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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 24 février 2010

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 55

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing Vice-président

– Audition de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, sur les nouvelles modalités de supervision du secteur financier 2

– Présences en réunion 10

M. Louis Giscard d’Estaing, président. Mes chers collègues, comme vous le savez, le Président Didier Migaud a démissionné hier de ses fonctions de président de notre Commission après qu’il a été nommé premier président de la Cour des comptes. J’ai l’honneur de le remplacer afin de diriger nos travaux ce matin et je vous remercie de la confiance que vous me témoignez. Nous procéderons cet après-midi, à 16h15, à l’élection du nouveau président de la Commission.

Ce matin, notre réunion est consacrée à l’audition de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, auquel je souhaite la bienvenue. Deux sujets d’actualité ont motivé notre invitation : l’ordonnance n° 2010-76 publiée le 21 janvier dernier qui procède à la fusion des autorités d’agrément et de contrôle de la banque et de l’assurance, d’une part, et le projet de loi de régulation bancaire et financière pour lequel notre Commission a désigné M. Jérôme Chartier rapporteur, d’autre part. Sur ces différents sujets, M. le Gouverneur, je vous donne la parole.

M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France. Je remercie votre Commission de procéder à cette audition car l’ordonnance du 21 janvier 2010, prise sur le fondement d’une habilitation accordée dans le cadre de l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie en 2008, constitue effectivement une réforme majeure. Elle procède à la fusion de quatre autorités d’agrément et de contrôle :

– le Comité des entreprises d'assurance – CEA – et le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement – CECEI –, chargés de délivrer les agréments ;

– mais également la Commission bancaire et l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM), dotées du pouvoir de contrôle.

La nouvelle autorité créée, l’Autorité de contrôle prudentiel – ACP – vise d’abord à permettre une meilleure vision d’ensemble des risques et également à ce que notre capacité de négociation dans les instances nationales et européennes soit renforcée. Un volet novateur de l’ordonnance porte sur le renforcement du contrôle de la commercialisation des produits financiers. La réglementation prudentielle de chaque secteur n’est pas modifiée par cette réorganisation.

On peut distinguer cinq points dans ce texte : tout d’abord les populations assujetties. Dans le champ d’intervention de la l’ACP, on trouve, dans le secteur bancaire, principalement les établissements de crédit, les entreprises d’investissement, les changeurs manuels – pour la lutte anti-blanchiment –, ainsi qu’une nouvelle catégorie qui vient d’être créée, les établissements de paiement. Dans le secteur de l’assurance, ce sont les entreprises d’assurance et de réassurance, les mutuelles, les institutions de prévoyance. On y trouve également les différents intermédiaires : courtiers d’assurance et intermédiaires en opérations de banque.

Deuxième point : les missions de l’ACP. Elles sont élargies. Elles comprennent l’examen des demandes d’autorisation et d’agrément pour les deux secteurs, la surveillance permanente de la situation financière et des conditions d’exploitation des entreprises placées sous son contrôle, l’articulation de la vision microprudentielle avec une vision plus systémique des risques globaux pesant sur le secteur. Dans le secteur bancaire, un focus particulier sera mis sur les règles de liquidité et, dans le secteur des assurances, sur la capacité des entreprises à tenir leurs engagements à tout moment.

La nouvelle autorité de régulation veillera à l’application des règles de bonne conduite de la profession, soit préexistantes, soit qui pourraient résulter de ses propres recommandations. En ce qui concerne la protection de la clientèle, il existait déjà un contrôle de la commercialisation des produits dans le secteur de l’assurance et des produits d’investissement. Il en sera de même, dans le secteur bancaire, pour la commercialisation des produits d’épargne.

Dans ce domaine, il y a naturellement des interconnexions entre l’ACP et l’Autorité des marchés financiers, l’AMF. Nous allons mettre en œuvre un pôle commun afin d’échanger les informations, mieux coordonner les contrôles et organiser un guichet unique afin de faciliter le traitement des demandes d’information et les réclamations. Comme cela était déjà le cas par convention, le réseau des succursales de la Banque de France sera mis à disposition de l’AMF, en tant que de besoin, pour des missions de contrôle sur le terrain.

