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Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire

Mardi 3 juin 2008

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Michel Severino, directeur général de l’Agence française de développement.

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Michel Severino, directeur général de l'Agence française de développement, sur les pays émergents et la lutte contre le réchauffement climatique.

Le président Christian Jacob a souhaité la bienvenue à M. Jean-Michel Severino, directeur général de l’Agence française de développement depuis 2001, ancien directeur du développement au ministère de la coopération, ancien vice-président de la Banque mondiale pour l’Asie et auteur de nombreuses publications sur les sujets internationaux.

Alors que le Grenelle de l’environnement et le texte législatif qui en découlera procèdent d’une approche « franco-française » – et même si l’on s’efforce de promouvoir une action européenne –, il est intéressant de replacer dans un contexte mondial des objectifs tels que la diminution de 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Comment l’Inde, la Chine, l’Indonésie ou le Brésil réagissent-ils ? Quel regard portent-ils sur notre action ?

Un éclairage international sera également opportun en ce qui concerne les biocarburants. Les Nations unies se montrent plutôt frileuses sur le sujet. Le président Lula se dit, lui, très favorable. En France, le développement des biocarburants, déjà engagé, permet d’obtenir des sous-produits destinés à l’alimentation animale, ce qui contribue à l’indépendance alimentaire du pays.

En matière de biodiversité enfin, l’Allemagne vient d’annoncer qu’elle mettra en place l’année prochaine un fonds de 500 millions d’euros consacré à la préservation de la forêt équatoriale. Selon certaines estimations, près de 30 milliards d’euros seraient nécessaires.

Sur tous ces sujets, on a le sentiment que les pays du Sud sont sourds aux remarques des pays du Nord. On peut se demander cependant si ces derniers sont en mesure de leur apporter l’accompagnement nécessaire, que ce soit par des financements, par des transferts de technologie ou, tout simplement, par une modification des règles de l’Organisation mondiale du commerce : pourquoi ne pas envisager que la course comporte des handicaps, afin d’éviter que de soumettre tous les pays aux mêmes conditions ?

M. Jean-Michel Severino s’est réjoui de contribuer aux réflexions de la Délégation.

Dans la situation internationale actuelle, la résolution des problèmes liés au changement climatique passe par un partenariat avec les pays en développement. Ceux-ci ont un triple statut : ils sont à la fois des causes, des victimes et des solutions.

S’ils sont des causes, c’est que si les pays développés ont occupé l’essentiel de l’espace carbone disponible, la croissance démographique et économique des pays en développement représente la « goutte d’eau » qui fait déborder le vase. La coresponsabilité est un élément important du discours occidental vis-à-vis des pays en développement, notamment les pays émergents, dans la négociation sur la lutte contre le changement climatique.

Mais les pays en développement font également partie intégrante de la solution : c’est sur leur sol que les efforts d’efficacité énergétique sont les plus rentables, compte tenu des coûts d’investissement relativement modestes. De plus, ils disposent d’éléments clés sur plusieurs composantes importantes de la lutte contre le réchauffement climatique. Ce sont eux qui ont les plus vastes surfaces, donc l’essentiel du couvert végétal et du potentiel de stockage du carbone. Le solaire, la biomasse, les agrocarburants sont pour eux des atouts importants.

Enfin, ils sont victimes car l’essentiel des conséquences négatives du changement climatique – hausse des températures, modification du cycle de l’eau, événements climatiques extrêmes – va intervenir dans la zone comprise entre les deux tropiques, où se situe la plus grande partie du monde en développement. Il faut ajouter à cela le fait que les pays en développement abritent la fraction la plus importante de la population côtière mondiale, si bien qu’ils subiraient les premiers les effets d’une élévation du niveau des mers.

Ce triple statut confère à ces pays, qui représentent les quatre cinquièmes de la planète, une position centrale dans toute négociation globale.

