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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 2 mars 2011

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 59

Présidence de M. Jérôme Cahuzac, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de MM. Bernard Spitz, Président de la Fédération française des sociétés d’assurance, et Henri de Castries, Président-directeur général d’Axa, sur la fiscalité du patrimoine

–  Présences en réunion

La Commission entend, en audition ouverte à la presse, MM. Bernard Spitz, Président de la Fédération française des sociétés d’assurance, et Henri de Castries, Président-directeur général d’Axa, sur la fiscalité du patrimoine.

M. le président Jérôme Cahuzac. En attendant les arbitrages gouvernementaux, nous voudrions, messieurs, connaître votre appréciation sur la fiscalité actuelle, surtout en ce qui concerne les produits d’assurance, et savoir ce qui, selon vous, mériterait d’être conservé ou modifié.

Quel sera l’impact de la délicate mise en œuvre de la directive Solvabilité 2 sur le secteur de l’assurance ? Quel peut être le rôle de la fiscalité eu égard aux contraintes qui vont s’imposer à vous et à l’économie française ?

M. Bernard Spitz, président de la Fédération française des sociétés d’assurance. Véritable contrat de confiance de long terme entre l’État et les épargnants, l’assurance-vie constitue le poumon de l’économie française que les assurances sont un des rares acteurs à financer dans une perspective de long terme.

À cet égard, l’année 2010 a été une année historique car elle a enregistré un double record. L’encours – 1 300 milliards d’euros – n’a jamais été aussi élevé, de même que celui investi dans les entreprises – 940 milliards –, qui représente 56 % des actifs des compagnies d’assurance, soit 17 % en actions et un peu moins de 40 % en obligations. Jamais l’assurance n’a autant financé les entreprises. Les assureurs possèdent ainsi près de la moitié des obligations privées et près du tiers de la dette publique française dans les mains des investisseurs domestiques. Or la part de la dette publique détenue par les résidents est un paramètre important aux yeux des marchés.

L’assurance est donc au cœur du financement de l’économie et toute déstabilisation de la première aurait des répercussions gravissimes sur la seconde.

Ainsi, une hypothétique « décollecte » de 150 milliards d’euros se traduirait par la remise sur le marché de 50 milliards d’obligations d’entreprises, de 30 milliards d’actions, de 20 milliards de dette publique française et de 20 milliards de dette publique des autres pays de la zone euro. Le risque vous paraît peut-être théorique, mais souvenez-vous de l’impact considérable de la réforme, en 1998, de la fiscalité de l’assurance-vie sur le comportement des épargnants : celle-ci a eu pour conséquence immédiate une décollecte, au moins dans un premier temps. Rappelez-vous aussi la modification de la fiscalité du plan d’épargne logement – PEL –, en 2006, qui a provoqué un effondrement non seulement de la collecte, mais aussi du stock, qui n’a jamais été récupéré depuis, en dépit du caractère prétendument insubmersible du produit.

L’hypersensibilité des Français à la fiscalité est avérée. Et la progression constante de la collecte d’assurance-vie depuis dix ans n’est pas sans lien avec la stabilité fiscale. C’est pourquoi nous parlons d’un contrat de confiance : les gens ne s’engagent à long terme qu’à la condition que les règles du jeu ne changent pas entre-temps.

De plus, l’ancienneté des contrats – les contrats anciens, de plus de huit ans, qui sont les plus volatils, représentent quasiment les deux tiers des encours –, l’impact attendu de Solvabilité 2, l’évolution des taux et l’environnement financier sont à prendre en compte pour évaluer les effets d’une modification de la fiscalité. Après la décollecte de fin 2008 en relation avec la crise financière, nous avons enregistré à nouveau une décollecte au mois de décembre 2010 et au mois de janvier 2011, où la chute a été de 11 %.

Enfin, l’assurance-vie est en concurrence avec d’autres produits d’épargne, du type Livret A : étant donné l’évolution actuelle des taux, la prime donnée à la détention de l’épargne longue a tendance à diminuer.

