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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 18 octobre 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Hervé Pelletier, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS)

La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Hervé Pelletier, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS).

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous recevons aujourd’hui M. Hervé Pelletier, qui préside la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Il est accompagné de M. Olivier Guérin, délégué général de cette commission.

Cette audition porte d’abord sur la présentation du rapport d’activité de la commission, qui vient d’être publié. Très régulièrement, la commission des Lois entend les représentants des autorités administratives dans ce cadre. Par ailleurs, M. Manuel Valls m’a également demandé d’organiser cette audition, compte tenu d’un dossier d’actualité…

Je rappelle que cette autorité administrative indépendante accueille en son sein deux parlementaires, MM. Jean-Jacques Hyest et Daniel Vaillant, ce dernier, membre de notre Commission, étant ici présent.

Je laisse maintenant la parole au président de la CNCIS, afin qu’il puisse présenter tant la commission que son rapport d’activité puis, conformément aux modalités habituelles de notre travail, ceux d’entre nous qui le souhaiteront pourront interroger M. Hervé Pelletier.

M. Hervé Pelletier, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. La CNCIS est une autorité administrative indépendante – j’insiste d’emblée sur ce dernier terme : ce matin, une station de radio évoquait la commission en indiquant qu’elle dépendait de Matignon, ce qui n’est pas le cas.

Elle a été créée par la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques.

Cette loi prévoit trois principes directeurs régissant les écoutes téléphoniques administratives – la loi traite aussi les écoutes judiciaires, mais celles-ci ne sont pas du domaine de la commission.

Le premier principe fondamental est le suivant : la limitation du nombre des motifs pouvant justifier une interception de sécurité.

L’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 les énumère :

– la recherche de renseignements intéressant la sécurité nationale : ce motif correspond à environ 26 % des demandes ;

– la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, pour moins de 1 % des demandes ;

– la prévention du terrorisme, qui représente 24 % des demandes ;

– la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées, soit quelque 48 % des demandes – il s’agit du motif le plus souvent utilisé ;

– la prévention de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous, pour moins de 1 % des demandes.

Au fil des années, la commission a été conduite à donner certaines interprétations de ces motifs qui peuvent justifier des interceptions.

Le deuxième principe fondamental est la limitation du nombre des personnes habilitées à saisir d’une demande d’interception de sécurité le Premier ministre, seule autorité compétente pour y faire droit.

Trois ministres peuvent déclencher la procédure : les ministres chargés de la défense, de l’intérieur et des finances. Ceux-ci signent en principe eux-mêmes les demandes ; à défaut, ils peuvent les faire signer par des collaborateurs habilités par écrit – en général le directeur de cabinet.

Chaque ministère dispose d’une fraction du contingent maximum d’écoutes fixé par le Premier ministre à 1840.

Le troisième principe est la création, par la loi du 10 juillet 1991 précitée, d’une autorité administrative indépendante, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, que je préside depuis deux années. La commission est chargée par la loi de s’assurer de sa stricte application ; elle est notamment, en application de son article 14, investie du pouvoir de recommander au Premier ministre d’interrompre une interception qu’elle estime avoir été autorisée en méconnaissance de la loi.

J’en viens maintenant aux règles de composition et de fonctionnement de la commission. Aux termes de l’article 13 de la loi du 10 juillet 1991, la commission est composée de trois membres : deux parlementaires, un député – présent parmi nous cet après-midi – et un sénateur, l’un et l’autre désignés par le président de leurs assemblées respectives ; en outre, un président désigné, pour une durée de six ans, par le Président de la République, sur une liste de quatre noms établie conjointement par le vice-président du Conseil d’État et le premier président de la Cour de cassation.

Outre la procédure de nomination, d’autres garanties d’indépendance des trois membres sont prévues : ils ne peuvent être, en quelque sorte, « démissionnés d’office » et leur mandat n’est pas renouvelable.

La commission comprend, par ailleurs, un délégué général, M. Olivier Guérin, ainsi qu’un chargé de mission, qui n’est, à ce jour, pas encore désigné, M. Guérin ayant assuré cette fonction jusqu’à sa nomination récente au poste de délégué général.

Il était d’usage que le président de la commission soit un membre du Conseil d’État. Pour ma part, je suis issu de la Cour de cassation, dont je présidais la chambre criminelle il y a encore deux années.

