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Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Mercredi 16 novembre 2011

Séance de 19 heures

Compte rendu n° 21

Présidence M. Claude Bartolone, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Patrice Chatard, directeur général, et de M. Jacques Descourtieux, directeur général de Finance active

M. le président Claude Bartolone. Nous accueillons M. Patrice Chatard et M. Jacques Descourtieux, directeurs de Finance active.

Messieurs, vous conseillez aujourd’hui de très nombreux acteurs locaux – vous nous direz l’étendue de votre clientèle – pour la gestion de leurs opérations, la production de leurs états réglementaires et leur communication financière. Vous gérez la dette, les placements et la prospective financière en ligne au moyen de plateformes de gestion. Vos documents de communication mettent l’accent sur l’accompagnement personnalisé de haut niveau que vous assurez à vos clients.

Avez-vous conseillé des produits structurés à vos clients ? À combien d’entre eux et selon quels critères ? Avez-vous effectué une gestion active de ces emprunts afin d’éviter la détérioration des conditions financières ?

Quelles sont les caractéristiques du financement local aujourd’hui, tel que vous l’observez à travers les données que vous rassemblez ? Quelle est la classification des emprunts au sens de la charte Gissler ?

M. Patrice Chatard et M. Jacques Descourtieux prêtent serment.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Vous indiquez dans vos analyses sur l’état de la dette locale que la part des taux structurés a connu un repli entre 2009 et 2010, passant de 22,4 % à 20 %. Cette tendance s’est-elle poursuivie en 2011 ?

Avez-vous accompagné ce mouvement de sécurisation des emprunts chez vos clients ? Si oui, à quelles conditions s’est-il opéré ?

Selon les témoignages d’un certain nombre de collectivités, le coût de la sortie d’un emprunt structuré est prohibitif. Quelles conditions de sortie doivent être préconisées ? Renégocier, est-ce gagner ? Je sais que vous avez un avis sur ce point, puisque vous conseillez plutôt à vos clients d’éviter d’aller au contentieux.

M. Jacques Descourtieux, directeur général de Finance active. Nous vous remercions de nous avoir invités à nous exprimer devant la commission d’enquête. Nous avons préparé quelques documents pour illustrer notre propos.

Finance active est une société qui propose des services technologiques et financiers. Nous travaillons avec plus de 500 entreprises, 1 200 collectivités et 400 hôpitaux, qui recourent à nos services soit pour la partie technologique, soit pour la partie conseil, soit – le plus souvent – pour les deux. Nous travaillons aujourd’hui dans cinq pays en Europe, et employons 110 collaborateurs.

M. Patrice Chatard, directeur général de Finance active. Nous pourrons ainsi vous parler de ce qui s’est fait dans les pays voisins au sujet de la dette structurée des collectivités locales. Ce large panel de clients nous permet en effet de publier depuis cinq ou six ans un observatoire annuel, qui mesure la part de taux fixe, la part de taux variable et la part de produits structurés. Sa dernière édition – que nous vous avons apportée – fait état d’un recul de la part des produits structurés, moins imputable à notre sens aux politiques de sécurisation qu’à un effet de dilution. Cette baisse est à relativiser avec les nouveaux emprunts : les banques ne proposent plus ce type de produits aujourd’hui.

M. Jacques Descourtieux. L’observatoire Finance active de la dette est fondé sur l’analyse d’un panel de 1 000 collectivités clientes, dont la dette représente 80 milliards d’euros et est composée de plusieurs dizaines de milliers d’emprunts et de swaps. Nous tirons de cette base de grands indicateurs de gestion – répartition en termes de risque, durée, taux… – qui nous donnent une idée précise de l’exposition globale des collectivités locales au risque de taux. Nous savons ainsi qu’au 31 décembre 2010, 48 % de la dette des collectivités était à taux fixe, 31 % à taux variable, et le reste en produits structurés, avec des niveaux de risque plus ou moins importants.

M. Patrice Chatard. Nous avons classifié les niveaux de risque d’après la charte Gissler. Pour répondre à votre question, il nous est bien sûr arrivé de conseiller des produits structurés à nos clients, mais il s’agissait de produits aujourd’hui classés 1B ou 1C, c’est-à-dire de produits à taux fixe annulable ou de produits à taux fixe à barrière, en aucun cas de produits hors charte. Nous conservons du reste l’ensemble des demandes de nos clients et des réponses que nous leur adressons. Lorsque vous les avez reçues, les banques vous ont martelé qu’elles avaient vendu des produits structurés pour répondre à la demande de leurs clients. Selon nous, ce n’est pas vrai. Nous pouvons l’affirmer, puisque tout est « tracé » chez nous depuis 2000, notamment les propositions bancaires que nos clients nous transmettent pour avis. Nous pourrons donc vous donner des chiffres précis.

