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Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Mardi 15 novembre 2011

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Claude Bartolone, Président

Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème : « La politique de prêts de Dexia »

– M. Pierre Richard, ancien président de Dexia

– M. Gérard Bayol, ancien directeur général de Dexia Crédit Local, actuellement directeur général délégué en charge du pôle entreprises et institutionnels de Crédit Mutuel-Arkéa

– M. Bruno Deletré, ancien directeur général des services financiers au secteur public, financement de projets et rehaussement de crédit de Dexia SA, actuel directeur général du Crédit Foncier

– M. Alain Delouis, ancien directeur général de TFM, membre du comité de direction de Dexia SA, actuellement directeur des ressources humaines de Natixis

M. le président Claude Bartolone. Mes chers collègues, nous reprenons ce matin le fil de nos travaux en recevant les responsables des banques en fonction pendant la période où des prêts structurés ont été proposés aux collectivités territoriales, et en premier lieu ceux de Dexia.

Je suis heureux d’accueillir en votre nom :

M. Pierre Richard, qui a exercé les fonctions de directeur général des collectivités locales, au ministère de l’intérieur, entre 1978 et 1979 ; à compter de 1993, de PDG du Crédit local de France devenu, sous votre impulsion – en 1997 –, Dexia ; à partir de 2000, de président du conseil de surveillance puis de président du conseil d’administration, jusqu’au premier plan de recapitalisation de Dexia, en octobre 2008 ;

M. Gérard Bayol, directeur général de Dexia Crédit Local, de 2006 à 2009, actuellement directeur général délégué en charge du pôle entreprises et institutionnels de Crédit Mutuel-Arkéa ;

M. Bruno Deletré, directeur général des services financiers au secteur public, financement de projets et rehaussement de crédit de Dexia SA – de 2006 à 2008 –, actuel directeur général du Crédit Foncier ;

M. Alain Delouis, directeur de la trésorerie et des marchés financiers – de 2006 à 2008 – de Dexia, actuellement directeur des ressources humaines de Natixis.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Vous le savez, notre commission d’enquête a été créée pour comprendre comment des prêts et produits structurés ont pu être proposés aux collectivités. Elle n’est donc pas là pour juger la stratégie internationale et la gestion financière du groupe Dexia au cours de la dernière décennie. Cependant, le panorama révélé par nos précédentes auditions apparaît peu flatteur pour les établissements de crédit, en particulier pour ceux avec lesquels les collectivités territoriales avaient historiquement une longue habitude de travail et de confiance. Je souhaiterais, par conséquent, mieux comprendre comment le groupe Dexia en est venu à proposer aux collectivités territoriales des produits aussi risqués et contraires à leur vocation d’intérêt général que ces prêts structurés.

Quand a débuté la commercialisation auprès des clients de Dexia de prêts structurés ? Qui l’a autorisée ? Quelle était la clientèle visée ? Quelles étaient les consignes données aux commerciaux ?

MM. Pierre Richard, Gérard Bayol, Bruno Deletré et Alain Delouis prêtent successivement serment.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Messieurs, à mon tour, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de notre commission. Nous souhaiterions comprendre la démarche de Dexia qui a massivement transformé les dettes dormantes des collectivités territoriales en emprunts structurés. Même si les collectivités ont pu en profiter un certain temps, leur situation est aujourd’hui difficile. Cela dit, je fais toujours la distinction entre emprunts structurés et produits toxiques, la différence étant plutôt d’ordre conjoncturel que structurel.

Comment et par qui, au sein du groupe Dexia, ont été élaborées les formules à la base des prêts structurés que vous proposiez ? On a, par ailleurs, le sentiment qu’une armée de commerciaux est partie attaquer le marché français des collectivités.

Outre les prêts structurés, avez-vous proposé des swaps structurés aux collectivités territoriales ? Si oui, pourquoi et quelle était la clientèle visée ?

Comment étaient choisis les indices sous-jacents ? Qu’est ce qui justifie, par exemple, cet incroyable tropisme pour le franc suisse ou pour d’autres indices exotiques, aujourd’hui classés hors charte Gissler ?

Quel était le degré de connaissance, chez vos commerciaux de terrain, des structures complexes de ces prêts ? Et le niveau de compétence financière de leurs interlocuteurs au sein des collectivités ? S’agissait-il d’élus éloignés de la finance ou des directeurs financiers, des directeurs généraux des services ? Quelles ont été les pratiques pour inciter les collectivités à entrer dans cette dynamique ?

M. Pierre Richard, ancien président de Dexia. Ayant quitté mes fonctions exécutives fin 2005 pour devenir président non exécutif du groupe Dexia, je voudrais rappeler rapidement dans quel état d’esprit nous étions lors de l’apparition de ces produits structurés qui marquent une étape dans l’évolution du financement de l’économie. Depuis plus d’une vingtaine d’années, les marchés financiers jouent un rôle énorme dans l’économie avec la banalisation des financements et l’innovation financière. Le secteur local, qui est un très important acteur économique, a évidemment souhaité bénéficier des opportunités de marché en pratiquant, dès les années 1980, une gestion active de la dette, conformément aux souhaits des gouvernements successifs d’ailleurs, pour que soit revu l’ensemble des encours dont les taux étaient parfois très élevés – 15 %, 16 %, voire 17 %. Pour répondre à cette demande, Dexia et ses grandes filiales ont donc fabriqué des produits, ultérieurement qualifiés de structurés. Telle est l’idée générale qui a motivé la création de ces produits.

Quant au conseil d’administration, il s’assurait de la clarté des procédures et veillait à ce que les différents produits soient proposés de manière transparente dans des documents extrêmement précis présentés dans le détail par les différents services de Dexia Crédit Local, par les directeurs régionaux en particulier.

M. Gérard Bayol, ancien directeur général de Dexia Crédit Local, actuellement directeur général délégué en charge du pôle entreprises et institutionnels de Crédit Mutuel-Arkéa. Chez Dexia Crédit Local, nous avions 300 commerciaux – un nombre à peu près constant sur toute la période – pour accompagner les collectivités locales : répondre aux appels d’offre et en assurer le suivi. On ne peut donc pas parler de démarche massive ; c’était une démarche récurrente de suivi des différents clients. À l’époque, deux tiers de notre activité étaient consacrés à des opérations standard, l’autre tiers portant sur les produits structurés. Entre 1990 et 2000, l’ingénierie financière s’est sophistiquée, sous l’impulsion d’acteurs étrangers, qui sont entrés sur le marché français, ou de conseils financiers, et sous l’influence des marchés financiers.

