la piraterie. Si nous ne voulons pas que nos navires changent de pavillon pour pouvoir accueillir des SMP anglo-saxonnes, il nous faut modifier notre législation.

Le point essentiel de la loi portera sur le contrôle très poussé de ces sociétés, qu’il s’agisse de l’agrément initial ou du contrôle sur place de leurs activités. L’ouverture du feu ne doit se faire que dans les seuls cas de légitime défense. Les contrats de travail devront également être étudiés de près. Aujourd’hui les sociétés anglo-saxonnes recrutent des militaires français sans qu’aucun cadre précis n’ait été défini. Ce n’est pas satisfaisant ; les règles doivent être claires avec un contrôle accru des autorités étatiques.

Sur le plan économique, nous ne pouvons pas renoncer à un marché de plusieurs centaines de milliards de dollars. Nos grandes entreprises sont souvent protégées par des sociétés anglo-saxonnes, ce qui pose problème en matière d’intelligence économique. Pourquoi ne sommes-nous pas en mesure de le faire nous-mêmes ?

M. Jean-Claude Viollet. On compte aujourd’hui environ 1 500 SMP dans le monde dont 30 à 40 seulement en France. Elles emploient environ un million de personnes, sans compter les renforts occasionnels. Nous avons cité plusieurs entreprises françaises, comme GEOS, GALLICE ou Risk&Co…

Les armées ne peuvent pas répondre à toutes les sollicitations. C’est une évidence pour la lutte contre la piraterie, même si la présence des armées ne saurait être remise en cause dans ce domaine.

Au delà, nos forces armées n’ont pas pour vocation d’assurer la protection des intérêts des entreprises françaises à l’étranger et elles n’auraient d’ailleurs pas les moyens de le faire partout.

Enfin, la réforme de nos armées nous conduit à externaliser des tâches de soutien, comme c’est le cas notamment en matière de logistique ou de restauration, voire de maintenance. Le cas de Thales en est un exemple : cette société s’est vue déléguer la gestion des communications de l’OTAN en Afghanistan, mais cela pose la question de la protection de ses salariés, ce qui a mené le groupe à conclure avec le ministère de la défense une convention permettant le déploiement de salariés sous contrat d’engagement à servir dans la réserve (ESR), à l’image de ce que fait le Royaume-Uni avec ses Sponsorded Reserves. L’alternative aurait été de recourir à des contractuels, du type des Contractors Deployed in Operations (CONDO) britanniques, mais ce cadre juridique n’existe pas en France. De tels cas devraient être de plus en plus nombreux, car beaucoup d’entreprises cherchent actuellement à étendre leurs activités dans le domaine de la sécurité, à l’image de Thales, Geodis et de Sodexo et de leur société commune Global (X).

Ainsi, un marché est en train de s’organiser, et les normes s’établissent suivant des modèles anglo-saxons. Si l’on attend encore plusieurs mois, les normes seront définies sans nous et les acteurs français seront exclus de ce marché.

Au-delà, les entreprises anglo-saxonnes recrutent un nombre important d’anciens militaires français, y compris d’élite, estimant qu’ils comptent parmi les meilleurs. Est-ce là la seule perspective de débouchés professionnels que l’on veut offrir à des hommes qui se sont battus pour la France ? Des contrats de travail offshore à l’anglo-saxonne, sans protection sociale ? Ne vaut-il pas mieux leur donner la possibilité de poursuivre une carrière au sein d’entreprises françaises, suivant des pratiques et des règles d’engagement qu’ils connaissent et qu’ils auront à cœur de respecter ? Cela contribuerait d’ailleurs à renforcer les liens entre les armées et nos entreprises.

Il faut donc légiférer rapidement pour permettre le développement de sociétés françaises en établissant un cadre juridique qui permette de contrôler les personnes qui les créent, la provenance de leurs capitaux, ainsi que le niveau de qualification et les règles de recrutement de leurs salariés. On peut ainsi imaginer un régime d’agrément, avec un système de carte professionnelle. Ce cadre doit aussi permettre de contrôler l’activité de ces sociétés, tant a priori – en définissant ce qu’elles ont droit de faire – qu’a posteriori, et le cas échéant in situ.

