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Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Mardi 29 novembre 2011

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Claude Bartolone, Président

Audition de M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations

M. le président Claude Bartolone. Mes chers collègues, nos travaux touchent à leur fin. Après le constat, l’examen des responsabilités de chacun et des propositions des différents acteurs, le moment est venu de s’interroger sur l’avenir du crédit au secteur local et des emprunts actuellement souscrits par les collectivités et les établissements publics locaux.

Je suis heureux d’accueillir en votre nom M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, accompagné de M. Sami Gotrane, direction financière. La Caisse des dépôts va être amenée à jouer un rôle crucial dans l’affaire qui nous intéresse. Tout d’abord, elle a débloqué une enveloppe qui est passée de 3 à 5 milliards d’euros afin de proposer des prêts aux collectivités locales victimes de la raréfaction du crédit ; ensuite, elle a repris, avec La Banque postale, l’encours de prêt de Dexia ; enfin, toujours avec La Banque postale, elle se prépare à mettre sur pied une nouvelle structure qui prêtera au secteur local et dont nous vous demanderons d’abord quand elle sera en mesure de distribuer ses premiers prêts.

M. Augustin de Romanet et M. Sami Gotrane prêtent successivement serment.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Monsieur le directeur général, l’enveloppe spéciale de prêts annoncée le 7 octobre dernier a été portée à 5 milliards d’euros le 22 novembre. Elle est destinée à financer des projets d’investissement en 2011 et 2012. Les collectivités se manifestent-elles de manière spontanée ou après avoir été éconduites par d’autres établissements bancaires ? Pensez-vous que cette somme sera affectée rapidement ? Faudra-t-il prévoir une nouvelle augmentation ?

Cette enveloppe permet à la Caisse des dépôts de proposer des emprunts à taux variable indexé soit sur le taux du livret d’épargne populaire (LEP), soit sur l’Euribor, soit sur l’inflation, ainsi que des emprunts à taux fixe. Quelle est la part de chacune de ces catégories dans l’éventail disponible ?

Enfin, ces prêts ont-ils vocation à rester gérés par la Caisse des dépôts ou à rejoindre le portefeuille de la future structure de financement local ?

M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Lors de la crise de 2008, le Gouvernement a décidé de débloquer en urgence, pour remédier à la pénurie du crédit, une enveloppe de 5 milliards d’euros destinée aux collectivités locales, également répartie entre la Caisse des dépôts, d’une part, et les banques commerciales, de l’autre. La Caisse a distribué 1,7 milliard de prêts ; les banques commerciales 800 millions.

Puis l’on a pris conscience du fait que le secteur des prêts aux collectivités locales connaîtrait en 2011 de nouvelles tensions. Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France, a sollicité le Premier ministre à ce sujet en juin et juillet ; j’ai moi-même été appelé par des maires de grandes villes dont les demandes de prêt restaient sans réponse. Nous avons alors envisagé une nouvelle enveloppe, initialement fixée à 3 milliards d’euros au motif que la crise était moins dure qu’en 2008. En réalité, 2011 est une année beaucoup plus propice à la dépense locale, car il s’agit d’une phase du cycle municipal où de nombreux projets sont engagés ; en outre, la capacité d’intervention de la Caisse est mieux connue qu’en 2008. De fait, dès l’octroi de l’enveloppe, le montant des demandes a parfois atteint cinq fois celui de l’offre, selon nos estimations initiales. De plus, les établissements de santé sont cette fois également concernés, pour 500 millions d’euros, ce qui n’était pas le cas en 2008. Le Premier ministre a donc porté l’enveloppe à 5 milliards. La question de savoir si les 2 milliards supplémentaires seront attribués par la Caisse des dépôts ou par les banques n’est pas encore tranchée. Quoi qu’il en soit, la Caisse se tient prête à les distribuer directement.

Pourquoi les collectivités locales se sont-elles tournées vers nous ? Vous l’avez suggéré, les banques ne leur proposent spontanément rien ou presque rien – ainsi le maire de l’une des cinq plus grandes villes de France m’a-t-il confié qu’on ne lui avait fait aucune offre de prêt – ou pratiquent des taux dissuasifs, de 7 % par exemple. Cette réticence des banques à aller sur le marché des prêts aux collectivités, qu’elles admettent explicitement, vient essentiellement du fait que cette activité n’est pas rentable, et ce pour trois raisons. Premièrement, une banque hésite à accorder des prêts sans dépôts associés. Deuxièmement, les ratios de solvabilité de Bâle III supposent de disposer de fonds propres importants pour des prêts à long terme. Troisièmement, le ratio de liquidité, le Net Stable Funding Ratio, représente un surcoût estimé aujourd’hui à 100 points de base, contre 55 il y a seulement trois mois. De fait, les règles de Bâle III interdisent la transformation. La Caisse des dépôts pratique la transformation de liquidités en barrages, pour reprendre la formule de François Bloch-Lainé, ou plutôt en investissements à long terme pour les infrastructures, les logements et les collectivités locales. Mais les banques peuvent de moins en moins faire de même puisqu’on leur demande, pour des emplois à vingt-cinq ans, des ressources à vingt-cinq ans, alors qu’aucune banque en Europe ne peut emprunter en non secured, sans collatéral, à plus de trois ans.

Nous proposons des emprunts dont le taux est, au choix de l’emprunteur, soit fixe, soit indexé sur le livret d’épargne populaire, l’inflation ou l’Euribor. Selon mes informations, 50 % des demandes concernent des taux fixes, 28 % un index LEP ou inflation et 22 % un index Euribor.