Vous m’avez demandé comment étaient choisis les index sous-jacents. Le franc suisse a été commercialisé dès la fin des années 1990 pour la simple raison qu’il présentait, pour pratiquement tous les acteurs financiers, une possibilité de convergence vis-à-vis de l’euro, et des taux d’intérêt faibles, c'est-à-dire une opportunité dans des logiques de concurrence et d’intérêt financier pour les collectivités locales.

Nos commerciaux avaient un niveau bac+3, bac+5. Ils sortaient d’écoles de commerce ou avaient suivi un cursus universitaire avec une spécialisation finances et collectivités locales. Ils connaissaient bien les produits que nous commercialisions et suivaient une formation continue à ce sujet.

Quant à leurs interlocuteurs, ils étaient rarement les élus, mais plutôt les directeurs généraux des services des collectivités territoriales. Cela dit, la commercialisation des produits structurés dits plus complexes était limitée aux grands clients, c’est-à-dire aux collectivités de plus de 10 000 habitants.

S’agissant de l’élaboration de ces produits, au sein de Dexia Crédit Local, le comité « Nouveaux produits » a été mis en place qui, comme son nom l’indique, examinait les nouveaux produits. Son secrétaire était le directeur des engagements, et il était présidé par le responsable opérations et finances. La force de proposition relevait de la direction commerciale, secondée par des équipes financières techniques émanant de la salle des marchés. Le directeur juridique, le responsable du contrôle permanent et le responsable des affaires financières faisaient également partie de ce comité. Des contrôles étaient donc exercés. Par ailleurs, le comité « Nouveaux produits » a progressivement évolué vers le suivi de la commercialisation des produits.

M. le rapporteur. Votre successeur nous a dit qu’il y avait 156 produits différents lorsqu’il est arrivé, ce qui ne facilitait pas la compréhension pour les clients, et qu’il avait ramené ce nombre à 15. Pourquoi une telle volonté de complexification ? En outre, l’appellation « TOFIX » n’est-elle pas trompeuse vis-à-vis de collectivités habituées à une gestion de bon père de famille ? Enfin, quel TEG garantissez-vous à celui qui contracte un emprunt structuré ?

M. Gérard Bayol. Je n’ai pas le souvenir de 156 produits en tant que tels ! Nous avions en fait cinq à six grandes familles de produits – taux fixe, indexation sur l’Euribor, sur le change, produits de pente, etc. –, chacune d’elles étant sous-compartimentée. Le nombre de nouveaux produits a régulièrement diminué en 2007 et 2008. Quant aux produits ayant le label TOFIX, FIXIA ou FIXMS, qui démarraient avec une période de taux fixe et poursuivaient avec une option d’indexation sur le change notamment, ils s’adressaient seulement à nos interlocuteurs des grandes collectivités locales qui connaissaient bien notre gamme.

M. le président. Si je comprends bien, monsieur Richard, monsieur Bayol, votre argumentation se résume à deux constats : vous répondiez à une demande des collectivités locales et vous étiez en relation avec l’administration, pas forcément avec les élus. Alors, quel a été, chaque année, le bonus maximum total, cash et différé, attribué respectivement aux vendeurs, à leur supérieur hiérarchique direct et aux traders, traitant même partiellement, avec les collectivités en France lors de la période de mise en place des produits les plus structurés ?

M. le rapporteur. J’attends toujours que l’on me réponde très précisément sur le TEG !

M. Gérard Bayol. J’ai omis de vous dire que le comité « Nouveaux produits » avait émis un avis négatif à la commercialisation des crédits dits snowballs, à effet cumulatif. Par ailleurs, nous ne commercialisions pas de swaps seuls. Par conséquent, nous n’avions pas de logique de trading, donc de rémunération des traders associée à cette commercialisation. Nous n’avions pas d’incitation particulière à la commercialisation des produits structurés. Les commerciaux n’avaient pas de bonus : la part variable des rémunérations, qui pouvait aller jusqu’à 6 000 euros et représentait environ 10 % de la rémunération, se décomposait en trois volets : un premier volet qualitatif, un deuxième volet indexé sur les commercialisations croisées avec d’autres activités, et un dernier volet quantitatif calculé en fonction de l’ensemble des activités, mais pas spécifiquement la commercialisation des produits structurés.

M. Alain Delouis, ancien directeur général de TFM, membre du comité de direction de Dexia SA, actuellement directeur des ressources humaines de Natixis. Ces produits ne généraient pas de produit net bancaire (PNB) dans les salles de marché puisque Dexia adossait systématiquement l’ensemble des produits proposés à ses clients. De ce fait, la rémunération des traders dans les salles de marché n’était pas liée à la volumétrie ou au PNB généré par les produits structurés.

M. Gérard Bayol. L’ensemble de ces produits, comme le TEG, est basé sur une valorisation qui se fait à l’instant de l’appel d’offre. Les références sont prises à l’instant t, selon la définition du TEG.

M. le rapporteur. Cela vaut aussi pour un produit structuré ! La définition du TEG est la même que le prêt soit à taux fixe ou à taux variable !

M. Gérard Bayol. Exactement ! Je vous renvoie à la circulaire de 1992. On retient le même principe de fixation que pour le TEG. À l’instant t de l’appel d’offre, on fixe le prix sur toute la structure.

M. le rapporteur. Cela n’a pas de sens sur un produit structuré !

M. Gérard Bayol. Bien sûr que si, puisque le produit structuré est composé d’une partie fixe et d’une partie variable !

M. le rapporteur. En trente ans, la situation peut se retourner dix fois !

M. Gérard Bayol. C’est la même chose pour l’Euribor !

M. le rapporteur. Bien sûr, et c’est tout le problème ! Quand les gens signent, ils ont l’impression de s’engager sur un montant maximal de frais financiers. La variable d’ajustement étant la fiscalité, comment gérer ensuite la collectivité ?

Par ailleurs, parmi toutes les collectivités touchées, très peu ont plus de 10 000 habitants. Aviez-vous donné pour consigne de ne pas accorder d’emprunts structurés aux collectivités plus petites ?

M. Gérard Bayol. Oui ! Parmi les réserves exprimées au sein du comité « Nouveaux produits » figurait l’interdiction de la commercialisation de certains de ces produits pour les collectivités de moins de 10 000 habitants.

