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Mardi 11 décembre 2007

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition, ouverte aux membres de la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire et à la presse, de M. Pierre Caussade, directeur du développement durable du groupe Air France – KLM

Délégation
à l’aménagement et au
développement durable du territoire

Le président Christian Jacob a d’abord excusé M. Jean-Cyril Spinetta, dont l’audition était prévue aujourd’hui et qui a été retenu par d’autres obligations.

Puis il a souhaité connaître la position du groupe Air France-KLM sur les différents sujets d’actualité liés au Grenelle de l’environnement. Quelles sont les pistes de réduction des émissions de CO2 dans l’aviation ? Quelles sont les marges de progression de l’efficacité des motorisations ? Quels sont les carburants alternatifs possibles ? Quelle est également la position du groupe Air-France-KLM sur l’idée parfois avancée d’une limitation du trafic des courts et moyen-courriers ?

M. Pierre Caussade a rappelé qu’Air France-KLM était le premier groupe mondial dans le secteur aérien par son chiffre d’affaires et le deuxième par son trafic passagers et cargo. Ce groupe regroupe deux compagnies, avec leurs marques, leurs réseaux et leurs traditions respectifs. Il exerce trois métiers principaux : le transport de passagers, le fret et la maintenance aéronautique. Le groupe emploie 103 000 personnes : 75 000 agents au sol, 20 000 navigants commerciaux et 8 000 pilotes. Son chiffre d’affaires se répartit entre 40 % pour l’Europe et le reste pour le long courrier : 23 % sur l’Amérique, 15 % sur l’Asie, 14 % sur l’Afrique et le Moyen-Orient, 7 % sur les Caraïbes et l’Océan Indien. Il transporte 73 millions de passagers par an, dont les deux tiers dans le cadre d’un vol court ou moyen courrier.

L’activité du groupe, contrairement à la plupart des entreprises qui sont cotées au CAC 40, est très peu délocalisée : 90 % de ses emplois sont concentrés en France et aux Pays-Bas. Le groupe représente le premier employeur privé de la région Île-de-France.

Le développement durable constitue un engagement de longue date pour Air France-KLM. Il se décline traditionnellement selon trois axes : l’économie et la gouvernance ; le social et le sociétal ; l’environnement. Le groupe a adhéré en 2003 au Pacte mondial des Nations unies. Il a adopté en 2006 une déclaration de responsabilité sociale qui contient des engagements classiques mais forts : faire de la sécurité et de la sûreté une obligation indiscutable ; développer des relations loyales avec l’ensemble de ses parties prenantes, y compris les riverains ; construire un groupe socialement responsable, y compris au niveau international ; investir au bénéfice de la protection de l’environnement au-delà des exigences réglementaires. Le groupe manifeste un souci de transparence puisqu’il diffuse chaque année un rapport sur le développement durable. Cette action d’ensemble lui a valu une certaine reconnaissance parmi les milieux spécialisés et il a été distingué par les principaux indices de développement durable : le Dow Jones Sustainability World Index (DJSI), le Footsie For Good (FTSE4Good) et l’Advanced Sustainable Performance Indices Eurozone (ASPI). Cette reconnaissance oblige le groupe à poursuivre et à renforcer ses performances.

Les défis environnementaux sont au cœur des débats et le transport aérien, à tort ou à raison, est pointé du doigt. Si le changement climatique est une problématique récente, le transport aérien, depuis son origine, a toujours été confronté à des défis environnementaux, en particulier celui du bruit autour des aéroports. Les avions à réaction, à la fin des années soixante, étaient particulièrement bruyants ; depuis, la technologie a permis d’enregistrer des progrès considérables. La modernisation de la flotte d’Air France-KLM a généré, en six ans, une réduction de 24 % de l’énergie sonore produite, malgré une croissance de 20 % des mouvements. Si ce paramètre ne rend pas forcément compte de la perception du bruit par les riverains, c’est une quantité physique parfaitement mesurable.

Plus récente, la problématique de la qualité de l’air est sans doute plus complexe, avec ses effets sur la santé et l’environnement, notamment au plan local, autour des aéroports, surtout dans certaines conditions climatiques. Le transport aérien contribue incontestablement au changement climatique puisqu’il dépend d’une énergie fossile, le pétrole, sous forme de kérosène aérien, dont la combustion produit de la vapeur d’eau mais aussi du gaz carbonique, à l’effet de serre bien connu. Le groupe Air France-KLM ne cherche pas à nier la réalité, bien au contraire : il sait qu’il fait partie du problème et il entend faire partie de la solution.

