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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 9 décembre 2009

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 19

Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente

– Auditions, ouvertes à la presse, sur l’avenir de l’Agence France Presse : M. Olivier Baube, membre du bureau de la Société des journalistes de l’AFP, M. Pierre Jeantet, président du Syndicat de la presse quotidienne régionale, et M. Francis Morel, président du Syndicat de la presse quotidienne nationale 2

– Auditions, ouvertes à la presse, sur l’avenir de l’Agence France Presse : M. Claude Moisy, journaliste, ancien PDG de l’AFP de 1990 à 1993, M. Bertrand Eveno, ancien PDG de l’AFP de 2000 à 2005, M. Patrick Eveno, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et M. Gideon Kouts, président de l’Association de la presse étrangère 10

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 9 décembre 2009

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend M. Olivier Baube, membre du bureau de la Société des journalistes de l’AFP, M. Pierre Jeantet, président du Syndicat de la presse quotidienne régionale, et M. Francis Morel, président du Syndicat de la presse quotidienne nationale, sur l’avenir de l’Agence France-Presse.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Nous poursuivons nos auditions sur l’avenir de l’Agence France-Presse (AFP) dans un contexte marqué par la remise du rapport de son président, M. Pierre Louette, au mois de mars dernier, ainsi que par l’annonce d’une réforme du statut de 1957.

Je suis très heureuse d’accueillir MM. Olivier Baube, membre du bureau de la Société des journalistes de l’AFP, Pierre Jeantet, président du syndicat de la presse quotidienne régionale et Francis Morel, président du syndicat de la presse quotidienne nationale – nos deux derniers intervenants siégeant au conseil d’administration de l’Agence en qualité de clients. J’ai souhaité consacrer cette première table ronde de la matinée à un échange sur la situation et l’avenir de l’AFP en présence de deux catégories majeures d’acteurs : les journalistes – qui assurent la production éditoriale de l’AFP – et les représentants des journaux, le regard des clients étant d’autant plus crucial qu’ils ont leur mot à dire sur la stratégie de l’Agence.

Je rappelle, enfin, que nous avons auditionné la semaine dernière M. le président Louette ainsi que l’intersyndicale de l’AFP et que nous ne sommes saisis d’aucun projet de loi tendant à modifier son statut.

M. Olivier Baube, membre du bureau de la Société des journalistes de l’AFP. Je vous prie, tout d’abord, de bien vouloir excuser l’absence du président de la Société des journalistes de l’AFP qui est en déplacement à l’étranger.

La Société des journalistes a vocation à représenter l’ensemble de la rédaction indépendamment du statut et de la situation des professionnels, qu’ils soient locaux, nationaux ou à l’étranger. Plus précisément, elle représente plus du tiers de la rédaction et je suis moi-même membre du conseil d’administration de l’Agence.

Je rappelle qu’avec la britannique Reuters et l’américaine Associated Press (AP), l’AFP est l’une des trois agences internationales qui fournissent des informations à la quasi-totalité des médias dans le monde entier. Loin d’être une Agence franco-française, ses journalistes travaillent en six langues – notre premier client est d’ailleurs l’agence japonaise Jiji. En outre, elle est considérée, en Asie en particulier, comme une agence de référence tant le regard français – même si nos journalistes sont tous anglophones pour d’évidentes raisons géographiques – se singularise par rapport à celui des deux agences anglo-saxonnes, comme ce fut le cas notamment lors de la guerre en Irak. Notre crédibilité, en effet, repose entièrement sur notre indépendance à l’endroit de tous les pouvoirs, laquelle est le fruit d’un long et difficile combat.

En l’occurrence, si l’État doit demeurer membre du conseil d’administration de l’Agence, il doit également savoir s’effacer afin de lui permettre de se développer. De ce point de vue, le projet présenté par son PDG nous inquiète car il menace notre indépendance : l’AFP devenant une société nationale à capitaux publics dont l’État serait le seul actionnaire, elle serait de facto nationalisée et l’ensemble de ses concurrent ne manqueraient évidemment pas d’en faire état afin de la décrédibiliser – en particulier auprès de ses clients étrangers. Pourquoi donc tenter le diable en modifiant son statut ? A cela s’ajoute que l’AFP n’est en rien figée : ses journalistes ne sont pas plus éloignés des réalités qu’ils ne sont accrochés à leurs privilèges et arc-boutés sur leurs douze semaines de vacances ! Une majorité écrasante et silencieuse parmi eux travaille et est prête à voir son statut évoluer. C’est elle qui fait l’Agence au jour le jour et grâce à qui CNN ou le New York Times font confiance à l’Agence !

Si nous n’avons quant à nous ni les moyens ni l’expertise pour trouver la solution miracle qui permettrait d’éviter la nationalisation, nous vous invitons à faire preuve de la même imagination que le législateur de 1957, lequel avait su inventer un véritable hapax juridique sur le plan statutaire. Ce n’est ni plus ni moins que l’existence de l’AFP qui est en jeu.

M. Pierre Jeantet, président du syndicat de la presse quotidienne régionale. Je tiens tout d’abord à préciser que j’ai été journaliste à l’AFP pendant 17 ans et que j’y ai également assumé pendant trois ans la fonction de directeur général. Je suis donc attaché à ma première « maison » et particulièrement intéressé à son devenir, lequel passe par la garantie de son indépendance ainsi que par sa pérennité économique.

Une réforme de l’AFP me semble d’autant plus indispensable que, dans le passé, chaque fois que l’Agence a rencontré des difficultés financières ou organisationnelles, aucune décision n’a été prise. Faute d’actionnaires ou de fonds propres, elle n’a pas pu investir afin de s’adapter aux évolutions des marchés et de l’environnement médiatique. Concentrée sur ses savoir-faire classiques, elle n’a pas pris le virage de l’information économique dans les années soixante-dix ni celui de l’audio-visuel et, si rien ne change, il en sera de même s’agissant de l’information numérique – alors qu’elle se trouve en concurrence non seulement avec de grands groupes mondiaux mais avec ses clients traditionnels que sont les journaux ou les agences abonnées.

Par ailleurs, j’ai entendu dire que son statut nécessitait un simple « toilettage », or, c’est le mot que l’on utilise chaque fois que l’on ne veut rien changer. En fait, ou son statut est intangible, ou il évolue tout en respectant l’indépendance de l’Agence, laquelle relève au premier chef, selon moi, des journalistes eux-mêmes – à ce propos, les agences étrangères abonnées s’offusquent-elles que l’État comble régulièrement ses déficits ? Une réforme est donc nécessaire afin de doter l’AFP d’un capital et d’une organisation favorisant la mise en place de la démarche entrepreneuriale dont elle a besoin dans un environnement particulièrement mouvant. Les représentants de la presse écrite, notamment, devraient à l’avenir former une manière de « conseil des sages » veillant plus à son indépendance – donc à la sincérité, à la neutralité et à l’objectivité de ses informations – qu’à son devenir économique puisqu’il est tout de même paradoxal que ce soient en l’occurrence les clients qui fixent les tarifs.

M. Francis Morel, président du syndicat de la presse quotidienne nationale. La presse quotidienne nationale est persuadée de l’utilité et de l’importance de l’AFP, la voix qu’elle fait entendre aux côtés de Reuters et d’AP étant particulièrement précieuse. Depuis la mise en place du statut de 1957, le monde a évidemment beaucoup changé. Pendant cette période, l’AFP s’est développée brillamment à partir de son marché de base sans songer à en conquérir de nouveaux – je pense, notamment, à l’information financière ou à la vidéo – à la différence de ses deux principaux concurrents. Cela lui était au demeurant impossible faute de moyens et d’une vision à moyen terme. Il importe donc de donner à l’Agence la possibilité de se développer en travaillant sur l’ensemble des secteurs de l’information et de disposer d’une vision à long terme sans qu’elle ait à rendre des comptes en permanence.