Ces prêts, accordés grâce à une ressource privilégiée, resteront dans le fonds d’épargne : il serait impossible de les transférer à la future structure de financement, car celle-ci se financera aux conditions de marché. Je profite de l’occasion pour remercier les membres de la commission des finances et tous les parlementaires qui ont voulu que nous disposions de tout le croît naturel du livret A. Il y a un an, en effet, certains songeaient à plafonner à 3 % la croissance de l’encours centralisé à la Caisse des dépôts, le surplus revenant au secteur bancaire. Or, si nous pouvons venir en aide aux collectivités, c’est grâce à ces ressources, qui sont considérables puisque les dépôts, dont nous récupérons 65 %, ont augmenté de 17 milliards d’euros en 2011, hors capitalisation des intérêts. En d’autres termes, en décidant de débloquer ces 5 milliards d’euros, le Gouvernement n’obère pas notre capacité de prêt aux organismes de logement social.

Quant à la future banque des collectivités locales, nous souhaitons qu’elle soit opérationnelle en juin 2012. Le Premier ministre a autorisé la signature de prêts au titre de la nouvelle enveloppe jusqu’au 30 avril. La période de carence devrait donc être aussi courte que possible. Cette joint venture, dont l’opérateur industriel sera La Banque postale, qui en détiendra 65 %, doit d’abord se doter d’un réseau de correspondants sur le territoire, auprès des collectivités locales. Nous nous efforcerons de proposer à La Banque postale de s’inspirer de la technologie de la Caisse des dépôts, qui dispose d’un réseau de directeurs régionaux.

D’autre part, la nouvelle structure devra refinancer les prêts. Pour cela, nous envisageons de recourir à un véhicule de refinancement, sous forme d’une société de crédit foncier – catégorie de société financière créée en 1999 à la suite de la crise du Crédit foncier -, chargé d’émettre des Pfandbriefe françaises, des obligations très sécurisées, généralement très bien notées. En l’espèce, notre objectif est le double A, voire le triple A. Cette société émettra du papier pendant une durée égale à celle des prêts, en tirant profit de la signature cumulée de la Caisse des dépôts et de La Banque postale puisqu’elle devrait en effet être détenue à 65 % par la Caisse des dépôts, à 5 %, dans un premier temps, par La Banque postale, et à 30 % par Dexia Crédit Local, qui en reste actionnaire. Le défi que nous devrons relever au premier semestre 2012 consistera à ranimer cette structure de refinancement, Dexia Municipal Agency, qui jouit aujourd’hui d’un crédit si faible qu’elle n’est plus en activité. Il nous faudra donc redonner confiance aux investisseurs.

Les prêts distribués par la nouvelle banque seront simples, compréhensibles, transparents, non structurés. Le taux affiché sera calculé à partir des coûts de refinancement. La gestion financière sera raisonnable. La Banque postale étant une entreprise détenue par La Poste à 100 %, elle-même détenue par l’État à 74 % et par la Caisse des dépôts à 26 %, et la Caisse des dépôts étant placée sous la surveillance particulière du Parlement, les emprunteurs seront parfaitement informés des bénéfices réalisés par la banque, puisque tous les comptes seront à la disposition de la représentation nationale.

M. le rapporteur. Cette structure bancaire pourra-t-elle participer à la renégociation d’emprunts structurés ?

M. Augustin de Romanet. Selon nos premières discussions avec Dexia, Dexia Crédit Local conserve l’apanage de la renégociation et des discussions sur les prêts qui font l’objet de contentieux. D’où un enjeu crucial de nos échanges avec elle : nous ne devons pas nous faire concurrence. Il serait en effet délicat que notre joint venture et Dexia proposent les mêmes produits aux mêmes clients. Nous travaillons donc à une clause de non-concurrence aux termes de laquelle Dexia ne pourrait accorder de nouveaux prêts aux collectivités locales qu’en conséquence des renégociations dont elle demeure responsable.

M. le président. C’est une sortie en sifflet !

M. Augustin de Romanet. Très longue.

M. le rapporteur. En ce qui concerne le stock d’emprunts de Dexia, justement, la Caisse a-t-elle provisionné le montant du risque juridique que représente cette reprise ? Dans quelles proportions ? Les emprunts structurés qui font partie de ce portefeuille ont-ils vocation à aller à leur terme ou à faire l’objet de renégociations ? Vous avez en partie répondu, mais j’aimerais que vous alliez plus loin, car la gestion du stock est notre principale préoccupation. Enfin, la Caisse a-t-elle créé une cellule particulière destinée à renégocier les emprunts structurés ? A-t-elle déjà entamé des renégociations ?

M. le président. Si Dexia ne peut prêter qu’au titre de la renégociation de prêts antérieurs, pourrez-vous intervenir dans la renégociation ?

M. Augustin de Romanet. Nous n’avons pas provisionné pour un risque juridique parce que nous nous sommes battus contre le risque financier. Lorsqu’il a été envisagé que nous rachetions DexMA, le risque, pour nous, était double. Le premier était d’acheter à une valeur supérieure à la valeur de marché. Sans les dispositifs de garantie votés par le Parlement, le jour où nous avons acheté DexMA, nos commissaires aux comptes nous auraient demandé d’enregistrer une perte de 5 milliards d’euros dans notre compte de résultats, soit 25 % de nos capitaux propres.

