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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 5 mai 2010

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 56

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Édouard Balladur, ancien Premier ministre, Président du Comité pour la réforme des collectivités locales 

– Examen, en nouvelle lecture, du projet de loi organique, modifié par le Sénat en deuxième lecture, relatif à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (M. Charles de la Verpillière, rapporteur) (n° 2377).

– Amendements examinés par la Commission

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Édouard Balladur, ancien Premier ministre, Président du Comité pour la réforme des collectivités locales.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le Premier ministre, le Président de la République vous a confié en 2008 la présidence d’un comité chargé d’étudier les mesures propres à simplifier les structures des collectivités locales, à clarifier la répartition de leurs compétences et à permettre une meilleure allocation de leurs moyens financiers. Vous avez rendu votre rapport le 5 mars 2009 : il comprenait de nombreuses et intéressantes propositions, parmi lesquelles il convient de retenir la désignation par une même élection à partir de 2014 des conseillers régionaux et départementaux, l’achèvement de la carte de l’intercommunalité, la création de métropoles ou la transformation d’intercommunalités en communes nouvelles.

Nous souhaitons connaître aujourd’hui votre opinion sur l’état actuel du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, issu des travaux du Sénat et dont la commission des lois de l’Assemblée nationale sera saisie la semaine prochaine.

M. Édouard Balladur, président du Comité pour la réforme des collectivités locales. L’idée générale qui avait présidé à nos travaux était de déclencher une évolution fondamentale devant conduire à terme à une coopération plus étroite, non seulement entre les régions et les départements, mais également entre les communautés de communes et les communes. Nous avons exclu toute suppression d’un échelon d’administration locale, préférant la progressivité et l’incitation à l’obligation et à l’interdiction.

Nous avons élaboré un schéma dont les aspects juridiques portaient, notamment, sur la représentativité et le mode d’élection. Il comportait des incitations assez fortes au regroupement, notamment des départements ou des communes, tout en se montrant ambitieux pour la création de nouvelles métropoles et leur contenu.

Le Président de la République et le Gouvernement ont retenu, de ce rapport, l’inspiration générale ainsi que quelques modalités précises. Après le passage du projet de loi devant le Sénat, l’Assemblée nationale en est à son tour saisie.

Le texte est si dense que je préfère me limiter à trois points : le mode d’élection du conseiller territorial ; les compétences ; les questions relatives à l’autonomie communale, aux métropoles et à l’avenir des communautés de communes.

Je précise que je m’exprime à titre personnel et n’entends pas engager par mes propos le comité que j’ai présidé puisqu’il ne s’est pas réuni depuis la remise de son rapport, il y a une quinzaine de mois. Durant cette période, de nombreux événements se sont déroulés.

Le Sénat ayant adopté en première lecture la création du conseiller territorial, je tiens à rappeler la proposition initiale du comité relative à son mode d’élection : la représentation proportionnelle avec une prime accordée à la liste arrivée en tête. Le cadre de cette représentation proportionnelle n’aurait toutefois pas été départemental, mais infradépartemental, sauf pour les départements les moins peuplés. Ni le Gouvernement ni le Sénat n’ont repris cette proposition, au motif qu’elle aurait coupé le lien intime qu’il convient de maintenir entre les élus départementaux et les populations. Il faut donc trouver autre chose.

On a émis l’idée de combiner deux modes de scrutin : l’actuel système cantonal pour 70 % à 80 % des élus, et un système de liste pour les 20 ou 30 % restants. Toutefois, d’aucuns ont émis des réserves sur la constitutionnalité d’une telle combinaison, arguant qu’une assemblée ne pouvait être recrutée selon deux modes de scrutin différents. Tel est pourtant le cas du Sénat, dont, il est vrai, personne n’a jamais jugé de la constitutionnalité du mode de recrutement. Si d’aventure la constitutionnalité de l’élection des sénateurs était invoquée par le biais de l’exception d’inconstitutionnalité, la question se poserait en des termes différents. Pour ma part, je ne vois pas pourquoi la Constitution devrait interdire le recrutement mixte d’une assemblée. Du reste, le Sénat a adopté une disposition allant en ce sens et il appartiendra bientôt à l’Assemblée nationale de se prononcer sur le sujet.

À l’heure actuelle, aucune majorité ne semble se dessiner en tout cas pour voter la suppression du mode d’élection cantonal. Je le regrette, mais c’est un fait. Afin d’éviter une trop grande dissémination, certains seraient favorables à l’adoption d’un mode de scrutin comparable au scrutin présidentiel, dans lequel ne seraient habilités à demeurer présents au second tour que les deux candidats arrivés en tête au premier tour. Je crains qu’une telle disposition ne soit un peu brutale. À titre personnel, je préférerais une augmentation du pourcentage d’électeurs inscrits nécessaire pour se maintenir au second.

Deux problèmes se posent : celui de la représentation des forces politiques les moins importantes et celui de la parité.

C’est un fait : le scrutin uninominal s’accommode moins aisément de la parité que le scrutin de liste. Toutefois, si le raisonnement était poussé à son terme, dès lors que le principe de parité est inscrit dans la Constitution, seul le scrutin de liste serait légitime pour tous les types d’élection, ce qui ne manquerait pas de poser un problème pour l’élection présidentielle ! Il convient donc de trouver un système permettant de préserver autant que faire se peut le principe de parité. J’ai suggéré – il ne me semble pas que le Sénat ait retenu cette solution – que la parité soit exigée au sein des exécutifs locaux, ce qui, par voie d’extension, obligerait les partis à la respecter dans le choix des candidatures et donc au sein des assemblées délibératives. La loi pourrait également prévoir des sanctions financières à l’encontre des partis qui ne respecteraient pas la parité dans les candidatures. Cette solution est loin d’être entièrement satisfaisante – j’en conviens –, du fait qu’il existe de bonnes et de mauvaises circonscriptions et que le principe de parité des candidatures ne pourrait s’entendre que des circonscriptions dans leur ensemble.

