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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 4 mai 2010

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 55

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition de M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, de M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire et de M. Alain Marleix, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales, auprès du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, de réforme des collectivités territoriales (n° 2280) (M. Dominique Perben, rapporteur)

– Information relative à la Commission

La séance est ouverte à 16 heures 15.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission procède à l’audition de M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, de M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire et de M. Alain Marleix, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales, auprès du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, de réforme des collectivités territoriales (n° 2280) (M. Dominique Perben, rapporteur).

M. le président Jean-Luc Warsmann. M. Bernard Derosier souhaite intervenir sur l’organisation de nos travaux. Vous avez la parole, mon cher collègue.

M. Bernard Derosier. En vertu de l’article 41 du Règlement, « quand l’Assemblée tient séance, les commissions permanentes ne peuvent se réunir que pour terminer l’examen d’un texte inscrit à l’ordre du jour », ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

De surcroît, d’après l’article 159, « le fait d’avoir pris part, pendant une session, à moins des deux tiers des scrutins publics […] entraîne une retenue du tiers de l’indemnité de fonction ».

Monsieur le président, je vous demande par conséquent une suspension de séance jusqu’à la fin des quatre scrutins publics qui vont avoir lieu en séance publique.

M. le président Jean-Luc Warsmann. La date de cette audition sur le projet de réforme des collectivités territoriales a été fixée en tenant compte des agendas des trois ministres, ce qui n’a pas été simple.

M. Bruno Le Roux. Les membres du Gouvernement doivent être à la disposition du Parlement !

M. le président Jean-Luc Warsmann. À ce moment-là, ces scrutins publics n’étaient pas prévus. Il aurait été préférable que vous formuliez votre remarque aussitôt que vous en avez eu connaissance, et non au dernier moment. Je consens à ce que nous suspendions la séance pour le premier scrutin public, mais attendre le déroulement des quatre reviendrait à renoncer à l’audition. Pour voter, nous avons la possibilité de recourir à la délégation ; c’est ce que j’ai fait.

M. Bernard Derosier. Nous voulons participer à tous les votes !

M. Bernard Roman. Le Règlement doit être respecté !

M. le président Jean-Luc Warsmann. Assez d’hypocrisie ! Je veux bien organiser des auditions le vendredi !

M. Bernard Derosier. Cette violation du Règlement augure mal de la suite des débats. Nous saisirons le Président !

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je souhaite la bienvenue à MM. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, et Alain Marleix, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales, que nous allons maintenant entendre au sujet du projet de loi, adopté par le Sénat, de réforme des collectivités territoriales.

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Je suis très heureux que nous puissions poursuivre nos échanges sur cette réforme importante des collectivités territoriales, désormais bien engagée. Elle se compose de quatre textes : trois projets de loi ordinaire et un projet de loi organique.

Vous avez adopté, en janvier dernier, le projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, texte déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 février.

Le second projet de loi, qui nous occupe aujourd’hui et que votre commission examinera le 12 mai, constitue le volet institutionnel de la réforme. Il a été adopté en première lecture au Sénat le 5 février dernier et viendra en discussion en séance publique dans cette enceinte à partir du 25 mai, avant de retourner au Sénat. Le Gouvernement souhaite qu’il soit définitivement adopté avant la fin de l’été.

Enfin, le projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, accompagné d’un projet de loi organique très court, a été déposé au Parlement en octobre dernier, en même temps que les autres textes.

S’agissant du mode de scrutin du conseiller territorial, une option permettait de réaliser un compromis entre plusieurs objectifs : le maintien des cantons et la représentation des territoires, la parité, le respect du pluralisme. Cette option a néanmoins suscité diverses réactions, du côté de la majorité comme de l’opposition. Aussi, conformément aux déclarations du Président de la République, qui à plusieurs reprises s’est dit ouvert à toute proposition sur ce sujet, le Premier ministre, par une lettre du 27 avril, a lancé un processus de consultation officielle des partis politiques. Dès que cette consultation sera achevée, le Gouvernement indiquera la solution à laquelle il est prêt à se rallier.

Le Gouvernement souhaite que cette question aussi soit tranchée au plus vite. Toutefois, en lien avec les présidents Accoyer et Larcher, il n’a pas souhaité que la réforme soit examinée sous le régime de la procédure accélérée – sauf pour le texte organisant la concomitance car il était important, dans un souci de sincérité et de transparence du scrutin régional, que les électeurs soient avertis du raccourcissement du mandat des élus qu’ils s’apprêtaient à élire. L’Assemblée, comme le Sénat, disposera donc du temps nécessaire à un examen approfondi et un débat serein.

Cette réforme part d’un constat : l’organisation territoriale de la France doit évoluer. Il y a près de trente ans, la nécessité d’engager la décentralisation s’est imposée. À l’époque, cette réforme a nourri de longs débats ; aujourd’hui, plus personne ne la conteste. Elle a contribué à la vitalité démocratique de notre pays et constitue un acquis fondamental. Doit-on pour autant s’interdire d’en relever certaines faiblesses et de tenter de les corriger ? Nous sommes convaincus du contraire.

Pour nous guider, nous disposons de très nombreux rapports publics de grande qualité, notamment des conclusions du Comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par l’ancien Premier ministre Édouard Balladur, auquel votre rapporteur, Dominique Perben, a pris une part très importante. Je pense aussi aux travaux de votre commission, en particulier au rapport d’information sur la clarification des compétences des collectivités territoriales et au rapport d’information sur l’optimisation de la dépense publique, dont on sait ce qu’ils doivent au président Warsmann. Ce projet de réforme est très directement inspiré de ces travaux.

Tous ces rapports n’ont certes pas proposé exactement les mêmes solutions mais tous ont souligné la fragmentation de notre paysage institutionnel, qui a vu s’empiler, au fil du temps, un grand nombre de structures, sans souci véritable de réorganisation. Au fond, les deux premiers actes de la décentralisation ont plaqué des transferts de compétences sur une réalité institutionnelle inchangée et désormais assez datée. Tous les rapports ont également souligné l’enchevêtrement des compétences : l’ambition initiale d’une répartition par blocs a progressivement cédé le pas à un partage de la plupart des compétences entre plusieurs niveaux de collectivités territoriales ou entre celles-ci et l’État. Tous, enfin, ont relevé l’obsolescence de la fiscalité locale, les insuffisances du système de péréquation et les excès de la pratique des financements croisés. Bref, tous ces rapports ont pointé du doigt la trop grande complexité et la trop grande uniformité de notre organisation territoriale.

Le Gouvernement est résolu à adapter cette organisation aux nouveaux défis : l’exigence de simplification, l’exigence d’adaptation des institutions, l’exigence de compétitivité des territoires et l’exigence, plus forte que par le passé, de maîtrise de la dépense locale, dans le contexte budgétaire et financier que chacun connaît.

Cette réforme poursuit une triple ambition : simplifier, démocratiser et adapter notre organisation territoriale.

Pour simplifier et alléger, nous souhaitons regrouper les collectivités territoriales autour de deux pôles : communes et intercommunalité d’un côté, départements et région de l’autre.

Il convient d’abord de conforter le couple communes-intercommunalité, avec l’achèvement et la rationalisation de la couverture intercommunale du pays. Dix ans après la loi Chevènement, le stade de maturité est pratiquement atteint. La nouvelle étape passe par la couverture intégrale du territoire et, surtout, par la rationalisation des périmètres et la suppression des structures devenues superflues. Les pays doivent se rapprocher des intercommunalités lorsque cela s’avère nécessaire. Je pense aussi aux innombrables syndicats intercommunaux, dont les périmètres chevauchent souvent ceux des intercommunalités à fiscalité propre et qui constituent parfois des coquilles vides.

Ce chantier doit être mené dans la concertation, en respectant les communes, mais il faut qu’il aboutisse dans un délai raisonnable. Dans le texte issu du Sénat, il est prévu que la démarche s’achève au plus tard le 1er janvier 2014. Ce point donne lieu à des débats, notamment en raison de la proximité des élections municipales de 2014. Mais il s’agit bien d’une date butoir : rien n’interdit d’aller plus vite si tout le monde est d’accord sur le terrain. Il ne faudrait pas qu’en raccourcissant le calendrier, on réduise les délais nécessaires à la concertation indispensable au succès de l’entreprise.

Les préfets devront élaborer des schémas départementaux de coopération intercommunale. De nouveaux pouvoirs seront dévolus aux commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI), dont la composition sera renouvelée, afin qu’elles puissent présenter des amendements aux schémas. Ceux-ci, qui seront déclinés en 2012 et 2013, procéderont donc d’un travail conjoint, d’une véritable collaboration entre le préfet et la CDCI – là encore, le texte est particulièrement innovant. J’insiste sur ce point car, même si les dispositions que nous vous proposons sont perfectibles, elles sont bien loin des caricatures évoquant les « pouvoirs exceptionnels » que l’on voudrait donner aux préfets. Le projet, équilibré, institue un système de pouvoirs et de contre-pouvoirs entre le préfet et une CDCI renforcée.

Il faut ensuite bâtir le pôle départements-région. C’est l’enjeu de la création des conseillers territoriaux, qui remplaceront les actuels conseillers généraux et conseillers régionaux.

La réduction du nombre d’élus n’est pas un objectif en soi, mais une conséquence. Le Président de la République l’a rappelé dans son discours de Saint-Dizier, à l’occasion du lancement de la réforme. Au lieu de 4 000 conseillers généraux et 2 000 conseillers régionaux aujourd’hui, il y aurait environ 3000 conseillers territoriaux. Ces élus seraient donc deux fois moins nombreux, mais en réalité deux fois plus puissants car ils siégeraient au conseil général de leur département et au conseil régional. Nous n’avons pas voulu, comme cela avait été imaginé, créer deux catégories d’élus, les uns siégeant uniquement dans les conseils généraux et les autres siégeant à la fois dans les conseils généraux et les conseils régionaux ; ainsi, le mandat sera plus intéressant et plus responsabilisant.

Le Gouvernement souhaite tout simplement faire confiance à un élu local, le conseiller territorial, pour clarifier, de manière pragmatique, au plus près des réalités du terrain, les compétences et les interventions des départements et des régions. Il s’agit de renforcer la complémentarité de ces deux collectivités. C’est une réforme simple, pragmatique et ambitieuse, qui nous permet de sortir des débats sans fin sur la suppression des départements ou la fusion des deux collectivités. Cette innovation simplifiera le paysage institutionnel pour le citoyen, pour l’usager et pour les élus communaux et communautaires, qui disposeront avec le conseiller territorial d’un interlocuteur unique, bien au fait des réalités du territoire.

La première élection des conseillers territoriaux doit avoir lieu en 2014. Vous avez dans ce but adopté le texte tendant à réduire la durée du mandat des conseillers régionaux élus en mars dernier et des conseillers généraux qui seront élus en mars 2011. Par ailleurs, le Sénat a d’ores et déjà voté le principe du conseiller territorial.

Simplifier, c’est aussi permettre aux collectivités qui le souhaitent de se regrouper.

