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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 7 avril 2010

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 53

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Jeannette Bougrab, dont la nomination à la présidence de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) est envisagée par M. le Président de la République

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 10 heures 30.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission procède à l’audition de Mme Jeannette Bougrab dont la nomination à la présidence de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) est envisagée par M. le Président de la République.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de souhaiter en votre nom la bienvenue à Mme Jeannette Bougrab, dont la nomination à la présidence de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) est envisagée par M. le Président de la République.

Comme vous le savez, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a encadré le pouvoir de nomination du Président de la République en prévoyant, au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, une procédure d’avis public des commissions parlementaires compétentes. La loi organique et la loi ordinaire relatives à l’application de cet article n’ayant pas encore fait l’objet d’un vote définitif – la commission mixte paritaire se réunit aujourd’hui même, à l’issue de cette séance –, notre commission ne pourra pas émettre formellement un avis. L’audition publique à laquelle nous allons procéder ne donnera donc pas lieu à un vote.

Madame Bougrab, vous avez débuté votre carrière comme chargée d’enseignement à l’université Paris I, où vous avez été maître de conférences, puis vous avez été nommée au Haut conseil à l’intégration. Vous êtes présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé) depuis janvier dernier. Depuis septembre 2007, vous êtes maître des requêtes au Conseil d’État. Je vous laisse la parole, puis mes collègues vous poseront des questions.

Mme Jeannette Bougrab. Je suis particulièrement honorée de me présenter aujourd’hui devant vous dans le cadre de l’application par anticipation de la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution, véritable tournant dans le rééquilibrage des institutions de la Ve République. Je suis d’autant plus émue de me trouver devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale que si quelque chose a changé ma vie, c’est bien d’avoir regardé certains débats auxquels participait l’un de ses plus éminents présidents, le président Mazeaud, que j’ai pu ensuite retrouver au Conseil constitutionnel à l’occasion d’un stage.

Maître des requêtes au Conseil d’État depuis 2007, je suis membre de la 1ère sous-section, présidée par M. Christophe Chantepy, qui a essentiellement en charge les questions touchant aux problèmes sociaux, à l’urbanisme et au droit du médicament. Je suis née berrichonne, de parents harkis. J’ai été élevée dans la passion de la France, la France républicaine qui s’exprime à travers des principes forts – égalité, liberté, laïcité, État de droit, respect de la loi. Habitée par l’idée que le droit permet de rétablir une certaine justice, je me suis engagée dans des études juridiques, après avoir obtenu mon baccalauréat à Châteauroux. Je les ai suivies à la faculté de droit d’Orléans jusqu’à la maîtrise, puis à l’université Paris I – Panthéon-Sorbonne pour un DEA et un doctorat sur les origines de la Constitution de la IVRépublique. Ma thèse, soutenue le 26 avril 2001, a fait l’objet d’une publication aux éditions Dalloz.

Après cette soutenance, c’est tout naturellement que je me suis tournée vers l’enseignement et la recherche : l’université m’a permis, moi la fille d’ouvrier, de gravir l’échelle sociale ; et le métier d’universitaire que j’ai exercé pendant dix ans, qui m’a donné l’occasion de rencontrer des personnalités formidables, a été pour moi extrêmement enrichissant. J’ai enseigné tant le droit constitutionnel que le droit administratif, et j’ai publié des travaux de recherche portant sur les libertés publiques, particulièrement sur la question de l’égalité.

C’est la Constitution de la IVe République, la mal-aimée, à laquelle j’ai consacré ma thèse, qui a permis d’inscrire fermement le principe d’égalité dans notre droit, et notamment l’égalité entre hommes et femmes. L’ordonnance du 21 avril 1944 avait reconnu aux femmes le droit de vote, qu’elles ont pu exercer pour les élections municipales d’avril 1945, mais il a fallu attendre 1946 pour que la Constitution leur reconnaisse une pleine et entière égalité de droits avec les hommes.

