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Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire

Mardi 23 octobre 2007

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition ouverte aux membres de la commission des affaires économiques et à la presse de M. François Bordry, président de Voies Navigables de France

M. François Bordry a précisé que la part modale représentée par le transport fluvial était égale à 3 % des transports de marchandises mais qu’une vision plus fine, se limitant aux seules régions « irriguées » où existaient des équipements en voie d’eau à grand gabarit, tendait à relativiser la modestie de ce pourcentage. Dans ces régions, cette part s’élève à 7,8 % et peut atteindre dans le bassin de la Seine par exemple 18 %. Le Rhin permet d’assurer 32,5 % du transport de marchandises en Alsace. A Strasbourg, c’est l’équivalent d’une autoroute saturée de camions qui est évitée.

Après vingt ou trente ans de déclin du transport fluvial à compter des années 70 en raison de la fin de l’activité minière et de la sidérurgie, la baisse de ce trafic a été enrayée en 1995 et à partir de 1997, la hausse a été nette et constante. De 1997 à 2007, le transport de marchandises par voie fluviale a augmenté de 40 %, soit une moyenne annuelle de 4 %. C’est le mode de transport de marchandises qui a le plus progressé. Ce renversement de tendance est dû à la diversification des marchandises transportées, qui ne se limitent plus aux seuls pondéreux, et au développement des conteneurs, qui permettent désormais de faire voyager sur voie fluviale tout type de marchandise, hors produits frais. Le développement des conteneurs représente un trafic à haute valeur ajoutée et après un début modeste sur le Rhin en 1986 puis en 1993 sur la Seine, sa progression est à deux chiffres. Sur la Seine, 145 000 conteneurs ont été transportés en 2006 contre 30 000 en l’an 2000. De même, sur le Rhin, on est passé de 2000 boîtes en 2000 à 60 000 en 2007. Le transport combiné est donc entré dans les mœurs.

Les atouts de la voie d’eau sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, elle permet une massification des transports et donc une baisse des coûts de transports à la tonne. Le coût moyen de transport sur 350 km sur l’axe Seine-Nord Europe pour une péniche « Freycinet » de petit gabarit est ainsi de l’ordre de 17 euros par tonne, contre 21 euros pour le transport routier et 22 euros pour le rail ; si l’on se penche sur les coûts externes non intégrés au coût de transport (congestion, bruit, accident, pollution), ceux-ci s’élèvent à 12 euros par tonne pour le transport routier, 5 euros par tonne pour le rail et 4 euros par tonne pour le transport fluvial de petit gabarit. Le transport fluvial est donc de loin le plus compétitif. Un de ses autres atouts est sa fiabilité pour le respect des délais d’approvisionnement. Ce mode de transport ne va pas vite mais tout est livré à temps. Un autre avantage, qui peut s’avérer déterminant pour certains secteurs comme la chimie, est sa sécurité. Les marchandises sont en site propre et ne sont pas laissées sur un parking la nuit. Des précautions sont prises avec la mise en place de haltes fluviales sécurisées et les doubles coques. Les risques pour la population sont beaucoup moins forts.

En outre, la voie d’eau est la seule infrastructure de transport qui permet de d’entrer dans une zone urbaine dense, avec une énorme réserve de capacité, sans entrer en concurrence avec le transport de personnes et les trajets domicile-travail. Sur la Seine, le trafic pourrait être multiplié par 4 sans aménagement. De même, ce trafic pourrait être multiplié par 6 ou 8 sur la Saône et le Rhône sans travaux d’infrastructure. En outre, le programme informatique de géopositionnement des bateaux, qui devrait être opérationnel dans les deux prochaines années, permettra d’accroître encore les réserves de capacité, en améliorant la gestion du trafic.

La performance environnementale du transport fluvial n’est plus à démontrer, qu’il s’agisse de rejet de CO2 dans l’atmosphère ou de consommation d’énergie.

Le réseau fluvial français comprend 8 500 km de voies d’eau, dont 6 700 km sont gérés par Voies Navigables de France, ce qui est assez considérable. Cependant, une grande partie de ce réseau date du 19ème siècle. La France, qui disposait à cette époque du réseau le plus long et le plus moderne d’Europe, a arrêté tout investissement après la guerre, à l’inverse du Benelux qui a développé son réseau en augmentant son gabarit. Le transport fluvial est aujourd’hui concentré à 88 % sur le réseau à grand gabarit, qui atteint à peine 2 000 km. 8 % du trafic passe par les voies à gabarit intermédiaire comme le canal du Nord et 4 % par les voies de petit gabarit, souvent celles qui sont situées à 20 ou 30 km d’une voie à grand gabarit.

