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Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire

Mardi 2 octobre 2007

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 1

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition, ouverte à la presse, du professeur André Langaney, généticien, directeur du laboratoire d’anthropologie biologique au Muséum d’histoire naturelle

Le président Christian Jacob a souhaité la bienvenue à M. André Langaney et l’a remercié d’avoir accepté cette audition.

M. André Langaney a précisé tout d’abord que sa spécialité était la génétique moléculaire des populations humaines mais que son parcours scientifique l’avait conduit aussi à étudier la zoologie et l’écologie.

L’échelle de grandeur, lorsque l’on parle de biodiversité, est considérable : on a dénombré un peu plus de 1,8 million d’espèces vivantes et l’estimation de leur nombre réel varie, selon les experts, entre 10 et 50 millions. Une telle imprécision est inévitable, les spécialistes ayant du mal à s’accorder sur la définition même des espèces.

L’autre élément important est que la biodiversité est éphémère : les espèces actuelles, même dans l’hypothèse où il y en aurait 50 millions, ne représentent qu’un pourcentage minime des espèces qui ont existé au cours des temps. Il n’y a en effet aucune permanence dans la vie et dans les structures du monde vivant. Tout se transforme sans cesse, à une vitesse qui varie selon les espèces.

Conserver, c’est donc mourir et disparaître. La règle étant de se transformer, ce qui arrête de se transformer est voué à être éliminé. On ne peut dès lors que se sentir gêné de constater que tous les programmes de gestion de l’environnement et de la biodiversité reposent d’abord sur l’idée de conservation. Parmi les projets des protecteurs de la nature – en particulier au sein de l’Union Mondiale pour la Nature (UICN) – figure l’éradication des espèces colonisatrices arrivant dans un milieu donné. Or, toute l’histoire du peuplement de la Terre par les plantes, les animaux et les humains est constituée d’envahissements, de nouvelles espèces prenant le relais des anciennes. Les espèces actuelles ne sont pas celles qui existaient auparavant ; ce ne sont pas non plus celles qui existeront dans le futur.

La conservation se justifie cependant pour celles qui ont des chances de laisser des descendants dans le monde futur et pour celles qu’il est important d’étudier avant qu’elles ne disparaissent. Ainsi, l’anthropologue ne peut que plaider pour la sauvegarde des grands singes, qui nous apprennent tant sur l’identité humaine et dont la disparition à l’état sauvage est très rapide. Il faut à cet égard saluer l’action de l’Institut Jane Goodall.

La conservation se justifie également pour toutes les espèces que les humains ont investies d’une charge sentimentale : ours, baleines, pandas, etc. Il faut faire droit aux émotions de la population. Bien qu’elles puissent paraître irrationnelles du point de vue de la gestion mécanique des écosystèmes, elles relèvent d’une autre forme de rationalité, celle de l’imaginaire collectif.

Il faut ensuite se faire à l’idée que demain sera différent. Au paléolithique, l’effectif total de nos ancêtres Homo sapiens était de moins de 100 000 individus dispersés sur trois continents immenses. La forêt était partout et l’on vivait de chasse et de cueillette. La population humaine s’élève aujourd'hui à 6 milliards d’individus et atteindra bientôt 9 ou 10 milliards : cela ne permet pas, à l’échelle de la planète, d’être chasseur-cueilleur. L’avenir des forêts équatoriales est donc de constituer des musées de la biodiversité, certainement pas des écosystèmes dans lesquels des hommes de demain pourraient vivre.