Pour répondre à votre sollicitation sur les mesures qui pourraient être les plus efficaces sur le plan budgétaire et fiscal, nous devons déjà nous poser une série de questions, la première étant de savoir si l’assurance-vie bénéficie actuellement d’une fiscalité réduite, ou pas. Si l’on prend en compte les prélèvements sociaux et les prélèvements fiscaux, on s’aperçoit que les produits les plus pénalisés sont l’assurance-vie de moins de quatre ans, ce qui n’est pas illogique puisqu’elle est conçue pour être un produit de long terme. L’assurance-vie entre 4 et 8 ans est encore fortement taxée et, après 8 ans de détention, elle connaît encore des prélèvements supérieurs aux PEA, PEL. Seuls les livrets A, bleu, jeune et les LDD sont exonérés. L’avantage fiscal de l’assurance-vie est donc très relatif.

Deuxièmement, la dépense fiscale de 1 milliard d’euros est-elle efficace ? Ce montant est à comparer à l’encours de l’assurance-vie – 1 300 milliards d’euros – mis au service de l’économie. Pour une dépense fiscale équivalente, les livrets défiscalisés ne drainent que 320 milliards d’euros.

Troisièmement, si l’assurance-vie a un coût pour les finances publiques, elle leur procure aussi des recettes : 4,6 milliards au titre des prélèvements sociaux, et 500 millions d’impôt sur le revenu, sans compter l’ISF.

Enfin, on a longtemps véhiculé l’idée que, parmi les dépenses fiscales, celle liée à l’assurance-vie, à hauteur de 3 milliards d’euros, était l’une des plus importantes. Or la réalité est tout autre puisque – c’est le chiffre officiel – elle est, en 2010, d’un milliard d’euros, ce qui la met plutôt en queue de peloton.

Si la dépense fiscale est faible, les recettes budgétaires à attendre d’une réforme le sont également. Ainsi, l’augmentation d’un point seulement de l’ensemble des prélèvements libératoires forfaitaires, quel que soit l’âge des contrats, ne représenterait pour le Trésor public qu’un gain de 30 millions d’euros. En cas de réforme, les recettes potentielles seraient donc très faibles.

En outre, l’assurance-vie est un support populaire, dans tous les sens du terme. Elle compte 15 millions de détenteurs, concerne 30 millions de personnes – souscripteurs ou bénéficiaires – qui se répartissent dans toutes les catégories socioprofessionnelles, des agriculteurs aux cadres supérieurs. Ainsi, les trois quarts des souscripteurs sont des ouvriers, des employés, des agriculteurs et des cadres moyens, et les deux tiers des ménages détenteurs gagnent moins de 36 000 euros par an, soit moins de 3 000 euros par mois.

En conclusion, les recettes fiscales et sociales qu’apporte l’assurance-vie se montent à 5 milliards d’euros. Elle draine 1 300 milliards d’épargne longue, dont 940 milliards vont aux entreprises. Elle finance la moitié des obligations d’entreprises françaises et le tiers de la dette publique française possédées par les Français. Elle constitue un placement pour 30 millions d’entre eux, le tout pour une dépense fiscale de 1 milliard d’euros, ce qui présente pour le moins un excellent rapport qualité/prix.

M. Henri Emmanuelli. Le contraire nous eût étonnés !

M. Henri de Castries, président-directeur général d’Axa. Étant d’accord avec ce qui vient d’être dit, j’élargirai seulement le panorama à la soixantaine de pays dans lesquels Axa opère.

Pour mesurer la contribution de l’assurance-vie au financement de l’économie et la fiscalité qui la frappe, trois indicateurs doivent être pris en considération : la cohérence des dispositifs, leur efficacité économique et leur stabilité dans le temps.

Partout dans le monde, l’assurance-vie joue un rôle important dans le financement long de l’économie, puisqu’elle investit des ressources longues. En France, ce produit d’épargne a pris une place plus importante qu’ailleurs, non en raison d’un statut fiscal privilégié, mais parce qu’il est pratiquement le seul véhicule d’investissement long, à la différence de pays comme l’Angleterre et les Pays-Bas, où il existe des fonds de pension.

En raison de sa nature même, l’assurance-vie contribue de façon décisive à la stabilité du système financier, mais sa place pourrait être fragilisée dans les années qui viennent. Ce système repose sur les banques, d’une part, qui interviennent en transformant des ressources courtes en emplois longs et, d’autre part, sur les assureurs qui, à leur différence, collectent des ressources longues pour financer des emplois longs, et qui ont vocation à être des opérateurs contra-cycliques en cas de perturbation des marchés. Mais ils le seront de moins en moins à cause de Solvabilité 2. Si, pendant la crise financière, les assureurs n’ont pas eu de difficultés particulières, c’est qu’ils n’ont pas de problème de liquidité : les clients ne se ruent pas à leurs guichets. Quant à AIG, il doit sa chute à son activité hors assurance.

