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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 26 mai 2010

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 46

Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Attali, président de la Commission pour la libération de la croissance française 2

– Présences en réunion 15

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 26 mai 2010

La séance est ouverte à seize heures trente.

(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend M. Jacques Attali, président de la Commission pour la libération de la croissance française.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Nous accueillons aujourd'hui M. Jacques Attali, président de la Commission pour la libération de la croissance française. Monsieur le président, je vous remercie de votre disponibilité, car vous avez déjà été auditionné par trois commissions de l’Assemblée nationale : la Commission des affaires sociales, la Commission des affaires économiques et la Commission des finances.

Le Président de la République vous a demandé, le 23 février dernier, de mener une nouvelle phase des travaux de la commission que vous présidez. Nous allons donc apprécier ensemble l'impact des propositions que cette commission avait formulées au mois de janvier 2008. Je rappelle que le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de notre Assemblée vient de publier un rapport très complet sur la mise en œuvre de ces propositions.

À l'initiative du président de l'Assemblée nationale, vous êtes également invité à échanger avec les parlementaires pour identifier des pistes en vue de vos prochaines propositions, qui prendront pour horizon la situation économique et sociale de la France en 2020.

Nous aborderons aujourd’hui des thèmes qui concernent plus particulièrement notre commission, à savoir la performance du système éducatif, la compétitivité internationale des établissements d'enseignement supérieur, l'efficacité des dispositifs publics et privés de recherche, la pertinence de la stratégie mise en œuvre en matière d'innovation, les ambitions françaises dans le cadre de la stratégie numérique développée à l'échelon européen et la place de la création et des industries culturelles dans une démarche de libération de la croissance.

M. Jacques Attali, président de la Commission pour la libération de la croissance française. C'est toujours un grand honneur d'être au Parlement et un privilège de pouvoir rendre compte des travaux d'une commission qui est à la disposition de la République. Nous faisons avec passion le travail qui nous a été confié par le Président de la République et le Premier ministre.

Le premier rapport que nous avons rendu, et qui a fait un peu de bruit, a surtout contribué à accélérer la prise de conscience des réformes nécessaires. Un certain nombre d'entre elles ont été faites – pas toutes, et c’est normal, car le Parlement et le Gouvernement doivent faire leurs choix. Nous regrettons cependant que certaines de nos propositions, qui du reste relèvent souvent de la compétence de votre Commission, n'aient pas été reprises, car leur absence déséquilibre l'ensemble.

Ce bilan sera donc pour moi l'occasion de montrer aussi la grande difficulté du travail d'une commission qui, si elle a vocation à présenter des réformes cohérentes, ne peut se substituer à la décision du Parlement ou de l'exécutif. Ainsi, la loi de modernisation de l'économie – ou LME –, qui reprend une grande partie de nos propositions, en particulier à propos des grandes surfaces, n'a malheureusement pas repris l'une d'entre elles, qui nous paraît pourtant fondamentale, tendant à orienter vers les petits commerces et les entreprises productrices les moyens, indispensables pour eux, du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce – le FISAC. De même, pour ce qui concerne la réforme très équilibrée que nous proposions dans le domaine du travail, si nos propositions relatives à la flexibilité et à la rupture à l'amiable du contrat de travail, assorties de dispositions en matière de négociation sociale, ont été reprises, les dispositions relatives à la sécurité, notamment le contrat d'évolution, ne l'ont pas été. Dans les deux cas, l'adoption partielle de nos propositions se traduit par plus de flexibilité et de concurrence, mais moins de sécurité. Pour citer un homme politique célèbre en ces murs, « le compte n’y est pas ».

Je n’insisterai pas sur celles de nos propositions qui ont été reprises. De fait, la moitié environ l’ont été, notamment par la loi LME pour ce qui est de la compétitivité et par la loi sur la réforme de l'enseignement supérieur pour ce qui concerne la gouvernance des universités, leur regroupement et les universités phares. J’évoquerai plutôt celles qui n'ont pas été appliquées, à l'instar de mon père qui, lorsque que je rentrais de l'école avec un 18, était très fâché et me demandait pourquoi je n'avais pas eu 19 – je ne vous dis pas ce qui se passait quand je rapportais un 16 !

Je replacerai ensuite ces mesures dans le contexte des changements liés à la crise actuelle, qui appellent les propositions nouvelles sans pour autant remettre en cause l'importance de celles que nous avons déjà formulées, lesquelles prévoient plus de compétitivité, plus de mobilité et une réforme de la concurrence – trois axes qui n’ont pas perdu leur validité. À cet égard, aucune des mesures que nous avons proposées il y a deux ans ne nous semble « caduque ».

Des lacunes considérables demeurent en matière d'éducation et de formation. Le rapport s’ouvrait sur une proposition relative à la petite enfance : la réforme du statut des assistantes maternelles. Nous avions également beaucoup travaillé sur la formation des enfants en maternelle et dans l'enseignement primaire. Cependant, qu’il s'agisse de l'orientation, de la formation aux métiers de la petite enfance, du pilotage des établissements, de l'accompagnement individualisé dans les quartiers ou de l'autonomie des établissements, rien n'a été fait dans ce domaine.