Tel est le sens des dispositions que le Gouvernement avait proposées sur les communes nouvelles, visant à substituer à l’ancien dispositif de fusion de communes, issu de la loi Marcellin de 1971, une procédure plus simple, plus souple et plus incitative. Le Sénat, sur la base de craintes qui paraissent très excessives, a compliqué le système au point de le rendre impraticable. Je souhaite que l’Assemblée nationale trouve le point d’équilibre et permette aux communes de retrouver des marges de manœuvre et d’action grâce à la mutualisation de leurs moyens humains et financiers.

Tel est aussi le sens de l’introduction d’une procédure de regroupement volontaire de départements, inexistante jusqu’alors, et de la rénovation de la procédure de regroupement de régions.

Simplifier, enfin, c’est engager le chantier de la clarification des compétences et de l’encadrement de la pratique des cofinancements pour en limiter les excès. Il existe un large consensus sur le fait que les communes doivent conserver leur clause de compétence générale car elles constituent l’échelon de base de la démocratie locale et sont en première ligne face à l’imprévu. Mais pour le reste, il faut progresser sur la voie de la spécialisation des compétences des départements et des régions, et mieux encadrer la pratique des financements croisés.

Le Sénat a fait un premier pas dans cette direction en enrichissant et en votant les principes qui figurent à l’article 35 du projet : l’attribution de compétences en principe exclusives aux départements et aux régions ; la reconnaissance à leur profit d’une capacité d’initiative en cas de silence de la loi ; l’exigence, pour tout maître d’ouvrage, d’assumer une part significative du financement de ses investissements. Le Sénat a, par ailleurs, renvoyé la clarification détaillée des compétences à une loi distincte, devant intervenir dans les douze mois suivant la promulgation de ce texte institutionnel.

Faut-il aller plus loin et plus vite ? Mes collègues Michel Mercier et Alain Marleix et moi-même avons rencontré un grand nombre d’élus qui le pensent ; je sais que votre rapporteur et le président Warsmann y réfléchissent de leur côté. Le Gouvernement ne sera pas fermé sur ce sujet.

La deuxième ambition de la réforme est de renforcer la démocratie locale. J’en donnerai trois exemples.

Tout d’abord, nous proposons que les électeurs choisissent, lors des élections municipales, les représentants des communes au sein des intercommunalités. Au regard des compétences exercées et des budgets gérés par les structures intercommunales à fiscalité propre, c’est devenu une véritable exigence démocratique. Le Gouvernement n’a pas souhaité que l’organe délibérant d’une intercommunalité, et encore moins son président, procède d’une élection distincte de l’élection municipale, ce qui, en caricaturant un peu, aurait réduit le maire au rôle d’officier d’état-civil. Il a fait le choix du « fléchage » pour les communes de plus de 500 habitants, ce qui permettra aux électeurs de savoir à l’avance qui est susceptible de siéger au conseil communautaire. Pour les communes de moins de 500 habitants, les délégués seront le maire et, le cas échéant, d’autres conseillers municipaux, désignés dans l’ordre du tableau établi à l’occasion de l’élection municipale. Là encore, le nouveau mode de scrutin interviendra à compter de 2014.

Nous proposons, par ailleurs, d’abaisser de 3 500 à 500 habitants le seuil de population pour l’élection des conseillers municipaux au scrutin de liste. Cela répond au souhait, partagé par tous, de favoriser la parité, ainsi qu’un renouvellement de la classe politique. L’abaissement du seuil est la conséquence logique du système de fléchage pour la désignation des conseillers communautaires.

Enfin, nous prévoyons de renforcer le statut de l’élu local, avec des dispositions relatives au congé électif, au droit à la formation, à l’allocation de fin de mandat et à l’honorariat.

La troisième ambition est d’adapter notre organisation territoriale aux réalités du monde.

C’est l’enjeu de l’émergence des métropoles, sujet sur lequel M. Perben a beaucoup travaillé. Leur création répond au double défi de la montée en puissance du fait urbain et de la compétition entre les grandes agglomérations européennes et internationales. Le choix était en fait entre deux statuts : une métropole-département, collectivité territoriale à statut particulier qui aurait intégré l’ensemble des compétences des départements, notamment les compétences sociales – c’était plutôt l’orientation du rapport Balladur ; une métropole-EPCI, assurant une transition plus progressive. Au fil des discussions, j’ai évolué de la première vers la seconde option.

En ce qui concerne le seuil, nous vous proposons, après avoir entendu diverses propositions, de le fixer à 450 000 habitants. La métropole ainsi créée aurait des compétences renforcées dans les domaines du développement économique, de l’urbanisme, des transports, du logement.

Dans le texte initial du Gouvernement, certaines compétences étaient automatiquement transférées des départements et des régions vers les métropoles, tandis que d’autres ne l’étaient que sur une base facultative. En outre, la fiscalité locale et les dotations, qui sont des instruments de compétitivité économique, étaient unifiées à l’échelle de la métropole. Le Sénat est assez largement revenu sur cette ambition, en particulier sur le point de l’intégration financière et budgétaire des métropoles, qui, à nos yeux, doit être plus poussée que celle des actuelles communautés urbaines. Je suis sûr que votre rapporteur aura à cœur d’aller aussi loin que possible.

Le Gouvernement propose également une formule plus souple, le pôle métropolitain, afin de permettre à plusieurs agglomérations de porter un projet de métropole en développant des coopérations renforcées dans des domaines jugés stratégiques ou d’intérêt commun. L’une et l’autre de ces deux formules reposent sur le volontariat. Rien n’est imposé depuis Paris, tout doit venir de la dynamique des territoires.

Efforçons-nous d’éviter dans ce débat les postures, les caricatures et les simplifications excessives. Il n’y a pas d’un côté des décentralisateurs forcément vertueux, et de l’autre de prétendus recentralisateurs ; tenter de corriger les défauts de la décentralisation qui ont pu apparaître depuis trente ans, ce n’est pas faire son procès. Il n’y a pas non plus d’un côté les pro-département et de l’autre les pro-région ; il faut trouver les moyens de la complémentarité entre ces deux niveaux. Il en va de même pour l’intercommunalité et les communes et dans les rapports entre l’État et les collectivités territoriales. Nous souhaitons que la discussion soit aussi riche et sereine que possible.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, dont l’article 1er crée le conseiller territorial, ne comportait à l’origine aucune disposition relative aux modalités d’élection de ce nouvel élu, membre à la fois du conseil général et du conseil régional. Celles-ci figurent dans le projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, qui n’a pas encore été examiné par le Sénat et qui comporte au demeurant d’autres dispositions, relatives à l’abaissement de 3 500 à 500 habitants du seuil de population des communes auxquelles s’appliquera le scrutin proportionnel de liste, à l’élection au suffrage universel direct des délégués des communes dans les intercommunalités, enfin aux conditions d’exercice des mandats locaux, avec le statut de l’élu local.

Le Sénat a, cependant, inséré dans le texte qu’il a adopté un article additionnel avant l’article 1er, posant les grands principes de l’élection du futur conseiller territorial – ce qui vous saisit de cette question. Vos collègues sénateurs ont par ailleurs beaucoup débattu du nombre de conseillers à attribuer à chaque département et à chaque région, sujet également traité dans le projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux.

S’agissant de cette élection, nous étions confrontés à une vraie difficulté, le futur mode de scrutin étant appelé à se substituer, d’une part, au scrutin majoritaire à deux tours des conseillers généraux et, d’autre part, au scrutin proportionnel des conseillers régionaux. C’est pourquoi nous avons mis au point un système électoral mixte, avec l’élection de 80 % des conseillers territoriaux au scrutin majoritaire à un tour et celle des 20 % restants selon une répartition proportionnelle au plus fort reste des voix non utilisées.

Pourquoi un tour ? Ce n’est pas par calcul ou par volonté de manipulation politique.

M. Bruno Le Roux. Cela va de soi ! Mais en le disant, vous provoquez le soupçon…

M. le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. C’est un choix résultant de la juxtaposition des modalités majoritaire et proportionnelle. Ce mode de scrutin réalise un bon compromis entre, d’une part, la volonté de maintenir les cantons et de représenter les territoires, et, d’autre part, le double objectif de parité des élus et de pluralisme des opinions. Les simulations effectuées, par exemple sur la base du résultat des dernières élections régionales, montrent que ce système donne plus facilement des sièges aux petites formations et assure un minimum de parité entre les élus.

En prévoyant, au nouvel article 1er A, que « le mode d’élection du conseiller territorial assure la représentation des territoires par un scrutin uninominal, l’expression du pluralisme politique et la représentation démographique par un scrutin proportionnel ainsi que la parité », le Sénat a entendu affirmer les mêmes objectifs. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement n’a pas émis un avis défavorable à l’amendement introduisant cet article.

Néanmoins notre choix a suscité plusieurs critiques, portant notamment sur le tour unique de scrutin et sur le risque de rendre plus difficile la constitution d’une majorité solide dans les départements. Il se heurte en outre à deux reproches fondés. Premièrement, comme tous les scrutins mixtes combinant une part de scrutin uninominal majoritaire et une part de scrutin proportionnel, il crée deux catégories d’élus, les uns rattachés à un territoire, les autres non. Deuxièmement, il pourrait arriver qu’une formation, pourtant dominante dans tout le département, n’obtienne aucun élu sur sa liste, dès lors qu’elle aurait gagné tous les cantons.

Compte tenu de ces réactions, qui n’étaient cependant pas accompagnées de propositions alternatives, le Président de la République et le Gouvernement, à plusieurs reprises, se sont déclarés ouverts à la discussion. En l’absence de prise de position officielle des partis politiques, le Premier ministre, le 27 avril dernier, a écrit à leurs dirigeants un courrier pour la leur demander, en précisant que le Gouvernement indiquerait, au vu de ces propositions, la solution à laquelle il serait prêt à se rallier lors des débats parlementaires. Pour l’instant, le Gouvernement n’a reçu que trois réponses sur dix ; je ne puis donc, à ce stade, indiquer la position qu’il prendra dans les semaines à venir.

Je relève seulement que plusieurs voix se sont exprimées en faveur du scrutin majoritaire à deux tours. Ce mode de scrutin, connu et apprécié des Français, est utilisé pour l’élection des députés comme pour celle des conseillers généraux. Certains préconisent, en outre, de réserver l’accès au second tour aux deux candidats arrivés en tête ; cette option fera l’objet de débats, comme celle consistant à relever le seuil d’accès au second tour. Vous pourrez prendre position, ne serait-ce qu’en adoptant un amendement se substituant ou modifiant le texte de l’article additionnel adopté par le Sénat.

Le nombre des futurs conseillers territoriaux, globalement, devrait être réduit de moitié par rapport à celui des conseillers généraux et régionaux actuels : environ 3 000 conseillers territoriaux se substitueront aux 4 019 conseillers généraux – 4 182 si l’on inclut les conseillers de Paris – et aux 1 880 conseillers régionaux.

Mais nous devons surmonter la difficulté liée aux différences de situation entre départements et entre régions.

La représentation de chaque département au sein des conseils régionaux est actuellement très variable, du fait de l’existence de la prime majoritaire attribuée à la liste arrivée en tête et de la répartition des sièges en fonction des résultats obtenus par chaque liste dans les différents départements : un conseiller régional unique représente la Lozère et ses 77 000 habitants, dont 65 000 inscrits ; la Seine-Saint-Denis se voit attribuer dix sièges de plus que les Hauts-de-Seine, alors que les deux départements ont des populations équivalentes. Dans certains départements, la majorité en voix ne correspond pas à la majorité en sièges, notamment dans la région où j’ai l’honneur de siéger.