Il y va de l’intérêt général que la réglementation qui s’applique à l’assurance soit, dans toutes ses composantes, aussi efficace et cohérente économiquement que possible. Or elle ne l’est pas totalement. L’Europe est une des parties du monde où le taux d’épargne est le plus élevé, à un niveau comparable à celui des pays émergents, mais cette épargne n’est pas investie au mieux. Une bonne orientation de l’épargne longue est fondamentale pour augmenter la croissance et améliorer l’emploi. Deux moyens sont, pour cela, à disposition : la réglementation fiscale et la réglementation professionnelle.

La réglementation fiscale est largement cohérente dans notre pays puisque, si le client se ravise et reprend son capital avant l’échéance prévue, il ne bénéficiera d’aucun avantage, l’assurance-vie étant, à court terme, le produit le plus taxé. En revanche, si le souscripteur tient son engagement, il bénéficiera d’un traitement fiscal plus favorable. Sur le plan fiscal, le système est à peu près équilibré.

Mais la fiscalité n’est pas seule en cause ; la réglementation prudentielle en matière de solvabilité dicte aussi en partie nos investissements. À cet égard, Solvency 2, applicable en 2013, comporte manifestement des risques si ses règles ne sont pas correctement calibrées d’ici là.

On a adopté une mesure des risques à court terme – ce qui est paradoxal puisque les engagements sont à long terme –, ce qui a d’ores et déjà conduit les compagnies européennes à modifier la structure de leurs placements et à vendre 400 milliards d’euros d’actions au cours des cinq ou six dernières années. En effet, un investissement en obligation demandera quinze fois moins de capital réglementaire que l’investissement équivalent en action. On s’est intéressé au sujet bien tardivement mais il est encore temps d’influer sur une règlementation qui s’imposera prochainement. Si l’on veut garder le contrôle de certains actifs économiques – ce qui est possible au vu du taux d’épargne longue que nous connaissons –, il faut se demander si les réglementations prudentielles envisagées sont cohérentes avec les objectifs politiques poursuivis. Quoi qu’il en soit, Solvency 2 nous obligera à modifier notre politique de placement et une modification significative de la fiscalité risquerait d’accentuer encore les déséquilibres qui pourraient se manifester.

Bernard Spitz a souligné à juste titre le poids des contrats de plus de huit ans, qui sont mobiles. Il n’a échappé à personne que la plupart de nos clients ont encore, du fait de la crise, une forte aversion au risque. Les investissements en actions, c'est-à-dire sur des supports en unités de compte, sont totalement procycliques. Quand les marchés sont au plus haut, les investissements en actions représentent jusqu’à 50 % des ventes d’Axa et, quand ils sont au plus bas, 10 ou 15 % seulement. Nous sommes environ à 20 % aujourd'hui. Le petit porteur, malheureusement, a tendance à acheter au plus haut et à vendre au plus bas. De plus, il est probable que les taux longs continuent de monter.

Dans ce contexte, tout changement de fiscalité peut avoir, sur un stock d’épargne mobile, des conséquences tangibles – les flux de ces derniers mois l’ont montré –, c'est-à-dire concrètement des ventes d’actions. J’observe par ailleurs que les assureurs détiennent 60 % de la dette bancaire, c’est dire leur rôle dans le financement des banques qui font du crédit : elles ont besoin de l’épargne des assureurs.

Dans l’intérêt général, nous recherchons évidemment une allocation efficace de l’épargne, dont la fiscalité et la réglementation soient cohérentes avec les objectifs de politique économique, et aussi stables que possible : en période d’incertitudes fortes, toute modification brutale de l’environnement est de nature à aggraver l’instabilité.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Que pensez-vous de l’imposition annuelle des plus-values latentes des produits d’assurance-vie ? Par ailleurs, depuis des années, les banquiers nous alertent sur les risques de renchérissement du coût du crédit, notamment pour les PME, à cause de Bâle 3, et, maintenant les assureurs sur les risques d’éviction des actions à cause de Solvency 2. Pourriez-vous nous éclairer sur le processus de décision ? Que peut le législateur national ?

M. le président Jérôme Cahuzac. M. Spitz nous a décrit un schéma qui met en évidence une décollecte après la réforme de 1998, mais la collecte a retrouvé son niveau deux ans plus tard. Ne peut-on en déduire que la réactivité indiscutable de l’épargnant n’exclut pas son adaptation ?