Or, les études du Programme international de l'OCDE pour le suivi des acquis des élèves (PISA) et le récent rapport de la Cour des comptes montrent que la France accuse dans tous les domaines un recul tragique. Un autre recul se manifeste sur le plan des nouvelles technologies, où la France se situe au 24e rang sur 27 dans l'Union européenne en termes d'équipement du système scolaire, avec 2 % des classes équipées de tableaux numériques, contre 98 % en Grande-Bretagne. C'est un désastre.

Les deux rapports que je viens d'évoquer montrent que, ce qu'on est en sortant de la maternelle, on l’est aussi à 30 ans et tout au long de sa carrière. Or, ce qu'on est en maternelle dépend de facteurs dont l'école, au nom du pacte républicain, devrait nous protéger. C’est là une lacune majeure, un trou noir dans l'application de propositions fondamentales de notre rapport, car il n'y a pas de croissance sans formation, ni sans légitimité du pacte social.

La mise en œuvre des mesures que nous proposions – qui, du reste, ne sont pas toutes de nous – demeure également insuffisante dans l'enseignement supérieur. De fait, le montant des bourses est resté très faible et rien n’a été fait pour la transformation de la formation professionnelle en formation universitaire – qui passerait notamment par la validation des acquis, la création d'une université des métiers, la valorisation des stages en collège et la formation en alternance. Ainsi, la reconnaissance de la dimension diplômante de la formation professionnelle reste faible.

De même, tout ce que nous avions proposé en matière d'immigration professionnelle extra-européenne – et pas seulement dans l'enseignement supérieur, pour lequel nous avions demandé des mesures spécifiques – a été très peu appliqué.

Dans les autres domaines que vous avez évoqués, madame la présidente, comme relevant de la compétence de votre Commission, beaucoup de choses restent encore en suspens, notamment en matière de gouvernance, et particulièrement pour le numérique. Alors que nous avions proposé la création d'un ministre du numérique, on a nommé une secrétaire d'État, dont je dis certes toujours du bien – non seulement parce qu’elle est remarquable, mais aussi parce qu'elle est une de mes anciennes élèves et reste une amie très proche –, mais qui s’est vu attribuer une compétence réduite et qui n’a pas les moyens administratifs de son ambition et de son talent. De fait, trois ministres, et peut-être même six, sont compétents dans les secteurs qui la concernent.

Si le déploiement du haut débit est avancé, celui du très haut débit est en retard. La quatrième licence, que nous demandions, a tout juste été mise en œuvre.

Notre commission avait pris très clairement parti contre ce qui est devenu la loi Hadopi et pour ce qui a été appelé depuis lors la « licence globale ». Le processus retenu est inapplicable et contraire à un principe de liberté qui est essentiel à la croissance. Il était en outre déjà dépassé dès l'émergence du streaming. Il convenait donc de penser autrement le développement des industries du contenu dans l’univers numérique.

Le grand emprunt a cependant permis de reprendre – sur le mode du « copier-coller » – la plupart des propositions de notre rapport sur les secteurs de pointe, comme les nanotechnologies, les biotechnologies, les neurosciences et les énergies nouvelles, mais pas celles qui concernaient les matériaux et les minerais, pourtant très importantes. Il attribue 4,5 milliards d’euros au numérique, ce qui est la moindre des choses. Il faut cependant veiller à éviter un effet d'éviction par lequel le grand emprunt, finançant hors budget des actions qui auraient de toute manière été financées, permettrait de laisser dans le budget des dépenses qui auraient dû en sortir – il serait alors utilisé pour le pire, se bornant à légitimer les gaspillages. La nature humaine étant ce qu’elle est, le risque existe. Je sais que M. René Ricol, commissaire général à l’investissement, y veillera, mais il appartient aussi au Parlement de le faire.

D'autres secteurs sur lesquels nous avions insisté présentent des lacunes très importantes. C'est le cas par exemple du e-learning, qui ne représente que 3 % des heures de formation professionnelle en France, contre 20 % en Espagne et en Grande-Bretagne, alors que son coût est très faible et que la France possède plusieurs entreprises leaders dans ce domaine, qui ne peuvent pas travailler dans leur pays.

L’usage des nouvelles technologies et les industries du contenu – qu'il s'agisse des industries du logiciel ou de la distraction – restent très faibles en France. Or, il y a là des potentiels de croissance très importants.

Les circonstances économiques ont changé et les besoins de notre pays sont aujourd'hui très différents. La croissance potentielle de la France n'est plus, comme nous le pensions il y a deux ans, de 2 %, mais elle est désormais plus proche de 1 %. Il nous faut donc être lucides quant à la capacité de la nation à rétablir l'équilibre de ses finances publiques sans réaliser des économies majeures, dans la perspective en particulier du pacte de stabilité. La grande question à laquelle nous serons confrontés dans les deux années qui viennent, et qui sera au cœur du travail de notre commission, sera de savoir comment rétablir les finances publiques sans nuire à l'emploi. Nous rendrons publique une évaluation très détaillée de la mise en œuvre de nos propositions – et je remercie à ce propos le président de l'Assemblée nationale, qui a bien voulu charger le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de votre Assemblée d’une mission dont les travaux ont été très utiles à notre propre évaluation.

