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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 24 mars 2010

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 58

Présidence de M. Jérôme Cahuzac Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, M. Jean-Pierre Jouyet, Président de l’Autorité des marchés financiers, M. Michel Aglietta, professeur de sciences économiques à Paris Ouest Nanterre la Défense, M. Henri Bourguinat, économiste, fondateur du laboratoire d’analyse et de recherche économiques de l’Université de Bordeaux IV, M. David Thesmar, professeur de finance HEC, membre du conseil d’analyse économique : la crise est-elle finie ? Quelles nouvelles règles mettre en œuvre ?

– Présences en réunion

M. le président Jérôme Cahuzac. Je suis heureux d’accueillir le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, le président de l’Autorité des marchés financiers, Jean-Pierre Jouyet, les professeurs Michel Aglietta, Henri Bourguinat et David Thesmar, qui ont répondu à l’invitation lancée par mon prédécesseur pour tenir une table ronde sur la crise.

Dans un court exposé liminaire, chacun de vous voudra bien nous expliquer s’il considère que la crise est en voie d’achèvement et quelle forme – au besoin en désignant par une lettre d’un alphabet grec, voire mésopotamien, bref, autre que romain puisque la courbe en V ou en W n’est plus d’actualité pour décrire la situation – prendra le schéma de sortie de crise. Merci aussi de nous indiquer quelles sont vos préconisations pour éviter à l’avenir des crises aussi graves qui ravagent les économies et provoquent un surcroît de chômage extrêmement préoccupant.

M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France. Merci de votre invitation, monsieur le président.

À votre question « La crise est-elle finie ? », je répondrai que le pire est derrière nous, mais que les grands pays industrialisés n’en sortent que très progressivement. La croissance en Europe est nettement en dessous de son rythme d’avant la crise, et elle repose encore en partie sur le soutien des politiques publiques. La demande privée, sur laquelle pèsent le chômage et les capacités de production inutilisées, doit encore retrouver une dynamique autonome car elle demeure fragile et modérée.

Un point notable, malgré tout : les conditions financières n’y font pas obstacle. Le marché interbancaire s’est normalisé, et les enquêtes de la Banque de France tendent à montrer que l’offre de crédit ne contraint plus le financement au niveau global. Les grandes entreprises ont retrouvé un marché obligataire dynamique depuis l’année dernière. Et les taux d’intérêt des crédits aux ménages comme aux entreprises ou pour le financement de l’habitat sont revenus à des niveaux très bas, parfois inférieurs à ceux d’avant la crise pour les échéances les plus courtes. Nous sommes sortis de la récession, mais la croissance est fragile et une incertitude pèse sur son potentiel.

Que faire pour accélérer le retour à une croissance soutenue et durable ? Je crois très profondément que nous avons besoin d’une stratégie de consolidation budgétaire partout en Europe. Autant la stimulation budgétaire des plans de relance a été un facteur clef pour arrêter la récession et pour remettre la machine économique sur les rails, autant la persistance d’une situation très déséquilibrée des finances publiques jouerait contre la confiance, essentielle à la consommation des ménages comme à l’investissement des entreprises. Un tel déséquilibre augmenterait par ailleurs les risques de mauvaise réaction des marchés financiers, d’éviction des investisseurs privés et de hausse des taux.

Nous avons aussi besoin en contrepoint d’accélérer les réformes structurelles. Un exemple : il y a une dizaine d’années, la Suède a connu une crise très grave. Elle a procédé à une remise à niveau remarquable de ses finances publiques qu’elle a accompagnée de réformes très profondes des marchés des biens et services et de celui du travail, ce qui lui a permis de retrouver, voire de dépasser sa croissance potentielle antérieure. Le redressement des finances publiques et les réformes de structure vont de pair.

Comment éviter de nouvelles crises ? Il faut procéder à une réforme assez profonde de la régulation financière. Par définition, cet exercice ne peut pas être national. Il doit, autant que possible, être mondial et décliné au niveau européen. Nous progressons très vite par rapport au passé, mais, pour trouver le bon calibrage des mesures, nous devons pouvoir procéder à des tests, à des simulations, afin d’établir l’équilibre entre le renforcement de la résilience du système financier – en incitant les acteurs à ne pas prendre de risques excessifs – et le soutien de la croissance. L’opération est délicate.

D’ores et déjà, des progrès ont été réalisés. L’année dernière, nous avons décidé au niveau mondial de renforcer les exigences vis-à-vis de ceux qui prennent des risques de marché ou portent des opérations de titrisation. Au niveau européen, les choses sont très avancées puisque le renforcement des exigences en capital pour les opérations de marché prendra effet le 1er janvier 2011. D’autres continents sont plus en retard.

Nous avons besoin aussi de supprimer les trous noirs de la réglementation mondiale. Je citerai, en particulier : les agences de notation – en Europe, les règles sont en cours de finalisation entre le Parlement européen et le Conseil des ministres ; les hedge funds dont le cas, je l’espère, sera réglé rapidement – le projet est bon et la balle est désormais dans le camp des politiques ; enfin, les infrastructures de marché, sujet extrêmement important.

Beaucoup de risques proviennent des produits dérivés négociés de gré à gré, à commencer par les fameux CDS, mais il y en a bien d’autres. L’objectif de tous les pays du G20 est bien d’inciter au maximum à la standardisation de ces instruments, de les faire traiter sur des contreparties centralisées, c'est-à-dire sur des marchés organisés, avec un registre qui permet aux autorités de supervision de savoir qui prend des positions, comment et quels sont les risques à l’œuvre dans le système, de permettre à ces acteurs d’avoir accès, si nécessaire, à la « monnaie banque centrale », ce qui justifie, en contrepartie, leur surveillance de la part des banques centrales. Il est nécessaire d’aller très vite dans ce domaine.

M. Jean-Pierre Jouyet, président de l’Autorité des marchés financiers. Je vous renouvelle mes félicitations pour votre élection, monsieur le président, et je tiens à vous assurer de l’entière collaboration de l’Autorité des marchés financiers dans votre mission.

En ce qui concerne la crise, le régulateur des marchés financiers a le sentiment, vu le faible nombre d’opérations, que l’attentisme et l’incertitude dominent alors que, paradoxalement, dans la sphère financière à l’origine de la crise, l’exubérance retrouvée le dispute à la recherche d’une stabilité perdue. Les marchés se sont remis à fonctionner et l’argent irrigue de nouveau les circuits. Les produits les plus sophistiqués et les plus volatils continuent à se développer. Les chiffres sont à cet égard très révélateurs. La capitalisation boursière mondiale a été pratiquement multipliée par deux depuis le début de 2009 et l’encours des produits dérivés échangés de gré à gré dépasse 6 000 milliards de dollars, soit plus qu’avant la crise de 2007 où il atteignait 5 000 milliards. Une partie de ces produits est utilisée contre des titres souverains, créant une autre source d’instabilité.

La sophistication des marchés n’a jamais été aussi grande et ils n’ont jamais été aussi nombreux, qu’ils soient régulés ou non. Les technologies actuelles permettent d’acheter et de vendre à la microseconde sur la base de calculs logarithmiques et, s’agissant de la gestion d’actifs, il convient de relever l’augmentation du montant des encours des OPCVM qui s’élevaient en début d’année à 1 400 milliards d’euros sur la place de Paris contre 1 250 milliards d’euros au début de l’année 2009.

Ce panorama illustre la santé financière restaurée, à l’exception notable de la titrisation, qui est un instrument utile, dont la grande sophistication et l’excessive aptitude à transférer les risques furent à l’origine de la crise américaine. Une nouvelle restriction du crédit nous obligerait à trouver une nouvelle pierre philosophale, c'est-à-dire à mettre au point des produits de titrisation plus simples laissant à l’originateur d’une opération une part de risque.

Un tel constat inspire deux réflexions au régulateur.

Premièrement, la crise, de financière et américaine à l’origine, est désormais concentrée sur des titres d’États européens, qui, s’ils ne parviennent pas à s’entendre, devront faire appel, ce qui ne me choque pas, au Fonds monétaire international.

Deuxièmement, la question est, pour nous régulateurs, de savoir comment la santé des marchés peut concourir à un financement sain et durable de l’économie. Comment le court-termisme des marchés peut-il assurer une reprise qui dépend, d’une part, du renforcement des PME et, d’autre part, d’investissements à long terme dans l’énergie, l’environnement, les infrastructures, l’éducation et la formation ?

Comme le gouverneur l’a indiqué, l’urgence me paraît être à la construction – d’ailleurs en bonne voie – d’architectures politiques et institutionnelles pour répondre au niveau international et européen aux phénomènes à l’origine de la crise et pour les surveiller mieux, voire les anticiper. C’est ce qui se fait au niveau européen même si les entités envisagées ne voient le jour qu’à la fin de l’année. Au niveau national, vous devriez connaître du projet de loi de régulation financière, rapporté par Jérôme Chartier, qui doit offrir les instruments nécessaires et une architecture efficace.

S’agissant des agences de notation, nous avons fait des progrès mais, compte tenu de ce qui se passe au niveau européen, leur supervision sera renvoyée, pour le moment, aux régulateurs nationaux. J’appelle votre attention sur le fait qu’à ce jour, nous n’avons pas de base légale en France pour effectuer la supervision des agences de notation. Dans ces conditions, cette supervision sera faite depuis Londres ou Francfort.

En Europe, il faut mettre en place les nouvelles autorités européennes de régulation des marchés, avec les pouvoirs les plus étendus possible et préparer une législation européenne globale sur les produits dérivés et les infrastructures de marché – autrement dit, créer des chambres de compensation des produits échangés de gré à gré, avec une standardisation la plus poussée possible et à l’échelle de la zone euro, si possible. Un cadre européen de gestion de crise est souhaitable, de même qu’une règle de conduite concernant la gouvernance d’entreprise car les pratiques varient encore trop d’un pays à l’autre. La volonté d’agir au niveau européen existe, mais je regrette, comme M. le gouverneur, que pour des raisons politiques, nous prenions du retard dans la régulation d’entités non régulées comme les hedge funds. La législation européenne sur les ventes à découvert doit également faire des progrès et nous sommes aujourd'hui en retard sur la législation américaine.

