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Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Mercredi 05 octobre 2011

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Claude Bartolone, Président

–– Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème : « Des prêts structurés dans les petites collectivités, pour quoi faire ? »

– Mme Anne AUFFRET, maire de Donges (Loire-Atlantique)

– M. Bernard CHESNEAU, maire de Thouaré-sur-Loire (Loire-Atlantique)

– M. Christian COIGNÉ, maire de Sassenage (Isère)

– M. Christophe FAVERJON, maire d’Unieux (Loire)

– M. Jean FERNANDEZ, maire de Saint-Cast-Le Guildo (Côtes-d'Armor)

– M. Xavier MARTIN-LE CHEVALIER, maire de Trégastel (Côtes d’Armor)

– M. Philippe VERRIER, Président de la Communauté de communes du Bocage d’Athis de l’Orne

M. Claude Bartolone, Président. Après avoir examiné la situation de conseils généraux, de villes ou d’agglomérations d’une taille certaine, disposant d’une assise financière et de moyens de gestion élaborés, penchons-nous sur les emprunts structurés conclus par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de petite taille.

La première table ronde sera consacrée aux pratiques commerciales des banques et à la situation des personnes publiques qui ne sauraient mettre en œuvre une stratégie d’endettement pour gérer leur investissement. Les représentants de communes que nous entendrons sont ceux qui se sont rapprochés du rapporteur ou de moi-même pour faire part de leurs difficultés, ou qui ont fait l’objet d’observations de la part de la chambre régionale des comptes.

Mme Anne Auffret est maire de Donges (Loire-Atlantique), qui compte 6 500 habitants. M. Bernard Chesneau est maire de Thouaré-sur-Loire (Loire-Atlantique), qui en compte 7 498. M. Christian Coigné est maire de Sassenage (au sein de la communauté d’agglomération de Grenoble), qui en compte 10 634. M. Christophe Faverjon est maire d’Unieux (Loire), qui en compte 8 500. M. Jean Fernandez est maire de Saint-Cast-Le Guildo (Côtes-d’Armor), qui en compte 3 420 pendant l’année et beaucoup plus pendant l’été. M. Xavier Martin-Le Chevalier est maire de Trégastel (Côtes d’Armor), qui en compte 2 400 en basse saison. M. Philippe Verrier préside la communauté de communes du bocage d’Athis-de-l’Orne, qui regroupe seize communes de l’Orne et compte au total 78 551 habitants.

La Commission d’enquête tentera d’éclairer les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales, leurs groupements et les autres acteurs publics locaux ont souscrit auprès d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement des emprunts et produits structurés. Elle a pour but non de mettre en cause la gestion des élus, mais de comprendre, à partir d’exemples, comment des collectivités sans grands moyens de gestion en sont arrivées là.

Au titre de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une Commission d’enquête doivent prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Anne Auffret, M. Bernard Chesneau, M. Christian Coigné, M. Christophe Faverjon, M. Jean Fernandez, M. Xavier Martin-Le Chevalier et M. Philippe Verrier prêtent successivement serment.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. À quel moment avez-vous souscrit ces emprunts, qui existent depuis près d’une vingtaine d’années ? Comment en avez-vous connu l’existence – nous nous interrogeons aussi sur les pratiques commerciales – ? Et quels étaient les établissements prêteurs ?

Comme les grandes collectivités, auxquelles ces produits ont permis de régler des problèmes de liquidité, les petites collectivités ont-elles pu choisir entre des prêts à taux fixes, peut-être moins avantageux que les produits structurés, et, par exemple des taux variables « capés », c'est-à-dire assortis d’un mécanisme de plafonnement ? Et les produits structurés vous ont-ils permis de diminuer pendant un temps la charge d’intérêts ? À combien se monte le gain ainsi réalisé ou les investissements que ces prêts vous ont permis de financer, car il faut souhaiter que son montant n’ait pas été injecté dans des dépenses de fonctionnement ?

Mme Anne Auffret, maire de Donges (Loire-Atlantique). J’ai été élue en 2008, par conséquent après que ces emprunts ont été souscrits. Pour réaliser des travaux de voirie en 2007, la commune a consulté cinq établissements de crédit. Il lui a été proposé un prêt de 2 millions d’euros, avec une phase de mobilisation d’un an et une phase de consolidation de vingt ans. À l’époque, le marché était haussier. La Banque centrale européenne avait relevé son taux de refinancement à 4 %, après une première hausse intervenue le 8 mars 2007. Les taux fixes classiques étaient à 5,4 %, les taux courts à 4,5 %. Dans ce contexte, les prêts structurés permettaient d’obtenir des taux fixes bonifiés ou minorés, indexés sur option ou barrière. De leur propre initiative, les banques – le Crédit agricole via BFT et Dexia – ont proposé ces produits à nos prédécesseurs, qui les ont jugés intéressants. Sur le moment, la commune a économisé 42 000 euros d’intérêts, mais, lors la crise de l’été 2008, les taux sont montés de 4,5 % à 9,62 %.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le contrat prévoyait-il une période de garantie ?

Mme Anne Auffret. Non.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. De quel type de produits s’agissait-il ?

Mme Anne Auffret. De prêts structurés. Pour éviter l’application du contrat dont le taux était passé à 9,62 %, Dexia nous a proposé un réaménagement, le 17 juillet 2008. Sur le moment, nous avons dû nous décider très vite, et nous avons allongé la période de remboursement, ce qui n’était peut-être pas une bonne idée.

M. Claude Bartolone, Président. Sur quels indices étaient fondés ces prêts ?

Mme Anne Auffret. Le taux fixe proposé par Dexia était de 4,5 %, si l’écart entre le CMS (Constant Maturity Swap) 30 ans et le CMS 1 an était supérieur à 0,20. Dans le cas inverse, le taux était de 6,99 % moins cinq fois l’écart.

M. Claude Bartolone, Président. En somme, on vous a proposé un prêt traditionnel, avec un taux fixe à 5,4 %, en même temps que ce prêt, qui, sur le moment, vous a paru avantageux ?

Mme Anne Auffret. La municipalité a sollicité BFT dans le cadre d’un appel d’offre, mais Dexia l’a démarchée pour lui proposer un réaménagement.

M. Claude Bartolone, Président. Il y a donc eu deux processus : une consultation et une offre de Dexia, dont les produits structurés vous ont paru alléchants.