M. Henri de Castries. L’imposition de plus-values latentes me semble délicate car qui dit latent dit non réalisé, donc aléatoire et volatil. Le latent, au moins en partie, sera incertain et discrétionnaire. Comment évaluer les variations du non-coté ? On taxerait ainsi une potentialité avec un impôt bien réel. Un tel dispositif entraînerait de la décollecte et accroîtrait sans doute la volatilité. Si l’impôt avait existé ces trois dernières années où la volatilité a été forte, il aurait été totalement procyclique.

M. le rapporteur général. Je partage totalement cet avis.

M. Henri de Castries. Quant au processus de décision, il faut distinguer Bâle 3 qui est un système mondial, et Solvency 2, qui est européen. Dans ce dernier cas, tout est parfaitement clair : ce sont la Commission et le Conseil européens qui décident. Les assureurs alertent depuis des années sur les risques de cette directive. Aujourd'hui, les autorités françaises sont vigoureusement mobilisées, pour aboutir à un résultat correct. La Commission mettra sur la table une proposition finale et, pour s’y opposer, une majorité des deux tiers sera nécessaire. Les gouvernements doivent faire valoir que l’excès de prudence se paiera par une croissance nulle car, pour le moment, il n’y a pas de différence entre Bâle 3 et Solvency 2. Si les acteurs dans les métiers d’intermédiation financière doivent empiler les strates de capital dans le seul but d’éviter la crise multiséculaire, il faudra, en attendant, accepter une moindre croissance ou des produits plus chers pour les clients. Il conviendrait donc de bien mesurer les termes de l’équilibre.

Enfin, l’impact d’une réforme de la fiscalité doit être replacé dans le cycle boursier. La collecte a repris après 1998 parce que les marchés étaient favorables. Tout le monde a intérêt à drainer des flux réguliers pour lisser les cycles. En cas de déstabilisation fiscale, il est probable, compte tenu de la conjoncture, que l’épargne se reporterait sur des actifs jugés, à tort ou à raison, plus sûrs, tels l’or ou l’immobilier, plutôt que sur des investissements productifs.

M. Bernard Spitz. Taxer un revenu qui n’est ni réalisé ni disponible serait une curiosité qui n’existe nulle part ailleurs. Elle ferait sûrement réfléchir beaucoup d’épargnants qui risqueraient fort de « sortir » des dispositifs, ce qui raccourcirait la durée des investissements, en contradiction avec l’objectif de la politique économique.

En ce qui concerne Solvency 2, la directive a été adoptée et il faut s’en accommoder, sachant que les modalités d’application sont encore en débat. Tout est encore possible, le pire comme le meilleur. Les assureurs plaident seulement pour que soit prise en compte la dimension politique du sujet. Rappelez-vous le sort de la directive sur les services, adoptée dans l’indifférence générale avant que sa transposition en droit français ne suscite la fameuse polémique sur le plombier polonais !

Ne nous y trompons pas, la directive Solvency 2 se ressentira dans la vie quotidienne de nos compatriotes et le corps social réagira forcément. La Commission doit impérativement sortir de sa conception hyper-régulatrice et de sa vision ultra-court-termiste qui se retrouve de surcroît dans les normes comptables. Bruxelles a pris à contre-pied les assureurs, dont l’activité s’inscrit par nature dans le long terme et qui sont, de ce fait, les alliés des pouvoirs publics dans leur recherche de l’intérêt général. Il est encore temps d’agir, et nous avons d’ailleurs mis sur pied une plate-forme franco-allemande de façon à proposer des améliorations. Nous sommes en discussion avec d’autres partenaires européens pour demander aux gouvernements de soutenir nos propositions devant le régulateur et la Commission.

Quant à une éventuelle réforme fiscale, les circonstances tant internationales qu’européennes et l’évolution des taux ne plaident pas en faveur d’un tel risque. Les assureurs le mesurent bien avec la décollecte qu’ils constatent. Par ailleurs, si les épargnants se détournent de l’assurance-vie, ils investiront dans l’immobilier et n’hésiteront pas à utiliser des dispositifs du type Scellier de sorte que, paradoxalement, pour réduire la dispense fiscale d’un côté, vous l’accroîtrez de l’autre, au détriment du budget.