Au niveau international, il faut réduire les divergences entre les États-Unis et l’Europe concernant les normes prudentielles. Il faut aussi réduire les divergences sur les normes comptables. Celles en vigueur sont peut-être adaptées au niveau international à des activités de marché, mais elles ne le sont pas à des activités de crédit et encore moins à des activités industrielles ou commerciales. Il faut permettre la protection de l’investisseur qui doit être correctement informé par le marché tout en assurant la stabilité financière.

En conclusion, que reste-t-il à faire ? Et comment s’organiser ?

Il faut, à mon avis, donner force exécutoire aux décisions du G20 pour renforcer l’architecture internationale en s’appuyant sur les progrès accomplis. Le fonctionnement des marchés doit être amélioré de façon à mieux financer l’économie réelle, en particulier il faut les rendre plus accessibles aux PME. Il faut faire en sorte que les marchés financiers soient mieux organisés en obtenant l’enregistrement des transactions, l’existence de compensations et une plus grande transparence des opérations. Nous devons impérativement maîtriser l’impact des nouvelles technologies sur les marchés, y compris les marchés organisés – où 60 % des transactions se font sur la base de calculs algorithmiques et où 30 % d’entre elles sont le fait des high frequency traders qui repèrent les différences de 0,01 point entre les différentes places. Ce sont en fait les ordinateurs et les mécanismes automatiques qui gouvernent aujourd'hui les marchés, y compris les marchés organisés. Il faut enfin réguler de nouveaux marchés – celui du CO2, des dérivés énergétiques et alimentaires – si nous voulons combler les retards que nous avons par rapport aux États-Unis.

M. le président Jérôme Cahuzac. La base législative qui manque à notre pays pour superviser les agences de notation se trouve dans le projet de loi de régulation bancaire et financière qui n’est pas encore à l’ordre du jour de notre assemblée. Mais nous espérons tous qu’il y sera inscrit bientôt.

M. Jérôme Chartier. L’ordre du jour est fixé jusqu’à fin avril. Il n’y a donc rien à attendre avant, mais il faut savoir que la date butoir d’enregistrement des agences de notation est le 10 septembre.

M. Michel Aglietta, professeur de sciences économiques à Paris Ouest Nanterre la Défense. Sur le plan macroéconomique, nous sommes entrés dans une phase bien connue qui suit les crises financières : la déflation de bilan. Les agents privés cherchent massivement à se désendetter du fait de l’excès d’endettement des ménages, des entreprises dans une moindre mesure, et des institutions financières surtout. C’est une phase délicate parce qu’un tel comportement induit une très forte réticence à la dépense, ce qui provoque de moindres revenus et finit par compromettre le désendettement. Grâce aux plans de relance, la dette publique s’est substituée à la dette privée si bien que l’endettement global net de l’ensemble des économies occidentales a en réalité augmenté. Le désendettement est loin d’être acquis et le premier danger qui nous guette, c’est de faire trop vite de la consolidation financière, avant que le secteur privé ait recouvré une dynamique autonome – et il en est encore loin –, au risque de nous replonger dans le marasme. Le second danger réside dans le dérapage des dettes publiques qui déclencherait un autre type de crise à laquelle l’Europe est exposée du fait de l’hétérogénéité des pays qui la composent et de l’absence manifeste de capacité collective d’action.

L’Europe est malheureusement plus sous la menace d’une crise à la japonaise que sur la voie suédoise. La Suède a conduit des politiques extrêmement courageuses en redistribuant complètement son budget, avec des transferts massifs vers l’éducation – ce n’est pas le cas chez nous – et la recherche-développement dont elle est devenue un pionnier. De la sorte, elle a réussi à restructurer son système productif. Mais la condition macroéconomique nécessaire à un tel bouleversement était une demande suffisante, obtenue au prix d’une énorme dépréciation du taux de change qui a donné à la Suède une très grande compétitivité. La zone euro, vu sa taille et l’absence de politique monétaire extérieure, ne peut pas en faire autant. Par ailleurs, comme les États-Unis sont dans la même situation, il n’est pas pensable que l’euro et le dollar puissent se déprécier massivement et simultanément. La croissance potentielle reste une interrogation. Je rappelle que le Japon comme la Thaïlande sont sortis de la crise asiatique avec une croissance potentielle divisée par deux.

Sur le plan de la régulation financière, deux priorités essentielles existent, dont les orateurs précédents ont peu parlé.

La première a trait à la politique macroprudentielle – il faut absolument que les banques centrales prennent la stabilité financière comme un objectif à part entière et cherchent à prévenir le risque systémique qui, on l’a vu, a un coût social considérable. L’énorme dérapage du crédit aura duré dix ans ! Un cercle vicieux s’était formé entre l’endettement du secteur financier et la montée du prix des actifs. Tant que les banques centrales ne prendront pas au sérieux les hausses de prix des actifs, en menant des politiques contracycliques par une limitation de l’effet de levier de l’endettement du secteur financier, la politique macroprudentielle n’existera pas et les bulles continueront de se succéder. N’oublions pas que la stabilité financière ne découle pas du tout de la stabilité des prix. Trois siècles d’histoire montrent que la plupart des crises financières éclatent en phase de prix stables ou de déflation. Il faut donc conduire une politique macroprudentielle et trouver les instruments pour le faire puisque le taux d’intérêt ne peut pas, à lui tout seul, stabiliser deux objectifs à la fois : les prix et le crédit.

Le second élément crucial concerne la résolution des faillites bancaires. La chute d’AIG, de Fortis, de Lehman Brothers a été chaque fois un désastre au coût social exorbitant. Il faut donc sortir du principe du too big to fail en définissant les entreprises – financières ou non – importantes qui feraient l’objet d’une régulation spécifique, plus stricte, sous la surveillance d’un conseil du risque systémique regroupant l’ensemble des régulateurs et la banque centrale. Les solutions à leur insolvabilité seraient à envisager car on a vu qu’il ne s’agissait pas d’une hypothèse d’école. Les plus grandes banques du monde – je pense à Citigroup – ont été en insolvabilité latente. La menace de la faillite est d’ailleurs la condition sine qua non d’une économie efficace. Qu’on ne vienne pas dire que nous sommes dans une économie de marché efficiente si la liquidité n’est pas assurée en permanence et si un pan entier de l’économie peut s’épargner la faillite et se défausser du coût social sur la collectivité !

Telles sont les deux priorités à donner pour fonder l’architecture financière.

M. Henri Bourguinat, économiste, fondateur du laboratoire d'analyse et de recherche économiques de l'Université de Bordeaux IV. Messieurs les présidents, mesdames, messieurs les députés, je vais modestement tenter de situer où nous en sommes de cette crise financière – est-elle derrière nous ou n’en sommes-nous qu’à l’acte II ? – avant de vous parler de la régulation.

S’agissant de la crise, je voudrais éviter la critique que faisait le président Truman aux économistes qu’il consultait et qui lui répondaient sur le mode « on the one hand, on the other hand ». Aussi me comporterai-je en économiste manchot en prenant position.

S’agissant du secteur bancaire, trois problèmes restent à mon avis pendants.

Premièrement, l’assainissement des bilans bancaires n’est pas terminé. Il reste quelques poussières sous les tapis et les créances douteuses ont pris le nom, ici, d’« avoirs cantonnés », ailleurs, d’« avoirs dédiés » et, là, d’« avoirs arrêtés ». Ce sont partout des actifs dont la valorisation est extrêmement difficile et qui peuvent réserver de mauvaises surprises. J’aimerais que l’on considérât avec plus d’attention la situation des bilans bancaires.

Par ailleurs, la question des capitaux propres évoquée à longueur de réunions et d’articles n’est pas résolue alors qu’elle est cruciale. Si les capitaux propres sont mal maîtrisés, toute une série d’éléments suivront, comme les rémunérations. Or les capitaux propres sont assez mal régulés actuellement. Quand la crise a commencé, la moyenne de ce que l’on appelle le Tier one, c'est-à-dire le noyau dur du capital, était, dans les banques américaines, de 2 %, à un niveau extrêmement faible. Le ratio est remonté aujourd'hui mais, je le crains, d’une façon un peu arbitraire, grâce à quelques inventions techniques, notamment à ce qu’on appelle familièrement la dette « co-co », c'est-à-dire la dette convertible conventionnelle. Il s’agit d’obligations qui rapportent un peu moins que les obligations traditionnelles et qui, en cas de besoin, peuvent être transformées en actions. Elles sont traitées comme telles, c'est-à-dire comme des capitaux propres. Or, si ces titres font partie des bijoux de famille, s’ils brillent, ils ne sont pas en or massif. La Barclays a émis pour 9 milliards de livres de dette « co-co » et je ne trouve pas cela très sain. En France, la dette subordonnée présente aussi quelques inconvénients.

Deuxièmement, il faut veiller à la légitimation du risque moral. Michel Aglietta a souligné à juste titre qu’un capitalisme sans sanction n’est pas du capitalisme. La seule sanction qui vaille, c’est la ruine. Or, aujourd'hui, tout se passe de par le monde comme si le risque de ruine était mis entre parenthèses et comme si, en étant suffisamment grand, on pouvait s’y soustraire. Certes, un banquier ne peut pas faire n’importe quoi sans compromettre sa réputation. Mais le risque moral renouvelle fondamentalement le métier de la banque et nous devons en tenir compte.

Troisièmement, le transfert de l’endettement privé au secteur public. La crise est sans doute en voie de résolution mais nous avons tiré sur l’avenir des traites qui risquent d’être douloureuses, à en juger par les déficits budgétaires et l’évolution des dettes publiques. Et des économistes réputés comme Kenneth Rogoff et Nouriel Roubini considèrent que les titres de la dette publique pourraient bien être les subprimes de demain. Le cas de la Grèce montre que nous ne sommes pas tirés d’affaire.