M. Bernard Chesneau, maire de Thouaré-sur-Loire (Loire-Atlantique). Nous sommes aux affaires depuis mars 2008. C’est en juin 2006 que la municipalité a contracté un nouveau prêt, afin de renégocier sa dette. Dexia, qui était déjà partenaire de la commune quand j’étais dans l’opposition, a regroupé tous les prêts en un seul, d’un montant de 4 millions. Tant que la parité euro/franc suisse était supérieure à 1,44 – or, on nous assurait qu’il ne pouvait en être autrement, puisque c’était le cas depuis trente ans –, le taux fixe de 3,84 % s’appliquait. Sitôt que le rapport descendait au-dessous du seuil prévu, le taux progressait de manière exponentielle, alors même qu’on nous avait présenté le prêt comme sans risque.

Le différentiel entre le coût de l’argent en 2006 et le taux de 3,84 % était infime. En tout cas, il ne justifiait pas le risque auquel nous nous sommes exposés. D’ailleurs, ce bénéfice a été englouti par le seul surcoût acquitté en 2010. En 2011, où le remboursement du capital et des intérêts est de 400 000 euros, ce surcoût est de 290 000 euros. Le point de fiscalité représente pour nous 35 000 euros, ce qui donne idée de l’augmentation des impôts qui va peser sur nos contribuables.

Le montage financier est d’une extrême complexité et, malgré le respect que j’ai pour les élus et les salariés de nos communes, il dépasse largement leur compétence, ce qui explique que les petites communes aient été incapables d’évaluer de tels produits.

M. Claude Bartolone, Président. Les établissements bancaires qui vous les ont proposés les ont-ils mis en concurrence avec d’autres produits ?

M. Bernard Chesneau. Je n’étais pas maire à l’époque. La commune avait besoin de dégager des marges. Quand Dexia, qui était son partenaire de longue date, a renégocié les prêts pour améliorer la capacité d’autofinancement, le montant des remboursements a diminué et la durée du prêt s’est allongée. Nous avons reçu cette proposition dans le cadre d’un partenariat. J’ignore si des solutions alternatives nous ont alors été proposées.

M. Christian Coigné, maire de Sassenage (Isère). En 2006, j’ai signé avec Dexia, qui était la banque historique de la commune, un contrat de partenariat, visant à encadrer plus précisément son intervention et ses prestations de conseil. Aux termes de la convention, ce partenariat « était destiné à favoriser l’investissement et le développement durable, dans un contexte de maîtrise des frais de fonctionnement et des prélèvements. » Cette clause impliquait de facto le recours à des produits sans risque, puisque nous indiquions notre désir de ne pas toucher à la seule variable d’ajustement disponible, à savoir la fiscalité. La convention mentionnait également une gestion active de la dette.

Pour mettre cette gestion en phase avec le contexte budgétaire communal, Dexia a réalisé une étude sur les grands équilibres financiers de la commune entre 2001, date de mon élection, et 2006. Afin qu’elle s’acquitte de sa mission de conseil de manière objective, nous lui avons remis toutes les informations financières relatives à la commune. Nous étions en confiance, notre démarche étant celle d’un partenaire et non d’un client classique. C’est dans le cadre de cette prestation d’assistance et de conseil que Dexia a proposé à la commune de restructurer sa dette, en regroupant ses six prêts en cours en deux prêts de 4,4 millions chacun, fondés le premier sur la moitié de la parité euro/franc suisse, le second sur l’évolution du CMS 30 ans.

Pourquoi ces deux prêts ont-ils reçu l’appellation de taux fixe, sinon pour nous induire en erreur ? Le document de présentation indique en effet qu’ils sont basés « sur une stratégie de taux fixe long terme très bas sécurisé ». Pour le premier, la parité retenue est 1,44 franc suisse pour un euro, qui, précise-t-on, « n’a jamais été atteinte, même lors des attentats du 11 septembre 2001 ». Selon le document de présentation, « la Banque nationale suisse conduit une politique durable de stabilité de change, et son objectif est de maintenir le taux de change à 1,55 franc suisse pour un euro. » Enfin, « cette valeur refuge n’est pas affectée par les fortes tensions liées aux menaces de l’Iran dans le domaine atomique. » Le second prêt est présenté comme « un profil de risque très sécurisé ».

La banque Dexia, principal partenaire de la commune, était le prêteur de référence des collectivités. Elle avait signé avec Sassenage une convention de partenariat et de conseil, et réalisé une étude consolidée des finances communales entre 2001 et 2006. Pour ces deux prêts, elle a utilisé l’appellation de « taux fixe », et présenté les opérations de restructuration de la dette comme « sans risque ». C’est ce qui a conduit la commune à souscrire ces deux prêts en 2006, partageant l’emprunt de 8 millions en deux prêts, conformément au montage proposé. Pendant les deux premières années, le gain a représenté 300 000 euros, mais, pour la seule année 2011, les intérêts supplémentaires sont de 500 000 euros, que nous ne savons pas comment financer.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous nous transmettrez le document que vous nous avez lu, qui semble offrir des garanties contractuelles de stabilité, qui se sont révélées mensongères.

M. Christian Coigné. C’est le cas, ce qui justifie que nous nous dirigions vers une action judiciaire.

M. Christophe Faverjon, maire d’Unieux (Loire). En prenant mes fonctions en 2008, j’ai découvert l’existence d’emprunts toxiques qui n’avaient fait l’objet d’aucun débat en conseil municipal au cours de la mandature précédente, comme l’indique un rapport de la chambre régionale des comptes, saisie à la suite du vote négatif que nous avons émis sur les comptes administratifs de 2007.

La commune a contracté deux emprunts toxiques, l’un auprès de Dexia, l’autre de la Caisse d’épargne. Le premier, d’un montant de 4 millions, est indexé sur la valeur de l’euro par rapport au franc suisse. Il comporte une période de différé d’amortissement et de taux garanti de trois ans, la période structurée commençant cette année. La facture que nous avons reçue en septembre fixe le taux d’intérêt à 24,28 %, contre 3,68 % l’an dernier. Les intérêts supplémentaires s’élèvent à 802 000 euros. Pour y faire face, la commune devrait augmenter la fiscalité locale de 30 % ou supprimer les postes de vingt employés communaux en équivalent temps plein sur 115. Le deuxième emprunt, d’un montant de 2,3 millions, a été souscrit auprès de la Caisse d’épargne en 2007. Il est indexé sur la valeur du dollar par rapport au franc suisse. Nous sommes encore en taux fixe jusqu’en 2014, mais, compte tenu de l’évolution des cours, nous sommes très inquiets. Le contrat signé avec Dexia afin de renégocier l’emprunt antérieur qui serait arrivé à échéance en 2011, courra jusqu’en 2035. L’emprunt contracté auprès de la Caisse d’épargne pour financer les investissements de la période 2005-2007 court également pendant une période très longue.