Dans les faits, la commission se réunit à intervalles réguliers. Compte tenu du rythme hebdomadaire de l’étude des demandes, une habilitation m’a été conférée en tant que président, au nom de la commission, dans le respect de la jurisprudence.

Il s’agit donc d’une très petite structure. Nous sommes de fait presque tous présents aujourd’hui dans cette salle, à l’exception de M. Jean-Jacques Hyest, ancien président de la commission des Lois du Sénat.

Je souhaiterais aborder la question de l’étendue du contrôle effectué par la commission. Ce contrôle est de plus en plus exigeant.

La première mission de la commission est le contrôle des autorisations d’interception.

Ce contrôle a lieu, tout d’abord, en amont. La loi de 1991 avait prévu un contrôle a posteriori, mais dès sa mise en place, la première commission a instauré, proprio motu, un système d’avis a priori qui semble beaucoup plus efficace au regard de l’objectif de protection des libertés publiques. Ce système n’a, à ma connaissance, jamais été remis en cause par aucun gouvernement. L’actuel Premier ministre, M. François Fillon, a reconnu son utilité en 2008.

Ce contrôle porte sur la forme des demandes d’autorisation ; il consiste notamment à vérifier que les signataires des demandes d’autorisation ont bien été habilités à cet effet. Ce contrôle porte aussi sur le respect des contingents d’interception.

Par ailleurs, ce contrôle porte également sur le fond, à savoir la justification de la demande d’interception de sécurité au regard des cinq motifs précités ainsi que du respect du principe de proportionnalité entre le but recherché et la mesure sollicitée. Ce contrôle a aussi pour objet la motivation de la demande ; depuis 2008, la commission retient la formule suivante : celle-ci doit être « suffisante, pertinente et sincère ».

Les différents motifs pouvant justifier ces interceptions ont donné lieu à des interprétations jurisprudentielles de la commission. À titre d’exemple, si la sécurité nationale est considérée comme englobant des mouvements de caractère insurrectionnel pouvant porter atteinte à la forme républicaine des institutions, en revanche, tout trouble à l’ordre public ne relèvera pas de ce motif. Par ailleurs, la notion de terrorisme doit être définie de manière restrictive, selon les exigences du code pénal – on ne saurait y assimiler n’importe quelle violence, même extrême.

Ce contrôle s’exerce également en aval : une fois l’interception mise en place, la commission contrôle l’évolution de sa justification dans le temps.

Depuis 2003, la commission a institué un « contrôle continu », fondé sur une lecture attentive des « productions », à savoir le résultat transcrit par écrit des écoutes. Bien évidemment, compte tenu du nombre, la commission procède en la matière par sondages, mais la méthode est fort utile. Elle permet à la commission de recommander la cessation anticipée d’une écoute autorisée lorsque les justifications d’origine ont disparu.

Il est moins lourd, au plan procédural, d’adresser directement aux services une préconisation d’interdiction, procédure qui s’est révélée également très efficace.

La deuxième mission de la commission est le contrôle de l’exécution des interceptions de sécurité.

Une fonction essentielle est, en la matière, prise en charge par le Groupement interministériel de contrôle (GIC), placé sous l’autorité directe du Premier ministre, auquel est confiée la centralisation de l’exécution des écoutes. Le GIC est actuellement dirigé par un officier général et dispose d’outils techniques performants. Il assure, dans des conditions répondant aux normes de sécurité et de secret-défense, l’interface avec les services des opérateurs téléphoniques. Le GIC, il faut le préciser, est un conseiller technique privilégié de la CNCIS et il lui fournit, à sa demande, toutes les informations requises.

Le GIC dispose d’antennes régionales en province, que la commission visite régulièrement. Cette année, la commission a procédé à une vingtaine de déplacements. J’ai récemment inauguré une de ces antennes dans l’Est de la France.

Je voudrais maintenant donner quelques chiffres reflétant l’activité de la commission.

Ces chiffres issus du présent rapport portent sur l’activité de la commission en 2010. Les données relatives à l’année 2011 ne devraient cependant pas être très différentes.

Pour 2010, on a dénombré un total de 6 010 demandes d’interceptions, dont 3 776 demandes initiales et 2 234 demandes de renouvellements.

