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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Jeudi 12 mars 2009

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 31

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Fouquet, président de la commission de déontologie de la fonction publique 2

La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président

La Commission procède à l’audition de M. Olivier Fouquet, président de la commission de déontologie de la fonction publique.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Au nom de la Commission des lois, je souhaite la bienvenue à M. Olivier Fouquet, président de la commission de déontologie de la fonction publique.

Monsieur le président, des événements récents ont attiré l’attention sur la commission de déontologie. Son rôle, tout comme la législation applicable en matière de déontologie de la fonction publique, sont mal connus. Aussi ai-je jugé opportun que la Commission des lois, qui est compétente sur ces questions, procède à votre audition – ce qui répondait en outre à une demande du groupe SRC.

Depuis la réforme engagée par la loi de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007, il existe une seule commission de déontologie pour l’ensemble de la fonction publique, au lieu de trois auparavant. Le contrôle des départs d’agents publics vers le secteur privé est la principale mission de cette commission, qui examine en outre les cumuls d’activités publiques et d’activités privées. Pour vérifier la compatibilité entre une activité privée et les fonctions publiques exercées antérieurement, la commission contrôle, outre le respect des interdictions déontologiques, l’absence de prise d’intérêt. Depuis la loi de 2007, lorsque la commission rend un avis d’incompatibilité, l’administration est tenue de le suivre.

Monsieur le président, je vous propose de nous présenter dans un premier temps les compétences, les modalités de saisine et la portée du contrôle de votre commission ; puis, dans un second temps, certains de mes collègues vous poseront quelques questions.

M. Olivier Fouquet, président de la commission de déontologie de la fonction publique. Je voudrais d’abord préciser dans quel état d’esprit j’ai accepté – bien volontiers – d’être auditionné par la commission des Lois.

Nous avons au Conseil d’État une règle de travail, qui a fait ses preuves : nous ne discutons jamais d’une question de droit avant de nous être mis d’accord sur l’exactitude matérielle des faits. En effet, s’il existe entre les membres d’une formation de jugement un désaccord sur les faits, il leur est évidemment impossible de se mettre d’accord sur la règle de droit applicable. Aussi, au Conseil d’État, quand apparaît à l’audience publique pareil désaccord entre la sous-section qui a instruit l’affaire et le rapporteur public, l’affaire est immédiatement rayée : on dit aux personnes concernées de revenir quand elles seront d’accord sur l’exactitude matérielle des faits. Quand, en tant que président de la section des finances, je recevais de nouveaux membres du Conseil d’État – qu’il s’agisse d’auditeurs issus de l’ENA ou d’anciens ministres nommés au tour extérieur –, je leur disais : « Si vous vous trompez sur des questions de droit, vous serez pardonnés et il y aura dix collègues pour corriger votre erreur. En revanche, si vous vous trompez dans votre analyse des faits, on ne vous le pardonnera pas. » Or, depuis près de trois semaines, je vois avec stupéfaction s’engager entre divers commentateurs, y compris des hommes politiques, des discussions que je qualifierais quasiment d’ineptes, dans la mesure où l’on n’a pas vérifié l’exactitude matérielle des faits.

La commission de déontologie de la fonction publique fonctionne depuis 1995. Elle a été présidée pendant douze ans par mon prédécesseur, M. Michel Bernard, président de section au Conseil d’État, qui a préparé la réforme de 2007. À l’origine, la saisine de la commission était obligatoire. Depuis la réforme, elle est devenue pour l’essentiel facultative, puisqu’elle reste obligatoire dans les seuls cas où la personne qui quitte le secteur public pour une entreprise a exercé effectivement des fonctions qui l’ont conduit à assurer le contrôle d’une entreprise, à passer des marchés avec elle ou à participer, sous quelque forme que ce doit, à des décisions favorables à une entreprise. Il faut dire que la commission croulait sous les dossiers, et que, s’agissant d’infirmières de CHU demandant à exercer en libéral, sa saisine paraissait inutile.

Comment cela se passe-t-il désormais ? Comme le précise le communiqué publié hier par la commission, c’est aux agents et à leur administration de prendre leurs responsabilités : la commission de déontologie sera saisie soit s’ils estiment être dans un cas de saisine obligatoire – c’est-à-dire s’il y a un risque pénal –, soit s’il existe un problème de déontologie. Par exemple, si le responsable des affaires culturelles d’une ville où sont organisés des festivals est recruté par une société britannique afin d’organiser des festivals dans la ville en question, il y a incompatibilité.

En définitive, le système n’a pas trop mal fonctionné jusqu’à présent, parce que même si l’agent ne veut pas saisir la commission, il est rare que l’administration prenne le risque de ne pas le faire en cas de doute. Toutefois, des informations étant quotidiennement demandées à notre secrétariat sur la jurisprudence et l’interprétation des règles de droit applicables, je n’exclus pas que certains agents aient décidé, avec l’accord de leur administration, de ne pas saisir la commission en dépit des doutes.

Lors de la discussion de la loi de 2007, on avait envisagé la transformation de la commission de déontologie en autorité administrative indépendante, disposant du pouvoir d’autosaisine. Finalement, le Gouvernement et les parlementaires y ont renoncé.