Si je tenais tant à consacrer ma thèse à la Constitution de la IVe République, c’est aussi parce qu’elle a affermi la démocratie économique et sociale : son Préambule a notamment consacré le droit de grève et le droit syndical et affirmé les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Elle a, par ailleurs, mis en place un embryon de contrôle de constitutionnalité avec le Comité constitutionnel. Enfin, elle a intégré les traités internationaux dans notre ordre juridique interne en leur reconnaissant une portée équivalente à celle de la loi ; or c’est sous la IVe République qu’ont été signés le traité relatif au Conseil de l’Europe, qui allait adopter la Convention européenne des droits de l’homme, ou encore le traité de Rome. La Ve République est ainsi l’aboutissement et l’approfondissement de la IVe, premier régime parlementaire rationalisé.

J’ai, par ailleurs, publié des articles sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans les jurisprudences des cours suprêmes, notamment dans la revue AJDA (Actualité juridique droit administratif). J’ai rédigé un ouvrage sur l’action positive et animé de nombreux séminaires sur le sujet, à la Sorbonne, auprès de Mme Blandine Kriegel et de Mme Monique Canto-Sperber, directrice de l’École Normale Supérieure, ou encore auprès de M. Luc Ferry dans le cadre du Conseil d’analyse de la société.

D’autres de mes articles concernent la question de l’égalité devant la justice, et notamment de l’égalité des armes par le recours à l’aide juridictionnelle. Il me paraissait nécessaire de faire le bilan de la loi de 1991 : qu’est-ce qu’un État de droit, en effet, si les justiciables n’ont pas accès de manière équitable à la justice ?

J’ai aussi publié des articles sur la question des conflits de lois devant les juridictions françaises, notamment à propos de la discrimination qui existe entre les ressortissantes françaises et les femmes immigrées, du fait du statut personnel en matière d’état-civil. Il me paraissait intolérable que, dans un pays comme le nôtre, où le principe d’égalité est inscrit dans l’ordre juridique depuis 1789, on puisse voir les juridictions nationales tirer les conséquences d’une répudiation.

Portée par ces problématiques, je n’ai pas hésité une seule seconde lorsque, dans le cadre d’une formation politique que vous connaissez, un homme remarquable, M. Alain Juppé, m’a demandé de travailler sur le thème de l’égalité dans le monde professionnel – dans l’accès au marché de l’emploi comme dans la vie professionnelle au quotidien. Les discriminations demeurent en effet monnaie courante dans le monde du travail, comme l’indiquent l’Organisation internationale du travail et la Commission européenne, et comme le démontrent les divers travaux réalisés sur le sujet. Que l’écart de salaire entre les hommes et les femmes, pour ne prendre qu’un seul exemple, soit en France de 27 % est inacceptable.

À l’occasion de ce travail – en 2003 –, j’ai formulé des propositions. L’une d’entre elles était la transposition de la directive du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement. Certes la France paraissait disposer d’un arsenal juridique performant pour lutter contre les discriminations mais, du fait de l’encombrement de nos juridictions et du caractère assez lourd des procédures, il était nécessaire de créer un nouvel outil. Dans une affaire de discrimination en matière d’emploi, peut-on en effet demander à une personne qui a de faibles ressources de prendre un avocat et de s’engager dans une procédure qui va durer un an, alors même que l’issue est incertaine ? En cas de discrimination dans l’accès au logement, les victimes vont-elles aller spontanément devant les tribunaux ? Certainement pas. La mise en place d’une autorité administrative indépendante – formule qui existe dans notre paysage administratif depuis la création de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – paraissait donc être la meilleure solution, conciliant les qualités d’impartialité, d’indépendance, de souplesse et de traitement rapide des dossiers. Croyez bien que je demeure attachée à ces caractéristiques.

Il y a sept ans, M. Alain Juppé et moi-même avions été auditionnés par la mission de préfiguration de la HALDE, présidée par M. Stasi ; certaines de nos propositions avaient été reprises, d’autres non. Aujourd’hui, c’est avec beaucoup d’émotion que je vais vous présenter mon ambition pour la HALDE car c’est le prolongement de tout le travail que j’ai précédemment accompli.

Je suis convaincue de la nécessité pour la France d’avoir une autorité administrative indépendante chargée de la lutte contre les discriminations, celle-ci étant un élément fondamental de notre pacte républicain. Je ne rappellerai pas tous les textes qui, sans que nous ayons eu besoin d’attendre le droit communautaire, ont consacré le principe d’égalité. Il est vrai cependant que l’on n’a pas toujours mesuré l’importance de ces sujets.