Il existe des interférences très fortes, voire des contradictions, entre la discussion sur le climat, la question de la biodiversité, celle du développement économique et celle des ressources naturelles. Bien que chaque agenda corresponde à un bien public, les solutions ne convergent pas forcément et il faut procéder à des arbitrages.

En outre, il est impossible d’aborder la question du climat avec les pays en développement en affirmant que la solution réside dans un ralentissement de l’augmentation du PIB par habitant des pays pauvres. Ce discours est politiquement inaudible, même si certains n’en pensent pas moins. L’agenda de la stabilité politique internationale, qui passe par une certaine idée de la convergence des revenus et de l’intégration économique, se trouve télescopé par la problématique de l’occupation de l’espace carbone mondial. La planète se trouve condamnée à intensifier l’efficacité énergétique. Dans les pays en développement, il ne s’agira pas de doubler seulement cette efficacité, mais de la multiplier par cinq ou six, ce dont on est encore très loin.

Mais il n’existe pas que des divergences. Alors que les pays du Nord s’engagent fortement sur les questions climatiques – ce dont témoigne, au premier chef, le Grenelle de l’environnement –, ceux du Sud adoptent également des démarches convergentes, même si elles prennent des formes très différentes. L’agenda de la Chine en matière de politique environnementale, par exemple, est de très grande envergure. Le parti communiste chinois, impliqué au plus haut niveau, n’a donné que deux objectifs quantitatifs dans la note de cadrage politique qu’il a remise pour l’élaboration du Xe plan. L’un a trait à la croissance économique, l’autre à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

En l’Indonésie, quatrième émetteur de gaz à effet de serre, 80 % des émissions sont liées à la déforestation. L’agenda forestier se révèle très difficile à mettre en place, mais les autorités le prennent très au sérieux.

D’autres pays ne s’inscrivent pas vraiment dans ce processus – c’est le cas de l’Afrique du Sud –, mais ce sont des exceptions. La plupart entrent également dans le cadre de l’agenda climatique par crainte de la disparition des ressources pétrolières. Chacun a conscience des enjeux qui entourent le charbon, énergie d’avenir mais polluante, sauf si l’on découvre de nouvelles technologies de captage et de stockage du CO2. Beaucoup de pays se préparent à passer d’une dépendance au pétrole à une dépendance au charbon. Or la géopolitique du pétrole et celle du charbon sont très différentes. La première est dominée par des pays structurellement excédentaires, petits consommateurs et gros producteurs, alors que la quasi-totalité de la production charbonnière est située dans des pays gros consommateurs, si bien que s’établira un marché de surplus très comparable à celui des céréales et du riz, où les gros consommateurs sont aussi les principaux exportateurs.

Au total, même si l’on fait abstraction de l’effet de serre, la question de la dépendance énergétique et du prix de la ressource pousse l’ensemble des pays à bouger, de préférence vers des solutions alternatives : géothermie, énergie hydraulique, solaire, éolienne, biomasse. L’attitude envers le nucléaire évolue également. On a ainsi vu des pays africains exprimer le désir d’accéder à cette ressource. Les grands pays fournisseurs, dont la France, ne le souhaitent pas pour des raisons évidentes de sûreté. Comme on sait aussi qu’il sera difficile de se passer du nucléaire, y compris sur le continent africain, il faudra trouver des solutions de mutualisation en prévoyant des installations dans des pays sûrs. Cela suppose que l’on pense par grandes régions. En Afrique australe, par exemple, le seul pays où l’on peut implanter du nucléaire est l’Afrique du Sud. Tous les autres pays deviendraient alors dépendants, ce qui pose des problèmes complexes même dans le cadre d’une organisation régionale politiquement consensuelle.

