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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 30 juin 2010

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 96

Présidence de M. Jérôme Cahuzac, Président
puis
de M. Christian Eckert,
Doyen d’âge

–  Examen du rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’enseignement français à l’étranger (MM. Jean-François Mancel, André Schneider et Hervé Féron, Rapporteurs) 2

–  Examen d’un rapport d’information sur l’application de la loi fiscale (M. Gilles Carrez, Rapporteur général) 11

–  Présences en réunion 18

La Commission examine le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’enseignement français à l’étranger, présenté par MM. Jean-François Mancel, André Schneider et Hervé Féron, Rapporteurs.

M. le Président Jérôme Cahuzac. Les trois rapporteurs de la MEC qui vont nous présenter son rapport sur l’enseignement français à l’étranger représentent chacun une commission différente, ce qui témoigne de la nature pluridisciplinaire du sujet. Ce rapport a été adopté hier.

Je sais, messieurs les rapporteurs, que vous avez travaillé dans un esprit de consensus et, si j’en crois les interventions que j’ai pu lire dans la presse, que vous êtes d’accord sur quelques pistes de réforme importantes.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’enseignement français à l’étranger. Si vous le permettez, nous présenterons chacun une partie du rapport.

Pour définir l’enseignement français à l’étranger, nous avons retenu le critère du mode d’enseignement français. Il s’agit donc de la reproduction à l’étranger du système d’enseignement français dans toutes les disciplines que nous pouvons rencontrer en France.

Notre rapport s’inscrit dans un contexte budgétaire qui n’est pas le plus favorable pour lui donner la dimension que nous avions souhaitée. L’enseignement français à l’étranger est aujourd’hui dans une situation difficile, et ses moyens sont de plus en plus limités. Pour le rendre capable de se maintenir, voire de se développer, il faudrait faire beaucoup plus, mais cela ne paraît pas réalisable dans le contexte actuel.

La France n’est certes pas le seul pays à avoir un réseau scolaire à l’étranger. Toutefois, à l’échelle de la planète, elle seule dispose d’un service public d’enseignement à l’étranger, dont le succès ne se dément pas. Ainsi, plus de 5 000 nouveaux élèves l’ont rejoint l’année dernière, comme l’année précédente. Notre rôle reste donc important, tant pour nos ressortissants, qui trouvent à l’étranger des conditions de scolarisation aussi bonnes qu’en France, voire meilleures, qu’en termes d’influence, puisque les jeunes étrangers représentent 53 % des effectifs.

À l’issue des auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons formulé une série de propositions dans neuf domaines différents, en nous inscrivant délibérément dans le contexte qui est aujourd’hui le nôtre, à savoir la situation difficile de nos finances publiques. La réalité que nous avons observée aurait requis des moyens supplémentaires ; nous avons choisi de ne pas en demander et de privilégier le redéploiement de ceux qui existent déjà. Nous n’avons pas toujours partagé le même avis, et je regrette les fuites intempestives dont la presse s’est fait l’écho avant même que le rapport ne soit débattu au sein de la MEC et présenté en commission des Finances.

Une grande partie de notre réflexion a porté sur la prise en charge (PEC), à savoir la gratuité de la scolarité pour les enfants français en classes de terminale, de première et de seconde, laquelle devait initialement être progressivement étendue jusqu’au cours préparatoire. Si cette extension n’a pas été réalisée, c’est parce que le Parlement a décidé d’un moratoire en 2009. Nous nous sommes longuement interrogés sur la solution à apporter à ce problème.

Sans rouvrir le débat sur le bien-fondé de la mesure elle-même, nous avons choisi – et c’est à mon sens une décision courageuse – de proposer la suspension de la PEC. Pour 2010, plus de 106 millions d’euros avaient été inscrits au titre des bourses et de la prise en charge. D’après les dernières estimations, le coût serait de plus de 70 millions d’euros pour les premières et d’environ 40 millions d’euros pour les secondes. Grâce aux mesures d’économie, le coût total des aides à la scolarité s’élèverait à 107,4 millions d’euros. Ce chiffre est un minimum, car la PEC est une mesure qui n’a pas encore produit tous ses effets – elle suscite en effet des demandes d’inscriptions supplémentaires. Sa suspension permettrait d’économiser plusieurs dizaines de millions d’euros, que nous proposons de réaffecter à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), dont nous nous apprêtons à fêter le vingtième anniversaire et qui connaît de sérieuses difficultés financières.

Les demandes d’inscription sont en effet en augmentation, et il nous faut aller dans tous les pays où des besoins se font sentir. Les projets d’ouverture d’établissements coûteront cher, tant sur le plan immobilier qu’en ce qui concerne les coûts de fonctionnement, l’AEFE employant plus de 10 500 personnes. En outre, la décision a été prise en 2009 – et nous n’en contestons pas le bien-fondé – de mettre partiellement à la charge de l’AEFE les cotisations de pensions de ses agents. Cette charge représente aujourd’hui quelque 120 millions d’euros – c’est en tout cas le montant des dotations que l’État a accordées à l’AEFE pour la compenser. Elle devrait cependant atteindre plus de 150 millions d’euros dès 2012. Par ailleurs, un transfert de l’immobilier au profit de l’AEFE a été engagé, mais il n’est pas assorti de compensations suffisantes pour mettre à niveau les établissements transférés.

La trésorerie de l’AEFE est donc très fragile, avec un fonds de roulement qui avait été réduit à moins de quinze jours début 2010, rendant parfois sa gestion aventureuse. Au prix de mesures de rationalisation sévères, l’AEFE a réussi à porter son fonds de roulement à trente jours environ. Il convient de le maintenir à ce niveau minimum. C’est pourquoi nous proposons des modifications et des clarifications qui permettraient de voir plus clair dans son fonctionnement, notamment en ce qui concerne les personnels.

Pour ma part, je souhaitais surtout mettre l’accent sur la proposition très forte que constitue la suspension de la PEC afin de répondre aux besoins de l’AEFE.

M. Hervé Féron, Rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’enseignement français à l’étranger. Puisqu’il a été fait allusion à ce que je pense de la PEC, permettez-moi, à titre personnel, d’apporter un bémol à ce qui a été dit : je trouve depuis son origine que c’est une mauvaise mesure.

Le fonds de roulement de l’AEFE, descendu à quatorze jours, est certes remonté à trente-quatre jours. Hélas, cela ne nous sauve pas ! L’AEFE est en grande difficulté, de même que nombre d’établissements.