L’objectif d’un report modal passe par un certain nombre d’ambitions. Tout d’abord, si le gouvernement souhaite augmenter de 25 % les modes de transport de marchandises doux, c’est-à-dire le transport fluvial et le fret ferroviaire, dans un contexte général d’augmentation du trafic, il est nécessaire de se pencher sur la problématique des ports maritimes et de bien traiter les interfaces. La réforme des ports maritimes prévue dans les prochains mois pourrait être une occasion de lever les freins existants. Les grands ports français ont souvent été construits à la sortie des grands fleuves mais ils se sont détournés de ces fleuves dès les années 70. Dans la première moitié des années 90, moins de 1 % du pré et post-acheminement transitait par le Rhône, alors que l’aménagement de ce fleuve remontait aux années 70 et qu’il s’agissait donc d’une infrastructure récente. La situation est à peu près la même pour Le Havre. Une reconquête du transport fluvial s’amorce depuis une dizaine d’années mais il reste des problèmes d’infrastructures patents. La création de Port 2000 au Havre ne s’est pas faite en connexion avec la desserte de la Seine et aucune écluse fluviale n’est prévue. A Fos XXL, une amélioration de l’infrastructure est prévue dans le contrat de projet Etat-Région. Il faut également améliorer les conditions d’accueil du transport fluvial dans les ports maritimes et prévoir des quais dédiés au fluvial. Lorsqu’il s’agit du même portique, c’est le navire maritime qui est toujours prioritaire et les péniches sont priées d’attendre. En conséquence, alors que le trajet entre Marseille et Chalon ne prend physiquement que 5 jours aller et retour, le délai moyen de transport est de 9 jours aller et retour. Les ports maritimes devront aussi engager une révolution culturelle majeure.

La bataille des ports maritimes doit se gagner à terre, comme l’ont déjà compris les pays du Benelux. Les ports maritimes français se sont jusqu’ici focalisés sur les relations avec les armateurs. Or, il est nécessaire de porter attention aussi aux services aux marchandises et à l’approvisionnement du client final, ce qui impose de structurer « l’hinterland » des ports maritimes. Port 2000 va passer à une capacité de prise en charge de 3 millions de conteneurs mais le risque est grand de voir ces conteneurs chargés par une multitude de camions, si l’on massifie le transport maritime sans organiser son éclatement à l’intérieur des terres. Les ports maritimes de Rotterdam et d’Anvers l’ont compris, en utilisant le port intérieur de Duisbourg comme relais dans leur « hinterland » pour expédier 100 millions de tonnes de marchandises vers 80 destinations européennes par le Rhin ou par 50 navettes ferroviaires quotidiennes. Il importe de choisir un mode massifié de transport au départ du port maritime, comme le transport fluvial, et de structurer cette massification à l’intérieur des terres. Cela est d’autant plus vrai pour un pays comme la France, dont les infrastructures routières ou ferroviaires sont déjà saturées aux abords de certaines agglomérations. Il est souhaitable d’envisager la création de nouvelles chaînes logistiques et de favoriser l’implantation de nouvelles activités près de la voie d’eau.

M. Thierry Duclaux, directeur général de VNF, a rappelé que les infrastructures fluviales avaient été très peu modernisées depuis la Seconde Guerre mondiale. Il y a là un défi à relever pour faire face à la croissance du trafic et améliorer la qualité du service, par exemple grâce à des écluses qui fonctionneraient vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour éviter tout blocage. Ces efforts doivent se concentrer prioritairement sur le réseau à grand gabarit, qui concerne 88 % du trafic. L’investissement consenti actuellement est de cent trente millions d’euros par an sur le réseau magistral, mais il nécessiterait idéalement cent millions supplémentaires pour accompagner une hausse du trafic de 25 % d’ici 5 ans.

Cette croissance de 25 points est-elle réaliste ? Plusieurs facteurs concourent à valider cette hypothèse. Selon les données issues d’une enquête et de l’interrogation des grands comptes sur les tendances passées, le potentiel de report supplémentaire serait de 2,5 à 3 milliards de tonnes-kilomètres par an d’ici 2012, soit l’équivalent de près d’un million de camions. L’activité conteneurs depuis et vers les ports maritimes devrait doubler. On prévoit d’une façon générale une forte expansion dans le bassin de la Seine et surtout dans celui du Rhône, dans lequel le trafic devrait doubler d’ici 2012. En revanche, le trafic ne devrait guère progresser dans d’autres bassins, comme celui du Rhin qui a déjà atteint sa maturité et est quasi saturé. Enfin, des transports massifs, comme celui des céréales, devraient se développer. Des secteurs jusqu’à présent marginaux gagnent aussi en importance. C’est le cas du transport des déchets conteneurisés et des matériaux recyclables, avec une croissance de 25 % par an, et surtout de la logistique urbaine grâce aux facilités d’acheminement procurées par la voie d’eau dans des villes saturées. Peut être cité à cet égard l’acheminement des voitures neuves à Paris.