Pour résumer de façon presque caricaturale, il faudrait une régulation qui encadre les facteurs de déclenchement de la crise. Et, à ce sujet, j’ai quelques réserves sur ce qui a été fait. La crise a d’abord été celle de la titrisation. Or les mesures la concernant relèvent de l’homéopathie : obliger les émetteurs à conserver 5 % du risque de crédit, c’est tout à fait insuffisant. Il faut ensuite redéfinir les obligations en matière de capitaux propres et ne réserver cette dénomination qu’aux ressources qui la méritent. Il y a enfin des précautions à prendre au sujet des opérations pour compte propre, même si telle ou telle banque américaine en tire 70 % de ses revenus. Le problème n’est pas exclusivement américain puisque ce pourcentage atteint 40 % dans une banque française.

M. le président Jérôme Cahuzac. Vous parlez bien entendu « en Générale »...

M. Henri Bourguinat. J’appelle l’attention aussi sur les concentrations. Il y a six à huit mois, on a parlé en France de la fusion de deux grands établissements de la place. L’adage vérifié du too big to fail devrait pourtant inciter à la réserve face à un tel projet et je ne peux que me féliciter qu’il ait été abandonné. Il faudrait éviter d’avoir des établissements dont le bilan est à la mesure du produit national brut. Je sais bien qu’il ne faut pas comparer des stocks et des flux mais il faut faire attention. Après trente ans passés à étudier la finance, j’ai le sentiment que nous sommes à un tournant. Nous aurions pu perdre le contrôle de la situation et il vaudrait mieux éviter que cela ne se produise la prochaine fois.

M. David Thesmar. N’étant pas conjoncturiste, je ne dispose pas d’un modèle qui donnerait une estimation de la croissance à la fin de l’année. Les chiffres actuels montrent que la reprise est là mais que c’est une reprise molle survenant dans un contexte de réduction de l’endettement, en particulier par les banques. Nous sommes dans le prolongement d’un credit crunch et il n’existe pas forcément de financement pour l’investissement. La phase de restockage où nous nous trouvons explique le rebond de l’activité. Néanmoins, les déterminants de la demande intérieure – qu’il s’agisse de l’investissement ou de la consommation – sont, à terme, relativement négatifs du fait de l’augmentation du chômage et de la fin de la résorption de l’endettement des banques. Dans ce schéma de reprise molle, certains scénarios envisagent même un ralentissement en deuxième partie d’année.

Sur le moyen terme, je distinguerai plusieurs types de risques.

D’abord, le risque de formation de nouvelles bulles. Du fait de politiques monétaires très accommodantes menées dans le monde entier, les marchés financiers, en particulier celui des actions, connaissent une hausse disproportionnée par rapport à la reprise de l’activité.

Ensuite, la dérive budgétaire, qui fait peser le risque d’une hausse importante des impôts, susceptible d’obérer la croissance.

Enfin, on peut s’attendre à ce que la résorption des équilibres internes à la zone euro se traduise par une période de déflation dans des pays fortement endettés comme l’Espagne ou la Grèce, qui ne disposent plus de la possibilité d’ajustement par le taux de change. Une telle déflation pourrait peser sur les perspectives de croissance de l’ensemble de la zone euro.

S’agissant maintenant de la régulation financière qui se dessine, je distinguerai trois piliers.

Premièrement, la régulation des grosses entités bancaires, par application de l’adage too big to fail dont il a déjà été question. Certaines banques ressemblent à des opérateurs de centrales nucléaires. De même qu’il ne suffit pas que l’opérateur n’ait pas envie que sa centrale explose, la crainte de la faillite ne saurait à elle seule responsabiliser la banque. Une telle incitation est insuffisante : il faut également une supervision micro- et macro-prudentielle suivie. C’est ce que l’on tend à mettre en place, après avoir tiré les enseignements de l’affaire Citigroup. Repenser la supervision micro-prudentielle implique que l’on renforce les ratios de capitaux propres en fonction des activités et que l’on réprime le trading pour compte propre afin que les banques laissent cette activité aux hedge funds, dont c’est le métier.

Deuxième pilier, une régulation exercée plus à l’égard des plateformes que des acteurs : il s’agit de s’assurer que l’émetteur de produits dérivés, dont on craint qu’il ne déstabilise les marchés, a les reins suffisamment solides pour payer son assurance. Si tel est bien le cas, il ne voudra pas se prêter à n’importe quelle spéculation, il ne pourra pas déstabiliser les prix. C’est tout le débat sur les credit default swaps – CDS – et sur la création de chambres de compensation centralisées avec des appels de marges suivis. À cet égard, on observe que les marchés dérivés organisés qui existent aux États-Unis et en Europe ont très bien traversé la crise, preuve qu’une telle organisation écarte le risque systémique.

Troisième pilier, la protection du consommateur, qui est d’ailleurs un sujet à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Au moment de la crise des subprimes, de nombreux ménages modestes se sont vus proposer des prêts risqués qu’ils ne pourraient vraisemblablement pas rembourser. Les courtiers en prêts hypothécaires se sont comportés de façon prédatrice face à des consommateurs aux connaissances peu sophistiquées en la matière. Le phénomène n’est pas spécifique à la finance. Dans bien d’autres secteurs, les contrats sont complexes : on ne sait pas très bien ce que l’on paie, on doit affronter des frais inattendus, etc.

La protection du consommateur peut se traduire par un avantage en termes de régulation financière puisqu’elle exige que l’on s’assure dès l’origine que le produit financier est sain et que la probabilité de remboursement est suffisamment élevée.

Le secteur financier, ne l’oublions pas, était déjà régulé avant la crise, et le consommateur bénéficiait d’une protection. Pourtant, la crise est survenue, sans doute parce que les régulateurs, aux États-Unis et en Europe, n’ont pas fait suffisamment attention aux risques que prenaient les banques et ont accepté la formation de poches de dettes hors bilan, voire d’autres pratiques dont il n’est jamais évident de savoir si elles sont nocives avant que tout explose. Il faut donc réfléchir à un déplacement de l’équilibre des pouvoirs entre le régulateur et le régulé, en renforçant les autorités indépendantes et en leur donnant les moyens humains pour exploiter les données et les statistiques qui sont l’essentiel de la finance.

À titre d’exemple, la régulation macro-prudentielle que M. Aglietta appelle de ses vœux suppose que l’on vérifie si tout le monde parie sur la même chose, donc que l’on rassemble l’information et que, le cas échéant, on impose un ratio de capitalisation plus important à ceux qui font les mêmes paris que tout le monde. Tout cela implique que l’on mette à la disposition des régulateurs des moyens humains dont la plupart sont dépourvus.

L’équilibre se déplacerait également si l’on renforçait l’accès public à l’information rassemblée par les régulateurs. On pourrait imaginer que ceux-ci rendent publique l’ensemble de l’information qu’ils détiennent au bout d’un an ou deux, de manière que l’« écosystème de la contestation » – universitaires, journalistes, députés... – s’en saisisse et joue un rôle de contre-pouvoir externe.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Les milieux bancaires et des assurances affirment que l’évolution de la réglementation dans le sens d’un renforcement des fonds propres des banques risque de pénaliser le financement de l’économie, tandis que le projet Solvabilité II – Solvency II en anglais – ferait que les assurances n’investiraient plus autant en actions. Qu’en pensez-vous ?

M. Bourguinat estime que le ratio imposé à l’émetteur de créances doit être bien supérieur à 5 % pour permettre de réguler véritablement la titrisation. Le groupe de travail commun à l’Assemblée nationale et au Sénat a également beaucoup réfléchi à ce sujet. Le gouverneur de la Banque de France et le président de l’Autorité des marchés financiers pensent-il qu’il existe une chance d’y parvenir ?

Tous les intervenants l’ont souligné, on a substitué de la dette publique à de la dette privée. Se posent dès lors la question de la spéculation sur les dettes souveraines et le problème des credit default swaps. Certains veulent interdire les CDS, d’autres voudraient les organiser, moyennant des chambres de compensation, d’autres encore souhaitent interdire leur vente à découvert... Comment voyez-vous les choses ?

M. Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI, a récemment affirmé que les banques centrales devraient relever leur cible d’inflation aux alentours de 4 %. M. Jean-Claude Trichet a immédiatement réagi, estimant « totalement contre-productif d'alimenter des anticipations inflationnistes ». Quelle est votre opinion ?

S’agissant, enfin, des finances publiques grecques, certains soutiennent qu’une intervention du FMI serait une catastrophe pour la crédibilité de l’euro. Pensez-vous qu’une telle intervention est vraiment exclue ?

M. Christian Noyer. Le principe du maintien du risque – calculé sous le contrôle des superviseurs – dans le bilan des banques, afin que l’on puisse surveiller l’évolution de ce risque et fixer des exigences en matière de fonds propres, me semble beaucoup plus important que le quantum.

Bien entendu, plus le quantum sera élevé, plus les banques seront prudentes. Mais plus elles seront prudentes, moins on disposera de financements pour l’économie. S’il n’existait que de la mauvaise titrisation, on l’interdirait ou l’on fixerait des exigences dissuasives en matière de capital. Mais il faudrait alors faire du crédit bancaire à la place, donc trouver du capital et le rémunérer.

C’est une question d’équilibre. Le passage brutal d’un système à l’autre risquerait de réduire les bilans de l’ensemble des agents économiques. Et nous ne sommes pas sûrs de trouver aujourd'hui la règle qui sera jugée optimale dans dix ans...

Il me paraît plus important d’amorcer un changement que de rechercher ce qui serait idéal dans un univers stabilisé au risque de provoquer un problème de financement – d’autant, comme l’a rappelé M. le rapporteur général, que nombre d’autres mesures de régulation sont déjà prises.

Bref, il faut dissuader les banques de prendre des risques excessifs, mais les encourager à prendre tous les risques nécessaires pour le financement de l’économie. Il n’est pas facile de trouver le bon équilibre, d’autant que, pour éviter l’arbitrage réglementaire, nous voulons avoir des règles harmonisées alors que les conditions de financement des économies sont très différentes : en Europe continentale, le crédit bancaire finance 80 % de l’économie et le marché 20 % ; la proportion est exactement inverse aux États-Unis.

