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Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire

Mercredi 6 mai 2009

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Colloque, sous le haut patronage de M. Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale, «  Commerce équitable et politiques publiques : enjeux et perspectives »

Allocution d’ouverture de M. Bernard Accoyer, Président de l'Assemblée nationale

M. Bernard Accoyer, Président de l'Assemblée nationale. Je suis très heureux, de vous accueillir à ce colloque qui prélude au lancement de la Quinzaine du commerce équitable où nous aurons notamment l’occasion de constater combien, au-delà des enjeux internationaux, les collectivités locales jouent un rôle majeur dans la promotion de ce nouveau mode de développement. Je félicite également Christian Jacob pour l’avoir organisé : je connais, cher Christian, toute la passion qui t’anime lorsque tu t’empares d’un sujet et toute la force de conviction avec laquelle tu le défends. Parce que tu as découvert le commerce équitable avant la plupart d’entre nous et que tu as immédiatement cru à son avenir, c’est aussi grâce à toi que les pouvoirs publics s’y intéressent de plus en plus. Je remercie également de sa présence Mme la secrétaire d’État chargée de l’écologie Chantal Jouanno, dont l’attention qu’elle porte à tout ce qui concerne notre environnement mais, également, à la place de ce dernier dans l’évolution des rapports entre le Nord et le Sud doit être soulignée ; elle est depuis bien longtemps convaincue que ce sont des priorités fondamentales.

Né dans les années soixante, longtemps cantonné par un circuit de vente à une clientèle d’initiés, le commerce équitable a pris ces dernières années un nouvel essor ; il est devenu familier et habituel. En sortant des circuits de vente traditionnels et en accédant, via un système de labels, à la grande distribution, ces produits sont en effet devenus l’objet d’un engouement croissant des consommateurs comme en témoigne l’action des collectivités territoriales qui contribuent grandement à informer et à sensibiliser nos concitoyens ainsi que l’ensemble des acteurs économiques d’un territoire. En témoigne aussi, plus modestement, l’engagement de l'Assemblée nationale en faveur d’une politique d’achat responsable : les restaurants et la buvette parlementaires mais également les distributeurs automatiques de boissons servent en effet du café « commerce équitable » ou possédant le label « développement durable ». Ces deux notions, pour être distinctes, ne se déclinent d’ailleurs pas moins ensemble. Désormais, en faisant ses courses, le consommateur exprime autant ce qu’il est que ce qu’il pense, le produit et son prix n’étant plus les seuls paramètres de l’acte d’achat. Nous sommes en effet souvent prêts à acheter plus cher un produit de qualité comparable s’il contient cet élément immatériel que recouvre le commerce équitable : le sentiment de solidarité. Celui-ci est loin d’être illusoire dès lors que le ou les labels distinctifs permettent de garantir l’effectivité de ce caractère équitable et qu’il repose sur le soutien des échanges plus favorables au plus faible des contractants.

C’est dans ce cadre d’une forte croissance du commerce équitable qu’en 2005 le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a chargé Antoine Herth d’une mission parlementaire qu’il effectua d’ailleurs auprès d’un illustre ministre des PME, du commerce, de l’artisanat, des professions libérales et de la consommation : Christian Jacob. De son excellent rapport naquirent les dispositions législatives relatives au commerce équitable. Inscrites dans la loi du 2 août 2005, elles définissent cette notion, l’ancrent dans la stratégie nationale du développement durable et organisent une procédure de reconnaissance officielle. Le législateur a ainsi favorisé une avancée considérable et je ne doute pas que les dernières mesures nécessaires à la mise en œuvre de cette procédure seront bientôt prises par le Gouvernement, en particulier à travers la mise en place d’une commission nationale du commerce équitable (CNCE). Cette procédure publique de reconnaissance est essentielle : en offrant au consommateur une garantie plus sûre que celle qu’offrent actuellement les certifications d’organismes privés, les pouvoirs publics soutiennent une forme d’échanges commerciaux favorables au développement économique et social des producteurs des pays défavorisés ainsi qu’au développement durable. L’État, en ce qui le concerne, est parfaitement dans son rôle en éclairant et protégeant le consommateur tout en soutenant un commerce plus juste. A l’heure où la crise économique et financière remet en cause les excès du libéralisme, où les consommateurs deviennent de plus en plus responsables, le commerce équitable semble un concept non seulement juste mais pertinent. De plus, il répond très précisément aux aspirations de cette classe nouvelle à laquelle nous appartenons tous : celle des consommateurs lucides et responsables. Porteur d’avenir, enfin, il peut devenir un outil politique nouveau et puissant renouvelant et complétant notre approche des relations entre le Nord et le Sud. C’est pourquoi nous devons plus que jamais poursuivre notre action en sa faveur, bien au-delà des effets de mode et des faux semblants du marketing, avec la volonté d’en faire un réel outil de développement équitable.

