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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 13 mai 2009

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 48

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, sur son premier rapport annuel 2

La séance est ouverte à 11 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président

La Commission procède à l’audition de M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, sur son premier rapport annuel.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Monsieur le Contrôleur général, vous avez été nommé le 13 juin dernier, après avis favorable des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat. Aux termes de l’article 11 de la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, celui-ci doit remettre chaque année un rapport d’activité au Président de la République et au Parlement. Je vous remercie d’avoir accepté de venir nous présenter votre premier rapport et je vous invite à nous faire part de la manière dont vous travaillez ainsi que de vos premières conclusions, puis nous vous poserons des questions.

M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il faut que le contrôleur soit contrôlé, comme je vous l’avais dit il y a onze mois, et c’est la raison pour laquelle je me trouve devant vous. C’est pourquoi le fil rouge de mon propos sera la question suivante, à laquelle j’attends de vous une réponse : est-ce que le Contrôleur général dans sa réalité actuelle correspond à l’idée que vous vous en faisiez en votant la loi du 30 octobre 2007 ? Si tel n’était pas le cas, il faudrait modifier la trajectoire. La contrepartie de l’indépendance, pour une « autorité indépendante », est en effet le contrôle vigilant du Parlement sur son activité. Je sais donc particulièrement gré à votre Commission de me recevoir ce matin.

Je suis venu avec le secrétaire général, Xavier Dupont, car je n’agis pas seul mais avec une équipe. Il y a eu beaucoup de candidats – environ 250 – aux postes de contrôleur ; dans le cadre des moyens ouverts en loi de finances, j’ai pu en recruter quatorze à temps plein, auxquels s’ajoutent quatre emplois administratifs. Ces personnes sont d’origines extrêmement diverses – médecin, gendarme, policier, directeur des services pénitentiaires, membre d’association… : j’ai cherché à réunir tous ceux dont les compétences me paraissaient utiles, et dont les expériences professionnelles mêlées pouvaient produire du fruit. Je suis heureux de constater que ce mélange des cultures s’est fort bien passé. Nous constituons pour nos visites d’établissement des équipes associant des personnes diverses, et nous effectuons en outre des brassages réguliers entre elles.

Je dois cependant signaler, concernant les effectifs – sujet qui avait beaucoup préoccupé le Parlement au moment du vote de la loi –, un petit raté. Le décret d’application du 12 mars 2008, dans son article 3, prévoyait que, au-delà des dix-huit emplois prévus en loi de finances, le Contrôleur général pourrait bénéficier de temps à autre des services de personnes employées et rémunérées à temps plein par un autre employeur. Cette disposition est restée totalement lettre morte car, comme on peut le concevoir, les employeurs n’ont pas envie de se passer des services de leurs subordonnés pendant quelques heures ou quelques jours, et nos tentatives en ce sens ont échoué.

C’est la raison pour laquelle je viens de demander au Gouvernement de créer quatre emplois de contrôleur et deux emplois administratifs supplémentaires. C’est d’autant plus nécessaire que nous souhaitons allonger la durée de nos visites dans les établissements.

J’en viens à nos relations avec le Gouvernement et avec l’administration.

Le Gouvernement a parfaitement joué le jeu. Les ministres intéressés ont pris des circulaires d’application pour expliquer à leurs administrations qu’aucune entrave ne pouvait être mise à l’activité du Contrôleur général et, ce faisant, nous ont grandement facilité la tâche. Je pense évidemment à la Garde des sceaux, mais également à la ministre de la santé et à la ministre de l’intérieur. Quant au ministre de la défense, il a lui aussi publié une circulaire, mais plus tardivement, n’ayant peut-être pas tout de suite pris conscience que son département ministériel était concerné.

J’ai également très vite pris contact avec les administrations intéressées, ainsi qu’avec les organisations professionnelles, notamment pénitentiaires, et j’ai depuis lors des contacts réguliers avec les uns et les autres. Enfin, nos visites ont bénéficié sur place de la pleine coopération des autorités, qu’il s’agisse des autorités préfectorales, des chefs d’établissement, des policiers ou des gendarmes. Il n’y a eu aucune entrave, sauf exception momentanée, à la communication de documents et à la rencontre des personnes que nous souhaitions voir. A cet égard, la loi s’est pleinement appliquée.

Là encore, cependant, je formulerai deux restrictions.

Tout d’abord, la direction de l’administration pénitentiaire a pris l’habitude de recueillir les noms des détenus qui entrent en relation avec nous. Je l’ai très vivement mise en garde sur ce point dans le rapport annuel. Le protocole des Nations unies qui est à l’origine de la création de notre institution comporte en effet un article 21, qui d’ailleurs n’a pas été repris dans la loi française, relatif à la protection des personnes. Il est indispensable que les personnes qui s’adressent au Contrôleur général soient assurées de la confidentialité des informations qu’elles lui donnent ; si elles ne peuvent avoir confiance sur ce point, il n’y a plus d’informations, et par conséquent plus de contrôle général. J’ai donc indiqué à l’administration pénitentiaire que, quelles qu’aient pu être ses motivations, je ne souhaitais pas voir perdurer ces pratiques.