Troisième point : ses pouvoirs. En plus des contrôles sur pièces et sur place, l’ACP voit ses pouvoirs de police administrative élargis, notamment dans le domaine bancaire, puisqu’elle pourra prononcer des astreintes et également porter à la connaissance du public toute information qu’elle estimerait nécessaire à l’exercice de ses missions sans que le secret professionnel ne lui soit opposable. Enfin, une novation institutionnelle importante : pour assurer la sécurité juridique des procédures disciplinaires, dans le respect des droits de la défense, et ceci notamment pour tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, une commission des sanctions distincte du collège de l’autorité est instituée.

Quatrième point : l’organisation et le fonctionnement de la nouvelle autorité prennent en compte les spécificités de chacun des deux secteurs régulés : le collège de l’ACP rassemble des personnalités qualifiées connaissant les deux métiers et deux sous-collèges sectoriels seront mis en place, l’un dédié à la banque et l’autre aux assurances, le collège plénier ayant vocation à regarder les questions horizontales et les problèmes les plus importants. Dans le secrétariat général de l’ACP, il restera des équipes spécialisées dans le contrôle microprudentiel de chacun des secteurs, certaines fonctions horizontales étant regroupées.

Dernier point : l’ordonnance du 21 janvier 2010 inscrit la mission de l’ACP expressément dans le cadre européen, avec la prise en compte des objectifs de stabilité financière de l’ensemble économique européen, la mise en œuvre des dispositions nationales et communautaires, notamment l’obligation de tenir compte des bonnes pratiques et recommandations issues du dispositif européen, de coopérer avec les autorités compétentes des autres États et de concourir aux structures de supervision des groupes transfrontaliers. La supervision exercée par l’ACP devra donc s’articuler avec le comité européen du risque systémique, dans lequel j’aurai l’honneur de siéger comme tous les gouverneurs de banque centrale. Elle s’intégrera également au système européen de surveillance financière puisque les anciens comités Lamfalussy vont devenir des autorités européennes de surveillance, devant proposer des normes techniques aux États membres, résoudre les différends entre autorités nationales de surveillance et faire office de coordinateurs lorsqu’il y aura des désaccords entre les autorités nationales. Cette structure s’apparente à une organisation de type fédéral, les autorités nationales qui sont proches du terrain assurant la responsabilité directe du contrôle et les autorités européennes ayant pour rôle d’harmoniser l’application des règles et de s’assurer que les groupes transfrontaliers sont bien suivis d’une manière globale.

M. Louis Giscard d’Estaing, président. Je vous remercie. C’est effectivement un sujet très important. Avant de céder la parole à mes collègues, j’ai moi-même deux interrogations préalables : l’Autorité de contrôle prudentiel sera-t-elle une autorité administrative indépendante, au sens strict ? Quelles sont les perspectives de mise en œuvre de cette fusion et, en particulier, l’ordonnance du 21 janvier 2010 fera-t-elle l’objet d’une demande de ratification à l’occasion de l’examen du projet de loi de régulation bancaire et financière ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Ma première question concerne le fonctionnement de la nouvelle autorité de régulation. Comment envisagez-vous l’organisation du secrétariat général de l’Autorité de contrôle prudentiel ? Ses moyens humains et financiers seront-ils suffisants ou devront-ils être renforcés ? Entendez-vous conserver deux corps de contrôle – l’un issu du secrétariat général de la Commission bancaire, composé majoritairement de personnels de la Banque de France, et l’autre des contrôleurs des assurances de l’ACAM, c’est-à-dire des fonctionnaires d’État – ou envisagez-vous à moyen terme un rapprochement ?

S’agissant du cadre communautaire, je m’interroge sur la mise en place des trois nouvelles autorités de régulation en remplacement des trois anciens comités. Est-ce réellement une innovation puisqu’elles demeurent privées de pouvoir de réglementation ? N’aurait-il pas mieux valu mettre en place un pouvoir de réglementation au niveau communautaire ?