En outre, le nombre de conseillers généraux est très différent d’un département à l’autre, même à population proche : le Puy-de-Dôme compte ainsi 61 conseillers généraux pour 625 000 habitants, soit presque autant que la Gironde et ses 1 400 000 habitants, quand la Vendée en compte seulement 31 pour 600 000 habitants et le Vaucluse seulement 24 pour 540 000 habitants. Tout cela tient à l’histoire des départements.

Enfin, les disparités démographiques sont considérables au sein même des départements : l’écart de représentation entre le canton le moins peuplé et le canton le plus peuplé dépasse 1 à 20 dans dix-huit départements métropolitains ; dans l’Hérault, il atteint 1 à 45.

Il convient de donner à chaque département un nombre de conseillers généraux lui permettant d’être gouverné, dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales, sans aboutir pour autant à des conseils régionaux pléthoriques et sans malmener le principe d’égalité de représentation des élus.

Ces nombres ne pourront évidemment être fixés qu’une fois déterminé avec certitude le mode de scrutin, puisque le nombre de cantons, qualifiés d’« ADN de la démocratie » par le Président de la République dans son discours de Saint-Dizier, en dépend. Le tableau des effectifs sera, toutefois, communiqué d’ici à la fin du mois aux sénateurs, comme je m’y suis engagé en février lors de la discussion du texte, puis à vous-mêmes, ne serait-ce que pour apaiser les craintes des uns et des autres de perdre trop de cantons. Je suis d’ores et déjà en mesure de vous indiquer que le nombre de cantons sera au moins égal à quinze pour chaque département – le plus petit département, le Territoire de Belfort, compte aujourd’hui quinze conseillers généraux – et qu’il sera déterminé, région par région, à partir de plusieurs critères objectifs.

Le premier critère à considérer est celui de la population, s’agissant d’élire une assemblée délibérante de collectivité locale. Il n’aura, toutefois, pas autant d’importance que pour les circonscriptions législatives. Il en va de même pour les cantons actuels, dont le nombre et la population ont été souvent validés par le Conseil d’État.

Le critère de l’étendue géographique sera également retenu car les futurs élus seront chargés de représenter des territoires, en particulier des zones rurales, dont l’identité ne se réduit pas à la population.

Le critère du nombre actuel de cantons est important lui aussi, car ces cantons ont parfois une longue histoire et participent à la vie économique et sociale de nos zones rurales, à travers les équipements et les services publics qui leur sont attachés.

Enfin, le critère du nombre de communes dans le département et les différents territoires qui le composent ne sera pas oublié, car les futurs élus seront aussi chargés de les représenter au département comme à la région.

Après application de ces différents critères, les écarts que j’évoquais ne disparaîtront pas, mais ils seront considérablement réduits.

Par ailleurs, le futur découpage des cantons devra respecter les limites des circonscriptions législatives, ratifiées par la loi du 23 février dernier et validées par le Conseil constitutionnel. Cette exigence est conforme à la hiérarchie des normes de droit, puisque vos circonscriptions relèvent de la loi et qu’elles ont été dessinées, en 1986 comme en 2009, en respectant les limites cantonales, alors que ces dernières relèvent d’un simple décret.

Enfin, la délimitation des nouveaux cantons ne sera pas entièrement nouvelle : elle sera effectuée à partir de la carte actuelle, c’est-à-dire des 4 000 cantons que comptent, au total, nos départements.

Elle ne pourra naturellement être effectuée qu’après le renouvellement de mars 2011, qui concerne la moitié de ces cantons, sur la base de leurs limites actuelles. Elle sera soumise, le moment venu, à la consultation d’une commission nationale calquée sur la commission de contrôle du redécoupage électoral mise en place pour la délimitation des circonscriptions législatives ; l’enjeu de la réforme et la taille des futurs cantons justifient la consultation d’une institution de cette nature, dont l’avis sera rendu public.

M. Dominique Perben, rapporteur. Les écarts de population entre départements d’une même région suscitent des inquiétudes particulières. Il a été rapporté, monsieur le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités locales, que vous auriez évoqué le chiffre minimum de quinze conseillers territoriaux. Pouvez-vous le confirmer ?

En ce qui concerne les métropoles, monsieur le ministre de l’intérieur, le débat relatif au seuil démographique des métropoles n’est pas clos ; certains parlementaires et responsables politiques souhaiteraient que celui-ci soit encore revu à la baisse. Quant aux compétences des métropoles, le Sénat les a assez profondément réduites, en particulier en conférant une dimension conventionnelle à des éléments pourtant indispensables à la création d’une telle structure. Il ne faudrait pas que la métropole apparaisse finalement comme un simple label dépourvu de contenu. Quelle attitude le Gouvernement adopterait-il face aux propositions que je pourrais formuler en vue de renforcer les compétences obligatoires des métropoles ?

S’agissant des communes nouvelles, il est clair qu’avec la rédaction du Sénat, qui verrouille complètement le dispositif, aucune ne pourra être créée dans les cinquante prochaines années. La commune nouvelle n’est pas la panacée mais peut constituer l’aboutissement heureux d’une intercommunalité très intégrée, sur la base du volontariat. Quelle est la position du Gouvernement sur ce point ?

Concernant la carte intercommunale, je ferai deux observations. La relation entre le préfet et la CDCI sera déterminante, et à ce sujet le Sénat a apporté des améliorations ; mais il serait préférable que les propositions présentées par le préfet aux maires et aux présidents des structures de coopération intercommunale soient préalablement soumises à la CDCI. Par ailleurs, il ne me paraît pas envisageable que la nouvelle carte de l’intercommunalité ne soit connue que fin 2013, quelques semaines avant les élections municipales de mars 2014 ; je proposerai donc de fixer la date butoir au 1er juillet 2013.

Enfin, tel qu’adopté par le Sénat, l’article 35 est sans doute sympathique, mais dépourvu de caractère normatif. Nous ferions œuvre utile en fixant des règles minimales concernant l’exercice des compétences par la région et le département, les maîtrises d’ouvrage et les subventionnements croisés. Cela générerait des économies et nous permettrait d’attendre avec plus de sérénité la discussion éventuelle d’une loi modifiant la répartition matérielle des compétences des collectivités territoriales.

M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. En ce qui concerne les métropoles, nous ne sommes pas d’accord avec la commission du développement durable, qui a adopté un amendement portant le seuil de création à 1 million d’habitants. Le président de l’Association des maires de grandes villes de France, M. Destot, avait pour sa part proposé 400 000 habitants. Vous trancherez. En matière de compétences, nous sommes ouverts à une évolution renforçant le rôle économique des métropoles, dont c’est la vocation.

Nous sommes totalement d’accord avec vous quant à la nécessité de faciliter la création des communes nouvelles. Le Sénat a beaucoup trop compliqué le système.

Concernant les schémas de coopération intercommunale, j’entends votre proposition, que nous pourrions sans doute accepter à condition qu’il ne s’agisse de la part de la CDCI que d’un simple examen, et non d’un avis formel.

M. le rapporteur. Je ne demande pas qu’elle rende un avis à ce stade – il est prévu plus tard, mais seulement qu’elle ait connaissance du projet du préfet avant la consultation des communes et intercommunalités concernées.

M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. S’agissant, enfin, du calendrier, les élections municipales auront certes lieu en 2014, mais serait-il plus opportun qu’il y ait coïncidence avec les échéances qui vont les précéder ?

Enfin, je suis tout à fait d’accord avec vous sur le fait que l’article 35 est insuffisamment normatif. Nous devons progresser ensemble vers une rédaction plus opérationnelle, sans attendre une autre loi.

M. le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Le seuil de 450 000 habitants ouvrirait très vite la possibilité de devenir métropoles à deux villes importantes, Montpellier et Rouen, dont la population progresse considérablement, la première gagnant plus de 10 000 habitants par an. Quant à Toulouse et Nice, qui ont constitué des communautés urbaines en 2009, elles pourraient aussi l’envisager dans un délai raisonnable.

M. Bernard Derosier. Monsieur le ministre de l’intérieur, nous souhaitons nous aussi que le débat soit dépassionné et de qualité mais nous cherchons à comprendre les intentions du Gouvernement, qui ne sont pas encore très claires. Puisque vous affirmez que cette réforme est de plus en plus largement acceptée, je vous invite à rencontrer vos concitoyens, à rencontrer les élus locaux, les associations de maires, l’Assemblée des départements de France (ADF) et l’Association des régions de France (ARF) : ce n’est pas ce que vous entendrez.

Nous ne comprenons pas pourquoi les projets de loi déposés par le Gouvernement ne reprennent pas l’intégralité des conclusions intéressantes du comité Balladur. Mais peut-être en saurons-nous davantage demain en auditionnant M. Balladur.

Plusieurs des dispositions que vous proposez sont particulièrement choquantes. Vingt-huit ans après le lancement de la décentralisation à l’initiative de François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Deferre, vous n’avez pas traité ce dossier dans le bon ordre ; il aurait fallu commencer par examiner la répartition des compétences, mais votre objectif est d’abord de créer le plus de difficultés possible à l’opposition, en étranglant financièrement les collectivités territoriales et en empêchant les élus locaux de répondre aux attentes de nos concitoyens.

Le mode de scrutin uninominal à un tour, tout d’abord, est une aberration. En second lieu, vous mettez à mal la disposition constitutionnelle relative à la parité. À ce sujet, vous devrez expliquer vos intentions. La gauche, qui a été à l’origine du processus de parité dans les assemblées, ne saurait se contenter de l’élargissement du scrutin de liste aux communes de 500 à 3 500 habitants pour les élections municipales.

La suppression de 3000 élus locaux sur 6 000 est également choquante, et nous aimerions en comprendre la raison, d’autant qu’il n’en restera pas moins 500 000 élus municipaux. La suppression de la clause générale de compétence l’est tout autant, mais je vais y revenir.

Vous avez, monsieur le ministre, évoqué l’enchevêtrement des compétences. Or le 17 décembre 2009, répondant à une question au Gouvernement, vous avez fait référence au rapport de M. Claude Belot, qui inspirerait le Gouvernement pour son cinquième projet de loi. Nous aimerions en savoir davantage, au moins dans les prochains jours, sur vos intentions en la matière.

Concernant la fiscalité, au motif de son obsolescence, vous avez pris une mesure draconienne : sa suppression ! Les régions n’ont quasiment plus de capacité fiscale et les départements n’en conservent que très peu. Là encore, nous souhaiterions comprendre vos motivations. Les pertes de recettes fiscales ne sont pas compensées à l’euro près, tant s’en faut, d’autant que les seules plus-values liées à l’augmentation des bases auraient assuré des recettes supplémentaires aux collectivités.

