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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mardi 6 octobre 2009

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 1

Présidence de M. Didier Migaud Président

– Audition de M. Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes, sur les autorités de régulation et de médiation dans le domaine économique 2

– Audition de M. Christophe Blanchard-Dignac, président-directeur général de la Française des Jeux, dans la perspective du renouvellement de son mandat 10

– Présences en réunion 17

M. Le président Didier Migaud. Mes chers collègues, avant d'aborder notre ordre du jour, je souhaiterais présenter une observation préliminaire. Comme vous le savez, le nouvel alinéa 3 de l’article 42 de notre Règlement prévoit, sous les réserves et exceptions qu’il énonce, que « chaque absence d’un commissaire à une Commission convoquée, en session ordinaire, lors de la matinée réservée aux travaux des commissions – c’est-à-dire le mercredi matin – donne lieu à une retenue de 25 % sur le montant mensuel de son indemnité de fonction ». Il est prévu que les questeurs sont informés des absences par les présidents des commissions permanentes.

À cette fin, les députés présents aux réunions de notre Commission tenues le mercredi matin seront invités à émarger sur une feuille de présence qui leur sera présentée par nos agents. Ces dispositions seront mises en œuvre à partir de demain mercredi 7 octobre.

Nous allons maintenant entendre M. Christian Babusiaux, Président de la 1ère chambre de la Cour des comptes, accompagné par MM. Patrick Lefas et Gérard Moulin, conseillers maîtres, et Mme Isabelle Veillet, rapporteur, sur le rapport d’enquête que nous avons demandé à la Cour en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), concernant les autorités de régulation et de médiation dans le domaine économique.

Ce thème avait été proposé par notre rapporteur spécial pour la mission Économie, M. Jérôme Chartier. Celui-ci, constatant la multiplicité des intervenants, s’interrogeait sur la cohérence de leur action, sur leur efficacité du point de vue de l’usager et sur d’éventuels doublons, soit entre eux, soit avec les services de l’État.

Au cours d’une réunion tenue fin janvier 2009 avec M. Jérôme Chartier, la Cour a indiqué avoir plusieurs contrôles en voie d’achèvement dans le champ de notre demande. Compte tenu de ces contrôles, il a été entendu que la Cour nous apporterait sa réponse en trois temps, s’agissant respectivement de la régulation dans le secteur financier, puis dans le secteur économique, et enfin de la médiation dans le domaine économique.

C'est ainsi qu'en février dernier, la Cour des comptes a consacré, dans son rapport public, une insertion aux autorités de contrôle et de régulation du secteur financier. Elle y tirait les enseignements de contrôles engagés depuis 2006, principalement sur trois organismes : la Commission bancaire, l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM) et l’Autorité des marchés financiers (AMF). Selon la Cour des comptes, le dispositif remodelé par la loi de sécurité financière du 1er août 2003 doit être sérieusement rationalisé et renforcé.

La Cour dégageait un certain nombre d’orientations parmi lesquelles on peut relever :

– la fusion des autorités de supervision que sont la Commission bancaire et l’ACAM avec les autorités d’agrément correspondantes ;

– la clarification des compétences des autorités et de l’État, notamment en ce qui concerne l’exercice du pouvoir réglementaire ;

– le renforcement des pouvoirs de sanction pour améliorer la crédibilité du contrôle bancaire et financier ainsi que de la régulation financière.

Je note également les recommandations tendant à renforcer l’information du Parlement sur des organismes qui, actuellement, ne sont pas tenus de s’inscrire dans la démarche de performance prévue par la LOLF, ni de justifier leurs dépenses au premier euro. Or, comme l’observe la Cour, même si les autorités de régulation financière ne reçoivent pas de subvention de l’État, deux d’entre elles, l’ACAM et l’AMF bénéficient d’impositions affectées.

Il paraît nécessaire de revenir sur cette anomalie. De même, il serait utile de réfléchir à l’idée d’un rapport annuel au Parlement sur les résultats et les perspectives de la politique de régulation financière. Un amendement au projet de loi de finances pourrait prévoir une annexe budgétaire comparable à celle relative au rapport de l’État actionnaire.

S’agissant des autres recommandations de la Cour, les référés de celle-ci et les réponses gouvernementales renvoient aux futures ordonnances pour lesquelles la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a donné habilitation au Gouvernement.

Pour autant, dans la situation de crise de la finance internationale que nous connaissons, le Parlement se doit d’exercer sa vigilance. Il nous appartiendra, le moment venu, d’amender si nécessaire le projet de loi de ratification des ordonnances en préparation.

Un deuxième aspect de notre demande portait sur les autorités de régulation dans le domaine économique. Il a été entendu que la Cour nous ferait parvenir ses observations définitives après enquêtes de suivi sur la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et sur l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Les lettres d’observation définitives viennent de nous parvenir.

Enfin, le troisième aspect concerne les instances de médiation dans le domaine économique. Sur ce domaine en plein essor, la Cour vient d’adopter ses conclusions, qui portent à la fois sur leurs compétences, leur organisation et leurs coûts.

Je propose que M. le Président Babusiaux nous présente maintenant les principales conclusions de la Cour, en particulier s’agissant de la médiation, puis le rapporteur spécial et l’ensemble des membres de la Commission pourront lui poser des questions.

M. le Président, vous avez la parole.

M. Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir organisé si rapidement cette audition pour donner suite aux transmissions que nous vous avons faites. Vous avez souligné que cette enquête sur le fondement de l’article 58-2° du règlement comportait trois volets : l’un sur les autorités de régulation financière, l’autre sur les autorités de régulation sectorielle que sont la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et l’Autorité de régulation des communications électronique et des postes (ARCEP), et la dernière sur les instances de médiation. Trois volets, parce que les autorités de régulation ont des pouvoirs de décision et de sanction, alors que les médiateurs n’ont qu’un pouvoir de persuasion, mais aussi parce que les équipes des médiateurs sont très réduites, alors que les autorités de régulation peuvent compter jusqu’à plusieurs centaines d’agents. Sur cet ensemble de sujets, notre souci a donc été de transmettre à votre Commission un ensemble de documents portant sur chacun des trois volets, pour lui permettre de disposer de l’information la plus complète et la plus adaptée relative à chacun de ces trois domaines.

J’essaierai donc de résumer le premier volet relatif aux autorités de régulation financière. Ensuite, si vous le voulez bien, M. Gérard Moulin vous résumera brièvement le deuxième volet relatif aux autorités de régulation sectorielle intervenant dans le domaine économique, puis je reprendrai la parole pour vous exposer le dernier volet relatif aux instances de médiation.