Pour ce qui est de l’investissement des compagnies d’assurance en actions, l’Europe a décidé, en avance sur le reste du monde, d’adopter le système Solvency II qui applique au secteur des assurances la philosophie de Bâle II : il sera demandé aux compagnies des fonds propres qui soient fonction des risques réels qu’elles prennent.

La directive qui pose ce principe prévoit notamment la prise en compte de la duration du passif. Ce qui a provoqué la réaction des assureurs français, c’est qu’il a été proposé, au sein du comité européen qui travaille maintenant aux mesures d’application, que l’on établisse, en simplifiant beaucoup, à un an la duration du passif de l’assurance-vie. Il en résulterait que le risque correspondant dans l’actif devrait être calculé sur la volatilité qui peut intervenir à un an. La volatilité des actions sur une telle période étant trop importante, les fonds se reporteraient sur des obligations courtes ou sur des fonds monétaires.

La position française s’explique en partie par le fait que notre pays n’a pas développé de fonds de pension, si bien qu’une grande partie de l’épargne destinée à la période de retraite se retrouve dans l’assurance-vie. De ce fait, la duration du passif de cette dernière est, en France, beaucoup plus importante que la moyenne européenne. Nous avons du mal à faire comprendre cette spécificité à des partenaires qui considèrent que l’épargne de très long terme est celle des fonds de pension et que l’épargne en assurance-vie est beaucoup plus courte. Il nous faudra réintroduire dans le dispositif le principe que la discussion politique du conseil des ministres des finances avait bien dégagé.

M. le président Jérôme Cahuzac. À la détention quantitative, par les banques, de titres qu’elles émettraient, vous préférez donc, M. le gouverneur, une régulation qualitative que vous pourriez exercer – ce qui suppose que vous estimez, au moins à terme, en avoir les moyens.

Quelle est votre position à ce sujet, monsieur Jouyet, et que pensez-vous de l’instauration, évoquée par le rapporteur général, d’une obligation de posséder, à due concurrence, des titres de dettes souveraines pour les acheteurs de CDS couvrant lesdits titres ?

M. Jean-Pierre Jouyet. Pour ce qui est de la titrisation et des obligations quantitatives, je m’en remets à l’appréciation du gouverneur. Il existe un projet de texte européen : il faudra faire avec, quel que soit le sentiment de la France à cet égard. Il appartient au régulateur du marché de veiller à la simplification de ces produits et à la transparence de l’information qui s’y rapporte. Par ailleurs, je partage l’analyse du gouverneur quant à l’utilité de ce type de produits pour le financement de l’économie dans une période de contraction du crédit.

Certes, toutes les mesures de sauvegarde et de précaution sont envisageables : réduire la liquidité en jouant sur les taux d’intérêt, restreindre les déficits, augmenter les ratios prudentiels. Mais tout le problème est de savoir séquencer ces mesures afin d’éviter de tarir le financement de l’économie et de contracter l’activité. Il faut, à l’évidence, prendre la voie tracée par les économistes ici présents ; reste à savoir comment on le fait et à quel rythme, sans quoi il sera difficile de sortir de la reprise molle que certains ont évoquée.

Je souscris aux objectifs mentionnés par le rapporteur général en matière de CDS et de ventes à découvert. Dans ce dernier domaine, il faut que les acteurs indiquent à un certain moment ce qu’ils possèdent comme titres et sous-jacents qu'il est susceptible de devoir livrer. L’Europe est en retard de ce point de vue.

M. le président Jérôme Cahuzac. Préconisez-vous l’interdiction des ventes à découvert ?

M. Jean-Pierre Jouyet. Non, mais il faut que le régulateur puisse en avoir connaissance et qu’elles soient transparentes. En outre, on doit pouvoir déterminer à un moment donné qui est propriétaire d’un titre et capable de le livrer dans un certain délai. Enfin, lorsqu’une valeur est attaquée et connaît une baisse trop importante dans une journée, il faut que l’on puisse interdire la vente à découvert au niveau européen, à défaut de disposer de cette possibilité au niveau international. En effet, ces ventes sont alors des phénomènes spéculatifs qui amplifient les baisses.

En matière de CDS, il faut également rendre la compensation obligatoire afin de permettre aux régulateurs d’intervenir. Comme pour les ventes à découvert, nous devons pouvoir prendre des mesures d’urgence pour interdire le détournement de ces mécanismes de couverture à des fins spéculatives contre des titres souverains ou des titres d’entreprises.

M. Henri Bourguinat. Un quantum de 5 % reste extrêmement faible. On peut l’augmenter, mais il faut surtout souligner que la titrisation est au cœur des événements que nous avons subis. Pour un crédit dérivé synthétique – CDO –, on dénombre pas moins de six stades d’intervention : le courtier, le concepteur du CDO, l’agence de notation, les banques, les responsables, les hedge funds, avec, à chaque fois, des commissions diverses : commissions d’origination, de structuration, de placement... Nous ne maîtriserons pas la sorte de boursouflure qui se créera ainsi sur les marchés. D’ores et déjà, ces opérations de titrisation ont repris à un rythme soutenu, en particulier aux États-Unis – ce qui signifie que le phénomène ne tardera pas à gagner le reste du marché.

M. le président Jérôme Cahuzac. Cela dit, êtes-vous favorable à ce que l’on oblige les institutions bancaires et financières à posséder un certain quantum des titres émis, ou estimez-vous que la régulation qualitative que M. Noyer appelle de ses vœux serait suffisante, dès lors qu’elle serait assortie de règles précises et des moyens correspondants ?

M. Henri Bourguinat. L’importance de l’enjeu justifie que l’on envisage un quantum.

M. Michel Aglietta. La spéculation qui nous gêne est celle dont on pense que les effets macroéconomiques sont dangereux. Mais il existe de bonnes spéculations qui permettent de rendre les marchés plus efficaces, de ramener les prix vers un équilibre, etc.

Le cas auquel nous sommes confrontés est un de ceux où des équilibres multiples sont possibles : dans un certain contexte de politique économique, la Grèce peut se maintenir et maîtriser sa dette ; dans un autre, cela peut ne pas être le cas et l’on se trouve alors dans une situation de rupture potentielle. Ces scénarios, ce sont ceux que projettent les spéculateurs. La Grèce ne pouvant s’en sortir seule, s’ils font le pari que la solidarité européenne ne jouera pas, ils ont tout intérêt à spéculer pour faire basculer ce pays dans le « mauvais » équilibre – de notre point de vue – qui leur rapportera beaucoup d’argent. Si l’organisation de la zone euro lui permettait de faire valoir un engagement de soutien ferme et précis en faveur de la Grèce, la spéculation s’arrêterait sans même qu’il soit besoin de mettre de l’argent sur la table. Dans le cas contraire, elle se poursuivra.

Par ailleurs, le fait de pouvoir acheter « nus » des CDS – qui sont, rappelons-le, des produits d’assurance –, sans disposer du sous-jacent assuré, pose un problème car c’est une manière de spéculer à très bon marché par rapport à d’autres qui reposent sur l’emprunt et sur la vente de titres. Dès lors, le prix des CDS ne correspond plus à la valeur intrinsèque des dettes, avec tous les risques de perversion que cela comporte. Il y a donc une action à mener sur le plan de la réglementation.

M. le président Jérôme Cahuzac. Personne n’a encore répondu au rapporteur général concernant un objectif d’inflation à 4 % et l’éventuelle intervention du FMI en Grèce.

M. David Thesmar. M. Michel Aglietta semble distinguer une « bonne » et une « mauvaise » spéculation.

La bonne spéculation serait celle qui a touché récemment l’euro : les spéculateurs ont estimé que cette monnaie était surévaluée et ils l’ont fait baisser. Comme leur analyse était sans doute juste, ils ont contribué à ramener le taux de change vers sa vraie valeur.

En revanche, la mauvaise spéculation précipite l’événement sur lequel elle parie.

Dans le cas de la Grèce, il n’est pas évident que l’achat de CDS précipitera la faillite du pays. Les émissions grecques sont en moyenne de 15 milliards d’euros. La spéculation faisant passer les taux de 5 à 6 %, son effet se limite à 1 %, soit 150 millions d’euros par an. Ce n’est pas cela qui provoquera la faillite du pays. Mon analyse est que les spéculateurs, par leurs achats massifs de CDS, estiment seulement que la Grèce ne paie pas assez cher au regard du risque de défaut souverain auquel on s’expose en lui prêtant. La spéculation ne fait que révéler les problèmes, et l’on ne peut pas y faire grand-chose.

La question a un lien direct avec les CDS « nus » : lorsque l’on fait un pari sur une évolution, le fait de détenir ou non des obligations n’a pas tellement d’importance ; ce qui importe, c’est que l’on fasse ce pari de manière que le prix révèle le risque réel de faillite grecque. D’un point de vue systémique, en revanche, il faut que la personne qui vend la protection contre la faillite puisse, le cas échéant, honorer son engagement, et l’on en revient à la question des appels de marges : la personne qui vend de l’assurance est-elle capable, avec la collecte des primes, de rembourser en cas de sinistre ? Ce n’était pas le cas pendant la crise et c’est ce qui a gelé les marchés financiers internationaux à la fin de 2008.

Bref, le problème des CDS « nus » n’est pas tant de savoir si l’acheteur dispose du sous-jacent que de savoir si le vendeur de la protection est capable d’honorer son engagement.

De 1883 à 2000, le marché français des actions permettait de réaliser des ventes à découvert nues : le règlement mensuel permettait de ne payer qu’en fin de mois une action achetée au début de mois, et même de faire tourner cette position de manière à ne jamais payer. C’était un fonctionnement standard qui n’a posé aucun problème au marché 120 ans durant. La question des ventes de CDS « nus » n’est donc pas au cœur du sujet de la régulation prudentielle.

