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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mardi 12 juillet 2011

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 98

Présidence de M. Yves Censi, Vice-Président

–  Examen d’un rapport de la mission d’information sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (MILOLF) (MM. Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Thierry Carcenac et Charles de Courson, rapporteurs)

–  Examen d’un rapport d’information de M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial, sur la taxe sur les billets d’avion et l’utilisation de ses recettes 12

–  Présences en réunion

La Commission examine le rapport de la mission d’information sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (MILOLF) (MM. Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Thierry Carcenac et Charles de Courson, rapporteurs).

M. Yves Censi, président. Votre rapport, cette année, est consacré à l’effet de la LOLF sur les décisions d’attribution des moyens budgétaires – soit à la fois la préparation du projet de loi de finances et l’appropriation de la LOLF par le Parlement. Pour ce qui sera certainement votre dernier rapport de la législature, vous avez donc choisi, messieurs les rapporteurs, un thème qui a valeur de bilan d’une loi organique adoptée il y a tout juste dix ans, et entrée totalement en application depuis cinq ans.

M. Michel Bouvard, rapporteur. Ce bilan d’étape précédera l’évaluation de la Cour des comptes, pour laquelle M. Alain Pichon et la formation inter-chambres qu’il préside nous ont d’ailleurs auditionnés tous les quatre. Que la Cour ait décidé d’effectuer ce travail n’étonnera pas ceux qui connaissent son Premier président…

Nous avons choisi, en ce qui nous concerne, de nous intéresser à la prise en compte des acquis de la LOLF par le Gouvernement et à l’appropriation de cette même loi organique par le Parlement, ce dans l’optique de produire un document utile pour la prochaine législature. Nous avons ainsi tenté de dresser un bilan critique de la manière dont le Gouvernement, le Parlement et les services gestionnaires se sont saisis des outils offerts par ce texte pour moderniser la préparation du budget, pour rénover l’examen des lois de finances et pour renforcer le contrôle budgétaire et financier, en vue d’une plus grande efficacité de la dépense publique.

Notre rapport d’information est composé de trois grandes parties, auxquelles s’ajoute une brève analyse du déploiement du système d’information financière Chorus, outil essentiel au fonctionnement même de la loi organique, notamment en raison de l’apport qu’on en attend pour une comptabilité analytique, mais outil pour lequel le retour sur investissement nous apparaît de plus en plus aléatoire.

Comme les années précédentes et avec l’accord de nos deux co-rapporteurs, Thierry Carcenac et moi-même nous partagerons la présentation de nos trente-huit propositions, dont le texte vous a été distribué.

M. Thierry Carcenac, rapporteur. Nous avons en effet souhaité laisser une sorte de vade-mecum pour les prochains rapporteurs spéciaux de la commission des Finances.

La première partie de ce rapport, intitulée « Moderniser la préparation du budget : une ambition contrariée », a pour objet d’étudier les modifications apportées par la LOLF dans le processus d’allocation des moyens, afin d’améliorer la gestion publique. La nouvelle architecture budgétaire, avec la répartition des crédits entre missions, programmes et actions, rompt en effet avec la logique de la loi organique de 1959, centrée sur des budgets ministériels divisés en chapitres, et qui distinguait entre services votés et mesures nouvelles, cependant que le nouveau rôle dévolu aux gestionnaires et l’introduction d’un dispositif de performance au cœur de la préparation budgétaire ont transformé les pratiques des différents acteurs.

Cependant, au terme de cinq ans d’application, la mise en œuvre de la LOLF apparaît perfectible. Ainsi, le lien entre le dispositif de performance et le processus d’allocation des moyens est trop ténu et les responsables de programmes – dont les secrétaires généraux des ministères – auditionnés par la Mission ont tous relevé une déconnexion entre le calendrier des conférences de répartition et celui des conférences de performance, conférences que la Mission propose donc de fusionner au moment de la préparation du budget.

M. Henri Emmanuelli. Du point de vue chronologique, la chose est loin d’être évidente.

M. Thierry Carcenac, rapporteur. Répartition des moyens et conférences de performance se succèdent en effet, mais nous proposons, à tout le moins, de réunir les mêmes interlocuteurs dans les deux cas ; c’est l’objet de la proposition n° 4.

D’autre part, la Mission considère qu’il convient de justifier systématiquement la hiérarchisation des indicateurs de performance, qui sont passés de 1 284 en 2006 à 894 aujourd’hui. Leur standardisation, également, serait utile afin de comparer les performances entre les différents ministères, alors qu’aujourd’hui chacun de ceux-ci s’en sert surtout pour démontrer à bon compte qu’il a atteint ses objectifs. Ce point fait l’objet de la proposition n° 3.

De même, la mesure et les résultats de la performance sont trop rarement exploités pour justifier les redéploiements de crédits au sein des missions. Les ministres doivent mieux assumer leur mission de pilotage budgétaire, sans en rester à la présentation d’objectifs dictés parfois par un souci de simple communication.

La MILOLF suggère aussi – c’est sa proposition n° 2 – de définir plus précisément la fonction des responsables de programme par rapport aux autres acteurs de la programmation budgétaire, et de favoriser une plus grande stabilité dans cette fonction.

Nos auditions ont permis de constater les contraintes auxquelles la LOLF a dû s’adapter : contraintes budgétaires liées à l’état de nos finances publiques ; nouveau calendrier issu de la programmation triennale ; influence de réformes telles que la révision générale des politiques publiques, la RGPP, ou la RéATE, la réforme de l’administration territoriale de l’État. La prise en compte de tous ces éléments au cours de l’élaboration du budget fait que de trop nombreux arbitrages sont rendus, comme précédemment, par le Premier ministre ou par son cabinet. Les gestionnaires entendus par la Mission ont ainsi déploré que leurs réunions avec la direction du Budget se résument plus souvent à un constat de désaccord qu’elles ne sont consacrées à la recherche d’un consensus, ce qui limite leur autonomie.