Dans le cas du secrétaire général adjoint de l’Élysée, j’ai reçu un appel téléphonique du secrétaire général de la Présidence de la République, qui m’a demandé un cadrage juridique sur la jurisprudence applicable aux membres des cabinets ministériels partant dans le secteur privé. Nous avons en effet, depuis l’origine, une jurisprudence particulière pour eux, dans la mesure où leur champ de compétence est défini en interne – et non de façon réglementaire –, avec des frontières souvent floues : un conseiller peut être amené, en cas d’absence, à s’occuper des dossiers d’un de ses collègues. J’ai donc réuni les informations nécessaires et M. le secrétaire général souhaitant une réponse écrite, je lui ai demandé de m’adresser sa question par lettre : habituellement, les consultations se font par courrier électronique, mais, compte tenu des personnalités en cause, j’ai trouvé plus digne de procéder ainsi. J’ai remis au président de votre commission cette lettre, qui me demandait un avis personnel sur le cadrage jurisprudentiel. J’y ai répondu par la même voie. À la suite de divers lapsus, auxquels je suis totalement étranger, j’ai demandé à M. Guéant de rendre publique ma lettre. Celle-ci ne posait aucun problème du point de vue du contenu ; toutefois, il ne s’agissait pas d’un texte destiné à la publication, mais d’une note rédigée par un conseiller d’État, dans le style du Conseil d’État – c’est-à-dire avec concision : il n’y a pas un mot de trop. Je doute qu’on ait pris la peine de la lire.

Son contenu est très simple. Elle débute par un rappel des textes applicables et par la précision, habituelle dans ce cas de figure, qu’un tel avis ne saurait engager la commission : celle-ci peut en effet toujours changer de jurisprudence, même si cela n’a jamais été le cas en quinze ans. J’y expose ensuite les principes de la jurisprudence relative aux membres des cabinets ministériels, tirés des conclusions de mon collègue Piveteau de juillet 2003, relatives au cas de M. Mettling, chargé de mission au cabinet de M. Strauss-Kahn, et parti au directoire des Caisses d’épargne après avoir suivi le rachat du Crédit foncier de France par celles-ci. Je poursuis en donnant des exemples jurisprudentiels très simples, tirés du dernier rapport publié, celui de 2007, et du premier, celui de 1995, de manière à montrer la continuité de la jurisprudence. Enfin, je termine en ces termes : « Il faut donc en conclure que si le secrétaire général adjoint a exercé les fonctions qui lui étaient confiées dans les conditions habituelles d’exercice de leurs fonctions par les membres des cabinets ministériels, la jurisprudence traditionnelle de la Commission lui est applicable. »

D’après le Larousse, « si » est une conjonction introduisant une condition à laquelle est subordonné soit une situation, soit un état. La phrase précédente induit donc, a contrario, que si le secrétaire général adjoint n’a pas exercé les fonctions qui lui étaient confiées dans les conditions habituelles d’exercice de leurs fonctions par les membres des cabinets ministériels, alors la jurisprudence traditionnelle de la Commission ne lui est pas applicable.

Une journaliste du Monde – me semble-t-il – a su analyser cette phrase correctement. Pourtant, s’est répandue ensuite une légende extraordinaire, qui soutenait que j’avais émis un avis favorable. Or il n’était ni favorable ni défavorable : je me situais en amont – d’autant que, dans la lettre que M. Guéant m’avait transmise, M. Pérol avait pris position en estimant, sous sa propre responsabilité, qu’il n’avait exercé aucun contrôle, ni passé de marché, ni pris aucune décision relative aux deux groupes concernés.

Je précise que la formulation que j’ai employée est conforme à la rédaction habituelle des notes et avis du Conseil d’État. Quand, par exemple, un régime fiscal est subordonné à certaines conditions, on ne va pas préciser dans le code général des impôts que si ces conditions ne sont pas réalisées, on n’a pas le droit à ce régime : cela va de soi ! De même, quand il y a une condition suspensive dans un contrat, il est implicite que si la condition suspensive n’est pas réalisée, le contrat ne pourra être exécuté. À la rigueur, quand une mère dit à son enfant de deux ans que s’il est sage, il pourra avoir des bonbons – sans sucre, naturellement – elle peut être amenée à préciser : « Mais si tu n’es pas sage, tu n’y auras pas droit » ; mais c’est qu’il a deux ans, et peut-être ne connaît pas exactement la signification de la conjonction…

J’ai consulté le vice-président du Conseil d’État, M. Sauvé, qui m’a dit : « Votre lettre est précise et dépourvue d’ambiguïté, il ne fait aucun doute que vous ne vous êtes pas prononcé sur le cas de M. Pérol ». Comme je préside en ce moment la section des travaux publics, j’ai lu par acquit de conscience cette même lettre aux trente membres de la section, qui ont été ahuris par l’interprétation que certains commentateurs en avaient donnée. Quant aux membres de la commission de déontologie, ils ont été ulcérés par une interprétation, qui, indirectement, conduisait à les mettre en cause. La commission a donc décidé de publier un communiqué – j’avais souhaité, par modestie, qu’il n’évoque rien me concernant, mais ses membres ont estimé que c’était nécessaire. En voici les termes : « La commission relève que dans la lettre d’information technique qu’il a remise à M. le secrétaire général de la Présidence de la République, à la demande de ce dernier, son président n’a pas porté d’appréciation sur la conformité à la déontologie d’une nomination précise mais s’est borné à en rappeler les conditions générales telles qu’elles résultent de la jurisprudence. »

Je voudrais rendre hommage aux membres de la commission. Il s’agit de hauts fonctionnaires, qui remplissent par ailleurs de très lourdes tâches. Nos séances de travail durent très longtemps : de neuf heures à seize heures, sans interruption pour déjeuner. Les membres de la commission viennent par dévouement, sans toucher aucune indemnité. Pour eux, cela représente le sacrifice d’une, voire deux journées de travail. C’est une contrainte très importante.

J’ai trouvé absolument scandaleux qu’alors qu’ils étaient tenus à un devoir de réserve, ils aient été harcelés sur leur lieu de travail et à leur domicile par des journalistes qui leur ont fait dire des choses qu’ils n’avaient pas dites. Comment imaginer qu’un membre de la commission de déontologie aurait pu prendre position, dans un sens ou un autre, sur le cas du secrétaire général adjoint de la Présidence de la République, alors que l’affaire n’avait pas été instruite ? C’est comme si, dans l’affaite Colonna, le président de la cour d’assises avait, avant même de réunir la cour, déclaré M. Colonna coupable ou innocent !