M. Jérôme Chartier. La négociation de la directive doit nous inciter à réfléchir sérieusement à la façon dont la représentation nationale est impliquée dans le processus de décision quand l’impact est tel sur l’économie française. Et il est urgent de donner suite à ma proposition d’organiser des auditions sur Bâle 3 et Solvency 2.

Si vous mettiez la casquette des politiques, messieurs, par quelles ressources compenseriez-vous la suppression de l’ISF ?

M. Jean Launay. La diminution de l’encours de PEL n’est-elle pas due surtout à la baisse des taux, qui rendait les crédits bonifiés peu attractifs ?

Pourriez-vous nous préciser l’encours moyen des contrats par catégorie socioprofessionnelle, ou la valeur du contrat moyen ?

La crise financière a révélé les pertes subies par les établissements bancaires qui ont dû reconstituer leurs fonds propres. Quel a été son impact sur les compagnies d’assurance ?

M. Henri de Castries. Le bilan des assurances est évalué à 98 % selon le principe du mark to market, les 2 % restants correspondant au non-coté – ce qui contredit l’idée reçue que les compagnies d’assurance seraient des « boîtes noires » –, à la différence des banques, dont les encours de prêts sont enregistrés à leur valeur nominale. Si certains assureurs ont fait des pertes, elles ont été comptabilisées. Les compagnies françaises sont restées profitables sur l’ensemble de la période. Chez Axa où la France représente 20 % des activités, le résultat opérationnel est passé de 5 milliards d’euros en haut de cycle à 4 milliards, mais, globalement, nous n’avons pas perdu d’argent. C’est ce qui nous conduit à considérer que les assureurs ne présentent pas un risque systémique : ils sont au contraire des amortisseurs de chocs.

Pour ce qui est des PEL, l’évolution des taux se ressent en effet sur la collecte, ce qui conforte les propos de Bernard Spitz. Aujourd'hui, une remontée des taux longs est fort probable car une dette publique jugée excessive ne pourra pas se financer longtemps à des taux historiquement bas. Et ce phénomène accentuera la mobilité des capitaux car l’épargnant sera tenté de se dégager des actifs anciens pour se repositionner sur les nouveaux, plus rentables. Une secousse fiscale irait dans le même sens.

M. Bernard Spitz. Il est certain qu’une réforme fiscale constituerait un signal négatif auprès de la masse des épargnants, au moins dans un premier temps. Dans le contexte économique actuel, nous n’avons pas la garantie que l’argent reviendrait dans le circuit de financement de l’économie ou de la dette publique, et se détournerait des livrets défiscalisés, qui sont loin d’être saturés, de l’or et, surtout, de l’immobilier. La dépense fiscale correspondant à l’assurance-vie étant faible, les économies potentielles le sont aussi, mais les dégâts économiques peuvent être quant à eux très lourds.

M. Jean-Pierre Brard. À vous entendre, il ne faudrait toucher à rien, sauf peut-être aux actions, pour vous éviter d’être mis à contribution. Pourtant, je continue à m’interroger, comme M. Launay, sur votre état de santé, et non sur celui des assurés.

Votre activité ne se limite pas à l’assurance-vie. L’année dernière, le Gouvernement nous avait assurés que les mesures qu’il prenait n’auraient qu’une incidence marginale sur les clients. Pourtant, les primes ont augmenté pour vous permettre d’être plus « profitables ». Il n’y a pas de raison de ne solliciter que vos clients pour renflouer les caisses de l’État.

Comment voyez-vous votre avenir en général ?

M. Daniel Garrigue. Les compagnies d’assurance auraient pu être favorables à une réglementation qui contribue à stabiliser leurs avoirs. Alors, qui est cet « ennemi » qui pousse à une prudence extrême ?

Quelles sont les contreparties, notamment en termes de placement en actions, des contrats d’assurance-vie « Sarkozy » et « Strauss-Kahn », qui bénéficient d’avantages fiscaux exorbitants ? Depuis deux ans, mon amendement visant à ce que de 2 à 4 % des sommes collectées par ces contrats soient orientées vers les PME ou les jeunes entreprises innovantes est refusé par Bercy. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Michel Fourgous. Selon vous, l’encours de 1 300 milliards d’euros génère 5 milliards d’euros de recettes fiscales annuelles. Mais quelles sont les rentrées indirectes, qu’il faut prendre en compte pour apprécier la rentabilité d’un produit fiscal ?

Par ailleurs, où en est la réflexion sur un rallongement du délai à douze ans, ainsi que sur le 2 % de non-coté ?