Si l’indépendance éditoriale est quant à elle fondamentale, elle n’est en aucun cas antinomique avec l’arrivée d’un actionnaire – notamment s’il est public puisqu’il est question de la Caisse des dépôts et consignations : j’entends dire, à ce propos, qu’une nationalisation serait épouvantable mais que penser d’une situation où l’AFP quémande sans cesse des subsides à l’État pour financer ses fins de mois ?

Je constate, de surcroît, que l’Agence n’est sortie que depuis trois ans, sous la présidence de Pierre Louette, de la spirale infernale des déficits. Il me semble donc indispensable de soutenir ce dernier afin que l’AFP ait une politique de développement à moyen terme.

Enfin, un toilettage des statuts serait insuffisant, le changement du mode de fonctionnement étant particulièrement impératif lorsque ce sont les clients qui votent les tarifs.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Pourriez-vous faire le point des désabonnements de la presse régionale ?

M. Michel Herbillon. Nous ne manquons ni d’imagination ni d’audace, monsieur Baube, mais nous manquons en revanche d’une certaine lisibilité : si tout le monde semble attaché à l’indépendance et au caractère international de l’AFP de même qu’à la nécessité de lui donner les moyens de son fonctionnement, les avis divergent quant aux solutions pour y parvenir. Une réflexion pourrait-elle se faire jour en la matière ?

Par ailleurs, en quoi l’État briderait-il une indépendance à laquelle nous tenons tous ?

Quelles évolutions précises la rédaction est-elle prête à accepter ?

Enfin, est-il question de nationalisation ou plutôt de privatisation, comme l’a laissé entendre le Syndicat national des journalistes (SNJ) ?

M. Patrick Bloche. Depuis 1957, les représentants de la presse quotidienne régionale et nationale étant majoritaires au conseil d’administration de l’AFP, ne convient-il pas de s’interroger sur ceux qui portent la responsabilité de l’ensemble des rendez-vous manqués auxquels il vient d’être fait allusion ? De plus, si les clients ne doivent pas en effet voter les tarifs, il n’en reste pas moins que ce système perdure depuis des décennies et que ce sont encore eux qui, ayant repris leur casquette de directeurs de journaux, les négocient ensuite à la baisse.

Par ailleurs, privatisation et nationalisation ne sont pas si contradictoires que cela : devenu actionnaire principal de l’AFP à travers la CDC, l’État pourrait en effet fort bien vendre ses participations.

J’ajoute que si l’indépendance de l’Agence est directement liée à celle de ses journalistes, il appartient également au législateur de la garantir, de même qu’aux membres de son conseil d’administration. A cet égard, comment envisagez-vous de la conforter à l’avenir tant vis-à-vis de l’État que de ses futurs actionnaires dont la presse ne sera pas forcément le cœur de métier ?

Mme Marie-George Buffet. Quel bilan précis peut-on dresser de l’activité de l’AFP ? On salue la grande agence internationale, la plus grande même sur le plan de l’information générale – alors que Reuters s’est concentrée sur les questions économiques et financières au détriment du reste de l’actualité –, on souligne son indépendance, mais, d’un autre côté, on affirme qu’elle a pris du retard et qu’elle a commis des erreurs de gestion. Où sont les problèmes, où sont les responsabilités ? Si l’investissement est freiné, doit-on incriminer le statut ou la gestion ?

L’expérience prouve qu’il n’y a aucune contradiction entre étatisation et privatisation : le changement de statut en société nationale « 100 % publique » permet par la suite une privatisation rampante. La société des journalistes évoque la possibilité de trouver de nouveaux financements à travers une fondation sans changement de statut. Pourquoi ne pas explorer cette voie ?

Enfin, quelles sont les intentions du Gouvernement ? Lors d’une conférence de presse organisée en août dernier, le président-directeur général de l’AFP, M. Pierre Louette, affirmait avec une grande assurance qu’un projet de loi nous serait soumis en première lecture avant la fin de l’année et que le changement de statut serait effectif au printemps 2010. Or, comme l’a indiqué la présidente Michèle Tabarot, aucun projet ne nous a été transmis !

M. Christian Kert. Les services de l’AFP ont, de façon légitime, un coût élevé qui rend presque inexorables les désabonnements de la presse écrite. Il est d’ailleurs à prévoir que celle-ci, à l’avenir, se consacrera plus à l’analyse qu’à l’actualité immédiate.

Pour ce qui est du statut, l’intersyndicale s’oppose à tout changement qui excéderait le « toilettage ». Pourtant, il est difficile d’envisager une évolution de l’Agence sans toucher au statut. On l’a vu par le passé : à chaque problème, l’AFP doit tendre la sébile à l’État. Une véritable réforme nous semble nécessaire, y compris, peut-être, en ce qui concerne les personnels, dont on nous a dit que le statut était avantageux.

M. Marcel Rogemont. Quels rapports les détenteurs de la décision – pour ne pas dire les détenteurs du capital – peuvent-ils entretenir avec les journalistes ? C’est une question qui concerne l’AFP, mais qui est aussi beaucoup plus large.

M. Jacques Grosperrin. Après une gestion quelque peu hasardeuse jusqu’en 1998, l’AFP a entrepris, non sans courage, un certain redressement. Alors que l’article 12 de la loi de 1957 prévoit que l’Agence ne peut afficher de pertes, les dépenses ont progressé de 25 % entre 1998 et 2000. Vous indiquez, monsieur Baube, que l’AFP est présente dans tous les pays du monde et est traduite en six langues. Qu’en est-il de l’organisation des autres agences ? Certaines gagnent de l’argent, ce qui n’est pas un mal en soi. Quelles solutions préconisez-vous ? La dernière partie de votre intervention nous laisse un peu sur notre faim.

M. Michel Françaix. Voilà cinquante ans que l’on soulève les mêmes questions au sujet de l’AFP : faut-il en faire ou non évoluer le statut, à quel rythme, etc. ? Il serait bon, au préalable, de savoir si l’État et le Parlement ont une idée précise de ce qu’ils souhaitent. Voulons-nous une agence véritablement internationale ? Dans ce cas il conviendrait de s’intéresser aux marchés financiers car il est à craindre que les choses ne deviennent compliquées pour le budget de l’État.

L’AFP a réussi son évolution dans le domaine de la photographie, elle donne la priorité à l’information numérique, mais il est des domaines dont il faut se demander s’ils correspondent à sa vocation.

Le statut de l’Agence est incompréhensible, on le sait, et pourtant ça marche. Certes, il y a eu d’importantes difficultés et les responsables successifs en portent une lourde responsabilité. Il fut une période où la presse régionale tenait véritablement l’AFP et bloquait toute évolution car cela ne l’intéressait pas – pour une raison d’ailleurs fort compréhensible : elle était cliente et non pas actionnaire. Dès lors qu’elle n’y trouve plus son intérêt, il est normal qu’elle envisage de se désabonner.

Donner un rôle plus important à l’État n’est pas une mauvaise idée. Il est cependant à craindre, étant donné l’importance des ambitions affichées, que celui-ci ne soit très vite obligé de sous-traiter. La « nationalisation » ne serait alors qu’un passage vers d’autres formes dont on peut se demander si elles ont été bien étudiées.

Quoi qu’il en soit, je suis heureux d’entendre les syndicats de presse affirmer la prééminence de l’indépendance éditoriale. Je ne doute pas qu’ils seront les premiers à se battre pour que tous les journaux jouissent de cette indépendance et disposent d’une charte rédactionnelle !

