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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mardi 26 janvier 2010

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 49

Présidence de M. Didier Migaud, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. René Ricol, commissaire général à l’investissement, sur les modalités de l’emprunt national

– Présences en réunion

La Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire entend M. René Ricol, commissaire général à l’investissement, sur les modalités de l’emprunt national

M. le président Didier Migaud. Chers collègues, nous recevons aujourd’hui René Ricol, accompagné de Jean-Luc Tavernier, que chacun ici connaît, Philippe Bouyoux et Pascale Ullmo.

Nous avons déjà entendu René Ricol comme médiateur du crédit. Nous l’accueillons maintenant en qualité de commissaire général à l’investissement, anticipant de quelques heures sur sa nomination qui sera effective demain, pour l’entendre sur les modalités de l’emprunt national.

Le projet de loi de finances rectificative pour 2010, qui nous a été présenté par les ministres Christine Lagarde et Éric Woerth, porte à titre principal sur les 35 milliards d’euros de dépenses qui seront consacrés aux investissements d’avenir, dont la mise en œuvre est confiée au Commissariat général à l’investissement, chargé de coordonner les travaux interministériels sous l’autorité du Premier ministre. L’audition du commissaire général doit nous permettre d’éclairer l’examen du collectif budgétaire, auquel nous devons procéder demain.

M. René Ricol, commissaire général à l’investissement. Avec Jean-Luc Tavernier, appelé à devenir commissaire général-adjoint, et Philippe Bouyoux, qui a été le rapporteur de la commission Juppé-Rocard, nous sommes en train de déterminer, parmi les cinq priorités nationales assignées au grand emprunt, un découpage opérationnel sur le plan de la gestion. Par exemple, les projets de développement durable de nature industrielle seront regroupés avec ce qui relève des intérêts généraux de l’industrie.

Afin de constituer notre équipe, nous sommes en train de négocier avec deux structures de chasseurs de tête, qui seront chargées de trouver deux types de profils, pour les pôles opérationnels et pour les comités consultatifs très resserrés placés auprès des pôles. Il s’agit de recruter les meilleurs, en provenance de la fonction publique ou du secteur privé, de la France ou de l’étranger, pourvu qu’il n’y ait pas de risque de conflit d’intérêts. En effet, mon équipe ne pourra pas être compétente sur tous les sujets, et notre rôle est d’abord de « challenger » tout ce qu’on nous proposera. Nous nous efforcerons d’effectuer ces recrutements en toute transparence, en dehors de toute influence de tel ou tel lobby, afin de disposer des personnalités les plus indépendantes possible.

Une fois que nous aurons identifié les meilleurs, un comité de nomination examinera ces candidatures et s’assurera que ces personnes sont capables de travailler ensemble au sein d’une petite équipe – trente personnes au maximum. Les comités consultatifs ne devront pas compter plus de sept à dix personnes. Le type de profil que nous recherchons pour ces comités est celui de jeunes retraités extrêmement compétents, prêts à nous faire bénéficier de leur savoir-faire. Par leur importance en effet, ces projets exigent une grande disponibilité.

Voilà pour la constitution de l’équipe. J’en viens aux modalités d’instruction des projets, qui sont assez complexes, l’opérateur étant dans certains cas acteur, dans d’autres cas un simple relais financier. Pour simplifier, nous proposerons à chaque opérateur un cahier des charges, l’objectif numéro un étant de verser les dotations par tranches, afin que le Commissariat général puisse contrôler l’utilisation de ces fonds et ne pas délivrer la deuxième tranche lorsque les objectifs visés par la première ne seraient pas atteints. Nous en rendrons compte à votre commission et serons à votre complète disposition pour répondre sur tous les points que vous souhaiteriez.

En ce qui concerne les appels à projets des opérateurs, nous n’attendrons pas que ceux-ci aient été soumis à l’examen d’un jury international pour donner notre avis au Premier ministre. Nous demanderons à être associés à tous les stades du montage du projet : d’où l’intérêt des comités consultatifs. Ce n’est donc qu’une fois validé par nous que le projet sera soumis à un jury international.