Je voudrais également mentionner un problème qui n’a pas encore été évoqué : la baisse du nombre des mises à disposition d’enseignants expatriés. Il ressort des auditions que nous avons conduites que nous sommes arrivés à un plancher critique, qui risque de remettre en cause la qualité de l’enseignement prodigué. Cette baisse a en outre un effet induit : la suppression des postes d’enseignants expatriés, dont la rémunération est prise en charge par l’État, est compensée par le recrutement de personnels locaux, qui sont salariés par les établissements eux-mêmes. Tout cela contribue à augmenter les droits d’écolage, c’est-à-dire les frais de scolarité. L’arrivée sur trois années d’âge de la mesure dite de « gratuité » a offert à certains établissements une opportunité d’augmenter les droits d’écolage pour répondre à leurs difficultés. Les élèves ne bénéficiant pas de la gratuité – à savoir les élèves français du cours préparatoire à la classe de troisième et tous les élèves étrangers – ont été mis en difficulté, alors même que la formation des élites étrangères fait partie des missions de l’AEFE.

J’en viens aux préconisations de la MEC.

Nous proposons d’abord d’ouvrir l'éventail des partenariats et des financements, avec cinq mesures.

La première consiste à étudier la possibilité de mobiliser le mécénat en faveur de l'enseignement français à l'étranger. Cela suppose d'identifier les évolutions législatives et réglementaires nécessaires pour permettre le recours à ce mode de financement extérieur.

La deuxième mesure vise à favoriser et à développer les démarches de projet avec les collectivités territoriales. Je rappelle qu’en France les bâtiments, le mobilier, le matériel et les personnels non-enseignants sont à la charge des collectivités territoriales.

Troisième mesure : instituer, au profit de l'AEFE, un prélèvement assis sur le chiffre d'affaires des établissements homologués au titre de l'utilisation de la « marque France ». À tout le moins, il s'agit de sanctuariser une partie des sommes déjà acquittées par ceux-ci, la démarche étant déjà engagée.

Quatrième mesure : analyser les réglementations locales et systématiser les démarches auprès des autorités locales afin d'identifier les contributions financières que celles-ci pourraient verser à notre réseau.

Cinquième mesure, enfin : obtenir, chaque fois que cela est possible au regard des réglementations locales, l'accréditation ouvrant droit le cas échéant à l'obtention de subventions publiques de la part des autorités locales.

Un autre axe de notre réflexion a concerné l’amélioration de la visibilité des financements et des comptes, à travers deux mesures. Dans un contexte de croissance exponentielle des droits d'écolage, il convient d'élaborer, pour chaque pays, une grille de tarification formalisée au sein d'un plan pluriannuel. Sur cette base, il serait judicieux d'encadrer les droits d'écolage en déterminant les possibilités de modulation en fonction du niveau de richesse de chaque pays. Nous proposons également d'améliorer la présentation des comptes de l'AEFE et des établissements du réseau pour davantage de clarté.

Il faut aussi adapter le réseau aux besoins nouveaux. Il s’agit de mieux le connaître pour assurer sa cohérence. Il importe donc d'établir une cartographie prospective du réseau, reposant notamment sur les besoins identifiés à moyen et à long terme en fonction de la présence des expatriés français, des entreprises françaises, des besoins de scolarisation des familles locales, des intérêts diplomatiques de la France dans chaque zone et de l'importance de nos échanges culturels et commerciaux avec les pays considérés.

Nous avons ressenti au fil des auditions un vrai besoin de recentrage sur une démarche stratégique. On pourra ensuite s'appuyer sur cette cartographie prospective pour conduire la politique de rénovation et d’implantation des établissements et déterminer le statut le plus adapté aux circonstances et aux réalités locales.

La généralisation des chartes d'établissement précisant les droits et devoirs attachés au statut d'établissement homologué contribuerait à moderniser la gestion. Elle a pour corollaire le renforcement du contrôle de ce type d’établissement, avec une possibilité de déchéance du statut.

Nous souhaitons en outre permettre la mise en œuvre d'une stratégie immobilière à l'étranger. Le réseau de l'enseignement français est d’abord un héritage de l'histoire ; il doit être mis en adéquation avec les priorités de la diplomatie d'influence. En conséquence, nous proposons de dresser un diagnostic complet et précis du parc immobilier permettant d’en connaître précisément l’étendue, l’état, les coûts de fonctionnement et d’investissement, les besoins de réhabilitation et de développement.

Il importe aussi d’établir, sur la base du diagnostic immobilier, un plan pluriannuel de mise aux normes des établissements avec une hiérarchisation des priorités en fonction de l'urgence des opérations de réhabilitation à réaliser. J’insiste sur l’aspect pluriannuel : en 2008, l’État a transféré 12 sites à l’AEFE, ce transfert n’étant assorti que de 8 millions d’euros non reconductibles : il n’avait pas été assez anticipé !

Nous proposons par ailleurs d’instituer un moratoire sur les transferts de gestion immobilière à l'AEFE jusqu'à l'établissement du diagnostic et du plan de mise aux normes, et d’étudier avec le ministère du Budget la possibilité de renforcer les capacités d'emprunt de l'AEFE, notamment pour ce qui concerne leur montant et leur durée.

Il faut encore négocier avec les autorités locales la rétrocession de sites occupés en jouissance et aisément valorisables, en échange de relocalisations financées par leurs soins.

Nous proposons également de développer l'expertise immobilière de l'AEFE, en renforçant sa division immobilière et en impliquant la future Agence foncière de l'État à l'étranger par la mise à disposition de ses ressources humaines et techniques. Dans cette optique, il pourrait être judicieux de formaliser les relations entre l'AEFE et la future Foncière par la signature d'une convention.

Nous suggérons d’autre part des mesures tendant à enrichir les outils et les contenus pédagogiques. Il faut développer l'homologation des établissements locaux, encadrer la procédure, notamment en subordonnant l'obtention de ce statut à l'acceptation par l'établissement d'un contenu et de techniques pédagogiques spécifiques. Les contrôles seraient institués en partenariat avec les inspections locales et pourraient déboucher sur le retrait de l'homologation.

Il faut aussi étendre les conventions particulières avec le Centre national d'enseignement à distance au plus grand nombre d'établissements du réseau AEFE, et développer les actions de communication et de promotion du CNED à l'étranger.

Autre objectif : renforcer les partenariats entre l'audiovisuel extérieur de la France, le ministère de l'Éducation nationale et l'AEFE, afin d'adapter et de développer l'offre éducative audiovisuelle à la demande.