M. le rapporteur. Si l’on trouve des produits structurés chez certaines petites collectivités, c’est donc que les commerciaux les moins bien payés ont commis des erreurs !

M. Gérard Bayol. Il y a peut-être eu, effectivement, des erreurs de commercialisation !

M. le président. Vous avez évoqué la qualification de vos vendeurs, mais quel profil devaient avoir leurs interlocuteurs de l’administration pour comprendre ce qui leur était proposé ?

M. Gérard Bayol. Vous avez bien noté que Dexia ne commercialisait pas de swaps. Nos interlocuteurs avaient généralement la même formation que nos commerciaux. Ils avaient en tout cas suffisamment de connaissances en termes d’ingénierie financière pour superposer des swaps à nos propres produits structurés.

M. le président. D’après vous, ce sont donc les élus qui réclamaient ce genre de produits et qui les complexifiaient !

M. Gérard Bayol. Je n’ai pas parlé des élus. Je dis simplement que Dexia a commercialisé des prêts structurés qui ont ensuite été restructurés avec d’autres swaps. En 2008, lorsque nous envisagions de proposer une solution alternative aux clients affectés par la plus forte volatilité des marchés, nous trouvions en effet, dans certaines collectivités importantes, en plus de nos prêts structurés, des swaps qui ne venaient pas de chez nous, et qui s’y superposaient, dans une sorte de millefeuille. J’en déduis que les personnes qui effectuaient ces opérations avaient soit des conseils financiers, soit une bonne connaissance de ce type de produits.

M. le président. Monsieur Bayol, dans le cadre de la commission d’enquête, nous n’avons pas reçu que des « grands clients » ! Certains représentants de villes de moins de 10 000 habitants n’ont pas vraiment eu l’impression de réclamer des produits structurés à leur banquier ! Il est venu avec des propositions de contrat qu’il leur était, à mon humble avis, très difficile de comprendre.

Mais j’en viens à une question juridique. Une circulaire de 1992 interdisait la vente de produits financiers sans rapport avec l’activité réelle de la collectivité. Quelle a été la position de vos services juridiques sur cette circulaire ?

M. Bruno Deletré, ancien directeur général des services financiers au secteur public, financement de projets et rehaussement de crédit de Dexia SA, actuel directeur général du Crédit Foncier. J’étais en charge de la supervision du métier « Collectivités locales » pour l’ensemble des pays dans lesquels nous intervenions de 2006 à 2008. Outre le comité « Nouveaux produits », il existait un comité d’éthique et d’évaluation des risques commerciaux qui, en 2006 par exemple, a classé tous les produits selon leur risque et suivait les clients concernés. Ce comité portait aussi une grande attention à la façon dont les produits étaient présentés avec non seulement le scénario de base, mais aussi des stress scenarii fondés sur des hypothèses divergentes, pour souligner les risques attachés à ces produits. Par ailleurs, le terme « TOFIX » n’apparaissait pas seul, il était suivi d’un autre, « DUAL » par exemple, puisque seule la première période était à taux fixe.

M. le président. La direction de la conformité a-t-elle eu à se prononcer sur la circulaire de 1992 ?

M. Bruno Deletré. La vente des produits structurés ayant commencé dans les années 1990, la conformité de ces produits avec la circulaire de 1992 a sûrement été analysée.

M. le président. Mais c’est après 1992 que la mise sur le marché de ces produits structurés a connu un pic !

M. Pierre Richard. La circulaire de 1992 était adressée aux préfets et signée par les trois ministres du budget, de l’économie et des finances, et de l’intérieur. Elle indiquait très clairement que, du fait de la décentralisation, les collectivités locales étaient libres de leurs décisions, l’administration d’État n’ayant pas de droit de regard sur leurs délibérations concernant les emprunts, et qu’elles étaient amenées à développer la gestion active de la dette. Les collectivités avaient des encours compliqués, avec beaucoup de prêts de toutes natures et des taux en général assez élevés – la circulaire mentionne un taux de 16 % et j’ai même souvenir de taux plus élevés. Elles étaient donc encouragées à être plus actives pour réduire la charge de la dette, ce qui passait inévitablement par l’utilisation d’innovations dont ont beaucoup profité les acteurs économiques du secteur productif. Dans mon esprit d’ancien directeur général des collectivités locales, les circulaires étaient adressées aux préfets pour qu’ils appellent l’attention des élus locaux sur le fait qu’ils ne devaient pas demander des produits sans rapport avec l’intérêt général des collectivités.

C’est dans ce climat, en 1992, que les banques, et notamment le Crédit Local, ont élaboré des produits structurés qui ont globalement abouti à une baisse générale du taux d’intérêt. Dexia évoquait, dans un droit de réponse à un article de journal, un taux moyen des produits structurés de l’ordre de 3,5 %, ce qui est tout à fait raisonnable et sans rapport avec ce que nous avions connu dans le passé. Je comprends très bien ce que vous avez dit s’agissant des communes de moins de 10 000 habitants, monsieur le président, car certains cas posent problème. Mais globalement, les collectivités locales ont été, je le pense, bénéficiaires à ce jour. Selon une enquête réalisée début novembre par Le Courrier de la Mayenne, toutes les communes de ce département seraient bénéficiaires, certaines ayant même encore aujourd’hui un taux d’intérêt de 0 % sur trois ans.

Le vrai problème, c’est la crise épouvantable qui s’est abattue sur le monde entier en 2008. Toutes les hypothèses qu’avaient envisagées les collectivités locales et les banques sur l’évolution relative des taux ont été balayées, personne n’ayant prévu à l’époque que les dettes souveraines deviendraient un problème. Il faut donc agir au cas par cas, s’orienter vers la médiation, mais je ne pense pas qu’il faille condamner l’ensemble du secteur. Je n’ai pas la compétence technique pour entrer dans le détail de la fabrication de ces produits mais, en tant que président non exécutif de Dexia, je demandais à l’exécutif de faire preuve de transparence dans les procédures. La médiation devrait permettre de régler les cas les plus délicats.

M. Serge Janquin. Les acteurs que sont les collectivités territoriales et les établissements publics ont peu eu connaissance de la circulaire de 1992, que l’administration de l’État n’a pas fait valoir. En 2008, lorsque j’exerçais la présidence de l’EPINORPA au conseil d’administration duquel siégeaient un représentant du ministère du logement, un représentant du ministère des finances et un représentant du préfet de région. Aucun ne s’est opposé à la signature d’un contrat à risque. Je m’interroge donc sur la force des circulaires qui ont été évoquées.