M. Jacques Descourtieux. Qui a vendu ces produits structurés indexés sur un cours de change (voir documents remis) ? Il s’agit à 70 % de Dexia, à 12 % de la Caisse d’épargne, à 5 % de Depfa Bank. Viennent ensuite le Crédit agricole, la Deutsche Bank, puis les autres. Je rappelle que ces chiffres sont calculés sur des volumes d’encours très significatifs à l’échelle nationale.

M. le président. Vous maintenez donc que ces manifestations d’élus venant réclamer des produits structurés sont une fable ?

Le document que vous venez de commenter a pour titre : « des produits de change d’abord vendus par Dexia ». Or l’ancienne équipe de direction de Dexia nous a affirmé qu’elle avait « couru après la concurrence ».

M. Jacques Descourtieux. Nous parlons ici en volume : les volumes de produits structurés vendus par Dexia sont sans commune mesure avec ceux vendus par les autres établissements présents sur ce marché.

Nous pouvons aller plus loin dans l’analyse des produits structurés, en particulier ceux indexés sur le taux de change entre l’euro et le franc suisse. Il faut savoir que nous ne sommes qu’au début du problème. Fin septembre 2011, seuls 45 % de ces produits étaient sortis de la phase sécurisée. Cette proportion va passer à 54 % à la fin de l’année et à 77 % en 2012, pour atteindre 87 % en 2013. Aujourd’hui, les taux payés sur ces produits s’établissent en moyenne à 8,7 % ; mais plus de 50 % de ces produits ne sont pas encore passés en phase structurée.

M. le président. Le calcul de ce taux moyen de 8,7 % intègre donc les produits qui sont encore dans la phase bonifiée ?

M. Jacques Descourtieux. Exactement.

M. le rapporteur. La seule proposition de renégociation consiste aujourd’hui à prolonger la période bonifiée pour reculer l’échéance. Y aurait-il un lien entre la période proposée et les échéances électorales ?

M. Patrice Chatard. Je ne le pense pas.

Une fois que l’ensemble de ces produits seront sortis de la phase bonifiée, et si le taux de change entre l’euro et le franc suisse se maintient à 1,20, le taux d’intérêt moyen de l’encours de cette dette atteindra 14,9 %.

M. le rapporteur. Quel est l’écart-type ? Car ce qui nous inquiète, ce sont les cas où ce taux atteint 25 %, voire 30 %.

M. Patrice Chatard. Tout dépend de la construction du produit – y a-t-il un effet de levier, quelle est la barrière ?... Nous avons fait la moyenne agrégée. Certains prêts resteront peut-être à 12 %, tandis que d’autres iront jusqu’à 30 %.

Pour nous, et il est important de le dire, l’essentiel du problème porte sur les 6 % de dettes des collectivités locales qui sont hors charte, et qui sont principalement des produits indexés sur un taux de change, des produits cumulatifs ou à très fort effet de levier. Si nous devions définir le produit toxique, ce serait le cœur de notre définition.

M. Jacques Descourtieux. Comment en est-on arrivé là ? Est-ce l’offre ou la demande qu’il faut incriminer ? Nous sommes équipés, comme nous vous l’avons dit, de systèmes qui permettent de tout « tracer ». Sur la période 2004-2008, nos clients nous ont transmis 8 000 propositions de réaménagement qu’ils avaient reçues des banques et 7 000 propositions de nouveaux financements comportant des produits structurés. En l’espace de quatre ans et demi ou cinq ans, 15 000 propositions bancaires de ce type leur ont donc été adressées. Pas une de ces propositions n’a une stratégie différente des autres. Or tous les décideurs financiers locaux ne pouvaient pas penser la même chose de l’évolution du dollar ou du yen. Il n’y a donc aucune ambiguïté : c’était un marché commercial, sur lequel les banques sont allées avec des moyens très importants – on a parlé d’équipes de 300 commerciaux !

Nous ne retrouvons heureusement qu’à peine 500 de ces 15 000 propositions de financement dans les produits structurés hors charte de nos bases de données. Beaucoup ont donc pu être arrêtées.