Ces forêts sont les zones les plus riches en matière de biodiversité. Elles abritent par exemple 900 000 espèces de coléoptères sur les 2 millions recensées. Faut-il pleurer sur la disparition d’un grand nombre de ces espèces? Le fait est qu’il est inenvisageable d’engager de grands travaux visant à les sauver. À la fin de l’ère primaire, plus de 95 % des espèces existantes ont disparu. Les espèces d’aujourd'hui sont les lointaines descendantes des 5 % qui ont survécu à l’extinction du permien, sachant que d’autres extinctions, certes de moindre ampleur, sont encore intervenues. L’invention, au néolithique, de l’agriculture, c'est-à-dire de la domestication des plantes et des animaux, a également conduit à une extinction d’espèces existantes : notre paysage n’est plus celui de la forêt équatoriale.

Dans un monde limité, on ne peut entreprendre et innover sans qu’interviennent des changements radicaux. Les forêts laissent la place à des cultures sur sol. Puis, quand la population est trop dense, on doit passer aux cultures hors sol. La pêche deviendra anecdotique par rapport à l’aquaculture, comme autrefois la chasse est devenue anecdotique par rapport à l’élevage et la cueillette par rapport à l’agriculture. Il faut préparer le prochain changement radical, et non pas tenter de revenir au paléolithique.

Dans un autre ordre d’idées, on soulignera que la sélection naturelle est combattue localement par les cultures humaines. Par définition, la sélection naturelle veut que le patrimoine génétique ne soit transmis que par les individus qui arrivent à survivre jusqu’à l’âge de la procréation et à avoir des descendants. Elle ne fait pas dans le détail, éliminant très rapidement tout organisme qui ne fonctionne pas très bien. La civilisation va à contre-courant de cette logique implacable, que certaines idéologies voudraient pourtant faire passer dans les logiques humaines. C’est aller contre la sélection naturelle que de faire vivre les vieux aussi longtemps que possible, de tenter de faire survivre tous les nouveaux-nés, d’organiser une vie décente pour les handicapés, mais aussi de protéger les grands singes, les baleines ou les pandas, de cultiver des fleurs ou des bonsaïs, de pratiquer le sport ou de s’adonner aux arts, ou encore de fabriquer des chimères intermédiaires entre le mouton et la chèvre ou des mouches à quatorze paires d’yeux. Ce mouvement ayant partie liée avec nos pulsions et nos affects, il convient de ne pas s’en tenir à la seule logique et de faire droit aux projets dictés par les émotions.

Il existe cependant une limite : on ne peut aller contre la sélection naturelle que localement. Il est impossible de tout sauver et de tout conserver.

Pour en venir maintenant au domaine de la santé, la première constatation du généticien est que nos ennemis microbiens vont très vite. Si l’on constate des résistances aux antibiotiques et aux antiseptiques, si l’on voit apparaître des maladies émergentes, c’est qu’un milieu de culture de 6 milliards d’individus représente une chance extraordinaire pour nos ennemis. Pour cultiver des virus et des bactéries, un organisme humain est déjà bien supérieur à la boîte de Petri des biologistes. Avec 6 milliards d’individus, on peut imaginer les possibilités de développement et de mutation offertes.

Pour les industries pharmaceutiques et médicales, c’est une course technologique terrifiante. À cet égard, on aimerait que la médecine et la pharmacie dépassent l’attitude clinique consistant à considérer le seul patient. Derrière le patient, il y a la population. Négliger cette perspective peut conduire à de graves erreurs. L’exemple le plus connu est l’administration systématique d’antibiotiques à des personnes qui n’en ont pas besoin puisqu’elles sont atteintes de maladies virales. Il arrive aussi que l’on ait recours à des antiseptiques dans des domaines où ils n’ont aucune pertinence. Ainsi, aux États-Unis, des fabricants de cosmétiques ont introduit dans la composition de produits de beauté un bactéricide utilisé pour la désinfection des blocs chirurgicaux. Des résistances sont apparues et des patients sont morts. Rien ne justifie l’introduction de bactéricides dans les produits de beauté : la peau est un organe vivant ayant son propre équilibre microbien.

On pourrait présenter des exemples semblables en ce qui concerne l’alimentation ou l’agriculture. Pour gagner la course technologique, il vaudrait mieux conserver les armes dont on dispose et les utiliser là où cela est nécessaire.