S'agissant des autorités de régulation financière, je tiens à souligner qu’il s’agit d’un sujet important, puisqu’il y a, à l’arrière-plan, la crise financière et la question de savoir quel système de régulation serait de nature à mieux prémunir l’économie française contre de futures crises. Il s’agit d’un sujet crucial et d’actualité, puisque le Gouvernement s’apprête à déposer un projet de réforme et c’est pour contribuer à éclairer le Gouvernement sur ce projet que la Cour a publié, dans son rapport public pour 2009, un ensemble d’observations faisant suite à divers référés adressés aux autorités de régulation financière.

À l’évidence une réforme est nécessaire : la régulation financière est aujourd’hui cloisonnée entre différents secteurs : banques, assurance, marchés financiers. Elle l’est aussi en fonction des types de sujets, puisqu’il y a la régulation prudentielle, avec l’AMF, l’ACAM et la Commission bancaire, d’une part, et le contrôle de l’installation et de la concentration des opérateurs, avec le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (CECEI) et le Comité des entreprises d’assurances, d’autre part. Pour la Cour, cinq autorités de contrôle, c’est trop. On retrouve ici le thème de la multiplicité des acteurs qui était au cœur de la demande de M. Jérôme Chartier. Au-delà même de la multiplicité, il faut remarquer que plus il y a de régulateurs, plus il y a, en quelque sorte, des interstices entre les régulateurs, et c’est notamment à la faveur de ces interstices que survient – l’expérience l’a montré – le développement d’activités financières non identifiées ou mal contrôlées. L’architecture actuelle du système est donc trop complexe et trop fragmentée. En outre, un problème central est insuffisamment traité, celui de la protection de l’épargnant qui, pour partie, se trouve « entre deux chaises », entre l’ACAM et l’AMF, et en réalité orphelin.

Au-delà de ce fractionnement des institutions, la Cour souligne l’absence de l’État, alors que c’est lui qui, en tant que garant de dernier ressort, risque de supporter les conséquences des failles du système de régulation. On ne peut pas demander aux autorités de régulation de faire ce pourquoi elles ne sont pas faites : elles sont là pour surveiller et, le cas échéant, sanctionner. Mais, l’État ne peut se défausser sur des autorités indépendantes pour le suivi global du système financier, l’encadrement d’ensemble, la perception des innovations financières, la prévention globale des risques systémiques. Or, au niveau de l’État, il n’existe aujourd’hui qu’une instance faible, le collège des autorités de contrôle des entreprises du secteur financier (CACES), dont le rôle comme la périodicité des réunions – une par an – ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Quelles que soient les solutions retenues pour l’organisation future des autorités de régulation financière, il faut une réforme profonde de ce collège animé par l’Etat. Par rapport à ce que vous disiez en introduction, M. le président, permettez-moi une petite précision : la Cour n’a pas préconisé une fusion intégrale des autorités. Nous avons certes estimé qu’il fallait faire disparaître certaines petites autorités – CECEI et Comité des entreprises des assurances –, mais pour ce qui concerne la Commission bancaire et l’ACAM, nous n'avons pas été aussi nets. La Cour estime qu’il convient de procéder à des rapprochements, à une fusion des statuts des personnels, à des échanges, à une articulation des programmes de contrôle, mais nous avons proposé un choix entre la coopération institutionnalisée et une fusion de ces deux institutions.

Par ailleurs, il n’y a pas d’exercice convenable de la régulation sans une véritable politique de contrôle de la part des autorités de régulation. Nous avons relevé à cet égard que les compétences des personnels concernés sont trop cloisonnées, entre le corps de contrôle des assurances et l’inspection de la Banque de France notamment, que ces personnels ne sont pas assez ouverts sur l’extérieur, et que les méthodes de sélection et de suivi des contrôles, si elles se sont déjà améliorées, doivent continuer à l’être.

Il n’y a pas, enfin, d’exercice convenable de la régulation qui ne soit assorti, au besoin, de sanctions. Or, les sanctions sont rares, beaucoup plus faibles que dans d’autres domaines – si l’on pense par exemple à l’Autorité de la concurrence – et, souvent, ces sanctions ne sont pas rendues publiques, alors que le principe devrait être la publication. Une politique de sanctions mieux adaptée, avec des pénalités dissuasives, doit aussi assurer un plein respect des droits de la défense et du principe du contradictoire. Nous avons souligné que tel n’était pas le cas pour la Commission bancaire et la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé récemment ce diagnostic dans sa décision Dubus S.A du 11 juin 2009.

La nécessaire réforme du système doit évidemment, au-delà des objectifs prudentiels, viser à une protection efficace de l’épargnant, et la Cour préconise à cet égard de clarifier la répartition des compétences dans le domaine de la publicité et des produits financiers, entre ce qui relève aujourd’hui de l’ACAM et de l’AMF, avec un chef de file qui, pour la Cour, pourrait être l’AMF.

Voilà, M. le président, les points majeurs de l’analyse de la Cour que je souhaitais souligner. Certes, la régulation financière est un sujet éminemment international, mais cela ne doit pas nous dispenser de procéder aux ajustements nécessaires de notre système national.

M. Gérard Moulin. Au cours du deuxième trimestre 2009, la Cour des comptes a effectué un contrôle de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) ainsi qu’un contrôle de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), deux autorités que la Cour a contrôlées plusieurs fois depuis leur création, dans la mesure où leurs missions ont sensiblement évolué au fil du temps. L’extension de leurs compétences est liée à la progressive libéralisation des marchés sur lesquels elles interviennent respectivement. Ainsi, la CRE, créée en 2000, s’est vue attribuer un pouvoir de sanction par la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie. La CRE va devoir évoluer à nouveau, avec l’approfondissement de la concurrence sur le marché de l’électricité, puisqu’elle devra réguler le système d’approvisionnement des fournisseurs d’électricité aux conditions économiques du parc nucléaire de l’opérateur historique. Enfin, le troisième « paquet énergie » européen prévoit l’extension du rôle des autorités nationales de régulation et un affermissement de leur indépendance. L’évolution de l’ARCEP au cours de ces dernières années a été similaire.

L’élargissement des compétences de ces autorités de régulation s’accompagne naturellement d’une augmentation de leur budget. La Cour des comptes, pour sa part, a remarqué les progrès réalisés par la CRE depuis deux ans, notamment dans la maîtrise de ses dépenses de fonctionnement. Cette commission vient de signer un nouveau bail qui fait passer le coût de son loyer au mètre carré de 740 euros à 450 euros environ. L’ARCEP a également diminué de manière sensible ses dépenses de réceptions et de transports.