En ce qui concerne les forces politiques les moins importantes, elles pourraient s’estimer maltraitées par le maintien d’un scrutin cantonal, surtout si le pourcentage des voix exigé pour se maintenir au second était augmenté. Il s’agit d’un problème politique, certes, mais également juridique, voire constitutionnel, sur lequel il vous appartiendra de délibérer.

Je me suis rallié au scrutin proportionnel dans le cadre départemental : je n’y étais pas favorable à l’origine, mais c’est celui qui présente le plus grand nombre d’avantages et je regrette qu’il ne soit pas en mesure d’être adopté. Il vous faudra donc aménager un scrutin majoritaire cantonal, qui appelle, me semble-t-il, un redécoupage de la carte des cantons, afin d’éliminer les distorsions les plus criantes. Ce faisant, il vous faudra décider également d’augmenter, ou non, le pourcentage des voix obtenues au premier tour, ou prévoir une part de proportionnelle afin que les forces politiques les moins importantes conservent une représentation dans l’administration territoriale.

La question des compétences est d’autant plus compliquée – j’en parle devant M. Vaillant, ancien ministre de l’intérieur – qu’elles sont des milliers et que plusieurs dizaines d’entre elles voient leur champ modifié chaque année par le législateur, dans le cadre, notamment, des lois de finances.

Le Parlement n’est pas, à mes yeux, en mesure de trancher aujourd’hui dans le détail. Il peut en revanche fixer quelques principes, le législateur ayant ensuite quatre années pour préciser les choses : si la réforme est définitivement adoptée, elle n’entrera en application qu’en 2014, après le franchissement de plusieurs échéances politiques.

Dans l’immédiat, le législateur devrait prendre position sur la clause de compétence générale, une des propositions contestées du rapport. À mes yeux, la compétence générale est la source principale des confusions, voire des conflits qui caractérisent l’administration territoriale. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé de réserver la clause de compétence générale aux communes et de la supprimer pour les départements et les régions. En contrepartie, le législateur devrait tout d’abord fixer les grandes catégories de compétences spécifiques entre la commune – compétence générale –, le département – les questions sociales notamment – et la région – entres autres grandes compétences, le développement économique –, ce qui lui donnerait le temps nécessaire pour élaborer, d’ici quelques mois et, en tout état de cause, avant 2014, une série de lois ou une loi plus générale visant à régler les détails, car il ne me paraîtrait pas judicieux de recourir aux ordonnances, comme d’aucuns l’ont suggéré. Dans l’état actuel des choses, je ne vois pas le Parlement faire à ce point confiance à quelque gouvernement que ce soit pour laisser à celui-ci le soin de fixer les compétences spécifiques des collectivités territoriales.

Quant à la création de nouvelles communes et de nouvelles métropoles, elle pose la question fondamentale de savoir si l’existence d’une commune dépend de l’exercice de son pouvoir fiscal. Le comité avait considéré qu’en cas de création de métropoles, voire de communautés de communes prenant une forme nouvelle, donner à une commune la possibilité de transférer une grande partie de son pouvoir fiscal ne mettait pas fin à son existence en tant que telle. Cette proposition n’a pas soulevé l’enthousiasme du Sénat.

À mes yeux, il convient, en la matière, de ne recourir ni à l’obligation ni à l’interdiction, mais de faire confiance à l’évolution naturelle des choses. C’est pourquoi je vous suggère d’inscrire dans le texte des dispositions permettant à des communes, à des communautés de communes ou à des métropoles de conclure entre elles des accords qui ne leur interdisent pas de transférer des compétences fiscales mais laissent libre cours à la diversité des situations. Il ne s’agit pas tant d’éluder une difficulté que de reconnaître humblement que personne n’a, ni sur le plan pratique, ni sur le plan intellectuel, de solution toute faite pour la résoudre immédiatement, surtout par voie autoritaire. C’est ce qu’avait conclu un ministre qui, alors que le comité n’avait pas encore achevé ses travaux, était venu me demander à qui il devrait s’adresser après la réforme des collectivités locales. J’avais pris la précaution de faire établir un tableau des compétences de chacune des collectivités – communes, départements, régions –, ce qui m’avait permis de lui répondre qu’il continuerait, compte tenu de son champ d’action, de s’adresser à chacune d’entre elles. Il était parti rasséréné.

M. Dominique Perben, rapporteur. La question de la répartition des compétences préoccupe les parlementaires qui ont tous une expérience en la matière : du reste, chacun ou presque, en a une conception propre.

Plutôt que d’essayer de trouver une répartition idéale des compétences, il convient d’imaginer des mécanismes permettant une gestion souple et efficace de celles-ci. Il s’agirait, d’ici 2014, de prévoir que lorsqu’une compétence spécifique est clairement attribuée à une collectivité – département ou région –, l’autre la perd. En revanche, en cas de compétence partagée – ce qui est fréquent –, celle-ci pourrait faire l’objet d’un accord entre les deux collectivités.

Une règle de non-cumul entre la région et le département pourrait également être définie pour certaines catégories d’investissements municipaux, avec une exception pour les petites communes qui connaîtront toujours des difficultés pour assumer une part significative de la maîtrise d’ouvrage.

Enfin, des règles d’apport minimum des maîtres d’ouvrage pourraient également être établies, afin de les responsabiliser davantage. Le dispositif devrait, là encore, prendre en considération les problèmes particuliers des petites communes rurales, qui sont très souvent démunies sur le plan financier.

Ces dispositions permettraient de rationaliser l’exercice des compétences et les financements croisés. Tel est le cadre dans lequel je serai conduit à faire des propositions à la commission des lois.

M. Édouard Balladur. Ces propos complètent heureusement les miens : ils vont dans le même sens.

Je le répète : il convient d’établir quelques principes pour fixer les compétences de chaque collectivité puis, comme le propose M. Perben, de prévoir des procédures précises permettant de résoudre les difficultés qui se présenteront. Je me rallierai à sa suggestion.

M. Bernard Derosier. Monsieur Balladur, le comité que vous avez présidé, et dont la mission première était de simplifier les relations entre les différentes collectivités, locales, est une référence pour le projet de loi tendant à les réformer, notamment en ce qui concerne la question des compétences – je pense évidemment à sa proposition de supprimer la clause de compétence générale. À ce sujet, les propos de M. le rapporteur constituent une ouverture.