S’agissant des recombinés génétiques, il convient de distinguer, d’une part, les espèces animales et végétales sélectionnées depuis 10 000 ans en fonction d’intérêts humains et qui présentent des dotations génétiques originales par rapport à leurs ancêtres naturels, et d’autre part, les organismes génétiquement modifiés que la maîtrise du système permet de fabriquer depuis une vingtaine d’années. Les recombinés de ces deux catégories répondent bien mieux à nos besoins que les recombinés spontanés.

Il faut à ce propos rappeler que, contrairement aux automobiles, à l’alcool ou au tabac, qui tuent des humains par millions, les organismes génétiquement modifiés (OGM) utilisés depuis vingt ans pour l’alimentation ou l’habillement de plus de 200 millions d’individus n’ont encore jamais tué personne. L’idée d’imposer un moratoire sur la technique même des OGM, sous prétexte que ceux-ci seraient dangereux, ou en application du principe de précaution, est proprement stupéfiante. Un grand effort d’éducation et d’information doit être fait pour dépassionner le débat. Il faut cesser d’encourager la tendance des commerciaux, voire des politiques, à brandir le moratoire pour vendre des marques ou pour accroître leur popularité.

Pour autant, la recombinaison génétique n’est pas exempte de dangers graves. Comme pour toute technologie de pointe, les contrôles doivent évidemment être indépendants des intérêts économiques à court terme. Quand de grandes sociétés ont commencé à commercialiser en France les premiers plants de maïs transgéniques, il n’y avait aucune raison de s’y opposer : le maïs ne s’hybride pas dans la nature en Europe et les modifications proposées étaient intéressantes pour les agriculteurs et les consommateurs.

Néanmoins des protestations légitimes se sont élevées lorsque l’on a appris par la suite que l’on avait sélectionné des plants en y introduisant des gènes de résistance à certains antibiotiques. Le problème du généticien est en effet d’arriver à distinguer les plantes ou les animaux transformés de ceux qui n’ont pas été transformés. Pour cela, il introduit des gènes marqueurs, la solution paresseuse étant de choisir un gène de résistance à un antibiotique. À l’échelle agronomique, cela se traduit par la perte d’un antibiotique. Pour éviter que la sécurité ne soit entravée par des secrets industriels ou commerciaux, les instances de contrôle ne devraient autoriser un organisme génétiquement modifié que si elles savent précisément de quel organisme il s’agit, quels gènes ont été introduits, comment on a contrôlé la modification et avec quels organismes de la nature environnante le nouvel organisme est capable de s’hybrider.

Ces considérations conduisent à poser la question de la démocratie. Elle suppose en effet que le peuple et ses représentants comprennent ce qui est décidé dans les domaines techniques. À titre de comparaison, personne n’a jamais songé à élire les contrôleurs aériens ou les pilotes d’avions au suffrage universel. On est bien obligé de déléguer ces choix à des personnes détenant les connaissances techniques. Celles-ci seront elles-mêmes contrôlées par les représentants du peuple, par le Gouvernement, par le Parlement. Il est toutefois souhaitable que les citoyens comprennent le mieux possible les enjeux, notamment en ce qui concerne l’ordre de grandeur des risques encourus. Nous vivons dangereusement depuis trois milliards d’années : de ce point de vue, le principe de précaution est l’idée la plus stupide qui soit. Synonyme d’immobilisme, il s’oppose tout à la fois à l’esprit d’entreprise et au changement permanent du monde vivant.

Cela dit, le fait de dénoncer le principe de précaution ne signifie pas qu’il faut se désintéresser de la sécurité biologique, qui constitue un vrai sujet. Seul un changement des mœurs commerciales et industrielles des firmes privées qui gèrent les technologies du vivant permettra d’atteindre cette sécurité. Après tout, cela n’a-t-il pas été réalisé pour le trafic aérien ? Pourquoi les OGM ne pourraient-ils être soumis à des procédures de contrôle efficaces ?