Certes, une évolution est nécessaire, mais pourquoi vouloir soudainement avancer à marche forcée alors que la prudence a été de mise pendant de si nombreuses années ? Nous devons d’abord savoir à quoi sert l’AFP, ce qu’elle doit faire pour être avant tout une agence internationale et pour éviter de répéter les fautes lourdes commises par Reuters, et quels sont ses objectifs.

M. Alain Marc. L’arrivée de la Caisse des dépôts et consignations comme actionnaire de l’AFP serait à mes yeux une bonne chose et ne remettrait nullement en cause l’indépendance des journalistes. Je trouve désolante la suspicion selon laquelle la présence d’un actionnaire serait attentatoire à cette indépendance. Par ailleurs, l’hésitation quant à l’évolution du statut demeure. Vous avez demandé au législateur de faire preuve d’imagination, monsieur Baube. Permettez-moi de vous retourner la demande : qu’attendez-vous réellement ? Nous aimerions que vous soyez plus précis.

Mme Martine Martinel. En janvier sera lancée une agence de presse en ligne, l’ACP (Agence centrale de presse), filiale du groupe Imacom, qui prétend ne pas entrer en concurrence avec l’AFP au prétexte qu’elle proposera, non pas des dépêches, mais des articles de fond. Quelle est l’opinion des intervenants à ce sujet ? Alors que nous n’avons été saisis d’aucun projet de loi, une information de type « fast food » ou « clés en main » ne risque-t-elle pas de venir concurrencer l’Agence ?

Mme Pascale Crozon. Quelles parts de marché l’AFP détient-elle par rapport aux deux autres agences de taille mondiale ?

M. Olivier Baube. La Société des journalistes considère que l’agence doit évoluer et qu’elle a besoin de moyens financiers pour le faire. Comme j’ai tenté de l’expliquer, une « nationalisation » soulèverait des difficultés. D’autres voies sont restées inexplorées. L’idée d’une fondation, un temps évoquée, semble poser des problèmes en droit français : dont acte. Mais le fait que l’État siège au conseil d’administration en tant qu’unique actionnaire est lourd de menaces.

On pourra m’objecter que la BBC ou Radio France sont publiques à 100 % et totalement indépendantes. Mais nous ne nous situons pas dans la tradition britannique de la BBC et nous n’avons pas le caractère très « franco-français » de Radio France. Les menaces sont liées au contexte international.

Bien sûr, l’actionnariat de l’État n’est pas forcément synonyme de prise de contrôle politique, mais on ne peut écarter cette possibilité. C’est ce qui nous inquiète. En même temps, l’État est un partenaire indispensable et il est quelque peu contradictoire de lui demander de payer sans jamais intervenir.

M. Alain Marc. Arrêtez de vous faire peur !

M. Michel Herbillon. Votre attachement à l’indépendance est légitime mais que préconisez-vous pour donner à l’Agence les moyens de son développement ?

M. Olivier Baube. Nous pensons que la dotation en capital est une bonne chose. L’État est un partenaire essentiel de l’AFP depuis sa création. Sa contribution actuelle s’élève à 40 % du chiffre d’affaires – contre 75 % auparavant, ce qui prouve que l’Agence est capable de gagner de l’argent. On imagine mal que d’autres partenaires, comme la presse régionale et nationale, soient à même de contribuer à cette dotation. Pour autant, ce processus implique-t-il la constitution d’une société où l’État serait le seul actionnaire ? À mon sens, il faut trouver une autre solution. Mais je ne suis expert ni en matière juridique ni en matière comptable. Au risque de vous décevoir, je ne puis vous présenter un projet déjà « ficelé ». Voilà pourquoi j’ai pris la liberté de vous demander de faire preuve d’imagination : vous avez les moyens de chercher d’autres voies.

M. Alain Marc. Il convient bien entendu d’éviter toute influence sur la ligne éditoriale, mais il serait inconcevable que l’État ne soit pas représenté au conseil d’administration, ne serait-ce que parce qu’il voudra éviter tout risque de gabegie. On ne peut lui demander de l’argent tout en lui refusant un pouvoir d’intervention en matière de gestion !

M. Olivier Baube. Bien sûr. Aujourd'hui, l’État a déjà trois représentants au conseil d’administration. Mais il ne dispose pas de la majorité. N’ayant pas de capital, l’agence appartient à tout le monde et à personne, là est bien la difficulté. Si l’État, actionnaire unique, en devient le propriétaire de fait, cela rompt un équilibre et change la donne.

M. Jacques Grosperrin. Vous dites vous-même que l’État siège déjà au conseil d’administration. Que craignez-vous ?

M. Olivier Baube. Le projet présenté par le président de l’AFP prévoit de ramener le conseil d’administration à 9 membres : 3 représentants de la Caisse des dépôts, 3 membres nommés par ces représentants, 2 représentants du personnel, enfin le PDG. Cela donne un pouvoir absolu à l’État. Sans doute y a-t-il une forme juridique à inventer...

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je rappelle que les propositions évoquées proviennent d’un rapport rendu par M. Louette. À l’heure actuelle, le Gouvernement n’a rien transmis à l’Assemblée, si bien que nous ne pouvons débattre d’éléments concrets : la discussion est encore très ouverte.

M. Pierre Jeantet. Pendant les 17 ans que j’ai passés à l’AFP, je faisais les mêmes critiques que M. Françaix.

On pourrait résumer les questions posées par la formule : « Recherche actionnaires désespérément ». Dans la mesure où l’entreprise n’a pas d’actionnaires, les administrateurs représentant tel ou tel secteur sont des auditeurs libres. Ils ne sauraient présenter des projets de développement puisqu’ils ne peuvent en attendre un retour économique et ne risquent pas leur argent. Que la presse quotidienne ait, par le passé, bloqué le développement de l’AFP, sans doute, même si elle ne représentait que 10 % du chiffre d’affaires : son intérêt était que l’Agence réponde bien aux attentes de ses journaux ; en quoi le développement d’un service en arabe dans toute une partie du monde – remarquable réussite qui fait de l’AFP la première agence de langue arabe – l’aurait-elle concernée ?

M. Michel Françaix. Peut-être la PQR ne représentait-elle que 10 % des débouchés mais elle réclamait 55 % en matière de décision tandis que les radios et les télévisions souhaitaient de leur côté une meilleure représentation. En défendant leurs intérêts légitimes de clients, vos prédécesseurs n’ont pas permis à l’Agence d’évoluer au rythme que nous aurions souhaité. Ce n’est pas faute d’imagination de la part des journalistes de l’AFP ou d’autres personnes. À l’époque, un certain immobilisme arrangeait tout le monde.

M. Pierre Jeantet. L’AFP n’a jamais cessé d’avoir des projets, tant pour ses métiers de base qu’en matière de diversification. Mais les investissements consacrés à cette diversification n’étaient pas du tout à la hauteur des marchés mondiaux sur lesquels l’Agence voulait s’implanter. Il n’y avait pas de capital et le seul payeur, a posteriori plutôt qu’a priori, était l’État. L’AFP a finalement profité de plans pluriannuels de développement, mais l’originalité de la proposition de l’actuel PDG – qui a eu le mérite de retrouver un équilibre d’exploitation durable – est de permettre une plus grande anticipation en mettant à contribution le même financeur, tant pour faire face aux problèmes de pérennité de l’Agence que pour l’aider à prendre pied sur de nouveaux marchés.