La présentation qui vient de nous être faite me paraît angélique. En tout cas, elle ne correspond pas du tout à ce que nous ont dit les représentants des collectivités territoriales et des établissements publics sur l’état d’esprit dans lequel les choses se sont déroulées. Les banques auraient accompli une sorte de mission de service public, à la demande des collectivités locales et de manière tout à fait désintéressée ! Il est assez habile de dire que vos interlocuteurs étaient non pas les élus, dont vous ne mettez pas en cause la responsabilité, mais les directeurs financiers et les DGS. C’est toutefois faire peu de cas de la règle selon laquelle, sauf faute lourde avérée, l’élu est responsable des décisions que ses collaborateurs lui proposent de prendre. Les chambres régionales des comptes n’opèrent d’ailleurs pas de distinction entre la responsabilité de l’élu et celle de ses collaborateurs.

Monsieur Bayol, vous avez évoqué la force d’entraînement qu’avait eu la concurrence à un moment donné et j’aimerais avoir des précisions à cet égard. Quels étaient vos concurrents ? Je pense à un établissement prêteur étranger, ABN AMRO, dont l’aventure sur le terrain des prêts aux collectivités territoriales et établissements publics a dû faire réfléchir. Vous avez perdu des parts de marché – dites-le franchement ! – et vous avez cherché à résister en proposant de nouveaux produits structurés. Si c’est la vérité, il faut nous le dire ! Nous comprendrons alors mieux votre démarche et nous pourrons relativiser la responsabilité des uns et des autres. Votre plaidoyer était destiné à vous défausser de vos responsabilités, messieurs, et je ne peux l’accepter !

M. Henri Plagnol. Plaidoyer angélique, mais plaidoyer pathétique ! Dans votre dernière intervention, monsieur Richard, vous faites un aveu terrifiant. Vous dites ne pas avoir prévu la crise qui s’est abattue sur nous, ni le bouleversement des paramètres des systèmes financiers. Mais les prêts consentis aux collectivités locales courent très souvent sur plus de vingt ans, parfois même trente ou quarante ans. Comment, devant une assemblée d’élus, justifier par la seule crise que la banque traditionnellement partenaire des collectivités locales se soit aventurée à leur consentir, sur des durées aussi longues, des prêts gagés sur l’impôt, assortis de taux découlant de formules mathématiques extrêmement complexes, et fondés sur des paramètres volatils ? C’est stupéfiant ! Pensez à la réaction qu’auraient nos concitoyens s’ils assistaient à cette audition !

Ensuite, vous n’avez pas évoqué l’engrenage dans lequel ont été prises les collectivités locales les plus touchées, c’est-à-dire celles auxquelles vous avez prêté des centaines de millions d’euros et sur lesquelles vous avez gagné beaucoup d’argent. À partir de 2003, souvent en s’associant à d’autres banques, Dexia leur a proposé des restructurations de dette globales. On aurait pu comprendre que vous proposiez aux collectivités locales des prêts un peu complexes sur 5 ou 10 % des encours, mais pourquoi avoir joué au casino 70, 80 ou 90 % de la dette ? Cela rend la médiation difficile.

Enfin, pratiquement simultanément, Dexia et les autres revendaient leurs options à une banque ou une institution financière en souscrivant, si j’ai bien compris – mais je n’en suis pas tout à fait sûr –, une espèce d’assurance par laquelle elle s’engageait à couvrir la perte si jamais le client, c’est-à-dire en l’espèce la collectivité locale, n’assumait pas l’intégralité des remboursements dans les conditions initiales. Naturellement, les collectivités locales ne le savaient pas. Comment la banque traditionnelle des collectivités locales a-t-elle pu s’engager dans des constructions aussi complexes qui aboutissent aujourd’hui au drame de l’effondrement de Dexia ? Je rappelle que l’État risque de devoir se substituer à vous pour le risque encouru par les institutions financières auxquelles vous avez revendu l’option.

M. Lionel Tardy. Nous sommes tous là pour comprendre comment Dexia, cette banque spécialiste du crédit aux collectivités locales, la quatrième banque de détail en Belgique, s’est retrouvée dans le rôle tragique de la première victime de la crise des dettes souveraines qui frappe l’Europe. Je rappelle qu’en 1993, Dexia employait 500 personnes, effectif porté ensuite à 35 000. Cette même année a été celle de la privatisation. Puis la cotation en bourse a été effectuée. La banque s’est diversifiée tous azimuts – Chine, Japon, Israël, Turquie. Pourquoi être sorti de votre métier d’origine en vous lançant dans la gestion d’actifs, la banque privée et l’assurance de titres de créance adossés à des prêts immobiliers – je pense au rachat de l’américain FSA pour 2,6 milliards. À la fin, quatorze salles de marché faisaient du trading sur les fonds propres de la banque. La holding n’avait pas d’autorité sur ses entités opérationnelles et il n’y avait pas d’outil de prévision centralisé. En 2007, la crise éclate, et les nouveaux dirigeants s’aperçoivent que la comptabilité était approximative, que le reporting financier était inexistant. C’est en faisant des calculs sur un coin de table que l’on a mesuré l’ampleur des dégâts ! Comment en est-on arrivé à une telle opacité dans la gestion, au point que l’Etat a dû intervenir deux fois ?

M. le président. Nous avons le sentiment, après les différentes auditions, que, délibérément, Dexia ne proposait plus que des produits structurés. Nous voudrions comprendre le déroulement des événements ; d’où nos questions.

M. Pierre Richard. Gérard Bayol vous expliquera très précisément comment il négociait ses services avec une collectivité locale. Vous aurez ainsi des éléments tangibles qui vous permettront de juger.

J’insiste surtout sur le fait que personne n’avait prévu une crise d’une telle intensité, la pire que nous ayons connue depuis les années 1930. Pour garantir leur liquidité, les banques étaient bien obligées d’avoir, dans leurs actifs, des dettes souveraines qui sont maintenant la cause de leurs difficultés. Certains produits ont donc été déstabilisés, mais ils comportaient des amortisseurs. Nous faisions des stress tests avec des hypothèses défavorables, mais, dans certains cas, elles ont été dépassées par la réalité de la crise actuelle. Je demande à Gérard Bayol de vous indiquer dans quelles conditions nous faisions ces stress tests qui devaient permettre de couvrir l’ensemble des risques de marché que nous avions connus sur trente ans. J’ai un profond respect pour l’institution parlementaire, mais il faut prendre la mesure de ce qui se passe dans le domaine financier depuis 2008 et qui affecte l’ensemble de la planète ! Personne ne l’avait prévu.