Je souhaiterais également savoir où en est la mise en œuvre de la directive 2009/111/CE relative à la réglementation bancaire, dite « fonds propres II » ? Dans quelle mesure celle-ci sera-t-elle compatible avec les nouvelles normes prudentielles « Bâle III » en cours d’élaboration ? J’observe, à cette occasion, que la perspective d’un nouveau renforcement des exigences de fonds propres, sous l’influence américaine, inquiète beaucoup les banques françaises. Sur le même sujet, la directive « solvabilité II » ne risque-t-elle pas de dissuader les compagnies d’assurance de placer leurs disponibilités sous forme d’actions ?

Enfin, au cours de son audition par notre Commission sur la situation de la Grèce, la ministre de l’Économie, Mme Christine Lagarde, s’est interrogée sur les credit default swap
– CDS – sur des dettes souveraines. Savez-vous si des négociations au niveau européen sont en cours pour les réglementer ?

M. Henri Emmanuelli. Je souhaiterais tout d’abord connaître l’opinion du Gouverneur sur l’efficacité du dispositif de contrôle envisagé. En particulier, est-il pertinent de continuer à ne pas opérer de distinction entre la banque de dépôt et la banque d’affaires ? Par ailleurs, les banques affichent aujourd’hui des résultats insolents, qui proviendraient pour partie des importantes marges – jusqu’à quatre points – réalisées en prêtant les sommes considérables mises à leur disposition par les banques centrales sur le marché interbancaire : le Gouverneur peut-il renseigner notre Commission à ce sujet ?

M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France. En ce qui concerne le statut de l’ACP, il s’agira d’une autorité administrative indépendante, mais adossée à la Banque de France. En effet, ainsi que la crise a permis de le constater, le système dans lequel il existe une proximité entre la banque centrale et le superviseur s’avère être le plus efficace.

S’agissant de la mise en place concrète de cette nouvelle institution, les textes d’application sont sur le point d’être adoptés. Le processus des nominations des membres du collège, ainsi que du secrétaire général et du premier secrétaire général adjoint, est en cours. De fait, les équipes travaillent ensemble à la préparation de la nouvelle organisation depuis plusieurs mois. Le transfert des données vers l’ACP a été sécurisé. En matière immobilière, un regroupement a été entrepris, au moyen de la location de l’immeuble voisin de celui dans lequel se trouve l’ACAM. Le regroupement géographique devrait être entièrement achevé à la fin de l’année 2010 ou au début de l’année 2011. La première réunion du collège devrait avoir lieu en mars.

S’agissant de la gestion des ressources humaines, la coexistence de personnels d’origine et de statut différents ne pose pas de problème. Les commissaires contrôleurs, à leur demande, resteront des fonctionnaires placés en situation d’activité au sein du secrétariat général. Les autres personnels, aujourd’hui contractuels de l’ACAM, pourront soit devenir contractuels de la Banque de France, soit entrer dans le statut de la Banque de France. Au fond, tout le monde appartiendra au pool de gestion des ressources humaines de la Banque de France. Avec les commissaires contrôleurs, l’ACP pourra s’appuyer sur la compétence d’ingénieurs, de polytechniciens en particulier. La Banque de France dispose déjà de spécialistes de mathématiques financières pour vérifier la qualité des modèles utilisés par les banques pour l’analyse de leurs risques. L’ACP disposera donc de toutes les ressources humaines nécessaires pour bien appréhender les marchés dans leur complexité.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général. Les agents qui proviennent des assurances pourront-ils donc être, sur option, titularisés dans le statut de la Banque de France ?

M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France. Oui, tout à fait, l’option sera ouverte pendant une durée limitée, pour compenser le fait que la loi impose le changement d’employeur. Quel que soit leur statut, les personnels seront employés par la Banque de France et mis à disposition de l’ACP. Les fonctionnaires d’État qui souhaitent le rester seront réputés en activité de service au sein du Secrétariat général de l’ACP ou d’autres services de la Banque de France.

M. Louis Giscard d’Estaing, Président. Y aura-t-il un budget spécifique ?

M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France. Il s’agira d’un budget annexe, comme cela est le cas pour la fabrication des billets. Discuté et adopté par le collège de l’ACP, le budget sera repris comme budget annexe de la Banque de France, pour entrer dans le système de la comptabilité analytique et de contrôle d’audit de la Banque de France.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général. Une forme de mutualisation des personnels sera donc permise.