Les pays du Sud attendent d’abord des pays du Nord qu’ils donnent l’exemple. Puisque vous avez créé le problème, commencez par le résoudre avant que nous commencions à bouger ! Tel est le fondement de la position de la Chine, de l’Inde, etc. Mais il s’agit aussi d’un argument de façade, tant il est évident que ces pays comprennent ces problèmes et les intègrent dans leur politique domestique. Ils veulent avant tout vendre le plus cher possible l’efficacité énergétique de leur croissance, en obtenant des transferts financiers et des transferts de technologie. La réussite du sommet mondial du climat de Copenhague en 2009 dépendra de la générosité des pays industrialisés sous ces deux aspects. La partie financière est relativement peu complexe. En revanche, les transferts de technologie sont d’abord l’affaire d’entreprises privées et risquent, de ce fait, de se heurter à la protection de la propriété intellectuelle. On retrouve là les problématiques que l’on a rencontrées dans le domaine du médicament et de la santé publique : quel est l’intérêt général que l’on peut opposer au droit de propriété intellectuelle, quelles sont les compensations possibles, etc. ? Pour ce qui est du partenariat dans les politiques publiques, les choses sont plus faciles à mettre en place.

L’agenda est très différent selon les zones. L’Afrique subsaharienne, qui occupe actuellement une place modeste, constitue un des grands enjeux du monde émergent. De 700 millions d’habitants aujourd'hui, sa population passera à 1,2 milliard dans vingt ans pour atteindre 1,5 à 1,8 milliard en 2050 et près de 2 milliards dans la deuxième moitié du xxie siècle. Cette croissance démographique sera assortie d’une croissance économique substantielle, de l’ordre de 5 à 6 % par an, si bien que le grand sujet de la deuxième moitié du xxie siècle ne sera ni l’Inde ni la Chine, mais l’Afrique subsaharienne. Il convient donc de raisonner à l’échelle du siècle. Actuellement, cette région s’équipe massivement en thermique pour répondre à une demande qui croît d’environ 10 % par an. Cela signifie qu’il faudra remplacer des générations entières de centrales dans trente ou quarante ans, pour un coût très élevé.

L’Afrique subsaharienne concentre toutes les vulnérabilités imaginables dans le futur. Nous avons un intérêt d’autant plus grand à la réussite des procédures d’adaptation qu’un échec entraînerait des migrations considérables. L’Inde, la Chine, les pays d’Amérique latine géreront eux-mêmes leur adaptation aux nouvelles données climatiques ; ce ne sera pas le cas des pays de cette zone.

Un agenda spécifique est consacré au bassin du Congo, premier massif forestier de la planète avec l’Amazonie et première source de biodiversité. La pression économique qui s’exerce sur ce bassin, même si elle est déjà intense, est moindre que ce que l’on observe à l’échelle planétaire.

En Chine, l’agenda porte d’abord sur la rapidité de la croissance industrielle et sur la problématique de l’urbanisation. En Indonésie et au Brésil, c’est un agenda « vert » qui est mis en place, compte tenu de l’impact de la déforestation dans les émissions de carbone de ces deux pays. Au Maghreb, c’est l’agenda de l’eau qui prévaut. C’est sur la rive sud de la Méditerranée que le stress hydrique est le plus élevé au monde. Certains pays de la région ont déjà entamé un processus de déstockage des aquifères fossiles, qui sont des ressources en eau non renouvelables.

Cet état de fait n’est pas sans conséquences sur les politiques agricoles. L’AFD ne cache pas un certain scepticisme lorsqu’elle considère les questions agricoles dans cette zone où 80 % de l’eau est utilisée pour une agriculture qui apparaît largement non soutenable, et pour des produits dont la valeur ajoutée n’est pas évidente.