Malgré cela, le taux moyen des encours des prêts de Dexia aux collectivités locales françaises reste aujourd’hui modéré et, globalement, celles-ci, les grandes notamment, ont tiré bénéfice des produits structurés. Malheureusement, il y a des cas douloureux et c’est d’eux que l’on parle. Mais il faudra procéder un jour à une analyse objective d’ensemble pour mesurer l’impact de ces prêts sur le long terme.

M. le rapporteur. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que vous dites, monsieur Richard. Je peux comprendre que l’on propose à une collectivité locale ayant une dette importante qui dort à 4 ou 5 % d’abaisser ses frais financiers à 2,5 ou 2,8 %. J’en ai moi-même profité. Au fait, pour vous, qu’est-ce qu’une collectivité locale ? Si vous aviez eu affaire à des particuliers, aujourd'hui ils ne pourraient plus payer et vous seriez bien obligés de vous résigner. Une entreprise, elle, déposerait son bilan. J’ai eu un frisson dans le dos tout à l’heure lorsque vous avez parlé de dettes souveraines. Autrement, vous pensiez ne courir aucun risque puisque la fiscalité était la variable d’ajustement. Mais, en contrepartie de cette sécurité, vous avez des devoirs. Avec les stress tests, vous auriez pu anticiper et prévoir certaines garanties. La crise a bon dos ! Indépendamment d’elle, le franc suisse et l’euro auraient pu diverger : les dégâts auraient été exactement les mêmes ! Nous ne pouvons donc pas accepter votre explication. Comment considérez-vous les collectivités ? Pourquoi ne pas les avoir traitées en partenaires et proposé, sur des périodes aussi longues, des mécanismes de couverture ? Une collectivité a l’obligation de présenter des comptes en équilibre tous les ans, pas sur deux ou trois années. Et quand elle économise sur ses frais financiers, elle réinvestit l’argent dans des équipements publics, des services à la population. On ne vous reproche pas votre démarche commerciale auprès des collectivités, ni de leur avoir fait gagner de l’argent. Ce que je vous reproche, c’est de vous être couverts à l’euro près, sans risque, puisque les collectivités finissent toujours par payer. Vos commerciaux, nous les connaissons tous et nous savons bien qu’ils devaient vendre des prêts structurés ; mais si tout le monde y avait trouvé son compte, cela n’aurait pas été grave ! Le problème, c’est la façon dont vous avez sécurisé ces prêts. Aucune assurance n’a été prévue pour protéger les collectivités. Considérez-vous une collectivité comme une personne physique ou comme une entreprise ?

M. le président. Monsieur Richard, les résultats de l’enquête parue dans Le Courrier de la Mayenne tiennent compte des emprunts qui sont encore dans une période de taux d’intérêt garantis. Et cela fait descendre le taux moyen ! Il faudrait connaître le taux moyen pendant la période bonifiée et celui payé par les collectivités qui sont sorties de cette période. On ne peut mélanger les carottes et les poireaux ! Les organismes de contrôle nous ont tous dit que les taux bonifiés étaient moins chers que le loyer de l’argent, mais que le banquier se rattrapait plus tard.

M. Patrice Calméjane. Pouvez-vous transmettre à la commission d’enquête les protocoles de vos commerciaux et directeurs régionaux ? Il serait intéressant, en particulier, d’avoir connaissance des éléments d’alerte que vous communiquiez à vos clients.

Vous avez parlé d’« appels d’offres » des collectivités ; en réalité, il s’agit de consultations.

L’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) aurait, aux dires de ses responsables que nous avons auditionnés jeudi dernier, rédigé des éléments d’alerte sur les produits structurés dès 2008 : avez-vous reçu des courriers en ce sens ?

Vous affirmez ne pas voir démarché les communes de moins de 10 000 habitants ; or nous avons auditionné les élus de Sassenage, qui en compte 9 800, de Thouaré-sur-Loire, qui en compte 6 700, d’Unieux, qui en compte 8 400, de Saint-Cast-Le Guildo, qui en compte 3 200, de Trégastel, qui en compte 2 400 et de Donges, qui en compte 6 300. Toutes ces communes sont engluées dans des emprunts structurés.

Vous dites également avoir parlé d’égal à égal avec les collectivités, mais je serais curieux de savoir si les directeurs généraux reçoivent, à l’Institut national des études territoriales (INET), une formation sur ce type de produits.

J’ai sous les yeux un exemple de tableau d’amortissement sur vingt-neuf ans, fondé sur des hypothèses de taux quasi fixes, ou présentés comme tels. Cette présentation offre, en apparence, une visibilité tout à fait rassurante ; mais une note, en très petits caractères, indique que « le montant des intérêts sera déterminé à chaque échéance selon les clauses contractuelles ». La transparence aurait voulu que vous décomposiez ce tableau en trois parties : la première pour les échéances fixes et les deux autres pour les évolutions aléatoires, dont les mécanismes d’indexation, très complexes, sont détaillés dans les articles du contrat. Ce sont ces effets retardés, non identifiés dans vos présentations, qui posent problème, partant l’équilibre de l’information, notamment vis-à-vis des petites collectivités – puisque les plus importantes avaient conscience de ce qu’elles faisaient, du moins je l’espère.

M. Gérard Bayol. Lorsque les collectivités locales lançaient une consultation, elles recevaient jusqu’à six ou sept offres de la part de cinq ou six acteurs, tant le marché était liquide. Le contexte était donc très concurrentiel.

Dexia répondait à ces consultations par une offre standard, en taux fixe ou Euribor, et une proposition de prêt structuré, dont la présentation comprenait une description de l’environnement des marchés financiers, une analyse des comptes administratifs de la collectivité sur quatre ou cinq ans ainsi qu’une description des produits en fonction de la demande, laquelle précisait souvent le type de structuration souhaitée et même la devise de référence.