Le bénéfice a été nul pour la commune, puisque la différence entre le taux des années bonifiées, qui était de 3,68 %, et 3,99 %, soit quelques milliers d’euros, a été engloutie en une seule fois par l’augmentation des intérêts en 2011. Dès 2008, Unieux a essayé de renégocier avec les deux établissements, en leur demandant de passer à un taux fixe. Déjà, nous pensions qu’une commune n’avait pas à contracter d’emprunt spéculatif et qu’elle devait sécuriser ses conditions de financement. Malheureusement, la négociation n’a pas abouti : Dexia nous a demandé de verser une indemnité de plus de 7 millions d’euros, s’ajoutant aux quatre millions de l’emprunt, pour passer à un taux fixe de plus de 5 %. De telles conditions ne sont acceptables ni moralement ni financièrement. Un contentieux est en cours. Cependant, nous continuons à discuter avec Dexia, cherchant à sortir de la situation par tous les moyens, pour sauvegarder l’intérêt de la ville et de ses habitants. Avec la Caisse d’épargne, nous avons engagé des négociations en 2008. La situation, qui avait avancé au début, est à présent bloquée. Nous envisageons une assignation, ayant reçu, là encore, des propositions inacceptables.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pourquoi avoir préféré ces emprunts structurés à un taux fixe, qui était à peine supérieur ?

M. Christophe Faverjon. À quelques mois des élections municipales, le différé d’amortissement permettait de réaliser des investissements d’importance sans grever le budget. Depuis lors, un ancien salarié de Dexia nous a révélé, sous couvert de l’anonymat, que la banque avait donné instruction de proposer aux collectivités de renégocier les emprunts, le but étant de rendre la clientèle captive au moyen d’un allongement des durées d’amortissement, tout en minimisant les risques et en insistant sur le bénéfice double de la période bonifiée et des marges de manœuvre que l’opération procurait. On sait ce qu’il en a été.

M. Jean Fernandez, maire de Saint-Cast-Le Guildo (Côtes-d’Armor). La situation est un peu différente à Saint-Cast. Treize prêts à taux fixe, six indexés sur l’Euribor et deux sur le taux annuel monétaire (TAM), ont été regroupés dans un prêt dit « TOFIX » de 3,5 millions, que je n’ai pas souscrit, mais dont j’assume les conséquences. Nous n’avons reçu aucune autre offre que celle de Dexia, qui, en 2010, nous a proposé de reprendre à des taux intéressants les quelques prêts à taux fixe que nous avions contractés. Une fois passés dans la machine à laver, ils en ressortaient avec un taux à 3,99 %, tant que le cours de l’euro ne tombait pas en dessous de 1,44 franc suisse. Mais, en 2011, sur ce prêt de 3,5 millions, nous avons dû verser 525 000 euros, dont 72 000 euros en capital, soit un taux de 15 %. Depuis 2007, la commune a versé en tout 1,1 million d’intérêts.

Pour comprendre comment on a pu souscrire un tel emprunt, il faut relire la proposition de Dexia :

« DUAL : un produit de la zone euro et de la zone suisse. Pourquoi utiliser la zone suisse ?

– Une économie suisse encadrée par la zone euro politiquement et économiquement stable.

– Une évolution de courbes de taux similaire sur le court terme et sur le long terme sur les deux zones, avec un différentiel permanent en faveur de la zone suisse de 1,5 %.

– Une banque centrale suisse qui pilote son inflation à 2 % et une parité euro/franc suisse à 1,50.

– Historiquement, le franc suisse constitue une valeur refuge.

– Depuis 2001, la valeur euro/franc suisse se révèle plus stable et moins volatile face aux événements internationaux (attentats de Londres et de Madrid). »

La présentation était d’autant plus séduisante que les taux étaient alors aux alentours de 5 %. Pendant deux ans, en remboursant notre emprunt à 3,99 %, nous avons été bénéficiaires, mais le taux s’est élevé l’an dernier à 8,21 %. Cette année, il atteint 15 %. Aucune solution alternative ne nous a été proposée. Quant au bénéfice que nous avons réalisé pendant deux ans en remboursant à 3,98 % au lieu de 5 %, il est pratiquement insignifiant.

Notre petite commune conseillée par Dexia ne disposait d’aucune structure permettant de réagir de manière efficace. Le montant de la dette n’a pas été modifié depuis 2006. Les propositions de la banque visaient à reconvertir tous les taux fixes en taux variables, en s’appuyant toujours sur une parité avec le franc suisse. En 2010, nous avons tenté à plusieurs reprises de négocier avec Dexia. Nous avons même proposé de rembourser le capital de 3,5 millions, mais, pour ce faire, il aurait fallu verser une pénalité de 4,7 millions ! Dexia nous a également proposé de regrouper les deux emprunts, soit un total de 8 millions, mais remplacer une dette de 3,5 millions par une dette de 8 millions à 3,5 % était impossible. Sans parler de malhonnêteté, l’opération a mis en route une machine infernale, qui a peut-être échappé à nos interlocuteurs. Je ne sais pas si les communes en difficulté se comptent en centaines ou en milliers, mais il est évident que leur nombre est élevé.

M. Claude Bartolone, Président. « TOFIX » était le nom de l’emprunt qui vous était proposé ?

M. Jean Fernandez. Le nom exact était « TOFIX DUAL ».

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. C’est limite !

M. Claude Bartolone, Président. Beaucoup d’emprunts portaient un nom alléchant, quand leurs conditions ne l’étaient guère.

M. Xavier Martin-Le Chevalier, maire de Trégastel (Côtes d’Armor). Trégastel est une petite commune, qui regroupe 2 400 habitants en temps normal et environ 11 000 pendant l’été. En 2007, quand les prêts ont été renégociés, elle était surendettée. La dette, dont le service représente actuellement 7,5 % du budget principal, déduction faite des budgets annexes, s’élevait à près de 10 millions. Elle était étalée sur seize ans, et souscrite principalement auprès de Dexia. Le 28 février 2007, ses représentants ont proposé à mon prédécesseur, pour diminuer ces annuités trop fortes, de renégocier le stock de 8 millions, réparti entre cinq emprunts à 4,5 %, en souscrivant deux prêts structurés d’environ 4 millions chacun. Le premier, TOFIX euro/GBP CMS 10 ans, et le second, qui court sur vingt-deux ans, un TOFIX DUAL euro/franc suisse, dont une partie est en taux fixe et l’autre, malgré son nom, en taux variable. Alors même qu’il ne s’agit absolument pas d’un taux fixe, le mot apparaît huit fois dans un cas, neuf fois dans l’autre, sur les documents commerciaux. Le prêt qui nous pénalise le plus lourdement est le DUAL fondé sur une parité de 1,44 franc suisse pour un euro. À l’époque, les élus pensaient gagner 200 000 euros d’intérêt, en allongeant le prêt de seize à trente ans, pour un calcul à taux constant. Mais, alors qu’ils croyaient signer un rééchelonnement de la dette, Dexia – qui leur fournissait des documents rassurants et qui se présentait comme leur conseil – proposait en fait de refondre des prêts à taux fixe ou « capé » sur seize ans dans des emprunts structurés.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La commune, qui connaissait des difficultés financières, avait besoin d’améliorer son ratio dette/autofinancement ?