J’ai été encore plus scandalisé, ainsi que les membres de la commission, par la lettre que leur ont envoyée deux députés, pour leur demander de rendre un avis défavorable au dossier du secrétaire général adjoint de l’Élysée, alors que la commission n’était pas saisie de son cas. Quand bien même elle l’aurait été, imagine-t-on des hommes politiques intervenant auprès d’une commission déontologique indépendante afin que celle-ci prenne position dans un sens donné ? C’est ahurissant ! Je n’ai jamais vu cela. Il n’y a que dans les pays soviétiques que de telles choses se produisent !

M. Alain Vidalies. Ce que vous dites est honteux ! Vous êtes au Parlement, monsieur ; nous bénéficions de la légitimité populaire !

M. Olivier Fouquet. Ce n’est pas parce qu’un parlementaire se conduit mal que le président de la commission de déontologie doit se taire !

M. Alain Vidalies. Un peu de respect pour les parlementaires !

M. Philippe Vuilque. Aucun parlementaire ne s’est mal conduit ici.

M. Olivier Fouquet. De surcroît, on nous a demandé de nous saisir spontanément, alors que, comme je l’ai dit, le législateur ne nous a pas donné le pouvoir d’autosaisine. Je ne vois pas pourquoi une commission de déontologie violerait délibérément la loi !

Messieurs les législateurs, la commission de déontologie est telle que vous l’avez faite ; elle a les pouvoirs que vous lui avez donnés, ni plus, ni moins. J’ai été sept ans président de la section disciplinaire de l’Ordre national des médecins ; j’ai été dix-sept ans membre, puis vice-président de la Cour de discipline budgétaire et financière, avec pour présidents MM. Chandernagor, Arpaillange, Joxe, Logerot et Séguin : de toute ma vie de déontologue, je n’ai jamais rien vu d’équivalent à ce qui vient de se passer.

Je répondrai bien volontiers à vos questions, à condition qu’elles soient fondées sur l’exactitude matérielle des faits et déontologiquement correctes.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Merci, monsieur le président.

Dans cette affaire, qui pouvait saisir la commission de déontologie ?

M. Olivier Fouquet. Dans le cas des fonctionnaires membres des cabinets ministériels, nous pouvons être saisis, selon le texte de la loi, soit par l’intéressé, soit par l’administration dont il relève. En l’occurrence, il s’agissait d’un inspecteur général des finances.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Comment se présente matériellement une saisine ? De quels éléments disposez-vous pour vous prononcer ?

M. Olivier Fouquet. On trouve sur Internet un formulaire en deux parties. La première est remplie par l’agent lui-même, qui indique, le plus précisément possible, ses fonctions précédentes et celles qu’il occupera dans l’entreprise qu’il envisage de rejoindre. Dans la seconde, on demande à l’administration de tutelle de répondre aux questions suivantes, en cochant des cases « oui, non, peut-être » :  le candidat a-t-il exercé un contrôle ou une surveillance sur l’entreprise ? A-t-il passé des marchés avec elle ? A-t-il participé à des décisions relatives à cette entreprise ? 

Naturellement, si un inspecteur des finances est membre d’un cabinet ministériel, ce n’est pas le chef du service de l’Inspection générale des finances qui remplit ce dossier : l’appréciation de l’administration de tutelle est remplacée par une attestation du supérieur fonctionnel de l’intéressé – directeur de cabinet pour un conseiller technique, ministre pour le directeur de cabinet –, indiquant que l’intéressé n’a pas exercé de surveillance ou de contrôle de cette entreprise, passé de marché avec elle ou participé à des décisions relatives à des opérations réalisées par elle.

Le dossier est envoyé au secrétariat de la commission de déontologie, qui le fait compléter si nécessaire. Il est ensuite confié à un rapporteur, qui est un membre du Conseil d’État, de la Cour des comptes, des tribunaux administratifs ou des chambres régionales de comptes, chargé d’instruire l’affaire. L’instruction dure environ dix jours, sous le contrôle du rapporteur général ; si celui-ci a des doutes, il demande des informations complémentaires. J’examine personnellement les dossiers quarante-huit heures avant chaque séance ; si des doutes subsistent, je demande, à nouveau, des informations complémentaires.

Puis le dossier est examiné en séance. L’administration est systématiquement représentée, mais l’intéressé n’est convoqué qu’en cas de doutes, de façon à pouvoir lui poser des questions précises ; l’instruction orale vient en complément de l’instruction écrite. Si les doutes subsistent, on renvoie l’affaire. En effet, nous devons statuer dans un délai d’un mois, sinon on considère que nous prenons implicitement une décision favorable, sur laquelle nous ne pouvons pas revenir. Nous avons cependant la possibilité de prolonger l’examen d’un mois supplémentaire.

M. Philippe Vuilque. Monsieur Fouquet, je ne tournerai pas autour du pot. Vous avez rappelé tout à l’heure qu’il était nécessaire d’être d’accord sur l’exactitude matérielle des faits. Alors, de deux choses l’une : soit la situation de M. Pérol était claire, et il n’y avait pas lieu de saisir la commission de déontologie ; soit son cas relevait de votre compétence, et vous deviez demander à l’autorité de tutelle de le faire. Ce qui nous choque, c’est que vous ayez émis une opinion personnelle, qui n’engageait pas, selon vous, la commission de déontologie. Permettez-nous d’être surpris ! C’est comme si le président de la Cour des comptes émettait des avis personnels sans engager l’ensemble de la juridiction !

En outre, nous avons été très choqués par les propos que vous avez tenus sur les parlementaires et les hommes politiques. Comme vous êtes un juriste éminent, je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler que le Parlement contrôle l’action du Gouvernement.