Ce constat nous amène à proposer une synchronisation de la programmation triennale et des réformes structurelles, ainsi que la stabilisation de la maquette budgétaire sur la période du budget triennal au moment du vote de la loi de finances.

Les propositions n°s 1, 8 et 9 visent à améliorer le suivi des opérateurs, dont la Mission considère qu’ils sont encore insuffisamment soumis à la LOLF et à la recherche d’une performance globale de l’État. Si des progrès ont été réalisés en ce qui concerne l’immobilier, les opérateurs doivent se voir appliquer les mêmes critères que ceux qui s’imposent aux services de l’État, s’agissant tant des effectifs que des gains de productivité demandés. Nous souhaitons que soit généralisé le recours aux contrats d’objectifs, de moyens et de performance.

Enfin, nous avons abordé deux sujets qui nous semblent être les « angles morts » de la LOLF : d’une part, la réforme de l’administration induite à la fois par la RGPP et par la RéATE ; de l’autre, l’augmentation des dépenses fiscales, dont nous nous sommes préoccupés lors du débat d’orientation budgétaire et à l’occasion du projet de loi de règlement. Les propositions 10 et 11 visent donc à imposer une évaluation systématique de ces « niches » et de leur pertinence.

M. Michel Bouvard, rapporteur. Dans la deuxième partie du rapport, nous nous efforçons de dresser le bilan de l’appropriation de la LOLF par le Parlement, qu’il s’agisse de son information ou de son rôle lors de l’examen du projet de loi de finances.

Nul ne peut contester que la LOLF a permis d’améliorer la qualité des documents budgétaires et des informations transmises au Parlement, et cela vaut notamment pour les projets annuels de performances – les nouveaux « bleus budgétaires ». Cependant, du point de vue quantitatif, on atteint des niveaux préoccupants, en masse – 14 000 pages pour le dernier projet de loi de finances – comme en coût – 2 millions d’euros par an. La Mission préconise donc, d’une part, la création d’un groupe de travail associant le Parlement et le ministère du Budget afin de déterminer les documents réellement et directement utiles à la discussion budgétaire – ce qui ne signifie pas, au demeurant, que les autres soient inutiles – et, d’autre part, la dématérialisation de leur transmission au Parlement – ce sont nos propositions 12 et 13. Cela permettrait d’améliorer les délais de leur analyse par le Parlement – puisque les ministères attendent qu’ils soient complets pour les lui transmettre –, comme y tend la proposition n° 14.

La proposition n° 15 a pour objet de favoriser, s’agissant de la préparation du projet de loi de finances, la coordination entre les rapporteurs pour avis et les rapporteurs spéciaux avant l’envoi des questionnaires parlementaires. L’objectif, là encore, est d’obtenir plus rapidement les informations demandées , par des questionnaires plus brefs et plus cohérents.

Enfin, la Mission s’est intéressée aux changements liés à la LOLF quant au pouvoir d’initiative des parlementaires, notamment en analysant la pratique des amendements de crédits. Les statistiques présentées page 50 du projet de rapport montrent que ceux-ci ne représentent qu’une faible part des amendements aux projets de loi de finances – 85 sur près de 1 300 déposés, et 24 sur environ 480 adoptés. Paradoxalement, les nouvelles possibilités offertes aux parlementaires en la matière sont une source d’insatisfaction ; d’ailleurs, le nombre de ces amendements est resté à peu près stable depuis 2006, alors que, depuis le projet de loi de finances débattu en 2008, le nombre global des amendements examinés a sensiblement augmenté.

Reconnaissons aussi que ces amendements de crédits, qu’ils soient d’origine parlementaire ou gouvernementale, ne sont presque jamais motivés par le souci d’améliorer la performance des gestionnaires. Nous souhaiterions qu’ils reposent davantage sur une réelle analyse budgétaire et de performance que sur une logique de redéploiement ; c’est le sens de la proposition n° 16.

La Mission s’est également intéressée à la recevabilité des amendements d’origine parlementaire – en d’autres termes, au vieux débat sur l’article 40. La proposition n° 17 tend à harmoniser sur ce point les règles entre l’Assemblée nationale et le Sénat ; avec la proposition n° 18, nous suggérons que soit établi un bilan de la mise en œuvre de l’article 40 à la fin de chaque législature. Ce sujet a suscité beaucoup de débats chez nos collègues !

S’agissant de l’exécution des lois de finances, la LOLF a permis de professionnaliser le dialogue de gestion au sein de l’exécutif, en vue d’une allocation optimale des moyens dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint. En revanche, malgré le renforcement de nos pouvoirs de contrôle et d’évaluation des politiques publiques, force est de reconnaître que l’implication de certains de nos collègues en ces matières reste insuffisante. Le projet de loi de règlement est, à cet égard, le « rendez-vous manqué » de la mise en œuvre de la loi organique.

Sur la professionnalisation de la gestion, les auditions ont montré que des progrès considérables ont été réalisés pour améliorer et structurer le dialogue de gestion entre responsables de programmes, de budgets opérationnels de programme (BOP) et d’unités opérationnelles (UO). De nouveaux outils de contrôle de gestion se mettent en place dans les différents ministères, et la révision prochaine du décret de 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique permettra de décliner, au niveau des BOP et des UO, les outils de la LOLF et la programmation pluriannuelle. Cette démarche doit être encouragée, comme le préconisent les propositions nos 19 à 21.

Nos auditions ont également montré que, face au mur du déficit, la gestion publique par la performance doit s’adapter : nous souhaitons que les responsables de programme – qui, désormais, doivent davantage gérer la pénurie que développer de nouveaux projets – disposent de nouvelles marges de manœuvre opérationnelle, notamment à travers la pluriannualité. Pour ce faire, la MILOLF préconise de réduire le nombre de BOP – qui sont de taille trop réduite – tout en limitant le nombre de BOP centraux, et de prohiber, par circulaire du Premier ministre, la pratique du « fléchage » des crédits déconcentrés depuis le niveau central – propositions nos 22 à 24. Les responsables de la cour d’appel de Chambéry m’ont ainsi indiqué hier que la réfection de la toiture de l’un des tribunaux faisait l’objet d’un fléchage de crédits depuis l’administration centrale du ministère ! Dans ces conditions, parler de l’autonomie de gestion des responsables de programme n’a aucun sens.