D’après le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le transport aérien mondial est responsable de 2,6 % des émissions de gaz carbonique, taux à mettre en regard des 16 à 18 % pour l’ensemble des transports. Si l’on considère l’inventaire des émissions sur la France, les résultats sont bien plus faibles : selon le secrétariat d’État aux transports et le ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables (MEDAD), le transport aérien ne représente que 0,9 % des émissions françaises : 0,45 % pour les liaisons aériennes avec les départements d’outre-mer et 0,45 % pour les liaisons purement domestiques. Air France-KLM a évalué que plus des trois quarts des émissions sont liées aux vols intercontinentaux.

Le débat sur la contribution du transport aérien au changement climatique doit par conséquent être conduit au minimum au niveau européen et même plutôt au niveau mondial, sachant que les trois quarts des émissions correspondent à des vols intercontinentaux. Si l’Europe entend donner un signal fort, la maîtrise du système doit cependant s’appuyer sur des mesures mondiales, d’autant que les long-courriers ne pourront être remplacés avant longtemps par des moyens de transport alternatifs, contrairement aux court-courriers.

Le groupe Air France-KLM s’est efforcé de regrouper son analyse du problème et ses solutions dans un « plan climat », qui fait maintenant partie intégrante de sa stratégie. Celui-ci a été élaboré en début d’année 2007 et présenté au conseil d’administration. Il repose essentiellement sur la recherche de solutions technologiques. Il n’existera pas de carburant alternatif à court ou moyen terme mais les progrès accumulés au cours des dernières décennies n’ont aucune raison de s’arrêter. Le groupe soutient la recherche sous toutes ses formes et constate avec satisfaction que les pouvoirs publics font de cet aspect une priorité, en Europe comme dans les orientations du Grenelle de l’environnement.

Le pilotage européen de la recherche dans ce domaine affiche des objectifs extrêmement ambitieux, rendus crédibles par l’état et les perspectives des recherches sur les nouveaux avions, moteurs ou carburants. L’Europe s’est donné trois objectifs à l’horizon 2020 : moins 50 % de consommation de carburant par rapport au meilleur produit existant aujourd’hui ; moins 50 % de bruit ; moins 80 % de production d’oxyde d’azote, ou NOX. Ces objectifs ne seront pas forcément atteints en 2020 mais ils illustrent la dynamique de recherche décisive initiée pour que le transport aérien continue d’assumer sa mission tout en étant à la hauteur du défi posé par le changement climatique.

La santé financière du groupe lui permet de procéder à une modernisation à grande échelle de sa flotte : les investissements atteignaient 1,5 milliard d’euros par an en moyenne ; sur les cinq ans à venir, ce montant approchera 2 milliards d’euros par an. Pour les longs courriers, la consommation moyenne de kérosène par passager et aux 100 kilomètres a été ramenée à 3,4 litres. Pour la desserte des départements d’outre-mer, elle a même chuté à 2,6 litres depuis la mise en service d’une nouvelle flotte à la pointe de la technologie.

Le projet de directive européenne visant à inclure le transport aérien dans le système d’échange de permis d’émissions constitue une déclinaison prévue du Protocole de Kyoto. Dans une première phase de rodage, l’Europe a mis ce système en place pour un certain nombre de sources fixes sur la période 2005-2007 et elle passera à la vitesse supérieure en 2008-2012. Après mûre réflexion, le groupe Air France-KLM a très clairement décidé d’apporter son soutien à ce projet d’inclusion dans le système de régulation globale. Il ne s’agit évidemment pas d’un soutien aveugle mais les conditions posées par le groupe sont raisonnables : équité entre secteurs ; absence de distorsions concurrentielles entre acteurs du transport aérien ; absence de fuites de carbone.

Le monde politique est sensibilisé à ce dernier risque. Si l’Europe devenait brusquement trop rigoureuse pour ses propres industries, elle provoquerait des délocalisations d’activités. Si un système extrêmement sévère était appliqué aux seules compagnies aériennes européennes, leurs concurrentes pourraient profiter de l’aubaine pour amplifier le détournement de trafic des plates-formes de correspondance européennes vers leurs concurrentes du Golfe, notamment à Dubaï.