Vous avez souligné que la mise en œuvre de la clause de la compétence générale était source de « conflits » : pouvez-vous illustrer votre propos ? En tant que praticien de la clause de compétence générale, je n’ai jamais été confronté à de tels conflits.

Ne pensez-vous pas qu’il eût fallu commencer par un projet de loi répartissant les compétences, ce qui aurait permis de simplifier le paysage des collectivités territoriales ?

Le scrutin uninominal rend difficile l’application du principe constitutionnel de parité : aussi avez-vous proposé que celui-ci s’applique à l’exécutif. Or, l’exécutif d’une collectivité territoriale – région, département ou commune – se résume à une personne, président ou maire. Les vice-présidents ou les adjoints forment un collège qui, sur le plan juridique, n’est pas une instance délibérante. La seule instance délibérante existant dans la région et le département, c’est la commission permanente, à laquelle, effectivement, pourrait s’appliquer la parité. Pourriez-vous nous donner des précisions en la matière ?

Par ailleurs, le conseiller territorial sera appelé à siéger dans deux assemblées, ce qui n’est pas sans poser un problème de cumul aggravé, puisque le conseiller territorial, en l’état actuel de la loi, pourra être également conseiller municipal, maire et responsable d’un établissement public de coopération intercommunale. De plus, compte tenu du fait que les lois de la République prévoient la présence d’un représentant du département et de la région dans différentes instances, quelles conséquences aura, selon vous, avec la création du conseiller territorial, la démultiplication des missions prévues par la loi ?

Enfin, l’actualité me conduit à vous demander ce que vous pensez des propos récents de M. François Fillon, un de vos successeurs au poste de Premier ministre, selon lesquels « les élections, ça ne se gagne pas avec des modes de scrutin ».

M. Édouard Balladur. Je vous l’accorde, le mot « conflit », n’était peut-être pas le plus approprié : j’aurais pu parler aussi de « coopérations trop étroites » !

Je ne pense pas, en revanche, qu’il eût été plus simple de préciser les compétences avant de procéder à la réforme : comme je l’ai souligné d’emblée, l’objectif est d’organiser une coopération plus étroite entre départements et régions ainsi qu’entre communes et communautés de communes. Il convenait donc en premier lieu de définir les structures avant de s’attaquer aux compétences.

S’agissant de la parité, ne jouons pas sur les mots ! Le président de la région ou du département est entouré de vice-présidents qu’il consulte et qui forment donc, à ce titre, un « collège exécutif ». Il en est de même du maire et de ses adjoints. La solution que je présente conduirait à étendre l’application du principe de parité puisque le fait que le « collège exécutif » respecte celle-ci impliquerait que l’assemblée délibérante dans lequel il est choisi, s’en approche également.

Quant à la question du cumul, mon expérience conjointe, durant dix-huit années, de conseiller municipal et de conseiller général de Paris me permet de vous répondre que vos craintes sont infondées. L’actuel maire de Paris n’est-il pas également président du conseil général ?

M. Bernard Derosier. Il s’agit d’un même territoire.

M. Édouard Balladur. Certes, mais cela ne fait pas une différence essentielle. S’il le voulait, il pourrait également devenir sénateur.

Quant à la déclaration de l’actuel Premier ministre, sans doute celui-ci a-t-il voulu rappeler qu’il ne suffit pas de changer le mode de scrutin pour gagner une élection : je partage cet avis.

M. Jean-Christophe Lagarde. Avoir attribué à toutes les collectivités la clause de la compétence générale est une erreur qui les a conduites à une mauvaise gestion. Il est par exemple courant que les régions, dans le cadre de délibérations cadres, annoncent qu’elles subventionneront la réalisation d’équipements sportifs ou culturels. Souvent, les départements font de même. Un maire pourra de ce fait créer plusieurs gymnases en se servant du département ou de la région comme de simples tiroirs-caisses ! Une collectivité investira également des fonds dans des domaines éloignés de ses compétences pour de simples raisons électoralistes.

La méthode que vous proposez me paraît toutefois difficile à appliquer : ne pourrait-on pas, dès lors, procéder par exclusion en précisant que la région ou le département n’ont pas vocation à intervenir dans tel ou tel domaine, ce qui permettrait de ne pas restreindre de manière excessive les compétences, tout en évitant qu’elles se chevauchent ?

Par ailleurs, un bon mode de scrutin est à mes yeux un mode mixte qui permet de dégager des majorités tout en assurant la représentation de toutes les sensibilités politiques. Il doit, pour ce faire, être couplé avec une part de proportionnelle suffisante pour, à la fois, améliorer l’application du principe de parité et corriger les excès du scrutin majoritaire en garantissant à nos concitoyens que leur vote sera entendu. Chacun sait que certaines familles politiques profitent, dans l’opinion publique, de leur exclusion de toutes les assemblées ou de certaines d’entre elles pour jouer les martyres.

Enfin, votre proposition visant à assurer la parité au sein du « collège exécutif » sera inapplicable si les électeurs ont le mauvais goût de ne pas élire suffisamment de candidats des deux sexes. Seul un scrutin incluant une part de proportionnelle permettrait de maintenir une réelle parité. Si le législateur supprimait la proportionnelle aux élections régionales tout en maintenant l’actuel mode de scrutin cantonal, il n’y aurait plus aucune élection à la proportionnelle en France, exception faite des élections européennes, dont le mode de scrutin est imposé dans le cadre de l’Union, et des élections municipales. Cela porterait atteinte à la capacité de représentativité des opinions et des familles politiques dans notre pays, appauvrissant du même coup la démocratie.

M. Édouard Balladur. S’agissant de la clause de compétence générale, votre proposition, monsieur Lagarde, visant non pas à la retirer au département et à la région mais à prévoir que ces deux instances ne peuvent pas intervenir dans tel ou tel domaine précis peut être conciliée avec celles de M. Dominique Perben.