Dans la perspective d'une réflexion sur l'avenir, nous montrerons vers le 15 juin, dans notre rapport intérimaire, ce qu'il adviendrait d'ici à 2020 si des mesures nouvelles n’étaient pas prises. Nous nous efforcerons ensuite, dans le rapport que nous rendrons au mois de juillet, de proposer des axes nouveaux pour la réduction des déficits – qu’il s’agisse des déficits publics, des retraites ou des problèmes d’environnement, qui sont une dette sur l’avenir. Nous proposerons également des mesures nouvelles pour la compétitivité – dans le cadre desquelles s'inscrit l'éducation – et le rééquilibrage de la fiscalité.

Nous n'avons pas encore arrêté nos choix sur ces questions et je serais heureux de poursuivre ces conversations. Notre commission réunit quotidiennement des groupes de travail de très haut niveau autour des meilleurs experts issus de l'administration et du privé. Madame la présidente, je vous ferai connaître le programme de ces réunions ouvertes aux esprits les plus avancés de notre pays et je serais heureux que, comme les présidents des autres Commissions, vous puissiez y participer ou y déléguer certains de vos collègues.

Si je devais retenir aujourd'hui un seul domaine, il s'agirait de l'école primaire, à propos de laquelle notre pays a un retard énorme. Certes, les mesures qui la concernent ne résoudront pas en une semaine l'équation chômage-déficit – et c’est précisément la raison pour laquelle, depuis vingt ans, personne ne les applique : c'est ce qui est le plus important, mais le moins urgent ! Le fait que les propositions formulées en la matière dans un rapport présenté au Président de la République et au Gouvernement comme particulièrement important n’aient pas été appliquées montre le degré de priorité accordé par tout gouvernement, de droite ou de gauche, à la petite enfance – qui, comme on sait, ne vote pas.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Monsieur le président, je salue à vos côtés quelques membres de votre commission.

M. Jacques Attali. M. Jihade Belamri, industriel de la région lyonnaise, est membre de la commission. Il est aussi très impliqué, avec moi, en faveur de la vie associative dans les quartiers. M. Pierre Heilbronn est rapporteur général adjoint de la commission.

M. Daniel Spagnou. La Commission des affaires culturelles et de l’éducation n’existant que depuis quelques mois, nous ne sommes pas responsables du fait que certaines de vos propositions n'aient pas été étudiées par cette Commission.

Je vous poserai trois questions.

Tout d’abord, comment la culture peut-elle participer à l'élan national de création de richesses ? Je rappelle à ce propos que le Président de la République a inauguré voici quelques semaines une antenne du Centre Pompidou à Metz.

En deuxième lieu, qu’en est-il de la politique de mécénat privé, sous-exploitée en France par rapport à l'usage qu'en font les pays voisins – sans parler des États-Unis ?

Enfin, parmi les priorités identifiées dans le rapport de votre commission figurait l'épanouissement de nouveaux secteurs clés, dont celui du numérique. Quelle est la position de la France en la matière par rapport aux autres pays européens ?

M. Marcel Rogemont. En présentant vos 316 propositions, vous expliquiez qu'il était important de les appliquer toutes pour en ressentir les résultats. Sans doute saviez-vous cependant qu'elles ne seraient pas toutes mises en œuvre et que cela vous permettrait ultérieurement de justifier le manque de résultats. Comment évaluez-vous – même s’il est encore tôt pour le faire – ce qui a été repris de vos propositions et ce qui n’en a pas été repris ?

Ma deuxième question, qui aurait peut-être dû être posée lors de votre audition par la Commission des finances, porte sur les aménagements budgétaires rendus nécessaires par le pacte de solidarité. Dans l'histoire, les deux grandes périodes d'endettement de notre pays se sont traduites par un décrochage monétaire. Comment gérer à la fois le pacte de stabilité et la crise ? Y a-t-il une alternative au tuyau par lequel voudrait nous faire passer la pensée « pangermanique » ?

En troisième lieu, la valeur des biens passant par l’Internet ayant tendance à se rapprocher de zéro, comment concevez-vous, dans l’économie culturelle, la valeur des biens de l’esprit ?

Quel est encore votre sentiment sur le grand emprunt, initialement destiné à toutes les priorités qui ne figuraient pas dans le budget, mais désormais intégré à celui-ci ?

Enfin, dans le contexte d’une politique de réduction des effectifs, quelle est votre appréciation des moyens humains qui seraient nécessaires pour mener à bien les mesures que vous proposez pour l’école primaire ?

M. Dominique Le Mèner. Vous avez cité à juste titre les études qui mettent en lumière la dégradation des performances de notre système scolaire. Ces études font également apparaître que la France consacre à l’éducation beaucoup plus d’argent que les autres pays. Notre pays a également tenu à élever le niveau de qualification des enseignants en relevant le niveau de diplôme requis. N’aurions-nous pas fait fausse route avec une approche globale ? Ne faudrait-il pas prendre les problèmes d’une manière plus détaillée, par étage, en accordant plus de place à une formation individualisée ? Quelles solutions proposeriez-vous ?

Mme Colette Langlade. La lecture du rapport fait apparaître une certaine démagogie face à des problèmes réels, ainsi que des contradictions et des effets pervers liés à la domination d’aspects purement économiques. C’est ainsi qu’il déclare vouloir favoriser l'économie du savoir.

L’échéance visée par les mesures que vous préconisez est-elle toujours, comme vous l’indiquez dans le rapport, l’année 2012 ?