Les différentes parties du produit étaient clairement décomposées : en général, une première partie à taux fixe, une deuxième avec options et parfois une troisième qui revenait à un taux fixe. Cette présentation était suivie d’une description, puis d’un stress test dont les scénarios, fondés sur les évolutions observées au cours des dix ou vingt dernières années, allaient jusqu’à envisager des taux de 12 %, soit quatre fois le taux initial.

Nos présentations indiquaient enfin la configuration future de la dette du client sur nos produits, dans l’hypothèse où celui-ci souscrirait ceux que nous lui proposions. Elles contenaient aussi un avertissement précisant que les analyses reposaient sur nos connaissances les plus approfondies, et qu’elles constituaient, non un conseil, mais une proposition définie en fonction de la demande.

Nous pouvions bien entendu développer tel ou tel point de cette présentation standard en fonction des consultations.

Il faut s’entendre sur ce que l’on appelle produit structuré. Les caps, les floors ou les tunnels sont des éléments de structuration : on les trouve dans les produits structurés standard, que les petites collectivités, me semble-t-il, peuvent très bien souscrire. En revanche, dès l’origine, nous avons réservé aux grandes collectivités les produits incluant des formules mathématiques complexes.

M. le rapporteur. Où est la frontière entre les produits réservés aux petites et aux grandes collectivités, en termes de risques ?

M. Gérard Bayol. Un credit scoring rapportait chacun de nos produits à un niveau de risque. C’est à partir de cette graduation que le comité « Nouveaux produits », puis le comité éthique, déterminaient l’éligibilité des collectivités en fonction de leur taille.

Dans sa politique commerciale, Dexia a toujours accompagné l’investissement des collectivités : elle a consenti des prêts – standard pour les deux tiers et structurés pour un tiers, dont 5 à 10 % de produits complexes –, mais n’a jamais proposé de swaps. Il n’était évidemment pas de son intérêt de vendre aux collectivités des produits toxiques destinés à financer des investissements à quarante ans : ç’eût été se tirer une balle dans le pied. Nous étions dans une logique d’accompagnement sur le long terme, dans le contexte d’une concurrence encouragée par la circulaire de 1992. N’oublions pas, d’ailleurs, que les collectivités locales étaient souvent accompagnées par des conseils financiers, lesquels ont eu un rôle, non seulement dans la rédaction des consultations, mais aussi dans la comparaison des offres.

Vous avez dit, monsieur le président, que le banquier se rattrapait quoi qu’il arrive ; mais il n’a rien à gagner à une évolution défavorable du produit qu’il a vendu.

M. le président. De nombreux élus et des membres des cours régionales des comptes se sont inquiétés des risques liés aux produits structurés dès 2008, soit avant la crise bancaire ; c’est pourquoi, d’ailleurs, l’ACP a commencé à s’intéresser à ces produits.

Aviez-vous une comptabilité analytique par client, transaction ou département ?

En 2006 et 2007, quels étaient les taux de marge respectifs sur les crédits « TOFIX » et à taux fixe à vingt ans souscrits par les collectivités, les hôpitaux et les offices de HLM ? Les opérations complexes de gestion active de dette étaient-elles plus rentables ? Quelle était la rentabilité, en millions d’euros et en pourcentage du nominal, des opérations actuellement classées comme structurées en 2005, 2006 et 2007 pour le secteur public local ? Ces marges étaient-elles déclarées au client ?

Comme l’a observé M. Richard, dans les années 1990, les taux fixes à vingt ans étaient très élevés ; mais, en période bonifiée, leur écart avec les taux variables s’était considérablement resserré.

M. Jean-Marie Binetruy. Aux dires de M. Bayol, Dexia proposait toujours deux types de prêt : classique et structuré. Mais cela ne correspond pas à ma petite expérience : les commerciaux de Dexia démarchaient très activement les collectivités pour qu’elles renégocient leurs encours, et substituent les taux variables aux taux fixes. La communauté de communes que je préside a résisté à ces nombreux assauts, mais une communauté voisine, elle, a cédé.

Quant aux stress tests, ils étaient accompagnés de la promesse que, si les taux maximums étaient atteints, la collectivité en serait informée et se verrait proposer des solutions : c’était le discours tenu par certains commerciaux, qui devaient être un peu intéressés à la vente de ces produits.

M. Thierry Carcenac. Dexia n’est pas une banque comme les autres, puisqu’elle a toujours été considérée comme la banque des collectivités locales : celles-ci avaient donc avec elle une approche différente, notamment dans le cadre des conventions. De fait, les collectivités avaient signé avec Dexia des documents relatifs au conseil : comment appréciez-vous ce rôle, notamment au regard des avertissements que vous avez pu adresser à vos clients ?

Les autres pays, notamment le Royaume-Uni, les États-Unis et le Benelux, n’ont pas la même approche des prêts structurés : votre propre approche avec eux était-elle différente ?

M. Dominique Baert. Sur le papier, les conventions de conseil de Dexia, qui prévoyaient un véritable accompagnement et des rendez-vous annuels avec les collectivités, étaient fort sympathiques ; mais elles n’ont pas eu la portée escomptée. Quel regard critique portez-vous sur elles, aujourd’hui ?

On ne pouvait certes pas prévoir que les dérèglements liés à la crise atteignent de telles proportions, d’autant que les prêts étaient souscrits sur de longues durées ; mais les contrats proposés par Dexia sont assortis de clauses que l’on peut qualifier de léonines, dans la mesure où elles prévoient des indemnités de remboursement anticipé qui, compte tenu de leur mode de calcul, lient les mains des collectivités. Dans ces conditions, ces dernières préfèrent payer des intérêts accrus pendant les trois ou quatre années qui restent plutôt que de renégocier leur dette. Les indemnités de remboursement anticipé figurent dans les contrats, certes ; mais consentiriez-vous, pour sortir de cette crise, à en exempter les collectivités qui souhaitent renégocier leurs emprunts structurés ?

M. Gérard Bayol. Si nous avons refusé de commercialiser des snowballs, c’est que nous menions une politique basée sur la « cyclicité » ; or le cycle, aujourd’hui, est haussier. Lorsque nous avons commencé à commercialiser des produits structurés, un euro valait 1,65 franc suisse ; nous avions alors placé la barrière à 1,40. Aujourd’hui, le plancher a été stabilisé à 1,20, grâce aux interventions de la Banque nationale suisse. Cependant des rumeurs de marché, hier, faisaient état d’une nouvelle intervention visant à porter l’euro à 1,30 franc suisse. Si l’évolution va jusqu’à 1,40 franc suisse, les problèmes liés à l’indexation sur cette devise auront partiellement disparu.