Pour ce qui est d’une intervention du FMI, il est bien connu que, lorsqu’un ami accumule les dettes et que vous les lui payez en lui demandant de vous rembourser directement, cela ne va pas sans problème. Celui de l’aléa moral se pose particulièrement dans le cas de la Grèce. Il n’est pas très sain que les principaux partenaires commerciaux et diplomatiques de ce pays soient également ceux qui lui prêtent. Mieux vaut laisser faire le FMI, qui a l’expérience de ces situations, même si son métier n’est pas de prêter de l’argent aux États souverains mais de prêter des devises.

M. le président Jérôme Cahuzac. Quant à l’objectif d’inflation à 4 %, monsieur le gouverneur ?

M. Christian Noyer. M. Jean-Claude Trichet n’a pas été le seul à réagir. Ben Bernanke a dit exactement la même chose et s’en est fort bien expliqué : si une banque centrale porte sa cible de 2 à 4 %, tous les agents économiques penseront qu’elle pourra demain passer à 6, 7 ou 8 %. Lorsque l’on perd sa crédibilité, on la perd complètement.

M. le président Jérôme Cahuzac. Ce que vous nous dites, c’est qu’il n’a pas parlé de 4 % parce qu’il sait que cela va passer à 4 %...

M. Christian Noyer. Pas du tout. Après un changement de cible d’inflation, les gens se mettent à redouter de nouveaux changements. Dès lors, tous les prêteurs, investisseurs et épargnants demanderont une rémunération qui intègre non seulement la nouvelle cible, mais aussi le risque de fluctuation future. Là où ils achètent une obligation assimilable du Trésor français – OAT – à 3,5 % parce qu’ils ont la garantie que la Banque centrale européenne - BCE – tiendra le cap d’un taux légèrement inférieur à 2 % pour les décennies à venir, ils se mettront à demander, comme on l’a constaté par le passé, 7, 8 ou 9 %. Il s’ensuivra un renchérissement du coût des financements et du crédit, donc un coup d’arrêt de la croissance.

Deuxième aspect, si les consommateurs n’ont plus confiance dans la stabilité des prix, la consommation plonge. Les expériences grandeur nature en France et en Allemagne ces dix dernières années l’ont montré lorsque l’inflation est passée, même ponctuellement, à 2,5, 3 ou 4 % sous l’influence des prix du pétrole. De tels coups d’arrêt perturbent les calculs de rentabilité et le premier réflexe des chefs d’entreprise est d’arrêter l’investissement.

Si l’on veut casser la croissance qui est en train de renaître, c’est donc le meilleur moyen de le faire. D’où la vigueur de la réaction des banquiers centraux à ces propos – qui étaient au demeurant des propos de chercheur exprimés sous une forme interrogative.

Quant au Fonds monétaire international – FMI –, le premier intérêt de son intervention lorsqu’un pays en a besoin – outre le financement de la balance des paiements, qui est au cœur du mandat de cette institution – est d’aider ledit pays à mettre au point un programme économique lui permettant de se redresser après un dérapage et, ce faisant, de regagner la confiance des marchés. Dans le cas d’espèce, une vaste discussion s’est engagée au niveau européen. Les marchés n’ont pas jugé crédible le premier programme du gouvernement grec. Un second programme très courageux, élaboré avec l’assistance des équipes techniques de la Commission européenne, de la BCE et du FMI, a été voté par le Parlement grec en quelques jours. Il est, de notre point de vue, totalement crédible. Je ne vois pas ce que le FMI pourrait apporter de plus aux recommandations qu’il a déjà formulées au niveau technique. Il faut maintenant convaincre les marchés qu’ils doivent prendre en compte ce programme.

La possibilité d’une intervention du FMI reste ouverte puisque tous les États de l’Union européenne sont aussi membres du Fonds. Il nous semble pourtant que les choses pourraient se remettre naturellement dans la bonne direction et que les marchés pourraient s’en convaincre.

M. Pierre-Alain Muet. M. Aglietta rappelle à bon escient que le rôle originel d’une banque centrale est double : s’occuper de politique monétaire, certes, mais aussi de régulation. C’est de cette façon que la Banque de France s’est construite. Le débat sur la Grèce a montré en outre qu’il est nécessaire d’avoir une solidarité financière. C’est un aspect qui va de soi dans un État mais nous ne l’avons pas traité lorsque nous avons construit l’union monétaire.

La crise révèle donc que deux composantes manquent : la régulation et la solidarité financière entre les États, ce qui nous conduit à poser la question, quelque peu paradoxale, de l’intervention du FMI pour un membre de l’union monétaire.

Au lendemain de sa prise de fonctions en mai 2009, Jean-Pierre Jouyet disait que l’Europe était en passe de devenir une jungle financière et il dressait, dans un article très intéressant, la liste de tous les pas qu’il fallait accomplir en matière de régulation des ventes à découvert, des produits d’épargne, des produits dérivés. Les exposés de nos intervenants montrent que, malgré quelques avancées, on reste loin du but.

Le vrai sujet de la régulation, c’est que les banques doivent faire leur travail, à savoir détenir des dépôts et émettre des crédits. Cela pose la question de la séparation entre cette activité traditionnelle de dépôt et de crédit, qui est une sorte de service public, et la spéculation sur les marchés. Cette séparation a existé pendant longtemps. Les États-Unis redécouvrent le problème sous une autre forme : quand une banque d’investissement est très grosse, elle fait peser des risques systémiques sur les autres banques. De ce point de vue, est-il normal de limiter à 5 % la conservation des risques de crédits qu’une banque prend ? Il y a vingt ans, cela aurait choqué tout le monde, y compris les banquiers. M. de Larosière avait naguère proposé 10 % puis est revenu à 5 %. Il est dommage qu’il ne soit pas parti de plus haut ! Quoi qu’il en soit, tant que l’on ne sait pas maîtriser qualitativement la titrisation – ce qui est encore le cas, malheureusement –, il faut des règles prudentielles plus strictes.

Le président Obama propose d’interdire à toute institution bancaire qui collecte des dépôts de spéculer pour son compte propre, d’investir dans des hedge funds ou de les gérer. L’Europe devrait se poser la même question. J’aimerais avoir l’avis des intervenants sur ce sujet.

M. Christian Noyer. Je suis favorable à la règle des 5 % et je ne suis nullement opposé à ce que l’on aille plus loin. Néanmoins, comme l’a dit Jean-Pierre Jouyet, le plus important est que les mécanismes soient clairs et transparents. Si l’on fait de la « titrisation de titrisation de titrisation » reposant sur trente-six sortes de crédit à la base sans que personne – y compris les vendeurs et les acheteurs de ces produits – n’y comprenne rien, on court à la catastrophe.

En revanche, la titrisation de crédits bien définis – par exemple du crédit hypothécaire accordé, dans tel pays ou dans telle région, à des personnes ayant tel type de revenus, etc. – peut être un produit simple et relativement transparent, surtout s’il est traité en central, avec une contrepartie, un registre, en donnant au régulateur de marché la capacité d’intervenir et à la banque centrale celle de suivre les opérations et d’apporter du financement. Dans ce cas de figure, on n’est certes pas garanti contre tous les risques, mais on est dans un univers qui n’a rien à voir avec le mode de titrisation qui a déclenché la crise. Selon moi, lorsque l’on met beaucoup de régulation, d’organisation et de transparence dans les produits, on règle 95 % des problèmes. J’estime que cet aspect est plus important que la règle des 5 ou des 10 %.

Pour ce qui est de l’interdiction de spéculer pour compte propre, il est très difficile, juridiquement, de distinguer entre un market maker – un spécialiste de valeurs du Trésor, par exemple –, qui achète ou vend pour compte propre en fonction de sa clientèle, afin de contrer les risques dans son bilan, et un opérateur qui prend volontairement de grands risques spéculatifs. Plutôt qu’une interdiction, la solution pourrait être de donner au superviseur la possibilité de décourager ceux qui accumulent des positions trop risquées en leur demandant un énorme capital en contrepartie. Nous travaillons au niveau international à des règles simples à proposer aux différents législateurs.

Pour ce qui est des hedge funds, ce qui me préoccupe, plus encore que la propriété, c’est la capacité de refinancement – le fait que certaines banques se refinancent auprès des banques centrales, à très bas taux, pour refinancer elles-mêmes certaines opérations. L’intuition américaine visant à ériger une barrière va dans le bon sens.

M. Jean-Pierre Jouyet. Cela me paraît aussi être une bonne orientation.

L’idée d’immuniser les activités bancaires traditionnelles contre les activités de marché me semble quelque peu illusoire – j’aimerais que cela soit possible, mais l’interaction est aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, assez forte. La première banque victime de la crise, Northern Rock, au Royaume-Uni, était une banque très traditionnelle qui n’avait pas d’activité de marché importante.

M. Henri Emmanuelli. Mais elle ne distinguait pas les deux activités.

M. Jean-Pierre Jouyet. Ce qui me semble important, c’est de renforcer les règles prudentielles : que les ratios imposés soient différents selon qu’il s’agit d’activités traditionnelles – crédit, financement de l’économie – ou d’activités de marché pour compte propre, lesquelles doivent être renchéries. Les couvertures de défaillance ou credit default swaps font partie de ces activités qui devraient être renchéries, et je rejoins à propos des CDS « nus » les observations de M. Thesmar, que nous essayons de faire partager aux autres régulateurs.

Enfin, monsieur Muet, il est vrai que l’Europe n’a pas assez avancé. Pendant un an, et pour diverses raisons – élections au Parlement européen, renouvellement de la Commission, mise en œuvre d’un nouveau traité – aucune législation quasiment n’a été adoptée. Je comprends les déceptions que cela suscite. Il faut mettre les bouchées doubles pour combler le retard.