Vous proposez de revoir le socle commun des compétences, alors que la mise en place du dispositif existant se heurte déjà à de grandes difficultés liées notamment au manque de formation et d'information des enseignants, comme je l’ai constaté lors des auditions auxquelles nous avons procédé dans le cadre d'une mission d'information sur ce point, présidée par M. Jacques Grosperrin. Voyez-vous des leviers particuliers pour faire mieux appliquer ce dispositif ?

M. Jacques Grosperrin. Alors que l'éducation est le premier poste budgétaire de la France, l’étude internationale PISA montre que les résultats scolaires des jeunes Français diminuent régulièrement. Le lycée et l'université ont fait l’objet de réformes ; le collège reste le maillon faible, même s’il est aussi vrai que le primaire, voire la maternelle, sont des périodes essentielles, car il importe de prendre un bon départ.

Ne pourrait-on pas envisager de constituer un bloc réunissant le primaire et le collège, avec des enseignants susceptibles d’enseigner à ces deux niveaux ? On éviterait ainsi de s’enfermer dans un système où le collège fonctionne comme un petit lycée.

Par ailleurs, le caractère disciplinaire des inspecteurs généraux se traduit par le fait que chacun est arc-bouté sur ses savoirs. Ne serait-il pas plus judicieux de créer des inspecteurs généraux transdisciplinaires ou un inspecteur général du socle de compétences ?

Pourquoi la loi Fillon de 2005 n'a-t-elle pas été évaluée comme elle aurait dû l'être ?

Enfin, ne conviendrait-il pas d'inscrire dans le socle de compétences une composante « bien-être », qui pourrait recouvrir les activités physiques et la culture ?

Les enseignants peinent, quant à eux, à trouver les « passerelles » qu’on leur promet. Cette situation est-elle propre à la France ? La formation initiale est-elle appropriée ? Le recrutement doit-il se faire par région ou à l’échelle nationale, et quel doit être le rôle des syndicats ?

Au niveau du supérieur, ne pourrait-on pas réunir, dans la formation des enseignants, plusieurs disciplines ? Le sport, par exemple, pourrait fort bien être enseigné dans les facultés de médecine. Ce serait une manière d’éviter des cursus trop compartimentés.

Du côté des parents, enfin, pensez-vous qu’il faille utiliser les prestations familiales pour lutter contre l’absentéisme ?

Mme Martine Martinel. Ma question se réfère à la proposition n° 57 de votre rapport. Les défis de l’Internet ne concernent-ils pas, plus que le droit d’auteur, la sécurité des internautes et des citoyens ?

Par ailleurs, sommes-nous condamnés à assister impuissants au combat entre Microsoft et Apple, et que peut-on faire pour promouvoir les logiciels libres, évoqués dans votre proposition n° 58 ?

M. Alain Marc. L’efficacité de l’école primaire nous importe, et notre Commission a d’ailleurs évoqué quelques pistes de réflexion en la matière. L'autonomie des établissements primaires est l'un de ces thèmes de réflexion. Le pédagogisme outrancier de la formation des maîtres pose question et peut-être verrons-nous émerger des formations beaucoup plus efficaces.

Si l'équipement en tableaux numériques est en retard, notre pays n'est-il pas mieux équipé en ordinateurs personnels ? Le tableau numérique n'est-il pas plus un moyen qu'une finalité ?

Qu’en est-il de l’égalité des territoires – je pense en particulier aux territoires ruraux ? Certains aspects de la réforme territoriale, notamment, suscitent quelques interrogations. Ainsi, les conseils généraux devront désormais mettre sur la table au moins 50 % des financements, notamment pour les équipements structurants, comme le haut débit et le très haut débit. Cette obligation sera très lourde pour les départements ruraux. Y a-t-il eu des convergences entre certaines de vos propositions et la loi relative aux collectivités locales que nous sommes en train d'examiner ?

Mme Françoise de Panafieu. Comment vous situez-vous par rapport aux déclarations récentes du Président de la République et du ministre de l'éducation nationale sur le rapport des élèves et des familles à l’école, notamment sur l’absentéisme, sur la difficulté pour les parents de suivre le parcours de leurs enfants et sur l'absence de communication entre le milieu enseignant, les parents d'élèves et les élèves eux-mêmes ?

Alors que le système anglo-saxon s'attache à mettre en valeur les qualités des élèves, le système français tend plutôt à souligner les manques et à considérer comme marginales des disciplines moins scolaires où certains élèves peuvent cependant être plus à leur aise. Que peut-on faire pour mieux valoriser les élèves qui sont à la peine dans ce système alors qu’ils pourraient parfaitement réussir dans un autre ?

M. Jean Roatta. La Méditerranée, qui vous est chère, est un lieu où devrait s’exercer le rayonnement de la France. En 2020, cette région abritera 450 millions d’habitants. Or, de moins en moins d’élèves apprennent le français et la francophonie perd de son prestige. Les pays du Sud de la Méditerranée ont besoin que nous les aidions, notamment dans le domaine de la formation professionnelle – question liée à celle de l’immigration professionnelle.

La situation scolaire est par ailleurs inquiétante. Au Maroc, que je connais bien, les élèves qui ne peuvent être scolarisés dans les écoles francophones se tournent de plus en plus vers les écoles anglaises. N’oublions pas que, dans les années à venir, le développement de la France devrait sans doute être tourné vers la Méditerranée.

Mme la présidente Michèle Tabarot. S’agissant de la performance du système éducatif, j’indique que nous aurons l’occasion d’auditionner le 16 juin M. Jean Picq, qui présentera le rapport de la Cour des comptes sur l’éducation.