M. André Schneider, Rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’enseignement français à l’étranger. Nous avons par ailleurs abordé les questions de gouvernance du réseau. À cet égard, il convient de clarifier le partage des rôles. La situation actuelle est en effet marquée par une large indépendance des différents acteurs, sans réel pilotage du ministère des Affaires étrangères ni véritable implication de celui de l'Éducation nationale dans le domaine pédagogique. Nous nous sommes même demandé s’il ne faudrait pas créer un jour une structure chargée de « chapeauter » l’enseignement français à l’étranger.

Pour l’heure, la MEC formule trois propositions.

En premier lieu, la direction exercée par le ministère des Affaires étrangères en matière de politique d'influence doit se manifester par la définition d'une offre éducative d'ensemble cohérente, attractive et reconnue, qui prévoie la coordination et l'articulation des activités des différents acteurs de l'enseignement français à l'étranger.

En deuxième lieu, le ministère de l'Éducation nationale doit assurer l'évaluation et la certification du système éducatif français à l'étranger, comme il le fait en France. L'implication des académies situées dans l'aire géographique des établissements doit être améliorée. Le ministère doit également veiller à la qualité du recrutement et à l'évaluation des enseignants.

Enfin, le renforcement de l'autonomie des établissements en gestion directe de l'AEFE doit être envisagé avec une grande prudence.

Notre dernière série de préconisations vise à professionnaliser le réseau.

Sans méconnaître la diversité des situations locales, il importe de ne pas laisser descendre sous un seuil minimal la proportion de titulaires de l'Éducation nationale expatriés ou résidents, afin que la mixité de l'équipe pédagogique permette d'assurer la qualité et la diversité de notre enseignement. Je rappelle qu’il existe trois catégories de personnels : les personnels expatriés, les expatriés déjà résidents et les recrutés locaux. Il est entendu qu’en deçà d’un certain seuil de personnels des deux premières catégories, la qualité de l’enseignement français serait menacée. Ce n’est cependant pas le cas aujourd’hui : tous nos interlocuteurs reconnaissent que cet enseignement est de très bonne qualité, comme en témoigne le taux de réussite des élèves au baccalauréat.

La professionnalisation des cadres administratifs et des enseignants doit être améliorée aussi bien en ce qui concerne les recrutements que la formation. Il faut donc mettre en place pour les expatriés des procédures plus rigoureuses permettant de mieux évaluer les aptitudes professionnelles et le niveau en langue étrangère des candidats. L'amélioration de la formation professionnelle doit être effective, mais au moindre coût, ce qui conduit à préconiser le développement de formations sur place.

Le développement de l'enseignement bilingue doit continuer à faire l'objet d'un effort budgétaire spécifique.

Les réseaux de l'enseignement français à l'étranger doivent développer des structures d'enseignement technique – point faible de notre système éducatif à l’étranger – et rechercher des financements dans le cadre de l'aide au développement.

Enfin, le chaînage entre enseignement secondaire et enseignement supérieur doit être amélioré en développant une politique d'orientation efficace, en liaison avec le futur opérateur de la mobilité internationale.

Au-delà des questions budgétaires, l’avenir du réseau dépend de choix politiques.

Depuis une quinzaine d'années, le Quai d'Orsay connaît une forte contrainte sur ses crédits. L'enjeu des réformes en cours est tout autre : pour accomplir ses missions régaliennes et maintenir, voire renforcer la place de la France dans le monde, le ministère doit s'adapter, et procéder à une forme de mutation culturelle. Les mesures préconisées par le rapport ne recouvrent pas nécessairement des dépenses nouvelles, mais s'analysent davantage comme des investissements nécessaires au fonctionnement normal du réseau : il s'agit de la remise à niveau minimale de l'immobilier, de la compensation des charges de pensions, du maintien d'une proportion raisonnable de titulaires, du développement de l'enseignement technique, de la mise en œuvre d'une évaluation réelle et efficace.

Plusieurs propositions vont cependant dans le sens des économies budgétaires : réorientation du réseau dans le sens de l'homologation, labellisation de structures étrangères, suspension de la PEC.

Pour le reste, si les recettes supplémentaires évoquées, incertaines par nature, ne peuvent constituer que des ressources d'appoint, leur valorisation doit être activement recherchée : développement du mécénat, mobilisation des collectivités territoriales, des entreprises et des partenaires étrangers. Les autres recettes directes de l'AEFE – recours à l’emprunt, par exemple – sont aléatoires et non extensibles. Elles permettent néanmoins de dégager des marges de manœuvre, même modestes.

Tous les leviers possibles doivent être actionnés, même si des questionnements demeurent. La pratique d'une tarification au coût réel est-elle réaliste, alors que les droits d'écolage connaissent déjà, depuis plusieurs années, des augmentations considérables ? Le recours accru à l'autofinancement, c'est-à-dire à l'accroissement des frais de scolarité, a pour effet d'exclure les élèves étrangers, et conduit ces derniers à s'adresser aux établissements concurrents.

Il convient donc d'opérer un choix politique clair quant à l'avenir de notre réseau et d'en tirer toutes les conséquences, en utilisant de la manière la plus efficiente possible des moyens budgétaires qui ne sont pas extensibles.

Je conclurai mon propos en redisant combien les travaux de la MEC ont été enrichissants pour nous.

M. René Couanau. Messieurs les Rapporteurs, vous semblez tenir pour un fait acquis que l’État se désengage progressivement de l’enseignement français à l’étranger, qui relève pourtant de ses missions de souveraineté, de promotion et de défense de la langue et de la culture françaises et d’appui aux familles expatriées. On se borne finalement à chercher la manière de compenser ce désengagement !

La suppression de la gratuité des frais d’écolage pour les élèves des classes de seconde, de première et de terminale me paraît devoir être compensée par un redéploiement des crédits ainsi économisés. Puisque l’AEFE manque de moyens, pourquoi ne pas en profiter pour exprimer le souhait que ces crédits soient réaffectés à des objectifs d’enseignement ? On risque autrement de poursuivre dans la voie de la déshérence de l’enseignement français à l’étranger.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général. Je voudrais être sûr d’avoir bien compris.

Un dispositif généreux, mais coûteux – la gratuité de l’enseignement pour les élèves français à l’étranger – a été mis en place ces dernières années. Il concerne aujourd’hui les élèves des classes de terminale, de première et de seconde, et devait à terme être généralisé jusqu’au cours préparatoire.

L’an dernier, un moratoire a été décidé. Vous nous proposez d’aller plus loin en supprimant la mesure et en utilisant tout ou partie des crédits rendus disponibles pour renforcer les moyens de l’AEFE, dont les problèmes de financement sont récurrents. S’agit-il d’un redéploiement intégral de crédits, ou peut-on imaginer de réaliser quelques économies au passage ?