Quant à la Grèce, je partage l’avis du gouverneur. Le FMI demande des mécanismes de surveillance. Cela doit être fait. Ce que les marchés, eux, demandent au régulateur, c’est une solution stable, avec un monitoring fiable, purement européen ou en coopération avec le FMI puisque l’Europe ne dispose pas encore des outils adéquats – bien qu’il ne soit sans doute pas bien difficile, entre la Banque centrale européenne, le club de Paris et la Commission, de les mettre en place. Ce dont ils ne veulent pas, ce sont de nouvelles rustines tous les trois mois. Afin d’éviter la contagion, il faut exercer une surveillance rigoureuse pour s’assurer, d’ici à un an, d’une bonne visibilité de la situation grecque.

M. Jérôme Chartier. Je voudrais connaître le sentiment du nouveau président de la Banque des règlements internationaux – BRI – sur les conséquences de la parité, artificielle à mon sens, entre le yuan et le dollar sur la croissance française et sur nos exportations. Et que pense-t-il des obligations à l’habitat qui pourraient être créées par le projet de loi de régulation bancaire et financière, afin de plus ou moins remplacer les covered bonds et généraliser les obligations foncières actuelles ? Auraient-elles un accès direct à la « monnaie banque centrale » en cas de baisse des liquidités sur les marchés ? Par ailleurs, on sait que les actifs en actions détenus par les assurances françaises – 352 milliards d’euros en 2008 – constituent une partie des noyaux stables des entreprises françaises. Si Solvency II n’est mis en place qu’à l’échelle européenne, ces entreprises ne courent-elles pas un risque de déstabilisation, à court ou moyen terme ?

Enfin, une question au président de l’Autorité des marchés financiers : à l’heure où 60 % des échanges sont automatisés, ce qui rend la régulation nettement plus difficile, l’AMF a-t-elle les moyens informatiques, technologiques et humains de mener ses missions ?

M. Christian Noyer. Pour ce qui est des parités monétaires, le problème fondamental est celui des déséquilibres mondiaux. Pendant au moins deux années avant la crise, nous avons connu une situation où les banques centrales relevaient régulièrement leur taux d'intervention pour accompagner la croissance assez forte des économies et pour éviter les risques d’inflation, alors que les taux d’intérêt à long terme restaient incroyablement bas. Comment expliquer cette bizarrerie – le fameux conundrum d’Alan Greenspan ? En particulier par le fait que les énormes liquidités des réserves de change des pays très excédentaires, tels la Chine ou les pays pétroliers, venaient se déverser sur les marchés obligataires, les taux des obligations d’État étant alors poussés à des niveaux très bas. Un certain nombre d’investisseurs, trouvant les rendements trop faibles, se sont donc tournés vers des actifs de plus en plus risqués. Cette recherche de titrisations extrêmement complexes pour essayer de grappiller un peu plus de rendement a été l’un des moteurs de l’accumulation des risques avant la crise.

Cette question des déséquilibres mondiaux est absolument cruciale. Si le G20 ne parvient pas à la traiter, les risques d’un nouvel atterrissage brutal ne sont pas écartés.

La question des bonnes parités de change n’est qu’un élément de la question. Depuis les années soixante-dix, nous vivions dans un système Bretton Woods 2 fondé sur la flexibilité du taux de change entre les grandes monnaies mondiales, le G7 veillant à ce que les fluctuations ne soient pas trop extrêmes et à ce que les parités restent en ligne avec les évolutions de pouvoir d’achat et de productivité. C’est un système qui fonctionne lorsque de petites monnaies souhaitent rester accrochées à une grande pour des raisons de crédibilité. Mais nous avons changé d’univers quand la monnaie de l’une des toutes premières zones économiques a fait comme si nous étions toujours sous Bretton Woods 1 – et encore, sans les ajustements de parité qui étaient prévus, sous la surveillance du FMI, si des différences de compétitivité ou de productivité créaient des déséquilibres de balance des paiements trop importants.

Le système actuel est instable. Il faut le faire évoluer, mais cela dépend d’une négociation internationale très compliquée.

Quant aux obligations à l’habitat, j’attends cette réforme avec impatience. À côté des obligations foncières, les autres obligations sécurisées françaises n’ont qu’un défaut : elles ne remplissent pas tous les critères de la directive UCITS d’harmonisation de la distribution des fonds de valeurs mobilières. Nous les prenons aujourd’hui à titre de collatéral, mais à terme, l’eurosystème ne prendra plus que des obligations sécurisées répondant à tous les critères de la directive. Les obligations à l’habitat ont vocation à être du collatéral pérenne, pouvant servir aux banques françaises pour se refinancer auprès de la Banque de France.

Concernant Solvency II, j’ai peu de choses à ajouter. Faute de dispositif de calcul des actifs à mettre en contrepartie des engagements pris au titre de l’assurance-vie, nous courrons certains risques, dont celui d’une déstabilisation de la composition du capital des entreprises. Même en restant rigoureusement dans le cadre de la recherche de la sécurité financière et du bon équilibre des sociétés d’assurance, ce qui est le seul mandat que j’ai reçu, il faut plaider pour une adéquation entre la durée de l’engagement et celle des actifs, sans quoi le dispositif n’est pas satisfaisant et la sécurité non optimale.

M. Michel Aglietta. À propos de la Chine, la possibilité que des modifications du change fassent bouger les équilibres globaux était très largement une illusion. La première raison en est que la Chine accomplit essentiellement du process trade : dans ses exportations vers les pays occidentaux, on ne trouve que 15 à 17 % de valeur ajoutée en Chine. L’essentiel est importé avant de repartir. Si la Chine apprécie son change, elle paiera moins cher ses imports qui entrent dans la production des exports et l’impact sur le commerce extérieur sera au final relativement faible. L’autre raison est que si les Américains n’augmentent pas leur taux d’épargne, ce seront probablement d’autres pays que la Chine qui prendront le relais. Ce qui compte, dans un monde globalisé, ce sont les équilibres multilatéraux, pas bilatéraux.

Néanmoins, dans les années qui viennent, la croissance occidentale sera significativement plus faible qu’auparavant. En conséquence, le type de croissance qui permettait le rattrapage économique des pays émergents, tournés vers l’Occident, ne suffira pas. Leurs gouvernements sont en train de comprendre qu’ils sont obligés de redéployer leur croissance, entre eux et à l’intérieur. Une modification assez profonde du régime de croissance va se produire. Dans ce contexte, les Chinois n’auront plus intérêt à maintenir leur taux de change actuel.

La seule question qui se pose est celle de l’opportunité. Je pense qu’elle se présentera probablement cette année, à l’occasion par exemple d’une reprise de l’inflation que les instruments monétaires dont le gouvernement dispose ne suffiraient pas à maîtriser. Mais c’est cette modification irréversible du régime de change qui va se produire qui est importante, pas celle du niveau de change.

M. Dominique Baert. Sachant que le pic de défaut des entreprises n’est sans doute pas encore atteint et que la part des créances douteuses dans le bilan des banques s’est significativement accrue ces dernières années, qu’en est-il de la situation financière des banques françaises ? Doit-on redouter des conséquences sur la distribution du crédit dans un avenir proche ? Et que penser du secteur des assurances, alors que la dégradation économique risque de provoquer une dégradation des portefeuilles d’obligations d’entreprises et que, s’agissant des obligations en risque souverain, la remontée attendue des taux longs influencera également les actifs ?

S’agissant du marché des CDS libellés en euros, soit près de 40 % du total, on semble s’accorder sur la nécessité d’une chambre de compensation spécifique, ayant accès à la liquidité de la banque centrale en euros et localisée en zone euro. Quand sera-t-elle mise en place, ou quels sont les obstacles ? Enfin, le rôle des agences de notation a beaucoup été évoqué au lendemain de la crise financière. Il a été plaidé pour qu’elles soient enregistrées, pour que les méthodes de notation soient plus transparentes ou même pour une différenciation des échelles de notation entre les produits obligataires et les produits structurés. Où en est-on de ces dispositifs de régulation ?

M. Charles de Courson. Quel est votre sentiment sur le risque d’insolvabilité de certains États européens et sur la possibilité de se doter de dispositifs d’intervention tels qu’un fonds monétaire européen ? En bref, l’actuel système monétaire international peut-il encore durer ? Quant au renforcement des critères de ratios de fonds propres de Bâle II ou Solvency II, vous semble-t-il à la hauteur du risque systémique des grands établissements bancaires ou d’assurance ? Que pensez-vous de l’idée de créer un fonds de garantie européen du risque systémique ?

Ne faudrait-il pas par ailleurs renforcer l’encadrement de la spéculation sur les marchés à terme en créant un système de dépôt de garantie – qui a d’ailleurs déjà existé – plus significatif et exiger la création de filiales dédiées à la spéculation, avec des ratios de fonds propres très élevés ? Enfin, est-on allé assez loin dans la réforme du mode de rémunération des traders et des dirigeants dans les banques et les assurances, qui leur permettait, en cas de pertes, de ne rien perdre, et en cas de gains, de se les partager ?

M. Jacques Myard. Les problèmes européens ont fait apparaître un besoin de régulation, c’est indubitable. Mais le traité de Maastricht invitait justement les banques centrales à mener une politique prudentielle. Jusqu’à la faillite, le système européen n’y a pas donné suite.

Le gouverneur a parlé d’une stratégie de consolidation budgétaire pour les États. Comment peut-il en même temps imposer une purge budgétaire à la Grèce – qui rappelle étrangement la politique de Laval, qui s’est terminée comme on sait ? Je ne comprends pas. Il est question d’accélérer les réformes structurelles, mais quand une monnaie unique a atteint ce degré d’effets pervers, c’est justement un problème structurel ! M. Aglietta a parlé de l’aide des États européens à la Grèce, mais le problème n’est pas conjoncturel, il est structurel – il s’agit de la perte de compétitivité de l’économie grecque vis-à-vis de la France et de l’Allemagne, qui ne sera pas résolue par des prêts du FMI ou de l’Union. On sait très bien comment se termine une monnaie unique dans ce genre de cas : par transfert, les riches payant pour ceux qui n’ont pas su se maintenir au-dessus de la ligne de flottaison. Il faut regarder la réalité en face. Aujourd’hui, l’Europe fait la politique de l’autruche face à la crise grecque.