Notre troisième grand objectif est la constitution d’« écosystèmes » et l’incitation au travail en réseau, dans la perspective de favoriser la restructuration industrielle. À partir des compétences qui existent dans notre pays et de la capacité des opérateurs à nous proposer les meilleurs projets, nous devons créer les champions de demain. Ceci suppose que chaque subvention, chaque prêt, chaque participation, chaque garantie bancaire s’accompagne d’une incitation au regroupement de compétences complémentaires –dans le cas d’OSEO par exemple, qui recevra en tout deux milliards d’euros, il pourra s’agir des compétences des CODEFI spécialisés dans le stratégique, ou de celles du corps des mines.

Nous favoriserons ces « écosystèmes » notamment dans le domaine du développement durable, où il a été prouvé que des projets isolés pouvaient être plus coûteux que bénéfiques sur le plan écologique. La constitution de tels réseaux induit de travailler en très grande proximité avec les territoires. Il s’agira de trouver la personne capable, comme Nicolas Jacquet en matière de médiation, de garantir l’efficacité des projets en assurant la mobilisation la plus large sur le terrain.

Ces écosystèmes devront être recherchés également dans le domaine de l’enseignement supérieur, où les universités seront incitées à travailler ensemble.

Dernier élément, nous demanderons à ce que tous les contrats comportent systématiquement des indicateurs objectifs permettant de mesurer les résultats des projets. N’étant que des intermédiaires entre les porteurs de projets et vous, d’une part, à qui nous devons rendre des comptes, et le conseil de surveillance, d’autre part, nous solliciterons votre avis sur ce point.

Plus généralement, notre volonté est de travailler de façon étroite avec les commissions compétentes de l’Assemblée du Sénat afin d’enrichir notre réflexion.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Si j’ai bien compris, l’ensemble des fonds doit être intégralement versé aux opérateurs dès l’exercice 2010, les programmes créés à cette occasion étant appelés à disparaître après 2010. Comment en sera assuré le suivi ultérieur ? Vous avez évoqué un versement par tranches. Or, en tout état de cause, les fonds quittent le budget de l’État, même s’ils sont placés sur des comptes du Trésor.

S’agissant de projets qui s’étalent sur plusieurs années, comment vérifier l’exécution dans la durée des conventions qui seront passées entre l’État et les différents opérateurs ? La question se pose d’autant plus que les opérateurs seront très nombreux : si le texte lui-même n’en identifie qu’une douzaine, il y a aura des « sous-opérateurs », notamment en matière d’enseignement supérieur. Ainsi, l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, destinatrice de plus de la moitié des 35 milliards d’euros, devra les redistribuer à des structures qui restent à créer.

Quel sera le calendrier de signature de ces conventions ?

Dans le projet de loi de finances, le degré de détail de la répartition des crédits des différentes missions concernées est très variable selon les secteurs : comment articulerez-vous cette répartition avec les appels à projets ?

Le rapport Juppé-Rocard propose que certaines dotations soient consomptibles, d’autres non, et que les dotations consomptibles ne soient pas versées en une seule fois. Or rien de tel ne figure dans le projet de loi de finances. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Par ailleurs, seuls les intérêts des dotations non consomptibles alimenteront les structures bénéficiaires de ces dotations, à des taux définis, de façon unilatérale et au cas par cas, par arrêté ministériel. Le Commissariat général aura-t-il quand même son mot à dire ? En effet, ces dotations peuvent varier considérablement selon leur taux de rémunération. Y aura-t-il un taux unique ou sera-t-il différencié en fonction des priorités ?

Je voudrais vous interroger particulièrement sur l’ingénierie financière qui présidera à la gestion des fonds destinés à l’ANR. Pour avoir rencontré son équipe dirigeante, je peux vous dire qu’il s’agit pour eux, qui géraient quelques centaines de millions d’euros, d’un changement d’échelle très brutal. Comment le commissariat général assurera-t-il le suivi des fonds qui auront été redélégués par l’ANR ? Nos universités et les futurs pôles d’excellence sont-ils outillés pour instaurer le fonctionnement en réseau, notamment avec les pôles de compétitivité, que vous appelez de vos vœux ?

Je voudrais également qu’on réfléchisse aux moyens d’associer le Parlement au contrôle des fonds au regard des objectifs fixés et selon des indicateurs que nous mettrons en place. Cela rend d’autant plus nécessaire le versement par tranches. Il faut souligner en effet qu’il s’agit de sommes considérables, qui multiplient par deux, trois, voire dix les moyens de certains secteurs ! Je pense notamment au numérique.