Je précise aussi que les questions relatives à la petite enfance et aux assistantes maternelles – qui par ailleurs me tiennent particulièrement à cœur – relèvent de la Commission des affaires sociales, et non pas de notre Commission –, ce qui améliore légèrement le pourcentage de propositions mises en œuvre parmi celles qui relèvent de notre compétence.

M. Jacques Attali. Monsieur Spagnou, la culture est évidemment un facteur de croissance. La croissance suppose en effet une culture de liberté, de démocratie, de respect du droit et de confiance. Les sondages montrent que notre pays a de moins en moins confiance dans ses hommes politiques, dans ses partis, dans ses syndicats et en lui-même, convaincu que la génération suivante sera moins bien traitée. La culture est d’abord un projet culturel pour la nation : qu’est-ce, alors, que la nation, et quelle identité culturelle veut-elle proposer pour son avenir ? Au-delà du droit à la diversité culturelle, une vision culturelle de la nation est fondamentale. C’est un moteur de la croissance, fondé sur le pacte républicain, sur le projet de vivre ensemble et sur la confiance en l'avenir. Ces éléments se retrouvent à l'école : si tout est déterminé dès la maternelle, si chacun est déterminé par ce qu'il est à trois ans, il ne peut pas y avoir de pacte républicain et la République ne sert à rien.

Les industries culturelles, notamment la distraction et le tourisme, sont de toute évidence un facteur de croissance important.

La politique du mécénat est certes importante. Il faut cependant observer, sans aucune polémique, que la modification de la fiscalité qui permet désormais de déduire de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) les investissements réalisés dans les entreprises est un coup porté au mécénat, car celui-ci subira la concurrence, sans doute très lourde dans les prochaines années, de cette nouvelle déductibilité.

Pour ce qui est du rang de la France en Europe dans le domaine du numérique, les chiffres sont accablants. La valeur ajoutée générée par le secteur du numérique est de 7 % en France, contre 18 % en Finlande et 12 % au Royaume-Uni. La France investit dans le numérique deux fois moins que la Grande-Bretagne, avec un investissement productif de 12 % dans notre pays contre 25 % outre-Manche. L’impact sur la croissance est toujours aussi faible et j’ai décrit tout à l’heure son impact sur le secteur de l’éducation.

Si la France est 24e sur 27 pour l’usage des techniques numériques à l’école, elle est aussi 19e pour leur usage dans les PME. Seules 54 % des entreprises françaises ont un site Internet, alors qu’elles sont 80 % à en posséder un en Grande-Bretagne et que la moyenne européenne se situe à 65 %. La France est 11e pour le « e-government », loin derrière de petits pays. C’est une situation catastrophique.

Monsieur Rogemont, il est en effet trop tôt pour évaluer ce qu’il est advenu de nos propositions. Je précise que nous n’avons pas dit, en les présentant, que ce serait « tout ou rien », mais qu’elles formaient un tout. Les deux exemples que j’ai cités tout à l’heure montrent d’ailleurs l’équilibre qui nous semblait nécessaire. Une société qui libère doit aussi assurer. S'il y a plus d'assurance et moins de liberté, on entre dans une société bureaucratique. S’il y a plus de liberté et moins d'assurance, on entre dans une société très injuste. Or, toutes les propositions qui ont été reprises relèvent plutôt de la liberté que de l'assurance.

Vous m'avez également demandé si la réduction de la dette devait passer par des économies budgétaires, alors qu'elle se fait souvent par une dévaluation monétaire. En cas de déficit externe, c'est-à-dire de déséquilibre de la balance des paiements, la solution passe par une dévaluation. Celle-ci n’a en revanche presque aucun impact, sinon indirect, sur la dette interne, qui est contractée en euros et doit être payée en euros. L’impact indirect est celui de la croissance, et encore est-il très débattu. Nous avons évidemment intérêt à ce que la croissance soit plus importante – à cet égard, un euro trop fort est un handicap –, mais cela ne suffira pas : il faut réduire le déficit.

Pour ce qui est de l'enfermement « pangermanique » que vous craignez, je vous présenterai plusieurs observations. Tout d'abord, si nous avons à réduire la dette, ce n'est pas pour l'Allemagne, mais pour nos enfants. Deuxièmement, l'Allemagne a tort de ne pas voir qu'il est dans son intérêt de faire plus d'Europe, car elle dépend très largement du marché européen et aurait beaucoup à souffrir de l'austérité instaurée en Espagne ou en Grèce. Si une spirale d'austérité s'engage, il y a fort à parier que la France sera le dernier pays à adopter de telles mesures – à l’exception des Pays-Bas, qui n'en ont pas besoin. Je vous laisse imaginer la réaction des marchés. En tout état de cause, si l'austérité se généralise, nous entrerons dans une période de dépression.

Le meilleur moyen de compenser cette rigueur nécessaire est une relance européenne. L'Europe doit se doter d'instruments – qui existent d’ailleurs – lui permettant de lancer un grand emprunt européen. De fait, l’Europe, à la différence des États-Unis et du Japon, n’a aucune dette, ce qui revient pour elle à faire la course avec des plombs aux pieds. La dette n’est pas mauvaise en soi. S’endetter pour acheter son logement ou, dans le cas des entreprises, pour acheter des machines, c’est bien – tout comme lorsque l’État emprunte pour des activités utiles pour l’avenir.