M. Dominique Baert. Pourquoi ?

M. Augustin de Romanet. Parce qu’au moment où les prêts ont été consentis aux collectivités par Dexia, leurs marges étaient beaucoup plus faibles qu’elles ne le seraient aujourd’hui. Dans la formidable vague de l’évaluation dite mark to market, le portefeuille de 80 milliards que nous devions reprendre avait ainsi, de l’aveu même du vendeur – il n’y a pas eu dol –, perdu 5 milliards. Cette difficulté n’a pu être surmontée que parce que l’on nous a garanti que ces prêts seraient, à terme, remboursés en totalité, grâce au dispositif que vous avez voté.

M. le président. Pour dix ans !

M. Augustin de Romanet. Un peu plus.

Un second risque découlait spécifiquement des prêts très structurés, les plus dangereux, les prêts hors charte Gissler et ceux classés E3 à E5 par la charte Gissler. Leur volume global est de 10 milliards d’euros. Sur ce montant, nous avons obtenu du Parlement qu’il vote la garantie de l’État, qui immunise entièrement la relation de la Caisse avec Dexia. Cette garantie joue moyennant une franchise de 500 millions d’euros, au-delà de laquelle un ticket modérateur de 30 % reste à la charge de Dexia. Ensuite, nous bénéficions d’une garantie dite stoploss dès lors que le coût du risque dépasse 10 points de base par an, soit 70 millions d’euros. Nous avons en effet considéré que nous pouvions assumer une perte jusqu’à dix fois supérieure au risque normal, lequel est limité à 1 point de base puisque les collectivités locales sont normalement de très bons payeurs.

Nous n’avons donc pas provisionné pour risque juridique puisque nous sommes ainsi protégés du risque financier et que le risque juridique évidemment attaché à la renégociation des prêts sera assumé par Dexia, chargée de la renégociation. Nous n’avons pas non plus prévu d’organisation particulière pour renégocier les prêts structurés inscrits au bilan de DexMA puisque les équipes de Dexia Crédit Local s’en chargeront.

Ces emprunts structurés ont-ils vocation à aller à leur terme ou à être renégociés ? On ne peut bien entendu postuler que l’opération à laquelle nous travaillons interdit les renégociations. La décision relève de la relation bilatérale entre Dexia et les collectivités locales. Mais la renégociation pourrait coûter très cher aux collectivités locales : selon les chiffres dont je dispose, un crédit structuré sur trois supposerait, pour être transformé en prêt à taux fixe, une soulte représentant 40 % du capital restant dû. Comment fixe-t-on cette soulte, et qui peut ou doit la prendre en charge ? Cette question me dépasse.

M. le président. C’est la quadrature du cercle !

M. le rapporteur. Le problème des renégociations, avec Dexia mais aussi avec d’autres banques, françaises et étrangères, est en effet le montant des soultes. La proposition classique consiste à refinancer le capital restant dû majoré de la soulte, de 40 % du montant du prêt par exemple, à des taux plus normaux et plus sûrs. Mais aujourd’hui, une collectivité locale ne peut accepter ces conditions. Notre objectif est de trouver une issue à ce problème. Les responsabilités sont partagées. D’une part, certains ont volontiers acheté de l’argent bon marché ; d’ailleurs, la majorité des emprunts bénéficient encore de ces taux bonifiés, mais plus pour longtemps.

D’autre part, les produits en question n’auraient peut-être pas dû être sur le marché. La charte Gissler les exclut aujourd’hui, mais, dès cette époque, les techniques de présentation et de vente n’ont-elles pas servi à Dexia, qui se présentait comme la banque des collectivités, à commercialiser des produits qui n’avaient rien à faire dans une collectivité territoriale ? Puis, à partir de produits fabriqués sur mesure pour les grandes collectivités gérant de grandes masses financières, on est peu à peu passé à du prêt-à-porter. On nous a juré que les communes de moins de 10 000 habitants n’étaient pas visées ; pourtant, aujourd’hui, quelque 1 800 communes de moins de 10 000 habitants ont les mêmes types de produits que les grandes communes. Bref, une vaste opération commerciale a pris pour cible un stock de dette dormant qui représentait quelque 160 milliards d’euros, et jusqu’à 270 milliards si l’on inclut les établissements de santé et les offices d’habitat, et on a ainsi transformé des prêts à 4 ou 5 % en prêts structurés. La dette est dynamisée, les emprunteurs gagnent de l’argent, les banquiers dégagent des marges beaucoup plus importantes – même si, vous l’avez dit, une collectivité n’est pas rentable car elle n’effectue pas de dépôts –, mais sur des produits tels qu’un accident, de la parité euro-franc suisse par exemple, est lourd de conséquences.

Enfin, l’État a lui aussi ses responsabilités : le recours à ces produits était-il suffisamment encadré par la circulaire de 1992 ? Les organes de contrôle exerçaient-ils une véritable surveillance ?

Les emprunts structurés problématiques représentent 15 à 18 milliards d’euros. Le capital est dû, tout le monde en est d’accord. Quant aux intérêts, il est normal d’en payer quand on emprunte de l’argent. De l’avis de tous, la bonification initiale – 1 %, voire 0 % pendant dix ans ! – n’est pas tout à fait normale ; mais ce qui nous attend n’est pas normal non plus ! Est toxique ce qui dépasse le capital et le montant normal des intérêts. Cette partie toxique est souvent exposée à des retournements de cycle : ainsi, le taux de change euro-franc suisse, qui est aujourd’hui de 1,2 du fait des interventions de la Banque nationale suisse, pourrait évoluer favorablement au cours des six mois à venir, ce qui résoudrait tous les problèmes. Mais les collectivités ne connaissent pas l’évolution de ces paramètres à long terme alors qu’elles sont tenues par la règle d’or budgétaire de présenter chaque année des comptes équilibrés.