M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France. Dans un premier temps, coexisteront des équipes spécialisées en contrôle des banques, d’autres en contrôle des assurances et, enfin, des équipes fusionnées dès le départ, en ce qui concerne notamment les négociations internationales et certaines fonctions de support. Une partie de ces fonctions demeurera assurée par les services de la Banque de France, et fournie en prestation de service : l’informatique lourde, la gestion des contrats de ressources humaines, la paye...

S’agissant de l’articulation communautaire, le principe de la supervision de terrain est maintenu, car ce système est assez efficace. Aux États-Unis, la supervision n’est pas exercée par le conseil des gouverneurs de la Fed, à Washington, mais par les échelons locaux de la Fed. Le conseil des gouverneurs s’assure de l’application uniforme des règles et intervient lorsque se pose une question qui dépasse le cadre d’un seul district. Au niveau européen, le rapport De Larosière a proposé un système comparable, dont le Conseil s’est un peu éloigné, mais dont le Parlement tend à se rapprocher. La possibilité donnée au comité de s’assurer de l’application cohérente des règles prudentielles, si besoin au moyen d’un vote à la majorité qualifiée, est un progrès. Il serait intéressant d’envisager d’aller plus loin, en donnant au comité la possibilité de trancher les éventuels débats entre le superviseur sur base consolidée et les superviseurs des entités, filiales ou succursales. C’est une question qui reste en suspens.

S’agissant des directives en discussion, les exigences en capital au titre des activités de marché sont renforcées par la directive « fonds propres II », ce qui est essentiel. Les règles relatives au provisionnement dynamique dépendront de ce qui sera adopté par le comité de Bâle et de ce que l’Union européenne décidera d’en retenir.

Le paquet proposé par le comité de Bâle résulte de l’exigence, posée au G20, de renforcer la résilience des systèmes bancaires pour s’assurer qu’une crise financière et l’obligation qui en résulte pour les États d’intervenir pour soutenir les banques ne se reproduiront pas. Il s’agit de renforcer la quantité et la qualité du capital, et d’améliorer la liquidité. Le paquet du comité de Bâle n’est, à ce stade, qu’une base de discussion. En l’état, il pourrait conduire à la remise en cause du modèle des banques continentales et à une restriction des activités bancaires, créant un risque pour le financement de l’économie et la croissance. Il pourrait être modifié substantiellement, en particulier en ce qui concerne les règles de liquidité qui paraissent moins bonnes, sur le plan méthodologique, que celles qui sont applicables en France.

S’agissant de Solvabilité II, le détail de sa mise en œuvre n’a pas encore été arrêté. La France est dans une situation un peu difficile, car spécifique : en effet, l’assurance-vie est largement utilisée en France comme un produit de substitution aux fonds de pension. Notre assurance-vie est en réalité une épargne à très long terme, qui devrait logiquement suivre les règles s’appliquant aux fonds de pension. Dans les autres pays, l’assurance-vie, qui coexiste avec les fonds de pension, est plutôt une épargne à court terme, comparable aux dépôts bancaires longs, peu développés chez nous. Ces spécificités rendent les négociations difficiles. Ceci étant, la tendance actuelle générale de la réglementation est plutôt de ne pas encourager la détention d’actions, ce qui n’est pourtant pas favorable aux assurés ou aux épargnants sur le très long terme. Il conviendrait de rééquilibrer les règles en conséquence. Les négociations sont toujours en cours.

Quant à la question des CDS souverains, j’estime qu’il faut prendre garde à une interdiction qui risquerait de reporter la spéculation sur d’autres produits impossibles à interdire : par exemple, si les mouvements de marché se reportaient directement sur la cotation des titres obligataires d’État, ce ne serait pas satisfaisant. Aujourd’hui, il existe une déconnexion entre les titres d’États et les CDS. Il me semble que la voie à privilégier est celle d’un marché bien identifié et transparent. L’essentiel est que ce marché ne donne pas lieu à l’accumulation de positions difficiles à comprendre et à délier, qui sont un vecteur de transmission de risques.