La HALDE, créée par la loi du 30 décembre 2004, a un champ de compétences large, couvrant les discriminations liées au sexe, à la grossesse – on oublie trop que certaines femmes sont licenciées à leur retour de congé de maternité –, à l’origine, ou encore à l’âge – et l’on ne peut pas laisser perdurer les discriminations en matière d’emploi ou de crédit dont sont victimes les personnes de plus de 50 ans. Il me paraît indispensable que, conformément aux textes communautaires et à la loi, la HALDE continue à traiter de l’ensemble des discriminations.

Je tiens à rendre hommage au travail extraordinaire qu’elle a accompli au cours des cinq dernières années. Elle a su s’installer dans le paysage institutionnel : 54 % des personnes interrogées par sondage ont répondu qu’elles la connaissaient, 80 % qu’elle est utile et 93 % qu’elle mène un combat juste.

La HALDE ne peut pas disparaître. Elle est nécessaire à notre système institutionnel. Cette jeune femme de 19 ans, paraplégique, que l’on a fait redescendre d’un avion parce qu’elle n’était pas accompagnée, c’est vers la HALDE qu’elle a spontanément déclaré vouloir se tourner. Pour nos concitoyens, la HALDE est l’outil de défense de l’égalité et symbolise la lutte contre les discriminations. En cinq ans – depuis sa création –, elle a été saisie de 32 240 réclamations ; l’année dernière, de 10 734 réclamations ; et au premier trimestre 2010, de 3147 réclamations, soit une augmentation de 20 % par rapport à l’année précédente. Les critères de discrimination le plus souvent invoqués sont l’origine – entre 27 et 29 % –, le handicap – 20 % –, le sexe – 9 % –, l’activité syndicale – 6 % – et l’âge – 5 %. Plus de la moitié des discriminations évoquées concernent l’emploi.

C’est dire que l’un de mes chantiers sera la bataille de l’emploi. Je suis convaincue que le seul moyen de ne pas être victime de l’exclusion sociale, c’est d’avoir un emploi ; mais comment arriver à s’en sortir si l’on subit une discrimination, en violation de nos lois et des conventions internationales ?

Si la HALDE a montré son utilité dans le paysage institutionnel et administratif français, il reste encore beaucoup de choses à faire.

Tout d’abord, si je la préside, j’approfondirai le dialogue avec vous, parlementaires, car elle n’a pas à se placer au-dessus de la loi – ni, bien entendu, de la Constitution. La HALDE est là pour les faire respecter, et je m’attacherai à ce qu’elle agisse en conformité avec les missions qui sont les siennes.

Il faut également qu’elle approfondisse ses relations avec les juridictions, tant administratives que judiciaires. Je sais qu’au nombre des critiques qui lui sont adressées figure le faible nombre de transmissions au Parquet : il y en a eu 12 en 2009, pour 11 000 réclamations ; je suis d’accord pour dire que c’est insuffisant. Je m’attacherai donc, forte de mon expérience au Conseil d’État et des liens que j’ai noués avec ses membres, de « juridictionnaliser » d’une certaine manière la HALDE, afin notamment que les droits de la défense et le principe du contradictoire soient respectés – car les personnes mises en cause ont droit à une procédure équilibrée.

Il convient aussi d’éviter les stigmatisations : la HALDE ne doit pas être un outil de revanche d’une minorité sur une majorité, elle ne doit pas être une caisse de résonance des communautarismes. Il me paraît important de travailler en partenariat avec les entreprises privées et les administrations ; les unes et les autres sont créatrices de richesses, et je n’ai pas l’intention de dire que tout ce qui vient d’elles est mal. Il ne faut pas oublier que la HALDE a pour mission non seulement la lutte contre les discriminations, mais aussi la promotion de l’égalité ; celle-ci passe par un partenariat avec les entreprises, les administrations d’État, les collectivités territoriales. Ce travail a déjà été entamé par la HALDE et sera approfondi.

Croyez bien que, si je suis nommée, je me représenterai devant vous aussi souvent que nécessaire pour vous rendre compte du travail accompli.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je vous remercie. Nous en venons aux questions.