Vos couples intercommunalité-communes et région-départements apparaissent comme des couples illégitimes, qui ne permettront pas un bon fonctionnement des collectivités territoriales. Les intercommunalités émanent, au demeurant, déjà des communes, et par ailleurs vous semblez oubliez la place de l’État. Il aurait été plus cohérent de constituer un couple région-État, comme avec les contrats de projet État-région, et un couple département-communes et intercommunalité, cette relation étant déjà établie à travers le rôle de péréquation assuré par le département sur son territoire.

Le dispositif que vous proposez contient néanmoins des éléments intéressants, notamment l’achèvement de l’intercommunalité.

Le Président de la République affiche l’intention de simplifier le « millefeuille » territorial. Alors pourquoi créer de nouvelles strates, les métropoles et les pôles métropolitains, en plus des communes, des intercommunalités, des régions et des départements ?

S’agissant des conseillers territoriaux, nous débattrons certes de deux autres projets de loi, mais les articles 1er A et 1er posent déjà la problématique dans ce texte. Il serait bon que vous en disiez davantage à propos de la rumeur selon laquelle l’approche du Gouvernement aurait évolué. Le conseiller territorial semble être à vos yeux le nec plus ultra de la démocratie locale, alors qu’il s’agit d’une créature à qui il sera matériellement impossible de remplir toutes les missions confiées aujourd’hui par la loi aux conseillers régionaux et aux conseillers généraux. Envisageriez-vous le dépôt d’un projet de loi rectificatif ? Il conviendrait aussi d’évoquer le cas particulier de Paris, dont le régime va être à nouveau une exception.

Concernant enfin l’article 35, la vraie question est la suivante : pourquoi voulez-vous supprimer la clause générale de compétence, qui permet aux collectivités d’aménager le territoire et de répondre aux attentes de nos concitoyens ?

M. Bernard Roman. Sur certains points techniques mais non dépourvus d’incidences politiques, comme la taille des métropoles ou la date butoir de publication du périmètre des intercommunalités, sans doute élaborerons-nous des réponses communes, trouvant des échos sur les différents bancs de l’Assemblée nationale.

J’avoue ne pas bien comprendre la position du Gouvernement à propos des métropoles car ce débat a traversé le demi-siècle qui vient de s’écouler. Le mouvement a commencé en 1963, avec la création d’autorité de sept métropoles d’équilibre, qui structuraient le territoire. Ensuite, il y a une dizaine d’années, la loi Chevènement a fixé à 500 000 le seuil de population pour créer une communauté urbaine. Et aujourd’hui, alors que toutes les grandes villes du monde et d’Europe grandissent, la France constituerait quinze ou seize métropoles, pour faire plaisir à des élus locaux ? Soit nous structurons le paysage et le développement urbains autour de métropoles d’équilibre pour construire la France et l’Europe de demain, soit nous faisons du sous-aménagement du territoire en prétendant créer des métropoles qui n’en seront pas.

Ce texte est très grave car, sans le dire, on confère à la métropole des pouvoirs ôtés à la région. On tue la région, on tue l’idée régionale, y compris en organisant l’élection des conseillers territoriaux à l’échelle des cantons. Derrière les débats techniques, c’est une vraie question politique : nous pensons que ce texte constitue la mise à mort de la décentralisation et nous tenterons de le démontrer – pas à vous, car je crois que vous le savez, mais à tous ceux qui voudront bien nous écouter. Vingt-huit ans après les premières lois de décentralisation, qui mettaient fin à la tutelle des préfets, vous la remettez en place méthodiquement sur l’ensemble des collectivités. C’est le retour des préfets !

La décentralisation a pourtant permis l’équipement de la France : les collectivités territoriales en réalisent 75 %, en ne contribuant que pour 10 % à la dette publique. Or vous leur coupez les vivres. Aujourd’hui, 90 % des ressources des régions viennent de l’État ; et le rapporteur général de la commission finances a prôné la semaine dernière le gel des dotations de l’État aux collectivités territoriales ! Comment faire dans ces conditions ?

Enfin, vous opacifiez. Au lieu de cinq niveaux de collectivités, vous nous en proposez sept ! Et tant les modes de désignation que le partage des compétences sont opaques.

Nous ne pouvons accepter la vision du Gouvernement de l’évolution de la gestion du territoire.

Vos remarques relatives au mode de scrutin sont particulièrement préoccupantes, y compris au regard du principe d’égalité entre les citoyens. Le Gouvernement annonce – là encore, nous devons nous référer à la presse pour obtenir des informations – un minimum de quinze conseillers territoriaux par département, ce qui constitue en effet le plancher pour permettre une gestion départementale. Cela dit, dans une région comme le Languedoc-Roussillon, qui comporte un département de moins de 100 000 habitants, la Lozère, et un département de plus d’un million d’habitants, l’Hérault, comment ferez-vous  pour que tous les conseillers territoriaux qui siégeront ensemble au conseil régional représentent le même nombre d’habitants ? Sachant que les quinze conseillers territoriaux de la Lozère représenteront chacun 5 000 habitants, pour respecter le principe d’égalité, il faudrait que l’assemblée régionale rassemble 400 ou 500 conseillers territoriaux !

M. le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Actuellement, c’est l’inverse : le conseiller régional de la Lozère représente 75 000 habitants, tandis que ses collègues en représentent 25 000 en moyenne.

M. Bernard Roman. Nous dénoncerons cette mise à mort de la décentralisation, dans l’hémicycle mais aussi au-delà.

M. Michel Hunault. Les collectivités territoriales jouent actuellement un rôle essentiel en matière de cohésion sociale. Je suis partisan de la réforme, mais celle-ci ne doit pas effacer l’action majeure des milliers d’élus qui se consacrent à l’administration des collectivités.

L’immense majorité des élus sont des élus municipaux. Très concrètement, en quoi ce projet de loi les concerne-t-il, en quoi améliorera-t-il les ressources de leurs collectivités, dont les besoins sont immenses et qui se trouvent souvent contraintes de frapper à la porte des conseils généraux et des conseils régionaux pour obtenir des financements ? Vous nous avez rassurés en indiquant que la clause générale de compétence serait maintenue mais il convient également de penser aux élus municipaux. La semaine dernière, les élus d’une petite commune de mon arrondissement, pour passer l’exercice 2010, ont voté la suppression de leurs indemnités. Je voudrais que le versement d’indemnités aux maires et adjoints au maire des petites communes soit automatique car, dans le système actuel, ils y renoncent souvent.

M. Guy Carcassonne a publié dans Le Monde une tribune consacrée à la spécificité française du cumul des mandats. Le conseiller territorial, qui siégera à la région et au département, pourra avoir d’autres mandats. Ne pourrait-on envisager une remise en ordre ? J’ajoute que les compétences spécifiques de nos collectivités territoriales nous obligent parfois à créer des syndicats mixtes, notamment dans le domaine des transports ; il conviendrait que chaque représentation compte pour un mandat.

M. Philippe Gosselin. Honnêtement, dans la Manche, la population est assez éloignée de ces débats. Elle s’intéresse davantage à la présence de tel ou tel équipement qu’au fait de savoir de quelle collectivité il relève.

Concernant la carte de l’intercommunalité, la date du 1er janvier 2014 paraît lointaine. Il serait souhaitable que les candidats aux élections municipales de 2014 ne soient pas informés au dernier moment. Fixer l’échéance au 1er juillet 2013 serait un réel progrès.

Concernant le statut de l’élu, il conviendrait, en effet, de s’interroger sur la question des indemnités et sur celle du cumul entre la présidence d’une intercommunalité et d’autres mandats. Si la place des intercommunalités est renforcée, il faudra les prendre en compte dans le cumul.

S’agissant des seuils, je rappelle que l’INSEE retient celui de 2 000 habitants pour définir la ville. Peut-on attendre une évolution au sujet du seuil de 500 habitants ?

Enfin, le statut des pays n’est pas totalement tranché. Certains élus voudraient les supprimer. D’autres, de tous bords, dans les zones rurales, sont assez attachés à cette notion qui permet une intercommunalité de projet. Qu’en pense le Gouvernement ?

M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur Derosier, une fois de plus, vous avez cultivé l’originalité : vous avez choisi de commencer par souligner les désaccords, avant de consentir à reconnaître que de rares points faisaient consensus.

Le projet de loi du Gouvernement reprend onze voire douze des vingt propositions du comité Balladur.

Pour aborder sereinement la question de la parité, nous devons réfléchir ensemble à des incitateurs très puissants, susceptibles d’encourager les formations politiques à jouer le jeu. Sur ce sujet, je suis très ouvert. Mais regardez vos rangs aujourd’hui : ce n’est pas un brillant exemple de parité…

Les métropoles ne s’ajouteront pas au « millefeuille » territorial car il ne s’agira pas de collectivités territoriales mais d’EPCI, et elles n’auront pas vocation à couvrir toute la France, mais à offrir des solutions de coopération très intégrées à des territoires qui pourraient en avoir besoin.

Les régions et les départements financent l’équivalent de 17 milliards d’euros dans des champs de compétence partagés et parfois concurrents. Je suis convaincu qu’il est possible de mieux spécialiser les compétences et de mieux encadrer les cofinancements. C’est l’objet de l’article 35, qu’il conviendra de préciser.

Sur les aspects électoraux, M. Marleix vous répondra.

Monsieur Roman, votre discours inspire un certain malaise : derrière les mots « réflexion », « proposition », « évolution », vous prônez le statu quo intégral, comme si tout allait très bien.

M. Bernard Derosier. Pas du tout ! Regardez nos propositions d’amendements !

M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Les métropoles ne tueront pas les régions car les compétences transférées le seront sur une base conventionnelle. Ce serait uniquement en cas d’absence de convention que certains transferts deviendraient obligatoires.

Quant au « retour des préfets », il relève de la plaisanterie.

Monsieur Hunault, la réforme doit renforcer les élus locaux, trop souvent victimes des lourdeurs administratives. Nous sommes convaincus que le montage des projets sera nettement accéléré dès lors que les communes disposeront d’un interlocuteur unique pour le département et la région.

Leur clause de compétence générale est maintenue, confirmée, préservée. Par ailleurs, les collectivités, en particulier les départements, conserveront la possibilité d’apporter des concours secondaires aux petites communes, comme nous l’avons précisé devant les maires ruraux il y a plusieurs mois.

M. Bernard Derosier. Nous ne l’avons pas entendu dans la bouche du Président de la République.

M. le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Si, il l’a dit à Saint-Dizier.

M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu’il faut couper le lien entre mandat national et mandat local. Convient-il en revanche de s’interroger sur le cumul d’un mandat local et d’une présidence d’intercommunalité ? Le projet de loi ne le fait pas mais la question pourrait être examinée. J’imagine que vous pensiez au maire d’une grande ville de votre département, président d’agglomération, député et président de groupe à l’Assemblée nationale.

M. Michel Hunault. Je ne pensais à personne en particulier. Je me permets par ailleurs d’insister sur les difficultés des maires des petites communes rurales. En quoi ce projet de loi va-t-il améliorer leur situation ?

M. le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. La dotation budgétaire « élu local », destinée aux élus des communes de moins de 1 000 habitants, s’élève à 65 millions d’euros en 2010 – ce qui représente une légère augmentation par rapport aux années précédentes.