À titre personnel, je suis favorable à ce que la commune ou la communauté de communes bénéficient seules de la compétence générale, car cela aurait le mérite de la clarté : les deux autres instances devraient disposer de compétences d’attribution précises.

Vous êtes favorable à un mode de scrutin mixte, pour partie uninominal et pour partie proportionnel. Vous connaissez la proposition du comité à laquelle je me suis rallié : le scrutin proportionnel dans le cadre d’une circonscription infradépartementale, afin de maintenir le lien entre l’élu et les électeurs. Manifestement, cette proposition n’a rencontré aucune majorité ni au Sénat ni à l’Assemblée nationale. Je crains que l’adoption du scrutin mixte n’introduise une complication.

En ce qui concerne ma proposition d’assurer la parité au sein du « collège exécutif », j’avoue qu’il s’agit seulement d’un remède. Je suis prêt à me rallier à toute autre solution s’il en existe – je ne l’ai pas trouvée. En revanche, je suis opposé à la généralisation du scrutin de liste uniquement en vue d’assurer le principe constitutionnel de la parité. La France s’en tire avec difficultés, en recourant soit au scrutin de liste soit au scrutin uninominal, ce qui montre qu’il convient d’interpréter avec souplesse les principes inscrits dans la déclaration des droits et dans le préambule de la Constitution.

M. Michel Hunault. J’ai demandé hier à M. le ministre de l’intérieur de nous indiquer sa position relative à la clause de compétence générale à tous les échelons : selon lui, le Gouvernement n’a pas pour dessein de la remettre en cause.

Il est important, assurément, que le département et la région puissent financer les projets des petites communes, ce qui implique que ces deux instances disposent de la clause de compétence générale. Toutefois, ne s’agirait-il pas d’un recul de l’esprit de la réforme ? Celle-ci aurait-elle encore un sens ?

M. Dominique Perben, rapporteur. Le ministre de l’intérieur a précisé qu’il ne souhaitait pas remettre en cause la clause de compétence générale pour les communes : il n’a parlé ni des départements ni des régions.

M. Pascal Terrasse. Selon vous, monsieur Balladur, il convenait de dessiner les structures avant de définir les compétences : c’est oublier un troisième élément, qui est peu évoqué, à savoir les moyens financiers qui seront affectés aux compétences. On ne saurait en effet dissocier compétences et moyens financiers.

La loi de finances 2011 ne laisse plus aux départements et régions, qu’une autonomie financière au lieu de l’autonomie fiscale, peut-on encore parler de clause de compétence générale ? Convient-il d’attendre 2014 pour redéfinir les compétences alors que nous allons entrer, à partir de 2011, dans une période de trois années qui sera intenable, notamment pour les départements ?

Par ailleurs, j’ai toujours pensé que le décideur devait être le payeur : il appartient à celui qui décide d’engager les moyens financiers que réclament ses choix. Or, j’ai déjà eu l’occasion, à l’invitation de M. Queyranne, de vous interroger à Lyon sur les services départementaux d’incendie et de secours. Les présidents de conseils généraux financent pour l’essentiel les SDIS sans avoir pour autant la capacité de les mobiliser : ce sont les préfets et, accessoirement, les maires, qui en disposent, ce qui provoque des risques de dérapages. Je citerai le cas, dans mon département, d’une rave party qui aura lieu en fin de semaine et pour laquelle le préfet a décidé d’envoyer des bataillons de pompiers : comme me l’a confirmé le ministère de l’intérieur, ils seront financés par le conseil général. Est-ce admissible ? Soit l’État prend en charge les SDIS, soit les départements continuent de les assumer, mais il convient d’en tirer toutes les conséquences.

M. Édouard Balladur. Je n’ai pas dit qu’il fallait attendre 2014 pour régler le problème des compétences : j’ai précisé que nous avions jusqu’en 2014 pour le régler progressivement, ce qui n’est pas la même chose.

En ce qui concerne la question de l’autonomie fiscale, votre raisonnement supposerait qu’on ne saurait exercer la clause de compétence générale en débordant de son rôle traditionnel qu’au prix d’une augmentation de la fiscalité.

M. Pascal Terrasse. Oui.

M. Édouard Balladur. Il n’est pas interdit de faire des économies sur d’autres postes !

Nous avons commencé nos travaux au mois de novembre 2008, soit deux mois avant l’annonce par le Président de la République de sa décision de supprimer la taxe professionnelle, suppression qui ne faisait pas partie de nos propositions. Nous nous sommes alors bornés à souligner qu’une telle suppression ne devait pas priver les collectivités de leurs moyens. La loi qui a été votée sur le sujet a eu pour effet d’augmenter la charge de l’État qui, pour exonérer les entreprises d’une part de la taxe professionnelle, a décidé d’assumer un déficit supplémentaire.

La question est donc bien la suivante : considérez-vous que la clause de compétence générale, qui consiste, pour une collectivité, à exercer une compétence qu’elle n’avait pas l’habitude d’exercer, implique par définition une augmentation de la fiscalité ? Si tel est le cas, je vous répondrai de nouveau qu’il n’est pas interdit de ventiler différemment les dépenses effectuées en vue de dégager des moyens financiers.

Le fait que l’État, les régimes sociaux et les collectivités se trouvent dans une conjoncture économique contraignante sur le plan budgétaire doit nous conduire non pas nécessairement à diminuer nos efforts mais à utiliser différemment les moyens qui sont les nôtres.

Enfin, le décideur doit-il être le payeur, s’agissant notamment des relations entre l’État et le département ? Votre principe ne me choque pas : mais j’ignore s’il est possible d’en faire une application absolue, sans exception aucune.

Quant aux dépenses de lutte contre l’incendie, je me souviens de votre intervention au cours de la réunion de Lyon. Il n’y a rien d’intangible en la matière. Toutefois, contrairement à vous, je pense que l’État doit pouvoir demander à une collectivité une contribution même si celle-ci ne l’a pas décidée. L’application de votre principe modifierait toute l’architecture des pouvoirs locaux.