Le grand emprunt a au moins l'avantage d'isoler la « bonne dette », qui sert l’avenir. On pourrait d’ailleurs inscrire à ce titre une partie des salaires des enseignants, qui sont aussi une façon de financer l'avenir. Notre comptabilité budgétaire est catastrophique, car il est difficile de distinguer clairement les dépenses d'investissement et celles de fonctionnement. Du reste, le grand emprunt devrait plutôt être dénommé « investissement ». Malgré la distinction absurde entre autorisations de programme et crédits de paiement, il faut inscrire dans les crédits de paiement des dépenses d'avenir. Un grand emprunt annuel devrait regrouper ces dépenses dans le cadre du budget.

L'équilibre financier de l'économie culturelle est une question ancienne, qui se pose d’une manière toujours nouvelle. La valeur des biens issus d’Internet n’est pas nulle. Si je donne une information, mais que j'en dispose encore, il est normal que je ne la vende pas au même prix que si je n'en disposais plus. Du reste, je ne devrais même pas la faire payer, puisque je la possède encore. En revanche, la production de cette information représente du travail, qui mérite une rémunération, pour laquelle des modèles existent déjà. Ainsi, Internet suit celui de la radio, activité gratuite financée par une redevance ou par la publicité – car on ne peut faire payer chaque auditeur pour le temps qu’il passe à écouter.

Le changement est profond : si les utilisateurs ne sont plus prêts à payer pour un objet qu’ils peuvent obtenir gratuitement, ils sont prêts à payer très cher le temps qu’ils passent avec un artiste. L’avenir des industries culturelles est donc le spectacle vivant. J’ajoute que la loi Hadopi a perdu toute raison d’être avec le développement du streaming, qui permet d’écouter légalement sans télécharger, comme sur le site Spotify, qui contourne la loi dans la légalité la plus parfaite. La publicité et l’abonnement, qui sont les modes de rémunération de ce site, sont la voie de l’avenir – bien plus qu’un contrôle bureaucratique, d’ailleurs impossible.

Pour ce qui est des effectifs du primaire, nous nous efforcerons de donner notre réponse dans notre rapport. À l’heure actuelle, le budget de l’éducation est l’un des plus élevés de l’OCDE, mais, paradoxalement, les résultats sont catastrophiques : il ne s’agit donc pas seulement d’une question d’argent. Nous recommandions de donner priorité au préscolaire, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui, en mettant notamment l’accent sur le recrutement et la formation des éducateurs de crèches, qui ne sont pas assez nombreux. Il conviendrait aussi de mettre fin aux redoublements dans le primaire, qui semblent tout à fait contre-productifs, ainsi que de renforcer le rôle d’autorité des directeurs d’établissement. Nous avons récemment eu une conversation passionnante, dans le cadre d’un atelier, sur le fait que les maîtres n’ont aucune formation en matière d’autorité – laquelle serait particulièrement utile au moment où le numérique les discrédite. Il faudrait enfin concentrer les moyens sur les classes initiales – cours préparatoire et élémentaire –, en insistant sur l’acquisition des fondamentaux.

Madame de Panafieu, il convient de changer la conception du modèle de réussite. Une société idéale est en effet celle où chacun pourrait définir son propre modèle de réussite. Pouvoir insister sur la réussite plutôt que sur l'échec est une dimension culturelle fondamentale.

Monsieur Le Mèner, je crois avoir répondu à propos de l'enseignement primaire, mais c'est là un sujet sur lequel nous allons encore beaucoup travailler.

Il est très important que la formation soit individualisée. Malgré les déclarations, cela n’a pas été fait, notamment dans les zones les plus difficiles. Les chiffres les plus terribles sont ceux qui montrent que les enfants des classes défavorisées restent défavorisés. La formation individualisée dans les milieux défavorisés est donc essentielle.

Madame Langlade, il est vrai que les objectifs que nous avions fixés pour 2012 ne seront pas tenus. J'aurais certes beau jeu de dire que, si toutes les mesures recommandées dans le rapport avaient été prises, nous aurions tenu ces objectifs. De fait, si nous avions fait tout ce que nous avons proposé en matière de réforme de la gouvernance publique, d'économies budgétaires, de transformation des départements ministériels en agences, de simplification de la loi et de réduction des échelons territoriaux, nous aurions pu faire d'énormes économies qui nous auraient mis sur la voie d’une réduction plus importante de la dette publique.

Sur l'acquisition du socle commun de connaissances, j'en reste à l'idée, validée par les experts, que tout ce qui n'est pas fait très tôt n'est plus possible. La crèche et la maternelle sont fondamentales, car tout se joue avant trois ans. En revanche, monsieur Grosperrin, je ne suis pas certain qu’un bloc réunissant le primaire et le collège, qui est assurément dans l'intérêt des enseignants, serait aussi dans l'intérêt des élèves. Dans une société bien faite, le niveau de rémunération des enseignants diminuerait avec l'âge des élèves, au lieu d’augmenter comme il le fait dans nos sociétés. Si l'on parvenait à rétablir cette pyramide de rémunération et de valorisation sociale, un professeur d'universités ne serait pas plus valorisé qu'une enseignante de maternelle, car il a en réalité moins d’incidence sur le destin de ses élèves. Nous assistons à une inversion des logiques culturelles.