La réalisation de liaisons inter-bassins constitue un enjeu majeur. Les maillons à grand gabarit sont aujourd’hui en impasse. Le projet Seine Nord Europe, qui vise à relier la Seine au réseau européen, apparaît prioritaire, de même que la poursuite des études sur la liaison entre la Saône et la Moselle, qui permettait de relier Marseille et le Rhône au reste de l’Europe. La déclaration d’utilité publique pour le projet Seine Nord-Europe devrait être effective au début de l’année 2008 ; on envisage de recourir pour sa réalisation à un partenariat public privé et une demande de financement auprès des autorités européennes a été déposée conjointement avec la Flandre et la Wallonie. En termes de capacité de transport et rééquilibrage des trafics, 13 millions de tonnes sont attendues d’ici 2020, contre un trafic actuel de 62 millions de tonnes sur l’ensemble du réseau fluvial français. Une montée en puissance jusqu’à vingt ou trente millions de tonnes en 2050 est prévisible. L’implantation de quatre plates-formes multimodales est intégrée au projet, de même que sera favorisé le développement d’activités annexes. On ne prévoit donc pas seulement un tuyau, une simple infrastructure, mais un véritable système de transport dans le périmètre de la déclaration d’utilité publique. Une gouvernance s’est mise en place en liaison avec les collectivités locales. Des avantages environnementaux sont attendus, notamment en terme de gestion de l’eau potable pour l’agglomération lilloise et de réduction de l’impact des crues. Le calendrier actuel laisse envisager une mise en service en 2014.

M. François Bordry a conclu, en soulignant qu’avec quelques changements culturels et sans véritables grands travaux, le trafic fluvial pourrait encore progresser de 25 % en 5 ans et que la mise en œuvre de la liaison Seine-Nord Europe laissait espérer un doublement du trafic d’ici 2025. La capacité des convois fluviaux à traverser les agglomérations parisienne et lyonnaise sans difficulté constitue un atout d’importance, alors que la route comme le rail subissent des engorgements. Il importe donc de travailler sur le développement du transport combiné rail-fleuve et pas seulement sur le ferroutage. Le contournement lyonnais par le rail n’est aujourd’hui par exemple pas financé. La principale difficulté pour VNF est de travailler avec l’opérateur ferroviaire, qui raisonne souvent dans une logique exclusive et non de coordination et de partage. La première ligne combinée fer-fleuve sera finalement mise en place au printemps à partir de Gennevilliers ; elle permettra de convoyer des marchandises par voie fluviale du Havre jusqu’à Gennevilliers puis par train de Gennevilliers jusqu’en Italie. Il serait judicieux de le faire aussi à l’Est de Paris, à partir de Nogent par exemple, et de façon massifiée. De même, il est impératif que soient résolus les problèmes de culture portuaire. Pour aller plus loin, il manque un investissement de cent millions d’euros sur le réseau fluvial magistral, notamment pour finir de fiabiliser la Seine, ainsi que l’entrée en service de la liaison Seine Nord Europe.

Le Président Christian Jacob a demandé des précisions sur les investissements nécessaires au développement du trafic fluvial, au-delà des reports rendus possibles par une réorganisation des différents acteurs du fret. A quoi correspondent notamment les 100 millions d’euros supplémentaires d’investissement évoqués ?

M. Thierry Duclaux, directeur général de VNF, a répondu que ces 100 millions d’euros d’investissement susceptibles d’accroître le trafic fluvial sur les cinq prochaines années ne comprenaient pas la réalisation d’une écluse fluviale à Port 2000 au Havre. Il s’agit de la reprise de quelques écluses qui limitent actuellement le gabarit d’un axe et d’une regénération du réseau (barrages, écluses), qui est pour partie en bout de vie.

Le Président Christian Jacob a demandé quel était le plan d’investissements prévu pour atteindre un doublement du trafic à l’horizon 2025.

M. Thierry Duclaux, directeur général de VNF, a répondu qu’il s’agissait dans cette seconde phase d’investissements d’une autre nature, beaucoup plus lourds et étalés dans le temps, et que VNF n’a pas chiffrés dans leur totalité. Il y a bien sûr le projet Seine Nord-Europe à hauteur de 4 milliards d’euros, mais aussi l’écluse fluviale de Port 2000 ou l’augmentation du gabarit entre Bray-sur-Seine et Nogent.