L’action de la CRE est complétée par celle du Médiateur national de l’énergie, créé par la loi du 7 décembre 2006. En phase de démarrage, il comptait une quinzaine d’emplois en mai 2009, son objectif étant d’atteindre un effectif de 55 personnes.

M. Christian Babusiaux. La Cour s’est enfin penchée sur la question des médiateurs. Ceux-ci constituent une alternative à la voie judiciaire et permettent une amélioration de l’accès au droit. La Cour a fait à cet égard les observations suivantes :

– le développement de la médiation dans le domaine économique demeure partiel ; ainsi, elle ne concerne pas des secteurs comme le tourisme et le bâtiment, où les litiges sont pourtant nombreux ;

– l’implication des pouvoirs publics est variable : tantôt le médiateur résulte de la loi, tantôt d’un encouragement des pouvoirs publics, tantôt d’une impulsion ministérielle, et parfois, enfin, d’une initiative privée ;

– il n’y a pas d’orientation d’ensemble : les pouvoirs publics n’ont pas tranché entre une médiation du service public, s’appliquant aux relations entre un service public et ses usagers, et une médiation de service public, encourageant un développement général de la médiation, y compris entre les entreprises privées et les consommateurs.

En définitive, il ressort des travaux de la Cour une impression de morcellement. Cela ne la conduit pas pour autant à recommander un regroupement des médiateurs, lequel risquerait d’entraîner une déperdition de compétence. La Cour émet plutôt les recommandations suivantes :

– il faut améliorer la lisibilité et la visibilité du système de médiation ; un portail internet commun à tous les médiateurs pourrait y contribuer ;

– un médiateur des relations de l’administration avec ses usagers devrait être créé dans le but de favoriser une amélioration du traitement des réclamations des usagers ;

– il faudrait mettre en place un suivi transversal de l’activité des médiateurs, par exemple par le ministre chargé de la consommation.

En revanche, le coût des médiateurs ne paraît pas exorbitant, par rapport aux coûts que la médiation permet d’éviter : litiges, procédures judiciaires, perte d’image pour les entreprises publiques ou les administrations. Cela ne signifie pas qu’il faille se dispenser de contrôler leurs dépenses. La Cour des comptes constate en effet que les médiateurs ne maîtrisent pas leurs coûts : dans le cadre de leur rapport annuel, ils devraient publier des coûts complets, ainsi que des résultats mesurés par des indicateurs harmonisés entre les médiateurs.

Enfin, la Cour s’est inquiétée du développement quelque peu anarchique d’activités privées de médiation et encourage les pouvoirs publics à surveiller de près cette évolution ; il sera peut-être nécessaire d’encadrer cette activité.

M. Jérôme Chartier. Je voudrais tout d’abord remercier la Cour des comptes et particulièrement l’équipe qui a travaillé sur les trois volets de notre demande. Pour tout dire, je ne me sens vraiment responsable que d’un seul volet, puisque, en début d'année 2009, la Cour avait beaucoup avancé sur le premier et qu'elle avait déjà entrepris des travaux le deuxième. Quant au troisième, c’est effectivement un sujet qui posait question au rapporteur spécial que je suis.

Je serai très rapide sur la régulation financière. J’ai été, à cet égard, particulièrement intéressé par les observations relatives aux épargnants, qui se trouvent aujourd’hui, en quelque sorte, un peu « entre deux chaises » et sans possibilité d’obtenir des réponses, tant de la part de la CAM que de l’AMF. J’espère que cet aspect particulièrement préoccupant sera prochainement traité dans la loi.

Au titre du deuxième volet, s'agissant de l’ARCEP, j’ai une vision différente de la vôtre. Si ses compétences en matière postale sont appelées à s'accroître, celles relatives au secteur de la communication semblent avoir vocation à s'amenuiser, les dispositions concernées étant progressivement intégrées au droit de la concurrence. Je m’interroge sur les projets de l’ARCEP dans le contexte de la réduction naturelle de son champ d’intervention, et ce d’autant plus que l’ancien président de l’ARCEP a déjà dû, afin d'employer au mieux son personnel, constituer une cellule spécialisée répondant aux demandes des consommateurs, activité qui n'entrait pas véritablement dans ses compétences, mais plutôt dans celles de la DGCCRF.

S’agissant de la CRE, je me réjouis qu’elle ait décidé d'utiliser des locaux communs avec le Médiateur national de l'énergie. Je ne reviens pas sur la CRE, vous avez raison, son rôle va continuer à se développer, on en a besoin.

Au sujet de ce médiateur, vous dites très justement que la médiation est moins chère dès lors qu’elle aboutit, mais, en même temps, vous dites que l'on ne dispose pas d'éléments statistiques pour juger de son efficacité. Certes, la médiation coûte moins cher que la procédure judiciaire, mais encore faut-il qu’on fasse appel aux services du médiateur. Avez-vous préconisé une solution pour obtenir des éléments d'évaluation de sa performance, sans naturellement trahir les secrets qui s'attachent au système de la médiation ?

Je suis d’accord sur le fait qu’un portail internet commun devrait permettre de faciliter l’appel à la médiation tant publique que privée. En effet, il existe de nombreux médiateurs privés dans certaines grandes entreprises, banques ou compagnies d’assurance. Ce mécanisme serait sans doute à généraliser pour les grandes entreprises qui ont des relations directes avec les consommateurs.

Vous avez raison de dire que la médiation dans l’administration est insuffisante et qu’il faudrait la renforcer. Encore faut-il trouver des personnes qui acceptent une telle mission et qui soient efficaces. Il ne doit pas s'agir de reclasser des personnels inadaptés à leurs tâches actuelles.

J’ai également quelques interrogations sur le principe même de la médiation. Vous indiquez dans votre rapport que « certains représentants des consommateurs considèrent le recours à la justice comme la seule voie permettant de préserver au mieux leurs intérêts ». J'aimerais savoir quelles associations vous ont tenu ce discours. En effet, certaines de celles dont j'ai rencontré les représentants expliquent qu'il s'agit d'un moyen d’obtenir des ressources, puisqu’il faut que le consommateur souhaitant l’engagement d'une action cotise et soit membre de l’association.

Vous précisez également, à la page 13 de votre rapport, que le médiateur a généralement la possibilité de demander un traitement de masse par son service clientèle en cas de réclamations quasi-identiques, ce qui pallie l’absence, encore à ce jour, d’actions de groupe en France. Doit-on en conclure que la médiation est une alternative à une procédure d’action de groupe ou qu’elle intervient plutôt comme un palliatif aujourd’hui et un complément utile, demain, à une action de groupe ?