C’est pourquoi il est indispensable – et il existe un consensus au niveau mondial sur ce point - de mettre en place des chambres de compensation, transparentes pour les superviseurs. Dans le cadre de l’eurosystème, nous pensons que ces chambres doivent bénéficier de la fonction de prêteur en dernier ressort de l’Eurosystème sous l’autorité de la BCE. Elles doivent donc être domiciliées dans la zone euro sous la surveillance de l’Eurosystème. Cela permettrait de les réglementer, par exemple en leur imposant, si nécessaire, des règles de deposit.

S’agissant du nouveau dispositif de contrôle et de supervision, j’estime qu’il sera efficace. Il impliquera les mêmes équipes qu’auparavant, mais permettra de jeter un regard croisé sur la banque et l’assurance, ce qui garantira une meilleure supervision. L’adossement à la Banque centrale, qui dispose d’autres types d’informations, est également un atout à mes yeux. Si l’on considère l’affaire Northern Rock, on voit qu’elle tient beaucoup à la séparation, opérée une dizaine d’années auparavant, entre la banque centrale et le superviseur : il en est résulté une impossibilité de croiser, en temps réel, toutes les informations sur la liquidité et la solvabilité des banques, ce qui a créé un retard dans l’analyse, avec les conséquences que l’on sait.

Quant à la question de la séparation totale entre banques d’affaires et banques de dépôts, il me semble que la crise financière a montré que les établissements qui sont tombés étaient, pour la plupart, purement l’un ou l’autre. C’est le cas pour Lehman Brothers et Bear Stearns, pures banques d’investissements, pour Northern Rock et les banques régionales allemandes de dépôts, pures banques de dépôts et de crédits.

Les banques qui associent les deux activités ont plutôt mieux résisté à la crise : c’est le cas des banques françaises, mais aussi de la Deutsche Bank ou de Barclays.

Les Américains souhaitent empêcher certaines banques de prendre des positions spéculatives risquées, qu’elles font refinancer auprès des banques centrales. Sur le plan juridique, la réponse est difficile à mettre en œuvre, car il ne faut pas traiter de la même manière une activité normale de market maker contrepartie d’un client, qui consiste à prendre une position de risque en achetant des obligations d’État ou d’entreprises, avant de les revendre, et les activités que l’on veut interdire : dès lors, le législateur doit trouver une formule qui fixe les orientations sur le type d’activité qu’il souhaite interdire tout en laissant au superviseur une certaine latitude pour appliquer cette règle dans le détail. L’objectif est donc intéressant, mais cela passe par une classification préalable difficile à établir.

S’agissant des résultats des banques, ils sont aujourd’hui l’effet d’une politique de taux d’intérêt bas, encore que, en France, les taux des crédits ont reflué parallèlement aux conditions de refinancement auprès de la Banque centrale. En fait, les banques gagnent aujourd’hui facilement de l’argent, en faisant des opérations simples de marché, et non pas parce que les marges seraient anormales. Cela disparaîtra le jour où les taux d’intérêt remonteront. Elles disposent donc naturellement de marges confortables sans toutefois pratiquer des marges de crédits importantes. C’est pourquoi les banques ont aujourd’hui indéniablement l’opportunité de renforcer leurs fonds propres, ce qu’elles devraient privilégier à la distribution de dividendes ou de bonus.

M. Louis Giscard d’Estaing, président. J’ai bien entendu le plaidoyer en faveur du rôle des banques centrales, mais qu’en est-il de l’articulation avec l’autorité des marchés financiers qui, dans le projet d’ordonnance, n’apparaît pas comme devant être représentée dans le collège ?

M. Olivier Carré. J’adhère totalement à l’idée selon laquelle la vision de la Banque de France lui permet de détecter les risques systémiques. C’est son rôle et il me paraît important que l’ACP soit adossée à la banque centrale. Mais que va-t-il se passer dans les autres pays européens ? Quel sera le calendrier de déploiement ?

Par ailleurs, allez-vous continuer les stress tests qui étaient très à la mode il y a quelques mois et dont on ne parle plus ?