Par ailleurs, comment cela se passe-t-il pour les bourses, qui font actuellement l’objet d’une réflexion en métropole ? Les frais de scolarité des jeunes Français à l’étranger sont souvent pris en charge par les entreprises, mais ce n’est pas systématique. Les bourses peuvent donc jouer un rôle intéressant. Ne peut-on imaginer d’y consacrer tout ou partie des crédits rendus disponibles par la suspension de la PEC ? Quel équilibre proposez-vous entre la priorité à donner aux économies et les redéploiements au profit de l’AEFE ainsi que, éventuellement, des bourses ?

J’en viens à une observation de forme. La MEC, mise en place il y a dix ans, a fait ses preuves. Elle s’efforce de travailler de manière collégiale en prenant le maximum de précautions avant que ses rapports ne donnent lieu à une communication publique. Je m’étonne donc qu’une interview ait pu être publiée dans Le Parisien d’hier. La suspension de la PEC est en effet un sujet délicat qui exige une grande diplomatie, et il faut éviter d’en faire un sujet politique.

La MEC avait été une réussite par exemple lorsqu’il s’est agi en 2008 de revoir, sous la houlette d’Alain Claeys et Laurent Hénart, les critères d’attribution des dotations aux universités, sujet lui aussi très difficile. Le Gouvernement avait d’ailleurs repris ses propositions. Mais il n’a pu le faire que parce que le travail de la MEC avait été consensuel et n’avait donné lieu à aucune communication préalable à l’extérieur. En tant que Rapporteur général, je souhaite que la MEC continue à travailler de cette manière.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Le Rapporteur général a fort bien compris les choses, et sa démonstration était claire. L’AEFE remplit une mission très importante : scolariser les enfants français, assurer le rayonnement de la France à travers l’accueil des enfants étrangers et développer une coopération éducative avec les systèmes d’enseignement étrangers.

Le contexte n’est cependant pas facile : le ministère des Affaires étrangères a déjà été victime du « rabot » budgétaire et sa défense n’a pas toujours été bien assurée. Voilà quinze ans qu’il est régulièrement mis à la diète. S’il ne s’agit donc pas de demander de l’argent, il ne s’agit pas plus de faire faire des économies au budget général de l’État ! En d’autres termes, nous ne demandons pas à l’État de faire un effort, et nous ne prônons pas l’extension du système : nous voulons simplement le sauvegarder, et cela implique que l’AEFE bénéficie de moyens supplémentaires. Tout est expliqué au sein de notre rapport : notre deuxième axe de propositions vise à opérer un triple recalibrage budgétaire au bénéfice de l’AEFE. Il importe simplement de revoir la ventilation intérieure des crédits de l’enseignement français à l’étranger.

La suspension de la PEC peut avoir des conséquences pour certaines familles, pour celles dont les frais de scolarité ne sont pris en charge ni par l’entreprise, ni via les compléments aux traitements des agents de l’État à l’étranger. Mais il ne faudrait pas que cela les empêche de mettre leurs enfants à l’école. Une partie des crédits aujourd’hui dévolus à la PEC, et dont le montant est difficile à évaluer à ce stade, devra donc être réaffecté aux bourses.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Je souhaite rappeler que je ne suis pas le seul à être intervenu dans la presse, ni le seul à qui ont été prêtés des propos « forts » sur la PEC. J’ajoute que, dans l’esprit de la MEC, j’ai été conciliant dans le cadre de la rédaction du rapport : ainsi, j’aurais préféré préconiser la suppression de la PEC plutôt que sa suspension.

Un rappel peut être utile. Lors de la discussion du projet de loi de finances, j’étais le rapporteur pour avis de la commission des Affaires culturelles pour les crédits du rayonnement culturel et scientifique de la France à l’étranger. J’ai travaillé sur l’enseignement français à l’étranger et consacré à la PEC l’essentiel de mon avis budgétaire et de mon discours à la tribune. Ce sont cet avis et ce discours que j’ai communiqués à une journaliste, il y a plus d’un mois. Elle avait souhaité me rencontrer pour évoquer les auditions auxquelles j’avais procédé dans le cadre de la discussion budgétaire. Je lui ai remis le 1er juin une note de synthèse de quatre pages, que je tiens à votre disposition. Nous n’avions alors aucune idée de ce que seraient les propositions finales de la MEC. Mais ce que j’ai écrit dans cette note, et que l’AEFE avait d’ailleurs reconnu deux ans avant moi, a aujourd’hui un écho dans le rapport de la MEC : si la PEC était étendue comme prévu initialement, son coût s’élèverait à 700 millions d’euros environ à l’horizon 2018.

Lundi soir, alors que je n’avais pas encore pris connaissance de la dernière mouture du rapport, la journaliste en question m’a demandé de réagir, en prétendant avoir des éléments sur le rapport. Je n’ai aucunement impliqué les membres de la MEC dans ma réponse.

M. le Rapporteur général. Cette explication me rassure. L’essentiel est qu’il y ait une grande convergence sur vos propositions. Mais la suspension est parfois une étape vers la suppression. Quant au mot de « bouclier », qui figurait dans le titre de l’article du Parisien, il était vraiment à éviter…

M. Hervé Féron, Rapporteur. Je ne l’ai jamais employé !

M. André Schneider, Rapporteur. J’ai éprouvé beaucoup de plaisir à travailler avec mes collègues. Quelques mises au point indispensables viennent d’être faites, mais revenons à l’essentiel.

En tant qu’ancien chef d’établissement, je vous dirai que, pour faire un bon établissement scolaire, il faut d’abord des élèves. L’enseignement français à l’étranger vise d’abord les élèves français, mais, pour le rayonnement culturel de la France, il doit s’adresser aussi à des élèves étrangers. C’est cette mixité qui fait la richesse de cet enseignement.

Il a aussi besoin de professeurs. Il en existe trois catégories, et les avis sont partagés sur celles qui doivent être privilégiées. J’estime pour ma part qu’il faut de la diversité. Veillons cependant à ce que les enseignants recrutés localement ne soient ni ternes ni sinistres.

Nous avons essayé de tracer des pistes a minima, car hélas, la « commission de la hache » fonctionne toujours ! Nous avons parlé de « suspension » de la PEC pour ne pas trop heurter nos concitoyens. Mais il est un fait que la PEC a bénéficié à tout le monde, sans considération de niveau de revenu, et alors même que nombre d’entreprises financent volontiers la scolarité des enfants de leurs salariés.