M. le président. Vous intervenez là en tant qu’historien des produits structurés, ce qui n’est pas dénué d’intérêt, puisque les banques nous affirment pour leur part qu’elles ont été submergées par la demande des collectivités locales, qui venaient réclamer des produits structurés. Mais vous-mêmes n’êtes pas neutres : vous avez eu à conseiller des collectivités. Quelle a été votre stratégie face à ce type de produits ?

M. Jacques Descourtieux. Nous publions à l’intention de l’ensemble de nos clients une lettre hebdomadaire qui analyse les pratiques bancaires. Vous en trouverez quelques exemples dans la documentation que nous vous avons remise, qui vous montreront ce que nous avons pu écrire durant cette période sur les produits structurés. Voyez par exemple les têtes de chapitres de la lettre du 4 juillet 2005 : « Ne pas payer de frais financiers pendant trois ans… Et après ? » Vous constaterez que dès cette époque, il était clair pour nous que ne pas payer de frais financiers pendant trois ans sur des produits de ce type signifiait aussi prendre « des indexations très risquées », avoir « un taux moyen de la dette biaisé », et donc « de mauvais jours à prévoir ». De plus, ces produits sont très « mal cotés ». Nous reviendrons sur ce point, car nous sommes en mesure de répondre – pour les 15 000 propositions dont nous avons eu connaissance – à une question que vous avez souvent posée lors des auditions, à savoir : combien gagnait la banque sur ces propositions ? Nous observions également que cette stratégie était « comptablement contestable », puisqu’en l’absence de provisions, le risque est reporté sur le futur. Et de conclure : « Certains ont cru découvrir la potion magique avec ces produits. Espérons seulement pour eux qu’ils ne viennent pas de goûter à une drogue dure… »

M. le président. Après l’intervenant précédent, vous êtes en train de nous apporter la preuve qu’il y a eu des signaux d’alerte. En dehors des destinataires de la lettre de Finance active, à qui avez-vous eu l’occasion de les adresser ?

M. Jacques Descourtieux. Nous n’étions pas encore très connus à l’époque, puisque nous avons créé notre société en 2000. De deux, nous sommes passés à 100 ; mais nous sommes entrés sur ce marché beaucoup plus tard que M. Klopfer. Nous entretenons aujourd’hui des relations avec la Direction générale des finances publiques (DGFiP) ; nous invitons depuis trois ans les grandes institutions et la presse aux rencontres que nous organisons pour présenter l’observatoire. Nous avons donc essayé de communiquer.

M. le président. C’est un élément important par rapport à tout ce que nous avons pu entendre. Votre entreprise n’avait certes que cinq ans en 2005, mais cette lettre n’a fait l’objet d’aucune réaction ?

M. Jacques Descourtieux. Il y a bien sûr eu des réactions de la part de nos clients. Mais même si la part des produits toxiques est importante, il ne faut pas noircir le tableau : beaucoup de nos clients n’ont pas souscrit ces produits et gèrent parfaitement leur dette avec des produits très simples à taux intéressant. Notre travail n’a pas été inutile : il a permis d’arrêter beaucoup de propositions qui présentaient un risque. Dans les deux dernières années, de nouveaux clients nous ont demandé notre aide : nous sommes effarés de constater que certains sont exposés à 98 % aux produits structurés. Notre activité d’information et de formation sur les risques avait donc une utilité. Certes, des emprunts structurés ont tout de même été souscrits ; mais comprenez que nous aurions pu en avoir dix fois plus !

M. le rapporteur. J’ai du mal à saisir si vous pensez qu’un prêt structuré est toxique par construction, ou s’il s’agit selon vous d’un phénomène conjoncturel.

M. Patrice Chatard. Nous l’avons écrit en 2005 et en 2006 : cela n’a aucun sens de faire un emprunt à trente ans indexé sur le taux de change entre l’euro et le franc suisse. Sur les marchés financiers, ces options ne se traitent en général que sur un ou deux ans.

M. le rapporteur. Est-ce la durée que vous mettez en cause ?

M. Patrice Chatard. Non, c’est le fait d’utiliser une option de change pour venir bonifier une dette. Nous travaillons avec de nombreuses entreprises : le premier risque qu’elles nous demandent de couvrir est le risque de change. Je le répète, cela n’a pas de sens de faire des financements indexés sur des parités de devises. Nous l’avons écrit ; tous ceux qui étaient un peu avertis dans la profession – voire certains directeurs financiers de collectivités locales – l’ont dit.