M. Xavier Martin-Le Chevalier. Oui. Nous avons amélioré l’autofinancement, et nous avons financé l’extension de l’école pour 1 million d’euros, dont les travaux étaient déjà engagés. Pour nous, un point d’impôt représente 17 000 euros. Cette année, nous avons payé 290 000 euros d’intérêts supplémentaires. Dans l’hypothèse la pire, si l’on arrive l’an prochain à un euro pour un franc suisse – nous n’en étions pas loin cet été –, le montant des intérêts se monterait à 750 000 euros. Je ne peux ni monter un budget compte tenu d’une telle somme ni annoncer aux Trégastellois que leurs impôts augmenteront de 45 %.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. En théorie, vous devriez provisionner sur la base d’un taux d’un euro pour 1,2 franc suisse, selon le plus mauvais scénario que nous ayons connu – pour l’instant !

M. Xavier Martin-Le Chevalier. En finance internationale, ce qui est valable au jour J ne l’est plus le lendemain ! Pour le premier prêt, nous avons déjà provisionné 300 000 euros pour 2011, mais, quand nous faisons le budget, nous ne connaissons pas encore le taux d’intérêt, que nous découvrons le 15 juin. Le taux du second prêt, fondé sur la livre sterling, ne sera connu qu’au 1er décembre. Comment faire un budget dans ces conditions ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. En majorant l’estimation, par exemple en retenant un ratio à 1,2.

M. Xavier Martin-Le Chevalier. Ce n’est possible que pour le premier taux. Nous provisionnons, bien entendu. Autant dire que nous ne pouvons rien faire pendant l’année. Cependant, si nous nous retrouvons en décembre avec des provisions trop importantes, la chambre régionale des comptes pourrait nous en demander la raison.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Si vous ne le faites pas, vous faites un budget insincère.

M. Xavier Martin-Le Chevalier. C’est toute la difficulté.

M. Claude Bartolone, Président. De quel personnel communal disposez-vous pour gérer votre budget ?

M. Xavier Martin-Le Chevalier. J’ai une seule personne, en plus de mon secrétaire général.

M. Claude Bartolone, Président. À quelle catégorie appartient-elle ?

M. Xavier Martin-Le Chevalier. C’est un rédacteur, qui appartient au cadre B.

M. Claude Bartolone, Président. Le rapporteur a raison : vous pouvez faire le calcul sur 1,2. Avez-vous consulté, pour les prochaines années, la projection du fixing concernant la parité euro/franc suisse ?

M. Xavier Martin-Le Chevalier. Nous restons sur une tendance à 1,2. Pour le CMS GBP à dix ans, j’ignore son évolution, car je n’ai pas accès à Reuter.

M. Philippe Verrier, maire de la communauté de communes du bocage d’Athis-de-l’Orne. Je n’étais pas élu, il y a trois ans et demi, et je ne préside la communauté de communes que depuis six mois, le prêt de Dexia ayant eu raison de la bonne volonté de la présidente précédente, qui a démissionné en mars. Depuis cette date, j’ai pris l’affaire à bras-le-corps, et je tente de construire pour 2012 le premier budget que j’aie jamais fait.

Dexia n’a pas démarché les élus de la communauté de communes d’Athis-de-l’Orne. Ce sont eux qui lui ont demandé de leur faire une proposition. Un emprunt de 3,8 millions euros souscrit pour vingt-cinq ans à un taux de 4,85 % constituait plus de 50 % de la dette de la collectivité, qui était en réseau d’alerte. En 2007, il a été remplacé par un nouveau prêt – TOFIX DUAL – sur trente ans, à 3,39 % pendant les cinq premières et les cinq dernières années, le taux des vingt années intermédiaires variant en fonction de la parité euro/franc suisse. Ce taux actif prend effet au 1er avril 2012. Depuis mars, je suis tous les jours la parité des deux monnaies, qui est descendue à 1,026 au mois d’août, ce qui aurait généré pour nous des intérêts supplémentaires de 700 000 euros. Comment trouver une telle somme sur le budget d’une communauté de communes déjà endettée ?

Ma première démarche d’élu a été de rencontrer les dirigeants régionaux de Dexia, qui m’ont proposé de racheter le prêt de 3,4 millions en versant une pénalité de 6,08 millions. Il fallait être hardi pour nommer « proposition » une offre aussi peu acceptable ! Nous nous orientons actuellement vers une proposition de gel des taux sur une année, ce qui ne signifie pas qu’on gèlerait le taux d’intérêt à son niveau actuel de 3,39 %, mais qu’il passerait à 6,65 %, à condition d’allonger de deux ans un prêt qui court déjà sur trente ans.

M. Daniel Boisserie. Monsieur Coigné, vous étiez maire quand le prêt a été contracté. Étiez-vous assisté d’un directeur général des services et d’un trésorier, ou bien une délégation générale vous permettait-elle de prendre la décision directement ? Par ailleurs, Dexia s’est-elle servie de sa mission officielle de conseil pour inciter la commune à faire de mauvaises affaires ? L’affichage d’un taux fixe, sur lequel vous avez tous insisté, ne constitue-t-il pas une tromperie ? Enfin, comment le contrôle de légalité a-t-il pu accepter que vous contractiez un engagement vous interdisant de présenter un budget sincère, faute de pouvoir calculer le montant des remboursements ?

M. Serge Janquin. Confiance et tromperie sont au cœur du dossier. Le dialogue entre les parties semble avoir été faussé par un déséquilibre d’information et une maîtrise inégale des modèles économiques. Les élus avaient-ils compris que le Crédit local de France, établissement public qui, tout en ménageant son intérêt, se comportait envers les collectivités en bon père de famille, s’était transformé en Dexia, banque hybride, binationale, recherchant le profit dans les pires conditions pour les collectivités ? Celles-ci savaient-elles qu’elles s’adressaient non plus à un conseil mais à un prédateur ? Vos collaborateurs et vous-mêmes étiez-vous préparés à de telles négociations ? Avez-vous reçu des conseils ou recommandations de la part de l’État ? Faut-il davantage encadrer pour éviter que les collectivités, qui ont besoin de stabilité, soient assurées de recevoir un service de qualité ? En économie politique, la confiance compte plus que les calculs. Comment la rétablir entre les collectivités, qui auront encore besoin de financements, et leurs pourvoyeurs de ressources ?

