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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 16 juin 2010

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 69

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Amédée Lathoud, directeur de l’administration pénitentiaire

– Examen de la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale (n° 2464) (M. Guy Geoffroy, rapporteur)

– Examen de la proposition de loi, modifiée par le Sénat, tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques (n° 2456) (M. Claude Goasguen, rapporteur)

– Amendements examinés par la Commission

– Création d’une mission d’information sur la prostitution en France

– Création d’une mission en vue d’améliorer l’accès au droit et à la justice

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, sur le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (n° 2520) (M. Jean-Paul Garraud, rapporteur)

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Amédée Lathoud, directeur de l’administration pénitentiaire.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous sommes heureux d’accueillir M. Jean-Amédée Lathoud, directeur de l’administration pénitentiaire.

Monsieur le directeur, les prisons et l’exécution des décisions de justice pénale sont des sujets auxquels notre Commission s’intéresse de très près, comme en témoignent la commission d’enquête constituée en 2000 sur la situation dans les prisons, ou encore la mission d’information sur l’exécution des décisions de justice pénale que nous avons décidé de créer pour toute la durée de cette législature.

Nous aimerions tout d’abord vous entendre sur l’application de la loi pénitentiaire de novembre dernier, qui a non seulement reconnu de nouveaux droits et instauré une obligation d’activité pour les détenus, mais aussi consacré les parcours d’exécution des peines et créé des outils juridiques favorisant l’aménagement de celles-ci. Six mois après son adoption, où en est-on ? Où en sont les décrets d’application ? Quelle est la situation dans les établissements en matière d’activité professionnelle et d’offre de formation ?

Par ailleurs, nous avons auditionné très récemment le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, nommé en juin 2008, qui a visité 56 établissements pénitentiaires au cours de ses dix-huit premiers mois d’activité. En nous présentant son rapport pour 2009, il nous a dit que, s’agissant des suites données aux recommandations adressées à la direction de l’administration pénitentiaire, on pouvait considérer que le verre était à moitié plein ou à moitié vide. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ? À quelles difficultés éventuelles vous heurtez-vous dans la mise en application de ces recommandations ?

Notre troisième série d’interrogations porte sur l’état des établissements pénitentiaires, notamment les plus anciens d’entre eux. Je ne vous demanderai pas de commenter la récente décision du tribunal administratif de Rouen condamnant l’État à indemniser 38 détenus ou anciens détenus, qui fait l’objet d’un appel, mais j’aimerais que vous nous fassiez le point de la situation et des projets de fermeture ou de réhabilitation.

M. Jean-Amédée Lathoud, directeur de l'administration pénitentiaire. Les questions que vous m’avez posées correspondent aux priorités que le ministre m’a données lors de ma nomination à la tête de l’administration pénitentiaire, il y a six mois : mettre en œuvre la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; poursuivre l’effort en matière de dispositifs de prévention de la récidive ; lutter contre toutes les formes de violence en milieu carcéral, qu’il s’agisse des suicides, des violences entre les détenus ou de celles exercées à l’encontre les personnels ; mieux gérer les ressources allouées à l’administration pénitentiaire ; porter une attention particulière au dialogue social à l’intérieur de l’administration pénitentiaire ; inscrire ce travail dans la perspective du programme immobilier que vous venez d’évoquer.

L’adoption de la loi du 24 novembre 2009 a été suivie, dans l’administration pénitentiaire, d’un important travail de préparation des décrets d’application – simples ou en Conseil d’État. Les arbitrages ont été rendus le 17 février et le 3 mai à Matignon. Tous les décrets relatifs au droit pénitentiaire ont été transmis au Conseil d’État le 11 juin. Le rapporteur a commencé à les examiner ; nous nous rendrons devant le Conseil dans les prochains jours, conformément à la procédure habituelle. Nous avons également présenté ces textes en interne, dans le cadre de consultations informelles des organisations professionnelles, lors de cinq demi-journées de travail en mars et avril ; nous avons tenu compte d’un certain nombre de propositions et suggestions émises par les organisations représentant les personnels éducatifs et les personnels de surveillance. Le comité technique paritaire (CTP) des personnels éducatifs a délibéré sur ces textes le 17 mai dernier. Le CTP des personnels de surveillance, qui devait se réunir le 26 mai, a en revanche été renvoyé au 14 juin, puis au 5 juillet.

L’article 27 de la loi pénitentiaire oblige l’administration à proposer des activités aux détenus. J’ai bien noté que le Contrôleur général regrettait leur insuffisant développement et nous invitait à poursuivre nos efforts dans ce domaine, afin que l’attribution d’une activité ne soit pas une « faveur ». Je puis vous assurer que l’administration pénitentiaire, aussi bien à l’échelon central qu’au niveau déconcentré, est très engagée dans le développement de ces activités ; nous sommes conscients que, au-delà de l’obligation légale, il s’agit d’un facteur essentiel d’humanisation et de pacification des relations à l’intérieur des établissements, ainsi que d’un moyen de développer les aptitudes personnelles et professionnelles des détenus. Si vous le souhaitez, je vous laisserai un dossier illustrant de façon concrète ce qui a été réalisé dans ce domaine au cours des deux derniers mois.

L’activité rémunérée en détention prend plusieurs formes. C’est un sujet complexe car il concerne, au-delà de l’administration pénitentiaire, ses divers interlocuteurs : entreprises, collectivités territoriales – car la loi ouvre, en matière de formation professionnelle, la possibilité d’expérimenter certains dispositifs avec les régions –, services de l’État.

Lors de son audition devant vous, le Contrôleur général s’est interrogé sur l’impact du contexte économique actuel sur les activités rémunérées en détention. Voici donc quelques chiffres. En 2009, environ 22 300 personnes sous écrou, soit 35 % de la population pénale, ont eu une activité rémunérée – activité de production, formation professionnelle, service général ou travail à l’extérieur. La proportion était de 36 % en 2008. La relative décrue résulte pour l’essentiel de la diminution de l’activité des concessionnaires, liée à la situation économique. En termes de rémunérations versées, les activités de production ont accusé une baisse de 13,7 %, mais la formation professionnelle rémunérée a enregistré une augmentation d’environ 2 %, l’emploi au service général une hausse de 15 %, et le travail à l’extérieur une augmentation de 12 %.

Toujours en 2009, l’enseignement en détention, autre objectif important, a représenté 680 équivalents temps plein, dont 448 enseignants professionnels à temps plein ; 4 200 heures hebdomadaires ont été assurées par des vacataires. Au total, 13 500 heures de cours ont été dispensées par semaine. En flux annuel, on a dénombré 47 500 détenus scolarisés, soit un peu plus que les années précédentes, où ils étaient environ 46 0000. Plus de 10 % des détenus scolarisés ont obtenu un diplôme ; 87 % des mineurs détenus ont été scolarisés, alors que la majorité d’entre eux était en échec scolaire ou en situation de rupture. Près de 77 % des 467 jeunes qui se sont présentés à un examen l’ont réussi. La lutte contre l’illettrisme est également pour nous un domaine d’action majeur.

Par ailleurs, nous cherchons à développer les activités sportives et socioculturelles, dont on sait l’importance pour la vie quotidienne des détenus et leur ouverture sur l’extérieur. Nous avons également développé des activités professionnelles novatrices, notamment au moyen de « cyber-bases » et dans le cadre d’une collaboration avec des fondations, dans une perspective qui n’est pas tant d’occuper la population pénitentiaire que d’humaniser les conditions de détention, d’assurer des formations et d’ouvrir les établissements à la modernité et aux nouvelles technologies.

Nous sommes soumis à de nombreux contrôles externes, s’ajoutant à celui qui est exercé par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Nous sommes en relation permanente avec la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), qui nous a saisis à 27 reprises ; la Cour des comptes va publier dans les prochains jours un rapport sur l’activité du service public pénitentiaire ; les juridictions administratives sont de plus en plus souvent saisies. En 2009, ces dernières ont prononcé 58 annulations pour excès de pouvoir et rejeté 128 requêtes ; 37 demandes d’indemnisation ont été rejetées, mais l’administration a été condamnée 22 fois à ce titre. Enfin, l’AFNOR et le bureau Veritas, qui sont chargés de labelliser les établissements au regard des règles pénitentiaires européennes, notamment celles relatives aux quartiers « nouveaux arrivants », ont déjà labellisé 24 établissements ; 66 autres sont candidats pour 2010.

Depuis sa prise de fonctions en septembre 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a visité 74 établissements pénitentiaires en métropole et outre-mer et remis 41 rapports de visite, auxquels la ministre a répondu à partir des éléments que nous lui avons fournis. Considérant que ses observations n’étaient pas toujours suffisamment prises en compte, le Contrôleur général a rendu publiques des recommandations concernant trois maisons d’arrêt et publié un avis sur le droit des détenus à la correspondance, dans lequel il demande la généralisation de bonnes pratiques adoptées dans un certain nombre d’établissements. Il a, en outre, adressé aux établissements pénitentiaires un peu plus de 400 demandes d’explications sur les conditions générales de détention, sur les transferts, sur l’accès aux soins ou encore sur l’octroi d’aménagements de peines ; nous y avons apporté des réponses très précises.

Les directions interrégionales des services pénitentiaires, à notre demande, veillent aux suites données à ses observations. Les inspecteurs territoriaux font systématiquement des contre-visites et adressent leurs rapports au Contrôleur général, afin de lui permettre de vérifier que les engagements pris sont tenus.

Comme le Contrôleur général vous l’a indiqué lors de son audition, nous avons, dans un rapport que je lui ai adressé le 22 mars dernier après un inventaire précis, établi à 80 % la proportion de ses observations auxquelles nous avons donné suite, parmi l’ensemble de celles qui ont été formulées dans les 28 rapports de visite transmis au Garde des sceaux jusqu’au 31 décembre 2009 et de celles qui ont été directement adressées aux établissements. La Garde des sceaux s’est engagée à mettre en œuvre 193 des 370 observations faites à l’administration pénitentiaire, auxquelles s’ajoutent les 95 observations adressées directement aux établissements. Je tiens à votre disposition un tableau indiquant les observations qui ont déjà été suivies d’effet, pour lesquelles des mesures sont programmées ou auxquelles nous ne pouvons donner suite : par exemple, le Contrôleur général a relevé qu’à Mulhouse, les locaux de l’UCSA (unité de consultation et de soins ambulatoires) étaient trop exigus, mais je ne saurais m’engager à reculer les murs.

Le Contrôleur général a également formulé des observations sur les conditions dans lesquelles les détenus peuvent correspondre avec lui. J’ai donc rappelé en avril dernier, par une note qui confortait des instructions verbales que j’avais données aux directeurs interrégionaux, que la confidentialité des correspondances avec le Contrôleur général devait être absolument respectée. J’ai également précisé, faisant en cela évoluer la position adoptée par mon prédécesseur, que les communications téléphoniques avec le Contrôleur général ne devaient pas faire l’objet d’écoute. Il va de soi que la liberté des relations entre les détenus et le Contrôleur général doit être totale. J’avoue, au demeurant, ne pas comprendre l’affirmation selon laquelle certains détenus feraient l’objet de mesures de rétorsion ou de sanctions après être entrés en contact avec le Contrôleur général ; à ma connaissance c’est inexact, et si c’était vrai ce serait une faute inacceptable.

Le Contrôleur général a par ailleurs appelé notre attention sur des cas de disparition ou de dégradation de biens, survenues à l’occasion de transferts de détenus. Je lui ai demandé des précisions sur les conditions dans lesquelles il a été saisi de tels faits. Pour sa part, l’inspection des services pénitentiaires n’a été saisie en 2009 que d’un seul cas de disparition de paquetage. Cet incident – certes de trop –, constaté à la prison de Fresnes, résultait d’un manque de soin dans la procédure suivie. Nous avons, par ailleurs, traité 138 dossiers d’indemnisation pour dégradation de biens, pour un montant total de 17 000 euros. Je ne conteste donc pas l’existence d’anomalies, mais en l’état de mes informations, elles restent limitées.

Dans un article publié au mois d’avril dans les Cahiers de la sécurité, le Contrôleur général relève que ses visites et ses observations produisent des effets directs, mais aussi des effets indirects. Il rappelle ainsi que bien des chefs d’établissement orientent désormais leurs investissements suivant les observations qui ont été formulées ou qui sont susceptibles de l’être. Il ajoute que l’envoi d’un pré-rapport peut constituer une nouvelle impulsion. Il constate que l’envoi du rapport au ministre produit des changements plus significatifs encore, la rédaction des réponses par les services pouvant s’accompagner de consignes, particulières ou générales, pour remédier aux défauts signalés, et des inspections étant ultérieurement réalisées pour vérifier leur bonne application par les établissements. Il en conclut que les mesures ne présentant pas un coût excessif, ne mettant pas en cause la sécurité et jugées acceptables par la majorité du personnel ne sont pas difficiles à appliquer – et sont effectivement appliquées. En ce qui concerne les effets indirects, il évoque les modifications des comportements professionnels et le fait que, au niveau central comme au niveau local, on tient compte de ses remarques dans la gestion et l’aménagement des établissements.