Le processus de la négociation climat mérite d’être détaillé. Une négociation centrale se déroule dans le cadre de la convention sur les changements climatiques. Parallèlement, le major emettors meeting – MEM –, imaginé par les États-Unis et qui rassemble les plus gros émetteurs, se résume à un lieu de bavardage mais de ce bavardage émergent des solutions. La question est de savoir comment l’on passera de la quinzaine de membres du MEM à la négociation à 180 pays de la convention sur les changements climatiques. Quelle perception auront les pays émergents de l’élaboration d’objectifs contraignants dont on peut imaginer qu’ils ne porteront pas sur une réduction de leurs émissions, mais sur l’amélioration de leur efficacité énergétique ? Des mesures pour éviter la déforestation feront-elles partie du paquet ? Enfin, nous ne parviendrons pas à un accord si les pays industrialisés ne mettent pas une certaine somme d’argent sur la table et n’acceptent pas de contribuer à l’objectif de l’amélioration de l’efficacité énergétique dans les pays en développement.

Le premier projet stratégique de l’Agence française de développement, en 2001, avait déjà identifié la question environnementale comme faisant partie des mandats de l’Agence. Le projet stratégique 2007-2011 a précisé les trois objectifs de l’Agence : la promotion de la croissance économique dans les pays en développement, la réduction des inégalités internationales et la promotion des biens publics globaux. À chaque fois, l’aspect climat est primordial, ce qui a donné lieu à une stratégie particulière et à une amplification rapide des engagements déclarés par l’AFD au secrétariat de la conférence sur les changements climatiques. En 2007, ce sont 450 millions d’euros qui ont été déclarés au titre des activités climat, sur la base des critères définis par la convention. Cette somme doit être rapportée aux 3,3 milliards d’euros que l’Agence a engagés l’année dernière, mais aussi aux 15 millions dépensés dans ce domaine il y a cinq ans. En 2008, le rapport sera de plus de 500 millions d’euros pour une activité de 4 milliards d’euros et il est probable que l’on atteindra 800 millions ou un milliard trois ou quatre ans plus tard. Il y a cinq ans, cette activité était de 10 à 15 millions d’euros.

Dans les pays émergents – Chine, Inde, Pakistan, Brésil, Indonésie… –, le seul mandat de l’Agence concerne les gaz à effet de serre. Le Gouvernement a autorisé l’AFD à y engager un peu de concessionnalité. Or, pour que les concours concessionnels puissent se qualifier à l’aide publique au développement, ils doivent comporter au moins 25 % de dons. L’AFD engage également beaucoup de concours non concessionnels ayant un impact en matière de carbone.

L’action de l’Agence dans les pays les plus pauvres représente 65 % de son agenda climat. Elle porte sur toutes les composantes de l’agenda, adaptation et réduction. Cependant, dans ces pays, les projets en matière de réduction des émissions sont essentiellement « verts » : lutte contre la déforestation, stockage, etc.

Dans les collectivités d’outre-mer françaises, où l’AFD déploie 20 % de ses activités, la dégradation environnementale s’accélère et la composante carbone joue un rôle significatif dans cette tendance.

Pour mesurer les résultats des opérations qu’elle mène, l’Agence s’appuie sur des méthodes standards très conservatrices. En 2007, elle peut prouver une économie de 2,7 millions de tonnes de carbone, soit l’équivalent de l’élimination définitive d’un million de véhicules du parc automobile français. L’objectif est de doubler ce chiffre à un coût moyen de la tonne de carbone pour le contribuable français inférieur à 3 dollars.

L’AFD fournit des moyens intellectuels et techniques à l’équipe française de négociation sur le climat. Sur le plan local, ses opérations permettent d’appuyer la stratégie de négociation française. Ainsi, le Président de la République, lors de ses déplacements en Chine et en Inde, a signé des accords de partenariat fondés en bonne partie sur l’activité opérationnelle de l’Agence en matière de climat.

L’AFD travaille également avec l’administration française sur la participation de la France à la création d’un fonds de 10 milliards de dollars destiné à bonifier des prêts accordés par la Banque mondiale dans l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les pays émergents. Ce dispositif s’inscrit dans la lignée des actions que l’Agence mène depuis longtemps de façon bilatérale et qui ont fait d’elle un pionnier en la matière.