Par ailleurs, les besoins en information de la presse régionale ont évolué. L’information nationale et internationale fournie par l’AFP est devenue beaucoup moins importante du fait de la concurrence des médias « chauds » : l’Internet, la télévision, la radio. Nos journaux se concentrent donc sur l’information de proximité, qu’ils vont chercher seuls, ou sur le décryptage des répercussions locales de tel ou tel événement national ou international. C’est ainsi qu’un groupe de presse possédant plusieurs journaux régionaux a pris le parti de ne pas se réabonner à l’AFP, tandis que les autres organes ont renégocié des offres de services et des tarifs correspondant à leurs besoins du jour.

Il y a des précédents : je me rappelle une période où Le Dauphiné libéré et Le Progrès s’étaient désabonnés pour créer cette ACP qui semble aujourd'hui, aux dires de Mme Martinel, renaître de ses cendres et qui offrait un service plus réduit et plus « clés en main ». Cela dit, il n’a jamais été question, dans notre groupe – Sud-Ouest –, de remettre en cause un abonnement à l’AFP car c’est un élément indispensable à l’information de nos propres journalistes, même si, désormais, ils travaillent beaucoup avec Google et une multitude d’autres sources. Par ailleurs, nos rédactions proposent leurs propres services en ligne. Le monde a changé, l’offre de l’AFP aux journaux aussi. Cela ne signifie pas que la presse régionale n’en veut plus.

M. David Douillet. Alors que l’on trouve tout et n’importe quoi sur l’Internet, l’AFP procède à de multiples vérifications et offre des informations fiables. Pour éviter, comme on semble le craindre, qu’elle ne devienne la Pravda, ne pourrait-on explorer la piste des investisseurs privés que sont les clients de l’Agence – en dépit de l’inconvénient d’avoir des actionnaires qui négocieraient aussi les tarifs ?

Mme la présidente Michèle Tabarot. C’est un peu sur ce principe que fonctionne Associated Press.

M. Olivier Baube. En effet, mais le marché français est insuffisant pour assurer le fonctionnement d’une coopérative de ce type sur le marché international. C’est pourquoi le financement de l’AFP provient en grande partie de l’État. Cela étant, c’est aux intéressés de répondre : sont-ils prêts à participer financièrement à l’AFP ?

M. Pierre Jeantet. Les gros clients de l’AFP sont des agences. Dans le cas d’AP, les journaux actionnaires décident de la stratégie. Comme les journaux français ne représentent qu’une petite partie du marché international de l’AFP, il faudrait faire entrer au capital les grandes agences nationales ou internationales. De toute façon, la part des journaux français resterait faible au regard du chiffre d’affaires.

M. Olivier Baube. Dans cette hypothèse, il faudrait en effet que des clients étrangers entrent dans le capital d’une agence française.

M. David Douillet. Et alors ? Toute entreprise française est susceptible d’avoir des actionnaires étrangers.

M. Francis Morel. C’est la première fois que j’entends tout le monde convenir que l’AFP a besoin d’argent...

M. Michel Herbillon. Cela prouve que le consensus progresse.

M. Francis Morel. L’Agence doit avoir des projets de développement à moyen ou à long terme. Il est sans doute préférable de trouver une meilleure solution que le recours à l’argent public. Attirer de l’argent privé en conviant les clients autour de la table, pourquoi pas, mais il faut alors qu’il y ait un ou deux actionnaires principaux et non pas dix, comme ce serait le cas si l’on faisait entrer aujourd'hui les clients au capital : en effet aucun ne se sentirait réellement concerné par le développement de l’entreprise.

Dans le domaine de la presse, il existe en France une coopérative : les NMPP, qui ne sont pas précisément un modèle de fonctionnement.

M. Michel Herbillon. En d’autres termes, il serait selon vous préférable de trouver une solution autre que le seul argent de l’État et il faudrait aussi que les clients actionnaires privés soient en nombre limité.

M. Francis Morel. Un actionnaire doit être concerné par le devenir de la société dans laquelle il investit. Ce n’est pas le cas s’il en détient seulement 3 ou 4 %.

M. David Douillet. Cela dépend : s’il est client...

M. Francis Morel. C’est quelque chose qui fausse complètement les relations. Au moment du vote des tarifs, le client actionnaire est dans une situation schizophrénique !

C’est pourquoi la solution des capitaux parapublics de la CDC me semble bonne : l’actionnaire s’impliquera dans les décisions de l’entreprise.

Il conviendra également de retravailler la gouvernance. Cela mérite que l’on s’y arrête mais il ne faudra pas y passer trop de temps : le temps qui passe travaille contre l’AFP. J’ignore le projet de l’ACP, mais il s’agit d’un concurrent potentiel. Il faut donc que l’Agence avance vite.

M. Pierre Jeantet. La plupart des clients de l’AFP dans le monde sont en panne de modèle économique. Le New York Times a frôlé la faillite cet été. Les ventes de la presse écrite déclinent au profit de l’Internet, où nous sommes présents. Les grands groupes nationaux et internationaux se battent pour leur survie. Ils sont eux aussi à la recherche de capitaux pour investir dans leur modernisation. Je doute qu’il y ait là une piste pour l’AFP, qui risque plutôt de se trouver amenée à devoir aider ses clients en abaissant ses tarifs. Le problème est bien l’érosion de la clientèle traditionnelle.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je vous remercie pour cet échange très intéressant. Nous nous reverrons sans doute lorsqu’un projet se trouvera effectivement sur la table.

La réunion est suspendue à onze heures vingt-cinq.

Elle reprend à onze heures trente.

La Commission entend M. Claude Moisy, journaliste, ancien PDG de l’AFP de 1990 à 1993, M. Bertrand Eveno, ancien PDG de l’AFP de 2000 à 2005, M. Patrick Eveno, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et M. Gideon Kouts, président de l’Association de la presse étrangère, sur l’avenir de l’Agence France Presse.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Je suis heureuse de saluer la présence de deux anciens présidents de l’Agence France Presse, MM. Claude Moisy et Bertrand Eveno, de M. Patrick Eveno, universitaire, et d’un représentant de la presse étrangère, M. Gideon Kouts, qui pourra nous donner une autre vision de l’agence.

M. Claude Moisy, journaliste, ancien PDG de l’Agence France Presse de 1990 à 1993. J’ai eu le privilège d’assister à la première audition de ce matin et j’ai trouvé que nombre de points très intéressants avaient été abordés, mais dont il faut bien dire qu’ils ne peuvent en rien aider à répondre au problème du jour. La question de l’avenir, de la pérennité de l’Agence France Presse est en effet exclusivement fonction de la volonté de l’État – c’est-à-dire de l’exécutif et du législatif.

L’Agence France Presse est une invention de l’État. J’y suis entré en même temps que naissait le statut d’indépendance de 1957 et j’ai vécu ses évolutions jusqu’en 1993. Je sais qu’elle n’a été créée que par la volonté du politique et qu’elle ne s’est ensuite développée – constamment, contrairement à ce que j’ai entendu ce matin – que grâce à elle, quels qu’aient été par ailleurs le travail et la conscience professionnelle de ses journalistes. L’État n’est jusqu’à maintenant jamais revenu sur l’idée que l’Agence France Presse était bonne pour la France. La question est de savoir si cette volonté existe toujours.

Si c’est le cas, il n’est pas utile de passer des heures à parler de la réforme du statut. Le statut de l’Agence France Presse est idiot. Il ne tient pas debout, c’est un ovni, pas une seule entreprise au monde ne pourrait avoir le même – mais il a fonctionné, parce que le président Jean Marin avait posé dès le départ le principe que celui qui paye ne commande pas. C’est ce qui s’est passé pendant cinquante ans, et ce n’est pas absurde puisque la BBC à Londres et NHK au Japon fonctionnent dans les mêmes conditions. Discuter de privatisation ou de nationalisation rampante est donc complètement inutile. Si l’État continue à estimer que l’existence de l’AFP est bonne pour la France, tout va bien – il n’a qu’à continuer à payer. Sinon, aucune modification du statut ne pourra jamais rendre l’agence rentable – au niveau mondial s’entend, parce qu’elle peut l’être au plan national – tout simplement parce que le marché de l’information générale ne l’est pas.