En outre, compte tenu des contraintes budgétaires actuelles, la Mission estime indispensable d’accentuer la démarche de performance engagée grâce à la LOLF, et ce de plusieurs manières : en systématisant l’envoi de lettres de mission à tous les responsables de programme lors de leur nomination – et en assurant la communication de ces lettres aux rapporteurs spéciaux – ; en permettant d’expérimenter entre les responsables de programme et de BOP une contractualisation garantissant un « retour » vers les agents d’une partie des gains de productivité ; en étendant à toutes les catégories d’agents la prime de fonctions et de résultat, quitte à expérimenter un dispositif complémentaire de rémunération collective en fonction de la performance du BOP ; enfin, en réactivant la fongibilité asymétrique dans une perspective pluriannuelle, afin de faciliter les reports de crédits économisés d’un exercice sur l’autre – propositions nos 25 à 28.

Le rapport recense tous les outils qu’offre la LOLF pour encadrer les mouvements de crédits réglementaires, pour renforcer les pouvoirs de contrôle et pour revaloriser le projet de loi de règlement. Les auditions des présidents de commission de l’Assemblée nationale et du Sénat ont montré que les parlementaires qui souhaitent s’impliquer dans le contrôle de l’exécution se heurtent toujours à des difficultés : retard dans le dépôt des documents demandés, refus d’informer ceux d’entre eux qui ne sont pas rapporteurs spéciaux… Mais il ressort surtout de ces auditions une implication insuffisante et aléatoire de nos collègues dans le contrôle budgétaire et financier. Trois raisons peuvent l’expliquer : l’insuffisante familiarité avec des domaines réputés techniques ; l’absence de prise en compte, par le Gouvernement, des conclusions de l’évaluation et du contrôle ; enfin, la trop faible attention des médias à ce type de travaux parlementaires.

Il est patent, au surplus, que la discussion du projet de loi de règlement n’est pas devenue le temps fort du débat budgétaire : en commission, cet examen dure en moyenne trois fois moins longtemps que celui du projet de loi de finances et, en séance publique, de quinze à vingt-cinq fois moins. En outre, il a lieu à la fin du mois de juin, en général un lundi après-midi, et il précède parfois l’audition des responsables de programmes. Nous suggérons donc de réserver une semaine dans l’ordre du jour à l’examen exclusif de ce projet, de créer un groupe de travail en vue de redéfinir les modalités de cet examen, de favoriser la participation des députés et de systématiser l’audition des ministres responsables des missions ou programmes. Nous demandons que les rapports annuels de performances soient transmis au Parlement, sinon en même temps qu’à la Cour des comptes, du moins dans le courant du mois de mai. Nous souhaitons une amélioration du contenu de ces rapports, qui doivent avant tout justifier les écarts par rapport à la prévision. Les écarts entre la consommation réelle des crédits en année n et celle des années n-1 et n-2 devraient également y figurer. Il conviendrait aussi d’évaluer systématiquement les responsables de programme en fonction des résultats de l’année précédente et de transmettre ces évaluations aux rapporteurs spéciaux. C’est la matière des propositions nos 29 à 38, le but étant de donner à la discussion de cette loi de règlement la place qui lui revient, en sorte que la répartition des crédits dans la loi de finances suivante soit assise sur une évaluation sérieuse de la performance budgétaire.

S’agissant de Chorus, nous nous inquiétons, je l’ai dit, du retour sur investissement : manquent toujours des outils comptables d’analyse des coûts, sans parler des problèmes de fonctionnement des plateformes et de formation. Des progrès restent également à réaliser en matière de transparence : ainsi les dépenses de fonctionnement de l’Agence pour l’informatique financière de l’État ne sont pas prises en compte dans le coût budgétaire de ce programme.

M. Yves Censi, président. Votre rapport contient des propositions qui pourraient être mises en œuvre dès le débat budgétaire de cet automne, mais d’autres désignent des voies à explorer au cours de la prochaine législature : est-ce à dire que, pour vous, la mission d’information devrait être maintenue sous la XIVème législature ?

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Sans aucun doute, monsieur le président, car la LOLF est en danger, du fait de la RGPP. Pour ne prendre que cet exemple, la pratique des fléchages de crédits, évoquée par M. Bouvard, est contraire à l’esprit de la loi organique et suffirait à elle seule à justifier le maintien de la mission sous la prochaine législature. En décider autrement serait renoncer à l’exercice de notre pouvoir de contrôle sur la gestion du Gouvernement.

Je suis d’accord avec MM. Thierry Carcenac et Michel Bouvard : nous souffrons toujours des mêmes dysfonctionnements, en particulier des délais de transmission de l’information, qui entravent l’analyse du budget par le Parlement. De plus, la logique des amendements de crédits qui veut que, pour augmenter un budget, on en diminue un autre, nous prive de toute marge de manœuvre. Le jeu des modifications de nomenclature empêche tout amendement. Ainsi, naguère, pour revaloriser les pensions des anciens combattants, il aurait fallu renoncer à la journée d’appel et de préparation à la défense ! Dès lors, que reste-t-il de l’élargissement des pouvoirs du Parlement, qu’on invoque pourtant à tout bout de champ ?

S’agissant précisément de l’exercice de nos compétences, l’audition de la nouvelle responsable du Service d’information du Gouvernement et celle du secrétaire général du Gouvernement montrent que notre travail commence peut-être à porter des fruits – à moins que ce ne soit l’effet de la campagne médiatique de l’année dernière visant le SIG, mais nos débats ont pu y contribuer.