La participation de l’Agence à l’action de la diplomatie française consiste à cibler des enjeux et des pays importants, à participer au montage d’innovations majeures, à identifier des solutions, y compris procédurales et institutionnelles, tout en mobilisant la communauté des acteurs français : entreprises privées, organismes de recherche, collectivités locales. Ces dernières ont un rôle important, notamment dans le domaine de l’urbanisme. Dès l’origine, l’Agence a remarqué que la coopération décentralisée est un très bon vecteur de partenariats.

En matière d’énergie renouvelable, l’AFD participe à des opérations à une échelle industrielle. Par exemple, elle a consenti tout récemment un prêt de 100 millions d’euros à Eskom, l’opérateur d’électricité de l’Afrique du Sud, pour le déploiement d’une ferme éolienne de 100 mégawatts qui sera la plus importante du continent africain et représentera une économie de 250 000 tonnes de CO2 par an. Par le biais de sa filiale PROPARCO, elle participe au montage privé pour la construction du plus grand barrage du monde, celui de Bujagali, en Ouganda. Elle est aussi le premier financeur de la géothermie kényane. On sait en effet que l’accroissement de la capacité énergétique de l’ensemble de l’Afrique orientale peut être intégralement couvert par cette énergie, puisée dans la vallée du Rift.

Le portefeuille des opérations publiques et privées en Chine devrait atteindre 2 milliards d’euros. Le volet consacré aux transports urbains concerne pour l’essentiel les transports de masse. Il s’agit aussi, grâce au refinancement, d’améliorer l’efficacité énergétique des processus industriels. Enfin, l’AFD relaie le financement du Fonds français pour l’environnement mondial en matière d’efficacité énergétique du logement. Étant donné le rythme des constructions en Chine, ce programme de financement et de partenariat intellectuel et scientifique a un impact considérable. L’AFD proposera également au gouvernement chinois une contribution à la reconstruction des zones touchées par le séisme récent selon des normes de haute qualité sismique et environnementale.

Pour ce qui est de la forêt, l’AFD déploie deux types d’action, une de conservation classique – financement des parcs naturels, gardiennage, mise en valeur touristique –, une autre d’exploitation durable. Il faut en effet savoir que les parcs ne représenteront, au mieux, que 5 à 10 % des surfaces d’un bassin comme celui du Congo, le reste étant exploité soit par des collectivités locales, soit par des grandes entreprises. La clef de la préservation du couvert forestier et de la biodiversité réside donc dans les modes d’exploitation. L’AFD intervient via le système bancaire local de tous les pays du bassin du Congo pour octroyer des prêts concessionnels aux entreprises forestières en contrepartie de l’entrée dans des schémas d’aménagement forestier durable.

L’AFD a également adopté il y a près de dix ans, en partenariat avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – CIRAD –, une méthodologie baptisée « zéro labour », qui consiste à abandonner le labour et à semer sous couvert végétal. Les résultats, en termes de rendement, d’économies d’énergie et de captage de carbone, sont considérables.

Le président Christian Jacob a précisé que cette méthode était déjà pratiquée par nos parents et nos grands-parents. Par exemple, on plantait de la luzerne, puis on semait du blé. La luzerne est une légumineuse qui, par ses nodosités, capte l’azote contenu dans le sol. Pendant que le blé pousse, elle étouffe une bonne partie des mauvaises herbes. Après la récolte du blé, par exemple en août, on pourra faire une première coupe de luzerne en septembre et, éventuellement, une seconde à la fin de l’automne. Ce procédé ne nécessite plus de labour. On gratte très légèrement le sol, ce qui représente des économies en matériel et en gazole et ce qui évite d’assécher le sol. En France, toutes les grandes plaines céréalières ont abandonné le labour.

