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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 2 décembre 2009

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 18

Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente

– Auditions, ouvertes à la presse, des représentants de l’Intersyndicale sur l’avenir de l’Agence France Presse : CGT – M. Philippe Faye, M. Bernard Dayras et Mme Maria Carmona ; FO – M. Jean-Pierre Rejeté et Mme Julie Charpentrat ; SNJ – M. Yves-Claude Llorca et M. Emmanuel Duparq ; CFDT – Mme Florence Panoussian et M. Philippe Capdevielle ; SUD – M. David Sharp ; CFE-CGC – M. Jean-Paul Girardeau

– Auditions, ouvertes à la presse, sur l’avenir de l’Agence France Presse : M. Pierre Louette, président-directeur général de l’Agence France Presse

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 2 décembre 2009

La séance est ouverte à seize heures quinze.

(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend M. Philippe Faye, M. Bernard Dayras et Mme Maria Carmona (CGT), M. Jean-Pierre Rejeté et Mme Julie Charpentrat (FO), M. Yves-Claude Llorca et M. Emmanuel Duparq (SNJ), Mme Florence Panoussian et M. Philippe Capdevielle (CFDT), M. David Sharp (SUD), M. Jean-Paul Girardeau (CFE-CGC), représentants de l’Intersyndicale, sur l’avenir de l’Agence France Presse.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Mes chers collègues, je suis heureuse d’entamer aujourd’hui le cycle d’auditions que la Commission des affaires culturelles a souhaité organiser sur l’avenir de l’Agence France-Presse. Je salue nos premiers interlocuteurs, membres de l’intersyndicale de l’Agence.

Notre commission était soucieuse de prendre sa part dans le débat sur l’AFP, et c’est donc bien volontiers que j’ai souscrit à la demande formelle qui m’avait été faite par plusieurs groupes – et notamment par M. Bloche, au nom du groupe SRC. Afin que chacun soit éclairé sur le cadre de cette discussion, je précise que la Commission n’a connaissance d’aucun projet, de quelque nature que ce soit, tendant à modifier le statut de l’AFP, même si des déclarations publiées dans la presse font état d’un débat devant se tenir au Parlement au printemps. Nous sommes ici avant tout pour échanger sur les questions qui se posent à propos de l’avenir de l’AFP. Il est vrai que la direction de l’agence elle-même a formulé des propositions allant dans le sens d’une modification du statut. Le président-directeur général, M. Louette, a ainsi remis un rapport au Gouvernement sur ce sujet. Mais je rappelle que c’est ce qui lui était demandé par le contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’État en décembre 2008.

En résumé, nos auditions ne portent pas sur un projet de réforme dont nous ne sommes pas saisis, mais sur les enjeux et les modalités possibles d’une réforme éventuelle.

Nous entamons donc ces auditions par l’intersyndicale de l’Agence, à qui je demande de présenter ses positions sur les perspectives d’avenir de l’AFP, son modèle économique, sa place et son rôle dans les médias français ou encore son rayonnement international. Après une courte intervention de chacun des représentants syndicaux, les parlementaires auront sans doute des questions complémentaires à poser.

Mme Maria Carmona (CGT). Je remercie la Commission de nous recevoir pour débattre d’un sujet cher à toutes les personnes attachées au pluralisme et à la liberté de l’information. Comme vous pouvez l’entendre à mon accent, je suis journaliste du service en langue espagnole de l’AFP, une agence qui travaille en six langues différentes.

L’AFP est le résultat d’une décision politique. Sans cette décision, elle n’existerait pas, et sans une telle décision, elle risque de ne plus exister à l’avenir. La volonté politique à l’origine de la loi de 1957 sur le statut de l’AFP est tout aussi valable aujourd’hui qu’à l’époque. Contrairement à ce qu’affirme la direction de l’Agence, ce statut n’a jamais empêché celle-ci de se développer. Au contraire : il lui a permis d’étendre son réseau mondial et de s’adapter aux évolutions technologiques et aux nouvelles formes prises par les médias au cours des cinquante dernières années.

Le développement est d’abord géographique : un énorme réseau international fait de l’AFP l’une des trois grandes agences mondiales avec Associated Press et Reuters, et la seule qui ne soit pas anglo-saxonne – AP étant américaine et Reuters britannique.

De même, l’Agence n’a jamais cessé de se développer dans tous les champs du journalisme : photo, vidéo et internet. On nous dit qu’elle doit changer de statut afin de s’adapter aux exigences de la numérisation, mais en réalité, elle a déjà pris ce tournant : il n’y a pas une photo, ni une dépêche de l’Agence qui ne soit numérisée. Quant au service multimédia, il existe déjà – même s’il peut évidemment encore se développer.

Lorsque l’AFP a manqué ou failli manquer de s’adapter, cela n’a jamais été de la faute de son statut, mais des mauvais choix stratégiques pris par ses directions. Ce fut le cas, à un moment donné, pour le service photo : l’intersyndicale a dû monter au créneau pour que l’Agence se dote d’un service digne de ce nom. Il en a été de même plus récemment pour le service vidéo, à la création duquel un de nos anciens PDG était totalement opposé.

À l’international, le statut indépendant de l’AFP a une importance cruciale. Or la proposition de M. Louette tend à changer l’élément essentiel qu’est le régime de propriété. Aujourd’hui, l’AFP n’appartient à personne, sinon au peuple français, dont vous êtes les représentants – et donc les seuls à pouvoir changer son statut. Cette indépendance est ce qui a fait sa crédibilité et lui a permis de devenir une agence internationale considérée, notamment pour son objectivité. Dans le concert de l’information internationale, elle apporte une voix autre que la voix dominante. Ayant longtemps travaillé à l’étranger, notamment en Amérique latine, j’ai pu mesurer la crédibilité et le respect dont bénéficie l’AFP, en particulier en cas de conflit international.

Le changement réclamé aujourd’hui serait fatal pour l’indépendance et la crédibilité de l’AFP, mais il serait aussi un très mauvais choix financier. En effet, la crédibilité, l’image de marque de l’Agence constituent son seul capital. En les perdant, elle perdrait aussi ses clients.

En 1957, les abonnements de l’État représentaient 80 % du chiffre d’affaires de l’AFP. Ce taux est passé à 40 % en une trentaine d’années. Aujourd’hui, 60 % du chiffre d’affaires provient des abonnements privés, notamment à l’étranger. La perte de son indépendance serait donc fatale du point de vue déontologique, mais aussi du point de vue économique : du jour où l’AFP serait estampillée « agence d’État », ou « agence sous influence politique », elle perdrait ses clients.

Il est vrai que l’AFP a la réputation d’être la voix de la France. Mais je dirais plutôt qu’elle est la voix de la culture française, une autre voix dans le concert international, ce qui est essentiel. C’est parce qu’elle n’est pas attachée à un gouvernement, à un État, qu’elle peut continuer à développer cet autre point de vue, cette autre culture qui lui donnent sa crédibilité et son intérêt pour la presse internationale.

Le statut sur lequel on veut revenir n’est pas né en un jour. Des années de travail ont été nécessaires pour l’élaborer – un travail si bien fait qu’en 1957, le Parlement l’a adopté à l’unanimité.

L’AFP est un véritable patrimoine, non seulement pour la France, mais aussi pour le monde. Elle représente un enjeu vital pour le pluralisme de l’information.

On affirme que l’État serait prêt à continuer à apporter sa contribution au développement de l’Agence, afin qu’elle procède aux changements technologiques nécessaires, parce que l’AFP n’a pas de capital. Mais combien coûte-t-elle ? Très peu. En effet, une grosse partie de l’argent que lui attribue l’État correspond aux services qu’elle rend aux ambassades et aux ministères.

Enfin, on prétend que le statut actuel poserait problème au regard de la règle de libre concurrence imposée par Bruxelles, l’État ne pouvant subventionner une agence de presse. Mais de l’aveu même des avocats de M. Louette, il suffirait que l’État rappelle les missions d’intérêt général remplies par l’AFP pour que les dotations ne posent pas de problème aux yeux de Bruxelles.

M. Yves-Claude Llorca (SNJ). Comme représentant de l’Agence, j’ai occupé de nombreux postes à l’étranger, notamment en Amérique latine – Pérou, Bolivie –, à Barcelone et, pendant cinq ans, en Roumanie. Je connais donc le rôle joué par l’AFP dans le monde. C’est l’une des trois principales agences mondiales, que l’on appelle généralistes. Reuters s’est plutôt spécialisée dans la finance et l’économie, puisque 5 % seulement de son chiffre d’affaires vient des médias. Quant à Associated Press, la grande agence américaine, elle est une coopérative qui, malgré ses difficultés, peut s’appuyer sur un marché intérieur comprenant 7 000 médias – journaux, radios, télévisions. C’est énorme, surtout en comparaison de ce que représente pour nous le marché français, qui procure désormais – je parle sous le contrôle de mes collègues de l’intersyndicale – moins de 15 % de notre chiffre d’affaires. En effet, alors que les représentants de la presse française sont majoritaires au conseil d’administration, nous avons souffert de nombreux désabonnements dans ce secteur.

Pour compléter les propos de ma collègue, je rappelle qu’en 1957, on essayait encore, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de préserver les médias français d’une influence étrangère, et notamment de prises de participations par des capitaux étrangers. L’AFP a eu la chance d’être dirigée à ses débuts par un véritable personnage historique : Jean Marin, résistant dès 1940, compagnon de la Libération, qui, dit-on, tutoyait de Gaulle. Il a été président de l’Agence de 1957 à 1975, c’est-à-dire pendant dix-huit ans, avec le souci de préserver l’indépendance de la rédaction. Ce souci nous reste chevillé au corps, à nous journalistes. Il est affirmé dans l’article 2 du statut de l’Agence, selon lequel l’AFP ne peut tomber sous la coupe d’un pouvoir politique ou économique, quel qu’il soit.

Ce qui fait l’union de l’intersyndicale, en dépit de nos différences, c’est notre refus qu’il puisse y avoir une OPA sur l’AFP, venant de quelque pouvoir que ce soit. Nous refusons la transformation de l’Agence en société anonyme, qu’elle soit « société nationale à capitaux publics », comme le prône actuellement le président Louette, ou société par actions. Qui nous dit, en effet, qu’une étatisation – c’est-à-dire la transformation de l’Agence en société nationale à capitaux 100 % publics – ne serait pas suivie, le lendemain ou quelques années plus tard, d’une privatisation ? C’est la raison pour laquelle tous les syndicats s’opposent à la transformation en société par actions.

L’essentiel, pour nous, n’est pas la constitution du capital, mais la préservation de l’indépendance, et donc de l’article 2 du statut, dont dépendent le savoir-faire de l’AFP et sa présence dans 165 pays. Nous avons en effet le réseau mondial le plus étendu par rapport à nos deux principaux concurrents, Associated Press et Reuters. Nous sommes même présents dans des pays où nous n’avons pas de clients, en Afrique ou en Amérique latine par exemple, si bien que, lorsque se produit un coup d’État, un événement important, un gros fait divers, nous bénéficions de la présence d’un correspondant. Le maintien de ce réseau, son entretien – qui, pour des raisons technologiques, coûte de plus en plus cher –, représentent un coût fixe. Mais c’est aussi une mission d’intérêt général, pour la France, pour l’Europe et pour le monde.

Lorsque j’étais en poste au bureau de Lima, les principaux clients, notamment le quotidien séculaire El Commercio, attendaient la version de l’AFP lorsque, parfois, AP annonçait quelque chose. Ils voulaient connaître la version « non yankee ». Cette crédibilité de l’AFP vient de son indépendance. De même, pendant l’intervention américaine en Irak, chaque dépêche de l’Agence était épluchée car on savait que sa position était totalement neutre et indépendante.