Sur les 400 milliards d’actions de la zone euro qui ont été revendues, que représentaient les entreprises françaises ? Que faut-il faire pour endiguer cette hémorragie très dangereuse pour notre économie ?

Quel est le lien entre notre AAA et l’épargne longue ?

M. François Goulard. Je m’étonne toujours du tracassin fiscal qui nous anime.

L’assurance-vie constituait jusqu’à présent un pôle de relative stabilité. Le véritable concurrent des placements à long terme, c’est l’immobilier, domaine dans lequel notre imagination fiscale est débordante : les plans, les programmes, les dispositifs de soutien fort coûteux se succèdent, comme si l’immobilier ne pouvait pas fonctionner tout seul ! Tout le monde a pourtant besoin d’habiter quelque part ! Au lieu de stimuler l’offre, on stimule le plus souvent les prix, au risque de provoquer une sorte de bulle anti-économique. Plutôt que l’assurance-vie, le vrai sujet me semble être la fiscalité trop généreuse dont bénéficie l’immobilier, notamment le dispositif Scellier, et les restrictions constantes à la construction qui déséquilibrent le marché !

M. Olivier Carré. Toute réforme ne vaudra que pour les nouveaux contrats, rassurez-vous ! Mais votre argumentation me gêne sur quelques points.

Si l’assurance-vie rapporte peu à l’État, c’est que les prélèvements qui la frappent sont faibles. Eh bien, dans ce cas, le problème de la décollecte ne se pose pas vraiment.

Ensuite, vous annoncez 500 millions d’euros de recettes fiscales. Par rapport aux masses en jeu, la somme est là aussi extrêmement faible. La note qui ramène la dépense fiscale de 3 milliards d’euros à 1 milliard se fonde sur le fait que, jusqu’en 1992 ou 1996, les contrats n’étant pas fiscalisés du tout, leur éventuelle taxation ne peut donc pas être considérée comme un manque à gagner. Soit, mais les écarts de taxation entre les autres revenus du patrimoine et ceux des contrats d’assurance-vie de plus de huit ans sont considérables, et on peut ne pas partager votre point de vue selon lequel il n’y a pas grand-chose à espérer des 53 milliards de revenus annuels distribués par l’assurance-vie, en particulier s’agissant des très hauts revenus. Les personnes concernées peuvent, par le biais des rachats, obtenir des revenus très peu taxés par rapport à d’autres types de revenu. Il serait possible de ne pas toucher aux contrats de moins de 1 million d’euros, par exemple.

Les chiffres sont justes – à l’exception des 500 millions d’euros au titre de l’impôt sur le revenu, qui s’établissent en fait à 90 millions d’après Bercy et qu’il faut mettre en regard des 53 milliards d’intérêts versés –, mais votre discours alarmiste doit être relativisé.

Si l’assurance-vie a été ménagée sur le plan fiscal, il n’en a pas été de même sur le plan social. Et quand le prélèvement fiscal de 7,5 % a été instauré, la collecte n’en a pas été considérablement modifiée, au-delà de la deuxième année. Dès lors que l’État reste loyal et ne change pas le taux de prélèvement en cours de route, les épargnants l’acceptent.

La transmission de l’assurance-vie en franchise de droits de succession fait partie du socle patrimonial des Français, aux côtés du Livret A et de la résidence principale. Mais l’optique de placement, qui n’était pas la priorité au départ, a pris de l’importance. Les taux servis sont remarquables, autour de 4 %, supérieurs au taux des OAT, et expliquent l’attrait des Français pour ce type de placement.

Que pèse le dernier centile des souscripteurs ? S’il est important de connaître les moyennes, l’information sur les extrêmes est tout aussi intéressante.

L’assurance-vie finance les entreprises, surtout via des titres de créance, mais que leur apporte-t-elle en fonds propres ? Que pourrions-nous faire pour vous inciter à vous orienter vers ce type de placement, en prévoyant par exemple des modalités d’amortissement spécifiques qui existent ailleurs ?

Enfin, l’allongement au-delà de huit ans de la durée de vie des contrats nouveaux serait-il de nature à rassurer et à attirer les souscripteurs ?

M. Marc Goua. Dans les produits de taux que vous détenez, quelle est la part respective des taux variables et des taux fixes qui devraient receler respectivement des plus et des moins-values latentes ?