C’est aussi un moyen de séquestrer le carbone : il n’y a pas meilleur capteur qu’un couvert végétal tout au long de l’année. De plus, les plantes utilisées captent l’azote. Actuellement, les rendements sont comparables à ceux des techniques de labour, sinon meilleurs. On évite également les phénomènes d’érosion, puisque le système racinaire retient la terre.

M. Jean-Michel Severino a reconnu avoir eu du mal, au départ, à concevoir comment on avait pu passer à côté de techniques qui améliorent à peu près tous les paramètres. En pratique, la promotion et le financement de ce système se révèlent compliqués, tant l’abandon du labour représente un choc culturel pour les agriculteurs. Il faut aussi convaincre les administrations. Cela étant, la méthode est en pleine expansion.

L’AFD a participé activement au programme Réunion 2030. Elle a aussi été partie prenante, via sa filiale privée, d’un projet d’équipements de brûlage et de récupération de gaz pauvre dans une centrale thermique au Pakistan. Le prêt s’est élevé à 30 millions d’euros de financement non concessionnel, sachant que l’amortissement exigeait un financement sur une vingtaine d’années que le système bancaire local était incapable de fournir. Au total, l’Agence a gagné de l’argent tout en permettant d’économiser l’équivalent des émissions annuelles de CO2 d’un pays comme la Slovénie.

Elle travaille également sur un programme de modernisation du secteur cimentier en Turquie. Il s’agit, là encore, d’un programme rentable. La récupération de l’investissement se fait, par le biais des économies d’énergie, en une dizaine d’années. Les systèmes financiers des pays en développement sont en général trop fragiles pour permettre l’amortissement à moyen ou à long terme d’investissements aussi lourds.

Enfin, l’AFD a consenti à la commune de Durban un prêt de 6 millions d’euros pour la construction d’un système de récupération de méthane à partir des ordures ménagères. Le méthane alimente une centrale qui fournit l’essentiel de l’électricité consommée par la ville. Le montage financier complexe, qui était alors une première, est en train de se répandre au point de devenir un produit générique. L’Agence a en effet attribué à la ville de Durban un quota de CO2 et celle-ci l’a vendu sur le marché afin de financer la concessionnalité du produit.

M. Yves Albarello a indiqué que le territoire de sa commune accueillait un centre d’enfouissement technique récupérant une grande partie des ordures ménagères de la ville de Paris et de la Seine-Saint-Denis. La société qui gère ce centre fait de la méthanisation et produit une énergie électrique de 220 000 équivalents-habitant qu’elle revend à EDF. Elle a mis en place un pilote expérimental pour capter le CO2 issu de la méthanisation et le stocker dans les aquifères salins. Pourquoi la méthanisation ne rejette-t-elle pas de CO2 à Durban alors qu’en proche banlieue parisienne elle en émet 200 000 tonnes par an ?

M. Jean-Michel Severino a déclaré ne pas être en mesure de répondre à cette question technique et a proposé d’apporter par écrit des informations sur l’installation de Durban.

Il a conclu son propos en soulignant que les nouvelles orientations de l’AFD en matière de lutte contre le changement climatique s’inscrivent dans la lignée des vieux métiers de l’Agence, si bien que la mutation a été relativement aisée. Bien entendu, l’AFD s’applique à elle-même des pratiques de responsabilité environnementale et veille à la neutralité carbone de ses opérations administratives.

L’effort de la France et de l’AFD ne saurait résoudre tous les problèmes mais il est loin d’être insignifiant. Son impact est réel. Il peut servir de modèle et apporter des solutions tant pour la France que pour la collectivité mondiale. C’est aussi un instrument d’influence dans les négociations bilatérales ou internationales.

Le président Christian Jacob a relevé que les pays émergents, derrière une attitude de façade consistant à réclamer d’abord des efforts de la part des pays industrialisés, prennent en compte de façon très profonde les menaces climatiques.

L’action que mène l’AFD par l’intermédiaire de sa filiale privée montre que la France s’engage résolument dans le développement des nouvelles techniques industrielles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. En matière de propriété intellectuelle et de transferts de technologie, on sait qu’il y a un pas à franchir si l’on veut avancer plus rapidement.