Le président Christian Jacob a remercié M. André Langaney pour son intervention, d’un intérêt constant.

Comment édicter des règles ? Les considérations de M. Langaney sur la permanence des changements et sur l’adaptation des espèces ne risquent-elles pas de conduire à une sorte de fatalisme ? Or, dans le secteur de l’agriculture, les progrès ont été réalisés sous la pression. Là où l’on déversait 220 unités d’azote à l’hectare de blé, on obtient aujourd'hui les mêmes résultats avec 160 ou 170 unités grâce à une meilleure maîtrise de différents paramètres.

M. André Langaney a ajouté que, dans le futur, des cultures non légumineuses fixeront l’azote. Grâce aux OGM – et n’en déplaise aux militants –, on pourra éviter l’utilisation de grandes quantités d’engrais et de pesticides. De même, la création par modification génétique des plantes résistant à certains insectes permettra de s’abstenir de pesticides très nocifs.

Il ne s’agit pas d’être pour ou contre les OGM, mais d’étudier au cas par cas les bénéfices que l’agriculture et l’environnement peuvent en tirer. La logique d’affrontement n’a pas lieu d’être.

Le président Christian Jacob a remarqué que l’on a connu un débat analogue au sujet du nucléaire il y a une quinzaine d’années. Il est très difficile de s’extraire d’un contexte passionnel. À cet égard, le premier intérêt du Grenelle de l’environnement est de poser tous les sujets sur la table et d’obliger à en parler.

Comment, cependant, établir une réglementation ? Il existe des procédures de contrôle, mais l’opinion publique ne les perçoit pas et reste spontanément, dans une très large proportion, opposée aux OGM. Quelques minutes de discussion peuvent permettre de retourner certains arguments. Cependant, jusqu’à présent, le combat de la médiatisation a été perdu.

M. André Langaney a attribué cet échec à la désinformation qui prévaut dans les médias. Dans un débat, on a pu voir des personnes informées souscrire, sous la pression de militants écologistes, aux propos d’une personne affirmant « ne pas vouloir de gènes dans son assiette » ! L’ignorance du public dans ces domaines est catastrophique. L’information que les spécialistes s’emploient à diffuser, notamment au Muséum d’histoire naturelle, passe très mal. Les médias ne supportent que les débats manichéens. Toute tentative d’argumentation rationnelle est coupée.

M. Serge Poignant a demandé à M. Langaney si la majorité des scientifiques partagaient son opinion.

M. André Langaney a répondu par la négative. Beaucoup de chercheurs sont à la fois scientifiques et militants, ce qui finit par les placer dans des situations très gênantes : ils sont contraints de suivre la « ligne du Parti » tout en sachant qu’elle est aberrante sur un certain nombre de points.

Un autre élément à prendre en considération est que le spécialiste de telle sorte de crapaud ou de telle sorte de libellule voudra à tout prix conserver son crapaud ou sa libellule, ce qui pourra le conduire à récuser une vision plus globale – ou plus relativiste – de la biodiversité. Nous devons avoir conscience que nous nous inscrivons dans l’histoire de la biodiversité, laquelle s’étend sur plusieurs milliards d’années.

M. Serge Poignant a remarqué que cet argument de la très longue durée est aussi invoqué au sujet des variations climatiques. Cependant, on assiste actuellement à une accélération sans précédent. Ce qui mettait plusieurs siècles à se produire a maintenant lieu en quelques dizaines d’années, voire en quelques années.

M. André Langaney s’est référé aux travaux d’un des principaux spécialistes de climatologie et de paléoclimatologie en France, M. Jean-Claude Duplessy, directeur du laboratoire des faibles radioactivités à Gif-sur-Yvette.