Les remarques du Contrôleur général – que je rencontre régulièrement – sont utiles, l’administration pénitentiaire ayant encore beaucoup à faire pour se moderniser et pour humaniser les lieux de détention. Elle a néanmoins déjà accompli beaucoup d’efforts ; nous devons continuer à nous inscrire dans cette dynamique.

J’en viens aux questions immobilières.

Le parc immobilier existant, aussi bien en métropole qu’outre-mer, est très disparate. Des crédits déconcentrés sont utilisés à la rénovation et à l’entretien des établissements, ainsi qu’à la mise en application, autant que faire se peut, des règles pénitentiaires européennes, avec notamment la création de quartiers « nouveaux arrivants ». Les crédits immobiliers ainsi engagés par les services déconcentrés se sont élevés à un peu plus de 54 millions d’euros en 2007, 75 millions en 2008 et 89 millions en 2009 – montant auquel il faut ajouter les 25 millions d’euros mobilisés au titre du plan de relance. La progression des crédits engagés pour l’amélioration de l’existant devrait se poursuivre en 2011.

Le programme 13 200, décidé en 2002, visait à construire 24 établissements totalisant 13 200 places. Il devait s’accompagner de la fermeture d’au moins 2 057 places vétustes. Parmi les 13 200 places, 400 devaient être destinées aux mineurs, dans 7 établissements – notamment dans le cadre du programme EPM (établissements pénitentiaires pour mineurs) –, 10 800 devaient être créées dans les nouveaux établissements pénitentiaires et 2 000 devaient l’être dans le cadre des « quartiers nouveau concept » et des quartiers de semi-liberté. Au 31 décembre 2010, 5 991 places avaient été mises en service grâce à l’ouverture des sites de Roanne, de Lyon, de Nancy, de Béziers, du Mans – Les Croisettes, de Poitiers, du Havre, de Mont-de-Marsan, de Bourg-en-Bresse, de Rennes, de Ducos à la Martinique, de Saint-Denis à La Réunion, de Muret – Seysses et de Basse-Terre. Il est également prévu d’ouvrir un centre pénitentiaire à Annoeullin et un centre de détention à Réau en 2011, ainsi qu’une maison d’arrêt à Nantes en 2012. D’autres programmes sont prévus à Baie Mahault et à Basse-Terre en Guadeloupe, à Remire-Montjoly en Guyane, à Mayotte, à Vendin-le-Vieil, à Condé-sur-Sarthe et à Nantes. Aux 5 991 places qui ont été ouvertes viendront ainsi s’ajouter 1776 places supplémentaires en 2011 et 724 autres en 2012.

Enfin, conformément aux engagements pris par le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès, Mme la garde des Sceaux a annoncé en janvier dernier la réalisation d’un nouveau programme immobilier, qui prévoit la création de 5 000 places supplémentaires et le remplacement de 10 300 places vétustes. Elle a, par ailleurs, indiqué ne pas souhaiter que les établissements dépassent 700 places, à l’exception de la prison de la Santé. Ce plan doit s’accompagner de fermetures de places dans une soixantaine d’établissements entre 2015 et 2017, date à laquelle la France devrait être dotée de 68 000 places de prison, dont 35 200 datant de moins de trente ans. Au total, 18 établissements devraient ouvrir d’ici à 2015, dans le respect des dispositions de la loi pénitentiaire – encellulement individuel, préservation des liens familiaux, humanisation des cours de promenade, régimes différenciés, création d’établissements de réinsertion active, prise en charge des détenus présentant des troubles mentaux.

À la fin du premier trimestre, Mme la garde des Sceaux a annoncé la fermeture d’établissements, compensée par dix-huit ouvertures, et confirmé le maintien de certains autres. Elle a indiqué qu’une nouvelle liste d’établissements à fermer serait établie, mais elle ne l’a pas encore fait connaître. Les préfets ont été chargés de rechercher des terrains dans les départements où des fermetures et des ouvertures doivent avoir lieu, en particulier dans le Haut-Rhin, la Drôme, le Nord, la Côte-d’Or, le Puy-de-Dôme et la Manche. Il a été demandé à l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) de commencer à travailler sur un premier lot, là où le foncier est déjà disponible, notamment à Valence, à Riom et à Lutterbach. Les appels à candidatures seront lancés avant l’été, la sélection des candidats et l’envoi des cahiers des charges auront lieu à l’automne ; les dialogues compétitifs se poursuivront jusqu’à la fin du premier semestre 2011 et le choix des attributaires devrait se faire pour la fin de l’année 2011. En ce qui concerne les lots suivants, les réalisations seront fonction des moyens prévus par la programmation triennale et des choix qui seront faits par le Gouvernement en liaison avec le Parlement.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Merci pour ces éléments d’information. Nous en venons aux questions.

M. Michel Hunault. Pourriez-vous nous dire combien il y a aujourd’hui de détenus dans les prisons françaises, par rapport à leur capacité d’accueil ? Le président Warsmann a évoqué une récente condamnation de l’État à indemniser des détenus en raison de leurs conditions de détention ; que compte faire l’administration pour éviter que de telles condamnations se reproduisent ?

Quelle est la rémunération des détenus qui travaillent ?

Enfin, comptez-vous expérimenter dans les prisons l’accès aux nouvelles technologies de la communication, comme le font d’autres pays ? Il existe des systèmes de surveillance pour y parvenir dans des conditions conformes à la sécurité publique.

Mme Sandrine Mazetier. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté nous a appris que la plupart du temps, ses visites étaient suivies, de la part de la direction de l’établissement pénitentiaire, d’entretiens avec toutes les personnes entendues – détenus et membres du personnel – dans le but de connaître les questions posées et les réponses apportées. Comptez-vous donner des instructions pour qu’il n’en soit plus ainsi ? Les personnes qui répondent aux questions du Contrôleur général devraient pouvoir le faire en toute tranquillité, sans avoir peur d’éventuelles sanctions.

M. Jacques Alain Bénisti. Je voudrais tout d’abord m’étonner que les décrets d’application de la loi pénitentiaire n’aient pas encore été tous publiés. Vous nous avez indiqué que le Conseil d’État avait été saisi le 11 juin. Quand peut-on espérer que la loi s’appliquera réellement ?

Nous avons écouté avec la plus grande attention le détail des mesures prises pour humaniser le milieu carcéral, améliorer les relations des détenus avec le personnel pénitentiaire, développer leur formation et mieux préparer leur sortie. Tout cela est très bien, mais il faut également s’assurer que la détention demeure la solution la plus efficace pour prévenir la récidive.

Vous avez rappelé le plan que le Président de la République a annoncé pour atteindre les objectifs qui avaient été fixés en 2002. En ce qui concerne l’Île-de-France, j’aimerais savoir où en est le projet de Réau, en Seine-et-Marne. Pourriez-vous également me dire combien d’établissements seront fermés entre 2015 et 2017 ?

Enfin, où en est-on dans la prise en charge des détenus atteints de troubles mentaux ?

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le directeur, je vous remercie des éléments d’information que vous avez portés à notre connaissance à propos des programmes immobiliers.

En ce qui concerne la loi pénitentiaire, j’aimerais tout d’abord savoir où en est l’application de l’article 44. Quelle est l’évolution constatée des violences entre détenus ? Où en est-on en matière de prévention du suicide ?

Parmi les personnes en détention provisoire, combien y en a-t-il en cellule individuelle, conformément à l’article 87 de la loi ? Quels sont vos objectifs dans ce domaine pour les trois années à venir ?

Enfin, l’article 91 de cette loi dispose que le régime disciplinaire des personnes placées en détention provisoire est déterminé par décret en Conseil d’État. Où en est-on en la matière ?

M. Philippe Goujon. Notre parc pénitentiaire avait évidemment besoin d’une profonde rénovation et d’un fort accroissement de ses capacités. Mais à ce sujet, le Contrôleur général a évoqué les difficultés éprouvées par les détenus, et même par les personnels, dans les nouvelles prisons, du fait que les mouvements y sont limités et les relations humaines réduites, ce qui pourrait conduire à des problèmes psychologiques, voire psychiatriques. Qu’en pensez-vous ?

Que pensez-vous de l’idée de différencier les conditions de détention en fonction du degré de dangerosité supposé des personnes ?

En ce qui concerne les détenus atteints de troubles psychiatriques, pour lesquels il est prévu de créer une dizaine d’unités hospitalières spécialement aménagées, quels premiers enseignements peut-on tirer de l’ouverture, certes très récente, de la première UHSA à Lyon ?

Le Contrôleur général ne pouvant pas formuler d’injonctions, l’application de ses recommandations dépend du bon vouloir de l’administration. Quelle est selon vous la proportion de ces recommandations qui sont satisfaites ?

Enfin, pouvez-vous faire le point sur l’avenir de la prison de la Santé, pour laquelle de nombreux projets ont été envisagés au cours des dernières années ?

M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le directeur, il va de soi que vous pourrez répondre par écrit aux questions très précises portant sur des données chiffrées.

M. Jean-Amédée Lathoud. S’agissant du nombre de détenus dans chaque établissement, on ne peut pas toujours disposer de chiffres actualisés en temps réel. Ainsi, à la suite des terribles inondations à Draguignan, où je vais me rendre à l’issue de cette réunion pour soutenir mes équipes – il y a encore des familles bloquées à l’intérieur de la prison et des surveillants bloqués sur les miradors – les 500 détenus vont devoir être répartis entre les divers établissements du Sud et du Sud-Ouest de la France.

Cela étant, on comptait au 1er janvier dernier 60 000 détenus. Ce chiffre n’a pas varié depuis plus de deux ans. Sur ce total, il y avait un peu de 15 000 personnes en détention provisoire et 669 mineurs.

Je n’ai pas de statistiques à vous communiquer sur l’encellulement individuel, mais je vous en ferai part ultérieurement si vous le souhaitez.

Toujours au 1er janvier dernier, 7 292 personnes écrouées bénéficiaient d’un aménagement de peine, soit 22 % de plus que l’année précédente. Il est donc intéressant de souligner que la stabilisation de la population carcérale s’accompagne d’une augmentation très significative des aménagements de peine. 168 000 personnes étaient placées sous main de justice en milieu ouvert, et donc suivies par les services d’insertion et de probation.

S’agissant des décrets d’application de la loi pénitentiaire, plusieurs dizaines d’articles ont été préparés en lien avec les ministères chargés de la santé, de l’emploi et de la formation professionnelle et soumis à la concertation. Ces décrets, qui sont aujourd’hui devant le Conseil d’État, seront probablement publiés cet été.

En ce qui concerne les condamnations dont l’administration pénitentiaire a fait l’objet, si certaines sont définitives, en revanche la décision rendue par le tribunal administratif de Rouen est frappée d’appel ; je n’ai donc pas à me prononcer sur ce sujet. Il reste que la nécessaire humanisation des conditions de détention justifie la création des quartiers « nouveaux arrivants », les dépenses d’aménagement et les opérations immobilières que j’évoquais.

Concernant l’accès des détenus aux nouvelles technologies, j’ai évoqué le développement de cyber-bases.

S’agissant des violences, nous avons dénombré en 2009 739 agressions contre les personnels – contre 595 l’année précédente –, 115 suicides, 509 actes de violence entre détenus – contre 464 en 2008 – et nous avons eu à connaître de deux meurtres. En outre, nous avons déploré 15 suicides parmi les membres du personnel pénitentiaire en 2009, et quatre autres depuis le début de l’année.

Face à cette situation, Mme la garde des Sceaux a lancé un plan de prévention des suicides en prison et demandé que l’on travaille sur les actes de violence contre les personnels. C’est l’objet du groupe de travail placé sous la présidence du procureur général Laurent Le Mesle, qui vient de remettre son rapport. Celui-ci porte sur les conditions de vie en détention, les conditions de transfert des détenus, les relations entre les personnels et les personnes incarcérées, la formation professionnelle, l’organisation des débriefings après les incidents ; Mme la ministre d’État aura l’occasion de faire savoir publiquement les suites qu’elle entend lui donner. Concernant enfin les violences entre détenus, un groupe de travail m’a fourni ses recommandations.