Les snowballs, eux, génèrent des effets cumulatifs qui empêchent de redescendre sous un pallier une fois que celui-ci est franchi.

M. le rapporteur. Il fallait appliquer des seuils bas ! Pourquoi n’y avez-vous pas pensé ?

M. Gérard Bayol. Nous n’avons peut-être pas pensé à tout…

M. le président. C’est à la Banque nationale suisse qu’il revient de « caper » vos produits, en somme !

M. Gérard Bayol. Nous n’avons pas signé de conventions de conseil : afin d’éviter tout conflit d’intérêts, nous avons toujours refusé cette activité pour nous concentrer sur l’activité financière.

Il est difficile de vous répondre sur les marges, puisque celles-ci sont, par définition, plus élevées au lancement du produit – en l’occurrence, de 5 à 20 points de base – ; puis elles diminuent sous l’effet de la concurrence. À l’origine, elles étaient légèrement supérieures pour les produits complexes, puisque Dexia achetait les options qui y étaient incluses à des banques d’investissement.

M. Bruno Deletré. Le taux d’emprise de nos produits structurés sur la dette des collectivités locales, monsieur Plagnol, était pris en compte par le comité d’éthique et d’évaluation des risques commerciaux. La difficulté est que nous ne connaissions pas la totalité des encours structurés dans les comptes de la collectivité.

En cas de vente d’un produit structuré, Dexia couvrait le risque financier sur les marchés, et assumait le risque de crédit. Les indemnités de remboursement anticipé, monsieur Baert, ne génèrent pas de marges particulières : elles sont calculées en fonction de la couverture du risque, autrement dit du montant nécessaire pour déboucler l’opération sur le marché, c’est-à-dire la soulte.

M. Henri Plagnol. Vous aviez donc conscience du risque.

M. Bruno Deletré. Bien sûr, comme en témoigne l’existence même d’un comité d’éthique et d’évaluation des risques commerciaux. Le risque est la contrepartie du gain obtenu par rapport au taux fixe d’origine.

Les marchés varient d’un pays à l’autre. Le marché américain, par exemple, est presque exclusivement obligataire ; par conséquent, les techniques de financement n’y sont pas les mêmes. Si les marchés européens diffèrent également entre eux, nous avons vendu des produits structurés dans d’autres pays d’Europe.

M. le président. Je vous invite à vous rapprocher de la commune de Fresnes, dans le Loir-et-Cher, à qui vous avez vendu un Dual euro/franc suisse, bien qu’elle ne compte que 984 habitants.

M. le rapporteur. L’élu local que je suis continue de travailler avec Dexia, qui reste la banque des collectivités.

Un certain nombre de collègues suggèrent de créer une structure de défaisance. Lorsqu’un problème technique apparaît sur un véhicule, le constructeur rappelle tous les modèles. Même si vous n’êtes plus aux commandes de Dexia, que pensez-vous d’une telle solution ? Gardez en tête que 5 000 collectivités sont concernées : faut-il considérer qu’elles ont toutes fait les mêmes erreurs ?

La période bonifiée touche à sa fin. Ne pensez-vous pas qu’à l’instar des fournisseurs de voitures, les banquiers devraient rapatrier leurs produits dans le cadre d’une structure de défaisance, structure qu’ils ont les moyens techniques de gérer ? Les masses financières concernées pourraient ainsi être couvertes et mises en sommeil : cela permettrait de passer cette période difficile. Si le seuil d’un euro pour 1,40 franc suisse est de nouveau atteint, chacun sera tranquille ; à la limite, cela permettra même aux banquiers de réinventer d’autres titrisations pour dégager des marges. En attendant, les banques ne pourraient-elles pas reprendre leurs produits et assurer le service après-vente ?

M. Patrice Calméjane. Je n’ai pas eu de réponse à ma question. L’ACP vous avait-elle alerté sur les produits que vous vendiez aux grandes et, comme vient de le rappeler M. le président, aux petites communes ? Par ailleurs, quel est le niveau de formation de vos commerciaux d’une part et des personnels territoriaux de l’autre ?

M. le président. Vous n’avez pas répondu non plus à M. Tardy, qui vous a interrogés sur la gestion interne.

M. Gérard Bayol. Nous entretenions des relations régulières avec les autorités de contrôle prudentiel, auxquelles nous présentions nos activités, qu’il s’agisse des produits standard ou des produits structurés. Je ne me souviens pas de courriers, néanmoins.

M. Patrice Calméjane. L’ACP nous a dit avoir alerté les autorités de l’État sur les dangers des produits structurés ; je suppose donc qu’ils l’ont fait aussi pour vous. Vous a-t-elle écrit à ce sujet ? Il faudrait que vos propos confirment les siens. Notre commission d’enquête cherche en effet à établir les responsabilités respectives afin d’éviter que les mêmes problèmes ne se reproduisent.

M. Gérard Bayol. Nous présentions nos activités à l’ACP tous les six mois, mais je ne me souviens pas de courriers de sa part sur ce point précis.

M. le président. Aviez-vous accueilli les représentants de l’ACP pour qu’ils étudient vos activités sur place ?

M. Gérard Bayol. Non ; en tout cas je n’en ai pas le souvenir.

Les premières alertes sur les produits de pente sont survenues en 2007. Nous avons alors alerté nos clients pour leur proposer des solutions de sortie, en souscrivant des produits plus ou moins complexes. Notre politique était bien de rester au contact de nos clients.

M. Thierry Carcenac. Je vous ai interrogé sur le conseil. En signant certaines conventions, Dexia s’était engagée à assurer, sinon des conseils rémunérés, du moins une activité en ce domaine. Qu’en est-il ?

M. le président. Les collectivités recevaient à ce sujet deux documents : le premier concernait le conseil et le second, qui lui était annexé, une proposition de prêt.

M. Gérard Bayol. Ces documents étaient envoyés par Dexia ?

M. le président. Oui.

M. Gérard Bayol. Le comité « Nouveaux produits » a toujours refusé les missions de conseil. Il n’y a donc pas eu de conseils rémunérés.

M. le président. Théoriquement, une banque doit délivrer un conseil personnalisé à chacun de ses clients. Or il s’avère que les contrats étaient rigoureusement les mêmes d’une collectivité à l’autre. Les offres étaient-elles conçues à partir d’une réelle analyse de la situation financière des clients, ou fallait-il seulement placer certains produits en vogue, comme « Dual Tofix » ?