Un deuxième problème, sur lequel je n’ai pas encore attiré l’attention de l’administration pénitentiaire, commence à me préoccuper. En vertu de l’article A. 40 du code de procédure pénale, opportunément modifié sur ce point par la Garde des sceaux, le courrier adressé au Contrôleur général par les détenus ne doit pas être ouvert ; or nous constatons qu’un peu trop souvent encore, il l’est. J’ai mis cela au début sur le compte de la mégarde, mais celle-ci ne saurait durer trop longtemps.

En dehors de cela, il n’y a pas de difficulté à signaler. Mais la question essentielle est la suivante : quelle valeur le Gouvernement et l’administration accordent-ils à nos recommandations ?

Il est peut-être encore un peu tôt pour répondre à cette question. Néanmoins j’ai reçu hier un premier bilan de l’administration pénitentiaire, selon lequel, sur les 102 recommandations que nous lui avons adressées à la suite de nos visites dans des établissements, 82 ont été suivies d’effet. Cela confirme mon impression globale, tant dans l’administration pénitentiaire qu’au ministère de l’intérieur et au ministère de l’immigration. Mais bien entendu, nous serons vigilants ; je vous avais indiqué en juin que le Contrôleur général pouvait se montrer entêté, même s’il peut aussi commettre des erreurs. Par ailleurs nous n’hésiterons pas, si nécessaire, et comme nous l’avons déjà fait, à renouveler nos visites dans tel ou tel établissement.

Le volume du courrier que nous recevons est en augmentation constante. Le rythme actuel est de l’ordre de 1 500 lettres par an, émanant essentiellement de détenus ou de leurs familles. Il ne nous en arrive pas encore beaucoup des hôpitaux psychiatriques. Il faut donc s’attendre à un nouveau gonflement, et c’est ce qui motive ma demande de deux emplois administratifs supplémentaires. Je souhaite aussi pouvoir mener des enquêtes très précises sur des cas individuels dont je suis saisi, ce que je ne peux pas faire pour l’instant.

Nous avons effectué environ 120 visites, dans tous types de locaux. Elles sont parfois programmées, parfois inopinées. Nous avons renoncé à toute visite programmée dans les locaux de garde à vue, susceptibles d’être transformés en quelques heures, qu’il s’agisse de la retenue douanière, des gendarmeries ou des commissariats de police, mais dans les établissements pénitentiaires, nous alternons les deux types de visite.

Concernant nos contacts, outre les syndicats et les directions administratives, je rencontre beaucoup d’associations. J’ai également mis en place une réunion périodique avec des chercheurs, dont j’ai beaucoup à apprendre. Nous avons rencontré les instances internationales, comme nous y invitait la loi – le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe et le sous-comité des Nations unies. Les contacts bilatéraux sont encore restreints car je n’ai pas encore beaucoup d’homologues en Europe, et le temps nous a un peu manqué.

Nous n’avons pas hésité à saisir le procureur de la République – une fois – sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale. Nous avons aussi, dans deux cas précis, évoqué l’éventualité de demander au ministre l’engagement de poursuites disciplinaires, avant finalement d’y renoncer, une solution ayant été trouvée. Je n’ai eu qu’une seule saisine d’une administration, qui a d’ailleurs tourné court. Enfin, il n’est arrivé qu’une fois que nous soyons obligés d’interrompre une visite – en raison d’une tempête de neige qui provoquait déjà suffisamment de perturbations dans l’établissement. Cette visite a été reportée la semaine suivante.

Quels ont été nos constats ? Sans reprendre les détails du rapport, je voudrais vous faire part de quelques observations générales.

L’état matériel des établissements, dont on parle beaucoup, est en fait très contrasté. Si les hôpitaux psychiatriques, grâce au plan qui a été mis en œuvre en 2003 et 2004, sont dans un état relativement satisfaisant, et si les centres de rétention, parce qu’ils ont été agrandis récemment, sont souvent dans un état très convenable, il n’en va pas de même non seulement des prisons, mais encore et surtout des commissariats de police, que je mets très résolument au bas de l’échelle. Pour la plupart, ils sont dans un état inacceptable, qui fait souffrir tant les personnes mises en garde à vue que les personnels. Nous avons d’ailleurs constaté de la part de ces derniers un certain contentement à notre arrivée, à l’idée qu’enfin quelqu’un allait pouvoir parler des conditions dans lesquelles ils devaient travailler.

Un sujet plus important encore est celui des relations que les personnes privées de liberté entretiennent avec le personnel. Sur ce point, je mets à part les hôpitaux psychiatriques, où le personnel, notamment infirmier, est totalement dévoué à sa tâche, mais où il faut cependant déplorer le nombre très insuffisant de psychiatres. Ailleurs, la situation est très variable. En général, et cela me surprend beaucoup, on dispense bien peu de formation au personnel, qui de ce fait improvise et reproduit les traditions de l’établissement transmises par les collègues. Les dérapages existent, mais ils sont rares ; ils se produisent souvent dans les interstices de temps ou d’espace, par exemple dans les transports ou pendant les week-ends, sans parler des problèmes d’alcoolisme. La fatigue des personnels est souvent très grande, et beaucoup de personnes estiment ne pas faire le métier qu’elles attendaient ; cette déception entraîne un grand turnover, avec ses conséquences.