Enfin, j’ai parlé d’un « chapeau » commun à tous les établissements français à l’étranger. Cette idée m’a toujours semblé pertinente. Mais nous avons préféré des préconisations qui soient réalisables, à condition bien sûr qu’un suivi et une évaluation soient mis en place.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. M. Couanau a évoqué un problème sur lequel nous nous sommes beaucoup interrogés, celui de la place de l’éducation nationale dans l’enseignement français à l’étranger, qui est par trop discrète. Notre préoccupation a été de la remettre « dans le circuit » sans inventer pour autant un « machin » exerçant la tutelle sur l’AEFE. Le rapport comporte donc une série de propositions en ce sens.

Dissipons tout malentendu. La suspension de la PEC n’est pas l’objet de la MEC : elle est simplement un moyen. Quoi qu’on en dise, le point fort du rapport n’est donc pas tant cette suspension que nos propositions, qui convergent toutes vers la même idée : améliorer l’enseignement français à l’étranger pour l’aider à rayonner encore davantage.

M. François Goulard. Je souscris pleinement à l’analyse de nos collègues de la MEC. D’une manière générale, la machine éducation nationale n’aime pas beaucoup l’originalité. La remarque que vient de faire Jean-François Mancel pourrait s’appliquer aussi bien à l’enseignement agricole ou aux lycées maritimes – j’ai eu l’occasion de le mesurer lorsque j’étais secrétaire d’État à la mer.

Le ministère de l’Éducation nationale a du mal à s’adapter aux situations particulières. Raison de plus pour apporter un soutien à ces établissements, d’autant que, dans le cas de l’enseignement français à l’étranger, il y va de l’image de notre pays.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Les initiatives alternatives, qui sont souvent prises par les associations de parents d’élèves, méritent d’être regardées de près. Je pense au programme « Français-langue maternelle » (FLAM), qui concerne l’enseignement bilingue et pour lequel l’AEFE disposait en 2009 de 300 000 euros. De telles initiatives permettent d’adapter notre dispositif aux situations locales à moindre coût.

M. Christian Eckert, Président. Messieurs les Rapporteurs, je vous remercie.

En application de l’article 145 du Règlement, la Commission autorise la publication du rapport.

En application de l’article 60 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, elle autorise également la notification de la liste des propositions de la MEC au Gouvernement, qui devra y répondre, par écrit, dans un délai de deux mois.

*

* *

La Commission examine ensuite un rapport d’information sur l’application de la loi fiscale (M. Gilles Carrez, rapporteur général).

M. Christian Eckert, président. Le rapporteur général, M. Gilles Carrez, va maintenant nous présenter son rapport sur l’application de la loi fiscale qui porte notamment, cette année, sur le plafonnement global des niches relatives à l’impôt sur le revenu, le crédit d’impôt sur le revenu au titre des intérêts d’emprunt et la défiscalisation en faveur des biocarburants.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Si j’ai choisi de faire le bilan, dans mon rapport d’information sur l’application de la loi fiscale, des trois réformes fiscales que vous avez citées, monsieur le président, c’est dans la perspective des débats budgétaires de l’automne. Je me réjouis, à cet égard, que la MEC ait présenté devant la commission des Finances, ce matin, son rapport sur le crédit d’impôt-recherche et, il y a un instant, celui sur l’enseignement français à l’étranger : ils se révéleront très utiles lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, au cours duquel devront être évaluées et recalibrées un certain nombre de dépenses fiscales.

Comme chaque année, mon rapport comporte, en seconde partie, une analyse des conditions juridiques d’application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances.

Les trois sujets traités dans la première partie de mon rapport sont tout à fait d’actualité.

Concernant le premier, le plafonnement global des niches fiscales, il me paraît important de souligner qu’il a été proposé, non pas par le Gouvernement, mais par le Parlement : ce dispositif a été introduit dans la loi de finances pour 2009 par le biais d’un amendement de la commission des Finances, qu’elle avait adopté à l’unanimité, et est le fruit d’un travail réalisé au sein d’une mission réunie spécialement sur le sujet.

Nos propositions comportaient trois étages.

Usant de notre pouvoir de contrôle sur pièces et sur place, Didier Migaud et moi-même nous étions fait communiquer par Bercy, à l’automne 2008, des études très précises sur la défiscalisation au titre de l’impôt sur le revenu. Les résultats avaient été édifiants : non seulement des contribuables pouvaient défiscaliser près d’un million d’euros en recourant à un seul dispositif, mais encore ils pouvaient se loger dans plusieurs niches – on en compte quelque 250 sur l’impôt sur le revenu. Par ailleurs, certaines niches étaient des réductions d’impôt tandis que d’autres fonctionnaient en mesures d’assiette, avec imputation de déficits sur le revenu imposable. C’est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel avait annulé notre première tentative de plafonnement global de 2006 : il avait déclaré le dispositif illisible car il aurait obligé le contribuable qui aurait souhaité connaître l’effet du plafonnement à reconstituer les montants d’économies d’impôt issues de dispositifs qui diminuaient l’assiette imposable.

Ces trois constats nous ont conduits, premièrement, à plafonner les quatre niches qui ne l’étaient pas – les deux dispositifs outre-mer, le dispositif Malraux et le dispositif concernant les meublés professionnels –, deuxièmement, à transformer certaines niches en réductions d’impôts et, troisièmement, à proposer un plafonnement global.

Si le Gouvernement était d’accord pour plafonner des niches qui ne l’étaient pas et pour transformer certaines d’entre elles en réductions d’impôt, il ne l’était pas du tout pour le plafonnement global de celles-ci. Or, à eux seuls, les aménagements des niches les plus coûteuses ne permettaient pas de mettre fin aux situations d’optimisation fiscale excessive et nous avons fait valoir qu’il était également nécessaire d’introduire un plafonnement global des niches fiscales pour éviter que les contribuables les plus aisés ne s’exonèrent du paiement de tout impôt.

Il m’a paru utile de rappeler l’historique de cette disposition car il sera important de l’avoir en tête lorsque nous examinerons de nouveau la question des niches fiscales en vue d’en réduire certaines, voire de les supprimer.

Dans la loi de finances pour 2009, le plafonnement global des niches fiscales a été établi à 25 000 euros plus 10 % du revenu imposable. Ce montant et ce taux peuvent paraître élevés mais, comme le plafonnement global ne peut pas, en toute logique, être inférieur au plafond d’une niche particulière, il a été fixé au regard du niveau de plafonnement des niches fiscales les plus avantageuses, qui sont celles concernant les investissements productifs neufs en outre-mer régis par l’article 199 undecies B du code général des impôts. Un travail approfondi a été réalisé sur la question à l’initiative de Gaël Yanno, qui a abouti à la fixation du plafond global que je viens d’indiquer.