M. Michel Aglietta. Pour ce qui est de l’insolvabilité des États européens, il y a une ambiguïté : la soutenabilité d’une dette n’est pas définie à un niveau donné. D’après les simulations que nous avons faites, mettant en rapport l’excédent primaire qui peut être obtenu par un État – la capacité à lever l’impôt – et celui qui permettrait à la dette de s’équilibrer à moyen terme, on parvient à des situations d’équilibre qui sont toutes, sauf pour la Finlande, bien au-dessus des 60 % totalement arbitraires posés par Maastricht. S’obstiner à revenir très vite à 3 % de déficit pour redescendre à 60 % de dette mènerait tout droit au désastre – soit à la fermeture des frontières et à l’inflation, soit à des insolvabilités majeures. Ce qu’il faut, ce sont des logiques de consolidation qui permettent à la dynamique de la dette de progresser suffisamment pour se stabiliser. Plus le niveau de stabilisation est haut – on arrive à 170 % pour l’Irlande et 180 % pour la Grèce – plus la situation est dangereuse : nos simulations sont fonction d’hypothèses de croissance et de taux d’intérêt, sachant que les pays qui atteignent ce niveau peuvent basculer dans l’instabilité au moindre choc défavorable.

Certains des problèmes de la Grèce sont liés à des difficultés de liquidités ponctuelles. Pour que la situation n’empire pas, il faut aider ce pays à les dépasser. Mais il faut surtout une politique de long terme. Si nous nous reportons à l’expérience des dettes de guerre, il aura fallu quinze à vingt ans pour ramener progressivement vers le bas un ensemble de dettes. Aujourd’hui, tous les pays d’Europe sont en difficulté, sans oublier les États-Unis. Il est clair que le processus prendra beaucoup de temps et que le niveau de dette d’équilibre sera élevé – entre 80 et 120 % selon les pays. Les discours politiques, en Allemagne par exemple, qui évoquent un retour à 60 % en 2013, sont, si ce n’est pas une plaisanterie, carrément dangereux.

M. David Thesmar. Le risque d’insolvabilité concerne aussi d’autres pays. Quand un pays est endetté, il ne s’agit pas forcément de son État : ses ménages et ses entreprises, comme c’est le cas pour la Grèce, ou son secteur financier, comme en Espagne, peuvent être endettés. On peut alors imaginer une série de défauts bancaires ou de tensions très fortes sur ses institutions financières. Quand on s’endette dans sa propre monnaie, une façon facile de renégocier la dette est de dévaluer. Quand on s’endette dans la monnaie des autres, ce qui est d’une certaine façon le cas avec l’euro, l’alternative, qui se présente aussi bien pour la Grèce que pour l’Espagne, est soit un défaut partiel, soit dix ans de déflation ou en tout cas de très forte désinflation compétitive. Le défaut partiel est déjà arrivé – en Argentine récemment, en Russie à la fin des années quatre-vingt-dix. On peut faire défaut sur la dette souveraine. Ceux qui ont acheté des obligations ont d’ailleurs reçu une prime de risque correspondant à une probabilité de défaut. C’est certainement la seule solution.

Il ne faut pas s’imaginer que le FMI peut faire des miracles pour les États insolvables, sauf s’il ne s’agit que d’un problème de liquidités – c’est-à-dire que l’État ne parvient pas à se refinancer pour des raisons temporaires. Le dernier placement d’obligations grecques sur le marché primaire s’est très bien passé, à un taux correct. Même le risque de liquidité sur la dette grecque ne me saute pas aux yeux.

M. Henri Bourguinat. Pour ce qui est du renforcement des ratios de fonds propres, il faut relativiser : avant la première guerre mondiale, ils atteignaient 20 à 25 % dans les banques britanniques, contre 7 ou 8 % aujourd’hui. Et il ne faut pas oublier une chose essentielle : les ratios sont des rapports entre deux termes – les capitaux propres et les engagements ajustés du risque – qu’il faut considérer tous les deux. Avant la crise, aux États-Unis, les exigences de fonds propres pour certains produits structurés classés actifs de trading étaient quatre à cinq fois plus faibles que pour un crédit ordinaire, et donc très éloignées de la réalité. Il faut s’intéresser à la fois au numérateur et au dénominateur, et cela causera des surprises.

Quant à la question de la rémunération des dirigeants, qui suscite moult réactions, je reprendrai la formule d’Adair Turner, président de l’autorité bancaire britannique : c’est une diversion populiste. Il ne faut pas y accorder trop d’importance. Ainsi, des mesures ont déjà été trouvées pour neutraliser les décisions prises, notamment la fameuse taxe envisagée à Londres : les banques américaines ont rapatrié les rémunérations aux États-Unis, la partie fixe de la rémunération a été développée…

J’avais suggéré, début 2009, à la suite de l’Américain Raghuram Rajan, de tenir compte du bonus et du malus, mais je pense aujourd'hui que c’est impossible. Mieux vaut ne pas se focaliser sur le revenu des traders. En revanche, les rémunérations des dirigeants de banques ont atteint des niveaux fantasmagoriques qui laissent tout raisonnement économique sans objet. Un banquier, même assez neuf dans la profession, gagne trois cents fois ce que gagne un chef de clinique. Sans même parler de ces pauvres choses que sont les professeurs d’université – j’en connais un dont l’ancien assistant, devenu banquier tout à fait estimable et compétent, gagne quatre cents fois plus ! Cela ne peut pas se ramener à une question d’efficacité : on peut être efficace sans de telles rémunérations. Et sur le plan de l’équité, je laisse à chacun le soin de se faire une opinion.

Mme Marie-Anne Montchamp. La prévention des risques systémiques est une opération extrêmement complexe. Il faut tout à la fois analyser les options politiques plus ou moins explicites prises par les États, comme dans la crise des subprimes – compenser la régression des revenus des ménages en facilitant l’accès au crédit –, prendre en compte des situations de fait telles que celle que décrivait le gouverneur à propos des réserves de change des pays émergents – mais avant l’apparition des symptômes bien sûr, sans quoi il ne s’agirait plus de prévention – et veiller à ce que le régulateur ait la capacité de tenir compte de ces observations aussi objectives que possible, le tout en s’occupant d’assurer la plasticité des règles prudentielles, qui devraient pouvoir évoluer dès qu’une hypothèse de risque systémique est identifiée.

Toutefois, la notion de prévention reste, en dépit de cette complexité, extrêmement tentante si l’on prend en considération le traumatisme que les différentes vagues de crise ont provoqué chez nos compatriotes. Que pouvez-vous nous en dire ?

M. Louis Giscard d’Estaing. Concernant l’insolvabilité des États, il n’a pas été question de l’Islande, un petit pays certes, mais qui n’était concerné ni par l’euro, ni par le traité de Maastricht. Quelle lecture en faites-vous ?

Sur la question des critères de renforcement des fonds propres, des différences fondamentales existent entre les États-Unis et l’Europe sur la part du secteur bancaire dans le financement de l’économie par rapport aux marchés financiers. Par quel processus les critères vont-ils être déterminés au plan international ? Vous avez fait référence aux législateurs : lesquels seront conduits à se prononcer ?

Enfin, à propos de la lutte contre certaines dérives spéculatives, j’aimerais connaître le sentiment du président de l’Autorité des marchés financiers sur le problème de la cotation en continu. Ai-je bien compris que vous souhaitiez appeler notre attention sur la faculté d’arrêter une cotation à un moment donné ?

M. Christian Noyer. Monsieur Baert, à l’instar des superviseurs, les banques n’ont pas immédiatement compris ce qui se passait. Deux phénomènes se sont produits.

Premièrement, il faut savoir que la valeur de certains produits est réactualisée lors de chaque arrêté comptable trimestriel, en fonction des mouvements des marchés. Pour ces actifs, les règles comptables usuelles conduisaient en toute logique à dégager de nouvelles provisions au fur et à mesure de la dépréciation de leur valeur, en particulier lorsque certains rehausseurs de crédit américains étaient dégradés ou au bord de la faillite.

Deuxièmement, une récession génère des besoins de provisions mais ceux-ci sont incertains. La vraie solution consisterait à créer un système de provisionnement dynamique ou prospectif. Le risque de défaut serait calculé sur un cycle complet : une fraction des crédits des portefeuilles serait provisionnée chaque année, afin d’éviter un provisionnement trop procyclique, en phase d’effondrement, alors que les banques subissent déjà des pertes et font l’objet de défiance. Cette méthode est probablement la meilleure voie, mais elle va à l’encontre de la tendance des comptables à ne passer dans les écritures que les mouvements constatés. La banque d’Espagne – investie par le parlement espagnol d’un pouvoir spécifique sur le système bancaire – a eu la bonne idée de l’instituer. Nous nous appuyons sur cet exemple pour essayer de dégager un consensus international.

Monsieur de Courson, madame Montchamp, je me méfie beaucoup, à titre personnel, d’une taxation qui constituerait comme une prime d’assurance. Lorsqu’un drame comme celui que nous venons de vivre survient, l’intervention publique est la seule solution. Proposer une assurance contre la faillite reviendrait à institutionnaliser le hasard moral. Je préférerais que l’on s’oriente vers une transformation des fonds de garantie.

Le système de fonds de garantie français, conçu naguère par M. Strauss-Kahn, a déjà une capacité d’intervention ex ante. Il peut être mobilisé par anticipation pour prendre le contrôle d’un établissement en difficulté et le restructurer, mais il possède peu de moyens – le fonds espagnol, pensé un peu selon le même modèle, en a quatre ou cinq fois plus. Un fonds européen de réassurance alimenté de contributions et doté d’une capacité d’anticipation d’intervention pourrait être imaginé ; il servirait de défense de premier niveau, qui protégerait les finances publiques.

Du reste, pour lutter contre le hasard moral, au lieu de renflouer massivement des banques, comme cela a été fait aux États-Unis, au Royaume-Uni ou dans d’autres pays européens, les États devraient pouvoir organiser de façon ordonnée leur démantèlement. Après tout, il y a quelques années, une banque publique, le Crédit Lyonnais, a payé le prix de ses prises de risques excessives : après découpage, le plus gros morceau est devenu filiale d’un autre groupe bancaire.