En ce qui concerne les relations entre les personnes privées de liberté, on est frappé par la violence qui règne dans les établissements pénitentiaires. Quel paradoxe que les personnes condamnées au nom de la loi se retrouvent dans un endroit où elles subissent la seule loi de la jungle !

On est frappé aussi par l’ennui général de ces lieux, où l’on souffre profondément d’inactivité, d’insuffisance de travail et d’insuffisance de loisirs. Comment espérer la bonne réinsertion de quelqu’un qui est placé dans une situation d’« inactivité artificielle » – comme l’on parle de « coma artificiel » ?

On constate par ailleurs la diversité des pratiques entre les établissements. D’une catégorie d’établissement à l’autre, on conçoit mieux qu’il y ait des différences, mais néanmoins elles ne sont pas toujours compréhensibles : comment expliquer qu’à celui qui entre dans un centre de rétention, on enlève tout ce qui permet d’écrire, mais qu’à celui qui entre dans une prison, on donne de quoi écrire ? Comment expliquer certaines pratiques que l’on prétend justifier par la sécurité mais qui n’ont aucun fondement ? Nous avons ainsi dénoncé avec un peu d’ironie l’obligation faite aux femmes en garde à vue d’enlever leur soutien-gorge. Quand on interroge la direction générale de la police nationale sur l’origine de cette pratique, elle est incapable de fournir la moindre instruction. Si on l’interroge sur le nombre de suicides en garde à vue, elle ne donne pas de chiffres. A fortiori, elle est incapable de donner la moindre indication sur les suicides pratiqués au moyen d’un soutien-gorge. Comment dès lors justifier qu’on humilie en garde à vue 55 000 personnes par an ?

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la dimension des établissements pénitentiaires et des hôpitaux psychiatriques. Je n’ignore pas, bien sûr, les programmes de construction actuels, mais je me dois de dire qu’il existe une réelle différence de nature entre la maison d’arrêt qui accueille une petite centaine de détenus et celle qui en accueille plusieurs centaines ; dans la première, il y a des rapports entre les personnes, tandis que dans la seconde ils n’existent pas, sinon sous la forme de tensions et de rapports de force. Peut-être faudrait-il, au sein des gros établissements que l’on construit aujourd’hui, penser à concevoir des unités autonomes.

Enfin, je voudrais souligner que les personnes privées de liberté manquent de possibilités de s’exprimer. On ne trouve dans ces établissements que des groupes de parole psychiatriques : n’y aurait-il pas d’autre recours que la psychiatrie pour prendre la parole ?

Tels sont nos premiers constats, qui devront bien évidemment être affinés mais dans lesquels le Gouvernement reconnaît de vraies difficultés. Concernant ma mission, on a sans doute dit un peu vite qu’elle consistait à réunir du consensus : s’agissant de problèmes délicats, il est normal qu’il n’existe pas toujours, mais c’est ce qui fait l’un des intérêts de notre rencontre.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Merci. Y a-t-il à vos yeux des améliorations à apporter aux textes qui définissent votre fonction ? Qu’en est-il des chevauchements dont certains d’entre nous s’étaient inquiétés entre votre mission et celles d’autres autorités comme le Médiateur de la République, la HALDE, la CNDS ou le Défenseur des enfants ?

M. Jean-Marie Delarue. Pour l’instant je ne vois pas d’amélioration particulière à apporter à la loi. Je me suis demandé pourquoi elle n’avait pas repris l’article 21 du protocole des Nations unies, mais je reconnais bien volontiers que, ce protocole s’appliquant en droit interne, cela ne change pas grand-chose.

Je me réserve la possibilité de demander éventuellement au Parlement, mais plus tard, de considérer la question des maisons de retraite. Je crois en effet que de vrais problèmes s’y posent quant au respect des droits fondamentaux de la personne. Mais je reconnais volontiers que d’une part, il ne s’agit pas de personnes privées de liberté au sens strict, et que d’autre part le protocole des Nations unies n’inclut pas ces maisons, tout en paraissant cependant inclure les établissements pour handicapés.

En ce qui concerne les chevauchements, j’ai proposé dès l’été dernier à la Défenseure des enfants, à la Commission nationale de la déontologie de la sécurité, à la HALDE et au Médiateur de la République de conclure des conventions pour régler entre nous les problèmes de compétences. Je n’exclus nullement la complexité administrative, mais je veux éviter qu’elle retombe sur mes concitoyens.

M. André Vallini. Vous avez, monsieur le Contrôleur général, répondu dans votre intervention à la question que je voulais vous poser sur l’accueil que vous avaient réservé les administrations. Je me réjouis d’entendre qu’elles vous ont plutôt facilité la tâche.