Je vous souhaite de fructueux travaux. (Applaudissements)

M. Christian Jacob, président de la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire de l'Assemblée nationale. Je vous remercie, Monsieur le président, pour votre intervention mais aussi pour nous avoir permis d’organiser à l'Assemblée nationale le lancement de cette Quinzaine du commerce équitable. Je remercie également Mme la secrétaire d’État chargée de l’écologie, Chantal Jouanno, et M. le secrétaire d’État chargé du commerce, Hervé Novelli, pour leur implication et leur présence.

Le commerce équitable repose sur un triptyque : l’indépendance du producteur – en tant qu’agriculteurs Antoine Herth et moi-même y sommes particulièrement attachés –, la rentabilité économique – à travers la production d’un produit de qualité et respectueux de l’environnement –, enfin, le progrès social – payer un produit un peu plus cher permet en effet de financer des centres de formation, des dispensaires ou toute autre structure à caractère humanitaire. Notre travail parlementaire s’est d’ores et déjà appuyé sur ce réseau formidable que vous représentez tous ici – monde associatif, organisations de producteurs, entreprises – mais, après la loi de 2005, nous devons aller plus loin afin d’ancrer le commerce équitable dans la réalité économique et de promouvoir le développement durable, notions en effet complémentaires et indissociables. (Applaudissements)

M. Antoine Herth, député du Bas-Rhin, membre de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Je me réjouis de la tenue de ce colloque, à quelques jours de l’ouverture de la Quinzaine du commerce équitable et je salue Christian Jacob et ses collaborateurs, qui ont porté à bout de bras l’organisation de cet événement. Merci aussi au président Bernard Accoyer dont l’intervention témoigne de l’engagement de l'Assemblée en faveur des pays en développement, ainsi qu’à Chantal Jouanno et Hervé Novelli.

On m’a demandé de vous adresser deux mots de bienvenue, les voici : « commerce… équitable », deux mots que devrait presque lier un trait d’union hautement symbolique. Ce serait en effet opérer une réduction dommageable que de réduire la formule à sa seule dimension commerciale – bien réelle, au demeurant : il conviendrait plutôt d’insister sur la polysémie de ce premier terme, le commerce étant aussi – le dictionnaire en atteste –, la fréquentation ou le rapport avec d’autres personnes. C’est en ce sens humaniste que doit être compris le commerce que nous voulons promouvoir, vecteur des échanges entre le Nord et le Sud.

La notion d’équité est également polysémique : si elle peut être récupérée par la seule idée révolutionnaire – que nous entendons certes dans cette vénérable maison du peuple de 1789 –, elle est aussi à la base d’une relation économique durable fondée sur un partenariat avec les producteurs et elle implique la construction, dans le respect mutuel, d’une économie régulée et écologique. C’est précisément ce qui justifie la double présence du secrétaire d’État chargé du commerce et de la secrétaire d’État chargée de l’écologie.

Enfin, à certains esprits chagrins qui, appelant Boileau à la rescousse, trouveraient tout cela un peu confus, je répondrais que le commerce équitable ne sera jamais simple à cerner – il repose sur une multitude d’initiatives individuelles et associatives longtemps restées en dehors des préoccupations des pouvoirs publics - et que toutes nos actions législatives tendent précisément à éclaircir son champ d’action. Tel est d’ailleurs le sens de la création de la CNCE dont les membres, à l’instar des Académiciens qui rédigent le dictionnaire, nous aideront à trouver les justes définitions de notre domaine d’intervention et de recherche.

Je vous souhaite un bon colloque. (Applaudissements)

La politique du Gouvernement en faveur du commerce équitable

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des PME et des services auprès de la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Si je suis particulièrement intéressé par le thème de cette journée compte tenu de mes fonctions au Gouvernement, je le suis aussi plus largement parce que le commerce équitable est au cœur de la législation de notre pays depuis qu’Antoine Herth a déposé un amendement à l’article 60 de la loi de 2005. Je tiens également à féliciter et à remercier Christian Jacob - dont la légendaire capacité de mobilisation et la constance de l’action ont permis de motiver un grand nombre d’acteurs nationaux et internationaux du commerce équitable – et à saluer Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’écologie auprès du ministre d’État, ministre du développement durable, cette dernière notion étant d’autant plus liée au commerce équitable que nous sommes dans un contexte de mondialisation - laquelle doit être perçue comme une chance, notamment par les pays du Sud.