M. Patrice Calméjane. Avez-vous des contacts avec l’Autorité de contrôle prudentiel ? Vous a-t-elle demandé votre avis sur tel ou tel produit ?

En tant que conseil, vous êtes en contact avec les directeurs financiers de collectivités locales. Vous assurez également des formations. La formation des personnels des collectivités territoriales est-elle au niveau en ce qui concerne ce type de produits ? Faut-il renforcer le cursus dans ce domaine ? Lorsque l’on ne sait pas faire, il faut se faire aider ou conseiller. Les personnels des collectivités territoriales ont-ils du moins ce bon sens ?

M. Henri Plagnol. Je souscris pleinement à votre analyse. Vos archives pourraient s’avérer passionnantes pour la commission d’enquête, voire pour les collectivités concernées. Serait-il possible de nous transmettre tout ou partie de ces archives, qui constituent un élément de preuve très important sur ce que vous avez appelé le jeu de l’offre et de la demande ? Les collectivités que vous conseillez peuvent-elles vous demander la totalité de ces archives – y compris celles qui portent sur les propositions des banques – dans le cadre de la médiation ou d’un contentieux ?

M. Jean Proriol. Nous avons entendu tout à l’heure un vigoureux procès du taux moyen, qui n’aurait guère de sens. Qu’en pensez-vous ? Pour ma part, je ne pense pas qu’il faille les fusiller à bout portant…

Vous avez fait allusion aux expériences étrangères. Vous nous avez également dit par quels établissements français ces produits avaient été commercialisés. Mais vous ne nous avez pas parlé des établissements étrangers – Royal Bank of Scotland, Deutsche Bank… Pouvez-vous faire quelques comparaisons ?

M. le président. Nous avons bien compris quelle était votre préférence pour l’avenir, et je discerne facilement au travers de votre documentation les réserves que vous émettez sur les opérations sur des monnaies étrangères. Nous attendons maintenant de votre part des propositions pour sortir du stock.

M. Patrice Chatard. Nous estimons qu’il y a environ 8 milliards de produits hors charte sur le stock de dette des collectivités locales, et que la soulte à payer pour en sortir est de 10 milliards d’euros. Dès lors, le sujet devient politique : il s’agit de savoir qui va payer. Ne rien faire serait acter le fait que ce seront les collectivités locales, en lissant la charge sur la durée. Mais il ne nous appartient pas de nous prononcer sur ces décisions politiques.

M. le président. Permettez-moi de vous interrompre : vous parlez bien de 8 milliards hors charte ?

M. Patrice Chatard. Je parle des produits les plus dangereux, qui n’étaient pas référencés par la charte dans un premier temps, à savoir les produits sur le change, les produits cumulatifs et les produits à effet de levier supérieur à 5. La soulte à payer pour sortir de ce stock – que nous estimons à 8 milliards sur l’ensemble des collectivités françaises – est estimée à environ 10 milliards d’euros. Il s’agit donc de masses conséquentes. Combien de collectivités sont-elles touchées ? La commission se fonde souvent sur un chiffre qui a été publié dans la presse et qui nous semble surestimé. Mais si l’on retient les seules collectivités ayant des produits dangereux, nous sommes à peu près d’accord avec ce qu’ont dit les banques. Dexia a parlé d’un peu plus de 300 collectivités pour ce qui concerne les produits sur le change : nous sommes peu ou prou en phase.

Parmi ces 350 collectivités qui détiennent des produits indexés sur le change, il faut distinguer plusieurs cas de figure.

Il y a d’abord celles pour lesquelles ces produits ne représentent qu’une faible proportion de l’encours – et pourtant, dans les historiques dont nous vous parlions, certaines collectivités ont reçu jusqu’à dix propositions en sept mois ! Cela prouve qu’il y avait bien une forte dynamique, voire un harcèlement de la part des banques pour placer ces produits. Dans ce premier cas de figure, les collectivités s’en sortiront. Elles ont certes fait un choix qui n’était pas heureux, mais comme la proportion de ces produits dans leur encours n’est pas considérable et que les taux variables sont actuellement bas, elles peuvent prendre la décision politique de « nettoyer ». Nous en avons quelques exemples.