M. Thierry Mariani. Madame, je me félicite de votre nomination, qui me rassure : on finissait par se demander s’il n’y avait pas, en matière de nominations, une certaine forme de discrimination…

M. Manuel Valls. Précisez votre pensée !

M. Thierry Mariani. Ma question concerne les moyens de la HALDE, budgétaires et en personnel. Je fais partie de ceux qui, avec notre collègue Richard Mallié, observent qu’ils ont significativement augmenté au cours des dernières années. Pensez-vous que leur niveau actuel sera suffisant pendant la durée de votre mandat ?

M. Lionnel Luca. Madame, je me réjouis moi aussi de votre nomination, d’abord parce qu’elle est dans la logique de votre parcours professionnel et des compétences que vous avez acquises. Permettez-moi de remarquer que vous êtes née un 26 août : c’est un beau symbole, puisque c’est le jour anniversaire de l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

La HALDE a été mise en cause au sujet de ses moyens financiers et de leur utilisation, et notamment du loyer de son siège parisien. Afin qu’elle soit à l’abri des suspicions, envisagez-vous un audit interne suivi d’un compte rendu précis au Parlement au moment du débat budgétaire ?

Par ailleurs, je m’inquiète tout particulièrement des discriminations fondées sur le handicap. Il conviendrait d’inciter nos concitoyens à trouver auprès de vous une réponse à ces situations insupportables.

Mme George Pau-Langevin. Madame, vous allez présider une institution qui, pour nous, est extrêmement importante. Je fais partie de ceux qui se réjouissent que la HALDE ait acquis une autorité indiscutable et qui pensent que, si elle avait un peu plus de moyens, elle pourrait remplir encore mieux son rôle.

Vous avez écrit que vous étiez contre la discrimination positive, expression qui m’apparaît à moi-même comme un oxymore. Mais êtes-vous également contre l’action positive, prévue dans les directives européennes, qui me semble, au contraire, une manière efficace de lutter contre les inégalités ?

Vous avez indiqué également que, pour lutter contre les discriminations, vous proposiez de ne pas utiliser des critères d’origine, mais des critères économiques et sociaux. Mais comment allez-vous faire, puisque ce ne sont pas ceux sur lesquels les procédures prennent appui ?

Enfin, la HALDE étant saisie de très nombreuses plaintes relatives aux discriminations en fonction de l’origine, avez-vous eu l’occasion de prendre connaissance des propositions du groupe SRC à ce sujet ? Si oui, qu’en pensez-vous ?

M. Jacques Valax. Madame, vous nous avez expliqué qu’il n’était pas naturel d’aller devant les tribunaux. Sans contester le rôle que peut jouer l’autorité administrative que vous allez présider, j’avoue que cela m’a un peu choqué. La justice, qui doit être accessible à tout le monde, a vocation à être, précisément, le lieu naturel de résolution de ces problèmes. J’entends bien votre volonté de renforcer encore l’action de la HALDE, mais j’ose espérer que vous n’oublierez pas de transmettre au Parquet les dossiers dont vous serez saisie ; votre action essentielle devrait être de demander à celui-ci de remplir la mission naturelle qui est la sienne.

M. Noël Mamère. La question du rattachement de la HALDE au Défenseur de droits n’a pas été tranchée. Votre prédécesseur, le président Schweitzer, s’y était opposé. Quelle est votre position ?

La HALDE étant de plus en plus sollicitée, envisagez-vous, contrairement à ce que suggéraient les intervenants du groupe UMP, de demander des moyens supplémentaires afin de pouvoir remplir pleinement vos missions ?

Comment comptez-vous garantir l’indépendance de la HALDE, qui jusqu’à maintenant a été assurée, aussi bien à l’égard des entreprises qu’à l’égard des institutions publiques ?

Enfin, la loi de 2004 confiant à la HALDE une mission de traitement des réclamations, mais aussi de promotion de l’égalité, quels seront vos chantiers prioritaires ?

M. Olivier Dussopt. Madame, prenez-vous l’engagement, pendant toute la durée de votre présidence de la HALDE, de ne pas briguer de mandat électif ?

Par ailleurs, deux rapports publiés par la HALDE hier au Journal officiel soulignent que le fait de réserver le droit à pension de réversion aux couples mariés constitue une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, au détriment des partenaires liés par un pacs. Allez-vous reprendre à votre compte les recommandations adressées au Premier ministre, appelant à légiférer sur ce sujet ?