A ce jour, 1,3 milliard de personnes vivent avec moins de un dollar par jour et, c’est un paradoxe, 75 % des 815 millions d’êtres humains qui souffrent de sous-alimentation sont des agriculteurs. Le consommateur qui, en France, accepte de payer 15 % de plus un produit du commerce équitable permet d’améliorer les revenus d’un producteur défavorisé de 30 % à 40 %. C’est donc l’ensemble de vos actions, Mesdames, Messieurs, qui permettent un partenariat fondé sur le dialogue, la transparence et le respect et, ainsi, la promotion d’une plus grande équité dans le domaine international. Le commerce équitable contribue par ailleurs au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs défavorisés dans le cadre de modes de production respectueux de l’environnement. Il touche également un public de plus en plus large et de nombreuses filières voient le jour.

Je salue les 39 institutions du commerce équitable qui, dans un but de transparence et de lisibilité, se sont rassemblées au sein d’un collectif national : la plateforme pour le commerce équitable. Avec pour objectif de garantir l’autonomie et la dignité des producteurs du Sud mais également en plaidant en faveur des règles du commerce équitable, cet espace de rencontres favorise le développement de véritables convergences et contribue à améliorer les conditions de vie sur la planète dans le plus grand consensus possible. En effet, tous les praticiens du commerce équitable y sont représentés : organisations d’aides aux pays du Sud, importateurs – grossistes ou détaillants –, points de ventes spécialisés, associations de promotions et de labellisations, structures de solidarité internationales, opérateurs du tourisme équitable. Le point d’orgue à cette démarche responsable a été atteint lors de l’adhésion de ces 39 institutions – dont je rappelle qu’elles représentent 80 % du commerce équitable dans notre pays – à une charte du commerce équitable comprenant des engagements impératifs et des critères de progrès. Je puis vous assurer de mon total soutien.

C’est donc largement à l’initiative de Christian Jacob et d’Antoine Herth que le commerce équitable a été reconnu sur un plan législatif, en ce qui concerne tant sa place dans la stratégie nationale du développement durable que la définition d’ailleurs consensuelle de son périmètre. Ainsi, au sein des activités du commerce, de l’artisanat et des services, le commerce équitable organise-t-il les échanges de bien et de services entre des pays développés et des producteurs désavantagés situés dans des pays en développement et vise-t-il à établir des relations durables ayant pour effet d’assurer le progrès économique et social de ces producteurs. Ce dispositif a été complété par un décret du 15 mai 2007 créant la CNCE et précisant dans son article 6 les critères permettant de reconnaître les personnes physiques et morales qui veillent au respect des conditions d’exercice de ce type de commerce : l’amélioration des conditions de vie des producteurs dans le respect des principes du développement durable, l’indépendance – respect des conditions du commerce équitable à l’exclusion de toute activité de production, de transformation ou de distribution –, la transparence – mise à disposition de l’ensemble des informations relatives à ce mode de fonctionnement –, la présence auprès des producteurs dans les pays en développement par un système de contrôle sur le plan local du respect des conditions du commerce équitable, des contrôles effectués auprès des importateurs, enfin, un accompagnement et une sensibilisation des producteurs de manière à ce qu’ils puissent acquérir des compétences techniques et économiques.

Des travaux – auxquels ont été associés l’Association française de normalisation (Afnor) ainsi que différents organismes du commerce équitable, des importateurs, des distributeurs, des ONG mais aussi, bien entendu, les pouvoirs publics – ont été engagés afin de créer un référentiel permettant de structurer les pratiques existantes et d’apporter des garanties aux consommateurs. Ils ont donné lieu, le 10 janvier 2006, à la publication d’un accord Afnor-commerce équitable qui constitue le premier document de ce type sur le plan international. Outre que ses signataires doivent s’inscrire dans une démarche cohérente et transparente vis-à-vis de l’ensemble des partenaires et des consommateurs, celui-ci spécifie également des principes et des critères génériques de nature économique, commerciale, sociale, environnementale et, enfin, s’inscrit au cœur de trois principes selon nous fondateurs : l’équilibre de la relation commerciale entre les partenaires ou les co-contractants, l’accompagnement des producteurs et des organisations professionnelles, l’information et la sensibilisation du consommateur, du client et du public. Ce document ne constituant pas toutefois une norme j’ai décidé, dès les prochaines semaines, d’organiser plusieurs concertations avec les principaux acteurs du commerce équitable et les administrations concernées afin d’établir les modalités qui conduiront à une reconnaissance effective de ce commerce. En amont de l’installation de la CNCE, ce travail aboutira à l’élaboration d’un cahier des charges précis. Je suis persuadé, en l’occurrence, que nous devrons purement et simplement appliquer les principes de l’accréditation du comité français d’accréditation (COFRAC), les consommateurs souhaitant eux-mêmes que soient établies des règles claires et transparentes afin de mieux identifier les produits. C’est ainsi que la CNCE – que nous réunirons avant la fin de l’année – donnera la pleine mesure de ses capacités.