Cette présence internationale prouve que l’AFP n’est pas une « danseuse », d’autant que le financement et les abonnements correspondent à un véritable service rendu aux ministères, ambassades et consulats. Cette utilité repose sur l’image d’indépendance, de neutralité et de professionnalisme des journalistes de l’Agence. Comment peut-on quantifier la valeur représentée par la qualité professionnelle et l’expérience de 2 000 journalistes – dont plus de 800 ont le statut « siège » – répartis dans 165 pays ? Un tel capital est inestimable.

L’AFP n’est donc pas la danseuse de la République. Au contraire, elle est un joyau pour la France, pour l’Europe et pour le monde. Lui donner un statut de société nationale ou anonyme mettrait en danger son indépendance et sa crédibilité.

M. Jean-Pierre Rejeté (FO). J’aimerais faire un bref rappel historique : à la fin de la seconde guerre mondiale, l’Agence, alors agence Havas, est mise sous tutelle de l’État. Après les déboires de l’occupation allemande, une longue réflexion est alors entamée. Le processus, auquel participeront le Parlement, la société civile et le personnel, durera douze ans. Douze longues années au cours desquelles tous les scenarii sont envisagés pour garantir à la fois le financement de l’AFP et son indépendance.

Ce processus aboutit finalement au statut de 1957 qui fait de l’Agence France-Presse « un organisme autonome doté de la personnalité civile, fonctionnant selon les règles commerciales » – c’est-à-dire ni un organisme public, ni une société privée. Le personnel de l’Agence, consulté, approuvera le nouveau statut à une écrasante majorité de 82 %.

En 1960, Jean Marin, un des fondateurs de l’Agence, justifiait ainsi le choix alors effectué : « Aucune agence au monde libre ne garantit à ce point à ses usagers l’exactitude et l’objectivité de ses informations en même temps que la constante indépendance de sa démarche ». Et vous verrez que ses mots étaient soigneusement pesés !

Voilà pour l’histoire.

Certes, ce statut peut paraître aujourd’hui un peu « bizarroïde » – un « ornithorynque juridique », comme se plaît à le qualifier notre PDG actuel –, mais il n’a pas empêché l’Agence de se développer, tant et si bien que l’AFP fait aujourd’hui partie des trois grandes agences mondiales, la seule non anglophone – détail qui, vous en conviendrez, a son importance. Actuellement, elle vend ses services en six langues à des clients répartis dans le monde entier. Elle a développé des services infographie, photo, vidéo et internet. Contrairement à ce que certains tentent de faire croire, nous ne produisons donc pas seulement du texte. Par ailleurs, l’Agence regroupe 2 000 collaborateurs de 81 nationalités, présents dans 165 pays – tout cela en dépit d’un statut que ses détracteurs jugent « obsolète » !

Alors quel est le problème ?

Notre PDG, M. Pierre Louette affirme que le statut de 1957 « nous protège, mais qu’il ne permet pas grand-chose ». Vu le bref aperçu que je viens de tracer, vous comprendrez que nous ne partagions pas son point de vue !

Il nous dit que l’AFP ne « possède pas de capital, ce qui empêche son développement ». Sur le premier point, nous sommes d’accord : l’AFP n’a pas de capital. Sauf bien sûr celui de son personnel qui a construit l’Agence et fait sa grandeur, parfois même au péril de sa vie. Quant à l’impossibilité de la développer, il est à tout le moins permis de s’interroger.

M. Louette nous dit encore : « L’État est impécunieux et il ne veut plus mettre la main à la poche ». Rappelons quand même que la contribution de l’État au chiffre d’affaires de l’Agence a été ramenée de 60 à 40 % au cours des dernières années. Et il ne s’agit pas de financement à perte, mais bien d’une rémunération en contrepartie de services que sont les abonnements de l’État à l’AFP.

Pour résumer, notre PDG nous dit : « Il faut modifier le statut de l’Agence sous peine de la voir disparaître ». Mais attention ! Malgré les apparences, et en dépit de ses propos rassurants, il ne nous propose pas un simple toilettage du statut, mais un véritable changement en profondeur du modèle économique de l’AFP. Car il s’agit bien d’une transformation radicale de l’Agence, en « société nationale à capitaux publics » : en clair, en une société par actions, dans laquelle l’État, seul actionnaire, disposerait forcément de pouvoirs renforcés. En outre, le spectre d’une privatisation se profile derrière cette transformation, malgré les verrous législatifs que M. Louette entend proposer. En effet, comme l’a récemment expliqué l’ancien PDG Claude Moisy dans le journal Le Monde : « Il est impensable qu’aucun homme d’affaires, aucune société, aucune autre institution que l’État lui-même mette longtemps de l’argent dans une entreprise structurellement déficitaire sans attendre finalement un retour sur investissement ».

Mais sans même parler de privatisation, quel modèle nous propose la direction de l’Agence ? Celui d’une société dont l’État serait l’actionnaire unique, disposant d’une mainmise quasi-totale sur le conseil d’administration. En effet, selon le projet proposé, sept membres sur les neuf que compterait le conseil seraient nommés directement ou indirectement par l’actionnaire majoritaire, c’est-à-dire l’État. Celui-ci deviendrait donc le seul juge de ce qui est bon ou mauvais pour l’Agence. Quel retour en arrière ! Et surtout quelle image donnée à nos clients, tant français qu’étrangers !

J’ai entendu un jour un de vos collègues députés comparer – sans doute dans un mouvement d’énervement – l’AFP à l’agence Tass. Qui pourrait encore lui donner tort si ce nouveau statut voyait le jour ?

Tout cela en échange de quoi ? D’un apport de capital de seulement 45 millions d’euros, probablement sous la forme d’une participation de la Caisse des dépôts – bien que les choses demeurent assez floues en ce domaine. Cette somme, nous dit-on, permettrait d’acheter des sociétés à fort potentiel de croissance, même sans lien direct avec notre métier de base, la collecte de l’information.

Même sous l’empire du statut actuel, de telles opérations ont déjà été effectuées, avec plus ou moins de bonheur d’ailleurs car certaines ont contribué à plomber durablement la trésorerie de l’Agence – je pense notamment à notre filiale d’informations financière AFX qui, après des années de pertes, a finalement été bradée. Un tel échec était-il dû au statut ou à la mauvaise gouvernance de l’AFP ? On peut se poser la question.

Ce qui manque à l’AFP, ce n’est pas un nouveau statut, mais une véritable stratégie d’entreprise qui lui permettrait de se développer encore plus. Son activité est loin d’être déficitaire, comme on voudrait nous le faire croire. Elle est même structurellement bénéficiaire depuis plusieurs années.

Alors je le dis clairement : nous ne voulons pas d’un nouveau statut qui contreviendrait forcément à l’article 2 de celui de 1957 : « l’Agence France-Presse ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique ».

Nous souhaitons avant tout que l’État continue à permettre à l’AFP d’assurer ses missions d’information et d’intérêt général, et ce, sans une renationalisation de l’Agence, car ce serait signer son arrêt de mort à plus ou moins long terme. Il en va de la pluralité de l’information et, plus généralement, de la défense de la démocratie.

M. David Sharp (SUD). J’ai bien noté, madame la présidente, que l’objet de cette réunion n’est pas directement le projet rédigé par M. Louette. Je modifierai donc mes propos en conséquence. Je remarque toutefois que le PDG de l’AFP est cité dans la presse d’aujourd’hui comme ayant affirmé que le Parlement sera saisi d’un projet de loi concernant le statut de l’Agence au mois d’avril, dans la perspective d’une entrée en vigueur en juin.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je vous confirme qu’en dépit des déclarations de M. Louette, aucun texte de cette nature n’est inscrit à l’ordre du jour du Parlement. Toutefois, si demain un projet de loi était déposé sur le bureau de l’Assemblée, nous disposerions d’un document sur lequel travailler, et nous serions sans doute amenés à vous écouter une nouvelle fois.

M. David Sharp. Je comprends. Il est cependant difficile de faire abstraction du document de M. Louette, d’ailleurs fort intéressant, ni de la situation actuelle de l’AFP. En réponse à vos questions, j’aborderai la question du modèle économique de l’Agence, tel qu’il est actuellement et tel qu’il pourrait devenir.

Auparavant, je souhaite rappeler que l’ensemble des syndicats ont lancé, il y a tout juste un an, une pétition « pour l’indépendance et la survie de l’AFP ». Un tel titre peut paraître dramatique, mais nous sommes réellement inquiets pour la survie de notre entreprise – et je vous expliquerai pourquoi. Je cite un extrait de cette pétition : « Nous refusons toute modification qui aurait pour effet soit de transformer l’AFP en agence gouvernementale, soit de la livrer en totalité ou en partie à des entreprises privées, quelles qu’elles soient et sous quelque forme que ce soit. Nous exigeons que l’Agence conserve sa particularité, sa capacité à remplir sa mission d’intérêt général et son indépendance structurelle. Par conséquent, nous nous opposons à toute modification qui dénaturerait son statut, inscrit dans la loi de 1957. »

Ce texte a été signé par près de 21 000 personnes, dont de très nombreux députés – majoritairement de gauche, mais pas seulement – et beaucoup de personnalités. Je vous encourage à consulter le site web, qui dresse la liste de tous les signataires et contient de nombreux autres documents. Son adresse est la suivante : www.sos-afp.org

Plus récemment, les syndicats ont fait une déclaration demandant le retrait du projet de M. Louette, qui « met en péril l’indépendance de l’Agence en organisant une mainmise de l’État, contrairement au statut actuel tel qu’énoncé dans son article 2. »

J’en viens aux questions que vous avez posées. On parle beaucoup du rôle international, du rayonnement de l’AFP. Comme vous l’entendez sans doute à mon accent, je ne suis pas d’origine française, mais britannique. Nous sommes en effet une agence très internationale, un fait souvent sous-estimé en France, sans doute parce que les agences de presse sont par définition – et c’est sans doute une bonne chose – des entreprises peu connues du grand public. Mais je tiens à rappeler que l’AFP est aussi, et peut-être surtout, l’agence nationale française. La plupart des pays que je connais ont en effet une agence nationale. Or le discours de M. Louette évoque plutôt un monde dans lequel on reçoit une lettre envoyée par une entreprise de Californie et livrée par la poste néo-zélandaise, ou un livre acheminé depuis l’Angleterre par la Deutsche Post.

Je signale au passage que, contrairement à ce que disait M. Llorca, la presse française représente non pas 15 %, mais 30 % du chiffre d’affaires de l’Agence. Les abonnements de l’État représentent 40 %, et le reste est à peu près également partagé entre les médias français et les médias étrangers.

M. Yves-Claude Llorca. Je pensais en fait à la presse écrite.

M. David Sharp. Je sais qu’un grand groupe de presse allemand s’est désabonné de la Deutsche Presse-Agentur pour s’abonner à l’AFP. Inversement, en France, des clients traditionnels de l’Agence France-Presse tendent à se désabonner. On pourrait donc croire que nous allons vers une situation où il n’y aurait plus d’agence nationale, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Même dans des pays peu réputés pour être des nids de socialisme, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis d’Amérique, il y a toujours une agence nationale, même si les modes de financement et les modes opératoires diffèrent.