S’il est clair que nous sommes dans une période de réchauffement rapide, on ne peut affirmer que le processus est plus rapide que tout autre car on ne dispose pas des éléments de comparaison. Il reste aussi une grande incertitude sur la part de l’impact humain dans le réchauffement. En effet, pour établir leurs prévisions, les climatologues élaborent des simulations numériques, des modèles mathématiques qui font intervenir des paramètres : par exemple, la quantité de CO2 absorbée par les diatomées à la surface des océans, la quantité de CO2 fixée dans les carbonates au fond des océans, ou encore la quantité de CO2 qui va passer à l’intérieur du noyau terrestre par effet de subduction au fond des océans. Personne n’étant en mesure de mesurer convenablement certains phénomènes, on utilise des estimations pour faire fonctionner les modèles. Il est donc loisible de faire jouer des combinaisons de chiffres jusqu’à ce que le résultat plaise. Il s’agit d’une méthode scientifique pour le moins discutable : selon que l’on souhaite confirmer ou infirmer le réchauffement, on fera entrer des paramètres différents.

S’agissant de la part de l’impact humain ou des conséquences sur le niveau des eaux, la pression de l’opinion publique et du marché de la science a été telle que ce laboratoire de Gif-sur-Yvette, d’abord sceptique sur leur importance respective, a dû changer d’avis !

M. Serge Poignant a objecté que les mesures pratiquées ces dernières années confirment les modèles.

Selon M. André Langaney, elles ne confirment pas que le réchauffement est dû à l’impact humain. Il y a bien d’autres causes possibles.

Un jugement objectif est difficile à établir : on met par exemple en avant la responsabilité du trafic automobile dans les émissions de CO2, mais la part qui lui est assignable est de 5 % alors que les Chinois ouvrent une centrale thermique tous les jours, avec un impact autrement important. L’application raisonnée du principe de précaution serait peut-être de n’émettre du CO2 que lorsque c’est vraiment nécessaire.

M. Jean Proriol a remarqué que la fonte des glaciers est un phénomène prouvé.

M. André Langaney a réaffirmé qu’il ne le contestait pas, mais que nous n’avions pas les moyens d’en analyser les causes. Ainsi, les variations de l’orbite terrestre sont, depuis toujours, l’un des paramètres principaux dans les variations climatiques. Ces phénomènes avaient été mis en évidence par Milutin Milankovitch, mais personne ne l’avait pris au sérieux à l’époque.

La difficulté, dans les affrontements scientifiques relayés par les médias, tient à l’effet d’autorité produit par les affirmations des « vrais » savants : cela ne laisse aucune chance au contradicteur honnête qui met en avant les incertitudes. Or la réponse scientifique la plus fréquente aux questions posées par le public ou par les gouvernants devrait être : « On ne sait pas. » Encore faudrait-il avoir l’honnêteté de le dire !

M. André Chassaigne a fait valoir, a contrario, que la grande majorité des scientifiques de haut niveau auditionnés par la mission d’information sur les enjeux des essais et de l'utilisation des OGM, lors de la précédente législature, avaient estimé que ces organismes ne présentaient pas de danger sérieux, à condition que l’on respecte certaines précautions. Pourtant, quelques scientifiques isolés, à partir d’une simple constatation effectuée en laboratoire et n’ayant fait l’objet d’aucune validation scientifique, se voient offrir par les médias une très large audience.

M. André Langaney a indiqué qu’il était normal, dans le fonctionnement de la science, que les scientifiques ne soient pas d’accord entre eux sur des questions qui ne sont pas parfaitement résolues. Toutefois s’opposer à une idée majoritaire ne suffit pas à faire un futur génie scientifique !

M. André Chassaigne a également fait valoir que l’application du principe de précaution, telle qu’elle est formulée à l’article 5 de la Charte de l’environnement, n’était pas synonyme d’immobilisme. Ce principe devrait au contraire être compris comme un encouragement à poursuivre la recherche.