J’ai noté vos idées très intéressantes, notamment sur la création d’inspecteurs généraux transdisciplinaires, et nous les étudierons.

Avec les logiciels, évoqués par Mme Martinel, nous retrouvons une vieille polémique. Je n’ai jamais aimé le nom de logiciels « libres », car ces logiciels ne sont pas plus libres que l’école qui se dénomme ainsi et qui est en fait une école privée. Il serait plus exact de parler de logiciels « libres de droits ». On sait bien par ailleurs que les logiciels propriétaires renvoient à une certaine multinationale américaine et les logiciels « libres de droits » à une autre multinationale américaine. Mieux vaut donc parler de concurrence entre les logiciels que de logiciels « libres ».

Monsieur Marc, faut-il donner plus de responsabilités financières aux départements et leur faire financer le numérique ? Proposant la suppression du département, nous apportions une réponse simple à votre question : la compétence remonterait aux régions. Reste que l'équilibre financier n'est pas assuré et que, quelle que soit la structure, l'État n'a pas donné aux collectivités territoriales les moyens d'atteindre les objectifs fixés.

Madame de Panafieu, la question de l'absentéisme est liée à celle de l'autorité. Les questions relatives à la famille – et aux allocations familiales – devront être traitées. Nous avions proposé d'attribuer les allocations familiales en fonction des revenus.

Le métier de parents est l'un des plus importants au monde, mais personne ne l’apprend : il n’y a pas d’école des parents et pas de formation appropriée. C’est une lacune considérable, qui n'est cependant pas propre à la France. Notre société devra prendre à cet égard une responsabilité très importante. Pour la toute petite enfance, en particulier, plus les parents échouent, plus la société devra se charger des enfants. Cependant, à moins de renoncer complètement à la fonction de la famille, il faudra dispenser aux parents une éducation. Il est surprenant qu'aucun gouvernement n’ait eu le courage de proposer une telle formation.

Monsieur Roatta, notre proposition n° 219, qui n’a pas été retenue, évoquait la Méditerranée et la francophonie. Celle-ci, je le rappelle, ne se limite pas au Maghreb. En quarante ans, le nombre d'Africains passera de 1 à 2 milliards. La France est ainsi le seul pays dont le potentiel de locuteurs sera multiplié par 5 en quarante ans. C'est là notre principal gisement de croissance de toute nature – qu’il s'agisse des marchés, de l'économie culturelle, de l'éducation ou de la santé. L'investissement dans la francophonie est important et peu coûteux. Nous évoquions récemment, avec le président Diouf, le fait qu’aucun gouvernement français n'ait jamais traité la francophonie comme un facteur de croissance. Il s’agit cependant pour nous d’un facteur essentiel.

M. Marcel Rogemont. Dans un article du Monde, un ancien ministre de la culture s’interrogeait récemment sur l’existence de ce ministère. Faut-il avoir, selon vous, un ministère de la culture, un ministère des affaires culturelles, ou pas de ministère du tout ?

M. Jacques Attali. Parmi les économies budgétaires à réaliser, la suppression du ministère de la culture ne me paraît pas être une priorité. Ce ministère me semble cependant être celui que le ministère du budget considère comme le plus corvéable. S'il n'y a pas, au sommet de l'État, la volonté de le défendre, il ne fait pas le poids.

Le ministère de la culture est pourtant fondamental. Il est un instrument essentiel de l’identité de la France – car celle-ci est avant toute une image culturelle. Le fait que la France soit aujourd'hui la première destination touristique n'est pas sans lien avec cette dimension, ni avec les investissements du ministère de la culture, qui ont fait changer l’étiage du nombre de touristes en France à partir des grands travaux réalisés dans les années 80, changeant le visage de Paris et de certaines grandes villes de province. En tant que porteur de ces projets, le ministre de la culture a donc un rôle essentiel, mais à condition d'être lui-même soutenu au plus haut niveau de l'État, sans quoi il n'est rien.

Mme Françoise de Panafieu. Les variations incessantes du cours de l'euro ne sont bonnes ni pour les pays, ni pour cette monnaie. Sans doute était-ce une erreur que de se satisfaire trop vite de l'euro, qui devrait être l'émanation et le support d'une politique économique commune. La construction de l'Europe passe sans doute par certains abandons de souveraineté. L’euro n’est pas une fin en soi. Il ne suffit pas pour construire l’Europe, mais il émane de la volonté de la construire ensemble.

Le fait que Mme Merkel prenne une décision économique unilatérale suscite quelque inquiétude car, jusqu'à présent, il semblait que tout le monde ait compris qu'il fallait marcher ensemble. L'euro pourra-t-il résister aux secousses qu'il subit depuis un mois ou deux ? Quelle est votre position sur cette question – bien que celle-ci ne se situe pas dans le champ de compétence de notre Commission ?

M. Jacques Attali. Nous sommes ici pour penser la croissance, or la construction européenne est un important facteur de croissance. Nous consacrerons d’ailleurs une part importante de notre rapport final aux positions de négociation de la France dans la construction européenne.

L'Europe, on le sait, est comme une bicyclette : si on arrête de pédaler, elle tombe. Elle obéit à une logique d'intégration progressive, où chaque étape rend nécessaire la suivante. L'Europe a traversé quatre crises. La première fut celle des années 50, marquée par l'échec de la Communauté européenne de défense, qui a entraîné des risques de protectionnisme extrême face auxquels a été conclu le Traité de Rome.