Quel pourrait donc être le modèle futur de l’AFP, sinon celui que nous avons actuellement ? Le projet de M. Louette apporte deux réponses. Il souhaite renforcer les missions d’intérêt général de l’AFP, sachant que la mission d’intérêt général est un concept reconnu en droit européen. Ce serait donc un moyen d’échapper aux éventuelles foudres de la Cour de Luxembourg. Or, comme Mme Carmona l’a rappelé, l’avocat de M. Louette nous a expliqué que selon la jurisprudence de cette cour, un État peut très bien signer un contrat définissant une mission d’intérêt général avec une entreprise comme l’AFP. Sachant que cinq de nos six langues de travail sont en usage dans de grands pays de l’Union européenne, il n’y aurait aucune raison pour qu’un tel contrat soit limité aux seules activités en langue française. Une telle solution n’impliquerait aucun changement de statut – changement auquel, comme les autres syndicats, nous nous opposons, celui de 1957 ayant à nos yeux de nombreux avantages.

L’autre versant du projet de M. Louette s’inspire de ce que l’on peut observer dans le paysage actuel des agences d’information – notamment du côté des agences privées comme Reuters – : un foisonnement de produits annexes et de diversifications censés apporter des recettes supplémentaires. Mais Reuters par exemple, c’est l’économie, à l’origine de 95 % de son chiffre d’affaires, et nous sommes donc là dans un autre cas de figure. M. Louette a déjà lancé un certain nombre de projets, qui selon nous ressemblent plus à un ensemble de tentatives sans grande cohérence qu’à une stratégie réfléchie. Ainsi, il y a deux ans, il a ouvert une filiale à San Francisco afin de fabriquer des quiz d’information en anglais. Il pensait en effet que, sur des sites comme Facebook, on pourrait attirer les lecteurs avec des produits un peu ludiques. Pourquoi pas ? Certaines entreprises de presse comme Rue 89 ou France 24 élaborent des quiz très respectables. Ce n’est pas forcément un produit non journalistique. Le problème est que, pour paraître sur Facebook, on a employé à San Francisco des informaticiens qui ont élaboré un produit sans aucun rapport organique avec le reste de l’Agence. Depuis, cette filiale a été fermée.

Si notre avenir dépend de produits que nous considérons comme des gadgets, qui n’ont rien à voir avec le cœur de métier de l’AFP mais sont élaborés dans des langues diverses par une nébuleuse de filiales excentrées, nous allons forcément perdre de l’argent – et je pense que nous en avons déjà perdu beaucoup avec cette histoire de quiz. Au contraire, le projet technologique dit « 4 XML » est absolument central pour l’agence. Mais pour qu’un tel projet soit techniquement viable, il faut que les données soient intégrées, que l’on soit une seule entreprise, regroupant des salariés soudés, et non pas dispersés dans le monde, travaillant sous des statuts différents et avec des technologies et des codes de travail différents.

M. Jean-Paul Girardeau (CFE-CGC). Beaucoup de choses ayant été dites, je me concentrerai sur la question du chiffre d’affaires et sur celle du statut.

Depuis vingt ans, on nous dit que le statut de l’Agence entrave son développement. Il lui a pourtant permis de développer son chiffre d’affaires. En tant que représentant à l’AFP chargé de développer son chiffre d’affaires pour la partie médias et non-médias, je suis bien placé pour en parler. Malgré la crise qui frappe la presse quotidienne régionale et nationale, malgré les nombreux abonnements perdus – mais nos concurrents sont dans le même cas –, l’Agence parvient en effet à maintenir son chiffre d’affaires.

On observe depuis longtemps une volonté obsessionnelle de modifier, de toiletter le statut de l’Agence, au détriment de ce qui fait sa spécificité et sa force. Tous les cinq ans, un nouveau projet est présenté, au prétexte que l’on ne parvient plus à avancer. Les propositions, si elles partent d’un bon sentiment, sont rarement claires. La confusion règne en particulier sur la question de l’indépendance.

On parle de développement du chiffre d’affaires, de démocratisation de l’information. Or l’AFP n’a jamais noué autant de partenariats que depuis cinq ans. On peut dire tout ce que l’on veut de son statut, mais comment comprendre qu’il puisse permettre la conclusion de partenariats en France, en Europe ou à l’international ? Je rappelle que notre principal concurrent, Reuters, est lui-même abonné à l’Agence France-Presse, en français et en anglais. Or les deux agences ont des activités commerciales sur les mêmes territoires.

Le plus important est d’avoir une approche concrète de l’AFP. Or pour les grandes entreprises françaises, il est incompréhensible de vouloir changer le statut ou l’orientation de l’Agence. Le savoir-faire de l’AFP, la spécificité de ses produits sont liés à sa situation actuelle.

Mme Florence Panoussian (CFDT). Sans revenir sur ce qu’on dit mes collègues, je souhaite rappeler que le statut de l’AFP est à part. Beaucoup de gens nous posent la question : êtes-vous une agence publique, une agence d’État ? Non, justement. Nous ne voulons pas que l’on puisse affirmer à l’avenir que nous sommes une agence d’État. J’ai, moi aussi, longtemps travaillé à l’étranger, en Amérique latine et en Afrique. La force de l’AFP est de pouvoir dire qu’elle n’est pas la voix de la France. Un des arguments de M. Louette est que France Télévisions et Radio France sont des médias d’État, ce qui ne les empêche pas d’être indépendants. Mais leur situation est complètement différente : ils ne sont pas fournisseurs d’informations pour d’autres médias ; ils ne disposent pas d’un réseau international comme le nôtre ; ils ne travaillent pas, comme nous, pour des clients étrangers. Vous ne verrez jamais publiées en France certaines informations que diffuse l’AFP, parce qu’elles sont publiées en espagnol pour des journaux hispanophones. Et parce que nous sommes la seule agence généraliste non anglo-saxonne, nous tenons beaucoup à notre statut.

Je travaillais en Amérique latine au moment du coup d’État contre Chavez. Il y avait là Reuters, Associated Press, et EFE, l’agence espagnole. Or tout le monde attendait les dépêches de l’AFP, parce que nous étions la seule agence à ne pas avoir l’étiquette de gringo ou celle d’ancien colonisateur. Le fait de passer sous la coupe de l’État mettrait tout cela à bas.

Un autre danger du changement de statut voulu par la direction actuelle est le passage d’une étatisation à une privatisation. J’ai vu certains d’entre vous tiquer lorsque cette crainte a été exprimée, mais à partir du moment où l’État est détenteur du capital, rien ne l’empêche d’ouvrir ce capital à des personnes privées. M. Louette affirme que personne ne s’intéresserait à l’AFP parce qu’elle n’est pas rentable du point de vue financier. Mais il a pourtant tenu, le 21 septembre, ces propos significatifs : « L’AFP, dans le cadre de la gouvernance actuelle, doit donc se retourner vers l’État, et l’État attend en retour que la forme juridique de l’AFP évolue, pour que l’investissement consenti soit matérialisé par un titre si possible rémunéré. » Or une société par actions peut passer d’un actionnaire unique à des actionnaires multiples.

Mes collègues ont évoqué la façon dont l’État pourrait « contractualiser » les missions d’intérêt général pour justifier un financement public et se mettre ainsi en règle vis-à-vis de Bruxelles. Ces missions, nous les remplissons depuis toujours, avec des bureaux qui ne sont pas forcément rentables, situés dans des pays où nous n’avons pas nécessairement de clients. Et ces missions intéressent fortement l’État français. En effet, quand on est à l’étranger, lorsqu’une crise survient, il ne se passe pas un jour sans que l’on reçoive un appel de la mission économique ou de l’ambassade de France, car elles ont besoin des informations dont nous disposons. De la même façon, les grandes organisations internationales telles que l’ONU ou l’OMS, en cas de crise, nous sollicitent. Les missions d’intérêt général existent donc : il suffit de les mettre par écrit pour justifier un financement.

Passer à 100 % sous la coupe de l’État serait en contradiction avec les efforts consentis pendant des années afin de réduire la part de l’État dans notre chiffre d’affaires, une part dont l’ampleur nous était reprochée. Désormais, nous avons de très nombreux clients étrangers qui ne comprendraient pas un changement de statut et perdraient confiance. M. Louette s’appuie sur le fait que des clients français nous quittent, notamment parmi la PQR. Mais nous voyons venir depuis longtemps la désaffection des Français pour les petits ou grands quotidiens régionaux. Faut-il faire peser sur l’AFP le poids de cette crise structurelle ?

Dans son « projet de projet » du 31 mars, M. Louette disait que « le statut de 1957 reflète l’idée d’associer majoritairement la presse au fonctionnement de l’agence tout en ne faisant pas de l’AFP une coopérative que la presse française n’aurait de toute évidence pu financer ». C’est encore le cas aujourd’hui : l’aide de l’État à l’AFP a toujours été vue comme une aide indirecte à la presse, motivée par le souci de garantir la pluralité de l’information et la liberté d’opinion.

Un autre argument que nous renvoie la direction est que les syndicats bloquent tout, qu’ils seraient contre tout changement. Mais nous sommes pour la modernisation de l’Agence ! Nous sommes montés au créneau pour la photographie internationale. Rentrée à Paris depuis un an, je travaille aujourd’hui à la rédaction multimédia, qui se veut le fer de lance des nouveaux produits. Mais cette rédaction existe depuis dix ans ! La crise structurelle de la presse quotidienne régionale s’explique aussi par l’engouement pour le web. Mais cet engouement va-t-il durer ? Peut-on tout miser là-dessus ?

Il faut nous laisser la liberté que permet le statut de 1957, même s’il a sans doute besoin d’être dépoussiéré, notamment pour ce qui concerne la gouvernance. Ainsi, il serait aberrant que des clients qui se sont désabonnés siègent encore au conseil d’administration. Mais cela ne justifie pas de mettre à bas le statut actuel.

Pour montrer que tous les personnels de l’AFP – qui s’impliquent depuis longtemps dans cette agence, parfois au péril de leur vie – sont concernés, et que tout cela n’est pas seulement une histoire entre la direction et les syndicats, l’intersyndicale a décidé d’organiser un référendum afin de consulter le personnel. Il sera lancé le 12 janvier, jour de la table ronde organisée au Sénat, et se tiendra jusqu’au 26 janvier. Seront interrogés tous les personnels AFP de statut « siège » qui votent pour les élections professionnelles – mais non les personnels de statut local, malheureusement, car ce ne serait pas légal. La question posée sera la suivante : « Approuvez-vous le projet de nouveau statut défendu par le PDG et comportant la transformation de l’AFP en société par actions ? »

M. Michel Herbillon. Vous semblez tous très attachés au maintien du statut de 1957. On peut le comprendre, compte tenu de son originalité et de sa spécificité. De même, vous avez, les uns et les autres, parfaitement exprimé votre attachement à l’indépendance de l’Agence et à ses missions d’intérêt général. Mais j’aurais bien aimé vous entendre sur ce qu’il conviendrait de faire. Vous venez certes de donner quelques pistes, madame Panoussian, mais vous êtes la seule à l’avoir fait. En effet, nous devons nous poser la question de ce qu’est l’Agence aujourd’hui : non pas en 1957, mais en 2009. De même, nous devons tenir compte de la situation concurrentielle dans laquelle elle se trouve. On voit bien le tournant pris de longue date par Reuters vers l’information financière. Cette agence a également effectué une importante diversification dans le domaine de la photo ou de la vidéo, apparemment – mais je parle sous votre contrôle – de manière plus forte que ne l’a fait l’AFP. Mais il y a aussi la concurrence des autres médias, des autres supports, tels que le web. Par ailleurs, le nombre de désabonnements me semble poser question. Certes, la presse connaît une crise, mais cette situation n’est pas nouvelle. Le fait que certains journaux se désabonnent au profit du fil de Reuters, comme on l’a appris récemment, est un problème.