Enfin, je veux souligner que l’approche décrite, par appels à projets, me semble très intéressante, très innovante, bien différente des méthodes de débudgétisation dont nous avons l’habitude. Mais je veux aussi insister sur la nécessité d’un suivi extrêmement vigilant, selon des critères à inventer, susceptibles de mesurer l’efficacité des dépenses engagées.

M. Jérôme Cahuzac. Pour financer ces dotations, l’État lancera un appel au marché à hauteur de 22 milliards d’euros. Les dotations non consomptibles devant être rémunérées par le Trésor, ces intérêts se cumuleront à ceux qu’il devra sur les 22 milliards. Quelle sera la facture finale pour l’État ?

Ma deuxième question portera sur l’information du Parlement, puisque nous n’en sommes plus à contrôler – il suffit pour s’en convaincre de voir le sort réservé à nos demandes de commission d’enquête. Mais nous pouvons encore espérer être informés ! selon quelles modalités ?

M. Jérôme Chartier. Vous avez fait du versement par tranches l’objectif numéro un. N’est-ce pas plutôt l’objectif numéro deux, la sélection des projets étant le premier objectif ?

S’agissant de l’organisation de cette sélection, vous évoquez la possibilité de recruter des étrangers au sein des comités consultatifs. Est-il opportun que des étrangers, même si leur compétence est incontestable, participent à la sélection de projets nationaux, affectant directement les intérêts de l’État français et de la population française ? N’y aurait-il pas par essence un conflit d’intérêts ?

Si chaque comité consultatif compte sept à dix personnes, les priorités stratégiques étant au nombre de cinq, le Commissariat devra compter de quarante-deux à cinquante personnes : comment réorganisez-vous ces cinq thèmes pour parvenir à la fourchette de vingt à trente ?

Certes, je reconnais que les jeunes retraités ne manquent ni de vaillance, ni de connaissance. Mais ne serait-il pas utile de leur associer de jeunes potentiels, dont la pratique des nouvelles technologies et des investissements d’avenir pourraient utilement compléter le savoir et l’expérience des jeunes retraités ?

M. Charles de Courson. J’ai trois questions à vous poser, monsieur le commissaire général.

À chaque fois qu’il innove, l’État français crée une structure nouvelle. Or, pour partie, ces nouvelles dotations, à hauteur d’une dizaine de milliards d’euros, vont s’additionner à des dotations déjà existantes. Il pourra arriver que les crédits d’une mission relèvent, pour une part, du ministre en charge de la dotation de base, pour une autre, de celui en charge de la relance, et enfin, pour une troisième part, de vous-même. Comment comptez-vous articuler ces différents niveaux ? Faudra-t-il nommer une autre personne pour coordonner vos actions ?

Tel qu’on nous l’a présenté, le grand emprunt a tout d’une usine à gaz : à une dizaine de milliards d’euros de dotations consomptibles, en provenance du budget de l’État, s’ajoutent une vingtaine de milliards, dont la rémunération bénéficie aux opérateurs. Serez-vous ordonnateur principal ou secondaire des dotations consomptibles ? Selon quel échéancier seront distribués les 35 milliards d’euros ? Quelle sera la vitesse de consommation de ces deux types de dotations ?

Dans sa présentation des quatorze nouveaux programmes, le projet de loi de finances donne aux collectivités locales la possibilité d’abonder les fonds provenant de l’emprunt national, notamment à travers OSEO. Comment envisagez-vous les négociations avec les conseils généraux et les conseils régionaux qui doivent permettre cet abondement ?

M. Hervé Mariton. Le chiffrage des résultats que vous évoquez, monsieur le commissaire général, n’a d’intérêt que s’il y a eu évaluation en amont. Quel sera le rôle du Commissariat général dans cette évaluation ? Définira-t-on à cette occasion ce qu’est la dépense d’avenir ?

Quelle sera la part respective des opérateurs et du Commissariat dans la sélection des projets ?

La répartition des crédits entre dotations consommables et non consommables est-elle définitive, ou est-elle appelée à évoluer, éventuellement sur proposition du Commissariat général ? À ce propos, cette répartition recouvre-t-elle la distinction entre crédits distribués et crédits non distribués ?

Le Commissariat général considère-t-il comme relevant de sa mission de signaler à l’attention de l’exécutif, voire à la nôtre, les projets qui ne semblent pas relever de la logique du grand emprunt ?