M. Christian Babusiaux. Pour ce qui concerne les associations de consommateurs qui préfèrent l’action en justice, je pense pouvoir dire, en toute objectivité que l'Union fédérale des consommateurs opte généralement pour cette voie. Il est vrai que les associations qui engagent une action en justice recrutent les plaignants comme adhérents, mais cela traduit aussi des préoccupations de fond : pour ces associations, le juge a une responsabilité, appliquer la loi, et il est indépendant ; en revanche, le médiateur se prononce plutôt en opportunité. C'est un vieux débat, mais la grande majorité des acteurs estime qu'en tout état de cause, il y a de la place pour le développement de la médiation.

Nous ne pensons pas que le médiateur puisse être une alternative aux actions de groupe. C’est plutôt un palliatif ; dès lors que l’action de groupe n’est pas possible, on fait appel à un médiateur pour susciter un traitement de masse.

Sur les missions de l’ARCEP, il est vrai qu’au moment de la libéralisation des télécommunications, l’exposé des motifs indiquait que l'autorité de régulation – l’ART à l’époque – serait temporaire : elle interviendrait pendant la phase d’ouverture à la concurrence ; ensuite, ces questions rentreraient dans le droit commun de la concurrence. Cependant, il y a encore bien des sujets de régulation à traiter dans ce domaine.

Le Médiateur national de l'énergie (MNE) peut, lui, fournir des statistiques, mais dans l’annexe de notre rapport, il y a des cases vides sur l'activité de la médiation en général, certaines institutions n'ayant pu répondre aux interrogations de la Cour.

M. Gérard Moulin. Sur le MNE, il y a en effet des statistiques qui témoignent d'un développement très important de son activité. Ainsi, le nombre des saisines est passé de 50 en mai 2008 à environ 450 par mois actuellement. On peut noter à cet égard que GDF-Suez, qui représente 25 % des contrats, totalise 41 % des litiges, la part d’EDF dans les litiges étant inférieure à sa part de marché, alors que celle de Poweo et de Direct Energie est supérieure à leur part de marché.

Un décret définit les procédures que le médiateur doit respecter. Il commence, dans un réel souci de transparence à mettre en ligne les réponses qu’il apporte, ce qui est cependant stigmatisé par les fournisseurs, car ceci conduit, de fait, à constituer une jurisprudence.

La Cour s’est d'ailleurs interrogée sur le choix institutionnel qui a été opéré lors de la création du MNE, puisque celui-ci a une double mission. Nous venons d'évoquer sa mission de médiation, mais il a une autre mission, celle de participer à l’information des consommateurs d’électricité et de gaz, ce qui n'entre pas, en principe, dans les compétences traditionnelles d’un médiateur. Nous nous interrogeons sur la possibilité de concilier, dans la durée, ces deux missions assez différentes. Mais il est vrai qu’il n’y a jamais eu de campagne nationale d’information sur la nouvelle réglementation en matière énergétique.

S'agissant de l'évolution des compétences de l’ARCEP, on peut constater que son budget et ses effectifs plafonnent, à la faveur des gains de productivité réalisés, alors même qu'elle met accent sur d’autres aspects de sa mission. Par exemple, elle suit les questions de couverture du territoire en matière de communication électronique. Il y a donc encore, hélas, des problèmes qui s'apparentent à la régulation.

M. Jérôme Chartier. Je souhaiterais rebondir sur l’ARCEP. Au fond, dès lors que sa mission de régulation est terminée, ces questions relèvent désormais du droit de la concurrence, qui est de la responsabilité de l’Autorité de la concurrence.

Rassemblement de spécialistes et réservoir de savoir, l’ARCEP remplit très bien les tâches que vous évoquez. Mais cette autorité n'a pas été créée pour suivre la couverture du territoire français, ni même pour conseiller les consommateurs. Je m’interroge donc sur le maintien de l’ARCEP.

M. Jérôme Cahuzac. J’ai une question plus générale, concernant la multiplication de ces autorités de régulation et de contrôle : ne pensez-vous pas que cette évolution conduit à un affaiblissement de l’État ? Cet affaiblissement se concrétise de deux manières : d’abord par la dilution de la responsabilité et de la force de l’État. Ensuite, ces autorités ont souvent leur propre arsenal répressif qui ne relève pas du droit commun, et, souvent, la justice n’est même pas saisie. Pensez-vous que le regroupement, que vous semblez souhaiter, de ces autorités contribuerait à redonner à l’État une force qui paraît particulièrement nécessaire dans les circonstances actuelles ?

M. Louis Giscard d’Estaing. J’ai trouvé le travail de la Cour des Comptes particulièrement intéressant, et il répond à un certain nombre d’interrogations de notre rapporteur spécial que je partage.

Concernant la CRE et le MNE vous vous avez évoqué le regroupement de leurs services, qui devrait permettre la réduction des dépenses immobilières. Mais on ne voit pas dans le tableau annexé à votre rapport le montant des dépenses immobilières initiales du MNE. Qu’en est-il de la qualité des informations qui ont pu vous être données et des difficultés que vous avez rencontrées pour les obtenir ?

Deuxième interrogation, sur les coûts des principaux médiateurs. La comparaison des coûts entre la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) et le Médiateur de la République fait apparaître des différences saisissantes : le coût immobilier est de 3,326 millions d'euros pour la HALDE, contre 2,419 millions d'euros pour le Médiateur de la République, dont les effectifs sont pourtant supérieurs avec 92 équivalents temps plein, contre 80 pour la HALDE. Au total, les dépenses atteignent 11,247 millions d'euros pour la HALDE, au lieu de 8,228 millions d'euros seulement pour le Médiateur. On pourrait se dire que cette différence est fonction du nombre de sollicitations. Mais il n'en est rien : le nombre de sollicitations de ces autorités est de 7 888 pour la HALDE et 65 530 pour le Médiateur. Quand on fait le rapprochement entre coût et nombre de sollicitations, on constate des écarts abyssaux. Quel est votre avis sur cette question ?

Enfin, sur le suivi transversal de la médiation publique, appelé en vain de ses vœux par le Conseil national de la consommation dès 2004, quelles sont vos préconisations ?

M. Christian Babusiaux. En réponse d’abord à M. Jérôme Cahuzac, nous pensons, en effet, qu'en matière de régulation, notamment financière, l’État s’est trop retiré. Il s’est comporté comme si la création de diverses autorités pouvait le dispenser d'exercer son propre rôle. Or, l’État est le seul à avoir une vue globale ; des autorités sectorisées ne peuvent, par définition, avoir une vue globale du risque systémique que ce soit en matière bancaire ou de marché financier. Donc, et c'est un point majeur de notre analyse, il faut réaffirmer le rôle de l’État dans la régulation financière. Le projet d'ordonnance qui a été récemment rendu public ne comporte aucune disposition à cet effet, mais il semble que le ministère de l'Économie ait l'intention de le compléter sur ce point.