En ce qui concerne Chorus, il faudra bien, à un moment donné, marquer notre impatience, car on ne cesse depuis des années de nous raconter des salades : les hauts fonctionnaires concernés font preuve d’une insupportable irresponsabilité. Alors que ce programme est en pleine dérive financière sans donner encore de résultat, l’opacité est totale : comme le souligne en termes choisis le rapport à la page 91, « les documents budgétaires ne permettent pas d’identifier aisément les raisons de cette apparente dérive des coûts, notamment en raison du caractère incomplet et évolutif des informations transmises ». Pour qui prend-on les parlementaires ? Faudra-t-il un jour que nous créions une commission d’enquête pour procéder aux investigations permettant d’y voir clair dans des dysfonctionnements qui désorganisent l’appareil d’État et aggravent les coûts, bien au-delà d’ailleurs de l’augmentation de 46,6 %, mentionnée dans le rapport, entre le rapport annuel de performances de 2007 et le projet annuel de performances de 2011 ? À Lyon, un responsable local de la police nous a expliqué que, pour faire face, il avait fallu porter le nombre de fonctionnaires de gestion de trois à plus de cinquante ! Comme nous sommes en fin de législature, j’entends déjà les soupirs de soulagement des hauts fonctionnaires qui nous mènent en bateau depuis plusieurs années mais, au cours de la prochaine législature, il faudra nous montrer plus agressifs sur le sujet.

M. Patrice Martin-Lalande. Les modalités d’examen de nos budgets en commission élargie aboutissent à dévaloriser le travail fourni par les rapporteurs, notamment par les rapporteurs spéciaux, pendant toute une année. Ne disposer que de cinq minutes pour poser des questions noyées dans le flot de la discussion est insuffisant. Il faut trouver une solution pour que ce travail soit exploité et mis en valeur comme il convient.

En tant que rapporteur spécial de la mission Médias, je tiens également à signaler que le taux de réponse dans les délais au questionnaire budgétaire est insuffisant : il dépasse rarement les 80 %. Il nous manque donc un cinquième des réponses huit à dix jours avant l’examen des crédits en commission, voire en séance publique ! J’ai bien noté la suggestion qui nous est faite de nous concerter avec les rapporteurs pour avis en vue d’élaborer un questionnaire commun et, même si les questions financières les intéressent moins que nous, je n’y suis pas opposé si cela peut contribuer à réduire les temps de réponse.

Toujours à propos des questionnaires budgétaires, j’ai pris l’habitude, en ce qui me concerne, d’y faire figurer une question sur la suite donnée aux préconisations de la Cour des comptes et de publier les réponses dans mon rapport spécial. C’est éventuellement un moyen de remettre en pleine lumière les manquements constatés par la Cour.

Nous avons obtenu que les contrats d’objectifs et de moyens relatifs aux organismes de l’audiovisuel soient soumis pour avis aux commissions des Affaires culturelles et des Finances. Auditionné sur l’exécution du contrat liant l’État et France Télévisions, le ministre de la Culture et de la communication nous avait promis que le suivant nous serait soumis au début de juillet. Or les négociations sont seulement en cours d’achèvement. J’ignore d’où sont venus les grippages, toujours est-il que je ne pourrai présenter ni aujourd'hui ni demain le projet d’avis que je prévoyais de soumettre à notre Commission. Or il en va de deux milliards d’euros par an pendant cinq ans ! Je souhaiterais donc que nous demandions au Gouvernement que ce contrat ne soit pas signé avant que les commissions concernées du Parlement, notamment les commissions des Finances, aient reçu les documents, je l’espère au début du mois de septembre. En dépend l’efficacité de notre contrôle, a priori ou a posteriori.

M. Alain Rodet. MM. Brard et Martin-Lalande ont raison, mais il ne dépend que de nous d’améliorer la situation sur certains points. Ainsi, ne conviendrait-il pas de procéder à des auditions plus incisives, et de retourner vraiment sur le gril les personnalités que nous entendons ? Les deux auditions récentes du directeur général des Finances publiques m’ont mis mal à l’aise. Les prolégomènes ont été trop longs. Le président et le rapporteur général ont certes un rôle éminent mais il faudrait moins d’exposés généraux et plus d’études de cas pour pousser ceux que nous recevons dans leurs retranchements.

M. Patrick Lebreton. Si la LOLF est source de réels progrès dans le pilotage des finances publiques et facteur d’une plus grande transparence du budget, les élus ultramarins restent un peu sur leur faim ! Nous nous réjouissions que le budget de l’outre-mer fasse l’objet d’une mission propre, regroupant l’ensemble des politiques publiques qui intéressent nos territoires. Les spécificités de ceux-ci le justifiaient pleinement. Or l’examen de cette mission donne souvent lieu à d’âpres débats entre le ministre de tutelle et les parlementaires parce qu’elle ne couvre en fait qu’une petite part des moyens que l’État consacre à ces territoires ultramarins – 2 milliards sur un ensemble de 16 milliards, dépenses fiscales et budgétaires confondues. Et si, l’an dernier, un document de politique transversale a été publié par Mme la ministre chargée de l’outre-mer, il n’a donné lieu à aucun débat ni en commission ni en séance publique…

Nous souhaitons appréhender dans leur intégralité les moyens attribués à l’outre-mer, mais la discussion, le contrôle et l’évaluation des politiques ultramarines sont partiels, voire tronqués. Ne pensez-vous pas que ce morcellement des politiques publiques entre différentes missions est contraire à l’esprit de la LOLF et nuisible à ces politiques mêmes ? Dans quelques années, il pourrait très bien se faire que nous conservions une mission à 2 milliards tandis que le total des dépenses serait tombé de 16 à 13 milliards, par exemple...

M. Henri Emmanuelli. Alors que la LOLF avait été conçue pour améliorer le contrôle du budget et en faciliter l’analyse, comme sa création a coïncidé avec la réduction des crédits, elle est utilisée non sans cynisme par les gouvernements successifs pour mener à bien la révision générale des politiques publiques, à laquelle elle finit par être identifiée. Dans les préfectures, on va jusqu’à vous répondre que les postes sont supprimés en raison de la LOLF, alors que cela n’a aucun rapport.

Que le Gouvernement ait choisi de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux résulte d’un choix politique : on ne saurait en rendre la LOLF responsable. Le fait que la LOLF soit devenue synonyme de RGPP a semé la confusion chez nos compatriotes et fait peser une ambiguïté sur l’application de cette loi organique.