Mettons de côté la question du maintien du statut, un statut auquel vous êtes attachés pour des raisons légitimes que je peux parfaitement comprendre. Que doit faire l’AFP ? Il s’agit d’une grande agence, à vocation internationale, son image de marque est fantastique, et les parlementaires comme les Français y sont extrêmement attachés. Il est vrai que dans les endroits les plus reculés, l’AFP est parfois la seule présente, et en tout cas la première à donner l’information. Mais que doit-elle faire pour se mettre à l’heure d’aujourd’hui et relever les défis technologiques et concurrentiels auxquels elle est confrontée ? Elle ne peut se contenter de regarder dans le rétroviseur.

M. Patrick Bloche. Ces auditions très utiles nous éclairent sur les enjeux auxquels l’Agence est confrontée. La dernière fois que le Parlement s’y était véritablement intéressé, c’était au temps où M. Giuily en était le président, et l’aspect économique était alors notre principale préoccupation. À l’époque, en effet, l’Agence était déficitaire et sa survie était en jeu. Aujourd’hui, nous revenons sur ce sujet avec la perspective de devoir légiférer pour des raisons d’ordre statutaire plutôt qu’économique.

Je me souviens que le ministre de la culture et de la communication a, lors de l’examen des crédits consacrés aux médias, manifesté une grande prudence. Il disait vouloir étudier plusieurs scenarii avant de trancher. Ce temps supplémentaire est utile pour les législateurs que nous sommes.

Je pense que les députés socialistes présents ont trouvé vos arguments très convaincants. J’ai pour ma part ressenti moins fortement que Michel Herbillon le fait que vous seriez viscéralement attachés au statut de 1957. Vous êtes surtout apparus à mes yeux comme attachés à l’indépendance de l’AFP, ce qui est le souci de tout journaliste. L’indépendance est un enjeu important du point de vue du pluralisme et de la démocratie, mais il l’est aussi – et vous avez eu raison d’insister sur ce point – pour la crédibilité de l’AFP, notamment à l’étranger. Même si le Parlement français sera, le cas échéant, amené à légiférer, il ne s’agit pas, en effet, d’un enjeu franco-français. Vous avez d’ailleurs insisté à juste titre sur le rôle international joué par l’Agence. On peut noter également que cette question concerne aussi la francophonie.

Si vous perdez votre indépendance, vous perdez votre crédibilité, ce qui ne serait pas sans conséquence du point de vue économique : que les nombreux médias internationaux abonnés à l’AFP renoncent à cet abonnement poserait en effet un sérieux problème.

Vous avez évoqué la question de la gouvernance. Si celle-ci était amenée à évoluer, en écartant tout risque d’étatisation – ainsi que tout risque de privatisation, les deux étant liés, vous l’avez montré –, quel modèle pourrait permettre de sortir de la logique actuelle, à la fois absurde et schizophrénique ? Elle est en effet absurde si des organes de presse qui se désabonnent peuvent siéger au conseil d’administration, dans lequel la PQR est historiquement surreprésentée. Elle est même schizophrénique lorsque les représentants des médias à ce conseil fixent des tarifs qu’ils contestent ensuite et renégocient à la baisse en tant que clients…

Mais le modèle économique est la vraie garantie de l’indépendance. Quel pourrait être le modèle économique pérenne de l’Agence ? Vous avez signalé que la part de l’État était passée de 60 à 40 %. Admettons qu’elle se stabilise : quelles pourraient être les conséquences de la crise que connaît la presse écrite ? Une multiplication des désabonnements pourrait se traduire par d’importantes pertes de recettes, en dépit du développement de l’Agence, et même si celle-ci a relevé bien avant d’autres médias le défi du numérique. Je sais que cela ne relève pas forcément de votre rôle de syndicats, mais avez-vous des préconisations à faire en ce domaine ?

M. Christian Kert. Je ne connais pas M. Louette personnellement, mais je constate qu’il est le patron d’une grande et belle entreprise. Nous avons bien compris les divergences qui existent entre l’intersyndicale de l’Agence et son PDG. Mais comment ce dernier pourrait-il vouloir mettre à mal son entreprise ? Il ne peut qu’avoir la volonté de la faire progresser. Quelle est donc l’explication de cette divergence ?

En ce qui concerne la presse quotidienne, je pense qu’il n’y aura pas de retour en arrière : elle va peu à peu se passer de vos services. Nous allons, me semble-t-il, vers une situation dans laquelle il y aura deux presses : une presse de l’immédiat – télévision, radio et internet –, qui a besoin de vous ; et une autre presse, la presse écrite, qui se tournerait plus vers l’analyse. Or comme vos services coûtent cher, ce qui est naturel compte tenu de la qualité de votre travail, cette dernière catégorie va progressivement y renoncer. Toute prévision concernant l’AFP doit tenir compte de cette évolution.

Enfin, vous nous avez indiqué que l’AFP employait 2 000 collaborateurs de 81 nationalités, répartis dans 165 pays. Pouvez-vous nous rappeler la nature de leur statut juridique ? Est-il privé, public ? En effet, je ne vois pas comment une société pourrait être réformée sans que soit au moins évoqué le statut de ses personnels.

Mme Colette Langlade. Même si le président de l’AFP a remis son rapport au printemps dernier, le projet du Gouvernement la concernant est loin d’être arrêté. On comprend, en vous écoutant, que vous êtes attachés à la loi votée il y a un demi-siècle, et qui a fait de l’Agence un organisme autonome, doté de la personnalité civile et fonctionnant suivant des règles commerciales.

On a pu lire que, faute de capital, l’AFP estime ne plus avoir les moyens de son développement, et que le président a, dans ses cartons, des projets d’acquisition qui ne peuvent être financés en l’état. Qu’en est-il exactement ?

Actuellement, le conseil d’administration compte seize membres, mais il devrait être réduit à douze pour se rapprocher du modèle des sociétés de l’audiovisuel public. Les éditeurs de presse, qui occupent actuellement la moitié des fauteuils, devraient continuer à y siéger. Mais la grande nouveauté est qu’il pourrait s’ouvrir à des administrateurs étrangers, ce qu’interdit la loi de 1957. Ainsi, demain, il serait par exemple possible pour Carol Bartz, patronne de Yahoo et à ce titre importante cliente de l’AFP, d’être nommée à son conseil d’administration. Ne serait-ce pas une petite – voire une grande – révolution ?

Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud. Les rédactions des quotidiens régionaux remettent en cause l’utilité de leur abonnement au fil de l’AFP. Interrogées, elles ont dit que les coûts étaient trop élevés et que ces abonnements ne répondaient plus à leurs besoins. Pourrait-il y avoir une amélioration dans ce domaine ?

Mme Monique Boulestin. Nous avons compris et partageons votre attachement à une agence indépendante, objective, respectée dans le monde ; nous entendons votre refus de changer le statut de 1957. Mais nous sommes tous conscients des évolutions sociétales qui pénalisent la presse, notamment écrite. Quelles restructurations envisagez-vous au sein de votre entreprise, et selon quel calendrier ? À défaut, quelles orientations préconisez-vous pour poursuivre vos missions d’intérêt général, et ce, comme l’a dit Patrick Bloche, de façon pérenne ? En effet, rien ne servirait de mettre un cautère sur une jambe de bois pour se retrouver, un ou deux ans plus tard, devant la nécessité absolue de changer le statut et de voter une loi qui ne serait certainement pas en votre faveur.

Mme Maria Carmona (CGT). La surreprésentation de la presse quotidienne régionale au conseil d’administration de l’Agence est incontestable mais c’est un fait ancien puisque, comme cela a été rappelé, la création de l’AFP tendait aussi à apporter une aide indirecte à la presse. Pour autant, les désabonnements de la PQR française traduisent-ils une évolution inéluctable ou sont-ils conjoncturels ? À l’étranger, l’Agence ne perd pas de clients de la presse écrite, les nouveaux abonnements compensant les désabonnements. Il apparaît que pour l’AFP la crise a eu des effets plus marqués en France, où se manifestent en outre les effets de l’extrême concentration de la presse entre les mains de quelques-uns. Pour autant, je ne suis pas absolument sûre que le mouvement de désabonnement constaté ici soit irréversible. On se livre, me semble-t-il, à des analyses hâtives. Ainsi, après avoir annoncé une première fois la disparition de la presse, qui n’a pas eu lieu, on explique maintenant que la multiplication des sites Internet va la précipiter. Mais le public ne va-t-il pas en revenir au bon vieux journal sur papier ? On observe une tendance qui reflète un moment de la vie politique du pays ; rien ne prouve qu’elle se prolongera et une réflexion de plus long terme serait nécessaire.

Bien que la définition du modèle économique de l’Agence ne relève pas des syndicats, nous avons fait des propositions, en nombre et de longue date. J’en ai formulé une dans mon propos liminaire, en soulignant que point n’est besoin de transformer l’AFP en société par actions puisque, d’une part, nous vendons nos services et que, d’autre part, nous remplissons des missions d’intérêt général pour lesquelles l’État peut nous allouer des dotations comme il l’a fait plusieurs fois dans le passé sous diverses formes. L’Agence a ainsi bénéficié en 1982 de prêts participatifs, qui n’ont pas été remboursés, pour améliorer son outil informatique. On pourrait donc envisager une dotation annuelle de l’État, ou une dotation sur plusieurs années destinée à des investissements techniques lourds, ou encore un prêt à taux zéro de la Caisse des dépôts et consignations. Diverses possibilités existent et les syndicats ont fait des propositions à ce sujet.

Nous ne sommes pas favorables à un changement de gouvernance de l’Agence. Le statut de 1957 a certes institué un équilibre fragile et une sorte de schizophrénie en faisant de nos clients nos patrons mais, avec une autre configuration statutaire, l’AFP aurait-elle eu la même indépendance ? Le statut a ceci d’extraordinaire qu’il a doté l’Agence d’un conseil d’administration pluriel dans lequel tout le spectre de la presse est représenté, et qu’il a préservé l’AFP de tout soupçon de soumission ou de dépendance à l’égard des pouvoirs politique et économique. Je redoute qu’on ne modifie cet équilibre précaire en prétextant les désabonnements de la PQR et que de fâcheuses conséquences ne s’ensuivent.

Comme d’autres, M. Herbillon considère que le statut devrait être modifié. Mais pourquoi changer un statut qui nous a si bien réussi ?

M. Michel Herbillon. Permettez-moi, Madame, de préciser mon propos, car je me suis mal fait comprendre. Ayant pris toute la mesure de votre attachement au statut actuel de l’Agence, je vous ai demandé de nous dire ce qu’il conviendrait selon vous de modifier dans la gouvernance, les missions et l’organisation de l’AFP si le statut est maintenu en l’état, ou si vous considérez qu’il faudrait ne rien changer du tout.

Mme Maria Carmona (CGT). L’AFP a toujours su évoluer ; ce qui lui est nécessaire maintenant, c’est une stratégie journalistique. À cet égard, et sans vouloir offenser qui que ce soit, j’observe que l’Agence s’est toujours mieux portée quand elle était dirigée par un journaliste.

M. Yves-Claude Llorca (SNJ). Ni l’intersyndicale ni les syndicats de journalistes de l’AFP ne sont les immobilistes ringards que l’on se plaît parfois à présenter. L’AFP a connu des crises récurrentes dues à ses problèmes de financement. J’y travaille depuis 1982, et j’ai vu des présidents contraints de démissionner par des mouvements de personnel dus aux menaces qui pesaient sur l’indépendance de l’Agence et sur son développement. L’intersyndicale est unie dans son refus d’une transformation en société par actions. Certains syndicats sont toutefois favorables à un toilettage du statut, qui pourrait se faire par décret – c’est la piste qui avait été envisagée avec M. Gérard Larcher. Cela étant, il reste à résoudre la quadrature du cercle : comment garantir le financement pérenne de l’AFP, fleuron mondial de la collecte et de la vérification de l’information, sans compromettre son indépendance ? L’article 2 du statut de 1957, loin d’être obsolète, est indispensable à l’exercice quotidien de notre profession. L’Agence compte plus de 2 000 journalistes de 81 nationalités répartis dans 165 pays, et dotés de statuts divers. Nous nous sommes battus pour obtenir des statuts régionaux. Outre les journalistes dits « du siège », salariés de droit français, l’Agence emploie aussi des journalistes en Afrique ou en Amérique latine par exemple, avec des statuts locaux, parfois précaires, payés 300 ou 400 euros pour un travail à temps plein. Tous composent, ensemble, la « famille AFP », en ce qu’ils remplissent la même mission, avec la même éthique professionnelle et en suivant les mêmes règles déontologiques. C’est ce qui fait notre force et notre unité.