Hier, 15 juin 2010, nous déplorions 51 suicides en détention depuis le début de l’année, contre 57 à la même date en 2009. Il y a donc une certaine décrue, mais c’est encore nettement plus qu’en 2006 et de 2007, où on en avait dénombré 44 ou 45 à cette date. On constate, par ailleurs, que les suicides se sont produits trois fois sur quatre en cellule individuelle, une fois sur quatre en cellule double – ce dont on ne peut pas tirer d’enseignement précis. Ces suicides ont lieu le plus souvent dans les quartiers d’isolement, les quartiers disciplinaires, au SMPR et dans les quartiers des arrivants. L’âge moyen des détenus qui se sont donné la mort est de 34 ans. 58% sont des prévenus. Sur les 51 personnes qui se sont donné la mort en 2010, 25 souffraient de troubles du comportement ayant donné lieu à un suivi médico-psychiatrique.

M. le président Jean-Luc Warsmann. On peut donc espérer améliorer la situation en assurant un meilleur suivi des personnes incarcérées.

M. Jean-Amédée Lathoud. C’est en effet une priorité. D’où l’importance du développement des services médico-psychologiques régionaux (SMPR), des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) et des unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI). D’où l’importance, aussi, des nouvelles conditions d’accueil des nouveaux arrivants  et de la commission pluridisciplinaire unique.

M. Patrice Verchère. Les personnels de l’administration pénitentiaire exercent un métier difficile. J’ai lu qu’ils s’inquiétaient du bien-fondé de la distribution aux détenus d’un « questionnaire qualité » à la fin de la procédure d’accueil. Ils posaient une question fondamentale : les personnes incarcérées doivent-elles avoir la possibilité d’évaluer les personnels pénitentiaires ? L’autorité de ces derniers ne risque-t-elle pas de s’en trouver affaiblie ?

M. Jean-Amédée Lathoud. Les détenus n’ont en aucun cas reçu un questionnaire leur demandant d’évaluer le personnel de surveillance. En revanche il leur a été demandé, dans le cadre de la labellisation des quartiers « nouveaux arrivants », de faire connaître leurs réactions sur la procédure d’accueil – la douche, la fouille, le « kit » qui leur a été fourni …

Votre question m’amène au sujet difficile de l’expression des détenus. Le législateur a souhaité à juste titre, dans la loi pénitentiaire, que les personnes détenues soient consultées sur les activités qu’on leur propose. Or les personnels de surveillance se montrent très hostiles à tout ce qui pourrait remettre en cause leur autorité. Certes, la loi précise que cette consultation doit avoir lieu « sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité de l’établissement », mais la mise en pratique de ce droit d’expression ne sera pas facile.

M. Jean-Paul Garraud. Je relève plusieurs points très positifs dans la politique pénitentiaire du Gouvernement : fait rare dans le contexte actuel, l’augmentation régulière de son budget depuis plusieurs années ; les efforts très importants accomplis depuis 2002 pour la construction et la rénovation d’établissements, l’objectif étant d’atteindre 68 000 places en 2017, cela malgré la relative stagnation du nombre de détenus – laquelle est à rapprocher des mesures d’aménagement de peine, élément important de la loi pénitentiaire dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur. L’opposition, dans ses critiques, invoque les normes européennes : nous y souscrivons tous, mais avant tout, il fallait prendre les décisions nécessaires en matière immobilière, ce que la gauche s’était abstenue de faire.

À ce sujet, auriez-vous des éléments d’information à me communiquer au sujet de la reconstruction de la maison d’arrêt de Gradignan, à côté de Bordeaux ?

Nous avons beaucoup parlé des détenus, mais nous savons qu’il existe aussi des tensions au sein du personnel pénitentiaire, y compris dans les nouveaux établissements, peut-être du fait d’une certaine déshumanisation. On déplore malheureusement des suicides. Comment jugez-vous la situation ?

Enfin, il serait urgent de publier les décrets d’application de la loi pénitentiaire, promulguée le 24 novembre 2009 et dont j’avais été nommé rapporteur deux ans déjà avant que le projet n’arrive en discussion.

M. Jean-Amédée Lathoud. Entre 2006 et 2010, le budget de l’administration pénitentiaire a augmenté de 26 %, pour atteindre 2,7 milliards d’euros. Les crédits de personnel ont augmenté de 25 %, en passant de 1,36 à 1,7 milliard, les crédits de fonctionnement courant de 31 %, en passant de 533 à 696 millions, et les crédits de paiement pour les investissements immobiliers de 23 %, en passant de 241 à 297 millions.

Concernant la maison d’arrêt de Gradignan, je vous adresserai ultérieurement une réponse précise.

S’agissant de l’humanisation, j’ai bien entendu ce qui a été dit sur les établissements nouveaux. Les personnels pénitentiaires s’y trouvent confrontés à un changement de leurs habitudes, parfois à des problèmes techniques, ou encore à des problèmes d’organisation des services de surveillance ; ainsi à Lyon, le passage de la maison d’arrêt de Perrache à celle de Corbas a entraîné des changements profonds dans les conditions et les habitudes de travail. De plus, la montée en charge des nouveaux établissements n’a pas toujours été suffisamment progressive.

En matière d’humanisation, les services d’insertion et de probation jouent un rôle très important. Les quartiers « nouveaux arrivants » constituent un autre élément essentiel de cette politique. Y contribue également tout le travail accompli avec des interlocuteurs extérieurs, notamment des collectivités territoriales, particulièrement précieux lorsque l’établissement pénitentiaire quitte un centre ville.

M. Abdoulatifou Aly. Mayotte ne dispose que d’une seule maison d’arrêt, de sorte que les condamnés aux peines les plus lourdes sont envoyés dans des prisons situées en métropole. Ne pourrait-on les incarcérer plutôt à la Réunion, afin de préserver les liens avec leur famille ?

M. Jean-Amédée Lathoud. Mon adjoint va recevoir cet après-midi une délégation de l’Union fédérale de l’administration pénitentiaire (UFAP) de Mayotte pour faire le point. J’avais moi-même reçu il y a trois semaines une délégation de FO. La maison d’arrêt emploie une cinquantaine de personnes. La priorité était d’examiner leur situation au regard de l’évolution du statut de Mayotte. S’agissant des travaux d’aménagement de l’établissement, je pourrai vous adresser des informations précises.

M. André Vallini. Selon que l’on appartient à la majorité ou à l’opposition, on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide. Pour ma part, ayant participé en 2000 à la mission d’information parlementaire sur les prisons, je considère que le bilan dix ans plus tard est un peu désespérant : la surpopulation demeure, les suicides continuent… Un projet de loi pénitentiaire avait été élaboré par Mme Lebranchu dès 2001, mais il n’avait pas pu être voté à cause de l’élection présidentielle. Il a fallu attendre 2009 pour que la nouvelle majorité se décide enfin à faire adopter une loi pénitentiaire – qui est insuffisante mais représente cependant un progrès.

Monsieur le directeur, votre administration ne vous paraît-elle pas engagée, depuis 2002, dans une course sans fin avec le législateur ? Tandis que des lois de plus en plus répressives sont votées, on vous demande de libérer des places dans les prisons, par le biais de mises en liberté conditionnelle et d’aménagements de peine. Même s’il est difficile pour vous de répondre à cette question, ne pensez-vous pas que cette majorité mène une politique de gribouille ?

Par ailleurs, quel bilan tirez-vous de la mise en place des unités de vie familiale ?

M. Sébastien Huygue. J’ai visité, au Luxembourg, ce qu’on appelle une prison sans barreaux. Il en existe aussi une en Corse. Ce type de structure a-t-il vocation à se développer sur l’ensemble de notre territoire ?

D’autre part, j’ai eu la désagréable surprise d’apprendre par la presse que l’établissement de Loos, situé dans ma circonscription, allait fermer. Je regrette, en tant que député, de ne pas en avoir été informé directement, étant en outre rapporteur pour avis de la commission des lois sur le budget de l’administration pénitentiaire. Cette fermeture suscite l’émoi des personnels, qui ignorent quand elle aura lieu et où sera construit le nouvel établissement. Je souhaiterais être associé à la réflexion.

M. Dominique Raimbourg. S’agissant du droit d’expression collective des personnes incarcérées, j’ai cru comprendre qu’une mission avait été confiée à Mme Cécile Brunet-Ludet. Où en sont ses travaux ? Quelles pistes envisagez-vous ?

Les personnels pénitentiaires, sans contester les problèmes de vétusté, craignent des regroupements et la fermeture de petits établissements. Les inquiétudes de ceux que j’ai rencontrés concernaient, en Vendée, les établissements de La Roche-sur-Yon et de Fontenay-le-Comte. Quelles informations pouvez-vous leur apporter ?

En ce qui concerne la Guyane, le Comité de prévention de la torture a fait état de la très forte surpopulation du centre pénitentiaire de Remire-Montjoly – la maison d’arrêt pour hommes affichant un taux d’occupation de 220% –, à laquelle s’ajoute un climat de grande violence, résultant notamment de conflits entre détenus de nationalités différentes.

Enfin, dans la Drôme, à la suite du meurtre qui a eu lieu à la maison d’arrêt de Valence, j’ai cru comprendre que se développait l’idée de faire dépendre les incarcérations des places disponibles, dans le cadre d’une concertation entre le procureur, les juges d’instruction, les juges d’application des peines et l’établissement pénitentiaire. Mes informations sont-elles exactes ?

M. Jean-Amédée Lathoud. La concertation entre les services du parquet et de l’exécution des peines et l’établissement pénitentiaire est souhaitable pour mieux anticiper les flux de la population pénale. Une initiative a en effet été prise en ce sens à Valence. De telles approches méritent d’être encouragées. La direction des affaires criminelles et des grâces et l’administration pénitentiaire travaillent à la mise au point d’indicateurs permettant d’éviter la surpopulation carcérale.

La situation du centre pénitentiaire de Guyane est effectivement grave. La programmation immobilière en tient compte.

En ce qui concerne les « prisons ouvertes », M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la Justice, a demandé que le concept utilisé à Casabianda, en Corse, soit repris sur d’autres sites. Le programme immobilier pénitentiaire 2015-2017 tient compte de la réflexion sur ce sujet. Quelques précisions restent à apporter sur la manière dont nous pourrions nous inspirer des expériences suisse et luxembourgeoise.

Concernant l’expression des détenus, qui fait l’objet de dispositions dans la loi pénitentiaire, j’avais demandé un bilan de ce qui se faisait déjà, en France et à l’étranger : dans un certain nombre d’établissements, par exemple celui de Saint-Martin-de-Ré, les détenus s’expriment sur leurs activités, notamment socioculturelles, sportives et associatives. J’ai demandé à Mme Brunet-Ludet, après ce premier constat, d’examiner, dans le cadre d’un groupe de travail associant toutes les parties intéressées, les moyens de progresser sur ce sujet qui, je le répète, a un caractère conflictuel avec les organisations professionnelles de surveillants.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Dans mon département, la Lozère, se trouve un établissement très vétuste, mais nous ne savons pas ce qu’il va devenir…

Ayant participé avec mon collègue Huyghe à la visite d’une « prison ouverte », j’aimerais savoir quel développement l’on compte donner en France à ce concept, ayant constaté une certaine discordance en la matière entre la ministre de la justice et le secrétaire d’État à la justice.

Enfin, quelles sont les perspectives de développement des UHSA, notamment en Lozère ?

M. Didier Quentin. Pour l’avoir visitée à plusieurs reprises avec mes collègues Jean-Christophe Lagarde et René Dosière, je peux confirmer que la prison de Majicavo, à Mayotte, souffre d’un problème majeur de surpopulation.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est un euphémisme !

M. Didier Quentin. Que va-t-on faire pour y remédier ?

Dans mon département, quel est l’avenir de la maison d’arrêt de Saint-Martin-de-Ré, une des plus anciennes de France ?

Enfin, j’avais proposé à un précédent garde des Sceaux, M. Perben, lorsque j’étais président du Conservatoire du littoral, de faire travailler des détenus à l’entretien des zones littorales, travail plutôt gratifiant et susceptible de faciliter les reconversions. Qu’est devenue cette suggestion ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Monsieur le directeur, pouvez-vous nous dire un mot de la situation de la maison d’arrêt de Draguignan après les inondations de cette nuit ?

M. Jean-Amédée Lathoud. Plusieurs des questions qui m’ont été posées relèvent de la responsabilité directe de Mme la garde des Sceaux, en particulier celles portant sur les projets de fermetures et d’ouvertures d’établissements. Je ne peux donc pas y répondre.