M. François Bordry a précisé que cette augmentation du gabarit entre Bray-sur-Seine et Nogent nécessiterait sans doute un investissement de l’ordre de 230 millions d’euros. Ne doivent pas non plus être oubliés les investissements à réaliser dans le Nord-Pas-de-Calais, qui pourraient s’élever à 150 millions d’euros, avec la réalisation d’une plate-forme multi-modale.

M. Philippe Duron a souligné le bien-fondé de la création concomitante de plate-formes multimodales pour valoriser l’infrastructure fluviale et évoqué les difficultés de financement de la modernisation du réseau. S’inspirant de ce qui a été fait dans le passé à Lyon, il s’est interrogé sur les perspectives de valorisation du patrimoine immobilier de VNF, qui doit être de l’ordre de 40 000 ha, sous forme de vente ou de location, pour améliorer les performances des canaux existants. VNF dispose par exemple de terrains à Mâcon et à Chalon-sur-Saône. Ne serait-il pas possible de les valoriser dans une filiale afin de trouver les moyens financiers permettant l’amélioration du réseau de la Saône et du Rhône ?

M. François Bordry a répondu que cette solution pouvait constituer un progrès, même si elle ne pouvait à elle seule assurer une indépendance financière totale à VNF. A Lyon, la ville a voulu racheter une infrastructure portuaire, qui n’avait plus d’activité, au franc symbolique. Craignant notamment que le projet urbain de la ville soit dépourvu de tout lien avec l’eau et le fleuve, VNF s’est opposé à cette vente et a constitué une filiale avec la Caisse des Dépôts pour valoriser ces actifs immobiliers, les régénérer et en tirer des revenus. L’ensemble immobilier était évalué à l’époque à 500 000 euros. Il l’est désormais à 4,5 millions d’euros, dont 1,5 million d’euros pour la part de VNF, qui en tire des revenus. Il y a cependant toujours eu des réticences du ministère des Finances en la matière. Contrairement à Réseau Ferré de France, VNF n’a pas reçu en dotation ses emprises immobilières, qui lui sont seulement confiées.

M. Thierry Duclaux, directeur général de VNF, a évoqué les opérations liées à la logistique et souligné la nécessité de valoriser le domaine dans le cadre d’opérations à valeur urbaine.

M. Daniel Fidelin a souligné l’existence d’une marge de progression importante au Havre. Il n’existe en effet qu’une seule ligne ferroviaire à destination de Paris qui est saturée et il n’est pas non plus possible d’envisager une extension des routes pour le transport routier. La construction d’une écluse fluviale à Port 2000 est donc impérative, d’autant plus que se pose un problème de statut pour les personnels dans la mesure où les bateaux sont obligés de passer par la mer. Quel est le calendrier envisagé pour la création de cette écluse fluviale ? Les crédits de cette opération sont-ils bien inscrits au contrat de projet Etat-région (CPER) ?

M. François Bordry a répondu que ce projet de création d’une écluse fluviale avait été validé au comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) de décembre 2003, en même temps que le canal Seine Nord-Europe. Les crédits d’études ont été prévus dans le CPER mais pas les crédits de réalisation de l’écluse. VNF vient de signer avec le port du Havre une délégation de maîtrise d’ouvrage qui va permettre d’accélérer les études mais cette situation reste insatisfaisante. Il aurait en effet été préférable que cette écluse soit opérationnelle avant l’ouverture de la liaison Seine Nord-Europe, afin de fluidifier le trafic fluvial et surtout de permettre au Port du Havre de conquérir des parts de marché en préparation à cette ouverture. Mais le financement n’est pas là et un certain nombre d’équipements, qui ont été subventionnés, risquent d’être saturés. Des problèmes vont sans doute se poser à la sortie terrestre du port du Havre.

M. Philippe Duron s’est demandé si un contournement par l’ouest ne pouvait pas constituer une solution.

M. Daniel Fidelin a rappelé qu’un seul pousseur pouvait transporter l’équivalent de 200 camions et souligné le potentiel considérable du transport fluvial.

M. François Bordry a indiqué que 3000 conteneurs nécessitaient pour leur transport 3000 camions, 30 trains ou seulement 10 convois fluviaux. Ce rapport met clairement en évidence les risques existant en termes de saturation terrestre.

Le Président Christian Jacob a souligné la nécessité d’investissements à moyen et long terme dans le transport fluvial.

——fpfp——