Mais le fonctionnement de l’Agence a un coût – le réseau satellitaire, par exemple, coûte fort cher. De même, dans les années 1980, il a fallu dépenser une fortune dans les premiers appareils photos numériques, mais nous devions en être équipés pour affronter à armes égales la concurrence d’Associated Press et de Reuters. Il nous fallait, à l’époque, 300 millions de francs et le gouvernement Mauroy nous a aidés, comme des gouvernements de droite nous ont aidés à surmonter des crises financières ; à l’inverse, nous avons craint de voir l’AFP passer sous la coupe de Vivendi alors que la gauche était au pouvoir… Autrement dit, l’orientation politique du gouvernement n’entre pas en ligne de compte. L’AFP appartient à la communauté française et à la communauté internationale parce qu’elle garantit le pluralisme de l’information et le respect de l’éthique professionnelle.

Il existe plusieurs pistes permettant de capitaliser l’AFP sans la transformer en société par actions ; on pourrait par exemple retenir l’hypothèse d’une fondation capitalisée. Mais en aucun cas il ne faut transformer l’Agence en une société par actions, qui serait étatisée dans un premier temps et peut-être privatisée ensuite. C’est notre crainte majeure. Pour le reste, on peut évidemment modifier le statut.

M. Jean-Pierre Rejeté (FO). Sans être demandeuse, Force ouvrière n’aurait rien contre un léger toilettage du statut, mais nous ne nous prononçons pas sur le point de savoir si la modification est d’ordre réglementaire ou législatif.

M. Michel Herbillon. Tout dépend de l’ampleur de la toilette…

M. Jean-Pierre Rejeté (FO). En l’an 2000, le sénateur Louis de Broissia avait, dans une proposition de loi, avancé des dispositions en ce sens, que nous avions acceptées. Il s’agissait en particulier de permettre à l'Agence de recourir au financement par l'emprunt, grâce à l’émission d’obligations garanties par l’État, bénéficiant de ce fait d’une excellente notation et faciles à placer. Un des problèmes actuels de l’AFP tient à la composition de son conseil d’administration, où siègent des patrons de presse qui ne sont plus, ou vont ne plus être, clients de l’AFP ; modifier cette situation ne demande pas de réviser entièrement le statut. Par ailleurs, M. Louette demande que le mandat du président, dont la durée actuelle est de trois ans, passe à cinq ans. Telles sont les pistes que nous examinerions, même s’il ne nous revient pas de définir ce que pourrait être l’AFP.

M. David Sharp (SUD). Certes, l’AFP est en concurrence, mais elle l’a toujours été, mais il s’agit d’une concurrence partielle. En effet, il n’est pas dans l’intérêt de toutes les agences d’aller chercher toutes les informations. Par exemple, Reuters, en France, ne couvrira pas des informations locales telles que des affaires de police ou certains procès.

On semble partir du principe qu’il existe un problème à résoudre. Est-ce vraiment le cas, ou sommes-nous sous le coup d’un emballement politique ? Selon moi, il y a des deux. On se rappellera en premier lieu que l’AFP a été attaquée assez vivement par des hommes politiques l’année dernière. Ensuite, si un problème existe, j’observe qu’il est mouvant, puisque, lorsque M. Louette a rédigé son premier rapport, la crise mondiale n’avait pas encore commencé. On souligne avec force les effets du développement du web, mais puis-je rappeler qu’il n’y a là, à ce jour, ni source de revenus ni bénéfices ? N’est-ce pas, en tout et pour tout, un effet de mode ? Enfin, on a beaucoup insisté sur les difficultés qu’éprouvent les journaux américains. Elles sont réelles et graves pour certains d’entre eux, mais cela ne doit pas conduire à focaliser l’attention sur un seul pays et sur un seul type de presse, car de nombreux groupes de presse américains demeurent extrêmement rentables.

Dans ce contexte, doit-on attribuer les problèmes que connaît l’AFP à une crise économique mondiale gravissime mais conjoncturelle, ou à son modèle économique spécifique, ce qui signalerait un défaut structurel ? Aujourd’hui même, M. Louette souligne dans La Tribune la révolte des agences de presse face au pillage de leurs informations par les agrégateurs de contenu présents sur l’Internet. On sait ce qu’il en est pour la musique et pour le cinéma. On sait aussi que la loi HADOPI commence d’être copiée de par le monde ; même si elle peut être critiquée sur certains points, elle est fondée sur l’idée que tout producteur doit voir ses productions rémunérées. Pour ce qui nous concerne, toute information mise en ligne peut être copiée à l’infini, si bien qu’en profitent des gens qui ne l’ont pas payée. Selon La Tribune, Associated Press et News Corp., le groupe de M. Murdoch, cherchent à se défendre contre ce piratage constant. Le comité d’entreprise de l’AFP a encouragé M. Louette à réfléchir à cette question, car il est anormal que l’Agence donne l’impression de couler alors que des milliers de sites web utilisent gratuitement les informations qu’elle a collectées. Au moment où l’on apprend que M. Murdoch doit conclure un accord à ce sujet avec Google, ne faut-il pas se demander si la crise que traverse l’AFP ne s’explique pas tout bonnement par le fait que sa production ne lui est pas payée ?

Par ailleurs, j’insiste à nouveau sur le fait que l’AFP doit se centrer sur le cœur de son métier – le journalisme et l’information – et non sur des produits dérivés et des gadgets qui risquent de poser des problèmes déontologiques.

Enfin, la composition du conseil d’administration de l’Agence est certes inhabituelle, et une logique perverse est peut-être à l’œuvre car les clients qui y siègent n’ont pas intérêt à ce que les tarifs augmentent, mais ce conseil a pour particularité que les administrateurs représentent des catégories de clients. Ce n’est pas du tout la même chose que si, pour reprendre cet exemple, Mme Carol Bartz, présidente de Yahoo, y avait un siège parce que Yahoo est un gros client de l’AFP ; que se passerait-il si Yahoo se désabonnait, comme il l’a d’ailleurs fait pour partie ? À supposer que la composition du conseil d’administration soit modifiée, il doit demeurer constitué selon le modèle coopératif : ce ne sont pas des clients particuliers qui doivent y être représentés, mais toujours des catégories de clients.

M. Jean-Paul Girardeau (CFE-CGC). S’agissant des abonnements de la presse, les tarifs doivent prendre en considération l’évolution de la consommation et de la diffusion, ainsi que la démocratisation de l’information. La tarification appliquée aux partenaires « médias » de l’Agence a toujours tenu compte du contexte, et elle a toujours été correcte.

Mme Florence Panoussian (CFDT). Quel président ne souhaite pas faire progresser l’entreprise qu’il dirige, nous avez-vous demandé ? Sans doute, mais il se trouve que M. Louette a présenté son premier projet de réforme bien avant le déclenchement de la crise et qu’il le justifie maintenant par la crise ! Autant dire que le débat est biaisé. Surtout, M. Louette, qui passe actuellement dans tous les services pour convaincre le personnel du bien-fondé de son projet, nous a dit que l’idée de la réforme n’est pas la sienne mais qu’elle reflète la volonté de trois ministres ; la démarche est donc d’ordre politique. D’ailleurs, en 2006 encore, le président vantait les bienfaits du statut de 1957, expliquant que l’AFP n’appartenait à personne et que c’était la pierre angulaire de son indépendance.

M. Philippe Capdevielle (CFDT). Travaillant à la direction des ressources humaines de l’AFP, je puis vous indiquer que tous les collaborateurs de l’AFP ont des contrats de droit privé. Avant d’entrer à l’Agence, je travaillais pour un grand groupe américain à côté duquel l’AFP est une petite entreprise. Mais c’est une entreprise qui n’a d’autres ressources qu’humaines. Trois familles y coexistent : les personnels administratifs, les techniciens et les journalistes. Ce sont les journalistes qui nous font vivre. Ils travaillent sous différents statuts : celui dit « du siège », de droit français, mais aussi sous statut de droit régional ou local, ou encore comme pigistes. Faire vivre une agence de presse a un coût, et c’est celui du personnel, difficilement compressible. Comme on ne peut prévoir ce qui se passera dans un pays donné, une couverture mondiale est indispensable ; c’est elle qui fait la qualité de l’entreprise.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je vous remercie. Nous avons prévu de tenir une série d’auditions complémentaires afin de compléter notre information. Si un texte relatif à l’AFP était déposé sur le bureau de l’Assemblée, nous serions naturellement amenés à nous revoir pour entendre votre point de vue.

La Commission poursuit par l’audition de M. Pierre Louette, président-directeur général de l’Agence France-Presse.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Monsieur Pierre Louette, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d’avoir accueilli ce matin dans les locaux de l’Agence France-Presse ceux des membres de notre Commission qui ont pu se libérer. Nous venons d’entendre les représentants de l’intersyndicale de l’Agence et nous vous écouterons avec intérêt dire quel avenir vous envisagez pour l’entreprise que vous présidez. Nous avons appris aujourd’hui par la presse qu’un projet de loi portant réforme de l’AFP serait déposé sur le bureau de notre Assemblée en avril et soumis au vote en juin. Même si, à ce jour, notre Commission n’a été saisie d’aucun texte sur lequel travailler, nous sommes heureux de donner la parole à différents interlocuteurs qui éclaireront l’Assemblée nationale avant que ne lui soit éventuellement soumis un projet de loi.

M. Pierre Louette, président-directeur général de l’Agence France-Presse. Je vous remercie de me permettre de présenter les enjeux du changement de statut de l’Agence France-Presse. Je suis confus que des indications aient été données qui semblent préjuger du calendrier parlementaire. Il ne saurait être question pour moi de stipuler pour autrui, a fortiori pour le Parlement ! D’ailleurs, ce que nous avons défini à ce jour est un « projet de projet », et non un projet de loi.

Il est important de revenir sur les raisons pour lesquelles il est devenu indispensable à mes yeux de modifier le statut de l’AFP. Les représentants de l’intersyndicale vous ont très certainement dit que le statut de 1957 n’a pas empêché l’Agence d’évoluer ni d’être financée, et que de même il n’empêche rien aujourd’hui. Lorsque j’ai pris les rênes de l’AFP, je n’avais pas pour priorité d’en modifier le statut mais de la sauver du grand gouffre dans lequel elle était en train de basculer. C’était en 2002, année où l’Agence, dont les comptes affichaient une perte de 20 millions d’euros, a dû vendre l’immeuble de son siège. La perte a été ramenée à 13 millions en 2003, 6 millions en 2004, et 3 millions en 2005, puis le résultat est devenu positif de 3 millions en 2006, de 5 millions en 2007 et de 3 millions en 2008. Une telle série, la première depuis très longtemps, s’explique par des vents porteurs mais aussi par l’élaboration de nouveaux produits, par une stratégie qui a porté ses fruits. Cela n’empêche nullement qu’il faille faire évoluer le mode de financement de l’Agence.