Disposez-vous de moyens financiers et humains suffisants pour accomplir votre mission ? La comparaison avec votre homologue britannique fait apparaître un changement d’échelle ; ne pensez-vous pas qu’il faudrait rapidement s’en inspirer et donc, afin que vous soyez à même de contrôler régulièrement tous les lieux de privation de liberté, multiplier vos moyens par dix ?

Je suis le premier à me réjouir quand le consensus est possible, en particulier sur ces questions. Si c’est sans doute le cas sur le constat, il n’en va pas de même sur les moyens. Avez-vous parlé du projet de loi pénitentiaire avec les personnes que vous avez rencontrées ? Attendent-elles cette loi, l’attendez-vous vous-même ?

Concernant les personnes âgées, en tant que président de conseil général je voudrais dire que là encore, il s’agit avant tout d’une question de moyens. Il faut se donner les moyens, y compris fiscaux, de faire des petites maisons de retraite, et comme les prisons elles seront plus humaines.

M. Thierry Lazaro. Vous est-il possible, comme vous le faites dans les lieux de garde à vue, d’opérer des visites inopinées dans les lieux de détention temporaire, dits « souricières », des palais de justice ?

En ce qui concerne les relations avec les familles, vous indiquez dans votre rapport que lorsqu’il y a transfèrement, hospitalisation, voire décès, les familles ne sont pas prévenues. Il ne s’agit pas là d’un problème de moyens financiers. Quelles sont vos préconisations dans ce domaine ?

Enfin, l’augmentation des suicides dans le carcéral est-elle parallèle à celle que l’on constate dans la population générale, ou est-ce un phénomène spécifique ?

M. Noël Mamère. Même si le Gouvernement accède à votre demande, vos moyens resteront très inférieurs à ceux de votre homologue britannique. Comme mon collègue Vallini, et au vu du constat que vous avez dressé, je pense qu’il conviendrait de changer d’échelle.

Concernant les personnels des établissements pénitentiaires, quel est votre point de vue sur l’accord qui a été passé, notamment sur la suspension des normes européennes (RPE) ? Ne vous semble-t-il pas urgent de remettre l’ouvrage sur le métier, alors que la loi pénitentiaire a été reportée sine die ?

S’agissant des «souricières» et dépôts des palais de justice, la conférence de stage du barreau de Paris vient de publier un rapport effrayant. Ne partagez-vous pas la conclusion qu’il faut purement et simplement fermer ces lieux d’indignité ?

Enfin, nous avons tous reçu le rapport de l’Anafé, l’association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, sur l’inhumanité des zones d’attente, autre domaine dans lequel il convient que vous ayez les moyens d’intervenir.

M. Jean-Marie Delarue. En ce qui concerne les moyens, ma réponse ne sera pas très différente de celle que j’avais faite à M. Vallini il y a onze mois. J’estime disposer pour l’essentiel des moyens nécessaires à mon travail. Nous sommes en état d’adresser aux autorités publiques, comme le prévoit la loi, les recommandations les plus utiles. Je fais tourner quatre équipes sur le terrain, en permanence. Nous avons visité 150 établissements. Nous faisons des recommandations après chaque visite, et elles dépassent toujours le cadre de l’établissement visité. Pour faire ces recommandations à portée générale, nous n’avons pas besoin d’attendre d’autres visites.

Je sais bien que l’on fait des comparaisons avec le service de l’inspection des prisons que dirige Mme Anne Owers en Grande-Bretagne, mais son rôle est un peu différent. Au demeurant, lorsque je constate une insuffisance de mes moyens, je le fais valoir. C’est ainsi que, considérant, d’une part, que nous avions besoin de passer davantage de temps dans chaque établissement, ce qui suppose une équipe supplémentaire, et, d’autre part, que nous n’étions pas en mesure de traiter le courrier avec la rapidité requise, j’ai demandé quatre postes de contrôleur et deux postes administratifs supplémentaires. Mais je serais bien en peine de justifier des demandes allant au-delà.

C’est plutôt au niveau des recommandations qu’il pourra être amené à faire que le Contrôleur général pourrait rencontrer des problèmes. Nous n’avons pas encore abordé des sujets très délicats comme la corruption des fonctionnaires, l’alcoolisme en détention ou les trafics ; là seront les vraies difficultés, bien plus considérables que celles portant sur les moyens.

Concernant le projet de loi pénitentiaire, eu égard à mes fonctions, je m’abstiens de tout commentaire public. Il est dans mon rôle de proposer d’éventuelles modifications législatives, non de les commenter. J’ai réservé mes quelques commentaires à votre rapporteur, qui a bien voulu m’entendre. Cette loi est-elle attendue ? La réponse est oui, massivement. La loi est attendue d’abord parce que, tant du côté des personnels que du côté des personnes privées de liberté, on souhaite de la considération ; le fait que l’on prenne en considération un problème qui est le leur est déjà décisif. Ensuite, il y a la question du contenu.

Je prends bonne note, monsieur Vallini, de ce que vous dites sur les établissements pour personnes âgées.