Vous m'avez également interrogé sur le dessaisissement de la justice par les autorités de régulation. Si celles-ci doivent avoir un rôle à jouer en matière de sanctions, il faut qu'elles soient organisées de façon appropriée. À cet effet, nous avons préconisé la création d'une commission des sanctions. À défaut il y aurait un mélange des genres entre, d'une part, les activités de réglementation et le suivi des activités, particulièrement en ce qui concerne le suivi prudentiel des activités financières, et, d'autre part, la fonction de sanction. Au sein de l’AMF une telle différenciation existe, même si le dispositif est un peu compliqué. Néanmoins, c’est un système préférable à celui qui prévalait à la Commission bancaire et à l’ACAM. Il faut bien être conscient du fait que l'on ne peut « dessaisir » la justice que s’il y a un système de sanctions efficace du côté des autorités de régulation. Rien ne serait pire qu’un système judiciaire à part, mais ne serait pas doté des outils et procédures nécessaires pour être efficace.

Si l’on revient sur la question de la ligne de partage entre autorité judiciaire et autorités spécialisées, après avoir reçu un grand notre d’acteurs, magistrats et opérateurs divers, il nous est apparu que l'on peut trouver à la fois efficacité et légitimité dans le cadre d’un système d’autorités de régulation disposant de pouvoirs de sanction, pour que toutes ces questions ne relèvent pas exclusivement du droit pénal. Nous sommes donc clairement pour le maintien d’un pouvoir de sanction au bénéfice des autorités de régulation, mais sous une forme plus organisée qu’aujourd’hui.

Sur les coûts des médiateurs, pour répondre à M. Louis Giscard d’Estaing, c’est la première fois que sont publiés des éléments de coûts concernant les médiateurs. Mais il faut se garder d’une interprétation trop hâtive, car il est clair qu’une plainte auprès du Médiateur de la République est plus simple à traiter qu’une plainte déposée auprès de la HALDE par exemple et je pense qu’il faut absolument des indicateurs transversaux qui permettront à votre commission d’évaluer le bien fondé des coûts des uns et des autres.

M. Gérard Moulin. Concernant les dépenses immobilières du Médiateur national de l’énergie, le prix de son actuel loyer est de 1 190 euros par mètre carré et par personne. Après le déménagement prévu au début de 2010, son loyer s'établira à 450 euros par mètre carré par personne ce qui représente un gain très significatif.

M. Le président Didier Migaud. Je remercie encore la Cour des comptes pour le travail particulièrement éclairant qui a été réalisé.

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* *

M. Le président Didier Migaud. Mes chers collègues, nous auditionnons M. Christophe Blanchard-Dignac dont le mandat à la tête de la Française des Jeux a pris fin le 23 septembre dernier. Le conseil d’administration se réunira dans les jours prochains pour désigner son président. Des règles organiques sont actuellement en discussion pour mettre en œuvre l’article 13 de la Constitution qui encadre le pouvoir de nomination par le Président de la République à certains emplois et fonctions, celle de PDG de la Française des Jeux étant concernée par la nouvelle procédure.

Le Premier ministre a souhaité d’ores et déjà mettre notre Commission en mesure de procéder à cette audition même s’il n’est pas question de vote formel. La Commission pourra tout de même apprécier le bilan de M. Blanchard-Dignac à la tête de la Française des Jeux et le projet qu’il souhaite porter au cours d’un prochain mandat. La commission des Finances du Sénat fera de même demain. M. le Président, je vous donne la parole.

Christophe Blanchard-Dignac. Je suis honoré de pouvoir parler, dans cette enceinte, de la Française des Jeux, de son action, de ses perspectives. Quelques chiffres clés : nous nous situons au 3ème rang mondial des loteries, avec une mise totale de 9,2 milliards d’euros et une mise moyenne de 143 euros par habitants – en dessous de la moyenne européenne qui est de 188 euros. 29,2 millions de joueurs, soit près d’un Français sur deux, jouent au moins une fois par an, 32 % jouent régulièrement. Notre réseau comprend 37 600 points de vente. Nous comptons 3,5 millions de visiteurs de notre site internet. Notre entreprise regroupe 945 collaborateurs.

La mission de la Française des Jeux est d’abord d’assurer l’intégrité du jeu mais aussi de canaliser la demande de jeu dans un circuit contrôlé. Il s’agit d’une entreprise publique, contrôlée à 72 % par l’Etat. Tous les jeux sont autorisés par le ministre du Budget, après avis d’un comité qui associe les ministères concernés : Intérieur, Sports et Santé à travers la lutte contre les addictions et des personnalités qualifiées. Notre programme annuel de jeux est autorisé par le ministre qui est saisi également de notre plan d’action pour le jeu responsable ainsi que de nos actions en matière de lutte contre le blanchiment d’argent.

S’agissant de la répartition des mises, l’encadrement du taux de retour aux joueurs y est strict. Nous avons obligation de restituer au moins 45 % des mises aux joueurs, dans la réalité plus de 50 %, pour le jeu qui distribue le moins –l’euromillion- et jusqu’à 75 %. Dans chaque cas, le solde va aux finances publiques et à l’organisation. Entre 2000 et 2008, les gains des joueurs sont passés de 59,1 à 61,2 % des mises, les prélèvements publics et les fonds de contrepartie ont progressé de 26,9 % à 27,7 % alors que la commission de l’organisation –Française des jeux et courtiers mandataires- passait de 14,1 % à 11,1 %. Les prélèvements sur les jeux ont progressé de 44 % sur la période 2000-2008, soit de 20,4 milliards d’euros, dont 1,9 milliard d’euros pour le sport pour tous. Comment expliquer cette évolution ? Nos jeux ont eu du succès, le chiffre d’affaires de la Française des jeux étant passé de 6,5 milliards d’euros en 2000 à 9,2 milliards d’euros en 2008. Nous disposons d’un portefeuille d’une trentaine de jeux, pour l’essentiel vendus dans le réseau. La croissance a été portée par les jeux de tirage – notamment avec le succès de l’euromillion –et par les paris sportifs, l’essentiel venant des paris à cote, lancés en 2003. Les jeux de grattage, avec 1,7 milliard de tickets vendus, représentent 36 % des ventes.

