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Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire

Mardi 29 janvier 2008

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Examen du rapport d’information sur la carte judiciaire (M. Max Roustan, rapporteur)

La délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire a examiné le rapport d’information de M. Max Roustan sur la carte judiciaire.

M. Max Roustan, rapporteur, a d’abord souligné la rapidité avec laquelle était intervenue la révision de la carte judiciaire et constaté à partir des auditions effectuées que la phase de consultation mise en œuvre sous l’égide des chefs de cour et des préfets avait été mal vécue, quel que soit le sens des décisions prises finalement. Il a estimé que les conditions n’étaient de ce fait pas réunies pour mettre en place de manière satisfaisante une carte judiciaire adaptée aux besoins du pays. Il a rappelé que la quasi-totalité des personnes auditionnées avaient regretté la décision de s’en tenir à une réforme purement mécanique de regroupement de structures. Maintenant que les schémas de réorganisation sont annoncés, le souhait de tous est de les compléter par une réforme organique, revisitant la répartition des contentieux et les compétences des différentes juridictions, en consacrant notamment le recours aux audiences foraines et les tribunaux d’instance renforcés. Une nouvelle répartition géographique des tribunaux ne suffit pas à épuiser le débat sur la réforme de la justice. Il importe donc que le Parlement soit effectivement saisi d’un projet de loi en ce sens.

Le rapporteur a déclaré avoir été assez étonné lors de ses auditions par le cloisonnement des différents corps ou catégories sociales constituant le monde judiciaire, ce qui explique les difficultés à faire émerger une vision commune. Mais tous s’accordaient sur la nécessité de faire quelque chose pour la justice, sur un plan à la fois géographique et organique, ainsi que d’y consacrer un grand débat. La réponse apportée par la chancellerie a été de rappeler que ce débat avait lieu depuis 50 ans.

La méthode retenue, très autoritaire au départ, a évolué au fil du temps. Le schéma présidentiel initial d’une cour d’appel par région et d’un tribunal de grande instance par département s’est infléchi dans le sens d’une plus grande souplesse. Les annonces ont été faites au plus près du terrain, même si cela n’a pas permis forcément de faire évoluer les décisions. Même si cette méthode n’est pas parue satisfaisante aux yeux de tous, les schémas de réorganisations sont là et il importe maintenant d’aller plus loin, comme le suggère le rapport. Comme l’a montré la rencontre organisée récemment entre le garde des sceaux et des jeunes, il est urgent de moderniser nos procédures et de rendre plus lisible les compétences des différentes juridictions.

M. Bernard Lesterlin a fait part de sa satisfaction, en tant que membre de l’opposition, d’avoir pu être associé au travail d’audition mené par le rapporteur pendant plusieurs mois et a suggéré qu’une synthèse de ces auditions soit annexée au rapport. Ce travail illustre ce que doit être le travail parlementaire de contrôle de l’exécutif, qui est aussi important que le vote de la loi. Le mot « sérénité » est souvent associé à celui de justice ; or, en l’occurrence, le gouvernement a choisi son contraire, la précipitation, pour réformer la carte judiciaire. Le travail de la délégation a pu permettre d’assagir quelque peu les velléités brutales du garde des sceaux, qui avaient suscité des protestations au sein de l’opposition mais aussi parmi les rangs de la majorité. Il a regretté que ces interrogations n’aient pas pu s’exprimer au cours d’un véritable débat dans l’hémicycle en séance publique et salué l’intervention courageuse du rapporteur lors de l’examen du projet de loi de finances.