M. Olivier Fouquet. Mais pas celle de la commission de déontologie !

M. Christophe Caresche. Ce n’est pas une haute autorité indépendante !

M. Arnaud Montebourg. Elle l’est de moins en moins…

M. Philippe Vuilque. Quand le Gouvernement omet de saisir la commission de déontologie, il est du devoir des parlementaires de demander des explications – en l’occurrence, c’est ce qu’ont fait M. Sapin et M. Montebourg en envoyant cette lettre à la commission.

Le Gouvernement, lui aussi, est composé d’hommes politiques ; je ne vois pas pourquoi le Parlement n’aurait pas la possibilité de demander des explications à la commission de déontologie alors que le Gouvernement pourrait interpréter comme il le veut les positions personnelles de son président. Pourquoi avez-vous émis cette opinion personnelle plutôt que de demander au Gouvernement de saisir la commission ? Il aurait été plus sain d’agir ainsi.

Nous avons enfin été choqués par l’utilisation de l’adjectif « inepte » pour qualifier une discussion qui nous paraît, au contraire, toucher au principe même de la commission de déontologie. Si est jugé inepte un débat sur la nomination d’un haut fonctionnaire à la tête d’une société dont il a eu à connaître les affaires dans le cadre de ses fonctions, à quoi sert la commission de déontologie ?

M. Olivier Fouquet. L’adjectif « inepte » visait les commentaires relatifs à la lettre que j’avais envoyée : on lui a fait dire tout autre chose que ce qui était écrit. Je demande simplement qu’on la lise, telle qu’elle est – rien de plus.

Quant à l’opportunité de cette lettre, il faut savoir que, la législation étant assez complexe, des administrations et des agents publics nous téléphonent tous les jours pour obtenir des éléments d’informations sur la manière dont il faut interpréter les textes sur la saisine obligatoire ou facultative et sur notre jurisprudence. Répondre à ces demandes fait partie de notre mission. Bien évidemment, le secrétariat précise toujours que ces réponses ne sauraient engager la commission. Or, comme le rappelle le communiqué publié hier, la commission de déontologie seule a compétence pour apprécier si une nomination est conforme à la déontologie.

S’agissant de la saisine, il convient de différencier saisine obligatoire et saisine facultative. Le caractère obligatoire de la saisine dépend des fonctions qu’a effectivement exercées le fonctionnaire qui part dans le secteur privé. Quand il s’agit d’un membre de cabinet ministériel, c’est délicat ; la seule solution, c’est que l’intéressé et son administration de tutelle prennent leurs responsabilités. En effet, nous ne pouvons nous prononcer sur la façon dont l’intéressé a effectivement rempli ses fonctions qu’après avoir instruit l’affaire, entendu le rapporteur et délibéré. Autrement dit, la forme rejoint le fond. Je ne peux donc pas affirmer qu’une personne se trouve dans un cas de saisine obligatoire, car, ce faisant, je préjugerais du fond et de la délibération future de la commission.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je précise que vous m’avez remis deux lettres. À celle de Claude Guéant, datée du 23 février, est jointe une lettre de François Pérol, dont je vous lis deux paragraphes : « Dans le cadre des fonctions que j’exerce à la Présidence de la République depuis le mois de mai 2007 en qualité de secrétaire général adjoint, j’estime n’avoir pas exercé de surveillance ou de contrôle sur la Caisse nationale des Caisses d’épargne, sur la Banque fédérale des Banques populaires ou sur leur réseau. Je n’ai pas davantage conclu ou formulé d’avis sur des contrats passés avec ces entreprises, ni proposé à l’autorité compétente de décisions relatives à des opérations effectuées par elle, ni formulé d’avis sur de telles décisions. Il m’apparaît dans ces conditions que je pourrais exercer des fonctions dans ces entreprises s’il était décidé de me les confier, sans méconnaître l’article 87 de la loi de 1993 ou l’article 432-13 du code pénal. »

M. Alain Vidalies. De quand est datée cette lettre ?

M. le président Jean-Luc Warsmann. Du 23 février également. La lettre de M. Guéant est une simple lettre d’accompagnement : « Monsieur le président, je vous prie de trouver ci-joint une lettre de M. François Pérol, secrétaire général adjoint à la Présidence de la République, relative à sa situation au regard des dispositions de l’article 432-13 du code pénal. Veuillez agréer, monsieur le président, l’expression de mes sentiments les meilleurs. »

M. Olivier Fouquet. Si son administration de tutelle partage le même sentiment que lui, nous ne pouvons obliger à saisir la commission un fonctionnaire qui, à tort ou à raison, estime qu’il n’a pas à le faire. Toutefois, suivant les termes du communiqué d’hier, « la Commission rappelle qu’elle seule a compétence pour apprécier si une nomination est ou non conforme à la déontologie applicable aux membres de la fonction publique qui prévoient d’exercer dans le secteur privé. Il appartient à ceux-ci et à l’administration dont ils relèvent, si un doute intervient à ce propos, de saisir la Commission afin que, dans l’intérêt de tous, à commencer par celui des personnes en cause, les règles déontologiques soient respectées. Les motifs de leur départ, fussent-ils d’intérêt général, ne les en dispensent pas. »

M. René Dosière. Je voudrais faire remarquer que s’il y a eu polémique, c’est parce que le Président de la République a indiqué publiquement que la commission de déontologie avait rendu un avis. C’est après cette déclaration, qui provenait non d’un « commentateur », mais bien d’un des principaux acteurs de cette affaire, que M. Fouquet a dû rendre sa lettre publique. On s’est alors aperçu que la commission n’avait pas rendu d’avis ou de décision puisqu’elle n’avait pas été saisie, et que cet écrit engageait son seul président.