Dans les négociations internationales sur les normes environnementales, est-il utopique d’envisager des rythmes différents selon les pays, comme c’est déjà le cas pour le calendrier climat ? À l’évidence, on ne peut fixer les mêmes échéances pour la France, la Chine ou les pays d’Afrique subsaharienne. Nos concitoyens se demandent parfois à quoi sert de faire des efforts si la Chine continue à construire autant de centrales à charbon. Il faut donc tenir un discours de responsabilité. La problématique est la même que celle de la propriété intellectuelle sur les vaccins et certains médicaments.

M. Bernard Lesterlin a demandé si l’AFD participait à une éventuelle stratégie européenne en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Qu’en est-il de l’énergie solaire, qui pourrait constituer une chance considérable pour les pays du Sud ? Considère-t-on que c’est une technologie insuffisamment performante ?

L’urbain non maîtrisé est un autre grand enjeu pour les pays du Sud. L’expérience de l’AFD à Durban est à cet égard intéressante, puisque le traitement des déchets est un problème non résolu dans le monde pauvre. Existe-t-il des pistes pour des transferts de technologie dans ce domaine ?

En existe-t-il aussi en matière de transport public ou individuel ? La hausse du niveau de vie de milliards d’êtres humains s’accompagnera de besoins accrus de déplacements. Si l’on n’investit pas pour transformer des modes de déplacement très polluants, la situation s’aggravera encore. Il faut aussi songer aux transports individuels, sachant que, pour ce qui est de l’usage du vélo, nous n’avons certainement pas de leçons à donner aux Chinois ou aux Vietnamiens !

M. Jean-Michel Severino a indiqué que la perception de l’AFD est qu’il n’existe pas aujourd'hui de projet européen en direction du Sud. La seule tentative est celle que le commissaire Louis Michel a faite l’année dernière pour constituer un fonds climat européen destiné à des partenariats avec les pays en développement. Elle n’a pas abouti. Ni la Banque européenne d’investissement ni la Commission ni la direction générale 8 ne sont vraiment mobilisées sur ce type d’objectif. La politique européenne d’aide au développement reste très classique. L’AFD devrait contribuer à faire bouger cette politique mais cela est difficile du fait de l’éclatement des structures : selon que l’on traite des pays ACP – Afrique, Caraïbes, Pacifique –, ALA – Asie et Amérique latine – ou méditerranéens, les instruments sont différents. L’action de la Commission et celle de la BEI sont elles aussi différentes. Dans chacune des zones, l’agenda est largement soumis à des considérations géopolitiques, comme le montre par exemple la question de l’Union méditerranéenne. Il est donc malaisé d’infuser une problématique globale. Même s’il est probable que cela prenne du temps, l’AFD espère faire progresser son approche.

En matière d’énergie solaire, la prudence de l’Agence n’est pas de principe : elle tient à ce que toutes les autres sources d’énergie destinées à être raccordées au réseau sont plus rentables que le solaire. C’est assurément une bonne technologie hors réseau, mais elle reste non compétitive en milieu urbain, où les solutions solaires représentent un coût important.

Le solaire pourrait certes se développer dans certaines zones, par exemple en Inde, où des régions densément peuplées ne sont pas connectées au réseau, mais l’on se heurte alors à un autre écueil : il n’existe pas de fournisseur français. Participer à de tels projets revient à financer des producteurs chinois. L’Agence n’a pas osé franchir le pas.

M. Bernard Lesterlin a remarqué qu’il vaut mieux construire des installations photovoltaïques que des centrales à charbon.

M. Jean-Michel Severino en a convenu, tout en objectant que le solaire se développe en Chine.

Le président Christian Jacob a souligné la difficulté d’expliquer que l’on engage des financements communautaires ou nationaux sans que des entreprises européennes ou françaises puissent en bénéficier.