Celui-ci s’est appliqué à l’imposition des revenus de 2009, sans rétroactivité sur ceux de 2008 car cela aurait modifié l’équilibre économique des investissements réalisés.

Nous ne disposons pas de données précises aujourd’hui. Il faudra attendre l’exploitation des déclarations de revenus de 2009 pour disposer d’une analyse fine des effets du plafonnement global.

La somme de 22 millions d’euros, que j’entends citer par nombre de collègues, de tous bords, n’a aucun sens. Elle repose sur des projections fondées sur les investissements des contribuables ayant ouvert droit à réduction d’impôt sur le revenu au titre des revenus de 2007, donc à une époque où il n’était pas question de plafonnement global.

En pratique, le champ des contribuables concernés est appelé à être nul du fait de l’existence d’un plafond global. Un contribuable qui continuera à défiscaliser à l’excès au point de dépasser le plafond fixé aura une démarche irrationnelle. Il y aura certainement encore de tels contribuables, mais l’objectif du plafonnement global est justement d’obliger les contribuables à changer de comportement et à s’autolimiter.

Il est donc absurde d’espérer un rendement budgétaire du plafonnement global, et encore plus de le qualifier d’inefficace s’il rapporte peu. Il est censé inciter à réduire le recours aux niches pour, par suite, se traduire par une limitation du coût pour l’État.

Il constitue un outil très intéressant dans la mesure où on peut le faire évoluer, ce que nos collègues sénateurs ont fait puisque, dans la loi de finances pour 2010, il a été abaissé respectivement à 20 000 euros plus 8 % du revenu imposable.

Pourquoi avoir adjoint un pourcentage à un montant forfaitaire ? Pour permettre à de très gros revenus d’investir dans des dispositions faisant l’objet d’incitations fiscales. Si, dans chaque niche, il y a un chien qui mord, le mot « niche » ne doit pas pour autant être considéré comme péjoratif. Les dépenses fiscales que représentent les niches ne doivent pas faire oublier leur intérêt économique.

Il faudra probablement encore faire évoluer cet instrument que nous nous sommes donné. C’est un point que nous aurons à examiner à la rentrée mais nous n’aurons peut-être pas un recul suffisant quant à son application. Au regard du « coup de rabot », peut-être faudra-t-il revoir ce plafonnement à nouveau à la baisse.

Lors de notre tentative de mise en place d’un plafond global en 2006, qui s’est soldée par une annulation par le Conseil constitutionnel, le gouvernement de l’époque avait suggéré d’établir une distinction entre les avantages fiscaux « subis », c’est-à-dire ceux attribués en raison de situations subies, comme le handicap, et les avantages fiscaux « choisis », résultant de décisions d’investissement ou du recours à certaines prestations.

M. François Goulard. Le quotient familial se situe entre les deux !

M. le rapporteur général. Mais il est considéré comme un avantage fiscal subi.

Nous avons décidé de ne faire porter le plafonnement global que sur les niches choisies. Cela étant, il existe une niche au regard de l’impôt sur le revenu qui est choisie et qui n’est pas concernée par le plafonnement global : la réduction d’impôt au titre des dons et du mécénat. Je pense qu’il faudra la soumettre également au « coup de rabot ».

Comme vous le voyez, il était important, même en l’absence de chiffres définitifs, de donner un coup de projecteur sur la question, en vue de la discussion budgétaire de l’automne.

M. Christian Eckert, président. Vous envisagez de ne faire porter le « coup de rabot » que sur les niches que vous qualifiez de choisies et sur les dons et le mécénat, qui ne sont pas concernés par le plafonnement global.

M. le rapporteur général. Tout à fait. J’invite, d’ailleurs, mes collègues à consulter le rapport de notre Commission de juin 2008 car il comporte une réflexion sur les dépenses fiscales à soumettre au plafonnement global.

M. François Goulard. Connaît-on le coût réel des niches ? C’est une donnée essentielle pour prendre une décision. Si, comme l’a souligné le rapporteur général, les dépenses fiscales ne sont pas inutiles et sont même en général au service de causes louables, il importe, sur les plans économique et culturel, d’évaluer leur efficacité en fonction de leur coût afin de déterminer leur intérêt réel. Or j’ai le sentiment que nous ne disposons pas de toute l’information nécessaire à ce sujet.

L’impôt a pour but de financer le budget de l’État et doit être supporté, suivant le vieux principe de 1789, à raison des facultés des contribuables. Or, depuis plusieurs années, on veut en faire un outil à tout faire, une sorte de couteau suisse. C’est une erreur, dont il faut revenir progressivement. Le plafonnement global me paraît, à cet égard, un bon instrument car il permet de diminuer progressivement et sans trop de douleur l’intérêt de chaque niche, si bien qu’on rencontrera moins d’opposition lorsqu’on voudra en supprimer un certain nombre. C’est une méthode relativement douce pour piloter ce qui constitue un axe fort de la politique fiscale.

Enfin, il existe aussi des niches fiscales pour les entreprises. Ne pouvant aborder ce sujet aujourd’hui, je me bornerai à citer deux exemples qui montrent leur importance.

M’étonnant du montant du don fait par une petite entreprise à un club sportif de ma ville, je me renseigne sur les raisons d’un tel geste et j’apprends que la somme versée correspond au plafond que le patron de la petite entreprise pouvait déduire de son impôt.

Le mécénat des entreprises dans le domaine sportif prend des proportions démesurées. Même si nous aimons tous le sport, il n’y a pas de raison que l’État soit privé de ressources d’un tel montant !

Autre exemple : des résultats obtenus à l’étranger ne sont pas imposés en France au motif que l’impôt est réputé être payé dans le pays de résidence. Or cette règle est appliquée même lorsqu’il n’y a pas d’imposition dans ledit pays.

Le régime fiscal de l’impôt sur les sociétés comporte nombre d’aberrations de ce genre, qui mériteraient également d’être revues.

Nous devons revenir à un impôt égalitaire, payé à des taux raisonnables, sans toutes les échappatoires qui existent aujourd’hui.

M. le rapporteur général. Je partage tout à fait votre analyse. Je citerai un autre exemple : à la suite de l’arrêt Persche, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes, une entreprise française payant ses impôts en France peut bénéficier d’une réduction d’impôt en France au titre d’un don fait, par exemple, à un club de football de Lisbonne. Il faut donc faire très attention.