Les décrets relatifs à la réforme de la carte judiciaire sont actuellement encore devant le Conseil d’État. En tout état de cause, ils n’ont pas fait l’objet d’une concertation suffisante. Dans le ressort de la cour d’appel de Riom, la réunion entre le préfet et les élus a été organisée la veille du week-end précédant la remise du rapport des chefs de cour à la chancellerie, ce qui n’est pas sérieux. Il conviendrait donc d’inviter le gouvernement à davantage de coopération avec le Parlement, qui permette à la démocratie de s’exprimer pleinement. Le rapport de la délégation aura la vertu de préparer un futur débat parlementaire, dans la mesure où la garde des sceaux semble désormais reconnaître qu’une partie de la réforme dépend de la loi. Cependant, c’est sans doute par là qu’il aurait fallu commencer, en analysant les périmètres des compétences des différentes juridictions en fonction de la nature des contentieux et en examinant le cas échéant les adaptations nécessaires pour renforcer la proximité de la justice. Tout le monde convient de la nécessité d’engager une modernisation de l’institution judiciaire, mais il fallait procéder par ordre. Le gouvernement n’a pas respecté la hiérarchie des normes, en publiant un décret avant que le Parlement ne se prononce sur la loi, ce qui revient à faire de celle-ci une mesure d’application d’un décret, attitude qui est d’autant plus choquante qu’elle est celle du ministre de la justice, garde des sceaux.

Le rapporteur a rappelé que la ministre avait confirmé devant la délégation le 13 décembre dernier qu’une réforme organique allait compléter la réforme géographique et que celle-ci donnerait lieu à une loi, donc à un débat devant le Parlement. La ministre s’est aussi engagée sur l’organisation d’audiences foraines, qui est désormais acquise, même si celle-ci risque d’occasionner des charges supplémentaires et nécessite d’étoffer sensiblement la flotte de véhicules affectée aux juridictions. D’une façon générale, des interrogations demeurent à l’heure actuelle sur la mobilisation des moyens nécessaires à la mise en œuvre de la réforme, sur laquelle il conviendra d’être vigilant.

M. André Chassaigne s’est félicité de l’élaboration d’un rapport comportant des propositions pertinentes et constructives, mais qui, compte tenu de la célérité avec laquelle le Gouvernement a mené la réforme, ne peut qu’en enregistrer les résultats. S’il n’y avait pas eu cette volonté de l’exécutif d’accélérer le calendrier, certaines des observations qui sont formulées aujourd’hui auraient sans doute davantage été prises en considération. Certains critères importants, tel que l’isolement géographique, n’ont pas été pris en compte, tout particulièrement pour les suppressions de tribunaux d’instance, ce qui suppose l’instauration de mesures d’accompagnement.

Le rapport propose quelques mesures pour atténuer les conséquences de cette réforme sur les territoires et souligne à juste titre la nécessité de maintenir une présence judiciaire sous une forme adaptée dans les territoires affectés par cette réforme. L’idée de mettre en place des guichets uniques de greffe apparaît tout à fait opportune. Comme le souligne le rapport, la mise en place de ces guichets représente un investissement important, mais il est impératif d’y faire face si la réforme de la carte judiciaire est bien motivée par l’intérêt des justiciables. Il est important que ces guichets soient tenus par des personnels compétents et qu’un lieu physique soit maintenu pour accueillir les justiciables et répondre à leurs demandes. C’est d’autant plus important pour les régions isolées géographiquement qu’elles sont peuplées en grande partie de personnes âgées, avec un habitat épars, et un accès limité à Internet, à la fois en raison de contraintes topographiques et de blocages culturels. Par ailleurs, la réforme n’a pas intégré le particularisme de la justice de proximité : le tribunal d’instance d’Ambert dans le Puy-de-Dôme, par exemple, qui va être supprimé consacre 48 % de ses audiences aux tutelles, qui concernent des personnes âgées ou handicapées. Jusqu’à maintenant le juge d’instance se déplaçait dans les maisons de retraite ou les hôpitaux, voire à domicile. Il est essentiel que les juges du tribunal de rattachement continuent à assurer ces déplacements. 50 kilomètres séparent parfois en zone montagneuse le tribunal supprimé du tribunal de rattachement, ce qui signifie que certaines communes du ressort sont parfois situées à près de 80 kilomètres de toute présence judiciaire. Il conviendra de prendre en compte ces populations âgées à la fois par le maintien de guichets et par des mesures de décentralisation des audiences.