Dans cette lettre, que la commission de déontologie a qualifiée hier de « technique » – un jugement que je ne partage pas –, vous rappelez, de manière quelque peu intemporelle, le droit, en ajoutant que, comme l’intéressé considère ne pas être concerné par les dispositions prévues par la loi et le code pénal, il n’entre pas dans le champ de la saisine obligatoire.

Pourtant, M. Pérol a déclaré au Journal du dimanche avoir sollicité des avis, y compris celui de votre commission. Par ailleurs, sa demande vous a été transmise par le secrétaire général de la Présidence de la République, qui intervient régulièrement dans les médias pour définir la politique de notre pays et rectifier parfois les propos de certains ministres. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une simple infirmière sollicitant la permission d’exercer en libéral !

Par ailleurs, il est de notoriété publique que les mesures relatives au réseau des Caisses d’épargne et à celui des Banques populaires ont été décidées à l’Élysée, dans le bureau de M. Pérol. Celui-ci devant être auditionné la semaine prochaine par la Commission des finances de l’Assemblée nationale, il nous sera possible d’apprécier plus précisément son degré de responsabilité dans ces événements.

Si je rappelle ce contexte, c’est que je m’interroge sur les raisons qui ont pu pousser le président de la commission de déontologie à prendre une position qui ne pouvait être neutre. Certes, il a employé un « si » hypothétique et fait référence à la jurisprudence habituelle applicable aux membres des cabinets ministériels, ce qui a d’ailleurs permis au Président de la République, en s’appuyant sur cette lettre, de prétendre qu’il n’y avait pas de problème. En réalité, il y en a bien un, et je m’étonne, monsieur le président, qu’un homme ayant votre expérience et vos responsabilités ait pu se faire piéger, ou accepter de se faire instrumentaliser, aussi facilement. S’agissant de personnes disposant d’autant de pouvoir, vous vous êtes comporté – passez-moi l’expression – de façon légère. Dans une affaire de ce type, il me semble que vous auriez dû répondre qu’il vous était impossible, même à titre personnel, de vous prononcer sur la jurisprudence. Je me demande ce qui vous a poussé à prendre cette initiative, et pourquoi, dès lors que l’administration concernée, c’est-à-dire le secrétariat général de l’Élysée, et l’intéressé lui-même vous saisissaient du problème, vous n’avez pas considéré que seule la commission pouvait se prononcer.

M. Olivier Fouquet. S’agissant de ce que j’ai qualifié auparavant de « lapsus », mais qu’on peut appeler « erreur », personne ne peut savoir pourquoi le Président de la République s’est trompé et, personnellement, je m’interdis de porter un jugement sur ce sujet.

Que s’est-il passé ? Le mardi, c’est le jour des sections administratives au Conseil d’État : on siège de neuf heures à vingt heures, et l’on n’est pas très au courant de ce qui se passe à l’extérieur. Le Conseil d’État, c’est un univers très particulier : on peut travailler pendant quarante ans avec un collègue sans connaître ses opinions politiques ou religieuses ; cela facilite énormément les conditions de travail.

J’étais donc en séance. Au secrétariat de la commission, le rapporteur général et la secrétaire générale étaient en vacances, il ne restait plus qu’une secrétaire, qui m’a fait passer un message affolé me demandant de la rappeler d’urgence. Ce que j’ai fait. « J’ai quarante journalistes au téléphone qui me demandent si la commission de déontologie s’est réunie sur le cas de M. le secrétaire général adjoint de l’Élysée », me dit-elle. « Qu’est-ce que c’est que cette histoire absurde ? Répondez, premièrement, que la commission ne s’est pas réunie sur ce cas, deuxièmement, qu’elle se réunira le 11 mars, troisièmement, qu’elle n’est pas saisie du dossier. » Il devait être trois heures et demie. Ces propos ont été repris partout, et ce n’était vraiment pas la peine d’aller colporter des « confidences » naturellement inexactes.

S’agissant de la lettre que j’ai écrite, j’aurais tout aussi bien pu dire : « Il faut donc en conclure que si un membre de cabinet ministériel a exercé les fonctions qui lui étaient confiées dans les conditions habituelles, alors la jurisprudence traditionnelle de la Commission lui est applicable. » J’ai parlé du « secrétaire général adjoint » parce que c’est le secrétaire général de l’Élysée qui m’a saisi, mais la formule est interchangeable.

Pourquoi avoir écrit cette lettre ? Nous avons une règle à la commission, c’est de répondre dans les quarante-huit heures – d’autant plus que les intéressés ont un délai, limité par décret, pour nous saisir. Cette règle n’a pas été instituée par moi, mais par mon prédécesseur, le président Michel Bernard. Le rapporteur général n’étant pas là, ni la secrétaire générale, j’ai travaillé avec la secrétaire présente. Comme je connais quand même la jurisprudence, j’ai fait cette réponse générale, qui est un cadrage juridique tout à fait habituel.

M. René Dosière. Vous avez pensé avoir affaire à une saisine banale ?

M. Olivier Fouquet. La preuve que non : j’ai exigé qu’on me demande par écrit une réponse par lettre, ce qui n’arrive pratiquement jamais ; en général, les informations sont sollicitées oralement. J’ai donc eu conscience qu’il ne s’agissait pas de n’importe qui. Toutefois, si l’intéressé avait été le directeur de cabinet du ministre des finances ou le directeur du Trésor, cela aurait été la même chose.

M. Arnaud Montebourg. Je voudrais revenir sur l’esprit de la loi du 29 janvier 1993, et plus particulièrement sur son article 87 qui crée la commission de déontologie.