Quelle possibilité aurons-nous d’assurer le suivi des projets retenus ? Je suppose que certaines propositions n’ont pas été retenues dans le cadre du collectif budgétaire. La nouvelle étape consistant à poursuivre ce travail de sélection des projets dans un champ plus restreint, il serait intéressant de connaître la motivation de ce premier tri. Connaître cette « jurisprudence » nous permettrait de mieux comprendre les positions du Commissariat général.

M. Jean-Michel Fourgous. Monsieur le commissaire général, l’emprunt souscrit a-t-il bien pour objet la croissance du PIB marchand ? Nous avons besoin non seulement de croissance mais d’« hypercroissance ».

Alors qu’il apparaît que 50 % de la croissance mondiale aura pour origine le développement des technologies du numérique, j’ai été surpris de constater le peu d’importance attribué à la modernisation de l’outil pédagogique français. Comme vous le savez, nous sommes très en retard : en 2009, 27 500 titres d’ingénieur ont été décernés en France, pour 600 000 en Chine. La modernisation du modèle éducatif français est donc bien l’enjeu de la croissance.

La révolution de la pédagogie que provoque le numérique entraîne l’augmentation de la motivation des jeunes, de leur concentration et de leur participation. Pour la première fois, les enseignants transforment leurs méthodes pédagogiques : leur traditionnel face-à-face avec les élèves est remplacé par un travail à côté d’eux, sur projet. Il résulte de cette modernisation, encourageante, de notre modèle scolaire un accroissement de la productivité et de la qualité de la pédagogie française. Je rappelle que la France n’est actuellement qu’en 69ème position dans le classement au test TOEFL Test of english as a foreign language ! L’apport du numérique aux méthodes pédagogiques a aussi des répercussions en matière de lutte contre l’échec scolaire, notamment dans les quartiers défavorisés. Eu égard à son impact sur la formation de nos jeunes, notamment dans les disciplines scientifiques, nous sommes étonnés que sa part au sein des crédits que vous gérez ne soit pas plus importante.

Enfin, vous êtes-vous bien assuré, monsieur le commissaire général, de l’équilibre entre acteurs du secteur privé et du secteur public dans la composition des comités d’engagement des organismes gestionnaires ? Ayant été moi-même successivement fonctionnaire et chef d’entreprise, j’ai pu vivre le choc culturel du passage de l’un à l’autre.

M. Daniel Garrigue. Votre titre, monsieur le commissaire général, ne peut manquer de faire penser au Commissariat général au Plan. Trois notions sont sous-jacentes à votre action : la cohérence, la durée et la mobilisation.

Comment allez vous assurer la cohérence de l’équipe – fournie – que vous recrutez avec celles des organismes gestionnaires – OSEO, la Caisse des dépôts et consignation et les organismes qui en dépendent, comme le Fonds stratégique d’investissement – FSI –, l’ANR – et celles des différents ministères ?

Puisque vous allez procéder par tranches, sur quelle durée pensez-vous attribuer celles-ci ?

Pour la mobilisation, vous privilégiez l’instrument de l’appel à projets. Cependant, favoriser des regroupements d’entreprises, comme vous le souhaitez, passe par d’autres procédures. Lesquelles pensez-vous utiliser ?

Enfin, autant il me paraît judicieux, en créant des jurys internationaux, d’élargir le champ de recrutement des personnalités qui auront à se prononcer, autant la dimension européenne me semble absente de votre démarche. Pour quelles raisons ne recherchez-vous pas une cohérence avec les programmes créés par l’Union européenne, notamment le programme-cadre de recherche et développement – PCRD ?

Mme Chantal Brunel. Une ligne budgétaire destinée aux frais de fonctionnement du Commissariat général a-t-elle été instituée ? Si oui, les fonds qui y sont affectés sont-ils prélevés sur le montant du grand emprunt ?

Pourquoi créer une nouvelle administration ? N’aurait-il pas suffi d’affecter à ces nouvelles tâches des hauts fonctionnaires déjà en poste, aidés, à titre bénévole, de personnalités compétentes et qualifiées?

Enfin, quel sera le montant nécessaire aux rémunérations des personnalités recrutées – et qui ne le seront que pour un temps déterminé puisque le Commissariat général a vocation à disparaître une fois les crédits du grand emprunt consommés.