Un texte portant spécifiquement sur le statut de l’élu fera bientôt l’objet d’une large concertation. Ce sera l’occasion d’aborder toutes les questions qui peuvent légitimement se poser – les moyens alloués aux élus, l’honorariat, la formation ou encore les retraites.

Mme Marietta Karamanli. Sans vouloir polémiquer sur la question de la parité, j’observe que seules quatre femmes participent à cette réunion. Je laisse chacun en tirer ses conclusions sur les efforts réalisés par les partis politiques.

Selon l’exposé des motifs de ce texte, la réforme se justifie notamment par le « coût élevé pour le contribuable » du système actuel. Or, selon une étude commandée par l’ADF, 70 % des dépenses de fonctionnement sont spécifiques à un niveau de collectivité, 20 % relèvent de compétences partagées mais concernent des catégories de dépenses ou de services publics distincts, et 5 % correspondent à des interventions complémentaires portant sur un même domaine de compétences, mais prenant la forme d’actions distinctes par leur nature et leur public.

L’étude d’impact procède à une ventilation des dépenses selon qu’elles correspondent à des compétences exclusives, non exclusives ou intermédiaires, mais elle reste muette sur les économies que cette réforme permettrait de réaliser. Comment les évaluer ?

L’étude d’impact ne dit pas un mot non plus sur les dépenses réalisées par les départements et par les régions en faveur des actions associatives présentant un intérêt local, département ou régional. Quelle sera la perte financière pour les activités sociales, culturelles et sportives si l’on empêche les financements croisés, comme prévoit de le faire l’article 35 ?

M. Jacques Valax. Je suis plutôt d’accord avec le diagnostic établi par le ministre de l’intérieur : nous souffrons d’une fragmentation des structures territoriales, d’une obsolescence de la fiscalité locale et d’une complexité trop grande des compétences croisées. Je suis, en revanche, très déçu par les remèdes proposés : ils ne sont pas du tout à la mesure du problème. Contrairement à ce qu’affirme le ministre, nous faisons des contre-propositions.

Pourquoi laisser les structures inchangées en dépit de leur fragmentation actuelle ? Au lieu de proposer la suppression des conseils généraux, mesure dont on peut débattre mais qui aurait suffi à démontrer que vous avez une véritable volonté, et non une simple velléité, de réformer le système actuel, vous nous proposez d’instituer une créature dont la monstruosité n’est plus à démontrer : le conseiller territorial. Cette solution, qui est impraticable et inacceptable, ne fera que compliquer la situation actuelle. Quant aux pays, vous n’osez même pas dire clairement ce qu’ils deviendront.

En matière de fiscalité locale, vous vous refusez à poser la vraie question : qui paie les dépenses de solidarité nationale ? Aujourd’hui les départements financent l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), le revenu de solidarité active (RSA) et la prestation de compensation du handicap (PCH). Or rien n’est fait pour assurer une véritable péréquation entre les territoires.

Vous êtes également aux antipodes de ce que nous attendions en matière de financements croisés. Vous envisagez de demander au maître d’ouvrage d’apporter 50 % des ressources, ce qui signifie que l’on ne pourra plus aider les petites communes. Elles seront donc condamnées à ne plus investir. Vous allez tuer l’économie locale en privant peu à peu les collectivités territoriales de ressources, alors qu’elles réalisent 73 % de l’investissement public. Dans le département du Tarn, nous avons dû reporter la création de deux collèges, et les entreprises n’embauchent plus : elles vont devoir licencier et déposer leur bilan. Les salariés se retrouveront au RSA, qui est financé par les collectivités locales.

Dans l’intérêt de nos concitoyens et de nos territoires, nous combattrons ce texte avec la plus grande énergie. Il ne résoudra en rien les problèmes de fond et va à l’encontre de ce qu’il faudrait faire.

M. Christophe Caresche. Le ministre de l’intérieur est parti sans avoir répondu à la question posée par notre collègue Bernard Derosier au sujet de Paris. Actuellement, le statut particulier de Paris confère au Conseil de Paris les missions d’un conseil municipal et celui d’un conseil général. En revanche, Paris relève du droit commun en ce qui concerne le conseil régional d’Île-de-France. Dès lors, donc, que ce texte touche à la composition des conseils régionaux, il faut nous dire comment les choses vont se passer à Paris : je ne comprends pas qu’il n’en soit pas question dans ce texte. Je sais bien que le Gouvernement cède souvent à la tentation de traiter Paris à part ; c’est ce qu’il avait fait par exemple au sujet du travail du dimanche, mais le Conseil constitutionnel avait considéré que ce régime dérogatoire n’était pas justifié.

M. Michel Vaxès. Une réforme n’a de sens que dans la mesure où elle répond aux attentes de nos concitoyens.

Or leurs besoins vont croissant avec la crise économique. D’autre part, ils aspirent à pouvoir participer au processus de décision politique. C’est dire toute l’importance du principe de l’autonomie financière des collectivités territoriales, que vous avez remis en cause avec la suppression de la taxe professionnelle et la mise sous tutelle financière de l’ensemble des collectivités – dont les moyens dépendent maintenant, pour l’essentiel, des crédits apportés par l’État. Le ministre de l’intérieur a appelé de ses vœux une maîtrise des dépenses locales, mais si des dépenses doivent faire l’objet d’une plus grande maîtrise, ce sont avant tout celles de l’État, dont la dette s’est bien plus dégradée que celle des collectivités territoriales.

Cette réforme aura pour effet de restreindre les moyens disponibles pour répondre aux besoins de nos concitoyens – et en ce sens, elle n’est que le pendant de la RGPP et de la suppression des services publics au niveau national. Elle est tout aussi insatisfaisante du point de vue de la démocratie locale : nos concitoyens sont attachés aux échelons de proximité, la commune et le canton, parce qu’ils connaissent leurs élus et peuvent ainsi travailler avec eux ; or ce sont les communes qui sont menacées au sein du couple qu’elles vont former avec l’intercommunalité, et les départements au sein du couple qu’ils vont former avec la région. Dans dix ans, vous verrez que les départements et les communes auront disparu derrière les régions et les communautés d’agglomération.

Ces dispositions vont créer également des difficultés du point de vue de la cohésion sociale. On a bien vu, après l’adoption de la loi « Chevènement », la logique qui prévaut dans les commissions départementales de la coopération intercommunale (CDCI) : il s’agit avant tout de se protéger contre la domination des autres, et non de coopérer pour réaliser des projets communs. Dans les rares cas où les CDCI ont voulu imposer des regroupements, les présidents des communautés d’agglomération n’ont pas osé les suivre – je pense, par exemple, à Marseille. Ce texte permettra certes d’imposer des regroupements, mais cela ne servira à rien tant que les collectivités n’auront pas perçu les nécessités de la coopération. Or la coopération n’est pas le véritable objectif de cette réforme, qui consiste avant tout à réaliser des économies budgétaires. Nous avons pu nous en apercevoir hier soir encore, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances rectificative.

M. Michel Vauzelle. Nos concitoyens ne sont pas encore vraiment conscients de ce qui se prépare, leur attention étant accaparée par la crise économique ou des sujets comme la burqa. Les associations, qui portent la vie culturelle et sportive locale, les petites communes, les territoires ruraux, les villes moyennes et les départements de taille intermédiaire risquent de réaliser brutalement combien le recul de la démocratie de proximité provoqué par ce texte est considérable. Nous avons pourtant besoin de cette démocratie de proximité pour revivifier la démocratie.

Toute votre construction repose sur la création des conseillers territoriaux, lesquels seront en réalité des conseillers cantonaux, qui aura pour conséquence de détruire les régions. Or il ne faut pas opposer les régions aux départements : il existe aujourd’hui le couple département-communes, d’autre part le couple régions-État ; le Gouvernement nie cette réalité et la pertinence d’une assemblée régionale chargée de veiller à l’aménagement du territoire dans le cadre de la démocratie de proximité, en assurant le dialogue avec les PME, avec les chambres de commerce, avec les départements.

Nous fêtons cette année le 150e anniversaire du rattachement de Nice à la France, mais nous verrons peut-être aussi Nice et les Alpes-maritimes se détacher du reste de la région Provence – Alpes – Côte d’Azur. C’est en effet un vieux rêve des Niçois de constituer une région Nice-Côte d’Azur. À l’époque où la région n’était qu’un établissement public – et c’est à cela que nous allons revenir –, les Niçois ne venaient pas siéger à Marseille, considérant que c’était un déshonneur pour eux.

Il me paraît particulièrement grave de ne pas respecter la spécificité des régions et une organisation qui est dans le sens de l’histoire. Chacun sait qu’il existe également plusieurs « couches » de collectivités en Espagne et en Italie : les communes, les deputationes et les provinces qui sont l’équivalent de nos départements, et les régions, beaucoup plus puissantes que les nôtres. Il ne s’agit pas pour autant d’aller jusqu’au fédéralisme espagnol.

M. Hortefeux a un jour expliqué, sur le ton de la plaisanterie, qu’il connaissait la région Auvergne, mais pas la région PACA. Ce n’était pas une remarque anodine, car la région PACA risque effectivement de disparaître au profit de la métropole niçoise et de la métropole marseillaise. L’existence de la région permet pourtant au Var, au Vaucluse et aux deux départements alpins de subsister. Elle permet également à la vie associative populaire d’exister en dehors du festival d’Aix-en-Provence et de celui de Cannes. Elle permet aux femmes d’être représentées de façon paritaire, comme elles le sont dans les communes. Elle permet enfin d’avoir en la personne du président de région, issu du suffrage universel, un interlocuteur du préfet de région pour construire un contrat État-région. Tout cela va disparaître dans la confusion la plus totale et à rebours du sens de l’histoire.

Quelle sera demain l’implication de conseillers territoriaux, donc cantonaux, dans la coopération interrégionale ? Je pense, par exemple, à l’ « eurorégion » formée avec le Piémont et la Ligurie. Un conseiller cantonal – je l’ai été moi-même – se soucie avant tout de son canton, et non de l’aménagement régional, dont dépend pourtant l’avenir de la Nation. Croyez-vous que des conseillers cantonaux qui refuseront d’aller de Nice à Marseille pour traiter des affaires de la région porteront un quelconque intérêt au projet porté par le Président de la République pour la Méditerranée ?

Ce projet est gravissime pour la démocratie de proximité, et la recentralisation qu’il organise, qui nous met en marge de l’Europe moderne, va également à rebours des évolutions auxquelles on assiste dans d’autres pays comme le Maroc.

M. Olivier Dussopt. Ce texte a été présenté comme une simplification, alors qu’il crée une structure supplémentaire, la métropole, et que personne ne semble en mesure d’apporter une réponse sur le cas de Paris…

De même, alors que les objectifs de démocratie locale et de décentralisation avaient été invoqués, ce projet marque le retour en force des préfets, qui auront la possibilité d’imposer des décisions si les communes et les intercommunalités ne respectent pas le schéma établi ou si elles ne vont pas assez vite.

Le ministre de l’intérieur nous a dit qu’il souhaitait des collectivités territoriales efficaces et compétitives, mais il est prévu de supprimer la clause générale de compétence et d’encadrer les cofinancements en imposant notamment à la collectivité territoriale maître d’ouvrage d’apporter 50 % des fonds. Vous allez ainsi organiser l’incapacité des communes à agir.