L’inspirateur de ce texte est Michel Sapin, avec qui, en effet, j’ai cosigné un mémoire juridique que nous avons adressé à chacun des membres de la commission de déontologie, dans le but d’en défendre l’esprit. La loi de 1993 visait à éviter que des infractions pénales ne portent atteinte, d’une part à l’intérêt général et à la réputation de l’État, à cause d’éventuels mélanges d’intérêts publics et d’intérêts privés, d’autre part aux entreprises, lesquelles risquaient d’avoir pour dirigeants des personnes susceptibles d’être mises en cause au pénal dans le cadre de la répression de la prise illégale d’intérêt, qui est commune à toutes les démocraties modernes. Dans ce cadre, la commission de déontologie joue un rôle essentiel de prévention : plutôt que réprimer, avait estimé le législateur, mieux vaut prévenir.

Or, vu l’organisation actuelle des pouvoirs, tout le monde sait que la négociation de la fusion entre la Caisse d’Épargne et la Banque populaire s’est faite dans le bureau de M. Pérol. En outre, celui-ci était auparavant banquier d’affaires chez Rotschild ; à ce titre, il a conseillé la création de Natixis, dont la débâcle financière est l’une des causes des graves difficultés rencontrées par les deux maisons mères.

Qu’un haut commis de l’État soit pressenti pour prendre la présidence de la deuxième banque française qui naîtra de cette fusion, nous ne le blâmons pas. En vertu de l’article 13 de la Constitution, M. Sarkozy peut nommer n’importe qui à ce poste ; n’importe qui, sauf celui qui a présidé à la négociation de la fusion des deux groupes. En effet, dès lors que M. Pérol devient président, les interrogations commencent. Avec quelles contreparties les contribuables ont-ils versé 5 milliards d’euros ? Un siège pour M. Pérol ? Avec quel salaire ? Quel parachute ? Quels stock options ? Pourquoi l’État n’a-t-il pas obtenu de voix délibérative dans le conseil d’administration ? Les intérêts privés de M. Pérol ne seraient-ils pas venus contaminer l’intérêt général ? C’est pour éviter ce genre de suspicions qu’avait été conçue la loi de 1993.

L’enjeu actuel n’est pas de savoir qui doit opérer la saisine de la commission ou comment on doit le faire, monsieur le président, mais d’éviter un scandale majeur. Le risque pénal s’approche à grand pas, puisque les syndicats ont annoncé qu’ils envisageaient de porter l’affaire devant le parquet, et que, selon le site Mediapart, des membres de votre commission ont évoqué hier l’usage de l’article 40 du code de procédure pénale faisant obligation à toute autorité ayant connaissance d’un délit de le porter sans délai à la connaissance du procureur de la République. Voilà ce qui menace M. Pérol et, à travers lui, la deuxième banque française, au moment même où nous avons besoin de solidité bancaire et de confiance en nos institutions. Et c’est le moment que choisit la commission de déontologie pour inventer je ne sais quel stratagème, en évoquant des lettres et des saisines, au lieu de jouer son rôle de prévention et d’appliquer, tout simplement, la loi.

Sincèrement, monsieur le président, quand une action pénale aura été déclenchée contre M. Pérol, estimerez-vous toujours que la commission de déontologie a joué son rôle ?

M. Olivier Fouquet. Monsieur le député, je le répète, la commission de déontologie a les pouvoirs que vous lui avez donnés. Nous ne pouvons pas nous autosaisir. Si nous avions pu le faire, le problème de M. Pérol ne se serait pas posé.

Votre analyse est tout à fait exacte : la loi de 1993 est un texte de précaution et de prévention. Cela ne signifie pas que la personne qui entre dans le champ de l’article 432-13 du code pénal est indigne, ou qu’elle s’est mal comportée : en négociant avec une entreprise, elle a très bien pu défendre les intérêts de l’État. Simplement, on ne veut pas prendre le risque que l’intéressé et l’État puissent être soupçonnés de collusion ou de favoritisme.

Cela étant, sur le fond, il m’est évidemment impossible de vous répondre. Comment voulez-vous qu’un membre de la commission de déontologie prenne position avant que la commission ait instruit sur le fond le cas dont vous parlez ? Je n’ai jamais vu un juge donner son jugement avant d’avoir instruit l’affaire ! C'est la loi qui comporte une lacune. Probablement notre commission s’exprimera-t-elle à ce sujet dans son rapport public.

La commission fonctionnerait parfaitement, à la satisfaction de tous et en toute indépendance, si elle avait le pouvoir d’autosaisine : quand elle aurait un doute et qu’elle s’apercevrait qu’elle n’est pas saisie, elle inviterait l’intéressé et son administration de tutelle à la saisir dans un délai déterminé, et, à défaut, elle s’autosaisirait.

M. Dominique Raimbourg. Monsieur le président, afin que, comme vous le souhaitez, les faits soient bien établis, je vous poserai quatre questions.

Premièrement, peut-on résumer votre position en disant que vous avez simplement donné une consultation juridique, comme cela se pratique habituellement à la commission de déontologie ?

Deuxièmement, peut-on interpréter la phrase suivante : « Si le secrétaire général adjoint a exercé les fonctions qui lui étaient confiées dans les conditions habituelles d’exercice de leurs fonctions par les membres des cabinets ministériels, la jurisprudence traditionnelle de la commission lui est applicable » comme une réponse à cette consultation visant à expliquer que, dans la mesure où M. Pérol affirme dans sa lettre qu’il ne s’est pas occupé de la fusion entre les deux banques, il n’y a pas forcément matière à saisine de la commission de déontologie ?

Troisièmement, aviez-vous compris que la consultation juridique qui vous était demandée serait utilisée comme valant quitus donné par la commission ?

Quatrièmement, estimez-vous aujourd’hui que, pour sortir de cette situation, la commission devrait être saisie du cas Pérol ?