M. Daniel Goldberg. Je ne renouvelle pas la question formulée par M. Mamère sur le Défenseur des droits.

Les autorités équivalentes de la HALDE qui existent dans d’autres pays, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis, ont des moyens substantiellement supérieurs aux siens – 0,18 euro par habitant, soit six fois moins que son homologue du Royaume-Uni. Pensez-vous avoir les moyens suffisants pour remplir vos fonctions ?

S’agissant des critères de discrimination, pensez-vous pouvoir avancer sur le thème des critères territoriaux, et notamment de la discrimination « à l’adresse » dont sont victimes des demandeurs d’emploi ?

Enfin, où vous situez-vous dans le débat sur la mesure de la diversité et des discriminations ?

M. Jacques Alain Benisti. Allez-vous, madame, vous inscrire totalement dans la continuité de l’action de votre prédécesseur, ou comptez-vous agir dans d’autres directions ? Allez-vous, en particulier, lutter contre le non-respect du contradictoire dans certains médias, qui constitue une véritable discrimination puisque la personne incriminée ne peut pas sur le moment faire usage de son droit de réponse et que le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur est empêché de se faire une opinion circonstanciée ?

M. Guénhaël Huet. La création d’autorités administratives indépendantes ne marque-t-elle pas, sinon la faillite, du moins une carence de notre système juridictionnel ? Ne revient-il pas aux juridictions judiciaires et administratives de faire respecter la loi républicaine ?

D’autre part, j’ai observé ces dernières années que la HALDE avait aussi une action militante. Votre prédécesseur a ainsi animé sur une grande chaîne de radio, tous les samedis matins, une émission dans laquelle la HALDE faisait sa communication. Envisagez-vous de faire de même, ou reconnaissez-vous que le militantisme n’est pas de mise dans une telle institution ?

M. Michel Hunault. Ma question a déjà été posée : elle concernait l’avenir de la HALDE, dans le cadre de la mise en place du Défenseur des droits.

M. Christian Vanneste. Ma première question rejoint pour partie celle de notre collègue Guénhaël Huet. Jusqu’où va l’indépendance, où commence ce que l’on pourrait appeler le devoir de réserve ? Autrement dit, lorsqu’une décision politique a été prise, telle que le débat sur l’identité nationale, est-il normal que le responsable d’une haute autorité s’exprime à ce sujet, à l’encontre du Gouvernement ?

En ce qui concerne les méthodes, j’ai eu l’occasion avec notre collègue René Dosière d’auditionner M. Louis Schweitzer et de l’interroger sur le testing utilisé par la HALDE, qui a fait l’objet de critiques très sévères et mis en difficulté de très grandes entreprises françaises, en portant atteinte à leur image. Allez-vous continuer à utiliser ces méthodes extrêmement contestables, les remettre en cause, les améliorer ?

La montée en puissance de la HALDE, dont beaucoup se sont félicités, doit être fortement relativisée : en 2009, elle a certes été saisie de 10 000 affaires mais, la plupart des saisines ayant été rejetées soit en première, soit en deuxième instance, elle a pris seulement 400 décisions. Or 88 personnes travaillent à la HALDE. Le rapport est-il satisfaisant ? Je ne le pense pas.

Dans ces conditions, et le Médiateur de la République ayant un taux d’activité et un taux de réussite bien supérieurs, ne serait-il pas logique, à terme, de regrouper la HALDE avec le Défenseur des droits, qui aurait sans doute le poids nécessaire pour jouer un rôle plus important en matière de lutte contre les discriminations ?

Mme Sandrine Mazetier. En complément des questions que vous ont posées mes collègues du groupe SRC, madame, j’aimerais connaître votre position sur les médiations proposées par la HALDE, ainsi que sur les transactions pénales. Considérez-vous que c’est une bonne solution, sachant que l’amende est plafonnée à 3000 euros pour une personne physique et à 15 000 euros pour une personne morale ? Cette formule ne prive-t-elle pas la victime d’un vrai procès, et donc éventuellement d’une indemnisation supérieure ? Ne contribue-t-elle pas à rendre moins visible le phénomène de discrimination ?

Que va-t-il advenir des correspondants locaux – bénévoles – de la HALDE ? Allez-vous continuer à travailler de cette façon ou revenir à une conception plus institutionnelle de votre action ?