J’en viens aux « souricières » et aux dépôts de TGI. Ils ressemblent beaucoup à ce que l’on voit dans les commissariats de police, dont j’ai déjà parlé. Un problème supplémentaire tient au jeu de mistigri entre le ministère de l’intérieur et celui de la justice à propos de la charge matérielle de ces lieux. Lorsque je les ai interrogés, l’un et l’autre ont bien voulu considérer qu’il y avait là une vraie question, et j’espère qu’une décision va être prise. Quelques centaines de millions d’euros sont en jeu car il y a des travaux importants à faire.

Quant aux familles, dont je n’avais pas parlé faute de temps, j’observe que l’on s’en sert avec un peu de cynisme. On est bien content, dans un local de garde à vue, quand la famille apporte à manger, mais autrement on ne l’accueille pas toujours avec beaucoup de plaisir… Parfois même, elle est plutôt considérée comme complice, voire comme co-accusée. Il faudrait pourtant que la famille soit associée, autant que faire se peut, à l’exécution de la peine, de la même façon qu’elle est parfaitement bien associée, grâce à l’action très vigilante des associations et au bénéfice de tous, à la prise en charge des patients dans les hôpitaux psychiatriques.

Sur le sujet des suicides, j’avoue mon humilité. Etant dans l’incapacité d’expliquer le suicide d’un ami, comment expliquerais-je les suicides des détenus en prison ? Les causes sont nombreuses. Tel détenu est dans l’incapacité de rembourser ses dettes vis-à-vis d’autres détenus et craint la violence de leur réaction. Tel autre ne peut plus supporter l’idée de sa culpabilité. Un troisième vient d’entendre, au parloir, sa femme lui dire qu’elle le quittait. Il y a aussi des détenus qui ne peuvent pas supporter les conditions de détention, c’est vrai, mais je ne saurais en dire plus sur la part que représente ce facteur. Par ailleurs, il ne faut pas oublier les tentatives de suicide, qui sont douze fois plus nombreuses que les suicides. Les détenus avec lesquels j’ai parlé m’ont tous dit avoir pensé un jour ou l’autre à cette solution.

Concernant le conflit qui vient de se dérouler, je ne sortirai pas de mon rôle. Je crois comprendre que la Garde des sceaux n’a pas voulu imposer un moratoire sur les règles pénitentiaires européennes, comme il a été dit dans la presse, mais en faire un bilan d’application, ce qui ne signifie pas un renoncement. De mon côté, il me revient de porter un jugement sur la manière dont ces règles s’appliquent. Je considère que certaines règles sont extrêmement bénéfiques, par exemple la création de quartiers arrivants ; mais malheureusement, du fait de la surpopulation, souvent les personnes ne peuvent y rester qu’un ou deux jours. C’est aussi en application de ces règles qu’on a installé des téléphones, ce qui paraît une excellente mesure ; le problème, c’est que dans la plupart des établissements, on a mis ces téléphones dans les cours et qu’ils deviennent ainsi l’occasion de pressions violentes entre détenus. Si on a fait cela, c’est pour éviter d’accroître le nombre de mouvements, que les surveillants sont déjà bien en peine de maîtriser. On est ainsi confronté dans les établissements pénitentiaires à un choix douloureux : réformer, et aggraver les conditions de travail des personnels, ou ne pas réformer, et aggraver les conditions de vie des détenus.

Nous ne sommes pas encore allés au dépôt du TGI de Paris. Vraisemblablement, je partagerai le constat qui a été fait, mais nous avons volontairement, dans les premiers mois de notre activité, évité les lieux emblématiques. Je garde en tout cas, sur chacun des lieux visités, ma totale liberté d’appréciation. Ainsi, j’ai lu avec attention les observations de l’Anafé sur les zones d’attente, mais celle de Roissy, où il se trouve que nous nous sommes rendus en janvier dernier, nous a paru dans un état plutôt satisfaisant.

M. Daniel Garrigue. Quand on rencontre des chefs d’établissement pénitentiaire, ils évoquent souvent le cas des personnes souffrant de troubles psychiques ou psychiatriques graves. J’ai été un peu étonné que vous n’abordiez pas ce problème, qui avait fait l’objet d’un rapport sénatorial et sur lequel diverses solutions sont envisageables. Où en est votre réflexion sur le sujet ?

M. François Vannson. Quelles sont les difficultés que vous avez pu avoir pour rencontrer certaines personnes ?

La loi actuelle contient-elle les dispositions qui conviennent pour que vous formuliez vos recommandations dans les meilleures conditions possibles ?

M. Philippe Houillon. A la suite du rapport de la conférence du stage du barreau de Paris, l’une des chambres du tribunal a commis un magistrat qui doit, avant le 26 mai, faire rapport sur la situation du dépôt, géré par la préfecture de police, et de la «souricière», gérée par l’administration pénitentiaire. M’étant moi-même rendu sur place hier, il m’apparaît que certaines conclusions du rapport de la conférence du stage doivent être nuancées, d’autant plus que certains travaux sont en cours. Ne pensez-vous pas qu’il serait du rôle du Contrôleur général d’y aller assez rapidement et de produire lui-même un rapport ?