Je partage le point de vue de M. Martin-Lalande sur les commissions élargies : il ne faut pas maintenir leur existence si elles nuisent au contrôle parlementaire. Les rapporteurs peuvent à peine s’y exprimer !

J’observe que, quelle que soit la couleur politique du Gouvernement, chaque fois que l’État se lance dans une aventure informatique, celle-ci tourne au fiasco. En quelque vingt ans, combien de milliards d’euros sont-ils ainsi partis en fumée ? Alors que nos hauts fonctionnaires reçoivent une formation de qualité, d’où leur vient cette inaptitude à manier l’informatique ? La mise au point du programme Copernic du ministère des Finances, qui devait prendre deux ans, en a demandé huit à dix ! Ne conviendrait-il pas de se pencher sur la question, par exemple dans le cadre d’une mission installée auprès du Premier ministre ? Ces programmes informatiques de l’État paraissent en tout cas constituer une véritable aubaine pour les sociétés de services informatiques.

Les indicateurs de performance sont-ils tous pertinents et doit-on essayer de les homogénéiser alors qu’il n’y a pas d’homogénéité entre les tâches des ministères ? Je me méfie, du reste, du transfert de la culture de l’entreprise privée au fonctionnement de l’État, car cela débouche le plus souvent sur de la « bureaucrassouille ». Les critères sur lesquels reposent les statistiques ne sont pas fiables, comme nous pouvons aujourd'hui le constater en matière de sécurité. Dans le département des Landes, il semble qu’on n’arrête plus aucun voleur : en revanche, le nombre des contrôles routiers explose, surtout là où ils peuvent rapporter ! La statistique bureaucratique n’est pas le contrôle de performance. Les indicateurs de performance sont-ils toujours adaptés ? J’en doute, car ce qu’on attend du ministère de la Culture n’est pas forcément ce qu’on attend du ministère de l’Éducation nationale ou de celui de la Justice.

Je suis, moi aussi, choqué de la façon dont les hauts fonctionnaires répondent aux commissions parlementaires. Trois fois sur quatre, et cela n’est pas propre à la période récente, nous en apprenons plus en lisant les journaux que par ces auditions ! Un ministre ou un haut fonctionnaire entendu par une commission parlementaire se sent dégagé de tout devoir. Ou il biaise ou il ment par omission. Le Parlement devra mettre un jour les choses au point. Conviendrait-il de sanctionner le fonctionnaire, détenteur d’une information, qui ne l’a pas communiquée alors qu’il était interrogé sur le sujet ? Je l’ignore, mais c’est un fait que l’audition du directeur général des Finances publiques ne nous a rien appris. Il s’est contenté de phrases évasives et de généralités ; il ne savait pas, il n’avait pas tous les éléments… Nous avons eu le sentiment de perdre notre temps, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il faudrait songer à une charte des auditions devant les commissions parlementaires.

Enfin, j’ai lu hier dans Le Monde que la mesure de la RGPP sur le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, loin de conduire à des économies, allait peut-être coûter au budget de l’État, cependant que les mêmes règles n’étaient pas appliquées d’un ministère à l’autre – ici on redistribue 70 % des économies réalisées et là 38 % seulement. À l’arrivée, on évoque une économie de 250 millions d’euros ! Supprimer, pour un si médiocre résultat, 100 000 emplois dans la fonction publique me semble contre-productif. Il en résulte en effet un démantèlement des services extérieurs de l’État : dans la région Aquitaine, comme il n’y a plus que deux fonctionnaires pour instruire les dossiers de police de l’eau, il faut six mois d’attente, ce qui bloque, par exemple, des investissements de 30 à 40 millions d’euros dans les infrastructures routières.

Il conviendrait donc de mener un travail, un peu plus approfondi que celui du Monde, sur les résultats de la politique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux.

M. Yves Censi, président. À titre d’information, le 18 mai dernier, le groupe de travail présidé par le président de l’Assemblée nationale a décidé, sur proposition, du président de notre Commission et du rapporteur général un aménagement de la procédure des commissions élargies, consistant notamment à limiter à cinq minutes l’intervention, sous forme de questions, de chaque rapporteur, avant une séquence de questions de deux minutes suivies de réponses. Il faudra évidemment regarder cela de près.

M. Patrice Martin-Lalande. On ne peut comparer une séance de la commission des Finances au cours de laquelle le rapporteur spécial présente son rapport pendant une demi-heure ou plus, signale les points qui méritent attention et répond aux questions de ses collègues, et une réunion où il s’exprime cinq minutes devant des collègues qui sont là plus ou moins par hasard. De plus, généralement, seul le ministre répond aux différentes questions. Ne pas pouvoir rendre compte du travail passablement ingrat que nous prenons la peine de faire constitue une véritable régression, et ne donne pas envie de continuer à être rapporteur spécial !

M. Yves Censi, président. Il est vrai que la qualité des réponses du Gouvernement dépend de celle des questions et de la possibilité qu’ont ou non les rapporteurs spéciaux d’intervenir.

M. Patrice Martin-Lalande. Le problème des commissions élargies vient, non de ce qu’elles remplacent la séance publique, mais de ce qu’elles se sont substituées à la réunion de la commission des Finances au cours de laquelle les rapporteurs spéciaux pouvaient présenter le fruit de leur travail et répondre aux questions de leurs collègues. En fait, ce sont des commissions rétrécies !

Par ailleurs, je voulais porter une information à la connaissance de la Commission. Selon la loi, le contrat d’objectifs et de moyens de tous les organismes de l’audiovisuel doit obligatoirement être transmis pour avis au Parlement. Puisque France Télévisions ne l’a pas fait pendant la session, au moment où nous pouvions l’examiner, nous devons lui demander d’attendre que nous l’ayons fait. Ce n’est pas parce que ses responsables nous transmettent un document hors session, au-delà des délais prévus, qu’ils sont dispensés de recueillir notre avis.