Nous avons fait des progrès d’efficacité : efficacité opérationnelle avec le plus important réseau ADSL, une certification ISO et une masse salariale qui ne représente que 7,9 % des charges ; efficacité commerciale avec 90 % de la population couverte et un budget de publicité de 0,69 % du chiffre d’affaire ; efficacité financière sans aucun endettement.

Nous continuons aussi de promouvoir un modèle de jeu responsable. En effet, le jeu n’est pas une activité comme une autre. Pour cela, nous voulons être un opérateur responsable grâce à une stricte conformité aux standards européens – certification E/AFNOR-, à des études d’impact des jeux et des modérateurs de jeux comme le montre l’exemple du Rapido mais aussi un accompagnement des gagnants dans leur nouvelle vie. Nous sommes aussi un employeur responsable, signataire de la charte de l’apprentissage et de la diversité et qui emploie des handicapés à hauteur de 3 % des effectifs. La Française des Jeux est une entreprise engagée, notamment par le biais de l’équipe cycliste éponyme, équipe préférée des Français qui défend des valeurs et par le mécénat : croix rouge, secours populaire.

En ce qui concerne les enjeux pour 2009-2014, la Française des Jeux a un modèle à défendre et à promouvoir. Elle doit être acteur d’un modèle pour le grand public, un modèle récréatif, responsable et bénéfique pour la société. L’entreprise doit être un modèle de management.

La Française des Jeux devra faire face à l’ouverture maîtrisée des jeux en lignes. En effet, actuellement, le régime juridique applicable aux jeux en ligne est le monopole mais, dans la réalité, nous n’avons que 4 % des parts de marché. Le poker en ligne est un autre exemple : il est prohibé mais il est dans les faits répandu, d’où la nécessité d’une adaptation en sortant de la fiction du monopole et de la seule logique de la répression.

Le premier enjeu de la Française des Jeux est de devenir, dans les cinq ans, en faisant partager nos valeurs, un leader du jeu en ligne maîtrisé en France, avec un objectif de 25 à 30 % du marché -45 à 50 % avec le réseau. Le poker en ligne est une activité nouvelle. Nous demanderons une licence avec pour objectif d’atteindre 25 % des parts de marché.

Le deuxième enjeu est de promouvoir notre modèle en Europe. En effet, la France est regardée. On cherche des modèles entre la prohibition totale et la libéralisation complète en tenant compte des traditions de chaque pays. Il faut trouver une solution pour ces jeux en ligne. Beaucoup de pays cherchent une réponse à la montée en puissance du jeu par internet, donc nous avons besoin de promouvoir notre modèle dans notre pays mais aussi à l’étranger avec des partenaires locaux.

Autre enjeu : que le jeu dans le réseau continue à être raisonnablement dynamique, autour de 2 % par an. Nous pensons conserver 35 000 points de vente de proximité en 2014 dont 30 000 équipés de jeux de tirage en réduisant les coûts des terminaux. Pour cela, 120 millions d’euros seront investis dans le réseau.

Nous devons rester l’opérateur intergénérationnel de jeu du grand public en proposant à chacun une offre raisonnable. Nous voulons donner un sens à l’acte de jeu et renforcer l’adhésion du grand public. Un des moyens pour cela est l’innovation. Nous avons l’ambition d’avoir d’ici à 2014, 20 % de notre chiffre d’affaires constitué par des jeux qui n’existent pas actuellement et qui pourraient servir une grande cause mondiale.

Le dernier enjeu est celui de la fidélité aux valeurs : avoir un modèle de jeu responsable et promouvoir l’éthique du sport qui contribue au bien-être collectif. C’est l’ambition que je nous fixe si le processus de renouvellement va à son terme.

M. Louis Giscard d’Estaing. Dans la perspective du renouvellement du mandat de M. Blanchard-Dignac et au moment où va s’ouvrir le débat parlementaire sur les jeux en ligne, je souhaiterais connaître le sentiment du président-directeur général de la Française des Jeux, opérateur historique dans ce domaine. Nous allons en effet passer d’une situation d’exclusivité, de monopole à une situation totalement nouvelle : rappelons que c’étaient les causes d’intérêt général qui fondaient la légitimité de l’existence d’un monopole tel que la Française des Jeux ou la Santa Casa au Portugal. Quel est l’avenir de ce modèle, et quelle lecture faites-vous de l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 8 septembre dernier, qui traite d’une situation similaire à la situation française ? Qu’en advient-il du principe de « reconnaissance mutuelle » ? S’il n’a pas à s’appliquer, que penser du projet de la Française des Jeux de partir à la conquête des marchés européens parallèlement à l’ouverture du marché des jeux français ? Pourquoi la position de la Française des Jeux devrait-elle changer puisque le principe de subsidiarité s’applique en la matière ?

Par ailleurs, en matière d’écart de fiscalité avec d’autres pays, comment peut-on penser que l’ouverture du marché des jeux n’ait pas de conséquences sur le chiffre d’affaires de la Française des Jeux ? Par exemple, dans le domaine des paris sportifs, comment la Française des Jeux pourrait-elle augmenter sa part de marché alors même que l’on ouvrirait ce marché à la concurrence ?

Les causes d’intérêt général sont un fondement de la Française des Jeux : c’est pourquoi elle finance par exemple le sport amateur, via le centre national pour le développement du sport –CNDS-. Le sport professionnel de haut niveau ne fait pas partir de ces causes : pourquoi nous dit-on alors que ce qui est recherché, c’est le financement de grandes équipes professionnelles qui sont à la recherche de sponsors et de financements complémentaires ?

M. Jérôme Chartier. La grande qualité du propos du président-directeur général de la Française des Jeux m’inspire plusieurs réflexions. En premier lieu, il est indispensable pour une entreprise de développer son cœur de métier : or, je m’interroge sur l’avenir de certaines activités des casinos et de l’intérêt qu’elles pourraient dès lors présenter pour la Française des Jeux. En deuxième lieu, quels sont les objectifs de la Française des Jeux en matière de renouvellement ou de remplacement de jeux existants comme le Loto ou les jeux de grattage, au regard du défi que constitue le développement des jeux en ligne ? Troisièmement, puisqu’il a été question des aspects sociaux de l’entreprise Française des Jeux, quel est le salaire de l’actuel Président-directeur général ? Quel est l’écart de salaire avec la personne la moins bien payée de l’entreprise ? Et quel est le bilan de la communication entre la direction et les salariés à la Française des Jeux ? Quatrièmement, on peut s’interroger sur la dimension d’intérêt général que peut revêtir le sponsoring : en effet, les caisses d’épargne font du sponsoring en matière de cyclisme et financent parallèlement des équipes locales, qui, sans cela, ne pourraient bénéficier d’aucun financement. Quelle est la position de la Française des Jeux sur ce point ?