Mme Marietta Karamanli. Pourriez-vous nous dire sur quels points ont porté les échanges que vous avez eus avec des membres de Conseil de l’Europe et avec le commissaire européen aux droits de l’homme ?

Le commissaire européen a mis en cause la possibilité pour les mineurs d’entrer en contact avec des condamnés adultes. Or en dépit de la réalisation d’établissements pénitentiaires spécialisés, l’incarcération de mineurs dans des prisons traditionnelles se poursuit, et toutes ne disposent pas de bâtiments distincts et de cours séparées pour les mineurs et pour les adultes. Le commissaire déplore aussi le manque de structures et d’activités adaptées pour les filles mineures. Quelle est votre position ?

Enfin, je m’associe à la question de M. Garrigue sur les problèmes de santé mentale.

M. Dominique Perben. S’agissant de l’incarcération de mineurs, avez-vous pu vous faire votre opinion sur les effets de la décision que nous avions prise il y a quelques années de développer des EPM – établissements pénitentiaires pour mineurs –, à la fois pour séparer les mineurs des adultes et pour réaliser des programmes éducatifs ? Des informations un peu contrastées ont circulé sur le fonctionnement des quelques établissements qui ont été ouverts, et j’aimerais connaître votre point de vue.

M. Jean-Marie Delarue. En ce qui concerne la psychiatrie en prison, le manque de psychiatres dont j’ai dit que nous souffrions dans les hôpitaux publics retentit notamment sur le délai d’attente des expertises. Il est indéniable que le nombre de malades relevant de la psychiatrie est très important dans les lieux de détention. L’explication est d’abord à chercher dans l’article 122-1 du code pénal, lequel distingue la personne pénalement irresponsable et « la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes » qui, elle, « demeure punissable ». On trouve aussi en prison beaucoup de personnes désocialisées et sous l’emprise d’addictions diverses. Enfin, je ne l’apprends à personne, la prison est génératrice d’angoisse et de désespoir qui peuvent se muer en dépression.

Des psychiatres admirables font un très bon travail dans les SMPR, les services médico-psychologiques régionaux. Dans les établissements ordinaires, la situation est catastrophique, faute de personnel spécialisé pour assurer la prise en charge de ces malades. Cette prise en charge incombe donc pour l’essentiel aux surveillants – qui s’en plaignent tous. Mais le traitement des détenus dans les hôpitaux psychiatriques n’est pas très satisfaisant non plus : les détenus sont forcément enfermés en chambre d’isolement et y restent même en dehors de toute indication thérapeutique, ce qui est une dérogation aux usages des hôpitaux psychiatriques.

Quant aux unités spécialisées – les UHSA, unités hospitalières spécialement aménagées –, on en parle depuis longtemps mais la première ne va ouvrir qu’à la fin de l’année – en principe. Il faudra certainement les développer, mais il faudra aussi réfléchir à l’ordinaire de la psychiatrie en milieu pénitentiaire, ainsi qu’à l’ordinaire de la détention en milieu psychiatrique. Je ne suis pas au bout de mes réflexions sur ce point mais je pense avoir des recommandations à faire à brefs délais.

Je n’ai pas eu de difficultés pour rencontrer les personnes que je souhaitais voir. Il reste que nous avons à gagner la confiance des personnels : les détenus n’hésitent pas à venir nous voir, les malades non plus, notamment ceux qui sont sevrés de présence médicale ; mais les personnels, enserrés dans des structures hiérarchiques, peuvent manifester plus d’inquiétude. C’est pourquoi j’ai rencontré les organisations professionnelles.

En ce qui concerne la «souricière» et le dépôt de Paris, certes je suis désireux d’aller dans les endroits où de grosses difficultés sont signalées, mais en même temps je ne veux pas entrer dans les polémiques. Voilà pourquoi, par exemple, lorsqu’au mois de novembre la presse a parlé du centre de rétention de Mayotte, j’ai simplement indiqué que j’irais un jour. Je n’ai pas l’intention de mettre mes pas dans ceux des avocats, alors même que j’ai demandé récemment aux bâtonniers de m’apporter leur concours dans mon travail. J’irai à la «souricière» et au dépôt de Paris – le moment venu.

Au niveau international, nos contacts ont porté d’abord sur les méthodes. Je suis bien sûr très attentif à l’expérience du CPT du Conseil de l’Europe. La présidente du sous-comité des Nations unies m’a complimenté pour ce que nous avions déjà fait, notamment par rapport à bien d’autres pays d’Europe. Nous avons aussi des contacts réguliers avec des associations internationales, telle l’Association de prévention de la torture. Cela nous permet de découvrir des expériences étrangères, y compris de pays lointains. Par exemple, les prisons africaines, en dépit de leur état matériel déplorable, ont quelque chose à nous apprendre en matière de présence familiale.