M. Max Roustan, rapporteur, a précisé que la réforme de la carte judiciaire ne devait en aucun cas avoir pour effet de provoquer des transferts de charges de l’état vers les collectivités territoriales et qu’il appartenait à l’État de prendre en charge le fonctionnement des guichets uniques de greffe proposés.

M. Philippe Duron a souligné l’approche honnête et pertinente du rapport et a fait part de ses interrogations sur la méthode suivie par le Gouvernement, dont la cohérence lui échappe. La réforme de la carte judiciaire aurait dû constituer l’aboutissement d’une procédure commencée devant le Parlement et s’inscrire dans le cadre d’une réforme d’ensemble de la justice. Cette réforme aurait gagné à être conduite de façon plus globale en liaison avec d’autres réformes administratives structurelles, notamment celle de la carte hospitalière, afin que les impacts sur les territoires soient mieux pris en compte et que des réorganisations successives ne viennent pas affaiblir les petites villes qui les structurent. Le rapporteur s’interroge à juste titre sur les conséquences de cette réforme sur les auxiliaires de justice mais celles-ci seront aussi très fortes pour les salariés du monde judiciaire, qu’ils soient fonctionnaires des tribunaux ou employés d’un cabinet d’avocat. A Argentan, 150 salariés devraient être affectés par cette réforme et ces derniers ne disposent bien souvent que de revenus modestes, avec de faibles perspectives de reclassement dans une autre ville. De nombreuses villes moyennes ou petites sont déjà affectées par des restructurations économiques. Enfin, de manière générale, comme l’a souligné le rapporteur dans son rapport, il est nécessaire de ne pas perdre de vue l’accessibilité de la justice et de prendre garde de ne pas trop éloigner la justice du justiciable. Dans le département de l’Orne, par exemple, il n’y aura plus d’instruction, ce qui peut fragiliser le recours à l’institution judiciaire.

S’appuyant sur l’exemple de l’établissement pénitentiaire du Puy et du TGI de Clermont-Ferrand en Auvergne, séparés de 130 kilomètres ainsi que par le passage d’un col à plus de 1 000 mètres d’altitude, M. Jean Proriol a considéré que la suppression des juges d’instruction dans certains TGI et la création de pôles d’instruction dans d’autres auraient pour conséquence une augmentation importante des charges de transfèrements des personnes à entendre des lieux de détention jusqu’au pôle d’instruction, occasionnant ainsi un surcoût non négligeable et une démobilisation des forces de gendarmerie ou de police qui se trouveraient ainsi détournées de leurs missions sécuritaires. Cela revient à sacrifier la proximité, en allant à l’encontre de toute économie de moyens. Comment cela va-t-il fonctionner ? La réponse qui a été parfois faite à ces interrogations est de dire qu’un juge dépendant de Clermont-Ferrand resterait au tribunal du Puy pour entendre les détenus de la prison et qu’un système de télétravail pourrait être mis en place avec ses homologues du pôle de l’instruction à Clermont-Ferrand. La création de pôles d’instruction ne découle certes pas directement de la réforme de la carte judiciaire mais de la loi votée après l’affaire d’Outreau. Il n’est d’ailleurs pas sûr que la collégialité de l’instruction ait pu changer le déroulement de cette affaire. Il revient en tout état de cause de s’interroger sur les incidences de la mise en place de cette collégialité dans les territoires.