M. Le président Didier Migaud. Certaines questions posées par nos collègues pourraient être prolongées. En premier lieu, s’agissant de l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, le projet de loi relatif aux jeux en ligne a souvent été justifié par la nécessité de mettre la France en conformité avec le droit communautaire. Cet argument n’est-il pas remis en cause ? Une ouverture du marché des jeux est-elle de ce point de vue indispensable ?

Par ailleurs, le marché des jeux, du point de vue de la Française des jeux, est-il indéfiniment extensible, surtout si l’on considère que de nombreux jeux émergents sont en réalité beaucoup moins encadrés que ceux qu’elle propose ? Enfin, comment la Française des Jeux anticipe-t-elle l’arrivée de ces nouveaux jeux et quel type de renouvellement propose-t-elle ?

M. Christian Blanchard-Dignac. La raison d’être d’une loterie relève avant tout et historiquement de considérations d’ordre public et de santé publique. S’agissant de ce que l’on appelle le financement des « causes d’intérêt général », il faut savoir que cette obligation ne figure nulle part dans les statuts de la Française des Jeux. La mission première de la Française des Jeux est la protection des joueurs et de la société, tout en permettant un développement de l’offre ludique.

S’agissant de l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, Santa Casa, il ne fait que conforter la jurisprudence communautaire en réaffirmant que le jeu relève de la subsidiarité, que l’aménagement d’une libre prestation de service n’est pas indispensable, qu’elle est avant tout l’affaire des États, mais qu’il ne faut pas confondre protection et protectionnisme. L’activité doit être encadrée car il est essentiel qu’elle le soit. C’est parce qu’elle est encadrée qu’elle doit financer des causes d’intérêt général et non parce qu’elle doit financer des causes d’intérêt général qu’elle doit en conséquence être encadrée. Mais c’est à l’État de déterminer le niveau d’encadrement qu’il juge nécessaire sur son territoire.

Il s’agit également de prévenir tout conflit d’intérêts et c’est un point que souligne l’arrêt Santa Casa : il n’est pas normal d’être opérateur en matière de paris sur certains sports et de faire du sponsoring pour ce même sport. Ainsi, en matière de cyclisme, la Française des Jeux estime que son activité de sponsoring la conduit à ne pas organiser de pari dans ce secteur. Le conflit d’intérêts est un problème majeur pour les paris à cote, qui doivent donc être d’autant plus encadrés.

Globalement, la Cour de justice des Communautés européennes conforte la vision française du jeu, en rappelant l’importance d’un encadrement national, encadrement qui doit signifier protection et non règles protectionnistes, ce qu’un État doit démontrer. La Cour de justice n’impose pas de reconnaissance mutuelle : l’autorisation d’exercice dans un État ne vaut pas autorisation d’opérer dans les autres. La Française des Jeux ne partira pas à la conquête des marchés étrangers sans être autorisée à le faire. Aujourd’hui d’ailleurs, la Française des Jeux procède déjà par coopération avec d’autres opérateurs, notamment des loteries étrangères comme dans le cas de l’Euromillion.

S’agissant des écarts de fiscalité évoqués, ils sont réels : la Française des Jeux réalise en 2009 un chiffre d’affaires d’environ 50 millions d’euros dans le pari en ligne. Or, ce marché est estimé à environ 1,100 milliard d’euros. Ces chiffres montrent les difficultés que peut rencontrer un opérateur légal, en situation de monopole et soumis à une fiscalité de 14 %, face à des opérateurs bénéficiant d’une fiscalité qui peut être de 0,5 % et dont l’offre de jeux ne respecte pas la législation.

S’agissant de la loterie, le monopole est la règle dans tous les pays. Mais s’agissant des paris, il existe plusieurs écoles : certains distinguent les paris hippiques et les paris sportifs, d’autres disposent parfois de plusieurs opérateurs pour les paris sportifs. Le monopole n’est en tout état de cause par le modèle exclusif. Le projet de loi relatif aux jeux en ligne apporte de ce point de vue une réponse pour un opérateur légal, en lui permettant de faire valoir son modèle de jeu, car il est nécessaire de disposer d’un dispositif de répression en même temps que l’on organise l’offre de jeux. Par exemple, il est admis que le spread betting doit être interdit car il ne permet pas au joueur de connaître ce que peut être sa perte. Il convient donc de ne pas tout autoriser, mais il faut également pouvoir autoriser certaines choses afin d’être en capacité de contrer les opérateurs illégaux.

M. Blanchard-Dignac. Concernant le financement des équipes professionnelles, je confirme qu’il n’en est pas question. Par ailleurs, nous ne solliciterons pas de demande de licence de paris hippiques en ligne, il y a un opérateur qui le fait déjà très bien.

À propos du développement international : il paraît normal, quand on a un monopole territorial, de ne pas regarder à l’étranger. Mais pour le jeu en ligne, la question se pose différemment. Il y a un besoin de régulation sur internet. Aujourd’hui, le sujet n’est pas le jeu physique, pas le jeu dans les casinos, mais le jeu en ligne. Tant que nous sommes en monopole territorial, nous restons sur notre territoire, sans exclure des coopérations, comme nous le faisons avec les États-Unis, peut-être demain pour le jeu mondial.

En matière de loterie, il est pratiquement impossible d’opérer ailleurs puisqu’il n’y a pas de concurrence, il y a des monopoles particuliers. En Allemagne, le jeu en ligne est totalement prohibé et la loterie est un monopole. On peut toutefois organiser des coopérations, des jeux en commun, on vend un savoir faire. Aujourd’hui nous exportons notre savoir-faire au Canada, en Allemagne, en Suède, à Hong-Kong, c’est une manière aussi d’aller à l’international.

Nous n’avons pas d’objectifs concernant les casinos. Il est hors de question que je puisse soutenir l’idée de mettre des machines à sous en dehors des casinos, je considère que ce serait une folie en matière d’addiction aux jeux. En revanche, je n’exclus pas que, s’agissant d’un domaine nouveau comme le poker, nous demandions une licence de poker en ligne et qu’à cette occasion, nous nous interrogions sur la méthode : le faire seul ou avec des partenaires car c’est un secteur grand public et nouveau.

Sur la question des équipes locales : nous avons, avec notre équipe cycliste, une politique de formation de jeunes avec des bourses Française des Jeux, une formation avec « double projet », associant les études et l’engagement sportif. Nous avons par exemple un coureur qui est sorti major de sa promotion d’ingénieur : nous avions adapté tout son cursus sportif à ses études. Avec la fédération française de cyclisme, nous encourageons le développement du BMX, notamment dans un certain nombre de quartiers sensibles. Nous avons donc le « sport citoyen ». Nous soutenons le sport qui a besoin d’argent, qui a des besoins d’insertion. Le sport est un moyen de servir notre vision de la société.