Le maintien des liens familiaux fait partie des exigences de la loi pénitentiaire. À cet effet, 161 locaux d’accueil des familles en attente de parloir ont été mis en place, ainsi que 28 structures d’hébergement, à l’extérieur des établissements, pour les familles venant de loin ; 65 espaces ont été aménagés pour les enfants dans les parloirs ; 14 établissements sont pourvus d’unités de vie familiale (UVF) permettant de partager quelques heures d’intimité, et 21 le seront à l’achèvement du programme de construction ; les parloirs familiaux, qui permettent des relations plus personnelles entre les détenus et leurs proches, sont au nombre de 31, dans 8 maisons centrales ; enfin, 25 établissements sont équipés de quartiers « mère détenue - enfant ».

Les critiques, même justifiées, qui ont été formulées à l’encontre de mon administration ne doivent pas faire oublier les énormes efforts qui ont été accomplis par l’ensemble du personnel pénitentiaire, sans lesquels la situation serait beaucoup plus difficile. Je tiens aussi à souligner l’importance de l’engagement à nos côtés de tous nos partenaires, qu’il s’agisse de l’Éducation nationale, des responsables de la formation professionnelle des détenus, de ceux qui travaillent avec nous sur le programme CIVIS (Contrat d’insertion dans la vie sociale), des nombreuses associations et fédérations, notamment dans le domaine sportif, qui jouent un rôle déterminant dans l’humanisation des prisons, ou des entreprises et des collectivités locales.

M. Yves Nicolin. Concernant le centre pénitentiaire de Roanne, qui a ouvert l’année dernière, les petits problèmes qui avaient été constatés sont-ils maintenant réglés ?

M. Jean-Amédée Lathoud. Je vous répondrai personnellement.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le directeur, il me reste à vous remercier. Puisque vous vous rendez à Draguignan, assurez de notre solidarité les personnels de votre administration touchés par la catastrophe.

La Commission examine, en deuxième lecture, sur le rapport de M. Guy Geoffroy, la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale (n°2464).

M. Guy Geoffroy, rapporteur. C’est en novembre 2008 que le président Jean-Luc Warsmann et moi-même avions pris l’initiative de cette proposition de loi. Elle a été adoptée en première lecture par notre assemblée le 4 juin 2009, à l’unanimité. Nos collègues sénateurs, sur l’excellent rapport de M. François Zocchetto, l’ont adoptée le 28 avril dernier, également à l’unanimité.

Nous sommes, je crois, tous convaincus de la nécessité d’un dispositif efficace de saisie pénale pour frapper les trafiquants là où cela leur fait le plus mal, c’est-à-dire au portefeuille. Les peines privatives de liberté, pour utiles qu’elles soient, peuvent avoir moins d’impact que les sanctions de nature patrimoniale.

Ce texte vise donc à combler certaines lacunes de notre droit et à donner aux enquêteurs et aux magistrats de nouveaux outils. À cette fin, il élargit, tout d’abord, le champ des biens susceptibles d’être saisis au cours de l’enquête pénale ; il consacre dans notre droit les enquêtes patrimoniales, réalisées parallèlement à l’enquête portant sur l’établissement des faits ; il instaure, en outre, des procédures pénales de saisie, distinctes des procédures civiles d’exécution jusqu’ici utilisées par défaut ; il crée, à la suite d’un amendement du Gouvernement adopté par notre Commission en première lecture, une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués ; enfin, il améliore la garantie des droits des victimes, l’Assemblée nationale ayant adopté, à mon initiative, un dispositif prévoyant le paiement des dommages et intérêts sur le produit des biens confisqués.

Par ailleurs, cette proposition de loi transpose une décision-cadre d’octobre 2006 sur l’exécution des décisions de confiscation dans l’Union européenne.

Le Sénat a consolidé et enrichi notre texte. Il a adopté sans modification la moitié des articles – 9 sur 18. Il a ajouté l’article 9 bis, relatif aux confiscations encourues par les personnes morales, qui est bienvenu, ainsi que l’article 11 bis, qui repousse l’entrée en vigueur des dispositions relatives à l’agence jusqu’à la publication du décret en Conseil d’Etat précisant ses modalités de fonctionnement.

En ce qui concerne les principaux apports de fond, le Sénat a tout d’abord étendu aux infractions graves d’appropriation frauduleuse punies d’au moins trois ans d’emprisonnement le champ d’application des mesures conservatoires prévues à l’article 706-103 du code de procédure pénale. Il a par ailleurs avancé là où nous avions peiné à le faire, à savoir sur la saisie des contrats d’assurance-vie : il a adopté un dispositif très opportun, permettant de geler les fonds déposés pendant la durée de l’enquête. Il a également aligné le régime de la peine de confiscation encourue par les personnes morales sur celui qui est applicable aux personnes physiques.

Le Sénat a aussi procédé à certains aménagements et harmonisations de compétences juridictionnelles. Ainsi, à l’article 1er, il a souhaité que les perquisitions réalisées aux fins de saisie par un officier de police judiciaire (OPJ) dans le cadre d’une enquête de flagrance soient expressément autorisées par le procureur de la République. À l’article 3, il a voulu soumettre systématiquement et uniformément les saisies pénales à l’autorisation d’un juge du siège, en l’occurrence le juge des libertés et de la détention (JLD), appelé ainsi à autoriser les saisies en enquête préliminaire ou de flagrance. Au même article, le Sénat a également donné au JLD, agissant sur requête du procureur, compétence pour autoriser tout acte qui aurait pour conséquence de transformer, modifier substantiellement le bien ou en réduire la valeur, en raison de l’atteinte au droit de propriété susceptible d’être ainsi constituée.

Le Sénat a enfin apporté des aménagements aux dispositions relatives à la future agence. Nous savions que certaines de celles que nous avions adoptées relevaient du domaine réglementaire, mais le Gouvernement nous avait alors dit montrer ainsi sa volonté de créer l’outil sans délai. Nos collègues sénateurs ont préféré les supprimer. Si vous en êtes d’accord, je demanderai en séance publique au Gouvernement de confirmer que toutes les dispositions en cause figureront bien dans le décret que, j’en suis sûr, il ne manquera pas de prendre très rapidement.

Vous aurez donc compris que je ne vous propose aucune modification au texte adopté par le Sénat, que je vous invite à approuver dans des termes identiques. L’Assemblée nationale pourrait ainsi l’adopter le 28 juin prochain ; si tel est le cas, à peine deux ans se seront écoulés entre le dépôt de notre proposition de loi et l’adoption définitive d’un texte qui permettra de répondre enfin à l’attente de nos concitoyens et des professionnels.

M. Dominique Raimbourg. Je voudrais seulement formuler trois souhaits : que l’on puisse, dans un délai de trois à quatre ans, dresser le bilan du fonctionnement de l’agence ; qu’à l’occasion de la mise en œuvre de ce texte, on se penche sur la question difficile de la gestion des scellés – qui n’est pas satisfaisante ; enfin, que l’on songe un jour à reconsidérer le délai d’appel, fixé à dix jours, ce qui me semble beaucoup trop bref, compte tenu des modalités pratiques de notification des décisions de première instance.

M. le rapporteur. Le difficile problème de la gestion des scellés a été soulevé par la presse à la suite de certaines affaires, mais nous parlons ici d’un sujet différent : la saisie et de la confiscation des avoirs criminels ; je vous remercie de votre remarque qui me permet de faire cette précision.

Je suis prêt à évoquer en séance publique vos deux autres observations. Il serait en effet de bonne politique de dresser, à l’échéance que vous indiquez ou même avant, un bilan du fonctionnement de l’agence. Quant à la question du délai d’appel, nous pourrons demander au Gouvernement sur quel support législatif il serait envisageable de lui apporter une solution – car j’adhère à ce que vous venez de dire.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je tiens à dire combien je suis heureux de voir aboutir cette proposition de loi. Parmi les ajouts du Sénat, je me réjouis particulièrement de celui qui concerne la saisie des contrats d’assurance vie sur lesquels sont placés des avoirs criminels : c’était là un « angle mort » de notre législation.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (articles 54, 56, 76, 94 et 97 du code de procédure pénale) : Extension des saisies de droit commun à tous les biens confiscables - Instauration des perquisitions aux fins de saisie :

La Commission adopte l’article 1er sans modification.

Article 2 (article 706-103 et 706-167 [nouveau] du code de procédure pénale) : Mesures conservatoires susceptibles d’être ordonnées en matière de criminalité et de délit grave d’appropriation frauduleuse :

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Article 3 (articles 706-141 à 706-157 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Règles applicables aux saisies pénales :

La Commission adopte l’article 3 sans modification.

Article 3 bis (article 706-158 à 706-164 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Création d’une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués

La Commission adopte l’article 3 bis sans modification.

Article 7 (article 707-1 du code de procédure pénale) : Exécution des décisions définitives de confiscation :

La Commission adopte l’article 7 sans modification.

Article 9 bis (article 131-39 du code pénal) : Peine de confiscation applicable aux personnes morales :

La Commission adopte l’article 9 bis sans modification.

Article 10 ter (articles 627-3, 695-9-15, 695-9-17, 695-9-23 et 695-9-28 du code de procédure pénale) : Coopération internationale aux fins d’exécution des décisions de confiscation :

La Commission adopte l’article 10 ter sans modification.

Article 10 quinquies : Suppression d’une coordination devenue inutile :

La Commission maintient la suppression de cet article.

Article 11 bis : Entrée en vigueur :

La Commission adopte l’article 11 bis sans modification.

Article 12 : Application de la proposition de loi dans les collectivités d’outre-mer

La Commission adopte l’article 12 sans modification.

Elle adopte à l’unanimité l’ensemble de la proposition de loi sans modification.

La Commission examine ensuite, en deuxième lecture, sur le rapport de M. Claude Goasguen, la proposition de loi, modifiée par le Sénat, tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques (n°2456)

M. Claude Goasguen, rapporteur. Comme vous vous en doutiez, mes chers collègues, il est extrêmement compliqué de faire avancer ce texte relatif aux moyens du Parlement en matière d’évaluation et de contrôle. Des résistances se manifestent à tous les niveaux. Le Conseil constitutionnel, d’abord, a singulièrement écorné les moyens de contrôle prévus lors de la réforme de notre Règlement. Et voilà que le Sénat, loin de faire œuvre utile, s’est permis de modifier substantiellement la proposition de loi que nous avions adoptée. C’est d’autant plus paradoxal que les procédures d’évaluation sont très différentes au Sénat et à l’Assemblée nationale. Les sénateurs ont voulu nous imposer leur manière de voir, mais cela aboutit évidemment à une impasse. Celle-ci était d’ailleurs prévisible, dès lors que le Conseil constitutionnel avait parlé de renforcement des pouvoirs « du Parlement », c'est-à-dire des deux assemblées, ce qui suppose que le contrôle et l’évaluation soient de même nature dans chacune d’elles.

Initialement, l’article 1er de la proposition de loi prévoyait que les rapporteurs des instances parlementaires de contrôle et d’évaluation disposeraient des pouvoirs que l’ordonnance du 17 novembre 1958 confère aux rapporteurs des commissions d’enquête en matière de contrôle sur pièces et sur place et de communication de documents. Il prévoyait également que toute personne dont l’audition paraîtrait nécessaire à une instance parlementaire de contrôle et d’évaluation pourrait être convoquée par elle.

L’article 2 remédiait à la censure par le Conseil constitutionnel, dans le Règlement de l’Assemblée nationale, d’une disposition relative aux conditions de consultation du procès- verbal des personnes auditionnées par les commissions d’enquête.

L’article 3 traitait de la question essentielle de l’assistance apportée au Parlement par la Cour des Comptes, en donnant au président de chacune des deux assemblées ainsi qu’aux présidents des instances parlementaires d’évaluation des politiques publiques la possibilité de demander à la Cour un rapport d’évaluation.

Lors de l’examen du texte en première lecture à l’Assemblée nationale, en janvier 2010, l’article 1er a été complété sur deux points, à l’initiative de la commission des finances, saisie pour avis, et avec l’accord de notre commission. D’une part, il a été précisé que les instances susceptibles de bénéficier de ces nouveaux pouvoirs sont les instances permanentes créées au sein de l’une des deux assemblées pour contrôler le Gouvernement ou évaluer des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d’une seule commission permanente. D’autre part, il a été indiqué que l’exercice des pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place doit être exercé conjointement par les rapporteurs.

L’article 3 a également été enrichi, conformément aux propositions de notre commission. La faculté de demander des enquêtes à la Cour des comptes a été ouverte non seulement aux instances permanentes chargées de l’évaluation des politiques publiques, pour l’évaluation des politiques publiques transversales, mais également aux commissions permanentes, chacune dans son domaine de compétences. Un filtre unique a été instauré pour l’ensemble des demandes d’assistance et confié au président de chaque assemblée. Il a été précisé que le délai dans lequel la Cour des comptes devrait répondre à une demande serait déterminé par le président de l’assemblée concernée, après consultation du premier président de la Cour des comptes.