M. Bernard Lesterlin a estimé que la recherche de gisements d’économies ne devait pas justifier n’importe quelle mesure restrictive tant en matière d’infrastructure que de moyens matériels et humains. Par ailleurs, si l’on souhaite maintenir une certaine proximité sous une forme ou une autre, des moyens devront être prévus à cet effet. Il est regrettable à cet égard que peu de parlementaires se soient mobilisés et interrogés sur l’impact de cette réforme lors de la discussion des crédits de la justice mais aussi des forces de sécurité. Le regroupement en pôle d’instruction et la réforme de la carte judiciaire illustrent que certaines économies se révèlent être des sources de dépenses supérieures se reportant sur d’autres secteurs. Dans l’Allier, comme l’indique le rapport, la question des escortes va inévitablement se poser avec le regroupement du TGI de Moulins à Cusset. En l’espèce, c’est la volonté de fermer à tout prix un TGI qui a primé et le résultat de cette décision ira à l’encontre des objectifs poursuivis, c’est-à-dire d’une bonne gestion des deniers publics et d’une proximité de la justice. La suppression du TGI de Moulins et la création d’un pôle de l’instruction à Cusset vont en outre créer de nouvelles inégalités territoriales, avec un déséquilibre important entre les deux TGI restants, celui de Cusset et celui de Montluçon. En remettant en cause les principes de proximité et de libre accès à la justice, c’est la qualité même de la justice qui se trouve atteinte.

Le président Christian Jacob a relevé que le rapport de M. Roustan prenait bien en compte la problématique d’aménagement du territoire, puisqu’il soulignait l’impossibilité de s’en tenir à un TGI départemental dans un département particulièrement peuplé, ou composé de deux bassins de population distincts ou encore divisé entre une zone maritime et un arrière-pays agricole. Il a ajouté que, dans bien des départements et des régions, les distances se mesuraient moins en longueur qu’en temps de parcours. Par ailleurs le problème des transferts sous escorte dépend aussi beaucoup de l’effectif des brigades mobilisées et ne se pose donc pas de la même façon à Paris et dans des petites brigades de 7 gendarmes en province. Dans ces dernières, la mobilisation de trois hommes pour accompagner un prévenu perturbe complètement le fonctionnement de la brigade et ne permet plus d’effectuer des patrouilles.

Le rapporteur a rappelé que les directeurs généraux de la police nationale et la gendarmerie s’étaient, dès le début, montrés favorables à une réforme mécanique et que le problème était que les détenus étaient tous convoqués à 8 heures du matin, quel que soit l’ordre de passage des affaires. Il a ajouté que les juges pourraient aussi, plus qu’ils ne le font actuellement, se déplacer pour entendre les prévenus dans les prisons dans le cadre de l’instruction. Il a précisé que la création des pôles de l’instruction relevait de l’application d’une disposition de la loi dite « Clément », qui devait s’appliquer au plus tard au 1er mars 2008, et que, contrairement à ce qui a pu être dit par la chancellerie, celle-ci n’imposait pas une réforme de la carte judiciaire. Si tout le travail préparatoire d’instruction était désormais mené dans ces pôles, l’audience de jugement aurait toujours lieu dans le tribunal de grande instance d’origine. Il est excessif de penser que les TGI dépourvus de pôles ne serviront plus à rien en matière pénale. Le recours à la visioconférence, dont le rapporteur a pu apprécier le bon fonctionnement lors de son déplacement à Grenoble, peut également apporter une réponse au problème des escortes mais vu la rapidité de mise en œuvre de la réforme de la carte judiciaire, il risque de se heurter au problème d’équipement et de câblage des prisons et des tribunaux. Les avocats restent aussi réticents par rapport à l’utilisation de la visioconférence. D’une manière générale, s’il est vrai que les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont appelées à se développer, elles ne constituent pas dans l’immédiat une solution palliative à l’éloignement géographique et ne suffisent pas à recréer la proximité avec le justiciable. Le protocole signé avec la Caisse des dépôts s’étale sur une période de trois ans et il se pose encore un problème d’équipement et d’abonnement du côté des avocats.

Après les interventions du président et de M. Bernard Lesterlin, qui ont souhaité que la Délégation examine les décrets que prépare aujourd’hui le gouvernement et que des synthèses des différentes auditions soient annexées au rapport, la Délégation a adopté le rapport d’information.