Que faire de cette partie toxique en attendant des jours meilleurs ? Les banques et les collectivités pourraient se mettre d’accord pour revenir à des emprunts « normaux », à taux fixe ou à taux variable de type « Euribor + x », en renvoyant le paiement du surcoût à une période plus favorable. La Caisse des dépôts pourrait-elle accompagner les collectivités dans l’intervalle ? Aujourd’hui, les renégociations portent sur le capital et sur une soulte que l’on transforme et que l’on refinance. Cette solution, qui consiste à reculer l’échéance, est présentée au motif que la conjoncture va se retourner dans deux ans, mais elle est incompatible avec le mode de gestion des collectivités, qui doivent présenter des comptes sincères.

M. Augustin de Romanet. La réponse est délicate, car il ne nous est pas facile de stipuler pour autrui : la Caisse des dépôts n’a pas de banque, donc pas de structure de prêt, si l’on fait abstraction de sa participation à Dexia et à La Banque postale. Selon nos calculs, un contrat de stabilisation des intérêts transformant les 25 % d’encours les plus toxiques en taux fixe du marché coûterait au moins 1 milliard d’euros. Je vous livre ce chiffre au titre de notre assistance technique. Mais désigner les collectivités bénéficiaires, définir le volume de prêts toxiques à stabiliser et le taux fixe raisonnable auquel ils le seraient revient à des autorités politiques dont la légitimité excède de loin la nôtre.

D’autre part, aux termes de la loi du 4 août 2008, la Caisse des dépôts doit agir « dans le respect de ses intérêts patrimoniaux » ; elle ne peut donc décider ex nihilo d’enregistrer une charge pour procéder à cette stabilisation. Cette réponse ne saurait vous satisfaire, j’en ai conscience. Malheureusement, ce que vous demandez ne fait pas partie de notre mission.

M. le rapporteur. Je suis satisfait, en tout cas, que vous estimiez à 1 milliard d’euros le coût de l’opération. On parle souvent de 15 milliards, mais c’est que l’on confond le capital et le surcoût toxique. J’avais moi-même évalué la part toxique des emprunts structurés à 750 millions à 1 milliard par an.

M. Augustin de Romanet. Le coût que j’ai mentionné pour le quart le plus toxique n’est pas annuel : il est unique, non récurrent. L’encours toxique est aujourd’hui estimé à 15 à 18 milliards ; la décote de ces produits sur le marché est de 25 à 40 % ; pour en transformer la totalité en produits « normaux », il faudrait débourser au moins 4 milliards d’euros.

M. le président. Cela donne une idée du volume des produits les plus toxiques, classés E3 à E5.

M. Augustin de Romanet. Et hors charte.

M. Henri Plagnol. Je remercie très sincèrement Augustin de Romanet, car il s’agit d’un moment essentiel de nos auditions : c’est la première fois que nous entendons un discours clair sur le coût réel de la transformation du stock d’emprunts. Or ce coût, si élevé soit-il, semble maîtrisable au regard de la crise des dettes souveraines. Il risque cependant d’augmenter avec le temps ; on ne peut en tout cas prévoir les conséquences de son évolution sur notre système bancaire – notamment Dexia – et sur les collectivités locales, voire sur l’État lui-même.

Il paraît raisonnable de se concentrer sur les 25 % de prêts les plus toxiques, le reste pouvant être progressivement ramené à une norme acceptable pour les collectivités. Ce milliard, comment en répartir la charge entre les banques, l’État et, le cas échéant, les collectivités locales responsables, si elles en ont les moyens ? C’est beaucoup vous demander, j’en ai conscience ; vous avez dit très modestement que cela relevait de la compétence du législateur. Mais la Caisse des dépôts, si le Parlement en décidait ainsi, pourrait-elle contribuer à définir la meilleure répartition ? S’il ne s’agit que d’un seul versement, ce n’est pas insurmontable.

M. Jean-Louis Gagnaire. Merci pour votre intervention très claire. J’ai bien compris la nécessité d’isoler Dexia Crédit Local pour l’empêcher de contaminer la nouvelle structure. Mais comment assumera-t-elle la charge des renégociations et des contentieux ? La ville de Saint-Étienne, qui refusait de payer les intérêts d’un crédit renégocié, vient ainsi d’obtenir satisfaction en justice. Or si Dexia doit payer, cela rejaillira nécessairement sur la collectivité publique, par l’intermédiaire de la Caisse ou d’une autre structure.

Tous les prêts toxiques ne feront pas l’objet de contentieux. La médiation est une autre éventualité. La Caisse s’interdit-elle de participer à la renégociation de tous les prêts potentiellement toxiques ?

Vous avez estimé à 1 milliard le coût de la transformation d’un quart des emprunts. Les quatre quarts sont-ils équivalents ? Le coût de sortie n’est-il pas moins élevé pour les trois quarts moins toxiques ?

Enfin, les prêts les plus toxiques placent les plus petites collectivités dans une situation intenable. Elles n’ont pas les moyens de renégocier à des conditions correctes, ce sont elles qui ont le plus de mal à honorer leur dette et elles essuient souvent des refus de renégociation. Que peut-on faire pour elles ?