M. Bruno Le Roux. S’agissant du mode de scrutin, vous avez rappelé que la proposition du comité n’avait rencontré aucune majorité, ni au Sénat ni apparemment à l’Assemblée nationale. Je souhaite que la séance de ce matin concoure à inverser la situation.

En effet, selon vous, l’adoption de ce mode de scrutin permettait de régler la question de la parité comme celle de la représentation de la diversité politique, avec, évidemment, la fixation d’un seuil. Le souci d’assurer une majorité n’avait pas lieu d’être puisque les collectivités locales disposent déjà de majorités stables jusqu’à la fin de leur mandat. Ce mode de scrutin assurait également l’exigence de proximité, qu’elle reposât sur l’arrondissement administratif actuel ou sur un arrondissement à créer. Dans ces conditions, pouvez-vous nous préciser les critères décisifs qui ont emporté le choix du comité ?

Par ailleurs, est-ce la teneur des retours que vous avez eus qui vont ont dissuadé de continuer à essayer de convaincre ?

M. Édouard Balladur. Monsieur le député, lorsque le Gouvernement vous confie la rédaction d’un rapport, vous le rédigez avec le plus de vérité intérieure possible, sans toutefois sortir de votre rôle. C’est aux pouvoirs politiques – Gouvernement et Parlement – qu’il appartient ensuite de décider. Je n’ai pas renoncé à convaincre : la preuve, c’est que je suis venu ce matin, à l’invitation du président Jean-Luc Warsmann, ce qui me donne l’occasion de rappeler devant vous mon attachement à la proposition initiale du comité en matière de mode de scrutin. Je me sens donc parfaitement libre de m’exprimer devant vous sur le sujet.

Si je me suis rallié à la proposition du comité, c’est parce qu’il m’a semblé que le maintien du cadre cantonal interdirait toute véritable réforme de l’administration territoriale. En revanche, nous n’avons pas pris position sur la question de l’arrondissement, mais nous avons indiqué notre préférence pour un cadre plus restreint que le cadre départemental, qui prenne en compte la géographie et la démographie de chaque département.

Je le répète : je n’ai pas renoncé à convaincre. Apparemment, vous êtes déjà convaincu, d’autres ne le sont pas. Ils sont majoritaires, en tout cas au Sénat. Que chacun prenne son bâton de pèlerin et s’exprime !

M. Bernard Roman. Pour la première fois depuis qu’il y a dix ans, nous avons modifié la Constitution pour y introduire à l’article premier un second alinéa visant à préciser que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives […] », un texte prévoyant un mode de scrutin non proportionnel sera présenté au Parlement. Pour la première fois depuis dix ans, le Conseil constitutionnel aura donc à se prononcer sur la validation par le Parlement d’un mode de scrutin qui, non seulement, ne respecte pas le texte de la Constitution, mais constitue même un recul par rapport à l’existant, puisqu’il s’agit de remplacer entre autres le mode de scrutin régional, respectant totalement l’égal accès, par un nouveau mode de scrutin qui ne le respecte absolument pas, sauf, peut-être, pour les 20 % prévus à la proportionnelle.

D’où la nécessité de retenir le mode de scrutin que vous aviez proposé.

M. Édouard Balladur. Raison de plus pour réfléchir à la façon dont on pourrait compléter le maintien d’un mode de scrutin uninominal par les dispositions que j’ai suggérées, relatives, d’une part, au « collège exécutif », et qui prévoient, d’autre part, d’infliger des sanctions aux partis qui ne favoriseraient pas, à travers les candidatures, l’égal accès aux mandats.

M. Bernard Roman. L’égal accès aux mandats et aux fonctions !

M. Édouard Balladur. Ma proposition relative au « collège exécutif » concerne l’égal accès aux fonctions et, par voie d’extension, aux mandats.

Mme George Pau-Langevin. Vous avez rappelé, Monsieur Balladur, que vous aviez été élu à Paris durant dix-huit ans. Or, à Paris, les conseillers municipaux sont également conseillers généraux. Le conseil général de Paris étant issu de listes respectant parfaitement la parité, il est possible d’adopter ce mode de scrutin pour l’ensemble des conseils généraux.

Comment voyez-vous la combinaison du conseiller municipal de Paris, qui est également conseiller général, avec le nouveau conseiller territorial ?

M. Édouard Balladur. À Paris, la réforme est, en quelque sorte, déjà réalisée, mais au seul plan départemental, alors que le nouveau conseiller territorial sera un élu à la fois départemental et régional. La région Île-de-France ne pose aucun problème particulier.

Mme George Pau-Langevin. Cela signifie-t-il que le conseiller municipal de Paris sera également conseiller général et conseiller régional ou que le conseiller municipal ne sera plus conseiller général ?

M. Édouard Balladur. Il continuera de l’être. Je tiens toutefois à rappeler que le comité a émis des propositions pour la région Île-de-France qui n’ont pas soulevé l’enthousiasme des élus de cette région, toutes tendances politiques confondues : il avait en effet proposé que les quatre départementaux de l’Île-de-France soient rassemblés, ce qui avait le mérite de répondre à la question que vous posez.

M. François Bayrou. Je défends la création du conseiller territorial car elle permettra aux départements et à la région de sortir de l’ignorance réciproque dans laquelle ils se trouvent trop souvent.

Un mode de scrutin doit respecter trois légitimités, qui sont d’ordre constitutionnel. La première, c’est le regroupement territorial des électeurs ; la deuxième, le pluralisme des opinions ; le troisième, la parité.

La proposition d’un scrutin mixte représentant les territoires et complété par une part compensatrice importante de proportionnelle est la seule qui me paraisse répondre à cette triple exigence. Si au contraire nous nous dirigions vers l’adoption d’un scrutin uninominal à deux tours territorialisé, votre proposition d’assurer la parité au sein du « collège exécutif » ne pourrait pas être réalisée en cas d’assemblée unisexe – ce qui est le cas d’un grand nombre d’assemblées territoriales, où la parité n’est même pas approchée.