M. Alain Vidalies. Vous avez indiqué, monsieur le président, que tout avait commencé par un coup de téléphone de M. Guéant. Durant cet entretien, aviez-vous déjà envisagé l’issue prévisible, à savoir qu’il n’y avait pas d’autosaisine possible et qu’il faudrait que M. Pérol prenne position ? Si ce fut le cas, vous deviez bien avoir conscience de ce qui allait se passer ?

Par ailleurs, vous arrive-t-il souvent de répondre directement au téléphone ? J’imagine que non : vous avez donc dû mesurer qu’il s’agissait d’une affaire d’État. Une fusion entre deux banques, 5 milliards de fonds publics en jeu, le secrétaire général adjoint de l’Élysée qui devient le patron : on compte peu de cas de cette importance dans l’histoire de votre commission. Même si le Conseil d’État est « dans sa bulle », la couverture médiatique de cette affaire n’a pas dû vous échapper !

Enfin, vous invoquez le droit, mais, que je sache, une réponse écrite du président de la commission suite à un contact téléphonique ne fait pas partie des procédures prévues par le législateur. Quelle est la valeur de cette pratique ? Quels sont les recours éventuels ?

M. Michel Sapin. Je ferai pour commencer deux remarques d’ordre personnel.

Tout d’abord, je comprends, monsieur le président, que votre position soit difficile. Il n’est pas facile d’avoir à répondre après que le Président de la République s’est exprimé pour dire une chose inexacte. Quand on a, comme vous, le sens de ses fonctions, la situation présente doit être particulièrement pénible à vivre, et cela peut expliquer des propos inutilement désagréables.

Ensuite, en 1993, j’étais ministre des finances. Pourquoi ces dispositions ont-elles été prises ? D’abord, si le délit de prise illégale d’intérêt n’a pas été inventé à l’époque, il a été redéfini et précisé à ce moment. Ensuite, et surtout, comme vient de le dire M. Montebourg et comme je l’avais dit à l’époque devant les parlementaires, notamment devant la commission des lois de l’Assemblée nationale que j’avais présidée quelques mois auparavant : mieux vaut prévenir que punir.

L’attente du jugement ouvre en effet une période d’incertitudes. Des soupçons pèsent sur les personnes – parfois inutilement, parce que ce n’est pas parce que l’on est nommé à la tête d’un groupe privé après avoir exercé des fonctions dans un cabinet ministériel ou au secrétariat général de l’Élysée que l’on est pour autant une vile personne. Des soupçons pèsent sur l’institution – et je pense que nous sommes nombreux ici, sur tous les bancs, à être attachés à la morale publique et au bon fonctionnement de l’État ; vous en êtes d’ailleurs, monsieur le président, une digne illustration. Des soupçons, enfin, pèsent sur l’entreprise concernée, ouvrant, comme c’est le cas aujourd’hui, une période d’incertitude, notamment quant à ses modes de direction. Il est donc préférable de prévenir.

C’est pourquoi, sous l’autorité du Premier ministre de l’époque, Pierre Bérégovoy, j’avais souhaité, dans une loi qui porte aujourd’hui mon nom, mettre en œuvre des mécanismes de prévention des phénomènes de corruption et des mélanges indignes entre la sphère publique et la sphère privée. Vous comprendrez, monsieur le président, que je sois attaché au respect de ces principes, et que, comme citoyen et comme parlementaire, je puisse m’autoriser à exprimer une opinion sur ce sujet sans être pour autant qualifié de « soviétique ».

Cela étant dit, je souhaite vous poser quelques questions précises.

Vous l’avez souligné, la législation a évolué depuis 1993. La loi de 1993 avait voulu être exhaustive et couvrir toutes les situations ; au bout du compte, elle en a couvert trop, encombrant ainsi le travail de la commission. En 2007, sous l’impulsion de votre prédécesseur, la loi a été modifiée dans un esprit de simplification, de manière à privilégier l’essentiel sur l’accessoire. Toutefois, à force de vouloir aller à l’essentiel, n’a-t-on pas fini par créer une situation qui permet d’éviter de le traiter ? En effet, si l’affaire Pérol n’est pas l’essentiel, où est-il ? Sans préjuger ni du jugement de votre commission, si elle était saisie, ni de celui du juge pénal, qui sera saisi, connaissez-vous beaucoup d’affaires d’une telle importance, où le problème de la collusion d’intérêt se pose avec autant d’acuité ?

De fait, votre commission se trouve dans une position étonnante. Sa saisine est obligatoire dans un certain nombre de cas, qui sont ceux punis par la loi du point de vue pénal ; or la seule autorité qui puisse dire, de manière préventive, si un dossier entre dans ce champ, c’est votre commission – laquelle devrait par conséquent se prononcer préalablement sur le fond… Il est bien évident que si l’on craint que la commission donne un avis négatif, on ne la saisira pas. Cette étrangeté avait d’ailleurs été parfaitement résumée par le Canard enchaîné, dans un dessin représentant l’analyse de la situation par deux personnalités que je ne nommerai pas : « Dans un cas, elle n’est pas compétente ; dans l’autre, elle donne un avis favorable ».

Ayant eu l’occasion de vous côtoyer dans d’autres circonstances, monsieur le président, je comprends que tout cela vous place dans une position juridiquement et humainement terriblement compliquée. La commission aurait dû être saisie, mais il n’y a qu’elle, si elle avait été saisie, qui aurait pu dire qu’elle aurait dû être saisie ; or elle n’a pas été saisie. Voilà qui est impossible à comprendre !

Souhaitez-vous, monsieur le président, une modification de la loi sur ce point, afin d’éviter semblable confusion dans l’avenir ?

Par ailleurs, en votre âme et conscience, en tant que président de cette commission, membre du Conseil d’État, et étant attaché comme vous l’êtes aux questions de déontologie, souhaitez-vous – ce qui est encore possible aujourd’hui – que la commission de déontologie soit saisie du cas Pérol ?