Il est effectivement beaucoup plus difficile d’évaluer l’efficacité d’une dépense fiscale que celle d’un crédit budgétaire.

Vous avez très bien perçu l’évolution de l’utilisation du plafonnement global dans l’avenir qui vise à définir un seuil de défiscalisation acceptable au regard des revenus dont dispose le contribuable. Depuis une quinzaine d’années, on a, en effet, perdu de vue la fonction première de l’impôt, qui est, au sens de la Déclaration des droits de l’homme, de couvrir les charges communes. L’image du couteau suisse que vous avez utilisée convient parfaitement, et tout cela mérite une réflexion de fond.

Deuxième sujet traité dans le rapport : le crédit d’impôt sur le revenu au titre des intérêts d’emprunt, dont nous pouvons commencer à dresser un bilan.

L’application de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, rencontre plusieurs problèmes.

Premièrement, le crédit d’impôt n’est pas considéré comme un apport personnel ou un revenu. Les établissements publics n’en tiennent pas compte pour octroyer les prêts. Comme il est perçu avec un décalage – quatre ou cinq ans après l’acquisition du logement –, l’acquéreur a beaucoup de mal à mesurer son impact.

Il est vrai qu’en prenant à sa charge une fraction des intérêts, l’État redonne du revenu disponible au propriétaire et lui procure une petite bouffée d’oxygène. Mais, alors que la mesure était présentée au départ comme devant favoriser l’accession à la propriété, elle s’assimile0, en fait, à une mesure de pouvoir d’achat. Pourtant, ce que nous voulons vraiment favoriser, c’est l’accession à la propriété.

Deuxièmement, le dispositif est d’autant plus efficace que le montant des intérêts est élevé. Et ces derniers sont d’autant plus importants que le prix du logement est haut ou que le remboursement du prêt comporte un maximum d’intérêts au début, si bien que plus de 20 % des bénéficiaires du crédit d’impôt appartiennent aux 10 % des foyers fiscaux disposant du revenu fiscal de référence (RFR) le plus élevé.

Dans mon rapport relatif à la loi de finances de cette année, j’ai dressé un tableau indiquant l’évolution en fonction du revenu fiscal d’une part du prêt à taux zéro (PTZ) et, d’autre part, du crédit d’impôt TEPA pour les ménages bénéficiant d’un PTZ. La comparaison des deux courbes est intéressante : on y voit que le PTZ joue d’autant plus que le RFR est moins élevé, alors que c’est l’inverse pour le crédit d’impôt TEPA, et que les deux courbes se croisent donc en leur centre.

Nous devons revenir à l’idée de base du dispositif TEPA, à savoir donner à tous les Français un petit coup de pouce pour leur permettre d’accéder à la propriété : un gros effort était consenti en faveur du locatif social ; le PTZ avait été mis en place, sous condition de ressources ; on a cherché à créer un dispositif universel.

Or le contexte économique et budgétaire d’aujourd’hui n’étant plus celui de 2007, nous sommes conduits à revoir ce dispositif, d’autant que les coûts sont en train d’évoluer d’une manière exponentielle : ils sont passés de 900 millions d’euros en 2008 à 1 milliard en 2009 et à 1,5 milliard en 2010, et le dispositif atteindra son régime de croisière en 2013 avec un coût se situant entre 2,7 et 3 milliards. Par comparaison, le PTZ se monte à 900 millions en 2010 et à 1,1 milliard en 2011 après impôts, et l’épargne logement, à 1,8 milliard (dont 600 millions de dépense fiscale).

Pour ouvrir le débat, Michel Piron, membre de la Commission des affaires économiques, et moi-même avons déposé, lors de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2010, un amendement « créatif », par lequel nous proposions de remplacer le dispositif TEPA par une sorte de PTZ bis : l’État prendrait à sa charge, non plus une fraction des intérêts versés par les propriétaires au titre des cinq années suivant l’acquisition de leur résidence principale, mais le montant des intérêts non versés par le ménage emprunteur au titre d’un prêt à taux zéro qui viendrait s’ajouter au PTZ, et qui compterait dans le plan de financement.

Notre proposition a rencontré un certain succès, ce qui prouve qu’il est faux de dire que le Parlement n’est pas écouté. Encore faut-il qu’il fasse des propositions. Quand il étudie les sujets en amont, comme cela a été le cas pour le crédit d’impôt TEPA et le plafonnement global, et comme cela a été fait sur le crédit d’impôt recherche et l’enseignement français à l’étranger par la MEC, qui est venue nous présenter ses travaux aujourd’hui, ses propositions sont prises en compte.

Le ministre du logement s’est saisi de l’idée et a travaillé sur le sujet. Un dispositif devrait être proposé dans le projet de loi de finances pour 2011. Nous pourrons alors procéder à des ajustements car plusieurs pistes méritent d’être étudiées : restreindre le dispositif à la primo-accession ; mettre le dispositif sous condition de ressources à des niveaux plus élevés que le PTZ actuel et affecter l’économie ainsi dégagée à la revalorisation des montants du PTZ ; revaloriser le PTZ actuel tout en maintenant un dispositif universel ciblé sur le neuf.

Les curseurs ne sont pas fixés, mais les bases de la réforme ont été posées par le Parlement, par le biais de l’amendement que nous avons déposé au mois de novembre dernier.

Nous sommes obligés d’agir. En effet, même si nous mettons fin au crédit d’impôt TEPA au 31 décembre 2010, comme il se déroule sur cinq ans, son coût restera à 2 milliards d’euros en 2011 et 2012. La mise en place d’un nouveau dispositif risque d’entraîner un petit surcoût que nous cherchons à traiter. Le ministère doit nous faire des propositions à ce sujet, lesquelles font actuellement l’objet d’arbitrages.

Le crédit d’impôt TEPA est d’application très large puisque le nombre de nouveaux bénéficiaires s’est élevé à 594 000 en 2009.

M. Christian Eckert, président. Il serait intéressant, pour évaluer le coût du dispositif, de faire un tri entre l’effet d’aubaine et l’effet incitatif de celui-ci. Il ressort, en effet, de ce que vous avez dit qu’une partie des personnes qui en ont bénéficié auraient accédé à la propriété sans cette mesure fiscale.

M. François Goulard. Dans le domaine du logement, les variations continuelles de la législation concernant les dispositifs Robien, Borloo ou Scellier sont très préjudiciables. Ce secteur est à la fois très dépendant et en permanence ballotté au gré des initiatives gouvernementales et parlementaires.