M. Daniel Garrigue. L’importance des transactions sur les produits dérivés est telle que la question des chambres de compensation devient essentielle. Il est indispensable que nous ayons des chambres de compensation à l’échelle européenne si nous ne voulons pas demain dépendre des chambres de compensation américaines. Vous avez évoqué le niveau de la zone euro. Cela vous paraît-il suffisant ?

M. Michel Diefenbacher. On ne peut être que frappé par le foisonnement d’initiatives, de réflexions, de mesures qui se mettent en place au niveau européen dans le domaine de la régulation. Cela témoigne d’une volonté politique forte et partagée. Mais ces dispositifs, notamment ceux qui régissent les trois autorités européennes, apparaissent particulièrement complexes. En particulier, les règles de majorité qui devront être suivies sont extrêmement variables selon les domaines d’intervention. C’est le résultat des différences d’appréciation du risque systémique et sur les différents moyens qu’il convient de mettre en œuvre pour le maîtriser. Le même débat apparaît sur le projet de directive relatif aux fonds alternatifs.

L’appréciation sur le risque systémique est-elle partagée dans les autres parties du monde ? Cela ne semble plus apparaître comme une priorité politique aux Etats-Unis, par exemple.

M. Jean-Yves Cousin. Je voudrais avoir votre appréciation de la situation grecque. Pour sauver le système financier international, les États ont pris en charge les endettements privés, dégradant leurs comptes publics. Le cas grec représente une dégradation encore plus significative, et pose la question de la solidarité des États européens. Que pensez-vous du rôle de la banque centrale européenne et du FMI dans cette affaire ?

M. Henri Emmanuelli. Est-ce que les banques françaises ont participé au maquillage des comptes publics de la Grèce ou de tout autre pays ?

M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France. La coopération entre la Banque de France et l’AMF est étroite. Nous mettons notre réseau à disposition de l’AMF. Nos directeurs départementaux sont délégués de l’AMF dans les départements ou les régions. Il existe une interpénétration de nos responsabilités et nous allons continuer à travailler en étroite coordination. Pour autant, faut-il que le président de l’AMF soit membre du collège ? Je n’y vois pas d’inconvénient. Mais, en faisant en sorte que soient présents au sein du collège des spécialistes de tous les domaines concernés ainsi que des représentants des grands corps de l’État, nous sommes déjà seize membres, ce qui explique que nous ayons dû, dans certains cas, créer un collège restreint pour examiner des sujets spécifiques.

Le paysage dans les autres pays européens bouge énormément. Aux Pays-Bas, en Slovaquie et en République tchèque, la banque centrale a reçu compétence pour la supervision non seulement des banques mais aussi des assurances. Le processus est également en cours en Irlande, en Finlande et au Portugal. La décision de principe a été prise en Belgique par le Gouvernement. En Allemagne, la décision stratégique a été prise pour les banques et est en cours de discussion pour les assurances. Mais dans ce pays, la banque centrale a déjà un rôle dans la supervision bancaire. Au final, il se pourrait que l’Allemagne s’inspire du système français d’adossement à la banque centrale. Des projets de lois transférant à la Banque centrale la supervision des assurances ont été préparés avant la crise en Espagne et en Italie, mais n’ont pas été examinés. L’attitude volontariste de la France pourrait inciter ces deux pays à rouvrir le chantier. Si tous ces projets aboutissent, on retrouvera au conseil européen du risque systémique des gouverneurs qui seront à la fois superviseurs des banques et des assurances. Le croisement des informations, la capacité de décision ou de proposition sera beaucoup plus cohérent.

Nous réalisons régulièrement des stress tests à l’échelon français et nous envisageons d’en faire au niveau européen. L’instrument garde toute sa validité.

Il existe aujourd’hui une ou deux chambres de compensation qui fonctionnent aux États-Unis et l’une d’entre elles a créé une filiale à Londres. Or, nous ne souhaitons pas que les produits en euros soient compensés en Grande-Bretagne car nous ne sommes pas le refinanceur en dernier ressort en zone sterling et nous n’avons pas la capacité à contrôler les positions qui sont prises et la façon dont cela fonctionne. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons disposer d’au moins une chambre de compensation en zone euro.