Au début des années 80, on a pris conscience du fait que les échanges de biens et de services prévus par le traité de Rome exigeaient des normes communes. La grave crise européenne que j'ai vécue en première ligne en 1983 a donné lieu au traité de Fontainebleau et à l'Acte unique, qui a uniformisé les normes. Nous savions dès ce moment que les processus que nous mettions en place n'empêcheraient pas les distorsions de concurrence, car les dévaluations compétitives des monnaies restaient possibles. Nous savions donc que, sans une monnaie unique, le système était voué à la rupture. Nous avons donc commencé dès 1983-1984 à travailler dans ce sens, lors des conversations franco-allemandes parfois romanesques, parce que secrètes. Bien que retardée par l'unification allemande, la monnaie unique a fini par voir le jour.

Ceux qui ont eu, comme moi, le privilège de rédiger les premiers projets du traité de Maastricht savaient d'emblée que l'euro disparaîtrait si nous ne disposions pas d'un ministère des finances européen. C'est ce qu'a illustré, l'année même de la naissance de l'euro, la disparition de deux monnaies – le rouble soviétique et le dinar yougoslave – que l’on avait tenté de faire exister sans État. Le même risque nous menace s'il n'existe pas un ministère des finances de l'Union européenne doté d'une capacité de contrôle budgétaire – ce qui suppose aussi, dans une structure qui reste à organiser, un pouvoir du Parlement européen et des parlements nationaux. Aujourd'hui, nous ne disposons même pas de procédure commune pour l'élaboration des hypothèses de préparation budgétaire. Ce système est voué à exploser – mais ce serait une folie qu’il explose. Heureusement, les rédacteurs du traité de Maastricht ont été assez habiles pour ne pas prévoir de mécanisme de sortie.

Nous sommes aujourd'hui confrontés, après celle de 1958, de 1983 et de 1992, à la quatrième grande crise de la construction européenne. Les deux premières ont débouché sur une plus grande intégration. J'ai proposé, pour ma part, l'émission de bons du Trésor européen par une agence du Trésor européenne – comme il existe une agence du Trésor américaine. Nous devons agir dans une perspective de solidarité européenne, c’est-à-dire dans une perspective supranationale, et non pas seulement intergouvernementale, comme les mesures, au demeurant bienvenues, qui ont été prises au cours d’un week-end de crise.

Il nous faut un ministère des finances et un gouvernement européens, sur lesquels, puisque nous sommes en démocratie, les parlements auront un droit de regard. Ces abandons de souveraineté étaient inscrits dans les gènes de l'Europe dès la création du Marché commun. Il a fallu quarante ans pour penser ce système ; il faut maintenant en accoucher.

Je suggère que M. Jihade Belamri, membre de notre commission, puisse évoquer brièvement les inégalités sociales dans la formation.

M. Jihade Belamri, membre de la Commission pour la libération de la croissance française. Lors des dernières auditions auxquelles nous avons procédé sur le thème de l'emploi des jeunes et de l'apprentissage, nous avons constaté un glissement dans l’affectation des fonds de formation destinés à l'apprentissage. Ces fonds ont en effet tendance à être affectés aux jeunes les mieux diplômés, inscrits dans des formations d’après-bac, au détriment prévisible des populations plus en difficulté, qui recherchent des formations en CAP et BEP. Si nous n’y prenons pas garde, cette évolution pourrait être dangereuse.

Par ailleurs, 150 000 jeunes environ sortent chaque année du système sans qualification. Dans les quartiers en difficulté ou dans les zones rurales, la proportion d’une classe d’âge qui n’accède pas au bac va des deux tiers à 80 %.

Pour ce qui concerne enfin le monde de l’entreprise, les études réalisées par la Commission européenne sur le programme « Priorité PME » lancé en 2008-2009 montrent que la réduction des charges administratives des TPE et PME permettrait de gagner 1,5 point de croissance à l’échelle européenne, soit près de 150 milliards d’euros. La distorsion de traitement entre les grandes et petites entreprises n’est pas bonne pour le développement et l’économie. La difficulté d’accès au numérique des PME qu’a évoquée tout à l’heure M. Attali est encore plus aiguë pour les TPE, qui représentent 2 millions d’entreprises et manquent des moyens nécessaires à l’exercice de leur métier.

M. Jacques Attali. J’ajoute que M. Belamri dirige une entreprise d’ingénierie pétrolière qu’il a fondée à partir de rien et qui est maintenant une multinationale basée à Lyon.

Mme la présidente Michèle Tabarot. Monsieur le président, messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 26 mai 2010 à 16 heures 30

Présents. - Mme Claude Greff, M. Jacques Grosperrin, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, M. Alain Marc, Mme Martine Martinel, M. Gilbert Mathon, Mme Françoise de Panafieu, M. Jean Roatta, M. Marcel Rogemont, M. Daniel Spagnou, Mme Michèle Tabarot, M. Jean-Louis Touraine

Excusés. - Mme Marie-Hélène Amiable, Mme Sylvia Bassot, Mme Danielle Bousquet, M. Édouard Courtial, M. David Douillet, M. Yves Durand, Mme Odette Duriez, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Pierre Lequiller, M. Jean-Philippe Maurer, M. Franck Riester, M. Didier Robert