31 avis négatifs ont été adressés au Premier ministre par notre commission, et tous ont été suivis par celui-ci. Au total, on dénombre donc 5 979 constructions effectives, si l’on peut dire. En prenant en compte 7 recommandations formelles et 57 préconisations de cessation de l’interception, on dénombre au total 95 dossiers pour lesquels une interception prévue ou provisoirement installée a pris fin grâce à la commission, ce qui représente environ 1,5 % de l’ensemble des demandes.

Il convient d’ajouter les contrôles des demandes relatives à l’exploitation des données techniques de communication, dans le cadre de la préparation d’éventuelles interceptions de sécurité, en application de l’article 22 de la loi de 1991. On a dénombré 4 089 requêtes émises par les services habilités à réaliser des interceptions de sécurité. Sur ce total, 3 407 ont été validées et 682 ont été rejetées. La commission a eu l’occasion de rappeler que toute demande individualisée, portant sur les données techniques de communication, fondée sur l’article 22 de la loi de 1991, et pour l’un des motifs mentionnés par la loi, devait être soumise à son examen. C’est très important.

La loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers a conféré à la commission une responsabilité supplémentaire. Elle a institué un système technique perfectionné permettant de disposer des données techniques de connexion d’individus fortement soupçonnés de mener des actes terroristes et confié à la commission la responsabilité de nommer la personnalité qualifiée chargée de répondre en urgence aux demandes des services. Forte de cette nouvelle prérogative, la commission a développé un dialogue avec cette personnalité et incité – je dirais avec succès – celle-ci à s’inspirer de ses propres méthodes de contrôle.

Ce dispositif est prévu, à titre expérimental, jusqu’en décembre 2012. On verra alors s’il y a lieu de le renouveler ou non.

En moyenne, en 2010, 879 demandes ont été traitées chaque semaine par cette personnalité qualifiée et contrôlées par la commission.

Un total de 45 716 demandes ont été examinées, parmi lesquelles 38 000 ont été validées, 7 000 environ renvoyées et 90 rejetées définitivement.

Je conclurai ce propos liminaire par deux observations. D’une part, compte tenu de l’évolution des moyens de communication, le nombre des interceptions de sécurité montre que celles-ci demeurent, conformément à la volonté du législateur en 1991, des mesures d’exception.

D’autre part, je voudrais, m’adressant au législateur, insister sur le développement constant des technologies de communication, l’apparition de nouvelles atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, plus complexes, notamment en matière d’intelligence économique ou de cybercriminalité, ainsi que l’accroissement et la diversification des besoins opérationnels des services : l’ensemble de ces éléments impliquent une réflexion sur l’évolution du dispositif législatif régissant les communications électroniques ainsi que la protection du secret des correspondances privées. Au regard des exigences de protection des libertés publiques et des droits individuels, ainsi que sous l’impulsion, notamment, du droit européen, les perspectives de réforme devraient s’orienter vers un accroissement du périmètre d’action et de contrôle de la commission.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le Président, avant de donner la parole aux membres de la commission des Lois qui voudraient vous interroger, je souhaiterais que puissent être clarifiés deux points de droit.

Le premier concerne l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 qui fonde l’exception au principe du contrôle des interceptions de sécurité par la commission que vous présidez. Confirmez-vous que cet article concerne exclusivement des balayages généraux de fréquences hertziennes – et non pas des interceptions particulières – balayages réalisés pour des motifs tenant à la défense des intérêts nationaux, et uniquement pour ces motifs ?

M. le Président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Il est vrai que l’articulation des articles 20 et 22 de la loi de 1991 n’est pas évidente. L’article 20 dispose que « les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer, aux seules fins de défense des intérêts nationaux, …

M. Bernard Roman. Aux seules fins de défense des intérêts nationaux !

M. le Président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne ne sont pas soumises aux dispositions des titres Ier et II de la présente loi ». Il apparaît que le législateur de 1991 a entendu réserver une exception au principe du contrôle des interceptions de sécurité par la CNCIS, exception fondée sur la nature même des mesures concernées, à savoir une surveillance générale du domaine radioélectrique par des opérations aléatoires de balayage des fréquences en vue de défendre les intérêts nationaux. On relève notamment dans les travaux préparatoires à la loi de 1991 que « ces techniques réalisées dans le cadre de la mission générale de défense et ne visant pas des communications individualisables, ne peuvent être considérées comme des ingérences de l’autorité publique dans l’exercice par toute personne de son droit au respect de sa correspondance au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ».