M. Gérard Bayol. Que le produit et l’explication qui l’accompagne soient les mêmes me semble logique. En revanche, les analyses des comptes administratifs restent par définition spécifiques à chaque collectivité. Je ne suis donc pas sûr de saisir le sens de votre question.

M. le président. Je m’efforce de rester général afin d’éviter toute accusation d’être à la fois juge et partie.

Où est le conseil personnalisé, quand les produits structurés représentent 97 % de l’encours de dette d’une collectivité, dont 50 % pour Dexia ?

M. Gérard Bayol. Le comité « Nouveaux produits » avait précisément fixé à 50 % le seuil d’emprise maximal des prêts structurés souscrits auprès de Dexia dans l’encours de dette de chaque collectivité.

M. le rapporteur. Vos commerciaux se posaient-ils la question de savoir quels étaient les autres encours de prêts structurés dans les comptes locaux ?

M. Gérard Bayol. Nous ne pouvons forcer une collectivité à nous les communiquer.

M. le rapporteur. Dexia a toujours été le partenaire des collectivités : tous ces éléments sont sur la table lorsque nous discutons avec ses représentants.

M. Gérard Bayol. Si une collectivité, quelle que soit sa taille, a souscrit des swaps, ce n’est pas chez Dexia ; d’autre part, elle a pu souscrire des prêts structurés auprès d’autres banques.

M. le président. Quelle est votre part de marché sur les produits structurés vendus aux collectivités ?

M. Gérard Bayol. Environ 40 %. Ce chiffre figure dans toutes les notes de conjoncture que nous publions régulièrement.

M. le président. Dexia souscrivait-elle, de son côté, des emprunts structurés ?

M. Alain Delouis. Pour se refinancer, Dexia collectait des ressources sur les marchés, parfois via des emprunts structurés, mais en les assortissant de produits de couverture. Elle ne conservait pas de risque financier.

L’une des difficultés de la défaisance est que les produits concernés, en tout cas ceux vendus par Dexia, étaient adossés sur le marché. Dès lors, comment se répartirait-on le coût entre l’établissement prêteur et les établissements auprès desquels le prêt est adossé ?

M. le président. Tous nos interlocuteurs locaux, élus comme représentants de l’État, nous ont répété que Dexia était traditionnellement la banque de référence, notamment en matière de conseil. Or nous nous sommes rendu compte que, dans sa mission, elle n’avait pas été au rendez-vous : c’est là tout le problème.

M. Pierre Richard. Nous étions très fiers de ce rôle de banquier des collectivités. Ce fut l’objet même de la création du Crédit local de France, dont j’ai pris l’initiative avec Robert Lion en 1987, puis de celle de Dexia. François Narmon et moi pensions en effet, lorsque fut lancé l’euro, que l’européanisation des marchés financiers justifiait la création d’une banque européenne des collectivités, née de l’alliance entre le Crédit communal de Belgique et le Crédit local de France.

C’est au nom de cette tradition, d’ailleurs, que nous avons dissuadé les collectivités de souscrire des snowballs. Lors des consultations, beaucoup d’entre elles se montraient intéressées par tel ou tel produit structuré, que nous nous interdisions de leur vendre si nous ne les estimions pas suffisamment armées : ce souci du bon équilibre financier des collectivités correspond à ce qui est, au fond, l’âme de Dexia.

Nous n’étions peut-être pas meilleurs que les autres, mais notre comportement est resté fidèle à notre éthique. Les produits structurés, que chacun réclamait, ont été globalement bons pour l’économie – les grandes entreprises, d’ailleurs, ne s’en sont jamais plaintes, en tout cas publiquement. Ils ont permis d’alléger le coût d’endettements dont les encours arrivaient encore très récemment à échéance.

Le sujet est complexe, et même douloureux dans certains cas dont j’ignore le nombre ; néanmoins celui-ci me paraît limité au regard de l’ensemble des prêts souscrits, toutes banques confondues. À cet égard, un bilan exhaustif me semblerait très utile ; je sais que votre commission d’enquête y travaille.

M. le rapporteur. Oui, nous ferons ce bilan.

M. Pierre Richard. Nous aurons ainsi un panorama objectif sur la durée de vie de l’ensemble des produits ; à mon avis, le résultat ne sera pas négatif. Reste qu’il faudra, bien entendu, traiter humainement les cas les plus difficiles.

M. le président. L’une des représentantes de l’ACP a observé qu’il était absurde de prévoir des remboursements dans une monnaie quand les recettes sont perçues dans une autre. Après nos différentes auditions, en particulier de la Cour des comptes, de l’ACP ou de M. Gissler, nous voyons clairement ce qu’il convient de faire à l’avenir. Mais le stock existant nous préoccupe beaucoup. À cet égard, j’entends votre appel à la raison et à la négociation ; mais si vous étiez encore en responsabilité, quelle piste suggéreriez-vous à vos clients ?

M. Pierre Richard. Comme Gérard Bayol l’a précisé, Dexia n’a jamais prêté dans une autre monnaie que l’euro ; c’est donc dans cette devise que les collectivités ont toujours dû rembourser leurs prêts. Les taux d’intérêt, en revanche, pouvaient fluctuer en fonction des parités.

M. Gérard Bayol. Lorsque, en 2006 et 2007, les produits de pente se sont révélés volatils, nous avons proposé des solutions de sortie à un certain nombre de collectivités : environ 50 % d’entre elles les ont refusées.

M. le rapporteur. Les soultes n’étaient pas les mêmes.

M. Gérard Bayol. La crise s’est encore complexifiée ; je ne sais comment elle évoluera, mais les produits proposés par Dexia sont, je le répète, cycliques : le stress qu’ils subissent aujourd’hui peut donc s’atténuer ; c’est en tout cas l’espoir que l’on peut former.

M. le président. Et c’est toute la difficulté.

M. le rapporteur. Monsieur Richard, pondérer un ratio via une indexation sur le franc suisse revient, de fait, à s’endetter dans cette devise tout en restant dans la légalité, puisque la charte Gissler l’interdit.

M. Pierre Richard. Certaines collectivités ont emprunté directement en francs suisses, mais jamais avec Dexia : c’est ce qui fait la spécificité de notre établissement.

M. le président. Messieurs, je vous remercie.