La cohérence du dispositif entre l’Union européenne et les États membres progresse. Le projet présenté devant le Parlement européen est très complexe, avec des règles de majorité compliquées. À titre personnel, je considère que plus le résultat final sera simple et proche des préconisations du groupe de travail réuni autour de M. Jacques de la Rosière et plus le projet aura de bonnes chances de bien fonctionner. Mais c’est au pouvoir politique de choisir : il convient de tenir compte de compromis, que je n’ai pas à juger.

Concernant l’appréciation du risque systémique au niveau mondial, il existe une institution essentielle qui est le conseil de stabilité financière, anciennement appelé le « forum », créé par le G 7 puis élargi au G 20. Sa mise en œuvre est peut-être devenue un peu compliquée, mais globalement, il fonctionne bien. Son objet est d’essayer de trouver un consensus sur la détection des grands risques systémiques et de trouver les parades cohérentes. C’est de ce conseil qu’a émergé l’idée, acceptée par tous les pays du monde aujourd’hui, selon laquelle les produits de gré à gré doivent passer autant que possible par des chambres de compensation, sous le contrôle des États.

L’attitude des États-Unis est claire : l’Administration américaine veut appliquer les accords dits de « Bâle II » avec les modifications qui y seront apportées cette année. Les idées présentées dans le rapport Volker et retenues par le Président Barak Obama sont complémentaires et ne remettent pas en cause Bâle II. Un exemple : sur la distinction entre les banques d’investissement et les banques de dépôts, je n’ai pas trouvé chez les Américains beaucoup de différences avec la position française.

S’agissant de la situation grecque, à ma connaissance, les banques françaises n’ont pas participé à des opérations qui ont contribué au maquillage des comptes publics. Si c’était le cas, en tant que superviseur, nous considérerions cela comme grave.

La Grèce en est arrivée à cette situation en raison de la conjonction de deux éléments : des finances publiques dégradées et maquillées et une perte de compétitivité aggravée par la récession économique. Le pays doit maintenant remettre ses finances publiques en ordre. La population grecque y est peut-être davantage prête qu’on ne le dit. C’est ainsi que les Irlandais, dont le pouvoir d’achat a beaucoup augmenté depuis leur entrée dans l’euro – celui des fonctionnaires a doublé –, ont accepté d’en « rendre » une petite partie – 10 à 20 % – en appliquant une politique de rigueur budgétaire. La Grèce doit remettre sur pied ses finances publiques, ce qui ne passe pas seulement par la rigueur budgétaire, mais aussi par l’amélioration de ses rentrées fiscales, par simple application de la loi.

M. Louis Giscard d’Estaing, président. M. le Gouverneur, nous vous remercions. Nous aurons l’occasion de poursuivre notre discussion le 24 mars, lors d’une audition collective sur des sujets connexes.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Présents. - M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Gérard Bapt, M. Claude Bartolone, M. Xavier Bertrand, M. Pierre Bourguignon, M. Jean-Pierre Brard, Mme Chantal Brunel, M. Jérôme Cahuzac, M. Bernard Carayon, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Alain Claeys, M. René Couanau, M. Jean-Yves Cousin, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, M. Jean-Claude Flory, M. Daniel Garrigue, M. Georges Ginesta, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. François Goulard, Mme Arlette Grosskost, M. Laurent Hénart, M. François Hollande, M. Jean Launay, M. Patrick Lemasle, M. Richard Mallié, M. Jean-François Mancel, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mathis, Mme Marie-Anne Montchamp, M. Pierre Moscovici, M. Pierre-Alain Muet, M. Henri Nayrou, M. Jacques Pélissard, M. Nicolas Perruchot, M. Jean-Claude Sandrier, M. Michel Sapin, M. François Scellier, M. Michel Vergnier

Excusés. - M. Michel Bouvard, M. Nicolas Forissier, M. Marc Francina, M. Victorin Lurel, M. Camille de Rocca Serra, M. Georges Tron

Assistait également à la réunion. - M. Lionnel Luca

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