Comme vous, je suis très attaché au développement du commerce équitable, source d’un équilibre nouveau avec les pays en développement dont nous avons plus que jamais besoin. (Applaudissements)

M. le président Christian Jacob. Je vous remercie, Monsieur le ministre, d’avoir pris cette initiative commune avec Mme Jouanno de manière à ce que la commission nationale puisse se réunir avant la fin de l’année et que nous parvenions ainsi à faire avancer rapidement cette juste et belle cause.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’écologie auprès du ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Je remercie Christian Jacob, Hervé Novelli et Antoine Herth pour leur action déterminée et constante dans un domaine où je me sens quant à moi tout aussi ministre que militante, puisque c’est d’abord en tant que mère de famille que je me suis tournée vers le commerce équitable.

Notre civilisation est à un tournant, la crise que nous traversons résultant grandement de nos excès sur les plans économique – exploitation irraisonnée des ressources naturelles – et social – inégalités. Force est de le constater : le progrès moral n’est pas proportionnel au progrès technique. Ce serait en outre une erreur de penser que la technologie pourrait toujours suppléer la nature ; Jared Diamond l’a montré : des civilisations ont disparu faute d’avoir pris acte des limitations naturelles. Nous devons donc promouvoir une société de la mesure et de la modération qui, de goulus que nous étions, nous transformera en gourmets tout comme elle nous fera passer du culte de l’avoir à l’accueil de l’être. Les valeurs du commerce équitable – partage, soutenabilité écologique, développement économique –, ont de ce point de vue un rôle majeur à jouer.

Je remercie également Jacques Diouf, directeur général de la FAO, pour son rôle d’éclaireur des consciences : c’est vous qui, souvent, tirez la sonnette d’alarme, vous qui nous ouvrez les yeux sur les impasses vers lesquels nous nous dirigeons, notamment dans les domaines alimentaire ou halieutique.

Étymologiquement, l’écologie, c’est la « maison » et la « connaissance » : si nous voulons dignement habiter la terre, nous devons donc la connaître et nous verrons alors que les inégalités environnementales sont souvent plus fortes que les autres : un enfant meurt toutes les dix-sept secondes faute de pouvoir disposer d’une eau propre ; dans notre pays, les plus démunis connaissent des problèmes de saturnisme. La politique écologique ne doit pas accentuer ces inégalités ! Mais veillons aussi à ce qu’elle ne soit pas que le dada des bobos ! Pour notre part, nous avons inauguré notre politique du logement par la rénovation des logements sociaux ; le système de bonus-malus sur les automobiles bénéficie d’abord aux ménages les plus modestes et il doit en être de même de la consommation durable, saine et de qualité.

Il est faux de prétendre que les produits du commerce équitable sont systématiquement plus chers que les autres. Qui plus est, ce serait faire affront aux plus modestes que de croire leur cœur moins grand que celui des plus fortunés. Faire marcher l’amble l’écologie et l’équité, c’est un beau projet politique qui suffirait à m’occuper jusqu’à la fin de ma mission au sein du Gouvernement !

Si, avec un peu plus de 250 millions de chiffres d’affaires pour le commerce équitable, un peu plus de 5 % du marché pour l’alimentation biologique et 1 % à 2 % du marché pour les écolabels, la consommation durable demeure marginale dans notre pays, elle ne doit pas pour autant être tenue pour quantité négligeable : les petits ruisseaux font les grandes rivières !

Le commerce équitable est par ailleurs inséparable de l’écologie, les critères de l’accord Afnor en témoignent : promotion de cultures anti-érosive, limitation des produits phytosanitaires, maintien de la biodiversité.

En 2005, la France a été pionnière dans la reconnaissance du commerce équitable et, vingt ans après la création du label Max Havelaar, elle le sera à nouveau avant la fin de l’année avec l’installation de la CNCE. Nul ne s’étonnera qu’il en soit ainsi avec ce grand idéal humaniste et fraternel du XXI° siècle.