Par ailleurs, en ce qui concerne la question des compétences, il convient de sortir des débats abstraits. J’ai eu la chance de présider durant dix ans le conseil général des Pyrénées-Atlantiques : les deux seules décisions essentielles que nous avons prises durant cette période n’auraient pas pu l’être si nous n’avions pas disposé de la compétence générale. La première, c’est la construction de l’autoroute entre Pau et Bayonne, qui ne relevait pas de la compétence du département mais qui ne correspondait ni au choix de l’État ni à celui de la région : cette autoroute constitue désormais la colonne vertébrale du département. La seconde a consisté à additionner les subventions départementales et les subventions de l’État pour les toutes petites communes, ce qu’interdirait également la suppression de la compétence générale pour les départements.

Compte tenu de la diversité des situations locales, il convient de ne pas exclure les collectivités de l’exercice de certaines compétences. Quant à limiter leur exercice désordonné, ce sont les capacités budgétaires qui s’en chargent, puisqu’on ne peut dépenser que ce qu’on a. La suppression de la clause de la compétence générale serait une mesure abstraite, que l’on ne peut justifier en invoquant je ne sais quels conflits. Cette clause permet de réaliser des projets qu’il ne serait pas possible de financer autrement. Je défendrai donc l’idée que l’assemblée qui sera chargée d’aménager le territoire et de résoudre un grand nombre de problèmes sociaux devra pouvoir exercer librement ses compétences, dans les limites de son budget.

M. Édouard Balladur. Vous êtes favorable à un mode de scrutin mixte : je m’y rallierai si c’est le moyen de concilier toutes les exigences en la matière. Du reste, comme je l’ai souligné dans mon propos liminaire, je ne pense pas qu’un tel mode de scrutin puisse encourir la censure du Conseil constitutionnel – j’ai rappelé l’exemple du Sénat.

En revanche, ma proposition d’assurer la parité au sein du « collège exécutif » n’est pas aussi vaine que vous semblez le penser. En effet, si une assemblée délibérante était à ce point éloignée de la parité qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’élire une autorité exécutive paritaire, la sanction serait immédiate : il n’y aurait pas d’autorité exécutive.

M. François Bayrou. C’est la liberté des électeurs.

M. Édouard Balladur. Pour que les électeurs puissent exercer leur liberté, encore faut-il que les partis leur proposent des candidats des deux sexes.

En ce qui concerne les compétences, j’ai rappelé dans mon propos liminaire que l’attribution de la compétence générale à la commune devait s’accompagner de l’attribution de compétences précises à chaque niveau de collectivité. La loi ne saurait assurément tout prévoir, comme le financement d’une autoroute. Toutefois, vous savez aussi bien que moi que les lois sont faites pour être adaptées.

Vous ne clarifierez pas la répartition des compétences entre les différents niveaux territoriaux si vous ne réservez pas aux communes la clause de la compétence générale.

M. Daniel Vaillant. Lorsqu’un gouvernement a pour objectif de limiter l’autonomie des collectivités locales, parce qu’il les considère comme un frein ou qu’il en critique l’administration, il crée un comité, brillamment présidé et animé, qui produit une série de propositions cohérentes. Il est légitime, en démocratie, que des points de vue différents se soient auparavant exprimés, notamment en matière de compétences, d’autonomie financière ou d’organisation des administrations territoriales.

J’ai toutefois le sentiment que les propositions retenues ont été fort peu nombreuses, si bien que nous sommes en droit de nous demander si la réforme ne se réduira pas à la création du conseiller territorial élu selon un certain mode de scrutin.

Je ne suis pas favorable à la création du conseiller territorial. Néanmoins, vos propositions évitaient d’en faire un instrument antidémocratique – vous vous êtes exprimé sur le sujet à titre personnel. Le mode de scrutin des élections municipales, dont vous vous êtes inspiré, n’est contesté par personne, en dépit d’une prime majoritaire peut-être un peu trop forte. Ce mode assure en effet la parité ainsi que la diversité et le pluralisme politiques, sans empêcher la proximité – ni les conseillers municipaux ni le maire ne sont éloignés de leurs concitoyens. Rappelons-nous que le Gouvernement de M. Raffarin avait tenté d’établir un mode de scrutin régional différent de celui que nous connaissons aujourd’hui : le Conseil constitutionnel l’a censuré, ce qui a conduit ce même gouvernement à prévoir, dans le cadre des élections régionales, des sections départementales afin de garantir une plus grande diversité politique que dans le cadre du scrutin municipal.

Si le Gouvernement avait voulu emporter la conviction sur la nécessité de clarifier les compétences des différents niveaux de collectivités par la création, à cette fin, du conseiller territorial, il en serait resté à votre proposition de mode de scrutin, d’autant que le texte actuel prévoit un minimum de quinze conseillers territoriaux par département : si tel est le cas pour le territoire de Belfort, je vous laisse imaginer les assemblées pléthoriques des autres départements, si on veut respecter la parité, qui est inscrite dans la Constitution. Quant à Paris ou la Guadeloupe, évoquée hier par M. Victorin Lurel, ils constituent des difficultés supplémentaires. Cela montre que le projet n’a pas été pensé du point de vue de sa constitutionnalité.

Il aurait fallu en rester à un scrutin de liste à la proportionnelle, qui respecte la parité au sein des assemblées et du « collège exécutif », assure la diversité politique, garantisse une majorité tout en représentant les territoires, notamment en ce qui concerne les gros arrondissements. La question de la constitutionnalité des dispositions proposées ne se serait pas posée, alors que le Gouvernement, avec ce texte, dont on murmure qu’il devrait être adopté avant l’été, devra surmonter d’énormes difficultés !

J’émets les plus grandes réserves sur cette façon de procéder, qui est contraire aux intérêts de la démocratie de proximité.

M. Édouard Balladur. Je suis sensible, monsieur Vaillant, à l’appréciation que vous avez bien voulu porter sur les travaux de notre comité, mais ils appartiennent désormais au passé. Nous avons remis notre rapport : le Gouvernement et le Parlement sont parfaitement en droit de ne pas en suivre toutes les conclusions. Ils avaient repris 80 % des propositions du rapport sur la réforme constitutionnelle : nous sommes en deçà de ce chiffre concernant le rapport sur la réforme des collectivités territoriales. Je vous en donne acte bien volontiers. Je me garderai toutefois de joindre mes regrets aux vôtres.