M. Michel Bouvard, rapporteur. Les commissions élargies ont été créées dans un double but. D’une part, il fallait sortir de l’académisme de la séance, autrement dit éviter les tirades et les questions focalisées sur les seuls problèmes locaux. Or on a finalement substitué un académisme à un autre, sans améliorer la réactivité mais en privant le rapporteur spécial de la possibilité de présenter une analyse au fond. D’autre part, il s’agissait d’en finir avec la discussion des missions interministérielles, où nous nous retrouvions noyés sous des vagues de monologues qui se succédaient sans nous laisser le temps de poser des questions.

La pratique de Patrice Martin-Lalande pour s’assurer des suites données aux travaux de la Cour des comptes me semble plus efficace qu’une saisine par chaque parlementaire, qui risquerait de provoquer un encombrement de la Cour sans rien améliorer.

Aucun des opérateurs n’est dans le périmètre de la LOLF. Au fil des années, nous avons tenté, par voie d’amendements, de récupérer des informations les concernant et d’obtenir de l’État qu’il les encadre. Nous avons déjà demandé à être destinataires des contrats d’objectifs et de moyens, mais nous pourrions compléter notre proposition en réclamant un vote – pour avis, car il ne faut pas porter atteinte à l’autonomie de l’opérateur ni au rôle du conseil d’administration – sur les contrats conclus par les principaux opérateurs ou par ceux d’entre eux qui bénéficient de recettes affectées. En tout cas, le sujet mérite d’être approfondi. En ce qui concerne la méthodologie des auditions, je partage l’avis d’Alain Rodet.

Monsieur Lebreton, votre préoccupation a été la nôtre dès l’origine. Quand nous avons élaboré la première maquette budgétaire, nous voulions mettre toutes les dépenses pertinentes dans la mission Outre-mer, mais nous nous sommes heurtés à la fois à l’État et aux élus locaux qui craignaient de perdre leur lien avec les autres ministères. C’est pourquoi une forme de statu quo a prévalu, opérant un compromis entre la logique horizontale – crédits par ministère – et la logique verticale – crédits centralisés. Ensuite est venue l’affaire du document de politique transversale. Sans doute ce document doit-il servir de support à la discussion budgétaire, mais le problème remonte à l’origine. En tout état de cause, il faut obtenir l’accord des élus ultramarins avant de consolider tous les crédits dans la mission Outre-mer.

Je partage assez largement les propos d’Henri Emmanuelli. Non, la LOLF n’est pas la RGPP. Oui, l’informatique est un vrai sujet de préoccupation, et un sujet qui dépasse le cadre de la MILOLF. La commission des Finances devrait s’en saisir parce que, depuis une vingtaine d’années, tout programme informatique donne lieu à dérive dans le temps comme dans les coûts.

En ce qui concerne les indicateurs, la tentation bureaucratique existe et il ne faut pas que le seul but de l’action publique soit de les perfectionner, mais nous en avons besoin, à condition qu’ils s’appuient sur une véritable comptabilité d’analyse des coûts. Certes, la spécificité de chaque ministère mérite d’être prise en compte mais, dès lors qu’il s’agit de cerner des activités comparables, il faut arriver à des indicateurs cohérents entre eux, comme nous l’avons fait par exemple en harmonisant ceux de la police et de la gendarmerie, ce qui a permis une vision consolidée de la politique de sécurité.

S’agissant des économies dégagées par la RGPP, la MEC y travaille dans le cadre de son rapport sur la soutenabilité de la masse salariale. Nous l’exploiterons une fois qu’il aura été publié, en septembre prochain.

M. Thierry Carcenac, rapporteur. Les membres du Parlement, en particulier les rapporteurs spéciaux, partagent le même avis sur les commissions élargies, qui devraient se calquer sur ce qu’aurait dû être la séance publique. Il faudrait arriver à ce que le ministre ne monopolise pas la parole. Peut-être le rapport du rapporteur spécial pourrait-il faire l’objet d’un débat spécifique en commission, même en l’absence du ministre. En tout état de cause, les questions brèves devraient donner lieu à des réponses également brèves du ministre. La mission Gestion des finances publiques et des ressources humaines, qui regroupe cinq programmes, a été examinée cette année dans des conditions catastrophiques.

Pour en venir aux systèmes d’information, il me semble que, sous prétexte qu’il s’agit d’un sujet technique, plus personne ne s’en préoccupe, ni les ministres, ni les secrétaires généraux, et on laisse les informaticiens décider. Peut-être faudrait-il s’y prendre autrement. Ainsi, au Canada, il existe un ministère, ou du moins un secrétariat d’État, placé auprès du Premier ministre, qui est chargé des systèmes d’information et de l’informatique et peut avoir une vision globale. Chez nous, chacun en est réduit à se débrouiller. Henri Emmanuelli a raison : quels que soient les programmes, les crédits dérapent. Il suffit de se souvenir de l’audition, l’année dernière, du directeur de l’Agence pour l’informatique financière de l’État…

Pour avoir de bons indicateurs, nous devons nous poser des questions sur ceux qui nous sont proposés par les ministères. En matière de contrôle fiscal par exemple, il n’y a aucun critère d’efficacité, alors qu’il y en a sur le respect des délais de restitution de la TVA. Ce cas de figure existe dans de nombreux ministères. Il y a ceux qui savent choisir leurs indicateurs, qui enregistrent de très bons résultats et sont bien classés… et les autres.

La Commission autorise la publication du rapport d’information.

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Puis la Commission examine le rapport d’information de M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial, sur la taxe sur les billets d’avion et l’utilisation de ses recettes.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. La commission des Finances a demandé à la Cour des comptes une enquête sur la taxe de solidarité sur les billets d’avion et l’utilisation de ses recettes, en application de l’alinéa 2° de l’article 58 de la loi organique du 1er août 2001.