On peut également regretter que rien ne soit prévu en matière de péréquation. La raison est peut-être que la réforme des collectivités est « saucissonnée » en différents textes. En attendant, le gel des dotations de l’État aux collectivités territoriales qui a été proposé par le rapporteur général de la commission des finances renforcera les contraintes pesant sur les collectivités territoriales en matière de recettes.

En ce qui concerne le mode d’élection des conseillers territoriaux, nous attendons avec impatience qu’un texte précis soit déposé sur le bureau de notre assemblée. Pour ma part, je n’ai pas compris grand-chose aux explications apportées par le secrétaire d’État – et je crois ne pas être le seul dans ce cas.

Le ministre de l’intérieur nous a quittés, mais j’espère que M. Mercier, qui n’a pas été désavoué lors des dernières élections locales, contrairement à d’autres, pourra nous faire bénéficier de quelques éclaircissements sur ces différents sujets.

M. Philippe Vuilque. Sans remettre en cause les qualités de MM. Mercier et Marleix, je trouve assez désagréable que le ministre de l’intérieur ait quitté cette réunion avant son terme.

Mon intervention portera sur le volet du texte relatif au renforcement et à la modernisation de la coopération intercommunale, qui nous pose moins de difficultés que d’autres, même si nous avons encore un certain nombre d’interrogations.

J’aimerais savoir si le Gouvernement serait d’accord pour « muscler » l’article 16 : il faut certes achever l’intercommunalité, mais pas en procédant par défaut. Il me semblerait en particulier nécessaire que les antécédents de coopération entre les communes soient pris en compte lorsque les préfets formuleront des propositions.

Le Gouvernement, puis le Sénat, se sont placés dans la perspective de communes refusant de participer à une intercommunalité, mais il existe une autre hypothèse : celle de communes auxquelles des refus ont été opposés. La rédaction actuelle du texte pourrait aboutir à des situations de blocage : il est prévu que les communes les plus importantes de l’intercommunalité émettent un avis favorable à l’entrée d’une commune nouvelle, mais si une commune se heurte à plusieurs refus, le préfet ne pourra rien imposer, et la règle des deux tiers, définie pour la contre-proposition que pourrait formuler la commission départementale de la coopération intercommunale (CDCI) , ne pourra pas s’appliquer.

En 2006, lorsque M. Sarkozy était ministre de l’intérieur, les préfets ont été chargés d’établir une sorte de carte idéale de l’intercommunalité. Ils avaient réalisé un travail très intéressant, qui avait été soumis aux CDCI à titre indicatif. Ces travaux serviront-ils de référence pour l’élaboration du schéma prévu à l’article 16 ?

Un débat a eu lieu au Sénat sur la date butoir figurant à l’article 17, relative à la présentation du schéma départemental par le préfet. Il me semble que le Gouvernement avait indiqué ne pas voir d’inconvénient à ce que le mois de décembre 2011 soit remplacé par le mois de juin de la même année. Qu’en est-il ?

Enfin, l’achèvement du processus en 2013, comme le demande le rapporteur, me semble s’imposer. On ne peut pas s’engager dans la campagne municipale alors qu’il subsiste des interrogations sur le périmètre des intercommunalités.

M. Sylvia Pinel. Nous devons nous prononcer sur la création des conseillers territoriaux sans avoir un véritable débat de fond. La réforme des collectivités territoriales, qui porte atteinte à la démocratie de proximité, est en effet tronçonnée entre plusieurs textes.

Pour le moment, nous ne connaissons ni les compétences, ni le nombre exact de ces futurs conseillers. Ce que vous nous proposez manque, en outre, de logique : la question des compétences aurait logiquement dû vous conduire à vous interroger sur les finances locales, mais nous ne l’avez pas fait. C’est donc le plus grand désordre qui règne.

Bien que le mode d’élection des conseillers territoriaux et les critères du découpage électoral demeurent dans le flou, le système retenu tend à consacrer la bipolarisation de la vie politique ; il menace le pluralisme et risque de mettre à mal les partis politiques minoritaires. Vous comprendrez que les radicaux de gauche y soient opposés.

Je ne reviendrai pas sur la question de la parité, déjà abordée par d’autres intervenants, mais j’observe que le nouveau mode de scrutin pourrait remettre en cause le principe de parité au sein des exécutifs régionaux.

Les conseillers territoriaux ne seront plus des élus de proximité, alors que c’était le cas des conseillers généraux ; et contrairement aux conseillers régionaux, ils n’auront pas de vision stratégique en matière de développement.

M. Dussopt a évoqué le pouvoir exorbitant qui sera demain confié aux préfets : il s’agit de reprendre en main les collectivités territoriales et d’opérer une recentralisation, en particulier dans le cas des intercommunalités. C’est une grave erreur, car l’intercommunalité repose sur les principes de l’adhésion volontaire et de la concertation. Elles ne peuvent fonctionner que sur la base du volontariat.

Il me paraît également très surprenant de chercher à supprimer les financements croisés : l’État est le premier à solliciter les collectivités pour réaliser des projets structurants, comme la ligne à grande vitesse dans la région Midi-Pyrénées. On peut, en outre, s’inquiéter de la suppression de la clause générale de compétence, outil essentiel au service des départements et des régions pour adapter les politiques d’aménagement du territoire et pour prendre en compte les besoins locaux. Les élections de mars dernier ont démontré que nos concitoyens étaient attachés à la façon dont les élus régionaux et départementaux aménagent les territoires et mènent leurs politiques.

En dernier lieu, j’aimerais quelques éclaircissements sur l’alinéa 5 de l’article 35, relatif au département. Leur rôle de garant de la solidarité sociale et territoriale est certes consacré, mais jusqu’à quand et comment ? Les dotations de l’État aux départements sont insuffisantes pour faire face aux dépenses sociales, en particulier en cette période de crise économique. Quelle réponse comptez-vous apporter à cette situation qui en train de conduire les conseils généraux à la faillite ?

Mme Elisabeth Guigou. Sans contester les mérites de M. Mercier et de M. Marleix, je trouve très dommage, et pour tout dire inadmissible, que le ministre de l’intérieur s’en aille avant la fin d’une audition de cette importance. S’il était resté jusqu’au bout, il aurait peut-être compris qu’il valait mieux éviter les arguments éculés. Comment peut-il nous accuser d’immobilisme ? Je ne vais pas entrer dans le détail des propositions que nous avons faites mais je voudrais quand même en donner un aperçu, le Gouvernement ne prenant visiblement pas la peine d’en prendre connaissance.

Il est regrettable que l’on n’ait pas recherché le consensus sur cette réforme. Trente ans après les grandes lois de décentralisation Mauroy-Defferre, dix ans après la loi sur l’intercommunalité, il y forcément des améliorations à apporter, dès lors que l’on veut parfaire la décentralisation et parachever l’intercommunalité. Mais il n’y a pas eu de véritable concertation. J’ai accompagné la première secrétaire du Parti socialiste à une audition par le comité Balladur, qui n’a duré que trois quarts d’heure ; la rencontre avec MM. Hortefeux et Marleix a duré à peu près le même temps. Et pour parvenir à un consensus, il aurait fallu commencer par s’entendre sur les objectifs d’une réforme.

Ceux que vous affichez ne seront pas atteints. Vous parlez de simplification et de modernisation, mais vous faites exactement le contraire : avec la création des conseillers territoriaux, vous organisez la confusion des fonctions et celle des mandats, alors qu’il faudrait restreindre les possibilités de cumul ; et vous allez aboutir à l’exploit d’affaiblir à la fois la région et le département. Sans revenir sur les arguments excellemment avancés par mon collègue Michel Vauzelle concernant les régions, je constate, concernant les départements, que vous allez éloigner l’élu de son territoire, alors que le département est le cadre des politiques de proximité et d’action sociale. La gestion du RMI et du RSA n’a rien à voir en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine !

La création des conseillers territoriaux ne permettra pas de réaliser des économies : pour les accueillir, il va falloir construire de nouveaux hémicycles ou faire des travaux d’aménagement ; et il faudra bien les indemniser, le cumul de leurs fonctions les empêchant d’avoir une quelconque autre activité.

Enfin, ce texte est une honte en ce qui concerne la parité. Et je trouve encore plus honteux que le Gouvernement prétende se rattraper par le mode de scrutin communal. On voit bien la hiérarchie : aux femmes, on veut bien laisser des mandats municipaux, de préférence dans les plus petites communes, mais les choses sérieuses reviennent aux hommes !

Cerise sur le gâteau, les risques d’inconstitutionnalité sont sérieux. Vous piétinez allègrement le principe de libre administration des collectivités territoriales, celui de leur autonomie financière, ainsi que l’objectif de parité.

Vos véritables objectifs sont camouflés car ils sont inavouables.

Le premier est électoral. C’est ce qui vous conduit à proposer un mode de scrutin très particulier.

Le deuxième est de mettre les collectivités territoriales sous la toise. Le Premier ministre a d’ailleurs déclaré un jour que les collectivités allaient, elles aussi, devoir supprimer un fonctionnaire sur deux. Mais c’est oublier que les collectivités financent les trois quarts des investissements publics, alors même que leur dette ne dépasse pas 10 % de celle de l’État ; c’est aussi oublier que les dépenses des collectivités territoriales sont restées stables, hors transferts, au cours des trente dernières années, comme l’a établi la Cour des comptes. On ne peut donc pas employer l’argument du gaspillage.

Pour notre part – et j’invite M. Hortefeux à prendre connaissance de nos propositions – nous voulons une vraie réforme, non une pseudo-réforme ou une contre-réforme revenant sur la décentralisation.

Tout d’abord, nous considérons que pour clarifier la situation, il faut poursuivre la spécialisation des compétences, déjà grandement engagée. C’est possible, avec la désignation de chefs de file afin de coordonner les financements – cette notion figure d’ailleurs dans l’article 35 adopté par le Sénat.

Que va-t-il se passer si l’on interdit les financements croisés ou si l’on demande à une commune d’apporter 50 % des fonds en matière d’activités culturelles ou sportives ? Un grand nombre d’associations risquent de disparaître. Elles commencent à en prendre conscience, ce qui est heureux. Croyez bien que nous aller les y aider.

Par ailleurs, nous sommes pour l’élection au suffrage universel des intercommunalités et nous ferons des propositions très précises en matière de parité.

S’agissant des finances et de la fiscalité locales, vous faites totalement fausse route. Du fait de la suppression de la taxe professionnelle – qu’il fallait remplacer, mais ce n’est pas la question – il manquera entre 5 et 6 milliards d’euros par an dans les budgets des collectivités territoriales. Nous faisons de la péréquation un préalable ; nous voulons rétablir l’équilibre entre l’impôt sur les ménages et l’impôt sur les entreprises ; nous voulons également rétablir le lien entre l’impôt sur les entreprises et les territoires ; enfin nous voulons que l’impôt des ménages tienne compte de leurs revenus. 

Nous souhaitons aussi renforcer les intercommunalités et les métropoles, volet du texte sur lequel nous ferons preuve d’un esprit très constructif.

M. Bruno Le Roux. La pierre angulaire de ce texte – et peut-être la seule mesure qui vous importe vraiment – est la création des conseillers territoriaux. Nous combattrons cette disposition et nous la remettrons en cause si les électeurs nous donnent la majorité en 2012.