M. Marc Goua. Si le coût du crédit remonte, les paramètres tels que le cours du franc suisse peuvent en revanche connaître des évolutions favorables. Dès lors, faut-il convertir tous les prêts en prêts à taux fixes ou bien fixer un taux plafond correspondant au taux du marché, en attendant un retour à meilleure fortune ? Le coût résiduel de l’opération pourrait s’en trouver réduit.

M. Dominique Baert. Notre principale préoccupation est de savoir comment construire un système viable pour en sortir. Vous avez déclaré que le règlement des contentieux serait pris en charge par les équipes de Dexia Crédit Local, mais ces équipes, dont le devenir, qu’il soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la structure, est encore incertain, ont-elles réellement aujourd’hui la capacité de renégocier et de formuler des propositions ?

Il importe certes de limiter les taux d’intérêt afin d’éviter qu’ils ne deviennent prohibitifs – mais qui assure, dans ce cas, le financement du solde au-delà du plafond qui serait fixé ? Par ailleurs, qui paiera la soulte inscrite dans les contrats, qui correspond à l’actualisation des prêts, et donc de leur valeur ? Bien qu’il ne soit pas de votre mission de formuler des recommandations, votre avis éclairé nous intéresse.

Quant au nouvel établissement en charge du financement des collectivités locales que vous avez présenté, je connais bien ce type d’outil, pour avoir été jadis rapporteur du projet de loi qui a créé les sociétés de crédit foncier. Emprunter sur la durée afin de prêter sur la même durée est assurément une démarche saine qui transparaît dans les ratios, mais la marge prélevée par l’établissement de crédit se répercute sur le coût pour l’emprunteur final : il semble bien que, pour les collectivités locales, qui assurent 75 % de l’investissement public, le temps du crédit bon marché soit révolu.

M Augustin de Romanet. Monsieur Plagnol, nous mettrons à votre disposition la méthodologie qui nous a permis de calculer ce montant en prenant le parti de la transparence. Je ne saurais répondre davantage à votre question, si pertinente soit-elle, sans outrepasser les missions fixées par la loi à la Caisse des dépôts : je n’ai pas les galons pour être médiateur.

Monsieur Gagnaire, vous vous êtes demandé si la CDC s’interdisait de participer aux négociations et comment Dexia Crédit Local ferait face au contentieux.

Certains ont jugé que les 6 milliards d’euros consacrés en 2008 à la recapitalisation de Dexia étaient inutiles, car ils réglaient un problème de solvabilité dans le contexte d’une crise de liquidité. Or, ces fonds propres, restés dans les caisses de Dexia, assurent aujourd’hui encore la solvabilité de cet établissement – qui, je le rappelle, était avant la crise du mois de septembre l’une des banques européennes présentant le meilleur ratio « tier 1 » – supérieur à 11 %. Les actionnaires de Dexia, dont fait partie la Caisse des dépôts au même titre que l’État français, l’État et les régions belges ou la CNP, continueront à disposer de cet argent. Le cours de bourse de Dexia est d’ailleurs aujourd’hui excessivement inférieur à la valeur de l’actif net – en d’autres termes, la book value de Dexia est très supérieure au cours de bourse, car tout le monde anticipe qu’elle va fondre comme neige au soleil. Dexia a donc des moyens lui permettant de faire face aux contentieux.

Quant à savoir si la Caisse des dépôts peut participer à cette renégociation, il me semble qu’il ne faut pas qu’il y ait deux pilotes dans l’avion. Là encore, nous n’avons pas de légitimité pour intervenir.

Par ailleurs, s’il ne faut pas exclure la faculté, pour la nouvelle joint venture engagée avec la Banque postale, d’intervenir pour faire un nouveau prêt à taux fixe et permettre à la collectivité de se refinancer, j’ai déjà indiqué tout à l’heure que c’était là un domaine où Dexia conservait sa légitimité. Il importe en effet, du fait notamment d’exigences européennes, que l’activité de Dexia ne s’éteigne pas. A priori, nous ne devrions donc pas participer à ce processus.

Par ailleurs, pour les trois autres quarts des actifs toxiques, la soulte est moins élevée que pour le premier quart, car le risque est moindre selon la classification de M. Gissler.

Enfin, le médiateur me semble en effet devoir concentrer ses travaux sur les petites collectivités, moins bien armées intellectuellement pour faire face à ces difficultés.

Monsieur Goua, je laisse M. Gotrane répondre à votre question très technique.

M. Sami Gotrane, chargé de mission à la direction finances, stratégie, filiales et international de la Caisse des dépôts et consignations. La question portait sur la possibilité de transformer les prêts à taux fixes en prêts à taux variables assortis d’un plafond, ou « cap ». Le coût de l’opération envisagée, évalué par M. le rapporteur entre 750 millions et par nous à 1 milliard d’euros, dépendra du choix d’un taux fixe ou d’un taux variable accompagné d’un plafonnement de la marge prise par rapport à l’Euribor.

M Augustin de Romanet. Monsieur Baert, la question de savoir si les personnels de Dexia sont motivés relève du management de cette entreprise. En tant qu’actionnaire, nous serons vigilants, mais je n’ai aucune inquiétude quant au fait que l’administrateur délégué, M. Pierre Mariani, fera tout son possible pour garder motivées ces équipes, qui ont encore du travail pour de nombreuses années car, même si Dexia n’empruntait plus un centime, les portefeuilles vivront encore au moins jusqu’à 2030. Dans une conjoncture défavorable à l’emploi, je ne doute pas que les personnes travaillant chez Dexia auront à cœur de bien remplir leur mission.