Mais la majorité de ces collectivités – c’est le deuxième cas de figure – choisit le report du risque. Il faut savoir que les banques sont beaucoup moins actives aujourd’hui. Lorsqu’une collectivité leur demande un produit de sécurisation, elles ont donc tendance à lui proposer un gel du coupon d’un ou deux ans, parfois en contrepartie d’un allongement sur de l’Euribor – un produit simple – à la fin. Il semble qu’une grande partie des collectivités l’acceptent. Il faut dire qu’elles n’ont guère d’autre choix. C’est pourquoi nous disons que nous ne sommes qu’au début du problème sur ces produits indexés sur le change.

La troisième catégorie est constituée des collectivités ayant une très forte proportion de ces produits dans leur encours, qui sont au nombre d’une cinquantaine ou d’une centaine. La solution de la soulte comme le report de risque ne sauraient ici suffire. La question de l’imprudence des banques – qui a conduit ces collectivités à se retrouver avec 80 à 90 % d’emprunts structurés dans leur encours – peut donc être posée.

M. le rapporteur. Selon vous, on peut donc mettre leur responsabilité en cause ?

M. Patrice Chatard. Il paraît en tout cas incroyable que l’on ait pu en arriver là. Mais si l’on ne fait rien pour ces cas-là, cela va durer vingt ans. Nous pensons que la médiation n’a pas été assez forte, comparée à celle du crédit que la loi a instituée en 2008 et qui a permis de régler un certain nombre de cas délicats.

Il y a aujourd’hui des collectivités qui concentrent dans leurs encours l’ensemble des produits toxiques. Sans doute faut-il trouver les moyens d’agir plus fermement pour sortir de cette situation et prendre une décision sur le partage de la soulte.

M. Jacques Descourtieux. Pour répondre à une autre question, je ne dirais pas que nous ne recommandons pas le contentieux – qui fait partie de la liste des préconisations que nous remettons à nos clients. Simplement, nous les mettons en garde, et souhaitons en particulier nous assurer qu’ils sont conscients de la réalité de ce qu’est un contentieux. Nous avons en effet constaté que certains n’avaient pas mesuré ce que signifiait le fait de se retrouver face aux avocats des grands établissements bancaires. En bref, il faut y aller armé, savoir combien de temps cela va durer, combien cela va coûter, et ce que l’on peut en attendre. Dans le troisième cas de figure que vient de décrire M. Chatard, il est évident qu’il faut aller au contentieux : il n’y a pas d’autre solution.

M. Patrice Chatard. Ne soyons pas trop pessimistes. Sans doute assiste-t-on à une certaine prise de conscience des banques. Il nous semble que certains acteurs bancaires évoluent et que des dossiers se traitent. Dans certains cas, la soulte est partagée, parfois même avec des propositions de refinancement de la soulte à la collectivité sous forme de prêts sur cinq, sept ou dix ans. Nous avons vu des cas très complexes se régler ainsi. Voilà trois ans que nous parlons de ce sujet. L’observatoire confirme que la part de ces produits a reculé, mais sans doute pas suffisamment s’agissant de la partie la plus complexe, notamment des produits de change.

M. Jacques Descourtieux. Le taux moyen est un indicateur au même titre que beaucoup d’autres, monsieur Proriol. Il ne s’agit donc pas de l’exclure. Pour notre part, nous ne parlons jamais de taux moyen ponctuel. Dans l’observatoire, nous regardons le taux moyen prospectif sur cinq ans, en anticipant les taux qui vont être payés, notamment sur les produits structurés. On peut donc utiliser le taux moyen, à condition de ne pas le faire que de manière ponctuelle et de ne pas lui accorder plus d’importance qu’aux autres indicateurs.

J’en viens aux archives. Dans le cadre des contentieux en cours, nous transmettons bien entendu aux avocats des collectivités que nous conseillons toutes les informations en notre possession. Il suffit que le client nous libère de notre engagement de confidentialité vis-à-vis de l’avocat.

M. Patrice Chatard. En ce qui concerne les marges réalisées sur les produits structurés, je dois dire que j’ai été surpris d’entendre parler, dans les comptes rendus des auditions précédentes, de 20 à 30 centimes. Pour ce qu’il nous a été donné de voir et de calculer, cela va bien au-delà, puisque nous les estimons au minimum à 60 centimes, et plus vraisemblablement entre 80 et 90 centimes, voire davantage à la fin de la période.

M. le président. Nous avons posé la question à de nombreuses occasions, et nous avons eu l’impression de toucher à un secret… À titre de comparaison, à combien s’élevaient les marges sur du taux fixe à vingt ans sur la même période ?

M. Patrice Chatard. Dans les années 1990, je dirais qu’elle s’élevait à 20, 25 ou 30 centimes selon le risque, parfois moins s’il s’agissait d’une très bonne signature.