J’ai fait, dans mon propos liminaire, l’éloge de la liberté et de la diversité. Les discussions vont actuellement dans le bon sens en ce qui concerne le conseiller territorial, dont la création devrait entraîner une coopération plus étroite entre le département et la région – c’est le sens de l’histoire. On peut discuter des modalités d’une telle coopération. L’avenir n’en est pas moins à l’affirmation du pouvoir des régions. Je suis persuadé que l’institution du conseiller territorial, au fil des années, favorisera cette évolution.

Je suis en revanche plus déçu sur la question de la coopération intercommunale : les métropoles paraissent les grandes oubliées du texte, tandis que le transfert des attributions entre les communes, ou des communes vers les communautés, semble absolument interdit. Nous devrons pourtant atteindre également cet objectif car nous ne pourrons pas éternellement conserver plus de 35 000 communes aux attributions pleines et entières. Exercer un mandat d’élu local dans des milliers de communes dépourvues de moyens est aujourd’hui un véritable apostolat. La liberté de transférer des pouvoirs et des compétences – y compris en matière fiscale – est la condition des évolutions nécessaires : elle seule permettra d’apaiser bien des inquiétudes.

Je le répète : je me suis exprimé à titre personnel. Je reconnais que l’adoption d’un scrutin mixte permettra de résoudre de nombreuses difficultés, mais je tiens à rappeler que le mode de scrutin que le comité avait proposé permettait également de les résoudre. C’est un problème de choix politique : je n’ai pas compétence pour l’exprimer devant vous aujourd’hui.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre.

*

* *

Puis, la Commission examine, en nouvelle lecture, le projet de loi organique, modifié par le Sénat en deuxième lecture, relatif à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (M. Charles de la Verpillière, rapporteur) (n° 2377).

M. Charles de la Verpillière, rapporteur. Ce projet de loi organique a pour objet l’application du cinquième alinéa, nouveau, de l’article 13 de la Constitution, qui prévoit que les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat sont appelées à émettre un avis sur certaines nominations prononcées par le Président de la République, celui-ci ne pouvant « procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ».

Ces dispositions constitutionnelles appelaient l’adoption d’une loi organique, tendant à dresser la liste des nominations soumises à cette procédure, et d’une loi ordinaire, visant à répartir ces nominations entre les commissions compétentes des deux assemblées.

Ces deux points n’ont fait l’objet d’aucune divergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Les deux assemblées ne sont pas parvenues, en revanche, à harmoniser les conditions de vote au sein de leurs commissions compétentes, exception faite de l’accord, auquel elles sont parvenues, sur un dépouillement simultané, accord qui relève de la loi ordinaire.

L’Assemblée nationale a souhaité que la même règle préside, dans les deux assemblées, à la prise en compte des délégations de vote. Or, au Sénat, les délégations de vote sont admises dans les commissions pour les scrutins personnels, alors que tel n’est pas le cas à l’Assemblée nationale.

Du fait que l’avis émis résultera de l’addition des votes négatifs dans chaque commission compétente des deux assemblées, il nous a semblé que la procédure de vote devait y être identique, l’harmonisation devant aboutir à l’interdiction des délégations de vote puisque la règle, inscrite dans la Constitution, est que la délégation est l’exception et le vote personnel le principe. Nous avons donc souhaité revenir à une application stricte de ce principe : aussi les avis émis doivent-ils, à nos yeux, résulter, dans les deux assemblées, de votes personnels.

À cette fin, nous avons introduit un article 3 dans le projet de loi organique, qui vise à interdire la délégation de vote. Le Sénat l’a supprimé et le désaccord subsiste après deux lectures dans chaque assemblée, et après l’échec de la commission mixte paritaire sur ce point.

Un second désaccord porte sur l’article 4, introduit par le Sénat, qui précise que, pour les nominations au Conseil constitutionnel et au Conseil supérieur de la magistrature par les présidents des deux assemblées, un vote négatif de la commission permanente compétente à la majorité des trois cinquièmes aura valeur de veto à la nomination, au même titre que pour les nominations par le Président de la République soumises à la procédure de l’article 13.

Or, si on lit l’article 13, il est évident que la procédure s’applique également à ces nominations : l’article 4 est donc inutile. De plus, l’adoption d’une telle disposition, même si elle se révélait nécessaire, ne saurait de toute façon relever du législateur organique, qui n’a pas vocation à préciser les règles de procédure applicables aux nominations par les présidents des assemblées du Parlement.

Nous vous proposons donc de rétablir l’article 3 supprimé par le Sénat et de supprimer l’article 4 introduit par cette même assemblée.

M. Jean-Jacques Urvoas. Il est rare qu’une CMP échoue sur un projet de loi organique : la dernière fois, ce fut en 1980, à propos du statut des magistrats. Les positions étant unanimes, elles ne bougeront pas lors des prochaines lectures du texte : le Conseil constitutionnel aura donc à trancher le différend.

Au nom du groupe SRC, je tiens tout d’abord à m’interroger sur le fait de savoir s’il est possible de restreindre les délégations de vote. Toute position est défendable, y compris juridiquement, puisque ni la lettre de la Constitution, ni les travaux préparatoires ne permettent de penser qu’une procédure strictement identique doive être retenue par les deux assemblées pour émettre l’avis prévu à l’article 13. Toutefois, la position de l’Assemblée nationale est la plus conforme à l’esprit du constituant du 23 juillet 2008.