Monsieur Myard, le Traité de Maastricht comportait bien une disposition sur la politique prudentielle, mais celle-ci ne peut être activée que par décision unanime des États membres, ce qui n’a pas été le cas. La BCE n’a donc reçu aucun mandat de cette nature. En revanche, le Conseil du risque systémique en cours de création, sur la base du rapport rendu par Jacques de Larosière, constitue une réponse. Il restera à faire vivre cette instance, à identifier les risques et à proposer des mesures européennes ou nationales correctrices. Se forcer à analyser le problème en continu est très positif.

Le problème fondamental de la Grèce tient à la compétitivité. Un pays qui entre dans une union monétaire doit prendre en compte la projection d’inflation correspondant au mandat donné à la banque centrale. En l’occurrence, la BCE fait tout pour maintenir une inflation proche de 2 %, moyenne des douze dernières années. S’il laisse évoluer les coûts de production, qu’il s’agisse des salaires ou des profits, dans des proportions sans rapport avec la perspective d’inflation augmentée des gains de productivité, un pays perd de la compétitivité. S’il le fait pendant dix ans, il en perd beaucoup et, faisant partie d’une union monétaire, son seul moyen d’ajustement relève de la sphère réelle : il doit envisager de rétablir le niveau des salaires. Il est certes très difficile politiquement et socialement de réduire les salaires de 10 % ; mais cela n’est pas sans lien avec le fait de les avoir laissé accroître de 7 % par an pendant des années.

Nous autres Européens ne donnons pas suffisamment en exemple les grands principes sur lesquels nous avons assis notre régulation. Les subprimes étaient considérées favorablement par nombre de dirigeants américains. Mais ces crédits étaient packagés, titrisés et distribués par les banques d’investissement, lesquelles, à l’époque, n’étaient réglementées que sous l’angle des opérations de marché, mais nullement régulées par la Federal Reserve - Fed – en leur qualité d’institutions financières. Ces produits étaient injectés dans des conduits, sortes d’OPCVM – organismes de placement collectif en valeurs mobilières – sans supervision. Nos amis américains pourraient s’inspirer utilement du système européen, que ce soit pour les activités de crédit, de marché financier ou d’investissement ! Notre principale faute a été de laisser nos investisseurs bancaires opérer trop facilement avec des produits américains qui profitaient de trous de réglementation béants. Soyons fiers de notre système, même si nous savons que nous devons encore accomplir beaucoup de progrès.

Monsieur Giscard d’Estaing, lorsqu’un accord aura été trouvé à Bâle pour établir des règles mondiales uniformes à propos des fonds propres, il reviendra au Parlement européen et au Conseil des ministres de lui donner sa traduction juridique pour l’Europe, au moyen d’une directive modifiant la directive européenne relative aux exigences de fonds propres, – CRD ou Capital Requirements Directive –, qui devra ensuite être transcrite par le Parlement français.

M. Michel Aglietta. La prévention du risque systémique passe d’abord par une vision plus dynamique des provisions et obligations en capital, liée à une gestion prudentielle du cycle financier. Il reste un problème de fond : la nécessité d’exercer une veille. Je répète que je suis favorable à la création du Conseil du risque systémique, mais il importe aussi de se doter d’outils dont le principal consisterait en des tests de stress macroéconomique. Les États-Unis en ont fait entre février et avril 2009, c’est-à-dire a posteriori, alors qu’il conviendrait de réfléchir a priori. Le risque systémique résultant d’interdépendances, il n’est pas pris en charge par les acteurs pris individuellement. Les hypothèses du test de stress doivent donc être définies par le superviseur, en principe la banque centrale. Celle-ci fait calculer par les banques le montant de leurs pertes potentielles, agrégées après plusieurs itérations, ce qui permet d’obtenir une vision d’ensemble.

Il convient par ailleurs de généraliser aux grosses institutions l’action correctrice précoce, déjà en vigueur aux États-Unis pour les banques commerciales, sous l’autorité de la Federal Deposit Insurance Corporation – FDIC –. Lorsque le superviseur, informé par les tests, constate une dégradation de la situation financière, il a alors la possibilité d’obliger les institutions à modifier leur attitude, par exemple à accroître leur capital ou à cesser de distribuer des dividendes.

M. Jean-Pierre Jouyet. Monsieur Chartier, s’agissant de la surveillance, trois évolutions sont nécessaires. Premièrement, un rapport devrait être rendu au régulateur pour chacun des marchés, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, notamment pour les marchés de gré à gré. Deuxièmement, la coopération internationale entre régulateurs devrait être améliorée afin de centraliser les informations Troisièmement, grâce aux innovations technologiques, nous parvenons à peu près à suivre les mouvements de marché, mais pas les mouvements sur les marchés de gré à gré, nos moyens d’expertise et de systèmes de reporting étant insuffisants pour détecter les abus de marché à la nanoseconde, sur un modèle mathématique particulier, ou bien les manipulations d’un trader, qui joue sur un dixième de point, entre Londres le matin et Shanghai ou Hongkong l’après-midi, sans prendre le moindre risque ; compte tenu du morcellement, de la sophistication et de l’éclatement des marchés, cela constitue une faille dans le dispositif de régulation dont vous nous avez confié la charge.

Monsieur le président de la Commission, la protection des épargnants est essentielle car, sans confiance, les marchés ne peuvent pas reprendre, les risques ne peuvent pas se dissiper. Nous devons savoir qui vend quel produit à qui et vérifier que les consommateurs sont suffisamment informés de la nature de ce qu’ils achètent. C’est pourquoi l’AMF a mis en place une direction des relations avec les épargnants. Et nous allons travailler avec l’Autorité de contrôle prudentiel, dans le cadre du pôle commun, pour entreprendre sur le terrain des actions d’achat mystère ou de contrôle mystère.

L’industrie financière est sans doute la moins contrôlée pour ce qui est de la protection des consommateurs et de la qualité des produits vendus ; il est parfois difficile de trouver le responsable. Des efforts sont accomplis, grâce notamment à de nouvelles directives, mais ils sont sans commune mesure avec les contrôles imposés par le législateur aux fabricants de jouets, aux vendeurs d’automobiles ou aux médecins prescripteurs. Je sais que plusieurs d’entre vous sont très sensibles à ce problème.

Monsieur Baert, pour les CDS, une plateforme de compensation regroupant plusieurs banques doit être mise en place le 29 mars. Elle doit être internationalisée au maximum. Le gouverneur et moi-même sommes en discussion avec les régulateurs américains afin de déterminer le champ des échanges d’informations voulu et les systèmes de garanties et de reporting requis pour que l’action de la plateforme soit la plus complète possible. Cela correspond à un souhait des régulateurs américains, qui sont confrontés à un système de compensation monopolistique et attendent une diversification de l’offre. Objectivement, qu’un organisme soit implanté dans la zone euro ou ailleurs, ce n’est pas leur problème ; ils se préoccupent uniquement de sécurité. Évidemment, nous vous soumettrons l’accord obtenu avec les autorités américaines, qui devront de leur côté en rendre compte au Congrès.

S’agissant des agences de notation, les directives prévoient des dispositifs visant à éviter les conflits d’intérêts, en particulier sur les produits structurés – en Europe comme aux États-Unis et au Japon, l’essentiel de l’assainissement se porte sur ces derniers. Nous allons ensuite contrôler les méthodologies, demander à ce que des responsables soient désignés et différencier les notations entre produits complexes et produits plus classiques.

Que M. de Courson soit rassuré, les chambres de compensation sont précisément faites pour exiger des dépôts de garantie et des appels de marges, avec des niveaux de capitaux permettant d’intervenir sur les marchés. Les chambres de compensation constituent l’un des points cardinaux de la régulation.

Monsieur Giscard d’Estaing, il n’est envisageable de recourir à une interruption de la cotation en continu que dans des cas extrêmes. Nous souhaitons appliquer une gradation des interventions et nous doter de mesures financières d’urgence, aux échelons national et européen, pour mettre fin à des mouvements spéculatifs en « refroidissant » le marché.

M. David Thesmar. Je ne suis pas de près la question des chambres de compensation, mais l’un des principaux problèmes me semble être celui du moins-disant réglementaire : si une chambre nationale impose des dépôts de garantie importants, elle risque de faire partir les acteurs concernés à l’étranger.

Par ailleurs, si les actifs sont très différents, ils ne sont pas liquides. Il existe donc une tentation de standardiser de force les actifs échangés de gré à gré. Or, s’ils sont échangés de gré à gré, c’est précisément parce qu’ils sont très spécifiques et différents les uns des autres. Il convient plutôt de confier à des task forces la tâche de suivre les produits en permanence et de les faire migrer dès qu’ils atteignent la masse critique.

M. le président Jérôme Cahuzac. Messieurs, je vous remercie.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 24 mars 2010 à 16 h 15

Présents. - M. Dominique Baert, M. Gérard Bapt, M. Jean-Marie Binetruy, M. Pierre Bourguignon, M. Jérôme Cahuzac, M. Bernard Carayon, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Yves Censi, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. René Couanau, M. Charles de Courson, M. Jean-Yves Cousin, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, M. Michel Diefenbacher, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, M. Jean-Michel Fourgous, M. Marc Francina, M. Daniel Garrigue, Mme Annick Girardin, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Marc Goua, Mme Arlette Grosskost, M. Laurent Hénart, M. François Hollande, M. Jean Launay, M. Jean-François Mancel, M. Jean-Claude Mathis, Mme Marie-Anne Montchamp, M. Pierre-Alain Muet, Mme Béatrice Pavy, M. Jacques Pélissard, M. Nicolas Perruchot, M. Alain Rodet, M. Michel Sapin, M. François Scellier, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier

Excusés. - M. Michel Bouvard, Mme Chantal Brunel

Assistait également à la réunion. - M. Jacques Myard

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