En effet, le contexte a changé : la révolution numérique, le bouleversement des modes de consommation et de commercialisation des informations, la crise de la presse écrite imposent de mieux armer l'Agence pour lui permettre de continuer à remplir ses missions et de se développer. Fournir une information de qualité et fiable à l'échelle internationale suppose des coûts importants que nos clients traditionnels ne peuvent plus supporter. Pour consolider notre position, diversifier nos contenus et prendre une place importante sur les nouveaux supports numériques, il est impératif d'investir et de disposer de moyens plus importants et plus souples.

Il est vrai que le statut de 1957 a permis à l'Agence de connaître un certain développement. Pour ce qui concerne le personnel, il n’y a pas eu de véritable évolution, puisque les salariés permanents étaient au nombre de 2 100 en 1964 et qu’ils sont 2 200 aujourd’hui, ce qui témoigne d’une stabilité assez rare.

Un moment, le statut a accompagné le développement, mais avec un prix puisque l’Agence a enchaîné les pertes pendant des années ; de 1985 à 1995, c’est bien la « main invisible » de l’État qui les a comblées à chaque exercice.

L’AFP s’est un peu développée par croissance organique mais, contrairement à d’autres agences de presse, elle a raté des occasions majeures de diversification. Ainsi sommes-nous passés à côté de la diversification qu’a constitué le développement de l’information financière. L’agence Reuters, depuis lors rachetée par Thomson, est ainsi devenue un géant de l’information financière qui réalise désormais plusieurs milliards de dollars de chiffre d’affaires dans ce secteur, l’information généraliste ne représentant plus que 3 % du chiffre d’affaires du nouveau groupe. Pendant ce temps, l’AFP, avec un chiffre d’affaires de 270 millions dont 110 millions d’abonnements d’institutions publiques, est restée une agence de taille moyenne. L’Agence a aussi raté sa croissance externe dans les années 1990 en ne parvenant pas, faute de capital et d’actionnaires, à acheter la société de vidéo WTN. Associated Press, qui en a fait l’acquisition, réalise désormais 200 millions de dollars de chiffre d’affaires en vidéo, cependant que l’AFP, au terme de multiples efforts, plafonne péniblement à 5 millions d’euros sur la vidéo.

Les arguments de ceux qui expliquent que le statut de 1957 permettrait de tout financer peinent donc à me convaincre, d’autant qu’à mon arrivée j’ai trouvé une Agence percluse de dettes, au bord du gouffre, sans département d’information vidéo et ne disposant que de moyens très limités pour tirer profit de ses atouts – en particulier de celui qui tient à ce qu’elle ne travaille pas seulement en français mais aussi en arabe et en anglais.

L'Agence a également pris du retard dans son organisation technico-rédactionnelle, pourtant liée à son cœur de métier. Elle n'a même pas achevé de concevoir son indispensable nouveau système informatique multimédia, au contraire d'Associated Press ou des agences de presse autrichienne APA et espagnole EFE, qui l’ont déjà déployé. Ce retard s’explique par la lourdeur patente du fonctionnement interne de l’Agence et aussi par le manque de capacité d’investissement.

Ainsi, l'AFP n'opère aujourd’hui que sur le marché traditionnel de son cœur de métier historique alors que ses concurrents, parce qu’ils se sont déjà diversifiés, disposent de relais de croissance importants. Alors qu’une diversification s’impose dans le transport de communiqués pour les entreprises, dans la réalisation de « pages froides », dans celui de services informatiques pour les médias, nous n’avons rien de tout cela, mais seulement une filiale d’informations sportives en Allemagne. En effet, nous avons dû céder toutes nos autres filiales pour récupérer toute la trésorerie possible en mettant fin à des expériences de diversification malheureuses qui se traduisaient par des pertes récurrentes.

Nous souffrons donc de handicaps historiques qui ont eu de lourdes conséquences hier et qui en auront davantage encore demain car la concurrence internationale s'intensifie. De nouveaux acteurs sont apparus dans le domaine de la photo – Getty, par exemple, avec lequel nous nous sommes associés, mais d’autres surgissent, qui sont très remuants. Des agences telle l’agence chinoise Xinhua se développent en Afrique où nous avions traditionnellement une position très forte. Surtout, certains de nos clients médias, tels CNN, envisagent non seulement de se passer de nos services, mais aussi de nous concurrencer dans la collecte d’informations. Le grand public devient lui-même producteur de photos et de témoignages, d’informations en quelque sorte – même si nous continuons de penser que l’information doit être validée par le filtre du journaliste. La collecte d’information est donc devenue diffuse et planétaire.

Nous avons plus que jamais besoin d'investir : dans la diversification de nos couvertures, dans de nouveaux systèmes rédactionnels multimédia, dans de nouvelles plateformes de stockage et de livraison – c’est tout le sens du projet 4XML.

Nous devons aussi investir pour nous développer, et seule une politique active de diversification par acquisitions nous permettra de rester dans la course. On ne peut plus s’en tenir à la seule croissance organique ; ce serait conduire l’Agence à une lente contraction, sinon à la décrépitude à terme, ce que je ne souhaite ni pour le pays ni pour les 2 200 salariés de l’AFP – dont 1 324 CDI de droit français. Très souvent, on entre à l’Agence et l’on y fait toute sa carrière. Depuis mon arrivée, j’ai recruté 81 journalistes, dont 53 en CDD, qui ont été titularisés en CDI. Une carrière de quelque quarante ans les attend ; il faut leur donner un avenir autre que la perspective d’une décrépitude douce.

Malgré les handicaps décrits et malgré les risques auxquels elle fait face, l'Agence France-Presse a de nombreux atouts pour rester un champion mondial dans son domaine d'activité. En premier lieu, elle dispose d'une marque reconnue – même si le reproche lui a toujours été fait, à l’étranger, d’être liée à l’État, ce qui n’est pas tout à fait faux en matière de financement : en 1957 singulièrement, 70 % de son budget ne provenait-il pas des abonnements souscrits par les institutions publiques ? L’Agence est aussi régulièrement saluée pour l’excellence journalistique de sa rédaction ; elle a développé une infrastructure technique universelle de collecte d’informations et un réseau de vente mondial efficace. Elle travaille et diffuse en six langues, et elle a des milliers de clients dans le monde entier.

Ces atouts, il faut les faire fructifier, ce qui passe par la réforme du statut pour donner à l’Agence les moyens financiers de développement dont elle est aujourd’hui privée. Le « statut de la liberté » dont parlait Jean Marin est devenu avec le temps « le statut du statu quo », un statu quo qui ne peut se concevoir dans le secteur des médias, alors que l’AFP est attaquée par toutes sortes de concurrents.

Aujourd’hui, l'AFP n’a pas suffisamment de ressources propres pour assurer son développement. En effet, même quand tout va bien, ce qui était le cas depuis quelques années, les 20 millions d’euros de marge d’exploitation dégagés servent pour 12 à 13 millions à financer les investissements récurrents obligés que sont les renouvellements de matériel, et pour 7 millions à couvrir les frais financiers et à rembourser les emprunts. Le désendettement progressif a permis de ramener de 45 à 31 millions d’euros le montant de la dette, mais l’on admettra que ce montant résiduel n’est pas négligeable rapporté à une capacité d’auto-financement de 20 millions d’euros les meilleures années.

Cette faiblesse financière est consubstantielle au statut de 1957, une bizarrerie en soi – une sorte d’ornithorynque juridique. Il s’agit en effet d’une forme de coopérative dont le financement est complété par l’État. Cela étant, l’AFP fonctionne déjà sur le modèle d’une société anonyme – abstraction faite de ce qu’elle n’a pas d’actionnaires – tout en exerçant des missions d’intérêt mondial – avec 208 expatriés dont 150 francophones, elle assure une couverture universelle que nous ne souhaitons pas modifier. Nous avons mis en avant, dans un document de travail préliminaire, l’idée de faire de l’Agence une société nationale à capitaux entièrement publics, tout en renforçant la garantie de son indépendance rédactionnelle par un élargissement du rôle de son conseil supérieur.

Le statut de 1957 a eu des vertus, et je comprends l’attachement que lui portent les membres du personnel qui, pour travailler souvent à l’AFP depuis plusieurs décennies, n’en ignorent rien. Le personnel est légitimement attaché, aussi, à l’indépendance de la rédaction. Il n’est pas question d’y toucher, mais au contraire de la renforcer. Je suis moi-même attaché à l’AFP et surtout à sa pérennité, au maintien de sa position de leader mondial, présent partout sur la planète. On pourrait en effet imaginer de lui donner une autre configuration, de supprimer certaines langues par exemple – il n’est nulle part écrit dans le statut de 1957 que l’AFP doit travailler en six langues. Le personnel est attaché à tout l’acquis – avantages compris, dont je pourrai parler si vous le souhaitez. Autant dire qu’il y a beaucoup à défendre en défendant le statu quo.

Je pense pour ma part que le changement de statut permettra de pérenniser les missions d’intérêt général de l’Agence et lui donnera une force bien supérieure à celle dont elle dispose aujourd’hui pour accomplir ses missions.

M. Michel Herbillon. Les représentants de l’intersyndicale viennent en effet de réaffirmer devant nous leur très fort attachement au statut de 1957 et, au-delà, à l’indépendance de la rédaction. Ils nous ont dit que le statut a permis, permet et permettra de relever tout défi économique, financier et technologique. J’ai ressenti de leur part un très fort attachement à l’Agence ; comme on ne peut vous soupçonner, monsieur le président, de ne pas être, vous aussi, attaché à votre mission et à votre entreprise, il y a là un point commun entre vous. Mais votre conviction étant que le statut fait obstacle à l’évolution souhaitable de l’Agence, nous constatons une divergence de fond, et quelques éclaircissements complémentaires seraient les bienvenus.

Je souhaite aussi vous entendre préciser votre notion de l’indépendance de l’Agence. L’intersyndicale craint qu’une réforme statutaire de la gouvernance et de l’actionnariat ne mette à mal l’indépendance de la rédaction. Sur le thème « Vous aimez ce qui se passe pour La Poste, vous adorerez ce qui se passera pour l’AFP », les syndicats redoutent ce qu’ils considèrent comme une « double peine » – l’étatisation qui préparerait une privatisation. Saurez-vous nous convaincre que le changement de statut que vous appelez de vos vœux ne compromettra pas l’indépendance rédactionnelle de l’Agence ?

Comment, selon vous, la gouvernance de l’entreprise devrait-elle évoluer ? Actuellement, me semble-t-il, la presse quotidienne régionale et la presse nationale sont surreprésentées au conseil d’administration au regard du chiffre d’affaires qu’elles génèrent pour l’AFP – 24 millions il y a dix-huit mois, sur un chiffre d’affaires total de 270 millions. Quelle évolution envisagez-vous et, à nouveau, quelle garantie apportez-vous pour que l’indépendance de l’Agence soit préservée ?

Enfin, quels sont selon vous les éléments qui peuvent faire consensus au sein de l’entreprise au moment où vous envisagez de la réformer ? L’évolution vous paraît essentielle pour l’avenir de l’AFP, mais qui l’envisage ne doit-il pas essayer de trouver le chemin du consensus interne ?

M. Patrick Bloche. Notre groupe aborde la réforme du statut de l’AFP sans a priori, dans un esprit aussi ouvert que possible.

Voilà plusieurs semaines que le débat public sur l’avenir de l’Agence s’est engagé. Quelle que soit notre appartenance politique, ce qui nous réunit ici est, à mon sens, le souci d’assurer, non la survie – avec 3 millions d’euros de bénéfices, la question n’est plus là –, mais la viabilité à long terme de l’AFP. Celle-ci est en effet une institution d’intérêt général, du point de vue tant de la liberté de la presse que de la francophonie.