M. Marc Francina. Aviez-vous signé des accords précisant que Dexia vous fournissait une activité de conseil ? Celle-ci faisait-elle l’objet d’un contrat spécifique, indépendant du contrat de prêt ? Quant au franc suisse, les élus de ma région, qui est frontalière, savent tous qu’il est passé de 0,13 euro en 1970 à 1,20 euro aujourd’hui. Et encore ! La Banque nationale suisse achète tous les jours de l’euro, ce qu’elle ne pourra pas faire pendant vingt ans. Peu importe que le taux de votre emprunt soit fixe, si l’évolution du franc suisse peut le faire varier. Le tableau sur la stabilité du franc suisse par rapport au yen ou au dollar, qu’on vous a présenté en 2005, ne retraçait sans doute pas son évolution sur dix ans, car il n’a jamais cessé d’augmenter pendant cette période.

M. Dominique Baert. Le fait que M. Coigné ait signé – comme l’a fait, à la même époque, le maire de ma commune – une convention de conseil en bonne et due forme change la donne sur le plan juridique. Dès lors que la banque s’engageait à « accompagner durablement la commune pour s’afficher dans un partenariat étroit », ne devait-elle pas expliciter les avantages et les inconvénients du dispositif qu’elle proposait ? D’autres élus, parmi vous, ont-ils signé une convention de conseil ?

La renégociation est un enjeu majeur, dont le cœur est l’indemnité de remboursement anticipé (IRA), d’autant plus élevée que le prêt est récent, qui se rajoute au stock de dette, rendant la situation intenable. Je propose d’interdire les IRA, en cas de renégociation des emprunts structurés. Le caractère exceptionnel des circonstances justifie une telle mesure, dont je conviens qu’elle remet en cause le droit des contrats antérieurs. Aucune renégociation n’est possible, si l’on ne modifie pas ce point.

Enfin, ne faut-il pas prendre dans la loi de finances, avant donc le rapport de la Commission, une disposition pour plafonner le taux maximal, par exemple le double des obligations d’État à dix ans, en cas de renégociation du taux d’intérêt ? Je comprends que, face à un taux de 15 ou 20 %, on croie limiter le risque en signant à 8 ou 10 %, mais le taux de renégociation des emprunts conclus à telle période sur des index structurés ne doit-il pas être bordé ?

Mme Valérie Fourneyron. Que les élus des petites communes se rassurent : la possibilité de nouer des relations de confiance avec les banques ne tient pas à l’importance des collaborateurs qui nous entourent ! Avez-vous pris des conseils juridiques avant d’engager des procédures contentieuses ? D’autres banques que Dexia ont-elles joué auprès de vous le double rôle de conseiller et de prêteur ? Sur quoi le contrôle de légalité a-t-il porté, lors de la souscription des emprunts ? S’exerce-t-il aujourd’hui, où l’on pourrait vous reprocher de présenter un budget insincère si vous ne provisionnez pas les sommes à payer ? Enfin, depuis que vous vous démenez pour tenter d’en sortir, les services de l’État vous ont-ils accompagnés ? Vont-ils vous imposer de payer ce qu’ils n’ont pas empêché ?

M. Jean-Louis Gagnaire. En matière de prêts, je salue le degré d’expertise des maires. Si la validation des acquis de l’expérience n’est pas un vain mot, ils ont devant eux un grand avenir professionnel dans ce domaine ! La banque Dexia s’est rendue coupable d’un abus de faiblesse en profitant des collectivités auprès desquelles elle était censée jouer le rôle de conseil. En tout cas, ce n’est pas à cause des collectivités qu’elle est en difficulté. Si elle disparaît, c’est donc manifestement à cause d’une mauvaise gestion. Faut-il interdire ou plafonner les indemnités de remboursement anticipé, en fonction de la part du nominal restant à rembourser ? Faut-il mettre en place une structure de défaisance ? Sous quelle forme ? Peut-on remonter les dettes pourries des collectivités et prévoir une garantie de l’État pour faire baisser les taux ? Pour parer aux urgences, de quel type de conseil avez-vous besoin ? Quel concours l’État peut-il vous apporter, puisqu’il est sûrement difficile de trouver à proximité de vos communes un expert ou un avocat apte à faire avancer votre cause ?

M. Patrice Calméjane. Pour la petite histoire, je rappelle que l’emprunt Pinay était à taux variable. Un banquier est un commerçant comme un autre, à ceci près qu’il fait le commerce de l’argent. Dès lors, sachant que l’inflation varie toujours sur une période, comment aurait-il promis des taux fixes sur trente ans, sans rattraper cet avantage d’une manière ou d’une autre ? J’ai déjà posé la question aux représentants de l’État, préfets ou trésoriers payeurs généraux, que nous avons reçus récemment. Quand on souscrit un prêt, il faut avant tout s’interroger sur l’intérêt de la banque.

L’argent emprunté a-t-il été investi ? Avez-vous identifié à long terme les besoins de financement réels de vos collectivités ? Les associations locales de maires vous ont-elles conseillés ? Avez-vous abordé le sujet avec d’autres maires ? Au cours des dernières années, vos communes ou communautés de communes ont-elles été contrôlées par la chambre régionale de comptes ? Celle-ci a-t-elle détecté la situation financière particulière de vos collectivités et vous a-t-elle alertés ?

M. Claude Bartolone, Président. À les entendre, certains établissements bancaires n’ont proposé ces produits qu’à des collectivités qui avaient les moyens de les piloter. Votre témoignage montre ce qu’il en est. Avez-vous eu l’impression en relisant les contrats que la symétrie d’information, nécessaire à la confiance, était assurée ? Enfin, faut-il interdire les produits C3, C4 ou C5 de la charte Gissler ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La voie judiciaire dans laquelle vous vous engagez serait catastrophique si le premier perdait, car son cas fera jurisprudence. Dès lors que le même acteur était à la fois banquier et conseil, auquel des deux vous en prenez-vous ? Vous a-t-on fourni des informations tronquées, erronées ou mensongères, comme lorsqu’on nomme TOFIX un produit soumis à des variations ? Au reste, il arrive que la parité entre deux monnaies soit stable sur le long terme, si l’avantage constaté à une période se compense à un autre moment. J’insiste enfin sur un point : quand vous engagez en justice une procédure portant sur des montants précis, la loi vous oblige à les provisionner dans votre budget pour ne pas courir l’accusation de présenter un budget insincère.