En ce qui concerne les mineurs, il est certain que, dans les prisons traditionnelles, on ne peut totalement empêcher les contacts avec les majeurs, même si on cherche à les limiter. C’est ce qui avait justifié en 2002 le lancement des établissements pénitentiaires pour mineurs. Certains d’entre eux connaissent aujourd’hui des difficultés. Force est de reconnaître que les mineurs qu’ils accueillent sont dans une situation extrêmement difficile, ce qui a conduit à renoncer à atteindre les 60 mineurs prévus et à se limiter à une quarantaine. Le fonctionnement de ces centres suppose une parfaite entente entre l’administration pénitentiaire, la protection judiciaire de la jeunesse et l’éducation nationale, ce qui n’est pas toujours simple. Je me demande aussi si l’on n’a pas voulu faire trop bien en matière d’occupation des mineurs : ils sont pris en charge du réveil au coucher, sans qu’aucune place ne soit laissée au temps libre et à la rêverie, peut-être nécessaires à cet âge.

Les centres éducatifs fermés et les centres éducatifs ouverts renforcés sont également en difficulté. J’admire profondément les personnels qui travaillent dans l’ensemble de ces établissements pour mineurs, sur lesquels il est difficile de porter un jugement sans en porter sur les mineurs qui les peuplent. Je ne remets pas en question les EPM dans leur principe, la séparation entre les mineurs et les majeurs dans les établissements pénitentiaires me paraissant nécessaire, mais peut-être faudra-t-il améliorer leur mode de fonctionnement.

M. Guénhaël Huet. Les 150 visites que vous avez faites ont-elles révélé une spécificité de la détention féminine ? Si oui, quelles sont vos suggestions pour y répondre ?

D’autre part, pouvez-vous faire un premier bilan sur les UVF – unités de vie familiale ?

M. Guy Geoffroy. En ce qui concerne les mineurs, il faut en effet considérer l’articulation entre les différents modes de prise en charge. La commission Varinard s’est montrée particulièrement attentive à la solution des centres éducatifs fermés. Avez-vous de premières observations et recommandations à formuler sur le fonctionnement de ces centres ?

M. Serge Blisko. A la lecture de votre rapport, j’ai été frappé, notamment dans le témoignage qui figure aux pages 109 à 113, par le fait qu’à chaque fois que l’on sort du champ habituel – c’est-à-dire par exemple quand il est question de psychiatrie en prison, de détenus à l’hôpital, de transfèrement, de passage par le dépôt ou la «souricière» – quelque chose dysfonctionne : les différentes administrations concernées n’arrivent pas à travailler ensemble. Il me paraîtrait donc nécessaire de s’intéresser au problème de ces « lieux interstitiels », qui sont de plus en plus nombreux, et de travailler avec vous à l’émergence dans les administrations d’une culture commune en matière de détention.

M. Dominique Raimbourg. Je partage les interrogations de Guy Geoffroy sur les centres éducatifs fermés et de Guénhaël Huet sur la spécificité de la détention féminine. Il semble que les femmes détenues étant beaucoup moins nombreuses que les hommes, elles ne sont pas suffisamment prises en charge et souvent livrées à l’oisiveté.

En ce qui concerne la garde à vue, avez-vous formulé des préconisations sur les locaux, en particulier au sujet de leur saleté ? En avez-vous formulé à propos de la formation des personnels ? Quelles sont vos recommandations en matière de fouilles – qui sont renouvelées lorsque le détenu passe d’une autorité administrative à une autre, un même trajet pouvant ainsi s’accompagner de trois fouilles si l’escorte change ?

M. Bruno Le Roux. Rapporteur en 2000 du projet de loi d’où est issue la Commission nationale de déontologie de la sécurité, j’en ai ensuite été membre pendant six ans. J’ai pu constater comme vous, au départ, la bonne volonté des administrations, mais ensuite, au fil des recommandations, les liens se sont un peu étiolés. Comment concevez-vous votre « droit de suite » ? Et comment intégrez-vous dans vos réflexions la contrainte budgétaire, c’est-à-dire le coût des propositions que vous pouvez être amené à faire, et d’autre part la contrainte que constitue la politique pénale ?

M. Jacques Valax. Vous avez dit avoir demandé des moyens supplémentaires pour répondre aux courriers qui vous sont adressés. Actuellement, quel est le délai de réponse ?

M. Étienne Blanc. Après votre visite de la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, vous avez consacré un paragraphe de votre rapport aux procédures d’aménagement de peine, à l’activité des SPIP – services pénitentiaires d’insertion et de probation – et à celle des CIP – conseillers d’insertion et de probation. Quelles recommandations pouvez-vous formuler sue les procédures d’aménagement de peine, dont vous constatez l’alourdissement important, sur les moyens mis à la disposition des CIP et, le cas échéant, sur leur formation ? Vous écrivez en effet que les juges d’application des peines se plaignent d’une formation inadaptée à la vocation sociale des CIP.

M. Jean-Michel Clément. Selon vous, quelles sont parmi vos recommandations celles qui pourraient trouver une traduction dans la loi pénitentiaire ?