Enfin, il s’agit bien d’un enjeu stratégique, car il est difficile de croire que les entreprises de sécurité anglo-saxonnes auxquelles des sociétés françaises ont recours se contentent d’assurer la protection des sites : elles contribuent bien évidemment à l’influence de leurs États.

Enfin, il nous faut tenir un débat apaisé sur cette question. Il est nécessaire de légiférer rapidement sur un sujet qui n’a rien à voir avec le mercenariat. L’enjeu réside dans le fait de peser dans la définition des normes qui structureront un secteur en plein développement, de façon à ce qu’elles intègrent nos valeurs militaires, dont nos forces ont souvent donné une illustration par un comportement que toutes les armées étrangères n’avaient pas.

M. le président Guy Teissier. L’existence de la Légion étrangère, créée par Louis-Philippe afin d’encadrer des hommes qui étaient peu ou prou des mercenaires, constitue la meilleure preuve de ce que la France sait former des hommes aux valeurs de ses forces armées.

Aussi, il ne me paraît pas choquant d’envisager le développement de sociétés françaises de services de sécurité et de défense, pourvu que ce soit dans un cadre législatif permettant un contrôle efficace de leurs capitaux, de leurs missions et de leurs recrutements.

M. Jean Michel. Je tiens à saluer la qualité de ce rapport, tout en notant qu’il aborde la question sous un angle franco-français.

Aujourd’hui, que ce soit pour contrôler la comptabilité des entreprises ou pour évaluer la signature des emprunteurs, les acteurs français sont constamment placés sous le regard d’institutions anglo-saxonnes, comme les grands cabinets d’audit ou les agences de notation. Les travaux que j’ai réalisés avec notre ancien collègue Arthur Paecht sur le réseau Echelon – qui permet aux puissances anglo-saxonnes d’intercepter toutes formes de communications, y compris en Europe, sans partager ces informations avec leurs alliés – m’ont conduit au même type de conclusion : nous n’avons pas su développer les instruments de notre indépendance nationale.

Toutefois, si l’on espère la disparition à terme des guerres, il semble paradoxal de souhaiter le développement de sociétés militaires privées, qui feront du mercenariat dans une optique mercantiliste, pour agir en lieu et place des États souverains.

D’ailleurs, l’enjeu est-il vraiment de développer des sociétés militaires privées de droit français, alors que tout Français peut créer une société de droit étranger, ayant son siège dans l’un des pays où certains grands groupes d’armement créent d’ores et déjà des filiales ?

Pour conclure, je tiens à souligner l’importance du contrôle parlementaire. Les députés – y compris ceux de la majorité – ont intérêt à ce que notre Commission mette en œuvre tous les moyens nécessaires pour contrôler non seulement l’action du Gouvernement et celle de nos forces armées, mais aussi celle des grands groupes d’armement. En effet, de même que le général de Gaulle disait que la politique de la France ne se fait pas à la « corbeille », il ne faudrait pas que la politique de défense de la France soit faite par ses industriels.

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La Commission autorise, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport de la mission d’information en vue de sa publication.

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La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. – . M. Daniel Boisserie, Mme Françoise Briand, M. Dominique Caillaud, M. Guy Chambefort, M. François Cornut-Gentille, M. Philippe Folliot, M. Pierre Forgues, Mme Françoise Hostalier, M. Gilbert Le Bris, M. Daniel Mach, M. Alain Marty, M. Christian Ménard, M. Damien Meslot, M. Jean Michel, M. Philippe Nauche, M. Gwendal Rouillard, M. Guy Teissier, M. Jean-Claude Viollet.

Excusés. – . Mme Patricia Adam, M. Patrick Beaudouin, M. Jean-Louis Bernard, M. Jean-Jacques Candelier, M. Jacques Desallangre, M. André Gerin, Mme Marguerite Lamour, Mme Marylise Lebranchu, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Michel Voisin, M. André Wojciechowski.