Enfin, je vous avoue avoir été troublée, après votre plaidoyer pour le principe d’égalité, par vos propos sur les entreprises et l’État. Quelle que soit la personne, physique ou morale, qui pratique la discrimination, c’est « mal », pour reprendre votre mot, et il faut le dire.

Mme Maryse Joissains-Masini. Madame, je suis ravie que nous soyons aujourd’hui amenés à recevoir la jeune femme que vous êtes, dont le parcours n’a pas été facile et qui est arrivée là où elle est par ses mérites. Votre intervention a été pleine d’humilité, d’intelligence et de précision. Vous nous avez dit que, si vous étiez désignée pour présider la HALDE, ce que j’espère de tout cœur, vous auriez à faire respecter la loi, rien que la loi et toute la loi : cela me paraît être une réponse très explicite à toutes les questions, souvent de détail, qui vous ont été posées.

M. Patrice Verchère. Certes, madame, vous avez les compétences pour assurer la présidence de la HALDE. Néanmoins, si personne ne remet en cause la lutte contre les discriminations, en revanche les avis divergent au sujet des moyens de l’institution, que certains jugent importants et que d’autres trouvent insuffisants. Afin de faire des économies d’échelle, n’aurait-on pas intérêt à assurer d’abord le rapprochement, puis dans un deuxième temps la fusion, avec le Défenseur des droits ?

M. Serge Blisko. Pour avoir accompagné des délégations venues de pays de l’Union européenne, je puis témoigner combien elles ont été intéressées par l’expérience et la montée en puissance de la HALDE, en constatant que chez elles, malgré un arsenal législatif de lutte contre les discriminations, on souffrait de l’absence d’un tel dispositif.

Ma question concerne ce qu’il est convenu d’appeler la mesure de la diversité, que d’autres appellent statistiques ethno-raciales. Quelle est votre position personnelle sur ce sujet ?

M. Philippe Gosselin. Les questions que je souhaitais poser portent sur trois sujets qui ont déjà été évoqués : les moyens de la HALDE, le militantisme qui lui est parfois reproché, l’éventuelle fusion avec le Défenseur des droits.

Mme Jeannette Bougrab. Commençons par la question des moyens. Si vous m’en donnez plus, je serai très heureuse ; je le serai moins si vous m’en donnez moins. Mais je n’en demanderai pas plus : très attachée au respect de nos engagements internationaux, je le suis au respect du pacte de stabilité et des dispositions du Traité de Maastricht et je sais à quel point il est difficile. Il est exact que les autorités administratives indépendantes en charge de la lutte contre les discriminations dans d’autres pays disposent de moyens beaucoup plus importants – 70 millions au Royaume-Uni, quand nous sommes à 11 millions. Mais je suis modeste, et ma mère m’a appris qu’un sou est un sou ; je gérerai « en bon père de famille », pour reprendre l’expression du code civil, le budget de la HALDE.

Dans le cadre de cette optimisation de l’utilisation des moyens, la question du loyer est l’une de mes priorités. Il paraît évidemment choquant que, sur un budget de 11 millions, 2 millions y soient consacrés. Le bail a été signé en 2004 par Mme Nelly Olin avec Unibail ; les services de la HALDE ont déjà examiné différentes pistes. Tous les éléments doivent être pris en considération dans les négociations – le niveau du loyer, mais aussi la durée du bail, dont l’allongement introduirait une contrainte financière supplémentaire. L’une des solutions envisageables est « l’optimisation de l’espace », autrement dit le partage des locaux avec une autre autorité administrative indépendante telle qu’HADOPI – qui cherche de nouveaux locaux dans la perspective d’une montée en puissance. La HALDE doit, par ailleurs, rester accessible à l’ensemble des personnes qui se sentent victimes de discriminations, notamment des personnes en fauteuil roulant. Ne comptez donc pas sur moi pour organiser un déménagement à caractère purement symbolique, qui en réalité ne permettrait pas de faire des économies, et laissez-moi quelques mois pour régler ce dossier. Ensuite, nous pourrons affecter les moyens économisés sur l’immobilier au recrutement de juristes, afin d’accélérer le traitement des dossiers individuels.