M. Jean-Marie Delarue. Les femmes représentent 4 % de la population carcérale. Cela ne signifie pas qu’elles sont moins prises en charge que les hommes ; c’est même sans doute le contraire : quand on ouvre un atelier pour femmes, on permet à une proportion relativement importante des femmes détenues dans l’établissement d’y travailler, tout simplement parce qu’elles sont peu nombreuses.

En prison, les femmes vivent, d’abord, la même chose que les hommes. La violence n’est pas la même, mais elle est bien là. Il y a cependant des spécificités. D’une part, il se pose des problèmes d’intimité, notamment parce qu’il y a des surveillants hommes dans les quartiers pour femmes et parce que les escortes peuvent aussi être masculines. D’autre part, pour les femmes, la séparation de leurs enfants est insupportable, et bien trop de prisons n’ont pas de parloirs aménagés comme il le faudrait, par exemple avec des jouets d’enfant. Cela ne coûterait pas bien cher, mais ce n’est pas fait. En bref, la détention des femmes, en bien des points semblable à celle des hommes, les fait simplement un peu plus souffrir que les hommes.

Quant aux unités de vie familiale, nous avons eu l’occasion d’en voir une, parfaitement bien installée, avec du personnel formidable. Je ne verrais aucun inconvénient, bien au contraire, à leur généralisation.

Les centres éducatifs fermés élargissent la palette des solutions possibles. J’observe cependant entre les juges des pratiques très différentes dans leur utilisation – certains commencent par mettre un jeune en détention pour lui montrer ce que c’est que la prison – et je préférerais qu’ils s’accordent entre eux sur la politique pénale. Par ailleurs, les centres éducatifs fermés ont eu beaucoup de difficultés de gestion au départ ; beaucoup ont été confiés à des associations, qui ont eu du mal à trouver des personnels. Ceux qui ont été recrutés n’ont souvent aucun diplôme, aucune formation. Il faudrait au moins leur offrir la possibilité de bénéficier d’une formation continue.

Je constate par ailleurs deux lacunes. Tout d’abord, on s’est bien souvent dispensé de réfléchir aux liens entre ces centres éducatifs fermés et leur environnement. Certains ont été construits en pleine nature, ce qui rend très difficile tant la venue des familles que l’accomplissement de stages dans des entreprises ou auprès d’artisans. Ensuite, mais je ne m’en suis pas encore ouvert au ministre de l’éducation nationale, je ne suis pas sûr que l’enseignement soit toujours convenablement assuré dans ces centres.

Monsieur Blisko, oui, bien sûr, il faut rapprocher les métiers, et rapprocher les administrations. J’espère pouvoir y contribuer.

Monsieur Le Roux, je veux m’en tenir au plus grand réalisme. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas recommandé au Gouvernement, par exemple après la visite à Villefranche-sur-Saône, de mettre fin à la surpopulation des prisons. De quoi aurais-je l’air ? Des recommandations dénuées de réalisme seraient sans effet, et donc rapidement dévalorisées. Je suis obligé de m’affranchir quelque peu des contraintes dont vous parlez : je ne veux pas m’enfermer dans une logique politique, et par ailleurs je ne peux pas tenir compte de façon étroite des contraintes budgétaires ; mais je dois néanmoins rester réaliste.

Concernant les délais de réponse, comme je l’ai dit tout à l’heure, il faut répondre vite aux personnes qui nous saisissent, faute de quoi nous allons créer des tensions supplémentaires dans les établissements. C’est pourquoi j’ai demandé deux emplois administratifs supplémentaires. En ce qui concerne le contrôle, je dois avouer que la séparation opérée par le décret du 12 mars 2008 entre les emplois de contrôleur et les emplois administratifs ne me paraît pas très opératoire ; il est arrivé à mon directeur financier comme à mon directeur des ressources humaines de faire aussi des contrôles.

S’agissant des SPIP, les aménagements de peine sont évidemment une bonne chose. Il est impératif de diminuer le nombre des « sorties sèches », tant pour la réinsertion des détenus que pour la sécurité des Français. L’accroissement, prévu par le projet de loi pénitentiaire, des aménagements de peine possibles est une excellente chose. Encore faut-il avoir les moyens nécessaires. Or si les CIP consacrent leur temps à travailler sur les dossiers d’aménagement de peine, ils n’en ont plus pour rencontrer des détenus ; autrement dit, ils se présentent en commission d’application des peines pour parler de dossiers de détenus qu’ils connaissent de moins en moins. La profession se trouve ainsi tiraillée entre son devoir juridique et son devoir social. Beaucoup de détenus se plaignent amèrement de n’avoir plus aucun contact avec les conseillers. À la suite du conflit de l’an dernier, des groupes de travail se sont réunis et ont fait des propositions. Il m’apparaît que les CIP sont l’exemple-type de ces professions exténuées, dévalorisées, découragées.

Enfin, pour en revenir à notre travail, nous allons accroître non pas le nombre de nos visites, mais si possible leur durée car plus l’on s’immerge dans la vie des établissements, plus on apprend de choses sur eux.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le Contrôleur général, il me reste à vous remercier de cette intervention particulièrement riche et intéressante.

La séance est levée à 12 heures 40.

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