M. Olivier Fouquet. L’analyse de M. Sapin est d’une exactitude qui fait honneur à sa qualité d’ancien membre de la juridiction administrative : je ne retirerai pas un mot de ce qu’il a dit.

L’affaire que vous évoquez a mis en lumière une lacune que nous avions intuitivement reconnue puisque, comme je vous l’ai signalé, il arrive que des agents ou des administrations nous demandent des informations et qu’on n’en entende plus parler : sont-ils partis dans le privé sans rien dire ou ont-ils renoncé à le faire ? Nous l’ignorons.

Vous avez raison : la forme se confond avec le fond, de sorte que nous ne pouvons savoir, avant d’avoir instruit l’affaire, si l’intéressé se trouve dans le cadre d’une saisine obligatoire ou facultative. Toutefois, même dans ce dernier cas, nous pouvons avoir des réserves à faire et notre saisine n’est pas inutile. Je rappelle les termes du communiqué de la Commission : « Il appartient à ceux-ci [les intéressés] et à l’administration dont ils relèvent, si un doute intervient à ce propos, de saisir la commission afin que, dans l’intérêt de tous, à commencer par celui des personnes en cause, les règles déontologiques soient respectées. » Ce doute, c’est un doute raisonnable. Je considère ainsi qu’il existe des postes pour lesquels il serait normal de procéder à une vérification systématique, comme le directeur de cabinet du ministre des finances ou les membres du secrétariat général de la Présidence chargés des questions économiques. Mais si nous ne disposons pas du pouvoir d’autosaisine, nous ne pouvons rien faire. Si vous déposiez une proposition de loi en ce sens, je n’y verrais aucune objection, bien au contraire.

S’agissant du cas de M. Pérol, je ne peux pas répondre. Mais, quand la commission précise : « Il appartient à ceux-ci et à l’administration dont ils relèvent, si un doute intervient à ce propos, de saisir la Commission afin que, dans l’intérêt de tous, à commencer par celui des personnes en cause, les règles déontologiques soient respectées. Les motifs de leur départ, fussent-ils d’intérêt général, ne les en dispensent pas », il me semble que tout est dit.

Quel est le sens de ma lettre ? Il s’agit d’un avis purement juridique, rédigé à la manière du Conseil d’État. D’ailleurs, aucune des personnes que j’ai consultées au Conseil d’État n’a exprimé la moindre hésitation à ce sujet.

Cette consultation juridique n’était pas destinée à être publiée. C’est moi qui ai demandé qu’elle le soit : à partir du moment où le secrétaire général de la Présidence de la République en avait parlé, je ne voyais pas pourquoi elle n’aurait pas été mise sur la place publique, pour que personne ne fantasme à son sujet.

Quant à la conversation que j’ai eue avec M. Guéant, ce type de coup de téléphone est assez fréquent. Ainsi, les responsables du personnel des autorités administratives indépendantes, qui, en tant qu’organes de contrôle, sont très souvent confrontés à des difficultés déontologiques, appellent pour me soumettre leurs questions. Je les examine avec la secrétaire générale et le rapporteur général, et nous leur répondons, en général par courrier électronique. Le fait qu’il s’agisse du secrétaire général de la Présidence de la République – que je ne connais pas bien – et du secrétaire général adjoint – que je n’ai jamais rencontré – n’a rien changé.

Il m’arrive de répondre directement au téléphone, notamment pour renseigner des collectivités territoriales – lesquelles, contrairement aux administrations centrales, n’ont pas à traiter fréquemment ce genre de problème, qui leur est donc moins familier. Il m’arrive également de répondre par écrit aux maires, afin qu’ils puissent opposer la lettre à l’agent qui souhaite partir.

S’agit-il d’une affaire d’une importance exceptionnelle ? Cela l’est devenu. Disons que c’est une affaire exemplaire.

Aurais-je dû ne pas écrire ? A posteriori, si j’avais été intelligent, j’aurais fait traîner ma lettre. Trois jours plus tard, le secrétaire général adjoint aurait été nommé, sans qu’elle arrive. Honnêtement, je n’avais pas vu le scénario : je n’aurais jamais imaginé que l’on publierait ma lettre, qui est une simple consultation juridique. Cela fait partie des relations professionnelles habituelles, et cela ne devrait pas être utilisé pour une polémique extérieure.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Au nom de la Commission, je remercie le président Fouquet pour ses réponses. Cette réunion est une bonne illustration du travail de notre commission. Pour ma part, il apparaît très clairement que l’état actuel du droit, c’est-à-dire la législation de 1993 modifiée en 2007, n’est pas satisfaisant. Je vous proposerai donc dans les prochains jours des évolutions susceptibles de combler les lacunes apparues aujourd’hui.

M. René Dosière. Monsieur Fouquet ayant admis avoir été surpris par l’utilisation de sa correspondance, avec toutes les polémiques qui en ont découlé, ne pense-t-il pas qu’il serait souhaitable, pour que la commission de déontologie puisse retrouver à l’avenir une certaine crédibilité, qu’il démissionne de ses fonctions ?

M. Olivier Fouquet. Pour être franc, nous avons sérieusement envisagé une démission collective. Ce qui nous a arrêtés, ce sont les termes de la loi : nous devons statuer dans un délai d’un mois, sinon l’avis est réputé favorable. Si nous avions démissionné, il aurait fallu du temps pour retrouver un conseiller à la cour de cassation, un conseiller d’État et un conseiller à la Cour des comptes qui veuillent bien siéger dans la commission. Il y aurait donc eu une période intermédiaire durant laquelle n’importe qui aurait pu obtenir un avis favorable.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je retiens de l’audition de ce matin que ce n’est pas la commission ou son président qui doivent être mis en cause, mais une lacune de la législation. Assumons notre rôle et essayons d’améliorer les choses.

La séance est levée à dix heures vingt.

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