M. le président Didier Migaud. Monsieur le commissaire général, vous comprenez bien que beaucoup des questions portent sur votre rôle, l’organisation du Commissariat général et la valeur ajoutée qu’il pourra apporter au regard de structures existantes. Pour le pilotage du plan de relance, un ministère a été créé. Pour celui du grand emprunt, on a mis en place un commissariat général, pourvu d’une structure propre. Cela signifie-t-il que, par le passé, l’État ne savait pas décider et gérer avec sagacité ses investissements ? L’organisme que vous aller diriger constitue-t-il une couche supplémentaire d’un millefeuille administratif préexistant ? Quelles que soient nos divergences ou convergences sur le grand emprunt, nous pensons qu’une gouvernance efficace de l’utilisation des crédits levés est essentielle.

M. René Ricol. La cohérence, la durée et la mobilisation, autant de termes qui conviennent au rôle que doit jouer le Commissariat général.

Au-delà de l’attribution des crédits du grand emprunt, le Commissariat général a en charge la cohérence de l’ensemble des investissements de l’État dans les domaines entre lesquels ces crédits sont répartis. Chaque fois, notre première action sera d’identifier les budgets alloués aux opérateurs ou aux porteurs de projets avec lesquels nous serons en relation.

Considérer que nous allons dépenser sur la durée 35 milliards d'euros est doublement faux. D’abord, grâce aux effets de levier que nous allons rechercher, c’est une dépense de 60 milliards d'euros que nous espérons provoquer. Inversement, nous ne dépenserons pas le principal de la partie non consomptible – je préfère cette expression à celle de non consommable parce que ce principal ne se détruira pas par l’usage– mais seulement les intérêts que celui-ci produira.

La mobilisation est peut-être la raison d’être fondamentale du Commissariat général : il nous revient de veiller à ce que tous les acteurs travaillent ensemble, et qu’ainsi, monsieur Cahuzac, la création d’une commission d’enquête ne soit pas nécessaire.

S’agissant des coûts de fonctionnement du Commissariat général, madame Brunel, je précise que, dépendant du Premier ministre, nous ne disposons pas de budget propre. Je suis moi-même bénévole, aux termes d’une règle que je me suis fixée et que j’avais exposée lors de ma nomination comme médiateur du crédit.

M. Jérôme Cahuzac. Vous travaillez plus sans gagner plus !

M. René Ricol. Je suis payé par l’intérêt du travail qui m’est confié. Pouvoir être reçu par votre commission en fait partie. Plus précisément, mon indépendance est ainsi garantie.

Le coût de la structure sera limité ; ainsi, les deux personnes qui m’assistent aujourd’hui sont déjà payées par l’Inspection des finances. Nous allons nous efforcer d’être consommateurs de compétences plutôt que de crédits. J’ajoute que, dans certains domaines, il nous faudra sans doute nous adjoindre des compétences privées.

Monsieur Chartier, si, dans la description de notre méthodologie, j’ai placé en première priorité, avant même les projets, la répartition des crédits par tranches, c’est que ma longue expérience de comptable m’a appris qu’en laissant mettre en avant les projets on était assuré de perdre le contrôle de son action. L’argument des porteurs de projets est chaque fois le même : le projet est si essentiel qu’il ne peut être que financé.

Poser comme principe – je réponds en même temps à M. le rapporteur général – que les fonds extraits du budget général, mais toujours inscrits dans les comptes du Trésor – ils ne seront pas versés sur les comptes bancaires des opérateurs, qui ne pourront donc pas les dépenser eux mêmes –, ne seront mis à disposition que par tranches constitue une sécurité absolue. Toute autre procédure garantit que, d’ici à un an et demi, l’ensemble des fonds sera dépensé. Même si le découpage en tranches comporte des aspects artificiels, le Commissariat général n’acceptera pas, quelques exceptions mises à part – elles sont déjà quasiment toutes inscrites au sein du projet de loi de finances rectificative –, de s’engager sur d’autres modalités d’attribution –qu’il s’agisse de crédits consomptibles ou non, sur une durée de quatre ou cinq ans.

Cela dit, les demandes de rendez-vous sont innombrables et nous sommes frappés de voir certains entrepreneurs, parfois des tenants purs et durs du capitalisme, espérer quelque subvention à partir de cet emprunt. Il n’y aura pas de subvention. Pour s’en assurer, le principe de l’étalement dans le temps doit être institué, ce qui doit nous permettre de faire état de critères objectifs.