L’enquête très complète de la Cour des comptes a pu surmonter les obstacles liés au contrôle d’entités de droit suisse ou anglais, et a dressé un bilan globalement positif, quoique nuancé, d’un mécanisme novateur. La commission des Finances, vous vous en souvenez, a procédé à l’audition de M. Alain Pichon, président de la formation interchambres de la Cour des comptes, des représentants du ministère des Affaires étrangères et de M. Philippe Douste-Blazy, président d’Unitaid. J’ai entendu pour ma part un membre du conseil d’administration de l’IFFIm, des responsables du groupe Gavi, le président de l’Agence française de développement et un représentant de Médecins sans frontières.

Usuellement dénommée « taxe Chirac » mais votée par le groupe socialiste, cette taxe, créée en collectif budgétaire pour 2005, est en vigueur depuis juillet 2006. Elle fait partie des financements innovants évoqués par une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 20 décembre 2010, afin de contribuer aux Objectifs du millénaire pour le développement, sans grever les budgets des pays donateurs, ni se substituer à l’aide publique au développement. Avec la taxe sur les transactions financières, la France est à la pointe des propositions en la matière.

En ce qui concerne le bilan du dispositif, j’ai quatre remarques à formuler.

Sur le plan économique, le bilan de la taxe est plutôt satisfaisant. Malheureusement, la diffusion de la taxe est encore trop restreinte et n’a pas convaincu nos partenaires européens. Les autres pays développés participant au financement d’Unitaid et d’IFFIm comme le Royaume Uni, la Norvège et l’Espagne, ou encore à IFFIm seul, comme les Pays-Bas, ont mobilisé seulement des ressources budgétaires : ils ne font pas usage de la taxe sur leur territoire.

On peut regretter avec la Cour des comptes, quand il se vend 3 milliards de billets d’avion dans le monde par an, que l’utilisation de cette assiette innovante n’ait pas fait plus d’adeptes pour la pérennisation d’un dispositif de solidarité et d’avenir, et d’un montage original associant pays développés, ONG et pays émergents.

La France n’a été suivie que par quelques pays, presque tous extérieurs à l’Union européenne, comme le Chili, la Corée du Sud et divers pays africains. Il est dommage que nos partenaires allemands ne nous aient pas suivi dans l’adoption de la taxe. Toutefois, il est satisfaisant que les pays d’Afrique bénéficiaires des retombées de la taxe prennent part à la collecte et se soient engagés dès la mise en route de celle-ci. Quand des pays pauvres prioritaires contribuent au paiement de la taxe, ceux-ci ont plus de poids pour exiger, comme Madagascar, que l’affectation de la taxe aille en priorité vers l’Afrique.

Les aspects positifs du bilan portent principalement sur la santé publique des pays bénéficiaires : vaccination et lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Unitaid et Iffim, les organismes gestionnaires, se prévalent d’une dizaine de millions de personnes soignées, surtout des enfants depuis 2009, ainsi que d’un allongement significatif de l’espérance de vie des malades. Selon le ministère des Affaires étrangères le nombre de personnes soignées sur fonds français s’élève à plus de 5 622 000 malades.

Si Unitaid a pu faire baisser le prix des médicaments comme les antirétroviraux de seconde ligne pour les malades du Sida, il serait intéressant de comparer le coût des soins d’un malade du SIDA dans nos pays et le coût dans les pays aidés, grâce notamment aux médicaments majoritairement produits en Inde ou en Afrique du Sud. L’écart doit être considérable.

En revanche, du point de vue de la politique étrangère, le dispositif n’est pas satisfaisant. En effet, le choix de la France d’utiliser par priorité le canal multilatéral de l’aide au développement rend quasiment invisible l’aide française, et tous les opérateurs actuels, à l’exception du Gip Estheraid, sont étrangers.

Enfin, la gouvernance, la transparence et le contrôle du dispositif doivent être améliorés. Le rapport de la Cour a rappelé le manque de rigueur budgétaire de la Fondation du Millénaire lancée par M. Douste-Blazy, qui s’est soldée par le gaspillage de 12 millions de dollars. Ce rapport a fait la lumière sur les coûts et la complexité excessive de certaines structures dont certaines sont redondantes comme GFA, au sein du groupe Gavi, et dont la suppression permettrait d’économiser 30 millions d’euros en 20 ans.

La France s’est engagée à verser 1,239 milliard d’euros à Iffim d’ici 2016, pour un quart provenant de la taxe et pour trois quarts du budget de l’État. Avec 163 millions d’euros en 2010, le produit de la taxe est inférieur aux prévisions optimistes de 2005, et les engagements pris auprès d’IFFIm du versement de 10 % de la taxe risquent d’être insuffisants. D’autre part, les engagements récents du Président de la République envers le Fonds mondial du sida (plus 60 millions d’euros en 2012) ne sauraient être financés par les recettes de la taxe sur les billets d’avion. Ces contraintes incitent d’urgence à des économies de gestion et à une amélioration de la gouvernance des structures créées.

Je présenterais donc en conclusion cinq propositions.

La première tend à renforcer la cohérence des engagements publics en faveur des organismes chargés l’aide publique au développement. La France verse déjà 300 millions d’euros par an au Fonds mondial contre le sida, et des détournements portant sur 35 millions d’euros ont été constatés dans divers pays, si bien que l’Allemagne a suspendu sa contribution à cet organisme. Il serait très regrettable que l’accroissement de la dotation du Fonds mondial promise par le Président de la République vienne s’imputer sur l’utilisation des recettes de la taxe sur les billets d’avion, d’ores et déjà insuffisantes pour les structures actuelles.

Deuxième proposition : réexaminer la structure du groupe Iffim-GFA-Gavi en recherchant les économies de gestion. D’importantes économies de gestion, de l’ordre de 30 millions de dollars, comme je l’ai dit, seraient générées par la suppression de GFA auquel pourraît être substitué un comité d’audit auprès d’IFFIm ; la réduction des honoraires des avocats et l’utilisation des compétences de l’administration française seraient également sources d’économies .

