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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 3 novembre 2009

Séance de 16 heures 05

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Barrau, chef du service central de prévention de la corruption

La séance est ouverte à seize heures cinq.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Michel Barrau, chef du service central de prévention de la corruption.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous avons le plaisir d’accueillir pour la première fois à la commission des Lois, M. Michel Barrau, chef du service central de la prévention de la corruption, venu nous présenter son rapport d’activité 2008 qu’il a remis à la fin du mois de septembre au Premier ministre et au garde des sceaux.

Monsieur le Directeur, je rappelle que vous dirigez un service interministériel, placé auprès du garde des sceaux qui présente un rapport annuel dressant le diagnostic de la situation et formulant des préconisations.

Dans votre dernier rapport, vous avez souligné que très peu de signalements en matière de délits de probité sont effectués par les administrations publiques, bien que l’article 40 du code de procédure pénale impose à tout agent public de signaler les délits dont il peut avoir connaissance. Il serait intéressant de connaître votre analyse sur les raisons de cette situation.

Parmi les pistes évoquées dans votre rapport pour renforcer la lutte contre la corruption et les délits voisins, vous regrettez l’absence d’un système de signalement anonyme sur le modèle anglo-saxon. Pensez-vous qu’un tel modèle soit transposable dans le droit et dans les traditions de l’administration française ? Un tel système ne risque-t-il pas d’engendrer des dérives ?

Vous soulignez également que les délais de traitement des signalements par les services enquêteurs sont particulièrement longs. Avez-vous des préconisations ?

Vous soulignez que le régime actuel de saisie des avoirs criminels est globalement insatisfaisant alors même qu’il s’agit de mesures très dissuasives pour les délinquants. Notre commission, puis l’Assemblée nationale, ont adopté une proposition de loi rapportée par notre collègue Guy Geoffroy qui permet d’améliorer ce dispositif. Cette proposition de loi est actuellement devant le Sénat. Elle devrait mettre le droit français parmi les meilleurs en matière de saisie des avoirs. Elle vise à simplifier les procédures et à améliorer la gestion des biens saisis, qui était déficiente. Nous accueillerons bien volontiers vos remarques.

M. Michel Barrau. Cette année, le Service central de prévention de la corruption (SCPC) a souhaité examiner, au-delà du contenu des textes eux-mêmes, comment ces derniers sont appliqués dans les faits.

Le SCPC exerce quatre types de compétences.

En premier lieu, il centralise les informations liées aux délits de probité. Nous avons pu constater l’absence de statistiques sur ces délits dans les services de police comme dans les services judiciaires. Par conséquent, le SCPC a examiné un par un les différents dossiers de délits que nous observons et a dressé un certain nombre de constatations :

––  les délits de probité sont censés faire l’objet d’une spécialisation des juridictions, les affaires assez importantes devant être traitées au niveau des cours d’appel et les affaires très importantes par les juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS). En réalité, les dossiers remontent rarement à ce niveau ;

––  le nombre de signalements est très inférieur au nombre d’affaires. Nous avons été surpris de constater que les saisines par les administrations de contrôle sont minoritaires, voire inexistantes, à l’exception des juridictions financières. En outre, aucune enquête n’est menée à l’initiative des services de police ou à la suite d’une auto-saisine du parquet. Les saisines sont toujours effectuées par un tiers, tel qu’une municipalité ou un préfet. En réponse à nos interrogations, les corps de contrôle nous ont apporté des réponses dispersées et sans cohérence, voire n’ont pas pu fournir des chiffres. Il y a donc peu de clarté sur le traitement déontologique dans les corps d’inspection et aucune politique commune. Pour remédier à cette situation, il faudrait une impulsion politique forte pour prôner la probité en interne, et non seulement dans les relations internationales. Il serait souhaitable de sensibiliser les instances de contrôle et de réactiver les sources de signalement. En particulier, il serait souhaitable d’alléger les contraintes permettant aux citoyens de signaler des faits en lieu et place des communes, en supprimant l’obligation de saisine préalable du tribunal administratif.