M. Philippe Verrier. Pour l’instant, nous n’avons pas engagé de procédure contre Dexia, par crainte de couper le dialogue. Nous préférons négocier année par année, en espérant devoir le faire le moins longtemps possible. La communauté de communes était en réseau d’alerte, mais, quand le prêt à taux fixe de vingt-cinq ans été remplacé par un prêt sur trente ans, dont vingt à un taux aléatoire, l’opération a passé sans difficulté de contrôle de légalité. En tant que néophyte, je considère que la loi devrait interdire aux collectivités de s’endetter à des taux autres que fixes.

M. Xavier Martin-Le Chevalier. Si nous n’avons jamais signé de contrat de conseil, Dexia nous propose, depuis qu’il existe des produits structurés, des chartes de partenariat. Je ne les signerai pas tant que je n’aurai aucun retour sur la demande de restructuration des prêts que j’ai adressée il y a trois ans. Les seules propositions que j’ai reçues sont équivalentes. Classées 4E, elles se contentent de remplacer le DUAL franc suisse par son équivalent, FIXIA, en dollar.

M. Claude Bartolone, Président. L’emprunt s’appelle FIXIA ?

M. Xavier Martin-Le Chevalier. Oui ! Et les termes « taux fixe » apparaissent neuf fois sur le document : « taux fixe… taux fixe MS sur trente ans… Première phase de trois ans : taux fixe de 3,75 %... Deuxième phase de vingt-deux ans : taux fixe de 3,75 %… Arbitrage temporaire vers un taux fixe de 5,25 %… Troisième phase : taux fixe Euribor… Un produit du marché long terme à taux fixe, à des conditions de taux fixe décoté, et avec, en contrepartie, un passage temporaire sur un taux fixe à risque progressif. » Il s’agit en fait de taux variables.

M. Claude Bartolone, Président. Vous nous laisserez le document que vous venez de lire.

M. Xavier Martin-Le Chevalier. Sur les conseils de notre avocat parisien, j’ai entamé une procédure pour défaut de conseil, mais surtout pour tromperie. Mon prédécesseur n’avait pas les moyens de connaître les risques qu’il prenait en souscrivant ce crédit.

À mon entrée en fonction, en 2008, j’ai alerté le TPG et le préfet sur les finances de la commune. Celle-ci étant surendettée, elle était en réseau d’alerte. La seule réponse des services de l’État a été que je ne pouvais pas prétendre à la dotation globale d’équipement (DGE). Samedi, le sous-préfet m’a demandé de lui transmettre le dossier. Il y a un an et demi, j’ai appris de manière indirecte que le TPG et le préfet avaient demandé à tous les trésoriers des Côtes-d’Armor la liste des communes ayant souscrit des emprunts toxiques, mais je n’ai eu aucun contact avec eux, et personne ne m’a proposé de l’aide.

La structure de défaisance peut être dans un second temps un outil intéressant, mais, dès lors que nous attaquons la banque pour tromperie, c’est l’annulation que nous demandons.

Depuis un mois, afin de provisionner les montants requis pour présenter un budget sincère, je supprime les emplois saisonniers pour l’année prochaine. Je ne renouvellerai pas la bibliothécaire. Je crains de ne pas pouvoir remplacer le policier municipal qui part en retraite, ce qui créera l’été prochain une situation sera très difficile. J’examine tous les dossiers article par article, dans le but de supprimer les dépenses qui ne sont pas incompressibles.

M. Jean Fernandez. Notre situation est un peu différente, puisque nous avons pu provisionner les 525 000 euros demandés cette année, mais, en l’absence d’aide de l’État, nous nageons seuls. La première audience de notre procès s’est tenue le 3 octobre au tribunal de grande instance de Nanterre ; la prochaine est fixée au 21 novembre. Le conseil municipal n’ayant pour l’heure pas d’autre choix que de prendre acte des prêts contractés, il me semble indispensable d’encadrer les responsables des collectivités. À cette fin, j’ai mis en place dans ma municipalité une commission des finances qui examine toutes les propositions. Pour ma part, je ne connais pas la méthode de calcul des intérêts à verser, dont le montant semble changer tous les jours. Je vous propose d’écouter la personne qui m’a aidé dans ce travail.

Mme Eliane Thierry, conseiller de la nouvelle équipe municipale pour la renégociation des emprunts toxiques. Actuellement à la retraite, je connais les systèmes de financement pour avoir travaillé dans une banque. C’est pourquoi, il y a deux ans, Jean Fernandez m’a demandé de l’aider dans ce dossier que nous avons décidé de porter devant les tribunaux. Pour éviter à la commune d’engager des frais importants en début de procédure, nous avons négocié un partage avec l’avocat en cas de succès.

Contrairement au Crédit agricole ou à d’autres établissements, Dexia n’est pas une banque de dépôt. Empruntant elle-même à taux variable, elle peut difficilement offrir des taux fixes. Si elle en a proposé, en période de baisse des taux, c’est en pensant se refinancer ensuite à taux plus bas. Quand elle n’a plus pu le faire, en 2007 et 2008, les prêts structurés sont arrivés car Dexia a envoyé des commerciaux dans les communes, notamment à Saint-Cast, pour transformer les prêts à taux fixe en prêts à taux variable. Ayant elle-même prêté à long terme et à taux fixe, elle était dans une situation infernale. Lors du changement de présidence, en 2008, elle n’avait devant elle que cinq jours de trésorerie. Soit elle avouait qu’elle n’avait plus de financement, soit elle manipulait les communes, particulièrement les plus faibles, pour les amener à substituer au taux fixe un taux variable.

Il y a effectivement eu tromperie, puisque l’appellation de taux fixe était appliquée à tort à des taux indexés sur des devises qui n’avaient aucun lien avec l’activité des communes. Quant à savoir s’il faut prévoir des taux fixes ou imposer un plafond, je considère, en tant qu’ancienne banquière, que tout établissement qui propose un taux à prêt variable devrait obliger le souscripteur à contracter une assurance – un complément d’assurance crédit public (CAP) – garantissant que, même si le taux monte, il ne dépassera pas un certain niveau.

M. Claude Bartolone, Président. En vous écoutant, on comprend pourquoi nos amis belges considèrent que l’argent déposé dans la filiale belge a servi à financer les collectivités locales françaises. Vous avez rappelé l’époque où il ne restait en caisse que cinq jours de trésorerie. Pour comprendre ses difficultés actuelles, il suffit de convertir en nombre de jours de trésorerie les 517 milliards qui figurent à son bilan.

M. Christophe Faverjon. Quand nous établissons un budget primitif, avant mars, il nous est impossible d’anticiper une dépense dont le montant nous sera signifié en septembre. L’an dernier, à Unieux, nous avons dégagé en épargne nette 500 000 euros, quand il en aurait fallu 800 000 pour faire face au supplément d’intérêts ! Dès lors que le système de change flottant varie chaque jour en fonction des intervenants du marché, ce qui exclut les taux planchers et les valeurs plafonds, les collectivités sont incapables de déterminer les sommes à provisionner.