S’agissant de l’emploi de portables utilisant les voies hertziennes, la Commission nationale, dans son rapport public établi pour 1998, a estimé que cette exception devait s’interpréter restrictivement : « toute interception de correspondances échangées par la voie d’une télécommunication qui n’entre pas dans le champ de l’article 20 est soumise, quel que soit le mode de transmission, filaire ou hertzien, aux conditions et procédures fixées par la loi du 10 juillet 1991 » ; cette règle a d’ailleurs été clairement rappelée, M. Vaillant s’en souvient, dans certaines décisions récentes rendues par la CNCIS.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Il est donc clair qu’aucune décision individuelle d’écoute ne peut être prise sur le fondement de cet article 20. Je crois que personne ici ne le conteste.

Le deuxième point que je souhaiterais voir éclairci concerne l’article 6 de la loi du 23 janvier 2006 qui a mis en place un régime spécifique applicable dans le cadre de la lutte contre les atteintes à la sécurité nationale que constituent les actes terroristes : cette procédure permet à l’autorité administrative de procéder à des vérifications après avoir sollicité l’accord d’une personnalité qualifiée.

M. le Président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. J’ai donné les chiffres relatifs à ce contrôle exercé par la personnalité qualifiée ; je rappelle néanmoins que la CNCIS exerce dans ce cadre un contrôle a posteriori, afin de s’assurer de la réalité du fondement de la procédure.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Bien évidemment cette procédure ne se fait pas en dehors de tout contrôle de la CNCIS. En tout état de cause, cette procédure permet un contrôle des factures détaillées de téléphonie dans le cadre d’affaires de terrorisme.

M. le Président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. En effet, du moins jusqu’à la fin de l’expérimentation ; je dois dire que cette procédure fonctionne très bien.

M. Daniel Vaillant. En tant que membre de la CNCIS, désigné par le Président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, je suis parfaitement solidaire du rapport qui vient de nous être présenté. La loi de 1991 a fait la preuve de son utilité et son application ne posait aucune difficulté jusqu’à une période récente. Sans doute cette législation devra-t-elle être retouchée au cours de la prochaine législature, notamment pour trancher la question de la pérennisation de l’expérimentation en matière de lutte contre le terrorisme et intégrer l’usage des nouvelles technologies de l’information et de l’Internet. En matière terroriste, la CNCIS contrôle a posteriori le respect du cadre légal et il nous est apparu que la procédure de l’article 6 de la loi de 2006 fonctionnait bien. La personnalité qualifiée joue pleinement son rôle. J’ajoute que, par ailleurs, lorsque les services du Premier ministre sont saisis d’une demande émanant des services des trois ministères concernés, ils saisissent systématiquement la CNCIS et suivent son avis – cette procédure est d’ailleurs perçue, par eux, comme protectrice ; que ce soit sous l’égide de l’actuel président ou de son prédécesseur M. Dewost, la CNCIS est systématiquement saisie par les services du Premier ministre et les règles posées par la loi de 1991 sont respectées… à la condition, bien sûr, que Matignon soit effectivement saisi ! Or la question se pose aujourd’hui ; nous l’avons évoqué lors de l’audition récente du ministre de l’Intérieur par notre commission des Lois. Alors que nous avions déjà alerté sur cette question il y a deux ans, que des rappels avaient été faits sur des risques de dérapage, il semble y avoir eu réitération… C’est ce qui justifie la demande de notre collègue Manuel Valls d’entendre M. Pelletier. Mais en aucun cas notre démarche ne remet en cause la loi de 1991 ou la CNCIS, ni même – je le dis à titre purement personnel – les services du Premier ministre ou le Premier ministre lui-même.

Mme Delphine Batho. Dans le prolongement de l’audition du ministre de l’Intérieur en septembre dernier, notre collègue Manuel Valls a demandé que notre Commission puisse procéder à un certain nombre d’auditions liées notamment à l’affaire dite des « fadet ». L’enquête menée par la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) sur la traçabilité des communications d’un journaliste du Monde a gravement porté atteinte à la fois à la loi de 1991 sur le secret des communications et à la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection des sources des journalistes. La question de la détermination des responsabilités politiques dans cette affaire est posée, mais l’objet de la présente audition est de préciser le cadre juridique dans lequel les investigations ont pu être menées ; il apparaît désormais clairement que ni l’article 20 de la loi de 1991, ni l’article 6 de la loi de 2006 ne peuvent être invoqués.