Mais le Sénat a apporté à notre texte des modifications particulièrement substantielles.

A l’initiative de sa commission des lois, il a tout d’abord modifié l’article 1er, afin que les pouvoirs conférés, en matière d’enquête et de convocation pour audition, aux instances permanentes chargées de l’évaluation et du contrôle le soient selon la même procédure et pour la même durée qu’aux commissions permanentes, c’est-à-dire pour une mission limitée, d’une durée maximale de six mois, et par une autorisation expresse de l’assemblée. Le Sénat a justifié cette modification par le souci d’éviter tout déséquilibre entre les pouvoirs des commissions permanentes et ceux des instances permanentes de contrôle et d’évaluation.

Sur proposition de ses commissions des finances et des affaires sociales, saisies pour avis, le Sénat a par ailleurs apporté deux limites aux dispositions de l’article 3, relatif à l’assistance de la Cour des Comptes. Selon les dispositions qu’il a adoptées, les enquêtes ne peuvent porter ni sur le suivi et le contrôle de l’exécution des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale, ni sur l’évaluation de toute question relative aux finances publiques ou aux finances de la sécurité sociale, l’étude de ces questions étant réservée aux commissions des finances et des affaires sociales des deux assemblées ; d’autre part, la Cour des Comptes doit assurer en priorité le traitement des demandes d’enquête formulées par les commissions des finances en application de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances et par les commissions des affaires sociales en application de l’article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières.

Enfin, sur proposition de sa commission des lois, le Sénat a adopté un article 4 qui introduit dans le code des juridictions financières une disposition précisant que les modalités de la contribution de la Cour des comptes à l’évaluation figurent dans ledit code.

Les limitations ainsi apportées par le Sénat aux dispositions votées en première lecture par l’Assemblée nationale ne peuvent avoir que des conséquences très négatives sur les nouveaux droits que nous voulons conférer aux instances permanentes d’évaluation et de contrôle. Je vous propose donc de rétablir l’article 1er dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale et, à l’article 3, de supprimer l’alinéa relatif à la priorité de traitement par la Cour des comptes des demandes formulées par les commissions des finances et des affaires sociales, ainsi que l’alinéa relatif au champ des demandes pouvant être formulées par les instances permanentes d’évaluation, afin de ne pas en exclure les questions financières. Rien ne s’oppose, en revanche, à une adoption conforme de l’article 4.

Le Sénat ne saurait nous imposer sa conception du contrôle et de l’évaluation. Nous finirons, j’espère, par faire triompher notre point de vue.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il semble que ce soit un réflexe conditionné, de la part du Sénat, que de vouloir nous imposer ses règles de fonctionnement. N’en déplaise à la commission des finances du Sénat, voire à la nôtre, il me paraît raisonnable de penser qu’il n’existe pas au Parlement de domaine à tel point réservé qu’un contrôle transversal ne puisse s’exercer. Le groupe du Nouveau Centre soutiendra donc, bien sûr, les amendements du rapporteur.

M. Jean-Jacques Urvoas. La fonction de contrôle du Parlement reste pour l’essentiel à construire, et pour cela les outils qu’il est proposé de mettre en place seront très utiles. S’agissant non pas d’une loi organique, mais d’une loi ordinaire, je ne doute pas de l’issue de ce combat, que nous soutenons.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je partage la démarche du rapporteur et les points de vue qui viennent d’être exprimés. S’il est un domaine d’action que nous devons développer, c’est bien le contrôle et l’évaluation. Chaque fois que nous faisons progresser nos moyens en ce domaine, nous allons dans le sens de l’intérêt général.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958) : Prérogatives des instances de contrôle ou d’évaluation du Parlement

La Commission adopte l’amendement CL 1 du rapporteur.

En conséquence, l’article 1erest ainsi rédigé.

Article 3 (article L. 132-5 [nouveau] du code des juridictions financières) : Assistance de la Cour des comptes au Parlement pour l’évaluation des politiques publiques

La Commission adopte successivement les amendements CL 2, CL 3 et CL 4 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4 (article L. 111-3-1 [nouveau] du code des juridictions financières) : Contribution de la Cour des comptes à l’évaluation des politiques publiques

La Commission adopte l’article 4 sans modification.

Elle adopte à l’unanimité l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

* *

Amendements examinés par la Commission

Amendement CL1 présenté par M. Claude Goasguen, rapporteur :

Article 1er

Rédiger ainsi cet article :

« Après l’article 5 bis de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un article 5 ter A ainsi rédigé :

« Art. 5 ter A. – Les instances permanentes créées au sein de l’une des deux assemblées parlementaires pour contrôler l’action du Gouvernement ou évaluer des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d’une seule commission permanente peuvent convoquer toute personne dont elles estiment l’audition nécessaire, sous les réserves prévues au premier alinéa de l’article 5 bis.

« Les rapporteurs désignés par ces instances exercent conjointement leur mission dans les conditions prévues au deuxième alinéa du II de l’article 6.

« Le fait de faire obstacle à l’exercice des prérogatives prévues par le présent article est puni de 7 500 € d’amende. »

Amendement CL2 présenté par M. Claude Goasguen, rapporteur :

Article 3

Supprimer l’alinéa 3.

Amendement CL3 présenté par M. Claude Goasguen, rapporteur :

Article 3

Supprimer l’alinéa 4.

Amendement CL4 présenté par M. Claude Goasguen, rapporteur :

Article 3

À la seconde phrase de l’alinéa 5, après le mot : « mois », substituer au mot : « après » les mots : « à compter de ».

M. le Président : Avant de procéder à l’audition de Mme le garde des Sceaux, je vous propose d’aborder la création des deux missions qui sont à notre ordre du jour.

Création d’une mission d’information sur la prostitution en France

M. le Président : Le Président Ayrault m’a saisi d’une demande de création de mission d’information sur la prostitution en France. Il avait auparavant saisi la Conférence des présidents, qui a jugé qu’il appartenait à notre commission de traiter de ce sujet.

Je suis tout-à-fait favorable à la création de cette mission. C’est pourquoi, j’ai inscrit cette question très vite à notre ordre du jour.

Je vous propose que nous constituions une mission de 5 membres : 3 UMP et 2 SRC et que la présidence soit confiée à un membre du groupe socialiste. Le rapport reviendrait, dès lors, à un membre du groupe UMP.

Comme le sujet est transversal, ainsi que le Président Ayrault l’a observé, je suggère aussi que nous proposions à la commission des Affaires sociales de désigner 2 membres qui assisteraient aux travaux de la mission. Nous l’avons fait l’an passé, pour la mission sur l’exécution des décisions de justice pénale.

La commission décide de créer une mission d’information de 5 membres, dont trois appartenant au groupe de l’UMP et deux au groupe SRC, sur la prostitution en France et de proposer à la commission des affaires sociales de désigner deux membres pour assister à ses travaux.

Création de la mission d’information en vue d’améliorer l’accès au droit
et à la justice

M. le Président : La semaine dernière, lors de l’examen du projet de loi sur les professions juridiques réglementées, nous avons examiné des amendements de Mme Pau-Langevin évoquant la question de l’accès au droit. J’avais fait savoir que j’engagerai très vite un travail sur ce sujet.

C’est pourquoi je vous propose la création d’une mission d’information en vue d’améliorer l’accès au droit et à la justice.

Cette mission pourrait compter 7 membres (4 UMP, 3 SRC).

Je vous propose d’en assumer la présidence et que deux co-rapporteurs soient respectivement désignés par les groupes UMP et SRC.

M. Jean-Christophe Lagarde : Nous ne pouvons tout de même pas laisser les groupes UMP et SRC se partager la composition des missions d’information. Je souhaiterais donc que le groupe Nouveau Centre soit représenté.

M. Patrick Braouzec : Je fais la même remarque pour le groupe GDR.

M. le Président : Je n’y vois pas d’inconvénient et je vous propose une composition plus large, soit respectant strictement la représentation proportionnelle des groupes, c’est-à-dire une mission de quinze membres, huit UMP, cinq SRC, un NC et un GDR, soit, sous réserve de l’accord du groupe SRC, une composition se limitant à onze membres, six UMP, trois SRC, un NC et un GDR.

La commission décide de créer une mission d’information en vue d’améliorer l’accès au droit et à la justice, composée de onze membres, six appartenant au groupe de l’UMP, trois au groupe SRC, un au groupe Nouveau Centre et un au groupe GDR.

Enfin, la Commission procède à l’audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, sur le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (n° 2520).

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous arrivons, avec ce projet de loi, au terme d’une année de débats. C’est en effet en juin 2009 qu’a été créée la mission d’information parlementaire sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national. Son rapport, publié en janvier 2010, a servi de fondement à l’étude juridique que le Premier ministre a demandée au Conseil d’État ainsi qu’à la résolution parlementaire qui a été adoptée à l’unanimité le 11 mai dernier.

Avant de vous donner la parole, madame la ministre d’État, je souhaite vous remercier. Je vous ai, en effet, écrit pour vous demander des précisions complémentaires sur l’étude d’impact qui accompagnait le projet de loi, s’agissant du droit européen en vigueur et de la teneur des consultations qui avaient été menées. Vous me les avez adressées avec une célérité irréprochable ; je les ai aussitôt communiquées au rapporteur.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés. En adoptant le 11 mai à l'unanimité la résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, l’Assemblée nationale a exprimé, toutes tendances confondues, la vigilance de la représentation nationale et sa fidélité aux valeurs qui fondent notre pacte républicain. Le projet de loi en tire les conséquences en interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.

La volonté de vivre ensemble, qui est la base du pacte républicain, dépend en effet de notre capacité à nous rassembler autour de valeurs communes, parmi lesquelles figurent la dignité, l’égalité et la liberté. Elle exige le refus du repli sur soi et du rejet de l'autre qui caractérisent les communautarismes. Elle suppose l'acceptation du regard de l'autre et la capacité de communiquer directement et à visage découvert.

J’ai entendu s’exprimer des craintes liées notamment à la liberté religieuse. Mais, comme le montre l’intitulé même du texte, il ne s’agit pas d’une question de religion : terre de laïcité, la France assure le respect de toutes les religions et garantit à chacun le libre exercice du culte de son choix. Il s’agit d’un problème de vivre ensemble au sein de la République.

Le projet de loi a été élaboré après une large concertation avec les représentants des partis politiques, les autorités religieuses et les écoles de pensée. Il s'applique à toutes les formes de dissimulation du visage dans les lieux publics, à l’exception de celles qui relèvent de certaines coutumes ou obligations, par exemple de nature médicale.

L’importance des valeurs que nous défendons exclut toute hésitation et toute demi-mesure. Le principe est donc celui d'une interdiction générale de la dissimulation du visage dans l'espace public. Mais parce que nous voulons aussi obtenir l’adhésion à des valeurs, cette interdiction est assortie de mesures pédagogiques et dissuasives.

Nul ne peut porter dans l’espace public une tenue destinée à dissimuler son visage. Le fondement juridique de cette interdiction est un fondement constitutionnel : il s’agit de l’atteinte à l’ordre public social.

La notion d'ordre public inclut traditionnellement une composante matérielle – la sécurité, la tranquillité et la salubrité. Mais elle comporte aussi une composante immatérielle ou sociale, qui n'est pas moins importante. Celle-ci est explicite dans la jurisprudence du Conseil d'État, plus implicite dans celle du Conseil constitutionnel.

L'ordre public social exprime les valeurs fondamentales du vivre ensemble. Il recouvre ainsi la prohibition de l'inceste, de la polygamie ou l'interdiction des mères porteuses. Dans ces trois exemples, l’ordre public matériel n’est pas en jeu.

Négation de soi-même, la dissimulation du visage est une atteinte à la dignité humaine ; négation d’autrui, elle est contraire aux principes fondamentaux de la République, notamment au principe d’égalité. Comme nous avons malheureusement pu le constater, elle peut entraîner des réactions de peur, de rejet, voire d'agressivité. Elle est ainsi contraire à l’ordre public social, et potentiellement à l’ordre public général.

Cette atteinte justifie une interdiction générale et absolue. Toute mesure de police concernant une atteinte à la sécurité doit être strictement limitée et proportionnée au trouble ; mais une mesure visant une atteinte à l'ordre public social peut être de portée générale et absolue.

Certains auraient souhaité limiter l’interdiction de la dissimulation du visage aux services publics ; nous avons considéré pour notre part qu’elle devait s’étendre à l’ensemble du domaine public.

Contrairement à ce qui a pu être dit, le Conseil d'État n'a pas estimé qu'il n'existait pas de fondement juridique pour une interdiction générale. Il a simplement relevé que le Conseil constitutionnel, contrairement au Conseil d’État lui-même, n'avait pas à ce jour reconnu explicitement la notion d'ordre public immatériel.