En deuxième lieu, le SCPC fournit des avis à un certain nombre d’institutions, notamment les ministères ou les collectivités territoriales. La plupart des demandes émanent de municipalités de petite ou moyenne importance, qui éprouvent des difficultés à identifier et à prévenir les situations de prise illégale d’intérêts. Ce délit suscite beaucoup plus de problèmes que la corruption.

En troisième lieu, le SCPC a une mission d’assistance judiciaire et peut être saisi pour avis par les juges d’instruction et les procureurs de la République. Le SCPC donne surtout des conseils en matière de procédure afin de gagner du temps. En pratique, les procédures commencent souvent par des saisies importantes de documents et par de longues expertises qui font que beaucoup de temps s’écoule sans que des poursuites soient engagées ou que l’affaire soit classée.

Enfin, le SCPC effectue des actions d’information et de sensibilisation, comme le prévoient les engagements internationaux de la France. Il intervient notamment à l’École nationale d’administration, à l’École nationale de la magistrature, dans les écoles de police ou dans les universités, ainsi que dans le cadre des travaux de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ou du Groupe d’États contre la corruption (GRECO). Il a également développé un travail à destination des entreprises, publiques puis privées, en signant des conventions pour la rédaction de codes d’éthiques internes. Ces actions ont connu peu de succès dans les grandes entreprises mais les petites et moyennes entreprises qui travaillent au niveau international en ressentent le besoin. Le SCPC les aide à connaître les pièges à éviter et les questions relatives à l’utilisation d’intermédiaires.

Au cours des rencontres internationales, différents pays européens ont exprimé leur inquiétude à l’idée que la période actuelle est propice à ce genre d’infractions : les entreprises ont des carnets de commandes peu remplis et beaucoup d’argent public est injecté dans l’économie. Se pose la question de l’antagonisme entre l’économique et l’éthique, les nécessités économiques rendant moins exigeant sur l’éthique. Où doit-on mettre les bornes de la fluidification de l’économie ? Les différents États constatent également une sensibilité accrue de l’opinion à des faits qui auparavant étaient tolérés.

Cette année, le rapport du SCPC décline quelques réflexions sur la crise économique et financière. Il étudie notamment comment la crise s’est produite malgré un univers régulé et comment les régulations ont dysfonctionné. Il examine l’affaire Madoff. Il pose également la question du degré d’autonomie de l’expert et de ce qu’est un expert indépendant, en reprenant la proposition de créer une haute autorité de l’expertise. Il aborde le problème des paradis fiscaux et bancaires. Il élabore une « boîte à outils » en matière de marchés publics pour permettre aux responsables d’analyser les différents problèmes susceptibles de se poser. Enfin, nous nous sommes intéressés aux réactions de la France face aux problèmes rencontrés par ses entreprises sur les marchés internationaux, et notamment aux conséquences internes des procédures engagées dans d’autres États. La France reste souvent dans l’expectative. En la matière, le parquet de Paris dispose d’une compétence exclusive, qui est subordonnée à une plainte de la victime – ce qui est rare – ou à une dénonciation par un autre État.

M. Michel Hunault. J’ai eu l’honneur d’être le rapporteur de la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption. Pensez-vous que cette loi a amélioré les moyens de prévention et de lutte contre la corruption ? Qu’en est-il du dispositif de déclencheurs d’alerte dans les entreprises prévu par cette loi ? Par ailleurs, comment le SCPC coopère-t-il avec le GRECO lorsque celui-ci procède à des évaluations ?

M. Michel Barrau. La loi du 13 novembre 2007 a mis le droit interne français en conformité avec les standards internationaux, notamment la convention de Mérida. Ces standards ont été presque intégralement transposés, à l’exception d’une réserve. Le dernier rapport du SCPC a examiné la mise en œuvre de la loi. Le dispositif d’alerte interne n’a pas eu de traduction concrète au sein des entreprises. L’un des inconvénients est que 80 % des informations véhiculées par ce biais ne sont pas liées à des problèmes de corruption.