Je le répète, je sortirais de mon champ de compétences si je répondais à la question de savoir qui doit payer la soulte. Jusqu’à la crise de 2008, l’Europe était inondée de crédit à bas taux, grâce à la politique américaine qui s’y diffusait et permettait alors, de façon tout à fait exceptionnelle dans l’histoire économique, d’emprunter à bas taux pour placer à des taux plus élevés. Le crédit aux collectivités locales sera donc plus cher qu’auparavant, mais il n’y a pas de raison pour qu’il soit structurellement déconnecté de celui consenti aux entreprises de solvabilité comparable. Le taux directeur des prêts aux entreprises sera aussi celui du marché, du fait de l’extraordinaire tension qui se fera sentir sur les dépôts, car il faudra, pour prêter, lever des ressources auprès d’investisseurs tiers. En ajoutant le coût du refinancement et le coût du ratio de liquidités à long terme, évalué à 100 points de base, on peut prédire que les taux seront structurellement entre 1,2 % et 1,5 % plus élevés qu’auparavant.

M. Daniel Boisserie. Où situez-vous la limite entre petites et grandes collectivités ?

Par ailleurs, est-il possible que, du fait de taux trop élevés, des collectivités se trouvent dans l’impossibilité d’emprunter ? L’investissement national étant dans une très large mesure réalisé par les collectivités, une intervention forte des États européens ne sera-t-elle pas nécessaire pour contenir les taux et maintenir l’activité ?

M. Jean-Louis Gagnaire. Sachant que le portefeuille de Dexia Crédit Local ne s’éteindra qu’en 2030 et que le stock d’emprunts gérés ira décroissant, les coûts de gestion de la structure ne deviendront-ils pas prohibitifs par rapport à ce stock – sauf à dégraisser fortement cette structure, au risque de la rendre moins opérationnelle ?

Par ailleurs, les emprunts obligataires lancés par certaines collectivités sont-ils réellement susceptibles de détendre les pressions pesant sur les taux ?

M. Henri Plagnol. Je ne suis pas frustré par votre réponse, monsieur de Romanet, car c’est en effet à nous de dire qui doit payer le milliard d’euros correspondant aux 25 % de créances les plus dangereuses.

Il faut intégrer dans notre réflexion sur les remèdes de choc à administrer le fait que Dexia a été recapitalisée et dispose de fonds propres importants. Les actionnaires sont néanmoins conscients qu’ils seront amputés par les coûts induits par les contentieux en cours, ce qui se traduit par une capitalisation boursière inférieure à l’actif net.

M. le président. Monsieur de Romanet, vous avez conforté l’analyse du rapporteur sur les sommes en jeu et sur le nombre de collectivités concernées. J’observe à ce propos que, compte tenu du nombre de petites collectivités touchées et du temps qu’il a déjà fallu pour examiner les dossiers des quelques-unes d’entre elles qui ont recouru à la médiation, cette dernière ne saurait les traiter séparément : une règle globale s’impose.

Je souhaiterais que vous puissiez à la fois jouer le rôle d’expertise qui est généralement attendu de la Caisse des dépôts et consignations et réfléchir avec nous sur des pistes de sortie qui, si elles ne peuvent être proposées par la Caisse, pourraient du moins être soufflées par le législateur, bien que la somme en jeu doive encore être précisée.

M Augustin de Romanet. Monsieur Boisserie, la ville de 1 800 habitants dont j’ai jadis été conseiller municipal ne disposait pas des équipes techniques nécessaires : la limite entre petites et grandes collectivités se situe certainement au-dessus de ce chiffre – vraisemblablement entre 5 000 et 10 000 habitants.

Monsieur Gagnaire, Dexia Crédit Local conservera des activités génératrices de commissions – Sofaxis, courtier en assurances, Domiserve, Dexia CLF Régions Bail, Exterimmo. L’entreprise persévérera donc dans son être. Je fais toute confiance à M. Pierre Mariani pour faire en sorte que les coûts de gestion ne soient pas un handicap pour la viabilité de la structure.

En ce qui concerne les emprunts obligataires émis par les collectivités, les exigences du marché des capitaux commandent qu’une ligne soit de l’ordre de 500 millions d’euros pour être liquide, ce qui limite la procédure aux très grandes collectivités comme Paris, l’Île-de-France, Lyon ou Marseille. À titre personnel, je ne vois que des avantages à ce que les collectivités aillent directement sur le marché, qu’elles contribuent ainsi à élargir, par exemple en levant des capitaux auprès de banques centrales étrangères, qui ont intérêt à diversifier leurs actifs. Le financement direct par des obligations reste cependant très marginal en France, où il ne représente que 3,4 % du financement des collectivités locales, avec un stock de 5,6 milliards d'euros. En Allemagne, en revanche, les émissions obligataires représentent 40 % des financements assurés par les marchés de taux, car les Länder ont une taille suffisante pour émettre des emprunts.

Monsieur Plagnol, je n’ai pas de solution pour ce qui concerne la répartition de la charge.

M. Henri Plagnol. Mais Dexia conserve des fonds propres.

M. Augustin de Romanet. Ayant fait le serment de dire toute la vérité, je vous remercie de l’avoir relevé. Je suis obligé de dire, pour rassurer les interlocuteurs, que la maison Dexia n’est pas finie et qu’elle compte des collaborateurs qui, dans leur grande majorité, sont de grande qualité et demeurent fiers de leur métier, même s’il a été abîmé par des responsables dont nous cherchons tous à déterminer les responsabilités. Je tiens donc à leur rendre hommage car, dans la tourmente où ils se trouvent depuis septembre 2008, ils se tiennent debout. L’un des éléments qui concourent à leur dignité est le fait que leurs actionnaires aient accepté en une nuit, en septembre 2008, de mettre au pot la somme considérable de 6 milliards d’euros qui permet à la société de faire face à ses responsabilités.