Une fois les crédits répartis par tranches, nous examinerons les projets. Et, sauf décision du Parlement, le projet génial, unique, porteur de la solution universelle, ne sera pas retenu. Nous devons nous assurer d’une utilisation efficace des montants en jeu, lesquels sont d’autant plus considérables qu’ils s’additionneront à ceux déjà inscrits dans le budget de l’État.

Ainsi, par exemple, les projets de création d’internats d’excellence sont déjà nombreux. Pour des raisons en partie personnelles, j’y suis très favorable. Reste qu’une discussion préalable est nécessaire. Faut-il créer de toute pièce des internats réservés à la diversité ? Faut-il plutôt identifier les internats efficaces et réfléchir aux moyens de leur extension ? Compte tenu du nombre actuel de projets, il serait possible d’engager dès à présent tous les crédits disponibles. Or, si nous ne procédions pas par tranches, aussi bien le Commissariat général que le Parlement seraient dépossédés de tout pouvoir de contrôle.

Monsieur Mariton m’a interrogé sur les modalités d’un contrôle en aval. Avant même notre nomination, nous avons beaucoup bataillé pour que le projet de loi de finances rectificative ne soit pas trop précis sur tout : nous souhaitons que les avant-projets nous soient soumis afin de pouvoir procéder à des éliminations dès ce stade – décision que nous pourrons ensuite expliquer devant votre commission. Le projet qui vous est soumis prévoit la création d’un certain nombre de jurys indépendants ; or, une fois que ces jurys auront voté sur les projets, comment prendre une décision différente de la leur ? Notre influence ne pourra donc s’exercer qu’en amont.

Monsieur Chartier, votre question sur l’international est essentielle. Notre équipe comprendra un déontologue, qui sera notamment chargé des questions de conflits d’intérêts. Aussi bien dans les jurys que dans les comités consultatifs qui nous aideront à instruire les dossiers, nous ne nommerons pas de personnes susceptibles de se trouver en conflit d’intérêts avec leur propre pays. Pour autant, il faut s’ouvrir.

Pour illustrer mon propos, je vais prendre un exemple. Aujourd’hui, des universités françaises postulent au statut d’université d’excellence, alors même qu’elles n’ont pas gardé une seule place de libre pour un étudiant étranger. Aussi, avant de distribuer les crédits qui nous ont été confiés, nous voulons prendre le temps de nous assurer d’évolutions positives. Le guide de notre action sera la capacité des universités à nous montrer comment elles entrent dans un système interactif, à nous décrire les mécanismes qui permettront à un étudiant inscrit dans une université d’excellence d’obtenir, en parallèle à son diplôme français, un diplôme étranger reconnu, à Shanghai ou à Londres, et à nous exposer comment elles participeront ainsi à rendre le système français attractif. Les universités françaises devront nous montrer qu’elles sont capables de réussir une mutation aussi spectaculaire que celle réalisée par cette université italienne qui attire désormais de nombreux étudiants étrangers – chose encore impensable il y a trois ans. Pour juger d’une telle évolution, nous avons besoin des avis de spécialistes étrangers. C’est pourquoi je vais m’efforcer d’attirer dans nos comités Sir Howard Davies, le directeur de la London School of economics. J’ai besoin qu’un spécialiste étranger reconnu indique s’il est prêt à apporter sa reconnaissance à un dispositif présenté par une université, à attribuer une équivalence de diplôme. S’il refuse, le dossier sera rejeté.

Monsieur Fourgous, alors que nombre de jeunes issus d’écoles de commerce ou d’écoles de marketing international restent sans emploi, nous manquons d’ingénieurs. J’ai constaté ce déficit tous les jours dans mes fonctions de médiateur du crédit. La place des formations d’ingénieurs sera donc l’une des questions que nous poserons aux porteurs de projets.

Nous instruirons le mieux possible les dossiers, sachant qu’in fine, non seulement pour le choix de l’opérateur, mais aussi pour la sélection des projets les plus importants, le décideur sera le Premier ministre, et que nous opèrerons sous le double contrôle du Parlement et d’un conseil de surveillance.

Notre maîtrise des textes n’est à ce jour pas totale – tout cela est trop récent. Il me semble cependant que l’intérêt de votre commission et celui du Commissariat général sont liés : un droit de regard du Parlement étendu et facile à exercer sera le signe pour nous de bonnes conditions d’efficacité.