J’aimerais que vous complétiez votre propos sur les dispositions applicables aux factures détaillées et que vous puissiez expliciter le sens de l’article 22 de la loi de 1991. Lors de son audition par notre commission des Lois, le 14 septembre dernier, le ministre de l’Intérieur a déclaré : « je mets quiconque au défi de trouver dans les textes actuels, qui constituent notre droit positif, une disposition relative aux fadet » ; or il me semble que votre commission a été amenée à rappeler que l’article 22 s’appliquait aux données techniques de communications et donc aux « fadet ».

En second lieu, et dans le prolongement des propos de Daniel Vaillant, je crois que des services de police, et peut-être même le ministère de l’Intérieur, se sont fondés sur une interprétation fallacieuse de l’article 20 de la loi de 1991 pour se procurer directement auprès des opérateurs de télécommunications des données techniques de communication d’un certain nombre de personnes ; la question qui se pose est de savoir pendant combien de temps cette pratique a eu cours et combien d’affaires elle a pu concerner en dehors de tout cadre légal, avant que la note de Matignon adressée en 2010 ne porte clarification du cadre juridique applicable. J’aimerais vous entendre sur ce point.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Les textes sont très clairs. Nul ne conteste aujourd’hui, d’une part, que l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 ne peut être utilisé pour des interceptions ponctuelles de sécurité et, d’autre part, que les demandes de factures détaillées, dites « fadet » ou « fadettes », sont autorisées, depuis la loi du 23 janvier 2006, aux fins de lutte contre le terrorisme. Il faut donner acte au ministre de l’Intérieur d’avoir été d’une parfaite correction lors de son audition par la commission des Lois le 14 septembre dernier. Il a notamment indiqué qu’il attendait que la justice statue sur une affaire particulière et que, dans tous les cas, il en prendrait acte. Il a été – il faut bien le dire – irréprochable sur le sujet. Nous ne sommes pas là non plus pour nous substituer à la justice.

M. Jacques Valax. Je m’associe à la question de ma collègue Delphine Batho, dont j’attends avec impatience la réponse.

M. Jacques Alain Bénisti. Je souhaite rappeler que cette loi du 10 juillet 1991 a été adoptée à la suite des dérives inacceptables intervenues entre 1981 et 1991 en matière d’écoutes de personnalités et d’un certain nombre de journalistes. Or, à l’époque, l’organisation de ce système d’écoutes ne dépendait pas de Matignon, mais d’une cellule de l’Élysée. Comme cela vient d’être rappelé, les « fadet » sont évidemment autorisées par la loi du 23 janvier 2006 et ce n’est pas, une fois de plus, à la commission des Lois de prendre partie dans quelque affaire que ce soit. C’est à la justice qu’il revient de trancher ces affaires. Le ministre de l’Intérieur l’avait d’ailleurs rappelé à certains de nos collègues de la commission des Lois lors de sa dernière audition.

M. Hervé Pelletier, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Afin de répondre à l’ensemble de ces questions, je vais rappeler la portée de l’article 22 de la loi du 10 juillet 1991 sur les mesures de recueil des données techniques de communication, plus souvent connues sous le nom de « factures détaillées » ou « fadet ». Celles-ci sont, en effet, prévues par l’article 6 de la loi du 23 janvier 2006 en matière de terrorisme, mais elles sont également admises sur le fondement de l’article 22 de la loi de 1991 dès lors qu’elles sont préparatoires à une interception de sécurité au sens de ce même article et qu’elles répondent à l’un de ces cinq motifs précédemment évoqués
– recherche de renseignements intéressant la sécurité nationale, sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, prévention du terrorisme, prévention de la criminalité et de la délinquance organisées et, enfin, prévention de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous en application de la loi du 10 janvier 1936.

Ces mesures de recueil des données techniques de communication obéissent à une procédure de contrôle qui a été définie par la CNCIS. Dans un premier temps, les demandes de factures détaillées en provenance des services sont centralisées et traitées par le groupement interministériel de contrôle (GIC). Dans un deuxième temps, ces demandes font l’objet d’un contrôle a posteriori et hebdomadaire par la CNCIS. Enfin, sur la base de ces contrôles, la commission peut adresser des avis et recommandations de la même nature que ceux qu’elle adresse au Premier ministre dans le cadre des interceptions de sécurité.