Si j’avais évoqué dans mes articles les « critères économiques et sociaux », c’était pour remettre en cause les mécanismes de l’affirmative action aux États-Unis, en montrant que le critère ethnique n’était plus suffisamment opérant pour lutter contre les discriminations dont sont victimes les Afro-Américains dans les ghettos et que les mécanismes de quotas n’étaient pas efficaces. M. Wilson, conseiller de M. Clinton, avait estimé qu’il fallait utiliser un critère neutre, acceptable par tous, à savoir les éléments économiques et sociaux. Le contexte est certes différent en France, mais on voit bien cependant que la principale discrimination a un caractère social : quand on habite certains quartiers et que l’on est fils d’ouvrier, on n’a pratiquement aucune chance d’accéder à certains emplois ; je suis d’ailleurs choquée de constater que les choses n’ont pas changé depuis Les Héritiers de Bourdieu. Je ne saurais donc réclamer des mesures d’affirmative action et la mise en place de quotas ethniques, ni prôner un modèle communautariste à l’anglo-saxonne : je suis attachée au modèle républicain fondé sur l’égalité ; pour moi, les inégalités sont un non-respect de la loi française.

En ce qui concerne la justice, c’est bien le très faible nombre de condamnations pour faits de discrimination qui a conduit à la création de la HALDE. Celle-ci est là pour accompagner les victimes de discriminations dans leur parcours judiciaire, mais elle n’a pas à se substituer au juge, judiciaire ou administratif – les discriminations pouvant être le fait d’entreprises privées, mais aussi de l’administration, qui pour exiger des autres doit commencer par être elle-même exemplaire. Je m’engage, bien évidemment, à transmettre le plus grand nombre possible de requêtes au Parquet ; mais la voie pénale, assortie du principe de la présomption d’innocence, n’est pas forcément la plus adaptée, surtout si elle se solde par l’impunité des auteurs d’infractions. La voie civile a l’avantage de renverser la charge de la preuve.

Enfin, je le dis avec modestie et réserve, je considère qu’il doit y avoir en France une institution spécifique de lutte contre les discriminations. Une articulation est cependant possible avec le Défenseur des droits – qui, selon le projet de loi organique, serait membre de droit du collège de la HALDE. Celle-ci, je le rappelle, a un champ de compétence plus large que le Défenseur des droits ; or l’on ne saurait abandonner demain la lutte contre certaines discriminations, constitutives de réelles illégalités. Au niveau local, dans un souci de rationalisation des moyens, on peut très bien envisager une articulation entre les deux institutions ; mais au niveau national, la suppression de la HALDE ou sa dilution au sein du Défenseur des droits serait un retour en arrière.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Merci beaucoup, madame, pour cet échange.

La séance est levée à 11 heures 35.

——fpfp——

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné Mme Brigitte Barèges ; M. Serge Blisko ; M. Jean-Pierre Brard ; M. Olivier Dussopt ; M. Charles-Ange Ginesy ; M. Sébastien Huyghe ; Mme Marietta Karamanli; M. Jean-Christophe Lagarde; M. Jean-Sébastien Vialatte ; M. Jean-Luc Warsmann, membres de la mission d’information sur la protection des droits de l’individu face à la révolution numérique.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Manuel Aeschlimann, M. François Bayrou, M. Jacques Alain Bénisti, M. Émile Blessig, M. Serge Blisko, M. Gilles Bourdouleix, M. Patrick Braouezec, M. François Calvet, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. François Deluga, M. Bernard Derosier, M. Éric Diard, M. Julien Dray, M. Olivier Dussopt, M. Jean-Paul Garraud, M. Guy Geoffroy, M. Claude Goasguen, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, M. Michel Hunault, M. Sébastien Huyghe, Mme Maryse Joissains-Masini, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jérôme Lambert, M. Charles de La Verpillière, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Yves Nicolin, Mme George Pau-Langevin, M. Dominique Perben, Mme Sylvia Pinel, M. Didier Quentin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Jean-Pierre Schosteck, M. Georges Siffredi, M. Éric Straumann, M. Jean Tiberi, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. André Vallini, M. Manuel Valls, M. Christian Vanneste, M. Patrice Verchère, M. Alain Vidalies, M. Philippe Vuilque, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller.

Excusés. - M. Abdoulatifou Aly, Mme Delphine Batho, M. René Dosière, M. Bruno Le Roux.

Assistaient également à la réunion. - M. Daniel Goldberg, M. Lionnel Luca.