Le soutien résolu du groupe au projet de directive est motivé par la croissance forte du marché, du fait du développement des déplacements professionnels, touristiques et familiaux, en Europe mais aussi dans des pays comme la Chine et l’Inde. En effet, dans ce contexte, la modernisation des flottes ne suffit pas à maîtriser la production de gaz à effet de serre. Dans les secteurs industriels traditionnels, les technologies disponibles rendent les réductions d’émissions beaucoup plus accessibles. Le système d’échange permet aux opérateurs qui font mieux que leur objectif de vendre leur excédent de permis et à ceux qui font moins bien compte tenu de leur croissance de contribuer financièrement à l’effort collectif. Il est bien adapté à la contrainte structurelle du transport aérien, la demande étant forte sur ce marché et les ruptures technologiques s’avérant inaccessibles dans l’immédiat.

Les amendements adoptés par la commission « environnement » du Parlement européen durcissent très nettement le projet de directive. Si le texte n’était pas revu dans un sens plus raisonnable par le Conseil des ministres de l’environnement qui se tiendra fin décembre, il aurait des conséquences négatives lourdes sur l’emploi et la compétitivité des compagnies européennes.

Le président Christian Jacob a demandé si la réduction de 24 % de l’énergie sonore s’entendait par appareil ou pour l’ensemble de l’activité du groupe Air France-KLM.

M. Pierre Caussade a répondu qu’elle s’entendait pour l’ensemble de la flotte. L’énergie sonore ne reflète pas exactement la gêne ressentie par les riverains, beaucoup plus complexe à appréhender, mais c’est une mesure physique certifiée qui permet d’additionner les bruits. En six ans, bien que le nombre de décollages et d’atterrissages ait augmenté de 20 %, l’énergie sonore totale produite a chuté de 24 %. La mise en service d’avions bimoteurs long-courriers modernes a donc des effets extrêmement intéressants et les améliorations technologiques vont continuer, sous l’impulsion de la recherche européenne.

M. Yanick Paternotte a fait observer que l’énergie sonore était certifiée mais que la réalité était plus complexe, car le bruit produit par un appareil dépend de son mode d’utilisation et des contraintes physiques liées à l’encombrement du ciel. Sannois est situé à dix-sept kilomètres de Roissy-Charles-de-Gaulle mais sous le point d’entrée du doublet sud, utilisé par les avions d’Air France, et les pilotes continuent d’ouvrir leur train d’atterrissage à cet endroit, ce qui ne répond à aucune exigence de vol mais provoque un accroissement exponentiel de la traînée acoustique.

Par ailleurs, les hubs, avec les clauses de rendez-vous, provoquent un encombrement du ciel, un allongement des durées d’approche, et l’empilement des avions, pour des raisons de sûreté, s’effectue par le bas, ce qui accroît le bruit ressenti. Chacun sait qu’une mobylette homologuée qui donne des coups d’accélérateur au feu rouge est plus bruyante que ne laisse supposer la certification des mines.

Un effort considérable de modernisation de la flotte a été consenti. L’État et Aéroports de Paris font respecter des restrictions, notamment à Roissy s’agissant des avions de « mauvais chapitre ». Il n’en reste pas moins que les nuisances sonores doivent être mesurées à l’aune de l’augmentation du trafic, de l’organisation de l’aéroport et de l’utilisation des appareils. C’est pourquoi les riverains et les élus réclament depuis des années l’installation de capteurs, qui mesureraient le bruit objectivement.

M. Pierre Caussade a précisé que la charte de développement durable de Roissy-Charles-de-Gaulle, voulue par le Président de la République, devrait permettre de traiter ces questions au fond. De nombreux paramètres jouent : la programmation des vols, l’encombrement, les trajectoires et les procédures opérationnelles. Cependant, toutes choses égales par ailleurs, le bruit à la source est un facteur déterminant ; les insuffisances incriminées seraient identiques avec une flotte moins performante, mais leurs conséquences seraient plus gênantes.

Le président Christian Jacob a indiqué que les économies d’énergie reposaient actuellement sur la taille des avions, leur remplissage et les progrès dans les motorisations. Il s’est enquis des perspectives de développement à long terme d’autres énergies pour faire voler les avions.

M. Pierre Caussade a rappelé que les compagnies aériennes s’efforçaient d’acquérir les meilleurs avions, mais que leur métier n’était pas de les construire. La consommation dépend de la conception de la cellule de l’avion, de la géométrie de ses ailes, du poids de ses matériaux, de sa portance et de son aérodynamique, de la performance de son moteur, mais aussi de l’optimisation du vol, de la route, de l’altitude et des attentes éventuelles. Le soutien à la recherche concerne le monde des constructeurs, des motoristes et des producteurs de carburant, mais il faut aussi s’intéresser au volet aéroportuaire et contrôle aérien, qui recèle une marge de progression de 10 à 15 %. Le groupe soutient par conséquent la démarche européenne, la directive relative au ciel unique européen et le projet CESAR, qui a pour objet de créer l’Europe du contrôle aérien.