Pour ce qui est de notre gestion interne, je précise que ma rémunération est fixée par la ministre des Finances et le ministre du Budget : elle est de 235 000 euros bruts par an. Le salaire le plus bas est de 23 400 euros, le rapport entre le décile le plus élevé et le décile le moins élevé est de 4, le salaire médian est de 44 268 euros et le salaire moyen de 51 024 euros.

Je voudrais terminer par un sujet qui me tient à cœur, la gestion du changement. La Française des Jeux est soumise à des évolutions juridiques, à la révolution numérique. Je suis en faveur d’opérateurs encadrés, responsables, et notre devoir est de nous adapter. 20 % des jeux qui seront vendus en 2014 n’existent pas encore aujourd’hui. Un de nos objectifs est le jeu mondial, qui pourrait représenter 400 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous venons de lancer un jeu sur internet, le « bingo » en ligne, un jeu de loterie qui fait l’objet d’un encadrement très particulier et qui va se développer raisonnablement. Sur internet, nous encadrons la consommation hebdomadaire, nous accompagnons les joueurs avec un logiciel d’aide aux comportements de jeux importé de Suède. Nous aurons, avec l’ouverture réglementée des paris en ligne, la possibilité de développer et de renouveler notre offre de jeux. Nous travaillons à la rénovation du jeu d’animation de points de vente, le Rapido, avec l’objectif de lui intégrer dès l’origine les préconisations des meilleurs experts en matière de prévention de l’addiction. Nous avons réalisé, sur 2000 personnes, une étude de prévalence sur le jeu en France en faisant appel à des experts indépendants et nous l’avons surpondérée en fonction du trop petit nombre de joueurs rapido pris en compte. Avec des sociologues, des psychologues, des psychiatres et des spécialistes de l’addiction de France, de Belgique, et du Canada, nous travaillons à l’élaboration d’un jeu qui soit « éco-conçu » dès le départ. Nous pourrions le proposer s’il était autorisé ; il n’y a pas de jeu sans autorisation et je souhaiterais que nous gardions cette formule qui consiste à ce qu’un jeu soit soumis à l’avis d’un comité composé des représentants des administrations concernées, ministères de l’Intérieur, de la Santé, des Sports, et des Finances, mais aussi de personnes issues de la société civile. Sur les 7 personnes qui examinent notre programme de jeux, 2 sont issues du monde de la santé, ce que je considère comme une assurance, en phase avec la responsabilité de la mission qui m’a été confiée.

La communication interne à notre société est pour nous un enjeu très important : la préparation de l’ouverture a mobilisé l’ensemble du personnel et une centaine de personnes plus particulièrement. Nous avons mis en place, sous l’autorité du président-directeur général délégué, le programme « Grand large » qui vise à être prêt techniquement, – système d’information – et socialement – gestion des personnes –. Nous avons la chance d’être une entreprise à dimension humaine, avec moins de 1 000 personnes. Nous fonctionnons 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Tous les personnels ont été formés au jeu responsable, ceux qui sont en relation avec les clients plus encore. Nous avons un centre d’appel localisé en France qui a pour vocation de répondre aux questions sur le réseau sur tous ces sujets. Nos collaborateurs ne peuvent être considérés comme privilégiés puisque nous adhérons à la convention de la métallurgie pour des raisons historiques, mais ils sont en tout cas respectés et il nous importe qu’ils puissent être heureux de venir au travail. L’objectif d’un employeur est d’avoir des collaborateurs efficaces mais également heureux.

M. Louis Giscard d’Estaing. Je souhaiterais une précision. Lorsque l’ouverture aura lieu, comment analysez-vous votre capacité à résister à des concurrents qui certes seront soumis aux mêmes conditions fiscales, mais auront des convictions éthiques différentes des vôtres ?

M. Blanchard-Dignac. Il est difficile que la situation soit pire qu’aujourd’hui sur internet puisque nous avons 4 % du marché réel. Nous faisons donc le pari que nous pouvons nous développer sur internet et récupérer des parts de marché sur les opérateurs aujourd’hui illégaux. Nous avons la conviction que notre marque a la confiance des joueurs, et lorsque les règles du jeu, les contrôles, seront les mêmes pour tous les opérateurs légaux, qu’il y aura des sanctions exemplaires pour tous ceux qui ne respectent pas les règles, de même que pour ceux qui font la publicité pour ces opérateurs illégaux, nous avons la conviction que nous pourrons nous développer.

L’activité de loterie et de paris sportifs en dur restera sous monopole : nous avons l’ambition de la développer à raison de 2 % par an, grâce à l’innovation. Ma première priorité a été de préparer l’entreprise à l’ouverture du jeu en ligne et la deuxième de consolider le réseau en investissant. Nous avons équipé 28 000 points de vente en ligne, ce qui nous permet d’avoir des communications rapides, sécurisées avec nos points de ventes. Les premiers terminaux de nouvelle génération, fabriqués et conçus en France par des ingénieurs de la Sagem et d’une filiale de la Française des Jeux – qui fournit aussi d’autres opérateurs comme le PMU – seront installés l’an prochain. Nous avons l’intention d’équiper notre réseau en matériel, en techniques de vente, en produits, tout en respectant le code éthique. Cela nous permettra de résister. Je crois au réseau de proximité, de détail. Nous sommes présents dans 12 500 communes. Dans les plus petites communes, il n’y a plus de services de proximité autres que les détaillants de la Française des Jeux. Je crois que nous pouvons donner des atouts à ce réseau de proximité en le faisant bénéficier des nouvelles technologies.

M. Le président Didier Migaud. Compte tenu que le texte organique n’a pas encore été voté, il n’y aura pas formellement de vote, mais je suis certain que si nous avions eu à nous exprimer, un vote favorable aurait été donné à la proposition de reconduction dans vos fonctions.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 6 octobre 2009 à 16 h 15

Présents. - M. Jean-Pierre Balligand, M. Gérard Bapt, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Jérôme Chartier, M. Jean-Yves Cousin, M. Olivier Dassault, M. Marc Francina, M. Georges Ginesta, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Marc Goua, M. François Goulard, Mme Arlette Grosskost, M. Laurent Hénart, M. Jean-François Mancel, M. Didier Migaud, Mme Béatrice Pavy, M. François Scellier, M. Michel Vergnier

Excusés. - M. Michel Bouvard, M. Alain Claeys, M. Victorin Lurel

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