Une interdiction limitée à certains lieux affecterait la portée et la lisibilité de notre message : comment affirmer que le voile intégral ne respecte ni la liberté, ni l’égalité, ni la dignité si nous limitons l'interdiction aux services publics ? Elle remettrait en cause la crédibilité de notre action : comment convaincre les Français que la liberté, l'égalité et le respect de la dignité des femmes commencent dans la gare et s'arrêtent à sa sortie ? En outre, elle entraînerait des difficultés pratiques. Comment savoir ce qui relève du service public et ce qui n’en relève pas ? Faudra-t-il vérifier le statut d’une banque, d’un moyen de transport ? J’ajoute qu’il est beaucoup plus facile de faire respecter, éventuellement par les forces de l’ordre, une interdiction générale. Comment un conducteur de bus en Seine-Saint-Denis, à onze heures du soir, pourrait-il faire respecter l’interdiction du port du voile intégral dans son véhicule ? C’est impossible. En revanche, si l’interdiction est générale, les policiers seront susceptibles d’intervenir toute la journée et sur l’ensemble du territoire. C’est davantage leur rôle que celui du conducteur de bus… Ne faisons pas une loi qui ne sera pas appliquée !

J’en viens aux sanctions, qui doivent garantir l'effectivité du principe.

À cet égard, le texte repose sur un équilibre entre pédagogie et fermeté. Le but est moins de sanctionner que d’obtenir le respect spontané de la règle. Il faut convaincre les femmes de renoncer d'elles-mêmes à porter le voile intégral, et convaincre ceux qui les y obligent d'accepter les règles de la vie en commun qui sont celles de notre République.

La fermeté s’exprime dans les sanctions prévues. Une distinction est faite selon que l'infraction est commise sous la contrainte ou par un choix volontaire. Le fait de contraindre une personne à dissimuler son visage, qui est une atteinte à la dignité de la personne, sera puni d'une peine d'emprisonnement d'un an et d'une amende pouvant atteindre 15 000 euros. En revanche la méconnaissance de l'interdiction prévue par la loi est constitutive d'une contravention de deuxième classe, sanctionnée par une amende d'un montant maximum de 150 euros.

Parallèlement, le projet de loi privilégie la pédagogie. Tout d’abord, nous prévoyons que le texte entrera en vigueur à l’issue d’un délai qui permettra à divers intervenants d’entreprendre des démarches d’explication. La volonté de pédagogie s’exprime également dans les sanctions retenues : un stage de citoyenneté pourra être substitué ou prescrit en complément à la peine d'amende de 150 euros. Cette peine complémentaire est prévue pour la méconnaissance volontaire de l'interdiction, mais je ne verrais pas d'inconvénient à ce qu’elle soit étendue aux cas de dissimulation forcée du visage, à condition qu'elle ne puisse intervenir qu'à titre complémentaire.

À l'heure où la mondialisation brouille certains repères, il nous revient de veiller à la protection des valeurs et des principes qui fondent notre pacte social.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur. Avant de vous présenter le rapport plus en détail mercredi prochain 23 juin, je formulerai quelques observations générales.

Nous avons déjà beaucoup travaillé sur ce sujet. Il y a eu la proposition de résolution de notre collègue du groupe communiste André Gerin le 9 juin 2009, cosignée par 58 députés de tous bords – je figurais au nombre des signataires ; le travail de la mission d’information parlementaire – à laquelle j’appartenais également ; les propositions de loi de l’UMP et du groupe socialiste, l’étude du Conseil d’État, rendue le 25 mars 2010, et enfin la résolution parlementaire votée à l’unanimité des suffrages exprimés le 11 mai. C’est tout ce travail que le texte reprend en 7 articles.

Je l’ai tenu pour acquis, et je me suis attaché à me déterminer sur deux soucis majeurs : la conformité du projet à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme d’une part, l’effectivité et la portée de l’interdiction d’autre part.

S’agissant du premier point, Mme la ministre d’État a rappelé que la notion d’ordre public a évolué. À l’ordre public matériel – sécurité, tranquillité et salubrité publiques – vient s’ajouter un ordre public immatériel ou sociétal. Certains ont cru pouvoir déduire du rapport du Conseil d’État du 25 mars dernier qu’il n’était pas d’accord avec ce projet de loi mais le président de section qui en était responsable et que j’ai auditionné m’a apporté un éclairage fort intéressant sur le contexte d’élaboration de ce rapport. Il s’agit d’une étude qui devait présenter l’état du droit. Or, le Conseil d’État, à la page 26 de ce rapport, définit l’ordre public immatériel comme « le socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société qui sont à ce point fondamentales qu’elles conditionnent l’exercice des autres libertés et qu’elles imposent d’écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle ». Cette définition est une consécration de la notion.

Au demeurant, les différences d’appréciation entre nous sont très limitées. Tous les groupes politiques ont demandé l’interdiction du voile intégral et condamné cette pratique.

L’ordre public immatériel se rapproche de certaines normes de vie ou de la civilité. Il possède une certaine identité constitutionnelle, tout comme les valeurs ou la devise de la République. Le dernier terme de cette devise, la fraternité, a lui aussi évolué quant à sa définition.

L’ordre public sociétal a été plusieurs fois consacré, notamment par le code pénal s’agissant de l’exhibition sexuelle, de l’atteinte au respect dû aux morts ou encore des outrages aux symboles nationaux, ou par le Code général des collectivités territoriales en ce qui concerne le bon ordre. Son identité constitutionnelle trouve sa source dans l’article 1er de la Constitution, qui fait référence à l’indivisibilité de la République ou à l’unicité du peuple français. Dans sa décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a estimé que ces principes s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, qu’il soit défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance. Contrairement à certains, je suis donc persuadé de la pertinence et de la force des arguments juridiques en faveur d’une interdiction générale. J’ai particulièrement apprécié l’analyse de Mme Levade, professeur de droit public que nous avons auditionnée, qui écrit que « la société démocratique interdit que la liberté individuelle se confonde avec l’autonomie intégrale qui confinerait à la souveraineté de l’individu. Des concepts comme ceux d’intérêt général, d’intérêt national, de santé publique ou d’ordre public non matériel sont les contrepoids indispensables aux excès de la primauté absolue des droits individuels. Ils constituent autant de soupapes de sécurité sans lesquelles l’État de droit ignorerait les enjeux politiques et se replierait sur lui-même et sur l’individualité au point de mettre en péril son existence en tant que société. » Nous sommes là au cœur du sujet. Avec ce texte, nous entendons condamner certaines évolutions ; nous avons tous les fondements juridiques pour y parvenir.

J’en viens à l’effectivité de l’interdiction, sur laquelle nous avons des divergences d’appréciation. Je partage pour ma part l’avis de Mme la ministre d’État : si ce comportement est indigne comme nous l’avons dit en votant solennellement une résolution, pourquoi nous contenter de demi-mesures ? Pourquoi faire reposer la responsabilité de l’application de la loi sur de simples citoyens – je pense au chauffeur de bus ? Une interdiction ciblée aurait même des effets pervers : nécessité d’affichages dans certains lieux, peut-être même certains commerces, pointillisme juridique hors de propos avec notre condamnation unanime de cette pratique.

Certains estiment qu’une interdiction générale sera difficilement applicable. Je rappelle que la peine encourue par la personne qui se dissimule le visage est une amende de 150 euros maximum. Je vous détaillerai ultérieurement la procédure pénale, mais il y a des moyens, dans le cadre de la constatation de l’infraction, d’arriver à la verbalisation. La police aura les moyens d’effectuer un contrôle d’identité – car un problème majeur lorsque le visage est dissimulé est évidemment d’identifier le contrevenant. Il faut des moyens d’identification, qui sont ceux de l’article 78-2 du code de procédure pénale. Rappelons que le refus de se soumettre à un contrôle d’identité est un délit. Dans ce domaine aussi, il y a une procédure que je détaillerai.

Mme la ministre d’État a évoqué un autre point important sur lequel nous sommes tous d’accord, la répression de l’instigateur. Contrairement à la mesure de sanction appliquée à celles qui portent le voile intégral – contravention – qui n’entrera en vigueur que six mois après la promulgation de la loi pour des raisons pédagogiques, le délit de contrainte sera immédiatement sanctionné. Je proposerai une première amélioration du texte, consistant à permettre au juge de condamner l’auteur d’un tel délit à un stage de citoyenneté. Cette peine fait partie de celles qui peuvent être prononcées en lieu et place de l’amende ou en complément à la peine principale pour la personne qui dissimule son visage. N’oublions pas, d’ailleurs, qu’il existe des alternatives au passage devant le juge – composition pénale, médiation. Mais je souhaite que l’on puisse aller au-delà de l’amende ou de la peine de prison pour l’instigateur en ordonnant aussi un stage de citoyenneté.

Je souhaiterais par ailleurs un renforcement de la peine encourue par l’instigateur lorsque la victime portant le voile est mineure.

Il serait également utile de préciser davantage les exceptions à l’interdiction générale, notamment en y introduisant – aux côtés des raisons médicales qui figurent déjà dans le texte – la pratique sportive. Je pense par exemple à l’escrime.

Enfin, je souhaite que le rapport qui sera établi suite à la promulgation de la loi comporte un bilan de sa mise en œuvre.

Mme Marietta Karamanli. Je vous remercie, madame la ministre d’État, pour les explications que vous avez apportées. Néanmoins, permettez-moi de vous poser plusieurs questions.

La première concerne la notion d’espace public. Englobe-t-elle tous les lieux ouverts au public ? Qu’en est-il des espaces de communication audiovisuelle ? Pourra-t-on interdire le port du voile à des personnes qui participent à une émission de télévision publique ? On peut d’autant plus se poser la question qu’un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 14 mars 2006 a reconnu l’espace public d’Internet.

S’agissant des sanctions, le Conseil d’État estime dans son étude que l’amende ne constitue pas, à titre principal, une réponse adaptée. Il écarte la piste du stage de citoyenneté, mais suggère une autre possibilité : l’injonction de médiation sociale. Pourquoi le projet ne retient-il pas cette solution ?

Se pose enfin la question de l’éducation. Quelles mesures envisagez-vous pour amener les femmes à abandonner le port du voile intégral ?

M. Jean Glavany. Il est temps de clore ce débat sur lequel nous nous sommes souvent opposés.

Il y a un consensus sur le fait qu’il n’y a aucune indulgence à avoir pour des pratiques qui ne sont pas des pratiques religieuses, mais bien des pratiques intégristes et extrémistes. En revanche, nous sommes pour notre part très réticents, voire opposés à une interdiction générale.

S’agissant de l’applicabilité, madame la ministre d’État, vous avez pris l’exemple d’un conducteur de bus dans un quartier difficile. Croyez-vous vraiment qu’il sera plus facile au policier de faire respecter l’interdiction dans la cité, 100 mètres plus loin ? Dans tous les cas, l’application sera très difficile. Ce n’est donc pas l’argument principal.

Le point essentiel est qu’en faisant le choix d’une interdiction générale, vous prenez un double risque juridique, par rapport à la Constitution et par rapport à la Convention européenne des droits de l’homme, qui est aussi le risque de faire un formidable cadeau aux extrémistes. Ce risque-là, nous ne voulons pas le prendre.

Par ailleurs, je poserai quatre questions.

La première porte sur les fondements juridiques. Vous dites que le principal d’entre eux est l’ordre public, mais le texte ne l’évoque pas ! J’ai bien compris que vous faisiez le pari que le Conseil constitutionnel adopterait la conception qu’a le Conseil d’État de l’ordre public social, mais pourquoi ne pas faire référence à l’ordre public tout court ? À l’inverse, vous dites que la dignité est plus fragile juridiquement – et j’en suis d’accord – mais vous l’évoquez dans l’article 4…

Ma deuxième question porte sur le risque constitutionnel. En matière de libertés, en effet, toute la tradition de notre droit veut que l’autorisation soit la règle, et l’interdiction l’exception. Dès lors, l’interdiction générale n’est-elle pas problématique ?

Troisième question : le risque de non-conformité à la Convention européenne des droits de l’homme. Dans l’arrêt Arslan, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Turquie pour une interdiction générale de ce type ; et c’est précisément pour cette raison que le maire de Barcelone, qui l’avait envisagé dans un premier temps, ne prend pas le risque d’une interdiction générale.

Ma dernière question est d’un autre ordre. Les femmes qui portent le voile intégral sont d’abord des victimes, que ce soit d’une idéologie ou d’une personne. L’amende ne devrait-elle pas être infligée seulement après un stage de citoyenneté ou une médiation sociale, en cas de récidive ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous avions quelques réserves sur la manière dont le débat s’était engagé. Le Gouvernement a essayé de l’équilibrer en le recentrant sur le principe de dignité humaine et les valeurs de la République. Nous nous en félicitons.