Si le kérosène est le drame du transport aérien, il a fait sa réussite, car c’est un excellent carburant, doté d’une qualité énergétique remarquable et peu inflammable. Néanmoins, d’origine fossile, il produit du CO2. L’hydrogène serait également un excellent carburant mais son maniement est plus délicat et sa densité est telle que des réservoirs au moins trois fois plus gros seraient nécessaires, ce qui n’empêche pas que les constructeurs y réfléchissent. Quant aux biocarburants, ils font l’objet d’essais, notamment mélangés à du kérosène, mais les volumes nécessaires sont énormes et il ne faudrait pas raser la moitié de la forêt amazonienne pour satisfaire ces besoins, d’autant que la déforestation est déjà responsable de 18 % de la production de gaz à effet de serre, c’est-à-dire de la mécanique de changement climatique.

Il y a cent ou même cinquante ans, qui aurait imaginé que 2,3 milliards de personnes voyageraient par voie aérienne par an, dans d’aussi bonnes conditions de sécurité et de confort ? Le génie humain a permis des progrès considérables et il n’y a aucune raison que cela s’arrête ; même si les deux décennies à venir seront un peu difficiles, les savants et les ingénieurs qui travaillent dans le monde entier trouveront des solutions. L’échange de permis d’émissions semble une manière intelligente et raisonnable d’opérer la jointure avec les technologies de l’avenir.

Le président Christian Jacob s’est interrogé sur le périmètre géographique des accords susceptibles d’être trouvés : compte tenu de la position actuelle de certaines compagnies étrangères, notamment américaines, n’est-il pas irréaliste d’espérer des mesures mondiales à court terme ?

M. Pierre Caussade a estimé que cette question était cruciale. Contrairement à ce qui a pu être dit dans le cadre du Grenelle de l’environnement, le Protocole de Kyoto n’a pas réellement laissé de côté le secteur du transport aérien, mais les États qui l’ont ratifié se sont engagés sur les émissions produites sur leur territoire. Dès lors, toutes les activités transfrontières posent problème et c’est en particulier le cas pour le transport aérien : une compagnie d’un pays A peut assurer une liaison entre les pays B et C, chacun de ces pays pouvant avoir signé ou non le Protocole de Kyoto.

Les experts et les États sont parvenus à une solution relativement sage : le transport aérien domestique est inclus dans l’inventaire des États ; si les États-Unis ratifient demain le Protocole de Kyoto, le transport aérien domestique américain sera intégré à leur inventaire. En France, cet engagement ne pèse pas grand-chose, mais les 0,9 % d’émissions imputables au transport aérien domestique entrent en ligne de compte pour respecter l’engagement de baisse de 8 %. Ce trafic domestique est d’ailleurs en décroissance, compte tenu notamment du développement du TGV.

Les Nations unies ont chargé leur institution spécialisée, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), de formuler des propositions pour que le transport aérien international soit davantage pris en compte après 2012. Si un tel niveau de performance a été atteint en ce qui concerne le bruit, c’est que l’OACI a progressivement élaboré des normes qui s’imposent désormais uniformément à tous les constructeurs, les compagnies aériennes et les aéroports. Il faut maintenant que la communauté internationale prenne en compte le problème des émissions de gaz à effet de serre, et l’OACI y travaille.

Lors de la dernière assemblée générale de l’OACI en septembre dernier, la Commission européenne a abordé le sujet de manière frontale. L’Europe a une légitimité incontestée pour légiférer sur le trafic aérien intra-européen, mais celui-ci ne concerne qu’une petite partie du problème et les juristes estiment que l’Europe, faute d’accord global ou d’accords bilatéraux, n’a pas le droit d’imposer son système d’échange de permis d’émissions aux pays tiers. Les ambassadeurs de nombreux pays auprès de la Commission ont d’ailleurs fait état de réserves, les États-Unis jouant évidemment un rôle clé. Le démarrage à une échelle réduite intra-européenne, prévu dans la première étape de la directive, permettra toutefois de roder le système et de démontrer sa pertinence avant de faire avancer les négociations à l’OACI et de l’étendre à l’ensemble de la planète dans la phase post-Kyoto, entre 2012 et 2020.

——fpfp——