Que ce soit bien clair : je ne suis pas en train de plaider pour que l’État soutienne l’Agence. Il lui appartient de prendre la décision et je comprendrais très bien que dans les conditions financières actuelles il considère, comme pour le Concorde par exemple, qu’il n’en a pas les moyens. Mais il doit le dire. Faire croire qu’on assurera l’avenir de l’Agence en modifiant son statut est une supercherie.

M. Bertrand Eveno, ancien PDG de l’Agence France Presse de 2000 à 2005. Claude Moisy a tout à fait raison de poser le problème ainsi, mais je pense qu’il faut aussi s’intéresser aux mécanismes de détail. Mes cinq années dans la maison m’ont donné beaucoup de bonheur, mais ont aussi fait porter un poids considérable sur mes épaules et je pense que certains aspects du fonctionnement concret de l’Agence se dégradent.

Il est à mon sens clairement nécessaire de lui donner un statut moderne. Le statut de 1957 avait un sens à l’époque. Il n’est pas idiot – seulement dépassé – et était même spécialement subtil, avec des mécanismes internes très intéressants. Il correspondait parfaitement à un monopole national monoproduit – le service à la presse écrite. Mais aujourd’hui, la société de l’information a un tout autre visage. Elle est internationale et comprend bien d’autres médias que la presse écrite, sans même parler du développement de l’information sur les téléphones mobiles par exemple. La modification de son statut doit donner à l’Agence une chance de se développer sur ces nouveaux marchés.

Mais il ne s’agit pas de couper le cordon avec la nation française et l’État. L’idée de privatiser l’entreprise n’a aucun sens, puisqu’elle n’est pas rentable. Aucun actionnaire n’y gagnera d’argent – mais une entreprise peut se développer avec un déficit chronique. L’agence est une mosaïque des contraires, il suffit de trouver son point d’équilibre. Il faut la développer dans le sens des nouveaux marchés : à l’international, avec des investissements en technologie et en hommes – rappelons que la masse salariale représente 70 % de son budget – et en concluant des partenariats équilibrés, dans les produits et les services. Mais il faut lui en donner les moyens.

Pour cela, il lui faut un conseil d’administration qui soutienne ce développement. A mon époque, et quelle que soit leur valeur par ailleurs, les membres du conseil n’étaient pas orientés vers cette question. Il y avait très peu de journalistes de rédaction et de représentants des nouveaux médias, et aucun représentant de l’international – pourquoi pas un Belge, un Canadien ou un Japonais dans le conseil d’administration ? Le PDG s’appuyait donc sur un conseil à la vision très étroite.

Je pense donc qu’il faut réformer le statut de l’AFP. Ce sera très difficile : il faut une loi pour cela, dont certaines dispositions seront soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Un principe fondamental me semble être que le projet de réforme ne soit pas partisan. C’est le seul moyen de respecter l’équilibre de l’Agence, qui tient notamment à son indépendance – et à celle de son président qui doit lui aussi être nommé de façon non partisane. Le statut de 1957 résultait d’un compromis historique entre les forces de l’époque : SFIO, MRP, indépendants, radicaux, UDSR et sans doute gaullistes. Il organisait un équilibre assez subtil, garanti par plusieurs éléments : l’article 2, le conseil supérieur, le PDG élu au premier tour avec beaucoup de voix, des représentants de l’État qui ne sont pas seulement des fonctionnaires, mais aussi des politiques… et enfin la présence de Jean Marin.

La bonne réforme ne sera donc pas le projet « Louette », même s’il fait un travail remarquable, ni celui du Président de la République, mais le projet de la nation. Dans un pays où l’on est capable de faire fonctionner une commission Juppé-Rocard ou Balladur-Lang, ce projet doit être un compromis entre toutes les forces politiques de la nation. C’est essentiel. L’Agence France Presse est une entreprise spéciale d’intérêt national – un peu comme la Comédie française, ou le Collège de France par exemple. Pour en traiter, il faut faire preuve d’un peu d’imagination. Ainsi que l’avait dit le professeur Rivero, le conseil supérieur de l’Agence devrait être une conjonction de professionnels et de sages – le tout béni par l’État et la représentation nationale. C’est cela qui permettra de faire du bon travail.

M. Patrick Eveno, professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. J’interviens ici en tant qu’historien. Je n’ai donc ni bilan, ni intérêts futurs à défendre. Mon travail porte simplement sur les médias depuis plus de vingt ans.

La volonté de réformer le statut de l’Agence France Presse est motivée par des faits réels, mais aussi par quelques illusions. La question du statut dérogatoire de l’Agence comme d’un certain nombre d’entreprises de presse est typiquement française. Elle date de la Libération et de la IVème République. On compte dix-huit projets de loi sur le statut des entreprises de presse, qui n’ont jamais vu le jour, vingt-huit textes majeurs sur le statut de l’audiovisuel et, jusqu’en 1955 en tout cas, de nombreux projets relatifs à l’Agence France Presse… Jean Marin, qui était un ami à la fois de François Mitterrand et du général de Gaulle, a réussi à obtenir un statut particulier, mais fait par lui et pour lui, ce qui ne pouvait pas manquer de poser des problèmes par la suite.

Le grand mérite de ce statut a été de stabiliser quelque temps l’Agence, mais dans un équilibre délicat. Le problème est que toutes les tentatives pour soustraire l’AFP, ou d’autres, au statut commun des entreprises de presse font apparaître une tutelle pesante de l’État. Ces entreprises naviguent sans cesse à vue entre des pressions qui engendrent des perversités dans leur gestion. Le seul moyen pour elles d’assurer leurs revenus est de délivrer une information au-dessus de tout soupçon : sans confiance, pas de clientèle. Mais faute de rentabilité, les pressions des actionnaires sont importantes, ajoutées à celles des clients et annonceurs le cas échéant, du personnel, des politiques et de l’État – c’est-à-dire souvent le Président de la République. Or, une agence internationale ne peut être rentable si l’information est sa seule source de financement – Associated Press l’a été un certain temps, mais grâce aux mille cinq cents quotidiens américains. L’agence Havas était rentable avant guerre parce qu’elle vendait aussi de la publicité, et Reuters vend des services financiers. Leurs fils d’information ne sont pas rentables. L’agence France Presse est à l’équilibre grâce aux subsides de l’État – une centaine de millions par an. Cela vaut-il le coup ou non ? Ce n’est pas à moi d’en décider.

M. Michel Herbillon. Mais quelle somme serait nécessaire pour que l’Agence se développe ?

M. Patrick Eveno. Faute de rentabilité donc, reste la question de l’indépendance, qui fonde la confiance accordée à l’AFP. Ce qui soulève forcément la question de la direction de l’entreprise. L’État a toujours cherché à influencer l’opinion, les gouvernements, de gauche et de droite, à orienter les médias. Cela ne peut que s’opposer à la fiabilité de l’Agence. Cette volonté de contrôle est d’ailleurs illusoire. Les pouvoirs publics sont aussi impuissants à contrôler l’opinion que les politiques à contrôler les médias et l’Agence elle-même ses propres journalistes. Le résultat est une désillusion constante des politiques qui conduit à l’éviction régulière des présidents de l’Agence – une dizaine depuis 1975 ! – et à une grande instabilité. Cela a aussi mené à renforcer le pouvoir des syndicats et la cogestion au sein de l’Agence, ce qui peut certes être une bonne chose, mais pas du point de vue de son avenir parce que la cogestion se fait toujours sur les acquis du passé.