Le fait que l’interdiction concerne tous les lieux publics est logique : on ne peut en effet, comme cela a été dit, opérer une distinction entre des lieux où le port du voile intégral serait une atteinte à la dignité et des lieux où il ne le serait pas.

J’ai entendu les arguments qui ont été échangés sur le problème de la constitutionnalité. Pour ma part, je considère que l’ordre public sociétal existe, et que si le Conseil constitutionnel décidait qu’il doit être ignoré, le constituant que nous sommes aurait le pouvoir de trancher la question. Le problème serait évidemment plus compliqué avec la CEDH.

J’ai la conviction que le stage de citoyenneté peut être utile. En revanche, je vois mal comment identifier les récidivistes, puisque les contraventions ne donnent pas lieu à la constitution de fichiers.

La contrainte a été peu évoquée dans le débat politique. Il est heureux que le texte le fasse, car c’est un point essentiel. Pour l’avoir vu de près, je puis vous certifier que c’est parfois une réelle contrainte qui s’exerce sur les jeunes filles. Renforcer la peine encourue par l’instigateur lorsque la victime est mineure, comme le propose le rapporteur, n’est donc pas inutile.

L’application de la loi sera à l’évidence difficile. Le ministre de l’intérieur doit donc se saisir rapidement de cette question afin d’adapter la formation des fonctionnaires. Ce n’est pas la même chose de verbaliser une femme parce qu’elle porte le voile intégral ou de verbaliser un jeune qui conduit sans casque. Le comportement du policier sera donc essentiel dans cette affaire. De même, puisque les services publics sont concernés, les agents de l’État et des collectivités territoriales devront être préparés. On ne pourra en effet se permettre de disparités dans leurs réactions : ce serait immanquablement vécu comme une succession de discriminations.

La contravention de deuxième classe de 150 euros est légitime. Cela me donne l’occasion de vous poser, en tant que maire, une question incidente. Enfreindre un arrêté du maire est puni d’une amende de 30 euros. Il ne me semble cependant pas normal de punir de la même manière le fait d’uriner dans la rue et celui de mettre la sécurité des autres en danger…

M. Jean-Jacques Urvoas. Le texte n’est pas clair quant à ses fondements juridiques. Vous évoquez tantôt l’ordre public, tantôt la dignité. Vous nous parlez aujourd’hui de l’ordre public social qui, nous dites-vous, exprime les valeurs fondamentales du vivre ensemble. Or le texte ne parle pas de valeurs, mais d’exigences. Il conviendrait donc de mieux préciser ce qui, pour vous, fonde juridiquement une interdiction absolue qui, je le rappelle, n’est pas dans notre tradition.

Par ailleurs, dans une optique de sécurisation du droit, ne serait-il pas opportun que le Premier ministre saisisse lui-même le Conseil constitutionnel, sans attendre l’éventuel examen d’une question prioritaire de constitutionnalité, afin de vérifier, si la loi est votée, sa conformité à la Constitution ?

Mme Sylvia Pinel. Je m’interroge moi aussi sur le fondement juridique d’une interdiction générale. Vous faites référence au respect du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Le Conseil constitutionnel a érigé la sauvegarde de cette dignité en principe de valeur constitutionnelle. Ce principe a également été consacré par la Cour européenne des droits de l’Homme. En même temps, vous nous parlez d’une exigence d’ordre public. Quel est donc le véritable fondement juridique de l’interdiction ?

Par ailleurs, la discussion du texte doit donner lieu à une réflexion sur la lutte contre les discriminations et la refonte d’une réelle égalité des chances entre hommes et femmes.

L’article 2 fait référence à des tenues prescrites par une loi ou un règlement. Dans un souci de lisibilité, pourquoi ne pas faire expressément référence à des dérogations fondées sur des impératifs de sécurité, professionnels ou de santé ?

L’article 3 prévoit d’appliquer « avec discernement et souplesse » l’interdiction nouvelle posée par la loi. Que faut-il entendre par là ? Quelles garanties avons-nous que l’on évitera de stigmatiser l’ensemble de la population musulmane ?

Beaucoup de femmes qui portent le voile intégral sont placées dans un état de dépendance financière par leur situation sociale et économique. Dès lors, une contravention de première classe ne serait-elle pas plus adaptée ?

L’article 5 prévoit de différer l’entrée en vigueur du texte de six mois. Il y a là une contradiction. Si le fondement juridique de l’interdiction est l’ordre public et que celui-ci est vraiment menacé, pourquoi en différer l’application ?

M. Didier Quentin. Le stage de citoyenneté prévu à l’article 3 est un premier pas vers une meilleure intégration de ces femmes qui sont avant tout des victimes. Je rappelle qu’il peut compléter ou remplacer l’amende. Quel sera son contenu ? Et si c’est un véritable outil pédagogique, pourquoi ne pas le systématiser à l’ensemble des femmes verbalisées ?

En ce qui concerne l’applicabilité, avez-vous prévu avec le ministre de l’intérieur une formation pour les policiers qui auront à faire face à ces situations complexes ?

L’article 5 prévoit que les articles 1er à 3 du texte seront applicables six mois après sa promulgation, et l’article 4 dès son entrée en vigueur. Qu’est-ce qui justifie une telle différence ? Une campagne d’information ou de sensibilisation sur le caractère non religieux de l’interdiction sera-t-elle mise en œuvre, en lien par exemple avec le Conseil français du culte musulman ?

M. Philippe Goujon. Faire le choix d’une interdiction partielle, ce serait transiger avec les principes républicains. Une interdiction générale me paraît être la seule solution possible. Certains disent qu’alors, ces femmes ne sortiront plus de chez elles ; mais que veut dire sortir de chez soi dans une prison de tissu qui empêche toute communication avec l’extérieur ? Et si l’on s’oriente vers une interdiction seulement partielle, alors pourquoi ne pas autoriser, par exemple, les horaires réservés dans les piscines ? Même si le nombre de femmes concernées n’est pas très élevé, il s’agit d’un problème de principe – d’autant plus que le fait de sortir dans cette tenue peut relever de la provocation.

Je ne reviens pas sur l’atteinte à la dignité de la femme et à l’égalité entre les sexes. S’agissant de l’ordre public, nous mettons tout en œuvre pour lutter contre l’insécurité : dans la loi du 2 mars 2010, nous avions adopté, parmi les dispositions renforçant la lutte contre les bandes violentes, un article visant les personnes cagoulées ; ce qui est proposé aujourd’hui est complémentaire. D’ailleurs, si l’on se place sur un plan religieux – bien que ce texte ne repose pas sur cette base –, on peut constater que le pèlerinage de La Mecque, par exemple, s’effectue le visage découvert, de même que la prière : cela n’entrave pas la pratique religieuse.

Serait-il possible d’approfondir la définition de la dissimulation du visage ?

Quant au stage de citoyenneté, quels sont les personnels qui l’assureront ? En quoi consistera-t-il exactement ?

Enfin, pour la bonne application de ce texte, il est essentiel que les consignes données aux effectifs de police et aux autres personnels concernés soient très précises.

M. Charles de La Verpillière. Je suis favorable à l’interdiction générale : dans ce domaine, c’est tout ou rien, puisque ce sont des principes qui sont en cause.

Trois problèmes se posent.

Le plus difficile est celui de l’effectivité et de l’applicabilité. Il serait en effet extrêmement grave que cette loi soit bafouée : il faut donc absolument anticiper les difficultés qui peuvent être rencontrées, à certaines heures et dans certains endroits.

Le deuxième est celui de la conformité à la Convention européenne des droits de l’homme.

Concernant le troisième, celui de la constitutionnalité, je suis moins inquiet que certains collègues. L’avis réservé du Conseil d’État s’explique parfaitement : le Conseil d’État prend position au vu de la jurisprudence – la sienne et celle du Conseil constitutionnel –, mais celle-ci s’élabore à partir de cas ; par conséquent, elle ne peut pas anticiper – puisque les arrêts de principe sont interdits en droit français. Il me semble donc qu’il ne faut pas avoir trop de craintes ; il y a dans notre bloc de constitutionnalité des principes sur lesquels peut s’appuyer cette interdiction générale et absolue : la dignité humaine, la fraternité, et aussi la confiance. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen s’inspire en effet largement des écrits des philosophes des Lumières, parmi lesquels le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau : pour vivre ensemble en société, il faut pouvoir se faire confiance, ce qui implique de pouvoir s’identifier et d’agir à visage découvert.

La suggestion faite par notre collègue Urvoas d’une saisine du Conseil constitutionnel par le Premier ministre me paraît bonne. Il ne faudrait pas rester dans l’incertitude jusqu’à ce qu’une question prioritaire de constitutionnalité soit posée et tranchée.

M. Abdoulatifou Aly. La question de la dissimulation du visage a révélé que nombre de nos concitoyens connaissent très mal les valeurs fondamentales de la République et, aussi, connaissent très mal l’Islam, y compris ceux qui se revendiquent musulmans. Ne serait-il pas opportun que l’Éducation nationale dispense un enseignement à tous sur ces sujets ? Je constate que chez moi à Mayotte, ou à la Réunion, le problème qui nous occupe ne se pose pas !

Quant aux sanctions, est-ce la vraie solution ? Je ne suis pas sûr qu’une sanction, quelle qu’elle soit, soit suffisamment dissuasive. Pour l’avenir, il faut surtout que tout le monde comprenne que l’on n’a pas besoin de cette dissimulation du visage ; mais pour le comprendre, il faut avoir réalisé que ce n’est pas une question religieuse. La France est connue dans le monde entier comme un pays de liberté ; or ce texte restreint la liberté : cela me choque.

J’appelle donc l’attention sur le fait que la loi que nous préparons ne va pas dans le sens de la liberté ; c’est au contraire une loi liberticide, dont il faut considérer les implications non seulement pour le présent, mais aussi pour l’avenir. Il faut peut-être interdire, mais pas de manière absolue. Cela étant, je ne sais pas comment y parvenir.

Mme George Pau-Langevin. Cela fait assez longtemps que nous parlons du voile intégral, sujet qui n’est pas prioritaire dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Nous sommes tous d’accord pour souhaiter que cette pratique disparaisse dans notre pays, où elle est relativement nouvelle, mais nous divergeons sur les moyens.

L’intervention de notre collègue de Mayotte me fait réagir à ce qui figure dans l’étude d’impact. Pour m’être rendue souvent tant à la Réunion qu’à Mayotte, il me paraît clair que ce ne sont pas les endroits où l’on voit le plus de femmes en voile intégral. Il faudrait donc éviter de diffuser parmi nos concitoyens des assertions qui relèvent surtout de préjugés.

Le meilleur moyen de faire avancer la situation n’est pas, selon nous, d’arrêter les femmes qui portent un voile intégral et de leur infliger une amende – et donc, par là-même, de favoriser la multiplication d’incidents. Il serait beaucoup plus efficace de dire que notre pays n’accepte pas cette tenue et qu’en conséquence, il sera impossible à toute personne qui la porte de s’adresser à quelqu’un pour bénéficier d’un service public ou d’une prestation ou pour conclure un contrat.

Madame la ministre d’État, le conducteur de bus dont vous parliez est, de façon bien plus générale, très démuni pour faire face à ce qui peut se passer – par exemple la montée dans son véhicule d’une bande de jeunes bien éméchés… La solution serait de lui apporter le renfort d’une ou deux personnes.

Quant aux policiers, je constate, y compris dans ma circonscription, qu’ils ont souvent tendance à ne pas trop remarquer, le soir, des personnes qui sont susceptibles de se livrer à certains trafics illicites. Je les imagine donc mal arrêter les femmes en voile intégral qui passent.

Enfin, il est bien de dire que l’on veut défendre les femmes et les aider à s’émanciper ; mais je ne vois pas dans ce projet ce qui est destiné à les épauler. Si on inflige une amende au mari, la situation de la femme va peut-être empirer. Et beaucoup d’associations qui regroupent des femmes issues de l’immigration ou qui travaillent dans ce milieu voient leurs moyens diminuer…

M. Guy Geoffroy. Pour ma part, je n’ai pas le sentiment que nous débattions d’une question mineure. J’ai toujours pensé que, pour reprendre une formule utilisée par le Président de la République, la burqa n’était pas bienvenue dans notre pays.

On a beaucoup parlé de valeurs, de dignité, mais je n’ai pas encore entendu le mot « respect ». Il me paraît avoir sa place dans notre débat. Le respect de la dignité de la personne humaine me paraît être l’un des fondements essentiels de notre démarche.