M. Louis Giscard d'Estaing. La durée du contrat s’apprécie actuellement à partir de la date d’ouverture, et non de celle du versement des fonds, ce qui se fait pourtant pour l’épargne salariale, par exemple. Que se passerait-il si l’on adoptait ce mode de calcul glissant ?

Que proposeriez-vous d’autre que l’assurance-vie pour compenser l’ISF ?

M. François Scellier. Ce n’est pas le soutien à l’immobilier locatif qui est la cause de la hausse exagérée des prix, mais l’écart entre l’offre et la demande et l’échec répété de nos tentatives pour réduire le coût du foncier. Sans doute la municipalisation des sols est-elle une piste à étudier. Le manque actuel de logements ne provient-il pas aussi du désengagement des investisseurs institutionnels, faute de rentabilité ? Que faudrait-il faire pour qu’ils investissent à nouveau dans l’offre de logements ?

M. le président Jérôme Cahuzac. Je vous demande à mon tour par quoi on pourrait remplacer le produit de l’ISF. Sa suppression vous paraît-elle opportune et justifiée ?

M. Bernard Spitz. Je n’ai pas de position, en tant que président de la Fédération française des sociétés d’assurance du moins. Mais à quoi bon supprimer l’ISF si c’est pour demander aux mêmes de payer la même chose, sur le même périmètre et sur la même période ? Si réforme il y a, elle doit être globale et arbitrer entre efficacité et équité.

Notre ligne directrice, c’est la défense de l’épargne longue : en assurant le financement de l’économie, celle-ci peut nous aider à sortir de la crise, à financer les retraites et la dépendance. Nous devons donc tout faire pour la protéger.

La recette fiscale est totalement liée aux flux de sortie de l’assurance-vie. La meilleure façon d’assurer une rentrée considérable à l’État, c’est de faire sortir tout le monde de l’assurance-vie ! Mais cela ne durera qu’un an. Au contraire, s’il s’agit de défendre l’épargne longue, il y a tout lieu de se réjouir du peu de sorties de l’assurance-vie, d’autant que l’encours investi dans les entreprises n’a jamais été aussi élevé. Et, malgré Solvency 2, 17 % de nos actifs restent investis en actions.

En tout état de cause, l’assurance-vie draine l’essentiel de l’épargne longue en France, et je ne peux que vous mettre en garde contre toute mesure qui serait de nature à la mettre en péril. M. Fourgous a raison de vouloir évaluer les synergies et les externalités positives de l’assurance-vie sur la croissance et l’emploi. Cet axe de la politique économique doit impérativement être conservé.

Les marchés accordent une grande importance à la part de la dette publique souscrite par les nationaux. Et là encore, le poids de l’assurance-vie est considérable. Tout ce qui tendrait à le réduire serait apprécié négativement.

Quant à l’engagement de 2 % dans le non-coté, il a été tenu jusqu’à la crise financière de 2008, date à laquelle les encours atteignaient 26 milliards d’euros. Mais, depuis lors, leur valeur a fondu pour s’établir à 22 milliards d’euros. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de l’argent des assureurs : il appartient aux épargnants, envers lesquels nous avons un devoir de conseil. Or les rendements du capital-risque publiés par l’Association française des investisseurs en capital montrent que ce sont des investissements à rendements faibles et très volatils d’une année à l’autre. Dès lors, faut-il aller à l’encontre des intérêts des assurés ? Sur les 22 milliards d’euros mis à disposition des fonds d’investissement, 6 milliards n’ont toujours pas été investis. Ce surplus devrait être résorbé avant de réclamer plus, d’autant que Solvency 2 pénalisera davantage la détention d’actions non cotées et empêchera ce qui était encore possible avant son entrée en vigueur.

M. Henri de Castries. Les questions que nous devons nous poser sont les suivantes : jouons-nous notre rôle dans le financement long de l’économie et, dans l’affirmative, pourrions-nous le jouer mieux ? La fiscalité influe-t-elle sur le système ? Le réglage est-il optimal sur le plan national ?

À la première question, la réponse est oui, mais nous pourrions mieux jouer notre rôle si la réglementation était plus cohérente et si la réflexion sur le degré de risque acceptable était plus poussée. La crise financière a provoqué une dérive excessive dans la recherche du risque zéro, qui pourrait se payer par une croissance et un emploi moindres. Demander par précaution plus de capital aurait un coût politique, économique et social. Il serait bon que tout le monde se mobilise pour que Solvency 2 soit correctement calibrée.