Si l’indépendance est le fondement de la liberté d’expression et du pluralisme – et donc une condition de l’exercice même de la profession de journaliste –, l’intersyndicale a exposé que celle de l’AFP était de surcroît la source de sa crédibilité. Ce raisonnement, qui fait de cette indépendance presque un atout économique ou commercial, permettant à l’Agence de réaliser 30 % de son chiffre d’affaires auprès des médias internationaux, m’a paru convaincant. Une réforme qui transformerait l’AFP en une société nationale à capitaux publics, dans la gouvernance de laquelle les représentants de l’État prendraient une place majoritaire, ou en tout cas très active, ne risque-t-elle pas d’entraîner une forme de rejet, de désaffection envers l’Agence, au motif que, jusqu’ici indépendante, elle deviendrait une agence d’État, si ce n’est la « voix de la France » ?

Les syndicats nous disent aussi que, sans changement de statut, l’AFP a su se développer et prendre les virages nécessaires – ce dont vous-même avez été témoin et acteur depuis sept ans. Dès lors, pourquoi le changement de statut s’imposerait-il ?

Mme Monique Boulestin. Pour obtenir de nouveaux financements, vous souhaitez une réforme de ce qu’on pourrait appeler votre « enveloppe juridique ». Ne craignez-vous pas qu’il s’ensuive une redéfinition des missions d’intérêt général de l’AFP ?

Quelle démarche envisagez-vous pour mettre fin à un dialogue de sourds dans lequel, parce qu’elle craint pour l’indépendance de l’AFP, l’intersyndicale se refuse à une réforme du statut de 1957, qui, pour elle, n’a pas empêché les évolutions de l’Agence ?

M. Christian Kert. Au-delà des soucis exprimés par l’intersyndicale pour l’indépendance de l’Agence, pensez-vous que les personnels pourraient redouter de la réforme des conséquences négatives pour leurs propres statuts ?

M. Pierre Louette. Les interlocuteurs qui vous ont expliqué – comme ils me le répètent régulièrement – que le statut actuel n’avait empêché aucune évolution et restait adapté pour l’avenir, vous ont aussi dit, sans doute – je crois avoir entendu des propos en ce sens –, qu’in fine, en cas de difficultés ou de besoin, il reviendra à l’État de payer. Ce raisonnement économique bien ancré dans les esprits au sein de l’AFP a pour origine l’idée qu’en contrepartie des missions d’intérêt général confiées à l’Agence – auxquelles je tiens moi-même beaucoup –, l’État a un devoir de financement en cas de pertes.

Un document interne récent indique que l’obligation faite par le statut de 1957 à l’AFP d’élaborer chaque année un budget à l’équilibre a toujours été respectée. Cependant, en gestion, l’Agence a perdu 30 millions de francs en 1981, 30 encore en 1982, 84 en 1983… Autrement dit, pendant des années, elle a été en déficit continu. Le mécanisme est donc d’une grande hypocrisie : le statut l’exigeant, on parvient miraculeusement à construire, au dernier moment, un budget en équilibre ; l’exécution s’en révèle malheureusement impossible et l’année se termine par des pertes, que l’État comble pour permettre à l’Agence de poursuivre son activité. Je le dis calmement et avec toute la déférence due aux uns ou aux autres, je ne me satisfais pas de cette situation de perfusion permanente. D’ailleurs, la perfusion a récemment cessé.

Au début des années 2000, le Gouvernement dirigé par M. Lionel Jospin a demandé au président de l’AFP, M. Eric Giuily, de lui faire des propositions pour une évolution du statut de l’Agence. M. Giuily a proposé la privatisation, un adossement à des actionnaires privés – je rappelle que ma proposition à moi est celle d’un adossement à la puissance publique, par l’intermédiaire soit de l’Agence des participations de l’État, soit de la Caisse des dépôts et consignations.

Ensuite, l’application des lois sur les 35 heures puis l’éclatement de la bulle Internet ont fait perdre à l’Agence – je l’ai rappelé – 20 millions d'euros. L’État, pourtant moins endetté alors qu’aujourd’hui mais qui souscrivait pour environ 100 millions d’abonnements, a alors refusé de l’aider au motif qu’il lui avait déjà consenti un prêt, dit « Tasca » du nom de la ministre qui l’avait accordé. Pour faire face à cette situation inédite, l’Agence a dû vendre l’immeuble dans lequel elle était – et est toujours – installée, et qui a été le seul véritable apport jamais effectué par la puissance publique à son capital et à son bilan – en 1968, au lieu d’un apport de trésorerie, il lui en avait accordé la propriété, moyennant des frais mineurs.

Par ailleurs, à l’époque de ce refus, les fonds demandés par l’Agence avaient pour objectif d’assurer sa survie. Aujourd’hui, alors que la configuration est meilleure, c’est pour assurer son développement qu’elle a besoin de moyens.

Cela dit, il s’agit en réalité de sa survie à terme : pour un média, ne pas se développer, c’est se préparer à de graves difficultés. Or, l’État nous expose aujourd’hui que, sans changement d’« enveloppe juridique », il ne peut pas effectuer de dotation en fonds propres. En effet, à la différence de ce qui s’est passé jusqu’au milieu des années 70, et pour des raisons de droit de la concurrence européen, la possibilité est désormais fermée à l’AFP de recevoir directement de la puissance publique apports ou dotations en capitaux. L’argument nous a du reste déjà été opposé au milieu des années 2000. Il faut par ailleurs savoir que l’agence allemande Deutsche Presse-Agentur s’intéresse depuis un an aux motifs sur lesquels elle pourrait fonder une action en concurrence déloyale contre l’AFP, en Allemagne et en Europe, et que, dans le passé, Reuters s’est également intéressé de près à notre statut.

Quand bien même la représentation nationale et le Gouvernement seraient totalement acquis à la cause de l’AFP et se proposeraient de lui verser les dotations qu’elle estime nécessaires à son développement, ce concours est donc désormais suspendu à la survenue d’un événement juridique singulier. Or, une insuffisance de financement risque de mettre l’Agence en difficulté dans l’avenir. Peut-être serez-vous alors de nouveau saisis en urgence d’une situation devenue critique et de propositions de solutions telles que des abandons de créances, qui, je le répète, sont devenues juridiquement impossibles.

Il faut donc prendre en compte les contraintes imposées par l’Union européenne pour assurer à l’AFP l’apport dont elle a besoin pour franchir le cap qui se présente, dans un contexte économique nouveau. Cet apport, je le demande préférentiellement à la puissance publique. Et je note que, dans le passé, la CGT de l’Agence, elle-même, a appelé de ses vœux un adossement à la Caisse des dépôts – vous recevrez communication des documents de l’époque. Elle ne soutient plus aujourd’hui cette solution, que je propose.

L’AFP a bien l’intention de conserver les missions d’intérêt général lui sont confiées. Elle est très attachée à sa contribution au rayonnement de la langue française dans le monde, et à ses 150 collaborateurs expatriés qui écrivent en français. Elle souhaite continuer à travailler en français, y compris à l’étranger, car elle reçoit de l’argent de l’État à cette fin, et bien qu’elle en ait la possibilité, elle refusera donc la solution qui consisterait à recruter des collaborateurs locaux de qualité, écrivant dans leur langue, pour traduire leurs articles dans la nôtre.

Une autre partie des crédits versés par l’État a pour objet une deuxième mission d’intérêt général, la recherche d’une couverture la plus exhaustive et universelle possible. Si l’Agence, faute de disposer de son actuel réseau, cessait de relater certains événements dans le monde, personne ne parlerait de ceux-ci ; elle contribue à donner existence à certains pays, à les faire apparaître sur la carte du monde. Elle rémunère par exemple deux fois plus de journalistes en Afrique que l’agence Associated Press, qui dispose pourtant de deux fois plus de moyens qu’elle. Pour l’intensité de l’effort fourni, le rapport est ainsi de 1 à 4 : deux fois moins d’argent, deux fois plus de gens sur le terrain.

Cette politique exprime une tradition française que l’Agence souhaite continuer à faire vivre.

Conduire une évolution du statut nous amènerait à identifier plus clairement qu’aujourd’hui, dans les 110 millions d'euros d’abonnements souscrits par l’État, la part correspondant à l’achat de services d’information, et celle qui correspond au financement de ces missions d’intérêt général – à cet égard, la démarche serait analogue à celle de La Poste. Cette identification mettrait aussi l’AFP en position plus solide face aux procès qui la menacent sur la légitimité de ces 110 millions d'euros d’abonnements : songez que l’État allemand souscrit moins de 10 millions d'euros d’abonnements à son agence de presse. La disproportion est sensible ! Peut-être pourrions-nous la justifier si l’on faisait clairement apparaître le financement des missions d’intérêt général et la contribution au rayonnement mondial de l’Agence.

Cela dit, même si celle-ci est l’instrument de la République et du Parlement, des raisons juridiques impérieuses imposent d’agir afin de permettre la poursuite de son financement courant.

Par ailleurs, l’actuel statut, composé de la loi du 10 janvier 1957 et du règlement d’administration publique du même jour, comporte des éléments profondément obsolètes. On pourrait citer les conditions de nationalité exigées pour travailler à l’AFP. L’évolution de la clientèle de l’Agence a également rendu inadaptée sa gouvernance. Sur les quinze membres de son conseil d’administration, en plus du président, huit représentent la presse française, dont six la presse quotidienne régionale et départementale. Cette composition reflète celle de la clientèle de l’AFP en 1957. Il n’existait alors ni télévisions ni radios privées, ni évidemment de portails Internet, et l’essentiel de la clientèle était formée par les journaux français. Depuis, l’AFP a considérablement développé les revenus qu’elle tire de l’étranger. Si les journaux continuent en général à constituer de bons clients pour l’AFP, leurs huit représentants au conseil d’administration représentent 20 millions d'euros de chiffre d’affaires sur 270, soit quelque 7 % du total. Quel que soit mon attachement à la famille de la presse, sa surreprésentation est devenue assez apparente. Inversement, ne figurent au conseil de représentants ni des portails Internet, certes de création récente, ni même des télévisions et des radios privées, pourtant plus anciennes. Le statut comporte donc des éléments quelque peu surannés. Certains des interlocuteurs que vous avez reçus considèrent qu’une réforme du statut signerait le début d’un démantèlement de l’AFP. Pour moi, après avoir en 1957 eu la capacité d’élaborer un statut original pour l’AFP, la représentation nationale serait parfaitement en mesure d’en concevoir un nouveau, répondant mieux aux exigences du moment, protégeant l’indépendance de l’Agence et reflétant mieux l’évolution de sa clientèle.

Comment déterminer des points de consensus ? Arguant de la singularité du moment – les médias seraient particulièrement menacés aujourd’hui –, nombre des représentants syndicaux refusent toute forme d’évolution, après pourtant en avoir parfois envisagé une dans le passé. La lecture de certains d’entre eux est très clairement politique.

Cependant, s’agissant des menaces que la réforme ferait peser sur l’indépendance de l’Agence, l’argument selon lequel cette dernière serait mal perçue à l’étranger, pour sérieux qu’il soit, n’apparaît pas imparable. Depuis sa création, l’AFP est victime d’une sorte de procès qui en fait une agence d’État ou liée à l’État. Le chapitre IV d’un ouvrage d’un confrère de l’agence Reuters, Le village CNN, la crise des agences de presse, écrit il y a dix ans déjà, est intitulé « L’Agence France-Presse, une entreprise sous la dépendance du gouvernement français ». Quand ils veulent nous piquer au vif, nos clients étrangers soulignent l’étroitesse des rapports de l’Agence avec l’État, puisque celui-ci assure entre 40 % et 50 % de son financement. Mais en 1975, il en assurait 75 % ! Quoi qu’il en soit, quel que soit son statut d’indépendance, chacun connaît le rapport de l’Agence avec l’État.