J’ai acheté quelques appartements dans ma vie. À plusieurs reprises, les intérêts d’emprunt ont été déductibles des impôts, mais j’ai toujours raté les moments où ils l’étaient. Et je ne dois pas être le seul dans ce cas. Pour beaucoup de personnes, ces déductions ne sont pas du tout incitatives.

Ces aides sont, par contre, déterminantes pour les personnes aux revenus modestes. Sans elles, celles-ci ne peuvent espérer accéder à la propriété. Que des personnes aux revenus plus élevés n’accèdent pas tout de suite à la propriété, ce n’est pas grave car elles pourront le faire plus tard. Mais il est important d’aider celles dont les revenus sont trop justes pour leur permettre d’acquérir un logement, car l’achat d’un logement consolide considérablement leur situation économique.

M. le rapporteur général. Je partage, là encore, tout à fait votre analyse.

M. Benoist Apparu et son équipe, que j’ai rencontrés il y a quelques jours, m’ont indiqué qu’ils s’orientaient, non pas exactement vers un PTZ supplémentaire, mais vers une unification des outils à travers un renforcement du PTZ.

Or le PTZ est maintenant complètement maîtrisé. Il est compté comme un apport personnel ou un revenu et les banques le gèrent correctement, au point qu’on pourrait même espérer une petite baisse de leur rémunération.

Ses effets sont très positifs, même si l’essentiel des acquisitions de maisons individuelles, qui représentent le rêve des Français, se fait en zone C, et un peu en zone B. En dépit de cette limite, les personnes qui concrétisent leur rêve d’acquisition de logement acquièrent, comme vous l’avez souligné, une vraie sécurité.

M. Christian Eckert, président. Un bilan a-t-il été dressé du pass-foncier ?

M. le rapporteur général. Oui, puisqu’il expire à la fin de l’année. Ce bilan nous sera transmis. La TVA à 5,5 % en est un élément essentiel.

Le troisième sujet traité dans le rapport est la défiscalisation en faveur des biocarburants – qui est un sujet éminemment difficile.

Les biocarburants bénéficient, depuis une dizaine d’années, de très fortes exonérations. Le montant de celles-ci a été réduit plusieurs fois, la dernière dans la loi de finances pour 2009, et leur extinction est prévue à partir de 2012. Mais elles représenteront encore 480 millions d’euros en 2011.

Après avoir été justifiée par la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’indépendance énergétique et le nouveau débouché pour les agriculteurs qu’offrait cette nouvelle filière, la défiscalisation des biocarburants est aujourd’hui remise en cause du fait de l’impact de la production de ces derniers sur l’affectation des sols : destruction de la forêt tropicale, des prairies et des productions agricoles destinées à l’alimentation.

Mais la raison principale pour laquelle une défiscalisation des biocarburants ne semble plus nécessaire est qu’il existe aujourd’hui une véritable organisation industrielle de la production dans ce secteur, s’articulant, selon les différents produits – biogazole ou autres –, sur de véritables oligopoles. Les agréments ont été multipliés par 14 en l’espace de quelques années. L’engouement pour les biocarburants est à la hauteur de celui pour le photovoltaïque, dont le nombre de dossiers est passé en quatre ans, comme nous le rappelait dernièrement M. Jean-Louis Borloo, d’une douzaine par mois à un peu plus de 1 000 par jour. C’est pourquoi il importe de nous interroger sur le bien-fondé du maintien des défiscalisations dont bénéficient les biocarburants.

Les surcoûts liés à leur production n’ont jamais été prouvés. Or les dispositifs d’incitation mis en place autour des biocarburants, en dehors des exonérations dont je viens de parler, sont devenus très puissants, notamment la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) due par les distributeurs de carburants dès lors qu’ils ne distribuent pas un certain volume de biocarburants.

Il s’agit d’un sujet très sensible, qui a donné lieu à un affrontement lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2010, lorsqu’il a été question d’exonérer les biocarburants de la taxe carbone, dont M. Éric Woerth est sorti vaincu, malgré les efforts de Didier Migaud et de moi-même.

M. François Goulard. Même si certains objectifs environnementaux revêtent une importance capitale, il ne faut pas pour autant faire n’importe quoi. On surpaye à l’évidence aujourd’hui des formes d’énergie par rapport à d’autres, qui sont tout aussi propres, et l’on crée une économie totalement artificielle.

Contrairement à ce qu’on lit couramment, un biocarburant est un émetteur de gaz à effet de serre.

Le raisonnement selon lequel le fait qu’il soit produit à partir de matières premières agricoles entraîne une absorption plus grande du CO2 est spécieux car toute autre plantation entraînerait le même résultat.

Quant à penser que le fait de brûler des hydrocarbures fossiles ou des biocarburants donne des résultats différents, c’est méconnaître la chimie la plus élémentaire. Dans les deux cas, l’hydrogène et le carbone se séparent et donnent respectivement avec l’oxygène de l’air de l’eau et du gaz carbonique, donc un gaz à effet de serre. Il existe ensuite des variantes suivant les procédés de fabrication. Mais il n’y a là rien de révolutionnaire.

Il est vrai que le biocarburant constitue un carburant de substitution, que nous serons très contents de trouver, après l’épuisement des ressources fossiles, pour faire voler les avions – on n’a pas encore trouvé le moyen de faire voler un avion avec du photovoltaïque.

Cela étant, nous sommes maintenant en présence d’un lobby agricole, qui s’est constitué à partir des avantages fiscaux accordés. Il n’est pas recommandable de mettre fin brutalement aux conditions économiques qui ont permis l’essor d’une filière, compte tenu des investissements réalisés. Mais une extinction progressive de celles-ci me paraît la mesure la plus sage car on ne va pas continuer à dépenser de l’argent pour une chose qui s’imposera d’elle-même pour des raisons strictement économiques.

M. le rapporteur général. Il faut laisser agir l’offre et la demande !

M. Christian Eckert, président. Monsieur le rapporteur général, nous vous remercions.

La Commission autorise la publication du rapport d’information du rapporteur général sur l’application de la loi fiscale.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 30 juin 2010 à 16 h 15

Présents. - M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. René Couanau, M. Michel Diefenbacher, M. Christian Eckert, M. Marc Goua, M. François Goulard, Mme Arlette Grosskost, M. Laurent Hénart, M. Jean Launay, M. Jean-François Mancel, M. Henri Nayrou

Excusés. - M. Jean-Claude Flory, M. Jacques Pélissard, M. Michel Vergnier

Assistaient également à la réunion. - M. Hervé Féron, M. André Schneider

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