Au terme de plusieurs délibérations successives adoptées en séance plénière, la CNCIS a soumis cette procédure à une évaluation générale annuelle et elle a rappelé l’interdiction qui était faite aux services de solliciter directement les opérateurs pour les demandes de prestations relevant de la compétence de la commission.

En conclusion, les factures détaillées ne peuvent être demandées que dans le cadre des seuls articles 6 de la loi du 23 janvier 2006 et 22 de la loi du 10 juillet 1991.

Mme Delphine Batho. C’est très clair sur le cadre juridique. La deuxième partie de ma question demeure toutefois sans réponse. Compte tenu du fait que des services de la police nationale se sont procuré directement auprès d’un opérateur les factures détaillées d’un journaliste et que le Premier ministre a dû rappeler par une note le cadre légal de telles demandes, y a-t-il eu, selon vous, une période au cours de laquelle les services de police ont pu se procurer les « fadet » d’autres personnes en dehors de tout cadre légal et en dehors du contrôle de votre commission ?

M. Alain Vidalies. Le ministre de l’Intérieur avait expliqué lors de son audition par la commission des Lois que notre interprétation de la loi du 10 juillet 1991 – que vous semblez partager – était erronée, dans la mesure où le législateur ne pouvait, à l’époque, avoir envisagé la question des factures détaillées apparues depuis lors.

M. le président Jean-Luc Warsmann. La question des factures détaillées est claire et ne pose pas de difficultés. Elle ne doit pas susciter de polémique. La loi du 23 janvier 2006 en matière de terrorisme s’applique et ce, sous le contrôle d’une personnalité qualifiée. Les textes sont clairs. Nous sommes tous d’accord sur ce point.

M. Alain Vidalies. Je ne polémique pas, j’exerce ma fonction de contrôle. Je constate qu’en effet nous sommes tous d’accord sur ce point… sauf le ministre de l’Intérieur.

M. Hervé Pelletier, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Je ne suis, par définition, pas en mesure de vous indiquer le nombre de demandes illégales de factures détaillées que les services auraient pu adresser directement aux opérateurs. Dès lors que la CNCIS n’a pas été saisie de telles demandes – et j’espère qu’il n’y en a pas eu –, je ne peux pas vous répondre. Nous ne contrôlons que ce qui nous est soumis.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je ne vois d’ailleurs pas comment vous pourriez faire une réponse différente.

M. Daniel Vaillant. Je comprends la question de notre collègue Delphine Batho, et c’est la seule question qui vaille, mais ce n’est pas au président de la CNCIS d’y répondre. S’il n’a pas été saisi de telles demandes de factures détaillées, il ne lui est pas possible de répondre. La vraie question qu’il convient de poser, indépendamment des procédures judiciaires en cours, est la suivante : le Premier ministre a-t-il rappelé aux ministères en capacité de faire de telles demandes que toute entorse aux règles en vigueur sera sanctionnée, comme le prévoient actuellement les textes ? Il convient également de s’interroger sur le fait de savoir pourquoi rien n’a déjà été engagé administrativement sur ce point. Dans cette perspective, Matignon doit, d’une part, confirmer qu’aucune demande ne doit se faire en dehors du contrôle de la CNCIS et, d’autre part, exiger que tous les dossiers lui soient systématiquement adressés. S’il y a eu des dysfonctionnements, c’est que le Premier ministre n’a pas été saisi de telles demandes et que des autorités se sont substitué à lui.

M. le président Jean-Luc Warsmann. Je remercie M. Pelletier d’avoir bien voulu répondre à nos questions.

La séance est levée à 17 heures 50.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Delphine Batho, M. Jacques Alain Bénisti, M. Jean-Michel Clément, M. Bernard Derosier, M. Philippe Houillon, M. Charles de La Verpillière, M. Dominique Perben, Mme Sylvia Pinel, M. Bernard Roman, M. Éric Straumann, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. Manuel Valls, M. Patrice Verchère, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann, M. Michel Zumkeller.

Excusés. - M. Marcel Bonnot, Mme Marietta Karamanli, M. François Vannson, M. Jean-Sébastien Vialatte.