Je suis membre du GRECO et, à ce titre, j’assiste aux réunions et je participe à l’examen de la situation des différents États. La France a récemment fait l’objet d’un examen portant, d’une part, sur les incriminations et, d’autre part, sur le financement des partis politiques. Les conclusions, publiées sur le site du GRECO, sont très globalement positives.

M. le Président. Quelles propositions figurant dans votre rapport sont de nature législative ?

M. Michel Barrau. Une mesure est de nature législative : il s’agit de celle portant sur la définition de la corruption. En effet, la jurisprudence a longtemps considéré que le pacte de corruption devait être antérieur aux faits litigieux. Une modification de la loi a pourtant prévu que ce pacte de corruption pouvait être recherché « à tout moment », mais la rédaction a laissé subsister une phrase laissant penser que le pacte de corruption doit être antérieur aux faits.

M. le Président. Cette rédaction va précisément être améliorée par la proposition de loi simplification et d’amélioration de la qualité du droit, que j’ai déposée.

Vous avez également évoqué la difficulté pour le citoyen de saisir la justice en cas de suspicion de corruption dans les collectivités territoriales.

M. Michel Barrau. En effet, le code général des collectivités territoriales impose que les citoyens saisissent le tribunal administratif pour pouvoir porter plainte devant le juge judiciaire au nom de la commune.

De même, l’article 40 du code de procédure pénale présente des limites puisque sa non-observation n’est pas sanctionnée. Certains avancent même l’idée qu’il n’est qu’une simple règle déontologique.

M. Etienne Blanc. Si un citoyen soupçonne un faux en écriture publique dans sa commune, il ne peut pas saisir le juge judiciaire ?

M. Michel Barrau. Pour ce faire, il doit être autorisé par le tribunal administratif, si la commune est inerte.

M. Étienne Blanc. Il peut également saisir le préfet…

M. Michel Barrau. Oui, tout comme il peut saisir le parquet. Mais, dans ce cas, il n’aura pas la qualité de partie et n’aura pas accès au dossier.

Notre service ne peut pas être saisi par les particuliers et nous le regrettons. Nous recevons parfois des courriers de particuliers qui n’osent pas porter plainte, craignant de faire l’objet de poursuites pour dénonciation calomnieuse. Nous pourrions servir de « filtre » de ces demandes de particuliers, pour enrichir les dossiers.

M. le Président. Qui peut vous saisir ?

M. Michel Barrau. Les ministères, les préfets, TRACFIN, notamment, peuvent nous saisir. Le plus souvent, nous sommes saisis par des maires ou des présidents de conseils généraux mais nos avis ne sont pas destinés à être rendus publics.

La composition de notre service est interministérielle, avec des personnels pour l’essentiel mis à disposition, issus de la Cour des comptes, des Impôts, de la DGCCRF et même de l’Éducation nationale. Cela nous permet d’avoir des regards croisés sur nos dossiers.

Nous sommes paradoxalement moins connus en France qu’à l’international alors que nous sommes le seul service français à avoir une vision transversale de la corruption.

La méconnaissance de notre service est peut-être due au contexte de sa création par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. En effet, le conseil constitutionnel a cantonné la mission de notre service à l’aspect préventif. Aujourd’hui, compte tenu du développement de services spécialisés, il conviendrait de lui donner un second souffle.

M. Patrice Verchère. Vous ne disposez donc pas d’une « vraie » administration ?

M. Michel Barrau. Quelques postes sont pourvus par voie de détachement, mais l’essentiel l’est par des mobilités.

M. Étienne Blanc. Je constate, à la page 13 de votre rapport, que l’ONG Transparency international classe la France au 23ème rang mondial en 2008, en baisse de 4 places. Cette ONG semble indiquer que cette dégradation de la perception de la France se fonderait notamment sur la révélation d’affaires de corruption par la presse.

M. Michel Barrau. Nous ne travaillons pas sur le même registre que Transparency international, qui se fonde sur des sondages subjectifs. S’agissant des articles de presse, leur analyse approfondie montre que, dans de nombreux cas, il ne s’agit pas d’affaires de corruption au sens propre. Nous sommes plutôt le thermomètre et l’ONG, dont le rôle en matière de prévention et de sensibilisation est essentiel, le baromètre.