Nous avons l’impression que vos propositions sur le mode de scrutin dépendent de votre perception des vents électoraux : après avoir défendu pendant des mois le scrutin majoritaire à un tour, voilà que vous vous ravisez. Vous aviez observé que l’UMP arrivait souvent en tête du premier tour même si elle ne remportait pas l’élection, et vous en aviez conclu qu’il était préférable de n’organiser qu’un seul tour. La majorité ne paraissant pas décidée à soutenir cette solution qui ne respectait pas nos traditions électorales, vous faites machine arrière et vous vous orientez vers un mode de scrutin à deux tours, en ouvrant une réflexion sur les triangulaires.

J’aimerais savoir quel est au juste le problème posé par les triangulaires, plutôt rares du fait des seuils électoraux applicables. Pouvez-vous également nous dire pourquoi vous n’avez pas intégré la parité dans votre réflexion ? C’est une obligation qui devrait nous guider dans le choix des modes de scrutin… Un autre objectif que le législateur pourrait légitimement se fixer serait d’éviter de procéder à un redécoupage électoral, toujours sujet à critiques.

Le choix du scrutin proportionnel avec prime majoritaire permettrait de respecter le principe de parité, d’éviter les redécoupages électoraux, de maintenir un lien entre les élus et les territoires grâce à la constitution de sections d’arrondissement, et de dégager des majorités claires. Avez-vous réellement envisagé ce mode de scrutin, ou bien l’avez-vous d’emblée écarté parce qu’il ne correspond pas aux intérêts du parti aujourd’hui majoritaire ?

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Vous nous avez indiqué les critères retenus pour assurer une égalité de représentation des élus, à savoir la population, l’étendue géographique, le nombre des communes, et vous avez précisé qu’il y aurait un seuil minimal de quinze conseillers. Mais je rappelle qu’on nous avait déjà promis que les départements ruraux conserveraient un minimum de deux députés. Chat échaudé craint l’eau froide !

M. le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. C’est la décision du Conseil constitutionnel. Adressez-vous à ceux qui l’ont saisi.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il a certes été saisi par des députés de gauche, mais c’est de lui-même qu’il a soulevé cette question en particulier.

Si j’en crois une note de Mme Géraldine Chavrier, professeur de droit public à la Sorbonne et directrice du GRALE, le Groupement de recherches sur l’administration locale en Europe, la création des conseillers territoriaux pourrait se heurter à trois motifs d’inconstitutionnalité tirés des alinéas 1, 3 et 5 de l’article 72. Le Gouvernement est-il bien sûr de lui ? Le Conseil constitutionnel a déjà « retoqué » la loi HADOPI et la création de la taxe carbone. Il ne faudrait pas allonger la liste !

M. François Calvet. Le rapporteur et le ministre ayant évoqué la nécessité d’améliorer la compétitivité et l’attractivité du territoire en adaptant nos structures territoriales, je voudrais appeler l’attention sur les zones frontalières, absentes de ce texte, alors qu’elles ont besoin d’outils juridiques adaptés. Le traité de Bayonne est devenu très largement insuffisant. Nous venons, par exemple, de réaliser un hôpital transfrontalier commun à la France et à l’Espagne sous la forme d’un Groupement européen de coopération territoriale (GECT).

L’agglomération de Perpignan ne comptera jamais 450 000 habitants et ne pourra donc jamais constituer une métropole. Une solution pourrait être de considérer que le territoire pertinent s’étend jusqu’à Gérone, en Espagne. Le bassin de population concerné compterait alors un million d’habitants. D’où ma question : avez-vous prévu d’instituer de nouveaux outils de coopération transfrontalière, notamment dans le cadre des métropoles ? Les zones frontalières sont essentielles pour l’attractivité et la compétitivité du pays et elles ont besoin, elles aussi, de « respirations ».

M. Alain Rousset. Aux risques d’inconstitutionnalité évoqués tout à l’heure par notre collègue, on pourrait certainement ajouter des motifs tirés de la Charte européenne de l’autonomie locale, adoptée en 1985 et désormais invocable en droit national.

On voit bien que les budgets des régions et des départements sont très différents – pour plus de 90 % des dépenses – et que le véritable couple n’unit pas les départements et les régions, mais ces dernières et l’État. Faut-il rappeler l’ampleur des financements croisés qui sont réalisés en vertu des contrats de projet État – régions (CPER) ? S’il y a aujourd’hui un vrai besoin de simplification, c’est à propos des relations entre l’État et les collectivités locales, et non des relations entre les collectivités locales elles-mêmes.

Comment les conseillers territoriaux feront-ils pour participer aux différentes instances auxquelles ils devront siéger ? Je pense par exemple aux conseils d’administration des lycées, des collèges, des universités et des maisons de retraite. C’est matériellement impossible !

Il y aura, en outre, une moins grande proximité entre les élus et les territoires, quand bien même les assemblées régionales deviendraient pléthoriques – et ce sera le cas si l’on fixe à 15 le nombre minimum de conseillers territoriaux par département, tout en cherchant à respecter le principe d’égalité.

Je pourrais très bien comprendre que l’on souhaite améliorer le mode d’élection des conseillers généraux et des conseillers régionaux, mais pourquoi créer un être aussi bâtard et contradictoire que le conseiller territorial ? Comme vous ne pourrez pas supprimer complètement la clause générale de compétence des collectivités territoriales, du fait de l’opposition du Sénat, il ne restera de ce texte que la création de cet objet politique non identifié. Même sur la question de l’intercommunalité, vous manquez d’audace.

Or les deux problèmes actuels sont l’émiettement communal et la faiblesse des régions. Or l’émiettement communal va demeurer, le Sénat s’opposant à toute évolution sur ce sujet ; quant aux régions, vous en organisez la casse. J’ignore ce que cette entreprise vous rapportera.

Alors que nous étions parvenus à limiter la compétition entre les territoires à l’intérieur des régions, tous ces efforts vont être remis en cause avec l’instauration des métropoles. Elles se lanceront naturellement dans une compétition pour attirer les entreprises. Qui a donc pu vous inspirer une telle mesure ? Vous devriez savoir que l’aménagement économique ne se limite plus au développement des zones d’activité et à l’acquisition de matériels : le cœur du problème est désormais la recherche, l’innovation, la formation et les pôles de compétitivité. Comment organiser des synergies si les métropoles aspirent les compétences des régions en matière de développement économique ?

On peut évidemment chercher à améliorer notre organisation territoriale, mais il faut être conscient qu’elle fonctionne plutôt bien. Selon le Moniteur, 40 % de l’effort de relance a d’ailleurs été réalisé par les collectivités territoriales, contre 4 % par l’État. Regardez où en sont nos villages, malgré leurs difficultés, et nos zones d’activités. Qui finance le câblage en très haut débit et les opérations d’incubateurs et de pépinières d’entreprises ?

Nous avons besoin de clarifier la gouvernance territoriale. Qui assure la gouvernance de l’innovation, objet d’un récent rapport de l’inspection des finances ? Qui assure la gouvernance du logement ? Qui assure celle de l’emploi ?

J’aimerais savoir quel usage a été fait du rapport Lambert, ou encore du rapport Warsmann, qui montrait que la décentralisation ne produit pas un jardin à la française. Quand on considère ce texte, dont le seul résultat tangible sera de créer les conseillers territoriaux, on peut se demander quelle sera alors la cohérence du travail réalisé par les parlementaires.

M. Victorin Lurel. Tel qu’il est aujourd’hui rédigé, l’article 1er n’est pas applicable en Guadeloupe et à La Réunion, car l’article 73 de la Constitution impose une consultation préalable des populations pour créer une assemblée délibérante unique.

Certains suggèrent une solution absolument loufoque consistant à faire présider cette assemblée unique par un président de département et un président de région distincts... Il y aurait pire encore que le statut de Paris !

Même en Martinique et en Guyane, où il y a eu une consultation, vous ne pourrez pas appliquer directement le texte.

Nous avons donc déposé un amendement pour tenter d’améliorer sur ce point le projet, dont par ailleurs nous condamnons la philosophie générale.

M. Emile Blessig. On ne peut qu’approuver les principes généraux de la réforme. Mais au-delà des couples formés d’un côté par les communes et les intercommunalités, et de l’autre par les départements et les régions, il convient également d’assurer un équilibre entre les espaces ruraux et urbains.

Il existera quatre structures de coopération en milieu urbain : la métropole, le pôle métropolitain, la communauté d’agglomération et la communauté urbaine. Pour les milieux ruraux, il existe l’intercommunalité, mais ce ne saurait être le seul cadre pertinent de contractualisation. Il faut pouvoir constituer des espaces pertinents infra-départementaux et infra-régionaux. Je ne me bats pas pour telle ou telle structure, mais il est indispensable de répondre à cet enjeu.

M. Patrice Verchère. Permettez-moi de revenir sur l’élection des conseillers territoriaux. Il faut bien sûr prendre en compte le critère de population, mais aussi la composition des territoires. Il existe en effet des départements ruraux ou semi-ruraux comptant une grosse agglomération. Dans le Rhône, par exemple, coexistent des cantons de 4 000 habitants très ruraux et d’autres beaucoup plus peuplés. Il faut également prendre en compte la superficie des territoires, certains d’entre eux étant immenses, alors que d’autres sont de taille très réduite.

Les conseillers territoriaux devant exercer deux fonctions, ou en tout cas deux mandats aujourd’hui différents, quid des conditions de cumul ? Comment un conseiller territorial qui exercerait un autre mandat pourra-t-il assurer une présence partout dans son territoire et s’acquitter de toutes ses tâches ?

Les mesures relatives à la création de communes nouvelles me paraissent fort utiles : des communes peuvent effectivement souhaiter se regrouper. Il n’en reste pas moins que c’est parfois une solution assez coûteuse, car il faut aménager des équipements communs et des mairies annexes. Avez-vous prévu, comme l’avait fait la loi Marcellin, une majoration des dotations de l’État pendant une période transitoire ?

L’achèvement de la carte de l’intercommunalité va dans le bon sens, mais la Cour des comptes a relevé que le développement de l’intercommunalité s’est accompagné d’une forte augmentation des dépenses de personnel. La Cour avait demandé que l’on améliore l’information financière disponible et que l’on établisse des comparaisons avec les comptes des communes membres. Or, je ne vois rien de tel dans le texte. Nous avons besoin de réaliser un bilan non seulement sur les compétences, mais aussi sur les transferts financiers opérés dans le cadre de l’intercommunalité.

M. le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Merci à tous pour la richesse de vos interventions, auxquelles nous allons nous efforcer de répondre.

M. le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Dans sa rédaction initiale, le projet de loi prévoyait le renvoi à une ordonnance pour la Guadeloupe, mais le Sénat a supprimé cette disposition. Rien n’interdira à l’Assemblée de la rétablir. J’ajoute que Paris offre déjà l’exemple d’une collectivité territoriale qui est à la fois une commune et un département.