De quoi s’agit-il, en réalité ? D’une violence de plus, caractérisée et gravissime, à l’encontre des femmes. Aux violences de genre « traditionnelles » s’ajoute une violence de genre nouvelle, l’instigation au port du voile intégral.

La principale question qui se pose à nous est celle de l’effectivité de la mise en œuvre des dispositions que nous allons voter. Je faisais partie de ceux qui s’interrogeaient sur notre capacité à rendre effective l’application d’une loi de portée générale dans l’ensemble de l’espace public. Le temps consacré à la réflexion, l’élaboration de la résolution que nous avons votée puis les explications très claires de Mme la ministre d’État tout à l’heure m’ont conduit à modifier mon point de vue. Je suis aujourd’hui convaincu que l’effectivité suppose non pas de séparer les espaces, mais au contraire de considérer l’espace public dans son ensemble.

Si l’on parle d’espace public, c’est sans doute parce qu’il y a des lieux d’expression de la société dans son ensemble, des lieux du « vivre ensemble », que l’on appelle « publics » parce que l’expression des droits liés à la vie privée ne peut y être absolue. C’est la raison pour laquelle je suis persuadé qu’il n’y a de risque ni au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, ni au regard de la Constitution. Cela étant, il me paraîtrait à moi aussi opportun que le Premier ministre demande au Conseil constitutionnel de trancher immédiatement, sans attendre qu’il soit saisi par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité.

S’agissant du stage de citoyenneté, il est important de savoir en quoi il consistera, qui va le décider et l’organiser et quel sera le rôle de la puissance publique locale. Incontestablement, les maires et les moyens qui sont à leur disposition vont être très sollicités. Nos polices municipales vont avoir un rôle considérable, s’agissant de matière contraventionnelle ; il est fort probable que la police nationale leur laisse le soin de gérer ces questions. Nous avons donc besoin de précisions sur la manière dont tout cela va s’organiser.

Enfin, comment ferons-nous pour lutter contre la réitération de ces pratiques ? Nous devons faire en sorte que ne s’organise pas, sur le terrain, un jeu très pervers de chat et de souris.

Mme Sandrine Mazetier. Je voudrais rappeler que ce texte porte sur l’interdiction de la dissimulation du visage, et non sur le port du voile intégral. Il s’applique donc, conformément aux principes républicains, à tous les individus. Je regrette qu’il y ait si souvent des amalgames.

Je ne reviens pas sur ce qui a été dit par mes collègues du groupe SRC sur le fait que, madame la garde des sceaux, vous avez mis en avant dans votre présentation l’ordre public social, alors que ce n’est pas ce qui est développé par le texte lui-même. Je m’étonne que vous vouliez faire émerger une jurisprudence sur un ordre public caractérisé. Nous savons ce qu’est l’ordre public, mais nous savons beaucoup moins ce qu’est l’ordre public social ou sociétal, notion qui va ouvrir des boulevards ! Je ne suis d’ailleurs pas sûre que ce soit au Conseil constitutionnel de la cerner.

Je m’étonne aussi que le rapporteur ait cité Mme Anne Levade car il me semble qu’elle nous avait justement alertés sur les risques constitutionnels et conventionnels et sur le fait qu’une interdiction générale et absolue était extrêmement rare et devait être justifiée par un danger majeur. Or on constate ici un problème de proportionnalité : s’il y avait remise en cause majeure de notre vivre ensemble et des fondements de notre société, il serait étrange de ne prévoir que des peines contraventionnelles…

S’agissant du vivre ensemble, je voudrais par ailleurs vous demander, madame la ministre d’État, monsieur le rapporteur, ce que vous pensez de l’initiative prise ces derniers jours, avant d’être interdite par la préfecture de police, d’organiser dans l’espace public un apéritif au saucisson et au vin.

M. Guy Geoffroy. Quel est le rapport ?

Mme Sandrine Mazetier. Cette affaire montre bien qu’il n’y a pas besoin de voter des lois pour veiller à l’ordre public.

Mme la ministre d’État. Cela se fait sur le fondement des lois existantes.

Mme Sandrine Mazetier. Je suis surprise que l’identité de la principale organisatrice, Mme Sylvie François, ne soit pas révélée.

Enfin, j’aimerais que vous précisiez la définition de l’espace public figurant à l’article 2. Pouvez-vous nous confirmer que, si ce texte est adopté, il sera obligatoire d’être à visage découvert non seulement sur les voies publiques, mais dans tous les lieux ouverts au public, et donc, par exemple, dans une mosquée ou dans une église ?

M. Éric Diard. Il est bien que ce projet s’appuie sur la notion d’ordre public, et non sur celle de laïcité – ce qui reviendrait à considérer le voile comme un signe religieux – ni sur celle de dignité de la personne – concept incertain qui pourrait conduire certains à considérer, par exemple, que le fait pour une jeune fille de montrer son nombril est une atteinte à la dignité !

Le fait de dissimuler son visage peut être considéré, en revanche, comme une menace à l’ordre public. Il empêche en effet l’identification de la personne. En outre, le voile intégral peut permettre aussi la dissimulation d’armes.

Mme la ministre d’État. Comme le rapporteur l’a rappelé, les conclusions formulées par le Conseil d’État en mars dernier ne font nullement obstacle à ce projet de loi, l’ordre public social étant une réalité dans sa jurisprudence comme dans celle du Conseil constitutionnel, où il est évoqué sous les vocables d’intérêt général ou d’intérêt national.

Quant à l’idée de renforcer la sanction dans le cas où la victime est mineure, elle me paraît pouvoir donner lieu à un amendement. Nous avons en effet toujours souhaité protéger les personnes en situation de faiblesse.

S’agissant de la liste des exceptions, certes je souhaite que la loi soit compréhensible par tous, mais on sait bien que toute énumération emporte le risque d’un oubli. Sans doute faudra-t-il marier les deux approches, peut-être en faisant référence à des circonstances – médicales, sportives…– et en les illustrant par des exemples.

Je ne suis pas contre le principe d’un bilan, à condition de fixer des critères permettant de procéder à des comparaisons.

Madame Karamanli, le texte vise l’espace public au sens large, mais il ne concerne pas les moyens de communication audiovisuelle et Internet.

Vous avez également parlé d’injonction de médiation sociale. Ce que nous voulons faire relève bien de la médiation sociale, notamment le stage de citoyenneté. Nous verrons s’il faut utiliser ce vocable, mais il ne faut pas oublier le sens précis qu’il peut avoir. Quoi qu’il en soit, les décisions relèveront du juge.

Que M. Glavany soit rassuré. L’arrêt Ahmet Arslan du 23 février 2010 concernait le port d’un turban et le fait que la Turquie, en l’espèce, avait considéré que le port d’un signe religieux menaçait la sécurité publique. La CEDH ne s’est nullement prononcée sur un fondement qui pourrait s’appliquer aux dispositions que nous proposons. En revanche, la dignité de la personne humaine justifie, pour la CEDH, que des limitations soient apportées aux pratiques qui y portent atteinte.

Le risque juridique est donc limité, tant au regard de la Convention européenne que dans notre ordre interne ; et choisir de ne rien faire serait un véritable cadeau aux extrémistes.

Oui, l’application de la loi sera difficile, j’en suis bien consciente. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous voulons user de pédagogie. Disant cela, je réponds aussi à M. Aly : le mieux serait que la pédagogie nous permette d’éliminer le problème avant d’avoir eu besoin d’appliquer des sanctions.

Les femmes sont, en effet, des victimes – de leurs maris ou des intégristes qui les persuadent. J’ai d’ailleurs lu à ce sujet un livre remarquable, intitulé La République ou la burqa, de Dounia Bouzar et Lylia Bouzar. C’est bien parce que nous pensons que les femmes sont d’abord des victimes que nous donnons la priorité au stage de citoyenneté.

Monsieur Lagarde, le stage de citoyenneté est en effet un outil pédagogique. Le problème de la récidive ne me paraît pas se poser, dès lors que les personnes seront en général sur leur lieu de vie, où elles sont donc connues.

Dans les services publics, une information des agents sera en effet nécessaire pour les aider à adopter le comportement adéquat.

La question de la hiérarchie des contraventions sort du cadre de notre débat, mais il serait en effet très intéressant, monsieur le président, de revoir la hiérarchie des peines dans l’ensemble de notre code pénal.

Monsieur Urvoas, notre droit ne fait pas de place aux interdictions générales lorsqu’il s’agit de l’ordre public matériel, lequel impose l’application d’une règle de proportionnalité aux risques encourus ; mais notre projet concerne l’ordre public social.

L’éventualité d’une saisine du Conseil constitutionnel par le Premier ministre mérite d’être examinée. L’avantage serait de stabiliser très vite la situation.

Madame Pinel, les différentes sortes de violences faites aux femmes ont déjà fait l’objet d’autres débats. Rien ne vous empêchera, lors du débat en séance publique, de replacer la discussion de ce texte dans un cadre plus général. Toutefois il ne vous faudra pas oublier le fait que ce projet n’a pas pour seul objet le port du voile intégral ; il est important de le répéter.

Oui, les forces de l’ordre, comme les agents des services publics, auront besoin d’une formation.

Si nous considérons que les sanctions doivent être différées, c’est parce que les femmes qui portent le voile intégral sont d’abord des victimes qui doivent être aidées.

Monsieur Quentin, le stage de citoyenneté a pour objet de rappeler à la personne les valeurs républicaines, les valeurs du vivre ensemble, fondées sur la confiance. Je vous renvoie à l’article 131-5-1 du code pénal. Nous proposerons des modules de formation adaptés.

Monsieur Aly, certes le port du voile intégral ne se pratique pas à Mayotte, mais il n’en va pas de même dans la zone géographique environnante. Je suis d’accord avec vous pour développer l’enseignement sur les valeurs de la République ; les cours d’éducation civique dès l’enseignement primaire devraient d’ailleurs normalement permettre de répondre à votre préoccupation. En revanche, je ne peux pas vous suivre quand vous affirmez que ce texte serait liberticide : c’est le contraire. Ou alors, il vous faut dire que la loi qui interdit de se promener tout nu dans la rue est liberticide !

Madame Pau-Langevin, le fait d’interdire tout contrat signifie interdire d’aller acheter du pain, de recevoir des prestations sociales ou de recevoir des soins… Les valeurs du vivre ensemble ne se restreignent pas au contrat. Le vivre ensemble, c’est l’échange, lequel repose sur la confiance ; et celle-ci suppose de montrer son visage. Tout le monde doit contribuer à aider les femmes à s’émanciper, en particulier les responsables du CFCM, les collectivités locales et les associations.

Monsieur Geoffroy, les modules de formation proposés dans le cadre des stages de citoyenneté seront validés par le procureur de la République.

Madame Mazetier, les lieux de culte font en effet partie des lieux ouverts au public, mais à l’intérieur de ces lieux de culte, l’application des règles relève des responsables religieux, qui sont seuls compétents pour faire appel aux forces de l’ordre.

Monsieur Diard, vous avez rappelé l’analyse juridique qui nous a conduits à nous appuyer sur l’ordre public, mais sans nous limiter à l’ordre public matériel, notre premier souci étant de réaffirmer les valeurs de la République et de notre vivre ensemble.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Merci beaucoup, madame la ministre d’État.

Nous examinerons les articles de ce projet de loi la semaine prochaine.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

— M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur sur le projet de loi portant réforme des juridictions financières (n° 2001) ;

— M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur sur le projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif au Défenseur des droits (n° 2573) et sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif au Défenseur des droits (n° 2574).

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La séance est levée à 13 heures 55.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Abdoulatifou Aly, Mme Brigitte Barèges, M. François Bayrou, M. Jacques Alain Bénisti, M. Étienne Blanc, M. Émile Blessig, M. Serge Blisko, M. Claude Bodin, M. Marcel Bonnot, M. Gilles Bourdouleix, M. Patrick Braouezec, M. Alain Cacheux, M. François Calvet, M. Jean-Michel Clément, M. Éric Diard, M. René Dosière, M. Olivier Dussopt, M. Jean-Paul Garraud, M. Guy Geoffroy, M. Charles-Ange Ginesy, M. Claude Goasguen, M. Daniel Goldberg, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, M. Michel Hunault, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Charles de La Verpillière, M. Bruno Le Roux, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Yves Nicolin, Mme George Pau-Langevin, Mme Sylvia Pinel, M. Didier Quentin, M. Jean-Jack Queyranne, M. Dominique Raimbourg, M. Georges Siffredi, M. Jean Tiberi, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. André Vallini, M. Manuel Valls, M. Christian Vanneste, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. Alain Vidalies, M. Philippe Vuilque, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - Mme Delphine Batho, M. Jérôme Lambert

Assistait également à la réunion. - M. Jean Glavany