Avant tout, nous souhaitons négocier avec Dexia, ce qui n’a pas été possible depuis deux ans. La situation semble évoluer depuis quelques semaines. L’assignation serait pour nous une extrémité. Nous pourrions cependant la fonder sur trois motifs.

Le premier serait le défaut de conseil. À Unieux, il n’existe qu’un responsable des finances communales, compétent en matière de comptabilité, mais non de marchés financiers. La banque n’a pas joué son rôle en proposant un produit toxique à notre commune.

Par ailleurs, les contrats proposés par la Caisse d’épargne et par Dexia présentent un vice, au sens où ils ne contiennent ni le montant de la pénalité en cas de remboursement anticipé ni la formule qui permet de la calculer. Interrogée à ce sujet, la banque ne peut que nous fournir qu’un montant, qui varie selon les périodes. Il y a quelques mois, il se montait à plus de 7 millions pour un prêt de 4 millions. D’autre part, la formule de calcul du prêt TOFIX DUAL euro/franc suisse se prête à une lecture contradictoire. Il est dit que le calcul du taux d’intérêt résulte du taux de variation de l’euro par rapport au franc suisse, puis qu’il se fonde sur un coefficient multiplicateur, ce qui accroît l’amplitude des variations.

Le troisième élément pouvant justifier un recours tient au fait que le maire d’Unieux qui a signé le contrat n’avait pas la capacité juridique de le faire, le conseil municipal n’ayant à aucun moment délibéré sur le montant de l’emprunt. On relève à cet égard une triple faute : Dexia aurait dû s’assurer que le maire disposait de la capacité juridique de contracter l’emprunt, la commune d’Unieux aurait dû la lui donner, et le contrôle de légalité aurait dû vérifier que le maire avait été dûment habilité.

Nos collectivités sont face à une situation dramatique. Aucun d’entre nous ne décidera d’augmenter massivement la fiscalité locale ou de réduire des pans entiers du service public, si utiles en temps de crise. Parce que nous ne sortirons pas des discussions bilatérales avec les banques, l’État doit intervenir. La meilleure solution est de prévoir une structure de défaisance, pour aider les collectivités à se dessaisir des emprunts toxiques et à souscrire des emprunts à taux fixe dont la visibilité soit garantie. Que les banques qui ont proposé ces produits en assument le coût ! À court terme, c’est la meilleure solution. Pour l’avenir, il faut réglementer les crédits accessibles aux collectivités, en excluant les crédits spéculatifs. M. Calméjane l’a rappelé : la logique financière des banques privées étant de réaliser des profits, seul un pôle bancaire public peut offrir aux communes un crédit sélectif bon marché, qui permettra de répondre aux besoins des citoyens et de renforcer le rôle des services publics.

M. Christian Coigné. Nous avons signé en 2006 avec Dexia une convention officielle de partenariat pour « favoriser l’investissement et le développement durable dans un contexte de maîtrise des frais de fonctionnement et de prélèvement. » Je la cite : « Cette analyse et ce suivi s’effectueront chaque année à l’occasion de plusieurs rendez-vous. En début d’année, une réunion sera organisée avec la ville de Sassenage et Dexia afin de définir les objectifs que se fixe la ville de Sassenage pour la gestion de la dette. » Malgré cette convention, nous n’avons jamais été alertés sur les risques auxquels nous exposaient nos emprunts et n’avons jamais rencontré Dexia autrement qu’à notre initiative, alors même que Dexia local devait, aux termes du contrat, assurer « un suivi des marchés financiers, afin d’aider la ville de Sassenage à atteindre ses objectifs. ». Il y a donc eu défaut de conseil.

Le contrat que nous avons signé pour lisser la dette comprend une courbe précise accompagnée de ce commentaire : « La valeur de 1,44 franc suisse pour un euro n’a jamais été atteinte, même lors des attentats du 11 septembre 2001. La Banque nationale suisse conduit une politique durable de stabilité du change du franc suisse contre l’euro. Son objectif est le maintien du cours de change à 1,55 franc suisse pour un euro. La Suisse a comme premier partenaire commercial la zone euro. Son économie est donc fortement dépendante d’une parité de change favorable aux exportations. Le franc suisse est une valeur refuge. Les fortes tensions géopolitiques liées à l’Iran n’ont pas affecté le franc suisse ». La suite du document évoque la mise en place d’un taux fixe. Considérant qu’il y a tromperie dans les deux contrats, nous nous sommes entourés d’un expert juridique et d’un expert technique, pour envisager la possibilité d’un recours.

J’ai consulté le préfet pour savoir comment s’exercerait le contrôle de légalité, dès lors que, cette année, nous n’avions pas provisionné le surplus correspondant aux intérêts. Il m’a répondu que, le cas échéant, il ordonnerait un prélèvement d’office. On m’a conseillé de renégocier avec Dexia, et de remonter de l’échelon régional au niveau national, ce que je n’ai pas pu obtenir. La seule proposition que j’aie reçue visait à allonger l’emprunt de deux ans, en passant à un taux fixe de 8,2 %, après versement d’une indemnité de 9,8 millions.

Les contrats des banques doivent être plus lisibles, sincères et honnêtes, et leur contenu devrait être préalablement validé par l’Autorité des marchés financiers, peut-être avec l’aide de l’Association des maires de France, selon la procédure en vigueur pour l’information donnée aux particuliers par les sociétés cotées. Les banques doivent fournir des simulations extrêmes, notamment des tests de sensibilité, ce qu’elles ne font pas aujourd’hui. Enfin, il faut créer une instance de conseil en gestion de dette, composée de représentants détachés de la Caisse des dépôts et consignations, des anciennes missions d’expertise économique et financière du Trésor public et de fonctionnaires des autres fonctions publiques.

Aujourd’hui, la confiance est perdue. Pour nous financer, allons-nous nous tourner vers l’État, vers des conseils indépendants ou vers d’autres banques ? Pour l’instant, nous nous enfonçons, faute de pouvoir payer, et nous cherchons tous les moyens de nous en sortir. L’expertise dont nous devons faire preuve augmente sans cesse. Quand j’ai pris la mairie, en 2001, nous étions sous contrôle de la tutelle. J’en suis sorti en 2006, au prix de beaucoup d’efforts, et voilà que nous retombons dans les difficultés. Je gère une commune de 11 000 habitants avec quelques cadres. Tous étaient favorables, à l’époque, à la signature du contrat, et nul n’éprouvait le moindre doute. Le maire d’une commune voisine, qui présidait alors la Commission des finances à l’Assemblée nationale, a signé un contrat comparable tant pour sa commune que pour la communauté d’agglomération qu’il présidait. À qui pourrons-nous faire confiance, si une instance ne peut nous aider et interdire les dérives ? Les élus que nous sommes doivent, sans être techniciens, prendre des décisions importantes en termes de gestion. De ce fait, ils doivent pouvoir s’appuyer sur d’autres instances, notamment l’État. Je sais que les préfectures emploient des experts de la finance. Ceux-ci devraient pouvoir intervenir dans de tels dossiers, quitte à les bloquer, comme c’est le cas dans d’autres pays.