Revenant sur la question des villes et de l’efficacité énergétique des transports collectifs et individuels, M. Jean-Michel Severino a indiqué qu’il appartient aux industriels, notamment aux constructeurs automobiles, de développer la recherche pour améliorer les technologies. En revanche, l’Agence peut aider à la mise en place de solutions collectives. Les principaux obstacles sont d’ordre méthodologique : dans la plupart des villes des pays en développement, il est difficile de mettre en place des solutions publiques car les régies municipales sont très déficientes. Il faut donc se tourner vers des partenariats public-privé qui ne sont pas non plus très simples à monter : ils doivent être rentables pour le concessionnaire, on se heurte à des questions d’acceptabilité politique, etc.

L’attitude de l’AFD sur les agrocarburants est relativement ouverte. En milieu tropical, en effet, on trouve des plantes dont le rendement est meilleur que celles qui sont utilisées dans les pays tempérés : ainsi la canne à sucre ou, en zone sèche, le jatropha. Cela dit, produire des agrocarburants pour l’exportation est une mauvaise opération du point de vue du climat car les coûts énergétiques des transports effacent les avantages de la production. Ce n’est une bonne solution que pour développer une filière complémentaire ou principale dans le pays de production. Il y aurait un sens, par exemple, à organiser une telle filière au Mali, mais les problèmes pratiques sont multiples : capacité de l’administration, absence d’offre pour transformer le parc automobile local, etc.

Vient ensuite la question du conflit avec les espaces vivriers. Dans certains pays, les espaces cultivables sont tels que l’on peut sans doute gérer les deux moyennant certaines précautions. Dans d’autres zones plus densément peuplées et où la pression sur le sol est plus importante, il convient d’être beaucoup plus prudent, même si le regard de l’AFD reste nuancé et pragmatique : pour certains pays, il vaut sans doute mieux importer de la nourriture et produire localement du carburant que de faire l’inverse. Dès lors qu’il faut choisir une dépendance, laquelle est la plus acceptable ? Réduire des cultures vivrières peu rentables en échange d’énergie à bas coût, cela peut se discuter. Le débat sur ces questions a pris un tour trop dogmatique. L’appréciation des circonstances locales devrait primer.

Le président Christian Jacob a remarqué que le bilan des agrocarburants ne prend jamais en compte les sous-produits, notamment les tourteaux riches en protéines qui peuvent servir de nourriture aux volailles, ou les brins longs de la canne à sucre qui peuvent être incorporés dans l’alimentation du bétail.

M. Yves Albarello a souhaité connaître l’opinion de M. Severino sur le captage de CO2. Le pic oil est maintenant dépassé. On va sans doute rouvrir des mines de charbon. La Chine et d’autres pays feront tourner de plus en plus de centrales polluantes. Si les solutions de captage développées par Total et Veolia se révèlent efficaces, elles pourraient s’exporter en masse.

M. Jean-Michel Severino a répondu que l’AFD discute beaucoup avec les énergéticiens de la question du captage et du stockage du CO2 issu du charbon. Il est plus que probable que le charbon sera la première source d’énergie du xxie siècle. Il existe des réserves pour 200 ou 300 ans et les coûts de production sont très inférieurs à ceux du pétrole. Des opérateurs tels que Total ou Suez affirment qu’il existe de bons espoirs de disposer de techniques adaptées, mais à l’horizon d’une décennie. Entre-temps, on peut assister à une aggravation considérable. Tout ce qui sera fait en matière d’énergies renouvelables et de nucléaire sera autant de gagné.

Le président Christian Jacob a remercié M. Jean-Michel Severino pour les nombreuses informations qu’il a apportées. Sans doute la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire et la commission des affaires économiques seront-elle amenées à lui demander une nouvelle fois sa contribution lorsque le débat sur les suites du Grenelle de l’environnement sera plus avancé.