Si une pilule peut être bénéfique pour un patient, l’absorption d’une boîte entière peur avoir des effets indésirables. Tout est une question de dosage !

À la deuxième question, je répondrai également par l’affirmative. Le contrat de confiance avec le client engage ce dernier sur le long terme, en contrepartie d’une fiscalité plus favorable. L’équilibre atteint aujourd'hui est à peu près cohérent : le modifier aurait des conséquences.

Sans esquiver le débat sur l’ISF, il faut garder en tête les objectifs que sont la détention du capital des grandes entreprises françaises et le nombre d’entreprises moyennes capables d’être un relais de croissance. La France a raison d’être fière de la réussite des entreprises du CAC 40, mais la part de leur capital détenue par des résidents ne cesse de diminuer.

Les assureurs sont des investisseurs naturels mais, s’ils doivent le rester ou s’engager davantage, il importe que les règles de solvabilité soient compatibles avec ces orientations et que l’investissement long en actions ne soit pas pénalisé. La question doit être portée à Bruxelles car la France n’est pas la seule en cause. Nos homologues allemands sont d’ailleurs sur la même ligne que nous. Nous pourrions détenir plus d’actifs longs si la réglementation leur était plus favorable. Le meilleur fonds souverain de la France, c’est la mutualisation intelligente de son épargne.

En ce qui concerne le non-coté, Axa est allée au-delà de ses engagements, car il représente plus de 3 % des actifs. Axa Private Equity est le deuxième acteur européen, et probablement le quatrième ou le cinquième mondial dans le non-coté. Mais nous nous heurtons aux règles de solvabilité.

Oui, les gros patrimoines sont nos clients, et nous constatons que la fiscalité française sur le patrimoine agit comme un désherbant : beaucoup de gens s’en vont. On ne peut pas se plaindre d’avoir moins de grosses et moyennes entreprises que les Allemands et, dans le même temps, adopter une fiscalité qui les incite à aller ailleurs. On oscille toujours entre une taxation zéro et une taxation confiscatoire. Pourtant, tout le monde sait que le meilleur impôt est celui qui combine une assiette large et un taux faible. Nous ne sommes plus à l’époque où l’inflation était de 10 ou 12 % et la hausse des marchés d’actions de 12 ou 15 % par an. Les taux d’intérêt longs sont à 3 %, si bien que le taux marginal de 1,8 %, aussitôt qu’il ne s’agit plus de l’outil de travail, devient confiscatoire.

Maintenant, ce ne sont plus seulement les entrepreneurs à la retraite qui s’en vont : ce sont aussi les trentenaires et les quadragénaires, ceux qui entreprennent. Mais ce n’est pas à nous qu’il appartient de faire les choix politiques !

Qu’on le veuille ou non, les marchés sont ouverts. Un inventeur peut trouver du capital et des équipes qualifiées partout dans le monde. Jamais les barrières à la mobilité n’ont été aussi peu nombreuses, ni les désincitations aussi efficaces, surtout pour les services. Dès lors, des taux excessifs et des assiettes trop étroites mènent inévitablement à la disparition de la matière fiscale.

M. Henri Emmanuelli. M. de Castries vient de nous démontrer que la libre circulation des capitaux et des marchandises sous-tendait une logique de moins-disant fiscal et social.

M. le président Jérôme Cahuzac. Nous vous remercions, messieurs, pour vos explications.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 2 mars 2011 à 9 h 30

Présents. - M. Dominique Baert, M. Claude Bartolone, M. Jean-Marie Binetruy, M. Pierre Bourguignon, M. Jean-Pierre Brard, M. Jérôme Cahuzac, M. Bernard Carayon, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. Jean-Yves Cousin, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, M. Michel Diefenbacher, M. Henri Emmanuelli, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Claude Flory, M. Nicolas Forissier, M. Jean-Michel Fourgous, M. Marc Francina, M. Daniel Garrigue, M. Georges Ginesta, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. François Goulard, Mme Arlette Grosskost, M. David Habib, M. Laurent Hénart, M. Alain Joyandet, M. Marc Laffineur, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Patrick Lemasle, M. Richard Mallié, M. Jean-François Mancel, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mathis, M. Henri Nayrou, M. Nicolas Perruchot, M. François Scellier, M. Michel Vergnier

Excusés. - M. René Couanau, M. Christian Eckert, M. Victorin Lurel, M. Pierre-Alain Muet, Mme Isabelle Vasseur

Assistait également à la réunion. - M. Lionnel Luca

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