Ce serait sortir de mon rôle, et risquer de sombrer dans une schizophrénie incurable, que de répondre à la question posée sur les renégociations élémentaires.

M. Dominique Baert. La gravité de la situation nous conduit à vous pousser dans vos retranchements et nous vous en demandons pardon. Vous semble-t-il toutefois que les décideurs de Dexia aient réellement les moyens de répondre aux demandes d’une renégociation qui passe nécessairement par l’abandon, la réduction ou le plafonnement des soultes ? En d’autres termes, y a-t-il encore un pilote dans l’avion ?

Encore faut-il, du reste, que les pilotes restent dans l’avion. Or, des rumeurs sur les mouvements de carrière que pourrait connaître M. Pierre Mariani abreuvent régulièrement la presse spécialisée, ce qui est quelque peu déstabilisant. Vous-même pourriez, selon une autre rumeur véhiculée par la presse économique, envisager d’être remplacé au printemps. Avez-vous des informations à nous communiquer sur ce point ?

M. le président. Je souscris à vos propos sur le compte de M. Mariani, qui a été confronté à une tâche très difficile, mais je suis plus perplexe quant au dynamisme qui pourrait marquer la poursuite de l’activité de Dexia. L’équipe précédente a ainsi déclaré devant la commission d’enquête que Dexia avait demandé à ses commerciaux de ne pas vendre de produits structurés à de petites communes, ce qui est loin d’avoir été le cas. De même, dans le business plan, une grande partie des profits considérables réalisés alors par Dexia – qui se développait aux États-Unis et, plus encore, en Belgique et prétendait même, je le rappelle, racheter la Société générale – étaient liés au commerce des produits structurés en France. Or, ces produits ne sont apparemment pas voués à un grand succès dans les prochaines années et, Dexia n’étant pas une banque de dépôt, elle va devoir aller chercher de l’argent sur le marché pour le prêter aux collectivités locales. Comment pourra-t-elle établir avec ces dernières une relation aussi forte que dans le passé si elle ne leur propose que des produits très semblables à ceux que vous-même et d’autres banques proposez ? Il importe de tenir compte de ces considérations dans notre réflexion sur les prêts et les partenaires des collectivités locales.

M. Augustin de Romanet. Monsieur le président, si nous ne pouvons vous faire de suggestions, nous sommes prêts en revanche, et dans la limite de nos missions, à tester techniquement, en jouant un rôle de tiers de confiance, des propositions que vous pourriez faire. Les équipes de M. Gotrane sont en effet plongées dans les chiffres depuis six mois. À défaut d’être apporteurs de solutions, nous pouvons donc être confronteurs d’idées.

Monsieur Baert, nous avons la responsabilité de positiver, sans pleurer devant le lait renversé. Les collaborateurs de Dexia et les collectivités locales méritent qu’on les respecte et nous avons des solutions à trouver. Je fais confiance pour cela à M. Mariani. En qualité d’actionnaire, j’ai – comme du reste le conseil d’administration où siègent, outre la Caisse des dépôts, l’État français, l’État et les régions belges – la responsabilité de ne pas désespérer les collaborateurs de Dexia, confrontés à des problèmes beaucoup plus sérieux que ceux que rencontraient leurs prédécesseurs voilà dix ans, au moment où ils se livraient à des pratiques qui ont entraîné les problèmes que nous connaissons aujourd’hui. Notre devoir est de valoriser et d’encourager ces collaborateurs et de leur dire qu’il y a un horizon.

Pour ce qui est de savoir s’il y a un pilote dans l’avion, j’ai pleinement confiance, je le répète, en la capacité de M. Mariani à jouer ce rôle. Sur mon compte, il n’est pas délicat de spéculer sur des choses qui ne vous appartiennent pas plus qu’à moi, et je ne le ferai pas.

Notre devoir est d’assurer le plus possible de transparence et de qualité au temps que nous consacrons aux collectivités locales. Le conseil d’administration de Dexia aura à cœur de faire en sorte que les collaborateurs restent motivés. Quant à vous, parlementaires, membres de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, elle-même actionnaire de Dexia, vous pouvez à chaque instant nous faire part de ce qui fonctionne mal.

M. Patrice Calméjane. Les collectivités vont se trouver dans la situation de particuliers surendettés. Pour les principales collectivités concernées, il reste deux budgets avant les prochaines échéances électorales. Ne faudrait-il pas prévoir un mécanisme subordonnant l'octroi du prêt à la double signature de l'exécutif de la collectivité concernée et d'un représentant de l'État qui aurait bien analysé les risques ?

M Augustin de Romanet. Si je vous entends bien, il conviendrait d'assister la collectivité en ne laissant pas le maire libre de souscrire un nouveau prêt.

M. Patrice Calméjane. Il reste deux exercices budgétaires. Certaines collectivités bénéficient encore de prêts intéressants pour un certain temps, mais il s'agit par définition de produits toxiques dont il faut sortir. Afin de ne pas laisser le responsable des finances seul devant ses responsabilités – le code général des collectivités territoriales ne lui impose même pas de consulter son exécutif avant de souscrire un prêt – un tel système de double signature ne donnerait-il pas les assurances nécessaires, tout en impliquant l'État ?