En même temps, nos clients peuvent être objectifs. L’agence Dow Jones, propriété du groupe Murdoch, l’une des incarnations du capitalisme triomphant, et à la fois cliente et partenaire en Espagne de l’agence EFE, très proche de la puissance publique espagnole, nous indique simplement qu’elle jugera sur pièces notre évolution, hors de toute idéologie : si, avec la réforme, le contenu des prestations de l’AFP se dégrade, elle cessera d’être cliente, tandis que, s’il conserve sa qualité, elle continuera de l’être.

Lorsque l’un des partenaires adopte une posture idéologique très marquée et que tous les raisonnements financiers sont balayés par la conviction que, comme dans le passé, l’État finira par payer, il est très difficile de trouver des points de consensus.

Le projet de réforme envisage aussi une réforme de la gouvernance, avec une composition renouvelée du conseil d’administration et une évolution de la fonction et de la composition d’un autre organe, le conseil supérieur.

Nombre des dispositions du statut de 1957 sont fondamentales. L’article 2, qui définit notamment les missions de l’Agence, est si essentiel qu’il est affiché dans le hall d’entrée de l’Agence. La modification envisagée de la loi de 1957 – qu’il ne s’agit nullement d’abroger – pourrait le conserver dans son intégralité et son intégrité.

Le conseil supérieur, dont traite l’article 4, est chargé de veiller au respect du fonctionnement de l’AFP selon les principes posés à l’article 2. Outre modifier sa composition, nous voudrions accroître ses pouvoirs, et en particulier lui conférer le droit de demander une seconde délibération, voire d’opposer un veto, si des délibérations du conseil d’administration lui apparaissaient par trop contraires aux dispositions de l’article 2, notamment à celles qui traitent du rayonnement mondial de l’Agence, de l’exhaustivité de la couverture qu’elle assure, et de la définition de son indépendance – l’agence « ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information ». Il est aussi proposé que le conseil supérieur puisse opposer son veto à la nomination d’un président dont le choix lui paraîtrait inadapté ou inadéquat. Autrement dit, dans nos réflexions sur l’évolution du statut, nous formulons des propositions allant dans le sens d’un renforcement des garanties d’indépendance de l’Agence.

Il est très facile d’apaiser les inquiétudes relatives au statut du personnel. Nous l’avons très clairement dit : nous reprendrons l’ensemble des contrats, obligations, engagements et conventions existants. La réforme n’est pas l’occasion de modifier des engagements favorables aux personnels de l’Agence.

Depuis 1957, l’absence de rapport de l’AFP avec un actionnaire – sauf peut-être lorsqu’il s’est agi de compenser des pertes, de financer des équipements ou, jusqu’aux années 1970, d’apporter des dotations – a entraîné deux conséquences. La première est le développement d’un sentiment d’appropriation de l’Agence par le personnel. C’est un facteur, positif, d’attachement et de capacité des personnels à se mobiliser et à travailler avec énergie. La deuxième conséquence est l’installation de modes de gestion qui ont abouti aujourd’hui à un fonctionnement que je ne puis qualifier autrement que d’onéreux. Que les charges de personnel représentent 73 % des charges de l’AFP est logique ; l’Agence est une entreprise de personnel. Cependant, le salaire moyen y est supérieur à 4 000 euros, sur treize mois. L’AFP comporte encore nombre de membres des catégories des ouvriers des transmissions ou du Livre. La durée des vacances peut atteindre treize semaines. À leur retour, des expatriés peuvent avoir accumulé plus de six mois de congés à prendre. Cependant, l’AFP réussit à financer ces avantages et même, depuis quelque temps, à gagner de l’argent. Si l’on peut comprendre la peur d’un changement à cet égard, tel n’est pas mon projet ; depuis que je dirige l’AFP, j’ai réussi à la faire fonctionner dans le respect de ces avantages, sans grèves ni interruption du service.

J’ai récemment retrouvé une lettre de Dominique Strauss-Kahn, alors ministre, exposant qu’il attendait de la part du président – Jean Miot à l’époque – des projets d’évolution du statut. La période de transition que traversent les médias appelle des solutions. J’ai essayé de trouver le meilleur compromis – et j’avance ces propositions sans aucune vanité d’auteur. Il faut pouvoir financer la poursuite du développement de l’Agence et le maintien de ses missions d’intérêt général. Or, quel actionnaire privé pourrait souhaiter financer celles-ci, avec l’espérance, au mieux, d’une rentabilité de 1,5 % ou 2 % par an ? En raison du rapport que nous avons depuis toujours avec la puissance publique, et que je souhaite voir maintenu, nous devons nous tourner vers elle. Certes, le risque de cette stratégie est l’accentuation de la critique relative au lien entretenu avec l’État. Mais si la part de celui-ci dans le financement de l’AFP est aujourd’hui de 40 %, il était autrefois de 70 % et les journalistes d’alors ne se sentaient pas moins indépendants. Un journaliste indépendant est un journaliste qui décide de l’être. C’est une question déontologique personnelle, et non pas d’appartenance au secteur public ou privé. Et cela vaut pour les présidents d’agence. Peut-être trouverez-vous que je mets un peu de passion dans mes propos ?

M. Michel Herbillon. Je ne crois pas qu’on puisse diriger une entreprise, surtout celle-ci, sans passion.

L’intersyndicale a utilisé le terme de « toilettage ». Avez-vous pu cerner le périmètre de celui qu’elle accepterait ? Ce périmètre pourrait-il vous convenir, au moins partiellement ? Un adossement à la Caisse des dépôts, plutôt qu’à l’Agence des participations de l’État, a aussi été évoqué. La formule de Tancredi, neveu du Prince de Salina, dans Le Guépard de Lampedusa – « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change » –, ne pourrait-elle pas servir de devise pour la prochaine réforme de l’AFP ?

M. Pierre Louette. Je suis tout à fait ouvert à une stratégie comparable à celle du Guépard.

Je le rappelle, l’hypothèse de l’adossement de l’AFP à la Caisse des dépôts a déjà été formulée au sein de l’Agence, dans le passé. Dans le rapport commandé par Mmes Lagarde et Albanel et M. Woerth, je propose d’adosser l’Agence à l’Agence des participations de l’État ou à la Caisse des dépôts. Mais c’est à la puissance publique, et non à moi, qu’il appartient de déterminer l’actionnaire public de l’AFP.

L’adossement à la Caisse des dépôts peut séduire pour deux raisons. Que l’agence soit la propriété d’une « institution financière » même détenue par l’État donnerait une meilleure image de son indépendance que la situation actuelle où elle est détenue directement par l’État. En outre, qui connaît à l’étranger le statut et le fonctionnement de la Caisse ? De plus, celle-ci a toujours eu vocation à mener des opérations consistant à transformer des dépôts courts en financements de long terme, et à porter des investissements dans la durée. Enfin, à travers sa Commission de surveillance, elle entretient une relation forte avec le Parlement. Elle constitue donc un prototype d’actionnaire public très adapté au développement d’un rapport d’actionnariat dans la durée. Pas plus qu’aucune autre agence de presse dans le monde, l’AFP n’a la capacité de répondre à une demande de rentabilité de 15 %. Les coûts en personnel, notamment à l’étranger, en capacités de liaison, satellites ou réseaux Internet privés, sont trop élevés. L’adossement à la Caisse des dépôts peut donc constituer un élément de rapprochement avec ceux des membres de l’intersyndicale qui ne se prononcent pas a priori contre toute évolution.

Par ailleurs, bien des éléments de la loi et du règlement d’administration publique du 10 janvier 1957 mériteraient d’être « toilettés ». Certaines dispositions sont même devenues illégales !

Jeter des passerelles supposerait aussi que ne l’emporte pas l’idée selon laquelle un front du refus peut conduire une nouvelle fois l’État à se lasser et à se résigner à financer l’inéluctable prochain déficit. Pour moi, la situation des finances publiques comme le contexte de concurrence rendent désormais impossible la poursuite de ce mode de gestion. De plus, ce type d’argument peut se retourner contre ses auteurs : comment être indépendant dans une société dont, à intervalle régulier, les déficits sont comblés par l’État ? Je ne me satisfais pas de cette situation.

Mme la présidente Michèle Tabarot. La tenue d’un référendum en janvier, annoncée par les syndicats, va pouvoir vous permettre de jauger l’attitude de l’ensemble du personnel. Quels sont vos pronostics sur ses résultats ?

M. Pierre Louette. Je viens de découvrir la question posée par les syndicats : « Approuvez-vous ou non le projet de changement de statut qui prévoit notamment la création d’une société par actions ? ». Poser ainsi la question est y répondre. Que l’AFP devienne une société par actions ne fait évidemment pas partie des souhaits de ses journalistes. Si l’on demandait de se prononcer sur un projet de recherche de financement nouveau pour développer l’Agence et assurer son avenir, peut-être pourrait-on attendre davantage de réponses positives… J’anticipe donc avec sérénité une désapprobation extrêmement majoritaire.

À cela s’ajoute qu’une partie du personnel, notamment les étrangers et les employés locaux, ne pourra pas voter. Pour autant, il faudra tenir compte du résultat. Je vais continuer d’essayer de convaincre. Je viens d’achever une tournée de tous les services rédactionnels – douze – de l’Agence. J’ai passé deux heures dans chacun d’eux. Je comprends intimement l’inquiétude que peut susciter l’idée d’un changement de statut. Cependant, l’AFP est peut-être la seule institution dans le monde à ne pas avoir de comptes à rendre. Cette situation a pour conséquence ce que j’appelle « la suspension des évidences ». Ailleurs qu’à l’AFP, il est évident pour tous qu’il faut que quelqu’un paye pour faire fonctionner une organisation, et qu’il est logique que, à l’occasion, des comptes soient rendus sur l’utilisation de l’argent alloué, la qualité du travail et les choix faits. Le financement de l’AFP a quant à lui toujours été assuré. Au contraire de certains, je considère que cette situation ne peut continuer toujours.

Mon équipe et moi avons renfloué les caisses de l’AFP. Nous avons continué à recruter des journalistes ; une expression comme « maison des précarités » est donc une hyperbole plus qu’excessive. Si je souhaite contribuer à la transformation de l’Agence, celle-ci est entre vos mains. Il vous revient de vous forger une conviction et de veiller à la protection de l’indépendance de l’AFP. Vous saurez le faire, je le sais. L’AFP doit tirer de la réforme un renforcement financier, sans aucun amoindrissement de son indépendance. J’ai indiqué par le passé qu’il était pour moi totalement exclu, par exemple, que le président de l’AFP soit nommé en conseil des ministres, comme c’était le cas du directeur général de l’Agence entre 1944 et 1957. La jurisprudence du Conseil d'État garde le souvenir d’arrêts relatifs à la situation de celui-ci au regard du Gouvernement. Personne ne souhaite le retour à un tel statut.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Merci beaucoup. Les auditions auxquelles nous procédons nous permettent de nous faire une idée du travail que vous avez réalisé et des positions des acteurs de l’AFP.

La séance est levée à dix-neuf heures vingt.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 2 décembre 2009 à 16 h 15

Présents. – M. Marc Bernier, M. Patrick Bloche, Mme Monique Boulestin, Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, M. Bernard Debré, Mme Sophie Delong, Mme Marianne Dubois, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, M. Michel Herbillon, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Geneviève Levy, M. Gilbert Mathon, M. Frédéric Reiss, Mme Michèle Tabarot

Excusés. – Mme Marie-Hélène Amiable, Mme Sylvia Bassot, Mme Danielle Bousquet, M. Édouard Courtial, Mme Sandrine Hurel, Mme Colette Le Moal, M. Pierre Lequiller, M. Alain Marc, Mme Marie-Josée Roig