La révision de l’article 13 avait en effet pour objectif de mieux encadrer les pouvoirs du Président de la République, notamment en matière de nominations, dans un contexte général de revalorisation du Parlement. On connaît les réticences du groupe SRC sur cette lecture. Admettons toutefois que le processus, tel qu’il est désormais prévu, s’il ne permet pas de sélectionner les meilleurs, interdira du moins de procéder aux choix les plus indignes. Dans ces conditions, ne peut être raisonnablement retenue que la solution qui n’autorise à voter que les parlementaires les plus impliqués, c’est-à-dire ceux qui participent, physiquement, à la procédure de bout en bout. En effet, si le constituant a voulu que les commissions statuent par un avis public sur la capacité de l’impétrant, c’est bien parce que l’avis ne peut résulter d’un sentiment mais que l’audition est nécessaire. À quoi, en effet, servirait l’audition si même les absents pouvaient voter ?

L’argument invoqué par le sénateur Patrice Gélard, selon lequel le vote pourrait avoir lieu après, voire significativement après, les auditions, afin de laisser aux parlementaires le temps de la réflexion, outre qu’il est peu conforme à la pratique récente, ne saurait justifier le fait que les parlementaires ne soient pas présents deux fois. Il est vrai que, par le passé, le Conseil constitutionnel, souvent pointilleux en la matière, a fait preuve d’une grande tolérance, notamment dans sa décision du 23 janvier 1987. Il convient toutefois de rappeler ce que Bruno Genevois, ancien secrétaire général du Conseil, écrivait à ce propos : « En droit strict, de telles pratiques ne sauraient être approuvées ». J’ajoute que dans le passé, le même Conseil avait été moins tolérant – je fais référence à sa décision du 22 décembre 1961.

M. Guy Geoffroy. Nous sommes totalement fondés à suivre l’avis du rapporteur. C’est pourquoi je ne suis nullement étonné que nos collègues du groupe SRC soient sur la même ligne que la nôtre.

L’échec de la CMP sur ces deux points provient d’une lecture totalement différente des articles concernés de la Constitution par les sénateurs et par nous-mêmes. Les arguments de nos collègues du Sénat sont infondés car contraires à une lecture objective de ces articles, puisque les sénateurs inversent volontairement la règle et l’exception, au mépris, à la fois, de la lettre et de la signification du texte constitutionnel.

Il convient donc de rétablir l’article 3 supprimé par le Sénat.

Quant à l’article 4, introduit par le Sénat, il tendrait à faire entrer par la fenêtre une disposition susceptible de faire valoir que la loi organique serait une loi concernant le Sénat qui, à ce titre, devrait être votée en termes identiques par les deux assemblées. C’est une énorme ficelle qui, de surcroît, serait censurée par le Conseil constitutionnel, puisque le législateur organique, légiférant sur commande de la Constitution, ne peut s’arroger le droit d’inclure des dispositions qui ne relèvent pas expressément de la révision effectuée par le constituant.

Ce n’est pas faire un affront au Sénat que d’exiger que le droit nouveau, prévu au cinquième alinéa de l’article 13, soit exercé de manière identique par les deux assemblées. De plus, les sénateurs ont pris l’habitude d’estimer qu’ils étaient de bien meilleurs lecteurs de la Constitution que les malheureux députés que nous sommes : en l’occurrence, ils se trompent.

Le vote unanime des députés en CMP doit être celui qui, en application stricte de la Constitution, l’emportera in fine.

Telle est la raison pour laquelle nous voterons comme nous l’a demandé le rapporteur.

M. le président Jean-Luc Warsmann. De plus, la disposition introduite par les sénateurs aurait pour inconvénient de modifier le poids relatif des deux assemblées puisque, si l’Assemblée nationale continuait d’interdire le vote par délégation alors que le Sénat l’autorisait, le nombre des suffrages exprimés serait bien supérieur au Sénat qu’à l’Assemblée. Or, le constituant n’a pas souhaité modifier le poids réel des deux assemblées.

La Commission passe ensuite à l’examen des articles restant en discussion.

Article 3 : (Article 1er de l’ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958) : Interdiction des délégations de vote pour les scrutins organisés sur le fondement du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution :

La Commission adopte, à l’unanimité, l’article CL 1, du rapporteur, tendant à rétablir l’article.

En conséquence, l’article 3 est rétabli.

Article 4 : Conséquences du vote négatif de la commission permanente compétente sur une nomination envisagée par un président d’assemblée parlementaire :

La Commission adopte, à l’unanimité, l’amendement CL2, du rapporteur, tendant à la suppression de cet article.

En conséquence, l’article 4 est supprimé.

Puis la Commission adopte, à l’unanimité, l’ensemble du projet de loi organique modifié.

La séance est levée à 11 heures 40.

——fpfp——

Amendements examinés par la Commission

Amendement CL1 présenté par M. Charles de La Verpillière, rapporteur :

Article 3

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

« L’article 1er de l’ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Il ne peut y avoir de délégation lors d’un scrutin destiné à recueillir l’avis de la commission permanente compétente de chaque assemblée sur une proposition de nomination selon la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. »

Amendement CL2 présenté par M. Charles de La Verpillière, rapporteur :

Article 4

Supprimer cet article.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Manuel Aeschlimann, M. François Bayrou, M. Jacques Alain Bénisti, M. Étienne Blanc, M. Émile Blessig, M. Serge Blisko, M. Claude Bodin, M. Marcel Bonnot, M. Gilles Bourdouleix, M. François Calvet, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. François Deluga, M. Bernard Derosier, M. Éric Diard, M. Julien Dray, M. Olivier Dussopt, M. Jean-Paul Garraud, M. Guy Geoffroy, M. Charles-Ange Ginesy, M. Claude Goasguen, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, M. Michel Hunault, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jérôme Lambert, M. Charles de La Verpillière, M. Bruno Le Roux, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Yves Nicolin, Mme George Pau-Langevin, M. Dominique Perben, Mme Sylvia Pinel, M. Didier Quentin, M. Jean-Jack Queyranne, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Georges Siffredi, M. Éric Straumann, M. Pascal Terrasse, M. Jean Tiberi, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. André Vallini, M. Christian Vanneste, M. François Vannson, M. Michel Vaxès, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. Alain Vidalies, M. Philippe Vuilque, M. Jean-Luc Warsmann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Abdoulatifou Aly, Mme Delphine Batho, M. René Dosière

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Paul Anciaux, M. Jean-Pierre Nicolas