M Augustin de Romanet. Par nature, le co-pilotage est une mauvaise situation, qui déresponsabilise. Votre question relève de la responsabilité des élus et des préfets et mériterait d'être traitée avec le ministre en charge des collectivités locales. Je me garderai bien d’empiéter sur son domaine car proposer un système dans lequel le maire ne serait plus maître chez lui a des conséquences qui dépassent de loin le cadre de la présente audition.

Au-delà des activités génératrices de commissions que j'ai déjà évoquées, Dexia Crédit Local va continuer à assurer des prestations de services pour l'entité propriétaire de DexMA, dont il est aujourd’hui prévu qu’elle sera constituée par la Caisse des dépôts et la Banque postale. La banque Dexia subsistante conservera donc un modèle économique dans lequel elle devra faire plus que couvrir ses coûts : il est prévu que cet établissement continue de gagner de l'argent.

M. le président Claude Bartolone. J’insiste : l’apparition des produits structurés tient au fait que l’équipe qui était alors à la tête de Dexia a pris conscience que, sur le flux de prêts, les marges étaient très faibles – de l’ordre de 0,2 % en moyenne. Elle s’est alors spécialisée sur le stock, où elles étaient plus importantes, entre 0,7 % et 0,9 %, et elle a engrangé des profits importants, au point d’envisager de s’installer aux États-Unis et de racheter la Société Générale. Or, les produits structurés étant vraisemblablement voués à disparaître durablement, Dexia proposera des produits très comparables à ceux des autres établissements bancaires et il n’est pas du tout certain qu’elle retrouvera sa position de leader sur le marché des collectivités locales.

M. Augustin de Romanet. Cette question est liée à la réponse que j’ai faite à M. Baert : dès lors que le financement des crédits aux collectivités locales sera dépendant des ressources de marché, le coût de ces ressources sera relativement équivalent d’une banque à l’autre. Pourvu en effet qu’elles soient solvables, les banques emprunteront sur le marché à des taux comparables, puis appliqueront une marge de transformation et une marge destinée à absorber le coût de la liquidité.

On peut craindre cependant qu’il n’y ait pas foule pour prêter aux collectivités locales. L’un des défis de la nouvelle banque que nous créons avec La Banque postale consiste donc à prendre rapidement une part de marché pour éviter un credit crunch qui, faute d’offre suffisante, affecterait les collectivités locales. Au mois d’août, l’offre était si réduite que certaines collectivités, pour ne pas renoncer à leurs projets, acceptaient d’emprunter avec des marges de 200 points de base, alors que, d’habitude, elles ne dépassaient pas 60 ou 70 points de base. C’est ce qui va se passer désormais. Ainsi, même si Dexia Crédit Local n’ambitionne pas d’être la banque la plus compétitive, elle conservera une place dans le cadre des renégociations avec les collectivités locales – mais pas au-delà.

M. Daniel Boisserie. Il est inconcevable que les banques soient les seuls prestataires à ne pas être soumis à une procédure d’appels d’offres pour traiter avec les collectivités. Ne serait-il pas souhaitable, voire indispensable, qu’un texte législatif oblige les collectivités à produire un cahier des charges ou un règlement de consultation dans le cadre d’un appel d’offres auquel devraient répondre un nombre minimal de banques, sous le contrôle de l’État et éventuellement avec l’aide de bureaux d’étude spécialisés ?

M. Augustin de Romanet. Monsieur Boisserie, je suis tenté de vous répondre : « oui, mais non, et sûrement non ». « Oui », parce que le dispositif que vous proposez contribuerait à plus de transparence et à plus de rigueur, en y mettant plus d’intelligence. « Non », en revanche, parce que son coût élevé, lié notamment à la haute technicité des cabinets spécialisés, introduirait aussi de la viscosité dans le système, et ce pour un bénéfice incertain, car il est vraisemblable que, dans les années qui viennent, les appels d’offres de collectivités donneraient lieu, au plus, à deux propositions. La « réfrigération » des prêts à long terme a notamment été évoquée lors des Assises nationales du financement du long terme, le 17 novembre, où M. Jacques Pélissard a exprimé nos craintes communes face aux exigences de Bâle III et de Solvabilité II. Attendons donc de voir : si les banques sont six à répondre aux appels d’offres, avec des risques de dol au détriment des collectivités, je conviendrai que je vous ai fait une mauvaise réponse et qu’il est bon de définir un cahier des charges.

Je conclurai d’un mot : il faut, dans tous les domaines, choisir ce qui est positif pour soutenir les collaborateurs de Dexia, qui ont une tâche très difficile. À la Caisse des dépôts, nous nous sommes également efforcés d’être positifs en mobilisant tous nos réseaux pour distribuer les 5 milliards d’euros le plus vite possible et au plus près du terrain. Nous sommes également très positifs pour diffuser, avec nos partenaires de la joint venture conclue avec la Banque postale, une nouvelle culture pour une nouvelle banque, qui s’efforcera de récupérer une grande partie des 40 % de parts de marché que Dexia a pu avoir dans ses meilleurs moments.

M. le président Claude Bartolone. Monsieur de Romanet, je vous félicite de votre solidarité – personnelle et d’actionnaire – avec M. Mariani. Beaucoup de travail attend Dexia car, si la Caisse des dépôts et consignations a toujours su conserver sa réputation vis-à-vis des collectivités locales, il y a beaucoup à faire pour recréer les liens qui ont pu exister entre Dexia et ces dernières.