Une solution pourrait être de créer un conseil de presse autonome, qui serait l’arbitre qui recevrait toutes les plaintes – du public, des clients et même des politiques – et rendrait des avis motivés, améliorant ainsi la transparence de l’ensemble du système. Mais quelles que soient les modifications apportées au statut de l’entreprise, cette solution risque de ne pas suffire. L’évolution des médias est telle depuis cinquante ans, en France, qu’il est trop tard pour les réintégrer dans un marché d’ailleurs en pleine déliquescence, et trop tard pour alléger la tutelle de l’État. Il faut donc trouver un autre moyen pour limiter les effets les plus néfastes de la situation.

M. Gideon Kouts, président de l’Association de la presse étrangère. Merci de m’avoir invité ici à exprimer le regard des journalistes étrangers sur ce grand organisme international. Je n’entrerai évidemment pas dans les questions de structure ou de statut de la société. Je me placerai uniquement du point de vue de la liberté de la presse et de son indépendance, et pourrai vous donner certains détails pas forcément très connus du regard que portent les journalistes étrangers sur l’AFP.

La plupart d’entre eux considèrent d’abord qu’un brusque passage à une structure privée ne pourrait être que contraire à la liberté de la presse et créerait une grande instabilité. Mais surtout, ils évoquent les deux aspects de l’agence. D’une part, elle joue un rôle plus important que bien d’autres organismes internationaux parce qu’elle est représentée dans nombre de pays, en Afrique par exemple, où il n’y a presque pas de journalistes indépendants – elle peut donc avoir accès à des informations essentielles – et qu’elle emploie des journalistes de quatre-vingt nationalités. Mais, d’autre part, elle est perçue, surtout par les journalistes anglo-saxons, comme une agence officielle de l’État français et elle gardera cette image quelles que soient les modifications de son statut.

Le regard français peut être très rafraîchissant, et il est très important pour ceux qui dépendent exclusivement de l’information anglo-saxonne – comme c’est le cas dans mon pays, Israël, où l’AFP est très peu utilisée sauf par les médias qui ont besoin d’une information immédiate, parce que les autres canaux sont beaucoup plus lents. Mais à force de vouloir étendre son réseau, l’Agence France Presse emploie beaucoup de pigistes et de correspondants locaux aux salaires très bas, qui dépendent des autres instances du pays et délivrent une information pas toujours objective. C’est le cas dans différentes régions du monde. Certains correspondants en Afrique subsaharienne travaillent ainsi, sous des pseudonymes, à la fois pour l’AFP et RFI, voire pour l’AFP et Reuters, en s’adaptant au style de l’agence concernée ! Or, l’AFP est perçue comme l’agence où les journalistes parviennent le mieux à exprimer leur propre opinion, malgré toutes les règles qu’ils doivent suivre. Les anglo-saxons, très fidèles à leur modèle classique, l’accusent de promouvoir des opinions non indépendantes.

Mais plus que la notion d’indépendance, c’est la notion de responsabilité qui importe. Qui sera responsable de l’information transmise par la nouvelle structure ? L’État français – même si ce n’était pas lui, cela serait toujours perçu ainsi. Il faut savoir si l’AFP est maintenant capable de prendre un autre type de responsabilité, ou si la privatisation mènera à l’irresponsabilité. Les problèmes de la presse écrite ont été remarquablement traités en France par des états généraux qui ont été appréciés, voire admirés dans beaucoup de pays du monde. On peut toujours accuser le Président de la République de faire de la politique politicienne, reste que s’occuper du problème au niveau de l’État a été très positif pour l’image des médias français. Une commission qui travaillerait sérieusement sur le nouveau statut est donc la meilleure solution non seulement pour l’Agence elle-même, mais pour son image dans le monde, qui se traduit en termes d’éventuels clients.

Je dois enfin vous dire que les correspondants étrangers en poste à Paris utilisent principalement l’AFP pour l’information française et relative aux pays où il n’y a pas d’autre correspondant, et moins pour l’information internationale en général. Par ailleurs, et c’est paradoxal, il est possible que la crise de la presse écrite soit favorable aux agences de presse : les journaux envoyant de moins en moins de correspondants à l’étranger, dans le contexte du développement d’internet, le rôle des agences de presse se trouve augmenté.

M. Michel Herbillon. Je remercie chacun des orateurs pour leurs propos très intéressants. Nous avons eu la chance d’entendre deux anciens patrons de l’agence, attachés à son développement. Je voudrais savoir pour quelles raisons M. Moisy doute de la volonté de l’État de continuer à soutenir l’Agence France Presse, une des trois plus grandes agences internationales. Je voudrais aussi qu’il nous dise, ainsi que M. Bertrand Eveno, comment la réforme, si réforme il y avait, pourrait être menée. On y voit un peu plus clair aujourd’hui sur les orientations stratégiques à faire prendre à l’AFP. Par ailleurs, un consensus existe pour préserver absolument l’indépendance de l’Agence – qui doit fonctionner de façon non partisane, selon l’expression de Bertrand Eveno – et pour lui donner les moyens de son développement – il n’est qu’à se référer à l’article du président Moisy dans le Monde sur les rendez-vous qu’elle a manqués faute de moyens, à commencer par celui des nouvelles technologies. Mais si tout le monde est d’accord pour l’aider à répondre à ces défis, comment faire pour préserver cette mosaïque des contraires, respecter ces équilibres sensibles, bref, rendre la réforme non partisane ? Le législateur n’est pour l’heure saisi d’aucun projet. Il a juste connaissance des propositions de l’actuel président de l’Agence, qui soulèvent de nombreuses critiques et ne semblent pas vous convenir. Si vous étiez en responsabilité, que feriez-vous ?

M. Patrick Bloche. Avouons-le : notre opinion est loin d’être façonnée.

Messieurs, vos interventions ont été passionnantes, mais on a mis la charrue avant les bœufs en évoquant le statut avant le modèle économique pérenne de l’AFP. Comme cela a été dit, un verrouillage du conseil d’administration a empêché l’ouverture aux nouveaux médias, qui aurait sans doute créé les conditions d’une dynamique.

La presse écrite n’ayant jamais connu une crise aussi forte, elle sera inévitablement amenée, au mieux, à demander une révision à la baisse de ses tarifs d’abonnement, au pire, à se désabonner. La presse écrite nationale représentant 30 % des revenus de l’AFP – à côté de l’État à hauteur de 40 % et de l’international pour 30 % –, quel peut être, selon vous, le modèle économique de l’agence ?

Si l’AFP affiche aujourd’hui un budget de fonctionnement en équilibre, elle doit consentir des dépenses d’investissement pour se développer. Ne revient-il pas à la puissance publique d’assurer ces dépenses pour garantir l’avenir de l’entreprise ?

Le statut existe depuis cinquante-deux ans et il a fonctionné. Nous sommes donc perplexes. Selon M. Moisy, celui qui paie ne commande pas, selon M. Eveno, l’AFP est une entreprise spéciale d’intérêt national, et qui dit entreprise spéciale dit statut spécial. Pour nous, l’essentiel est l’indépendance des journalistes, condition du pluralisme de l’information – la source AFP étant reprise par l’ensemble des médias – et argument commercial le plus fort de l’entreprise. Cette indépendance lui assure son statut et sa reconnaissance internationale.