Il convient ensuite de renforcer la gouvernance par les autorités françaises. Je me range, à cet égard, aux recommandations de la Cour des comptes pour demander une surveillance plus rigoureuse du ministère des Affaires étrangères et du ministère de l’Économie sur l’activité des entités créées. Dépourvue de siège aux conseils d’IFFim et de GFA, la France siège au conseil de Gavi dont elle préside actuellement la commission des programmes. La tutelle de la direction générale du Trésor doit également être renforcée sur Unitaid pour éviter les errements passés. Les compétences et l’expertise de l’AFD pourraient être utilisées en appui de cet effort de la gouvernance française.

Il faut également renforcer les procédures d’audit interne et externe, clarifier la présentation des comptes, et renforcer la sélectivité du choix des pays aidés. Les audits interne et externe des structures Unitaid, et du groupe Iffim-Gavi laissent à désirer, comme les contrôles de leurs opérateurs, dont les trésoreries sont excessives. Des contrôles périodiques doivent être poursuivis dans les pays aidés pour conjurer le risque de détournements.

Je propose enfin d’améliorer la cohérence et la communication de l’effort français dans le contexte multilatéral. La France est impliquée et compétente dans la politique extérieure de la santé ; elle dispose de toute la force de l’Institut Pasteur et de laboratoires performants. L’absence d’opérateurs français – ou européens, à terme – est inacceptable.

En somme, l’effort de la France est réel. Il doit être plus utile et plus visible.

M. Yves Censi, président. Je salue le travail du rapporteur spécial, très complémentaire de celui de la Cour des comptes sur le sujet. S’agissant de l’une des propositions formulées, celle du renforcement du rôle de l’Agence française de développement, pouvez-vous nous faire part de votre appréciation plus générale sur les missions et l’efficacité de l’AFD ?

Vous avez mis en évidence l’absence d’opérateur français dans la mise en œuvre de la taxe sur les billets d’avion : de ce point de vue, pouvez-vous avancer quelques pistes à explorer pour structurer l’offre française en la matière ?

M. Jean-François Mancel. Vous avez évoqué à juste titre le manque de visibilité de la France dans ce domaine, alors même qu’elle est le quatrième pays du monde dans le domaine de l’action contre le sida. La volonté de privilégier le multilatéralisme sur le bilatéralisme n’explique-t-elle pas d’une certaine manière cette inexistence aux yeux des pays bénéficiaires, qui ne voient plus quels pays mènent des actions d’aide au développement, en raison justement d’une intervention trop discrète ?

M. Michel Diefenbacher. J’approuve ce rapport et les propositions qu’il contient. Je regrette que la France soit bien seule à s’être engagée dans la création de cette taxe, qui serait plus efficace si elle était reprise par d’autres grands États membres de l’Union européenne. Ne faudrait-il pas, de ce point de vue, préconiser également une démarche des autorités françaises pour promouvoir cette taxe auprès de ses partenaires européens, afin de pouvoir à terme déboucher sur une initiative commune en la matière ?

M. Yves Censi, président. Je me permets d’ailleurs de souligner que lors de son audition, M. Philippe Douste-Blazy avait insisté sur la nécessité pour le Gouvernement français de peser en ce sens.

M. Henri Emmanuelli. Concernant l’absence d’opérateurs français, il faut dire que les ONG rechignent à distribuer cette aide. Un opérateur dédié a donc été mis en place avec le GIP Estheraid, mais celui-ci n’est pas encore très opérant.

C’est pourquoi je propose de donner davantage de poids à l’AFD dans le dispositif : j’ai bien conscience que l’Agence n’a pas de compétence sanitaire, puisqu’elle est avant tout un établissement de financement – je rappelle qu’à l’origine, elle est née de l’institut d’émission d’outre-mer. L’AFD doit-elle développer une compétence sanitaire, la question peut se poser. Néanmoins, j’estime qu’elle est en capacité de jouer un rôle d’appui pour la mise en place d’une meilleure gouvernance.

Un opérateur européen dans ce domaine serait évidemment bienvenu : mais tant que la taxe de solidarité sur les billets d’avion ne sera pas généralisée en Europe, la création d’un tel opérateur n’aura pas de sens. Le problème pour la France, c’est qu’elle ne dispose pas d’un organisme de poids comparable à l’agence des États-Unis pour le développement international – USAID.

S’agissant du débat sur le bilatéralisme et le multilatéralisme, il dépasse largement notre sujet du jour : je note toutefois que les initiatives communautaires en matière d’aide au développement sont conduites sur la base du multilatéralisme, et qu’il s’agit d’une avancée, même si l’on peut parfois douter de l’efficacité de la direction générale de la Commission européenne, EuropeAid, qui me paraît financer davantage d’études que d’aides sur le terrain.

La Commission autorise la publication du rapport d’information, contenant en annexe le rapport d’enquête de la Cour des comptes.

M. Yves Censi, président. Je vous rappelle que l’audition, initialement prévue demain, du directeur général de l’Enseignement scolaire a été annulée, en particulier pour nous permettre d’assister au débat en séance publique sur le projet de révision constitutionnelle. En ma qualité de Rapporteur spécial de l’Enseignement scolaire, il me paraît plus sage de prévoir une audition pendant la deuxième quinzaine de septembre, ce qui nous permettra de faire le point sur le déroulement de la rentrée scolaire.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 12 juillet 2011 à 10 h 30

Présents. - M. Jean-Pierre Balligand, M. Pierre Bourguignon, M. Michel Bouvard, M. Jean-Pierre Brard, M. Thierry Carcenac, M. Yves Censi, M. Jean-Yves Cousin, M. Richard Dell'Agnola, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Louis Dumont, M. Henri Emmanuelli, M. Jean-Michel Fourgous, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Marc Goua, Mme Arlette Grosskost, M. Laurent Hénart, M. Jean Launay, M. Jean-François Mancel, M. Patrice Martin-Lalande, M. Henri Nayrou, M. Alain Rodet, Mme Isabelle Vasseur, M. Michel Vergnier

Excusés. - M. Dominique Baert, M. Bernard Carayon, M. Nicolas Forissier, M. François Goulard, M. Victorin Lurel

Assistait également à la réunion. - M. Patrick Lebreton

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