Compte tenu des nombreuses structures déjà existantes, notre institution est-elle superfétatoire ? Je ne le pense pas. Ainsi, en matière de développement durable, nous avons demandé à des spécialistes quelle pourrait être l’organisation de notre dispositif dans ce domaine : eh bien, nous avons retenu de la réunion que nous avons eue avec eux que même les spécialistes de ce secteur ne s’y retrouvaient plus !

J’aborde ma nouvelle tâche dans l’esprit qui a été le mien quand m’a été confiée la mission de médiation du crédit. Son succès a dû beaucoup au travail de mise en réseau de tous les acteurs. De ce fait, aucun n’a pu s’attribuer à lui seul la réussite d’une opération, puisque celle-ci a toujours été partagée. Nous n’excluons cependant pas de proposer quelques simplifications dans l’organisation de l’État. Dans certains cas, par souci d’efficacité, nous souhaiterions juste savoir avec qui nous travaillons : il n’est pas facile de contracter avec des interlocuteurs dont nous ne comprenons pas la nature réelle de la tâche.

Enfin, monsieur le rapporteur général, la conception que j’ai de la mission qui m’est confiée exclut toute automaticité entre le vote de crédits, même dotés d’un objet extrêmement précis, et leur versement à des opérateurs. J’ai exposé à tous les interlocuteurs que j’ai rencontrés, même lorsqu’ils sont des interlocuteurs uniques dans leur domaine, qu’ils n’avaient droit à rien, que les dossiers seraient instruits. Cela vaut particulièrement dans les secteurs comme l’aéronautique, l’automobile ou le nucléaire, où les acteurs sont peu nombreux. Je n’oublie pas mon expérience antérieure : les opérateurs devront d’abord nous montrer quels « écosystèmes » ils construisent et nous prouver qu’ils n’oublient pas les sous-traitants, quel que soit leur rang. Dans bien des cas, la réussite est la conséquence d’un assemblage. Bref, il n’y aura pas de « droit de tirage ». Et pour que les crédits puissent être refusés et que le Commissariat général soit crédible, les fonds doivent être alloués par tranches. Dans certains cas, cette méthode, je le sais, peut revêtir un caractère critiquable, voire artificiel, mais si un tel principe n’est pas posé d’entrée, aucun contrôle ne sera possible.

M. le rapporteur général. La mise en place d’un tel dispositif va prendre du temps, un an au moins.

M. René Ricol. Les crédits doivent normalement être alloués aux opérateurs au cours de l’année 2010. Nous allons nous efforcer de faire au mieux. Cependant, si, compte tenu du mode de fonctionnement de certains acteurs, du retard est pris, nous n’allons pas nous obliger à affecter coûte que coûte les crédits restants avant la fin de l’année 2010.  Si ce délai ne suffit pas, il appartiendra au Premier ministre de demander à la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, Mme Lagarde et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, M. Woerth, de revenir vers vous pour une allocation en 2011 des crédits restants.

Pour autant, nous allons tout faire pour que, en 2010, les opérateurs connaissent – à défaut d’en disposer effectivement – les crédits qui leur seront alloués et que, à défaut d’être forcément approuvés, les appels à projets soient lancés. Certains opérateurs, nous le savons déjà, nous poseront des difficultés particulières et n’accepteront pas tous les contrats globaux que nous leur proposerons : dans ces cas, ils devront attendre.

M. Jérôme Chartier. Après l’explication que vous venez de donner sur l’allocation des crédits par tranches, je me range à vos arguments et je souscris pleinement à votre objectif n° 1. Eu égard aux montants gérés, votre méthodologie est impeccable.

Vous avez établi un parallèle avec vos fonctions précédentes. Mais la gestion des crédits du grand emprunt dépasse le rôle que vous aviez confié à M. Nicolas Jacquet. Ainsi, le lancement d’un programme d’investissement dans un réseau de prises pour des voitures électriques est une action d’une autre ampleur que l’accompagnement du crédit : les engagements nécessaires sont très lourds. Il vous faudra élaborer une méthodologie pour engager les régions dans des investissements structurants, de façon à ce que les projets tels que le développement du parc de voitures électriques puissent aller à leur terme.