Le projet de statut, qu’on a pu lire dans la presse, prévoyant neuf membres, dont trois représentants de la CDC et trois personnalités qualifiées nommées par eux, l’État deviendrait majoritaire au sein du conseil d’administration. Or ne faut-il pas plutôt un conseil d’administration de professionnels, qui permettrait de renforcer non seulement la dimension internationale, mais aussi francophone de l’AFP ?

M. Michel Françaix. Monsieur Bertrand Eveno, vous avez réussi le virage de la photo internationale, mais d’autres domaines n’ont pas dû aller au rythme que vous auriez souhaité. Êtes-vous en train de nous dire que, s’il y a un nouveau statut rapidement, l’AFP ira mieux ? Si oui, il faut effectivement aller vite.

Selon Claude Moisy, ou il y a une volonté politique ou il n’y en a pas... Depuis 1957, elle a toujours été présente, mais par à-coups. Quelles garanties avons-nous que les choses avanceraient en douceur avec le statut dont on entend parler ? L’idée intéressante d’une « entreprise spéciale d’intérêt national », avec peut-être une commission de sages, est-elle le moyen de réguler les choses ? Nous devons en effet veiller à ne pas remettre en cause l’indépendance de l’AFP dans le monde, au risque de porter tort à l’entreprise, mais aussi à la France.

Mme Martine Martinel. Je remercie tous les intervenants pour leur exposé passionnant.

Monsieur Bertrand Eveno, parlant de cet équilibre sensible où tout le monde semble d’accord pour ménager le statut de l’Agence et préserver cette idée d’indépendance, vous avez évoqué la conjonction de professionnels et de sages.

Monsieur Patrick Eveno, vous avez fait preuve, me semble-t-il, d’une certaine défiance vis-à-vis du pouvoir des syndicats qui, se fondant davantage sur le passé, seraient incapables de prévoir l’avenir. Pourriez-vous préciser ce point ?

M. Dominique Le Mèner. Ne serait-il pas utile d’adosser l’ensemble du statut à une charte de déontologie des journalistes ?

M. Claude Moisy. Je ne mets pas en doute la volonté, que je ne connais pas, du Parlement. C’est le Gouvernement qui a chargé l’actuel président de l’AFP de proposer un projet de réforme, au motif semble-t-il que l’AFP sollicite perpétuellement le budget de l’État pour son fonctionnement et ses investissements. J’ai donc eu l’impression que l’exécutif souhaitait passer le bébé à une autre structure pour s’occuper de l’AFP.

Deuxièmement, l’indépendance, dont vous parlez abondamment, n’est pas le problème de l’AFP. Si les médias et le marché de l’information à l’étranger ont eu des doutes sur son indépendance à la fin des années cinquante et au début des années soixante quand elle est sortie de son statut d’agence d’État, je peux vous dire, en tant qu’ancien président et que journaliste ayant passé trente ans de sa vie à l’étranger, que leur attitude a évolué assez vite car l’information internationale de l’AFP n’était pas tellement différente de celle des autres agences, quel que soit leur statut. Pour moi, ce grand discours perpétuel sur la nécessité de préserver l’indépendance de l’Agence France Presse est une tarte à la crème politico-syndicale, un conflit idéologique entre la droite et la gauche. Les dépositaires de son indépendance sont ses 1 200 ou 1 300 journalistes : il dépend de chacun d’entre eux de produire une information indépendante ou pas. Le poids de l’État réside seulement dans son contrôle absolu en matière de nomination et de renouvellement d’un président puisque, en raison de la répartition de ses trois voix, il a un droit de veto sur la nomination du président. Les conflits ou tentatives de pression à longueur d’année sur la direction de l’Agence pour que tel sujet soit moins évoqué que tel autre portent toujours sur la politique et les affaires franco-françaises. L’indépendance de l’AFP ne doit pas être vue uniquement sous l’angle de sa relation avec l’État : les pressions viennent de tous horizons, non seulement des ministres, mais aussi des clubs sportifs, des entreprises, des acteurs de cinéma, de tous les gens qui se servent des médias. Tous ceux dont l’intérêt, par la nature de leur activité, est de se projeter d’une façon favorable dans les médias cherchent à les influencer, ce problème n’étant pas spécifique à l’AFP. Bref, il ne faut pas être obnubilé par cette histoire d’indépendance pour réformer le statut de l’Agence.

Troisièmement, j’ai beaucoup entendu ici parler des ratés de l’Agence dans les étapes de son développement, en particulier du financement des investissements qui auraient été nécessaires pour s’adapter aux modifications du marché de l’information. Or son statut lui a permis de prendre beaucoup de virages indispensables à son développement : elle s’est adaptée à l’outil informatique au milieu des années soixante-dix, a été la première à consentir les investissements nécessaires dans le domaine du transport de l’information par les réseaux satellitaires, et a réussi dans le domaine de la photo internationale. Quant au virage de l’information économique, il n’a pas été pris, contrairement à l’agence Reuters qui est passée dans les années soixante-dix d’une agence d’information générale à une agence d’information économique. Cependant, ce n’est pas l’information financière qui a sauvé Reuters de la faillite, c’est sa transformation en instrument des marchés financiers : elle a inventé des équipements, des réseaux, des systèmes informatiques permettant aux entreprises financières de travailler plus rapidement. Ce virage économique, l’Agence France Presse ne pouvait pas le prendre à l’époque car Paris n’était pas une place financière et car le français n’était pas une langue économique et financière. D’ailleurs, qu’aurait-on entendu si l’AFP avait transformé 500 journalistes français en 500 journalistes anglais ou américains pour créer un service financier susceptible de réussir sur le marché ?

M. Bertrand Eveno. L’AFP aujourd’hui, c’est 110 millions d’euros de subventions de l’État – en achats de services – et 170 millions de recettes commerciales gagnées « à la sueur de son front ». Or s’agissant de ces dernières, l’AFP détient la quasi totalité de son marché français et francophone et il n’est pas envisageable qu’elle y double son chiffre d’affaires. Ses marges de croissance doivent donc être recherchées du côté des marchés non francophones, dont elle détient au grand maximum 30 %. Dans le domaine de la photo, l’AFP est passée, en sept ans, de 10  à 30 millions d’euros de chiffre d’affaires, ce qui est remarquable. Il y a aussi des marges de progression dans la vidéo, dans le service arabophone, et l’on peut imaginer des accords de partenariats pour des langues aujourd’hui traitées à la marge, comme le brésilien, ou non traitées comme le mandarin et les langues du sous-continent indien. Toute une série de débouchés potentiels, non franco-français, se présentent à elles, alors que la gouvernance est franco-française, d’où une tension forte.

M. Michel Françaix. Quel statut permettrait de progresser ?

M. Bertrand Eveno. Pour la photo, nous avons réussi sans changement de statut car il s’agissait simplement de mieux vendre un stock déjà en notre possession. Pour le reste, de quoi l’AFP a-t-elle besoin ?

Premièrement, il lui faut une capacité d’endettement. En 2001-2002, pour sortir d’un petit déficit hérité, de l’ordre de 5 à 7 millions d’euros par an, j’ai cherché à l’endetter mais en vain car les banques considéraient qu’il appartenait à l’État, payeur final, de décider. Nous avons ainsi été contraints de nantir notre immeuble, expédient douloureux pour une entreprise qui prétend avoir un rayonnement mondial.

Deuxièmement, il faut faire des investissements décidés par des professionnels et gagés sur les recettes futures en croissance. Aujourd’hui, toutes recettes confondues, le chiffre d’affaires de l’AFP est de l’ordre de 280 millions d’euros. C’est grâce aux recettes internationales – et non sur un marché français saturé – qu’il pourrait atteindre 350 millions d’euros en 2025.