M. Victorin Lurel. Le problème est que nous n’aimons guère les ordonnances, surtout sur un sujet aussi important.

M. le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. La création des conseillers territoriaux est l’une des principales dispositions de cette réforme – pourquoi le cacher ? On nous accuse de manquer d’audace en ne touchant pas aux structures actuelles. Il est vrai que nous ne les modifions pas en tant que telles, mais nous avons prévu que les mêmes élus gèreront les départements et les régions, comme c’est déjà le cas pour les communes et les intercommunalités.

Je suis tout à fait d’accord avec l’idée, rappelée par Alain Rousset, que la décentralisation n’est pas un jardin à la française. Ce sera aux conseillers territoriaux d’établir le mode de fonctionnement propre à leur région. Il n’y a pas de raison que le partage des compétences soit mis en œuvre de façon identique partout : cela pourra varier selon les besoins de chaque département.

J’ajoute que les conseillers territoriaux seront bien connus des électeurs, contrairement aux conseillers régionaux. Ce n’est pas cela qui nuira à l’efficacité de leur action et à leur proximité avec la population, bien au contraire. J’habite dans une partie du département du Rhône dont aucun conseiller régional n’est originaire depuis vingt ans. Nos concitoyens ont envie de savoir qui les représente au niveau de la région. Ce sera désormais possible grâce à ce texte, ce qui constitue un vrai progrès.

Ne jetez pas cette innovation au panier, sous le prétexte que le conseiller territorial ne serait qu’un conseiller cantonal, incapable d’avoir une vision d’ensemble. Si c’était le cas, les députés n’auraient pas de vision nationale puisqu’ils sont, eux aussi, élus dans des circonscriptions… De même que les députés ont la capacité d’élaborer des politiques nationales, les conseillers territoriaux seront tout à fait en mesure d’établir des politiques locales et régionales. En attaquant si injustement les conseillers territoriaux, vous attaquez en réalité tous ceux qui sont élus au scrutin uninominal à deux tours dans le cadre d’une circonscription.

M. Caresche nous a interrogés sur le statut de Paris. Il va de soi que la réponse dépendra du mode de scrutin finalement retenu. Il faut donc attendre que toutes les forces politiques aient participé à la consultation organisée par le Premier ministre et qu’un arbitrage soit rendu. Cela étant, nous sommes pleinement conscients des difficultés particulières de Paris, où les fonctions municipales et départementales ont été réunies, ce qui n’est pas le cas dans le reste de la région.

M. Christophe Caresche. Dans l’état actuel du texte, est-il exact que Paris aura des conseillers territoriaux ?

M. le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. C’est exact.

La question des compétences, objet de l’article 35 du projet de loi, a été évoquée par beaucoup d’entre vous. Le ministre de l’intérieur a indiqué tout à l’heure que nous étions prêts à travailler ensemble sur cet article. Nous ne nous satisfaisons pas, en effet, de la version du texte adoptée par le Sénat. Et il va de soi que les communes continueront à bénéficier de la clause générale de compétence.

Il est inexact de prétendre que nous allons demander aux communes de financer au moins 50 % des opérations qui les concernent. Nous comptons en rester à l’état du droit résultant d’un décret de 1999, qui impose aux communes maîtres d’ouvrage d’apporter 20 % du financement des opérations. Nous n’envisageons pas d’autre règle pour les communes de moins de 2 000 habitants.

M. Bernard Derosier. De quel décret s’agit-il ? Les préfets ne doivent manifestement pas le connaître…

M. le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Comme nous l’avons déjà indiqué à de nombreuses reprises, le financement des associations sportives et culturelles continuera à être assuré, mais nous souhaitons que ce soit aux conseillers territoriaux d’arbitrer dans chaque ensemble régional. Il n’y a pas lieu de fixer les mêmes règles partout.

M. Bernard Derosier. Mais les conseillers territoriaux n’en auront jamais le temps !

M. le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Nous sommes plusieurs à avoir appartenu à des conseils généraux et régionaux en même temps. C’est tout à fait possible.

M. le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Nous tiendrons naturellement compte des différents territoires, les uns urbains et les autres ruraux. Les principaux critères retenus seront en effet le territoire, la population et les communes. La difficulté de l’exercice est que nous ne pouvons pas procéder à un « formatage » semblable à celui des circonscriptions législatives – nous avions pris en compte le seul critère de population, et attribué un député par tranche de 125 000 habitants en moyenne. En raison des très grandes disparités entre les régions, il ne saurait exister de norme que régionale pour l’élection des conseillers territoriaux. Je rappellerai seulement que le nombre des conseillers généraux varie du simple au triple dans des régions comptant un même nombre d’habitants.

Les dispositions relatives à la création des communes nouvelles sont destinées à remplacer la loi dite « Marcellin », aujourd’hui obsolète – on ne compte qu’une vingtaine ou une trentaine de fusions de communes par an. Alors même que les nouvelles règles ne sont pas encore en vigueur, nous avons reçu des courriers adressés par des communes intéressées, notamment celle de Saint-Émilion. Nous avions déjà constaté, à l’occasion de déplacements en province, que de nombreuses petites communes pourraient envisager la création de communes nouvelles sur la base du volontariat, avec l’accord des conseils municipaux et éventuellement après consultation des populations concernées.

Nous avions prévu, dans la rédaction du texte déposé par le Gouvernement, une majoration pour les communes nouvelles au titre de la dotation globale de fonctionnement (DGF), mais elle a été supprimée par le Sénat. Vous pourrez naturellement rétablir, par voie d’amendement, cette incitation qui avait été très bien accueillie par les acteurs concernés.

La coopération transfrontalière est évidemment très importante. La loi dite Mauroy avait d’ailleurs été adoptée à l’unanimité au Sénat, ce qui est suffisamment rare pour être signalé. Il y a aujourd’hui beaucoup d’exemples de coopérations transfrontalières en France. Un hôpital transfrontalier a ainsi été inauguré il y a quelques jours dans le Nord de la Cerdagne, et le recours aux GECT a permis un certain nombre d’autres réalisations concrètes, notamment à Dunkerque et entre le Luxembourg et le Nord de la Lorraine. Le Gouvernement souhaite la diffusion et l’application de cet outil très innovant qu’est le GECT dans l’ensemble des territoires transfrontaliers.

M. le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. La question des pays et des intercommunalités est assez délicate. Les pays sont bien implantés et fonctionnent efficacement dans un certain nombre de territoires, notamment en Bretagne et en Alsace, mais ce n’est pas le cas partout. Il est prévu que les pays continueront à exister là où ils marchent bien ; on ne peut pas accepter, en revanche, la constitution de pays dans le seul but d’obtenir des subventions.

Les intercommunalités sont de tailles très différentes. Je me suis récemment rendu, en Charente-Maritime, dans une intercommunalité comptant 126 communes, ce qui en fait un véritable pays. Certaines intercommunalités sont, au contraire, composées de trois communes ; il s’agit souvent de communes riches ne souhaitant pas partager avec d’autres. L’un des objectifs de la réforme est précisément de favoriser le partage sur des territoires aussi pertinents que possible, définis dans le cadre d’un dialogue entre les préfets et les élus.

Faut-il créer des structures supplémentaires alors qu’il existe déjà bien des possibilités ? Les « pôles métropolitains » existent depuis longtemps sous la forme de syndicats mixtes. Si deux communautés de communes rurales décident de s’allier, nul ne les empêche de le faire, sous quelque nom que ce soit. En revanche, il ne nous a pas semblé souhaitable que l’on continue à créer des pays.

M. le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Les pôles métropolitains sont souhaités par des élus de tous bords désireux de travailler ensemble. Le maire de Lyon, M. Gérard Collomb, souhaite ainsi réaliser une coopération avec Grenoble et Saint-Étienne, et il existe un projet entre les villes de Metz, de Nancy, de Thionville et d’Epinal. On ne peut qu’être favorable à ce type de projets entre grandes villes.

M. le président Jean-Luc Warsmann. L’idée générale est de s’attaquer au « millefeuille » territorial. Or le texte tel qu’il revient du Sénat – très éloigné des conclusions de la mission d’information que nous avions constituée au sein de la commission des lois – crée une strate supplémentaire. Par ailleurs, il ne saurait y avoir de métropoles dans l’ensemble du pays : elles doivent être structurantes ; il ne doit pas s’agir d’un label, et il faut que le principe de continuité territoriale y soit garanti.

M. le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Le Gouvernement est sur la même ligne que vous. Il ne s’agira pas d’un label, mais d’une structure nouvelle.  

M. le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Concernant les préfets, il y a eu une longue discussion au Sénat sur les pouvoirs qui leur seraient accordés pour régler, avec la commission départementale de la coopération intercommunale (CDCI), les derniers cas litigieux, souvent en souffrance depuis des années, avant le 31 décembre 2013. Ce sont évidemment de mesures exceptionnelles et transitoires ; il n’est pas question de pérenniser ces pouvoirs donnés aux préfets.

M. Philippe Vuilque. Je demandais si vous étiez favorable à ce que l’on « muscle » l’article 16 afin d’éviter une intercommunalité par défaut. Que se passera-t-il si une commune se heurte à des refus ?

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je crois comprendre qu’il s’agit, dans le cas auquel vous songez, d’entrer dans une intercommunalité avec centrale nucléaire ou dans une autre sans centrale…

M. Philippe Vuilque. Ma commune, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, participe depuis des années à la coopération intercommunale, mais on lui refuse d’entrer dans l’intercommunalité. Il ne faudrait pas qu’on nous demande de rejoindre, par défaut, une autre intercommunalité au mépris de la cohérence territoriale et des bassins d’emploi. Le problème que je soulève peut concerner d’autres communes.

M. le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Nous en discuterons avant le débat en séance publique.

M. le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Dernier point : un minimum de 15 conseillers territoriaux par département nous paraît correspondre aux conditions d’une bonne gouvernance d’un conseil général. C’est le nombre de conseillers généraux du plus petit département de France, le Territoire de Belfort. Nous avons retenu un nombre impair, conformément au vœu de l’ADF depuis des années.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Merci beaucoup pour cet échange.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Bruno Le Roux, rapporteur sur proposition de loi de MM. Bruno Le Roux, Jean-Marc Ayrault et Mme Élisabeth Guigou et plusieurs de leurs collègues visant à renforcer l’exigence de parité des candidatures aux élections législatives (n° 2422).

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La séance est levée à 19 heures 45.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jacques Alain Bénisti, M. Émile Blessig, M. Claude Bodin, M. François Calvet, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. François Deluga, M. Bernard Derosier, M. Julien Dray, M. Olivier Dussopt, M. Guy Geoffroy, M. Charles-Ange Ginesy, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Houillon, M. Michel Hunault, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Bruno Le Roux, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Dominique Perben, Mme Sylvia Pinel, M. Didier Quentin, M. Bernard Roman, M. Jean-Pierre Schosteck, M. Éric Straumann, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. André Vallini, M. Patrice Verchère, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. Philippe Vuilque, M. Jean-Luc Warsmann, M. Michel Zumkeller.

Excusés. - M. Abdoulatifou Aly, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Jo Zimmermann.

Assistaient également à la réunion. - M. Christophe Caresche, Mme Élisabeth Guigou, Mme Monique Iborra, M. Victorin Lurel, M. Jean Mallot, M. Alain Rousset, M. Michel Vauzelle, M. Michel Vaxès