M. René Ricol. Dans mes fonctions de médiateur du crédit, la contractualisation région par région m’a fait perdre beaucoup de temps. Pour cette raison, je souhaiterais que, après les élections régionales, un accord global sur la méthode puisse être trouvé via l’Association des régions de France. Beaucoup de temps serait ainsi gagné, et le contrôle du Parlement facilité.

Mme Marie-Anne Montchamp. Votre exposé, monsieur le commissaire général, était passionnant. Pour la deuxième fois, vous venez nous présenter une fonction d’opérateur émergente dans notre économie.

La forme juridique des bénéficiaires des fonds a-t-elle été précisément définie ? Qui pourront-ils être ?

Notre collègue Fourgous a évoqué le PIB marchand. Ne serait-il pas possible de raisonner en termes de PIB intégral ou de PIB prenant en compte au moins une partie des préconisations du rapport Stiglitz ?

M. René Ricol. Vous posez là une question pertinente. Ma charge est de veiller à la meilleure utilisation possible du grand emprunt, mais personne ne peut ignorer l’homothétie des courbes de la croissance et de l’endettement des ménages. L’objectif du dispositif du grand emprunt, c’est la création de croissance.

Je ne me laisserai pas convaincre par des arguments d’apparence. Ainsi, celui du quadruplement du nombre de brevets m’a été présenté. Toutefois, dans bien des cas, après avoir été déposé et connu un début d’exploitation, un brevet est acheté par un laboratoire, souvent étranger. Nous allons donc nous intéresser non seulement à l’accroissement du nombre de brevets déposés, mais aussi au développement de leur exploitation et à la création d’emplois et de richesse qu’ils permettent.

Nous allons également travailler à la conclusion d’accords avec les pôles de compétitivité. Nous savons aujourd’hui quels sont les pôles efficaces et ceux qui ne le sont pas. Nous n’attribuerons pas un euro à ceux dont nous constatons qu’ils ne sont pas efficaces : pour que nous travaillions avec eux, il faudra qu’ils le deviennent.

M. Hervé Mariton. Comment la répartition entre crédits consomptibles et crédits non consomptibles va-t-elle évoluer ?

M. René Ricol. Nous allons essayer de nous en tenir à la répartition actuelle de 60 % de crédits non consomptibles et 40 % de crédits consomptibles.

Dans le rapport que nous ferons l’an prochain, le point sera fait sur la pertinence de cette répartition.

À ce jour, si nous n’avons procédé qu’à très peu d’entretiens, nous avons été assaillis d’appels et de nombreux projets nous ont été adressés. Cependant, comme nous ne sommes pas encore rentrés dans une démarche d’examen systématique, je n’ai pas d’opinion sur la répartition. Toutefois, nous l’analysons comme un élément contraignant. Et si nous constatons que nous ne pouvons pas la respecter – aujourd’hui, elle nous semble grosso modo pouvoir l’être –, nous le signalerons.

M. Charles de Courson. Êtes-vous ordonnateur ?

M. René Ricol. Non. Ce sont les opérateurs qui seront ordonnateurs des contrats validés par le Premier ministre. Cependant, nous avons beaucoup tenu à l’instauration d’un double contrôle sur les projets les plus importants : dans ces cas, non seulement les opérateurs seront tenus par les contrats signés – nous nous assurerons de leur application –, mais, de plus, le « pilote dans l’avion » sera le Premier ministre. De nombreux domaines relèvent en effet de la compétence de plusieurs ministres.

J’espère que nous disposerons d’éléments suffisants chaque fois que nous viendrons vous rendre compte de notre action.

M. le président Didier Migaud. Je suis en effet convaincu que plusieurs occasions de rencontre s’offriront à nous.

Je vous remercie.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 26 janvier 2010 à 14 h 15

Présents. - M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Gérard Bapt, M. Jean-Marie Binetruy, M. Michel Bouvard, Mme Chantal Brunel, M. Jérôme Cahuzac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. René Couanau, M. Charles de Courson, M. Jean-Yves Cousin, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Michel Fourgous, M. Daniel Garrigue, M. Georges Ginesta, Mme Annick Girardin, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Marc Goua, M. Hervé Mariton, M. Jean-Claude Mathis, M. Didier Migaud, Mme Marie-Anne Montchamp, M. Henri Nayrou

Excusés. - M. Victorin Lurel, M. Michel Vergnier

Assistait également à la réunion. - M. Lionel Tardy

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