Cela suppose, troisièmement, une capacité à signer des accords avec des entreprises – des agences nationales, comme en Inde, des coopératives nationales, comme au Japon, ou encore des agences capitalistes locales. Or aujourd’hui, cela est pratiquement impossible car le dossier doit passer par Bercy, puis par l’Élysée pour arbitrage, ce qui est grotesque.

M. Michel Herbillon. Faut-il des accords avec des agences ou avec des organes de presse ?

M. Bertrand Eveno. Avec des organes de presse, avec toutes sortes de gens, des Google locaux le jour où il y en aura dans certaines langues, des opérateurs de téléphonie mobile, le tout en respectant les fondamentaux de l’AFP car il ne s’agit pas de vendre son âme.

L’AFP est capable de trouver un Indonésien ou un Brésilien pour une bonne affaire équilibrée et, ainsi, de mettre du beurre dans les épinards ! Les recettes dégagées en Indonésie ou dans le Golfe persique lui permettront de financer ses missions fondamentales. C’est cette équation qui est vertueuse, pas les autres.

Quatrièmement, il faudrait que l’État accepte de rester bloqué à 40 % des recettes. Les recettes franco-françaises n’augmenteront pas. Les recettes internationales pourront progresser de 5 %, 6 %, 10 %, voire 15 %. Si l’AFP gagnait 10 millions d’euros de plus dans le Golfe persique et en Asie et si l’État acceptait de rester à 40 %, ce serait un accord vertueux. Malheureusement, Bercy est vent debout contre cette idée !

Quand j’étais à l’AFP, j’ai participé à la préfiguration de France 24, dans laquelle l’État a mis d’emblée 70 millions d’euros alors qu’il ne consacrait que 105 millions à l’AFP. J’ai trouvé la disproportion flagrante !

Cinquièmement, il faudrait un capital social identifiable pour que les lawyers d’un partenaire indonésien sachent avec qui ils contractent. Jean Miot raconte souvent que c’est la complexité du système qui a dissuadé Bill Gates, qui s’était demandé « qui est le propriétaire de l’AFP ? », de signer un accord…

M. Michel Herbillon. Qu’est-ce qu’un capital social identifiable ?

M. Bertrand Eveno. Il faut passer à une forme de société anonyme classique, avec la Caisse des dépôts comme détentrice du capital, avec un conseil d’administration, avec une assemblée générale, et avec toutes les garanties nécessaires pour les statuts de l’entreprise, lesquels devraient passer devant le Parlement et le Conseil d’État avant que le Gouvernement ne rende son arbitrage. Une fois ses statuts validés et son indépendance garantie, cette société pourra, sans porter atteinte à l’essentiel de la mission franco-française, contracter des emprunts et passer des accords dans certains pays et dans certaines langues. C’est cet équilibre qu’il faut trouver.

S’agissant enfin de la gouvernance, dans le projet préparé par Pierre Louette, le PDG devrait être désigné par le conseil d’administration. Or, au regard de la difficulté à nommer un professionnel correct je me demande s’il ne serait pas plus vertueux d’avoir à la fois un conseil d’administration, qui piloterait l’entreprise et une institution de sages irréprochables qui participerait à la nomination.

En conclusion, dans une société de l’information qui va de plus en plus vite – regardez la bataille des plates-formes, le iPod d’Apple, le Kindle d’Amazon – je suis persuadé que l’AFP doit vraiment saisir toutes les occasions qui se présentent.

M. Patrick Eveno. Les syndicats, que je respecte beaucoup, sont des organismes de défense des salariés en place, c’est leur logique. En outre, une espèce de mentalité de la presse a déteint sur l’AFP, une partie du syndicalisme de cette entreprise étant une sorte de « syndicalisme du livre », avec la force mais aussi avec les problèmes qui s’y rattachent.

Finalement, la cogestion pose un vrai problème et affaiblit un PDG qui est nommé à l’issue de négociations compliquées : la presse est majoritaire au sein du conseil d’administration – avec huit représentants sur treize votants –, mais comme il faut dix voix pour que le président soit élu, les deux représentants de l’audiovisuel public et les trois représentants de l’État se mettent d’accord avec elle.

À peu près 1 300 journalistes et 1 000 salariés non journalistes travaillent à l’AFP et les salaires y représentent 70 % des charges, ce qui est important. Des économies sont peut-être possibles...

Il y a évidemment une charte de déontologie au sein de l’AFP. En outre, à l’issue des états généraux de la presse, nous avons rédigé un projet de code déontologique que d’aucuns voudraient annexer à la convention collective des journalistes, ce qui ne me semble pas une très bonne idée : mieux vaudrait l’annexer à la carte de presse.

Autre problème : le conseil supérieur de l’AFP ne joue pas son rôle parce qu’il n’est absolument pas représentatif. Certes, il est très bien d’avoir un conseiller d’État, un conseiller à la Cour de cassation, un ambassadeur, un préfet, mais si réforme de l’AFP il y a, il faudrait aussi réformer le conseil supérieur et peut-être le sortir de l’AFP : je crois vraiment à une instance de régulation qui concernerait à la fois l’AFP et d’autres médias. Avec le temps, un tel projet finira par arriver car on en a vraiment besoin dans la presse et dans les médias français.

M. Bertrand Eveno. La Caisse des dépôts, actionnaire de l’AFP, pourrait déléguer comme représentants des gens qui sont membres de sa commission de surveillance, où siègent des parlementaires. Cela aurait du sens et marquerait le côté non partisan de cette appartenance, mais aussi le côté national, la Caisse étant une institution nationale. Il y a là une piste intéressante sur le plan juridique.

M. Patrick Eveno. La fondation Presse et pluralisme, qui est en train de se mettre en place, pourrait aussi permettre de doter l’AFP en capital, pour peu qu’elle soit elle-même dotée d’un capital et qu’elle bénéficie du mécénat et de déductions fiscales.

M. Gideon Kouts. Lier la charte de déontologie à la seule carte de presse, donc aux seuls journalistes, est insuffisant ; elle doit concerner tous les salariés de l’AFP. Je crains qu’une recherche d’accords locaux ou de capitaux dans le Golfe persique n’aille guère dans le sens d’un renforcement de la déontologie… Il faut toujours être très prudent, y compris lorsqu’on propose d’ajouter des administrateurs étrangers à la future structure. L’important selon moi est une meilleure gestion du personnel, une bonne rémunération des journalistes et une fidélité de ces derniers à l’Agence, ce qui renforcera sa bonne image dans le monde.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Merci beaucoup, messieurs. Vos réflexions très intéressantes nous ont permis de faire avancer les nôtres.

La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 9 décembre 2009 à 10 heures

Présents. – M. Marc Bernier, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, Mme Pascale Crozon, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Delong, M. Bernard Depierre, M. David Douillet, Mme Marianne Dubois, M. Yves Durand, M. Gilles d'Ettore, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, M. Gérard Gaudron, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Claude Greff, M. Jacques Grosperrin, Mme Françoise Guégot, M. Michel Herbillon, Mme Sandrine Hurel, Mme Françoise Imbert, Mme Jacqueline Irles, M. Olivier Jardé, M. Christian Kert, M. Yvan Lachaud, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, M. Alain Marc, Mme Martine Martinel, M. Jean-Philippe Maurer, M. Michel Ménard, Mme Françoise de Panafieu, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, Mme Marie-Josée Roig, M. Patrick Roy, M. Daniel Spagnou, Mme Michèle Tabarot, M. Jean-Louis Touraine

Excusés. – Mme Marie-Hélène Amiable, Mme Sylvia Bassot, Mme Danielle Bousquet, M. Édouard Courtial, Mme Colette Le Moal, M. Pierre Lequiller, M. Christian Paul