J’ajoute que les comparaisons internationales sont délicates à conduire, compte tenu de l’hétérogénéité des systèmes juridiques.

M. Étienne Blanc. Quelle appréciation portez-vous sur la durée des procédures judiciaires ?

M. Michel Barrau. Nous trouvons anormal que des personnes mises en cause ne puissent pas être fixées dans des délais rapides. La moitié des affaires ne font pas l’objet d’une décision de poursuite ou de classement dans un délai de douze mois. Les services de police n’ont pas les moyens de traiter ces affaires avec célérité.

M. Étienne Blanc. Vous pointez les faiblesses de la collecte informatique des données. Cela signifie-t-il que l’on ne connaît pas avec précision le nombre d’affaires en cours ?

M. Michel Barrau. Non, car chaque tribunal a ses propres statistiques, à l’exception de ceux du ressort des cours d’appel de Versailles et de Paris, qui participent à la nouvelle chaîne pénale. Nous disposons cependant d’ordres de grandeur. Si la saisine du juge d’instruction concerne en moyenne 5 % des affaires, ce taux est de l’ordre de 20 à 25 % en matière de probité. Une affaire sur deux est classée.

M. Étienne Blanc. Disposez-vous de statistiques distinctes selon qu’il s’agisse de tentatives et de faits avérés ?

M. Michel Barrau. Cela revient à poser la question du suivi des affaires car le chef de poursuite peut évoluer au cours du traitement de l’affaire. Sans médire de l’institution judiciaire à laquelle j’appartiens, je pense que la justice a des progrès à faire en matière de statistiques.

M. Patrice Verchère. Je souhaiterais vous poser deux questions. Vous nous dites souhaiter voir élargies les possibilités de saisine directe des juridictions par les particuliers, mais n’est-ce pas contradictoire avec l’objectif d’une plus grande célérité des jugements, du fait de l’encombrement accru des juridictions ? Par ailleurs, dans votre rapport, vous faites état de la « gestion des manquements à la probité par l’administration » : de quels moyens disposez-vous à l’égard de tels manquements ?

M. Michel Barrau. Pour répondre à votre première question, je suis d’avis qu’un filtre est nécessaire. La question est de savoir, si je puis dire, qui tient le filtre et quelle est la taille des trous… TRACFIN constitue un bon exemple de filtre rigoureux : sur les quelque 14 000 signalements reçus chaque année, seuls 400 sont transmis à la Justice. La question évoquée implique un choix politique et dépasse très largement les compétences de mon service ! S’agissant des moyens de contrainte à l’égard des administrations, nous n’en avons aucun : nous ne pouvons tout au plus que publier la liste de celles qui ne nous communiquent pas les informations demandées. J’ajoute que parmi celles qui acceptent de répondre à nos demandes, toutes n’ont pas la même vision des informations qu’elles peuvent ou non nous communiquer.

M. Étienne Blanc. Quel jugement portez-vous sur la coopération des États qui pratiquent le secret bancaire ? On sait que ce secret porte préjudice à la connaissance judiciaire des fruits de la corruption et que de nombreuses commissions rogatoires internationales ne peuvent aboutir…

M. Michel Barrau. En tant qu’ancien magistrat du parquet, je connais bien cette question pour avoir vu de nombreux dossiers d’instruction se clore avant un quelconque retour d’une commission rogatoire internationale… Il va de soi qu’en matière de lutte contre la corruption, il faut par tout moyen accroître la transparence ; mais il ne faut pas non plus faire preuve d’angélisme face aux paradis fiscaux. La situation s’améliore sur ce point. J’en veux pour preuve l’OCDE qui vante les efforts menés par notre pays en la matière, notamment lors du récent sommet du G20.

La séance est levée à dix-sept heures.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Étienne Blanc, M. Jean-Michel Clément, M. Bernard Derosier, M. Michel Hunault, M. Patrice Verchère, M. Jean-Luc Warsmann.

Excusés. - M. Bruno Le Roux, M. Bernard Roman.