M. André Langaney a observé que, dans le domaine des applications scientifiques – ce qui est clairement le cas des OGM –, le principe de précaution ne devait pas mener à la situation que connaît la Suisse, où toute tentative de culture hors laboratoire est violemment contrecarrée.

À l’appui de cet argument, M. André Chassaigne a indiqué que l’INRA n’avait pu réaliser des expérimentations d’OGM en plein champ que dans deux sites en France : un petit carré de vigne en Alsace et des peupliers près de Tours. On est bien là confronté à une interprétation réductrice du principe de précaution.

M. André Langaney a remarqué que la vigne et le peuplier étaient des espèces qui ne présentaient pas de danger. On peut être beaucoup plus réticent lorsqu’il s’agit de colza transgénique, car le colza s’hybride avec cinquante espèces de crucifères dans la nature. L’analyse doit se faire espèce par espèce.

Il est par ailleurs très probable que les OGM, à l’instar des espèces domestiques traditionnelles, se révéleront si fragiles et si dépendants de l’environnement agricole qu’ils ne pourront aller très loin, même là où l’on pourrait craindre une dispersion critique pour les plantes sauvages.

Le président Christian Jacob a souhaité revenir sur la question de la biodiversité et sur la transformation des espèces.

M. André Langaney a indiqué qu’il avait été démontré que, dans les temps géologiques, il était exceptionnel qu’une espèce dure plus de dix millions d’années. Ainsi, aucune des espèces qui ont survécu à l’extinction du permien n’est parvenue jusqu’à nous. Même les espèces dites « fossiles » diffèrent de celles d’autrefois : des remaniements génétiques sont intervenus et il est vraisemblable que des barrières d’espèce se soient constituées tous les cinq à quinze millions d’années.

M. Antoine Herth a remarqué que la réflexion de M. Langaney apparaissait comme très anthropocentrique, alors que notre société a plutôt tendance à contester la hiérarchie qui place l’homme au premier rang.

Faut-il continuer de se tourner vers les scientifiques, dont la vocation est de remettre en cause les certitudes d’hier pour progresser dans leur travail, pour tenter de résoudre la question des OGM en particulier et celle de la gestion des risques en général ? La population attend qu’on lui apporte des certitudes la rassurant sur l’avenir. Faut-il s’adresser à des ethnologues, à des philosophes, à des autorités religieuses ? En définitive, c’est peut-être René Girard qu’il faut invoquer, tant on a l’impression que la société se prépare à sacrifier les OGM pour exorciser toutes les peurs que la science lui inspire.

M. André Langaney a estimé que la balle pouvait être renvoyée dans le camp des politiques : dans leur domaine, en effet, la peur se révèle très payante. On fait peur aux citoyens avec les OGM comme on leur fait peur avec les étrangers. Dans le jeu médiatique, il est plus facile d’effrayer pour s’attirer une clientèle que d’informer raisonnablement et d’approfondir les problèmes. Les OGM constituent un enjeu important pour l’alimentation, pour le commerce et pour la vie du pays et l’on ne peut se permettre de prendre des décisions sur des critères sentimentaux.

Lorsque les politiques suivent l’opinion au lieu de la précéder, on peut s’attendre au pire. Or, sur ces sujets, l’opinion est manipulée par les représentants de tendances « new age », voire par des sectes. La menace est le retour à l’ignorance complète, là où une information dépassionnée est primordiale. Les scientifiques ont de plus en plus de mal à communiquer, en partie parce que la plupart d’entre eux n’ont jamais été au contact du public. En face, certains acteurs des médias rejettent systématiquement la science. Quand la majorité de la population est désinformée, elle peut voter contre le bon sens le plus élémentaire. Là est le principal sujet d’angoisse.

Le président Christian Jacob a remercié M. Langaney pour cette intervention qui s’écarte des sentiers battus et contraste avec les discours que les membres de la délégation ont l’habitude d’entendre.

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