M. Claude Bartolone, Président. En matière de compétence, les élus n’ont aucun complexe à avoir : lors de la dernière audition, un TPG nous a avoué qu’il n’avait reçu aucune formation pour ce type de produits.

M. Bernard Chesneau. Nous aussi, nous avons assigné la banque Dexia pour défaut de conseil – alors même que mon prédécesseur avait signé avec elle un contrat de conseil –, et pour non-validité du contrat, le maire de l’époque n’ayant pas autorité pour signer un contrat de plus de 1,5 million, qui, de ce fait, n’aurait pas dû passer le contrôle de légalité. Cela dit, nous aurions préféré négocier.

Il va de soi qu’une vieille dame aurait signé le même contrat que nous, la justice se serait portée à son secours. Quel que soit le niveau remarquable des employés de l’État à la préfecture de Loire atlantique, qui nous ont aidés, le premier avocat de Dexia a tout de même été l’État – notamment par la voix de M. Gissler, que j’ai eu plusieurs fois au téléphone – qui nous a toujours poussés à négocier. Mais, dans une discussion, il faut être deux. La commune de Thouaré était prête à faire un pas, sachant que l’opération ne pouvait être neutre, mais l’indemnité de remboursement constitue une barrière infranchissable. De plus, il faut que la personne avec qui l’on négocie ait la main sur les produits, ce qui n’était pas le cas avec Dexia. Dès lors, il ne sert à rien de discuter. Il faut passer à une autre échelle. Sans doute l’État pèsera-t-il plus que nous sur les banques. Le problème est l’absence non de compétence, mais de décideur. Puisque nos interlocuteurs de Dexia nous disent être soumis aux mêmes pressions que nous, négocier revient à reculer pour mieux sauter.

Comment présenter un budget sincère quand on annonce qu’on va geler un coupon pendant deux ans, sans pouvoir préjuger de ce qui se passera dans trois ou quatre ans ? Cela revient à repousser la charge sur les nouvelles générations et les futurs élus. Si nous acceptons de porter une part de la peine, il est impossible de l’assumer en totalité. Dans une négociation, il faut toujours proposer quelque chose. Dexia ne l’a jamais fait. La structure de défaisance paraît la seule solution, pourvu qu’on prévoie différentes strates de traitement. Je rappelle que, dans ma commune, un point de fiscalité représente 35 000 euros, contre 17 000 ailleurs. Si le préfet nous impose de payer, je lui donnerai les clés de la commune. L’État n’aura qu’à faire lui-même ce qu’il nous impose.

Mme Anne Auffret. La situation de notre commune est moins dramatique, mais je me garderai bien d’imiter la personne qui, en tombant du vingtième étage, répète à chaque niveau pour se rassurer : « Pour l’instant, tout va bien. » L’encours de notre dette est moins élevé. Nous avons été informés par la chambre régionale des comptes du fait les prêts structurés atteignaient environ 60 % de notre endettement. Nous avons réagi en signant un contrat de conseil avec Finance active, société spécialisée, reconnue pour l’assistance qu’elle apporte aux collectivités territoriales. Nous avons également missionné le cabinet Michel Klopfer, pour qu’il procède à une analyse rétrospective et prospective de nos finances.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment se comportent les préfets quand vous entamez une procédure ? Avez-vous l’impression que celle-ci prend un caractère suspensif, qui vous dispense de provisionner les sommes, comme le prescrit la loi, ou déclenche-t-elle au contraire le mécanisme de provision ?

M. Christophe Faverjon. Je n’entretiens pas les mêmes rapports que mes collègues avec les représentants locaux de l’État. D’entrée, nous avons informé le préfet de notre décision de fixer l’été dernier, de manière unilatérale, un taux à 3,9 %, et d’assigner Dexia. Il a été à l’écoute, et s’est engagé à ne pas inscrire le supplément éventuel d’intérêts en dépense obligatoire, puisque nous avions engagé une procédure jetant un doute sur la légalité du contrat. Cette position compréhensive a été confirmée. Dans le budget primitif, nous avons voté sur une ligne spécifique le montant des intérêts calculés à 3,9 %, qui a passé le contrôle de légalité.

M. Christian Coigné. Dès lors que les préfets représentent l’État, ils devraient tous adopter la même position, ce qui permettrait de trouver des solutions. Le nôtre a refusé catégoriquement de discuter. Nous n’avons pas provisionné l’augmentation des intérêts en 2011 : nous ne savons pas comment payer.

M. Claude Bartolone, Président. Madame Auffret, tant qu’une commune est dans la période de taux bonifiée, elle ne s’inquiète pas, mais nombre d’élus auront bientôt une mauvaise surprise.

M. Christian Coigné. La période de taux bonifiée commence pour nous le 15 décembre. Les experts de la préfecture nous ont dissuadés de regarder les taux tous les jours, en attendant cette date. Mais que ferons-nous alors, si nous ne pouvons pas payer ?

M. Claude Bartolone, Président. Si vous consultez le fixing de Londres, vous connaîtrez déjà les projections pour décembre. Je le sais, pour être moi aussi concerné.

M. Jean Fernandez. Dans mon cas, le préfet n’est pas intervenu, alors même que nous connaissons depuis deux ans des taux majorés.

M. Claude Bartolone, Président. Oui, mais vos moyens financiers vous permettent de payer… Je remercie chacun d’entre vous.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Réunion du mercredi 5 octobre 2011 à 16 h 30

Présents. - M. Dominique Baert, M. Claude Bartolone, M. Daniel Boisserie, M. Patrice Calméjane, M. Thierry Carcenac, M. Bernard Derosier, Mme Valérie Fourneyron, M. Marc Francina, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Serge Janquin, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-François Mancel, M. Henri Plagnol, M. Jean Proriol, M. Paul Salen

Excusés. - M. Jean-Jacques Candelier, M. Michel Diefenbacher, M. Guillaume Garot

Assistaient également à la réunion. - M. Jérôme Cahuzac, M. Jean Mallot, M. Michel Ménard, M. Fernand Siré