M. le président. C’est une comparaison qui est très importante pour nous.

M. le rapporteur. Vous-mêmes, comment vous rémunérez-vous auprès des collectivités ?

M. Jacques Descourtieux. Elles souscrivent un abonnement annuel, dont le coût est déterminé à l’avance en fonction du nombre d’emprunts et de l’encours de la dette. Le prix moyen de nos services pour les 1 000 collectivités est légèrement inférieur à 5 000 euros par an.

M. le rapporteur. Il n’existe pas de primes au résultat ?

M. Jacques Descourtieux. Jamais. C’était une pratique courante chez les acteurs du marché au début des années 2000, la prime de résultat étant calculée sur le gain budgétaire. Pour notre part, nous avons fait le choix de rémunérations objectives, fixées à l’avance et indépendantes de ce qui se fait ou non sur le compte. Ces rémunérations comprennent l’accès à la plate-forme technologique – qui permet de s’informer sur les taux, de suivre sa dette et de valoriser les propositions faites – et un accompagnement personnalisé.

M. Patrice Chatard. Cela répond à la question posée par Mme Fourneyron lors de l’audition précédente. Il me semble dangereux de choisir un conseil qui se rémunère sur les gains réalisés. Les grandes collectivités qui ont travaillé avec ce type de conseils savent toutes que si elles incitent leur conseil à leur faire faire des économies, celui-ci leur fera prendre de plus en plus de risques. Pour notre part, nous ne répondons pas à ce type d’appel d’offres – et nous expliquons pourquoi. De même, je ne puis que souscrire à la remarque formulée par M. Klopfer sur le service achats. Dans certains appels d’offres, la collectivité achète un prix. Ce n’est pas toujours une bonne démarche : le conseil se paye.

M. Jacques Descourtieux. Nous avons voulu développer l’approche la plus pragmatique possible en étudiant l’ensemble des cas. Nous souscrivons à de nombreuses observations qui ont été faites lors des auditions précédentes sur le cadre juridique ou le cadre comptable. En revanche, il serait bon d’avoir une connaissance précise du nombre de cas qui posent un vrai problème. Il s’agit pour nous des collectivités ayant plus de 25 % de produits structurés hors charte. Nous estimons qu’elles sont 100, voire 150, qui ne pourront s’en sortir. Il va donc falloir agir, et fort.

Il faut ensuite résoudre le cas des petites collectivités. Nous avons été très surpris de voir publier dans la presse les noms de petites communes, dont la dette est parfois constituée à 100 % – nous l’avons vérifié sur le site du ministère de l’économie et des finances – de produits structurés. La dette de ces toutes petites communes ne représente pas un enjeu financier important pour les banques. Objectivement, elles n’auraient pas dû vendre de tels produits, et encore moins aux petites communes. Cela devra donc être « nettoyé » très rapidement.

M. Jean Proriol. Vous ne m’avez pas répondu sur les exemples étrangers.

M. Patrice Chatard. En Belgique, les emprunts des collectivités locales sont soumis aux marchés publics. Cela n’a pas empêché celles-ci de souscrire des produits structurés. Cela étant, les produits proposés à l’étranger sont restés beaucoup plus « sages » : il n’y a pas eu de produits aussi complexes que chez nous – notamment du type des produits hors charte – en Allemagne, en Suisse ou en Belgique. Il y a là une spécificité française.

M. Jean Proriol. Proposaient-ils ces crédits aux collectivités françaises ?

M. Patrice Chatard. Une des banques que vous avez citées, solidement implantée en Allemagne, a proposé des produits beaucoup plus complexes en France qu’en Allemagne.

M. le président. M. Plagnol et moi-même avons bien compris que nous étions morts… (sourires)

M. Patrice Chatard. Permettez-moi d’ajouter un dernier mot sur les difficultés auxquelles vous allez avoir à faire face. Se dessine aujourd’hui une tendance qui risque de constituer, pour reprendre l’expression d’un parlementaire, une « double peine » pour les collectivités dont la dette est constituée pour une forte proportion d’emprunts structurés : elles semblent avoir de plus en plus de difficultés à passer dans les comités de crédit des banques. C’est assez paradoxal, puisque les banques sont responsables de cette situation. On en revient donc à une nécessité que nous avons déjà formulée : celle de connaître le nombre de ces collectivités, et de trouver rapidement des solutions.

M. le président. Messieurs, je vous remercie.