Enfin, comme le Grenelle de l’environnement a promu un nouveau modèle de développement, la commission d’Armatya Sen et Joseph Stiglitz tend à élaborer de nouveaux indicateurs de richesses et à formuler ainsi de nouveaux critères de civilisation – n’oublions pas qu’en tant qu’indicateur le PIB a été créé pour valoriser la société industrielle au sein d’un monde encore marqué par la ruralité. En essayant de donner toute la valeur qu’elle mérite à la nouvelle société écologique, nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle dans laquelle il est formidable d’entrer tous ensemble ! (Applaudissements)

Les enjeux internationaux du commerce équitable

M. Jacques Diouf, directeur général de la FAO. Je remercie les organisateurs, en particulier M. Christian Jacob, de m’avoir convié à cette conférence.

L’équité, c’est avant tout l’accès de tous et à tout moment à une alimentation suffisante, sûre et de bonne qualité nutritionnelle. Le commerce équitable compte au nombre des moyens permettant de faire face au problème de la faim. Or, l’insécurité alimentaire a déjà atteint des niveaux inacceptables : en 2007 le nombre de personnes affamées dans le monde a augmenté de 75 millions – principalement en raison de la flambée des prix des denrées alimentaires –, et, en 2008, de 40 millions, le nombre total de personnes mal nourries s’élevant ainsi à 963 millions. Si l’on tient compte de l’impact prévisible de la crise économique et financière que nous traversons, ce sont 100 millions de personnes supplémentaires qui devraient souffrir de la faim en 2009, soit, 15 % de la population mondiale. S’ils ont diminué par rapport à 2008, les prix internationaux des aliments demeurent néanmoins élevés. Les prix sur les marchés intérieurs des pays en développement, en particulier, ont moins baissé que ces derniers qui, en termes constants, sont toujours 24 % plus élevés qu’il y a deux ans. Cette crise pénalise donc les pays en développement de quatre manières : baisse des prix des produits d’exportation, baisse des volumes, réduction des flux financiers, fléchissement des créations d’emplois. Les changements démographiques et de régime alimentaire, les limites des ressources naturelles, le changement climatique et le développement des bioénergies constitueront par ailleurs de grands défis pour nourrir la population mondiale qui devrait passer de 6,5 milliards de personnes aujourd’hui à 9,2 milliards en 2050. La production alimentaire mondiale devra donc presque doubler.

De surcroît, le développement de l’insécurité alimentaire a un coût économique puisque les personnes sous-alimentées ne peuvent réaliser tout leur potentiel productif. Selon nos analyses, les bénéfices économiques globaux auraient été de 3 000 milliards de dollars si les objectifs fixés par le sommet alimentaire mondial de 1996 avaient été atteints. La crise alimentaire n’exige donc pas moins d’attention que la crise financière : si elle a d’évidentes incidences économiques, politiques et sociales, elle constitue en effet également un danger pour la paix et la sécurité du monde, les émeutes de 2007 et 2008 dans 22 pays en ont témoigné. Pour vaincre la faim, nous avons besoin d’un consensus politique international afin de trouver les solutions techniques et économiques qui s’imposent mais aussi de renforcer et d’harmoniser les structures de réflexion et de décision. En d’autres termes, l’éradication de la faim passe par un leadership politique et des ressources disponibles correctement investies.

Ce sont principalement les ONG qui ont promu le commerce équitable afin de garantir de meilleures conditions commerciales aux producteurs des pays en développement. Les agriculteurs peuvent ainsi accéder aux marchés d’exportation en croissance dont les prix sont plus élevés, les bénéfices engrangés permettant par ailleurs aux organisations agricoles de se consolider et d’acquérir une plus grande autonomie. Avec, pour le seul secteur alimentaire, une valeur estimée à 4 milliards de dollars en 2007, les ventes liées au commerce équitable ont augmenté considérablement. En renouant le lien entre consommateurs et producteurs, ce type de commerce sensibilise également les citoyens des pays développés à l’importance d’un système international d’échanges plus juste.

Toutefois, le commerce équitable ne constitue pas une solution pour tous les agriculteurs car il ne concerne qu’une gamme très étroite de produits et la consommation est encore faible – en effet, les exportations de produits ainsi labellisés représentent bien moins de 0,1 % des échanges agricoles mondiaux et sont concentrés sur un petit nombre de pays développés.

La FAO, quant à elle, a entrepris un certain nombre d’activités dans le cadre de son programme de travail sur les systèmes volontaires de certification sociale et environnementale : analyse économique du commerce des produits certifiés « équitables » et études des débouchés pour les pays en développement ; diffusion de l’information et soutien aux débats internationaux sur les systèmes volontaires de certification par le biais d’Internet, de réunions d’experts, d’ateliers, d’exposés dans des groupes intergouvernementaux mais aussi de publications ; soutien technique aux gouvernements, organisations agricoles et entreprises des pays en développement, notamment pour la production et l’exportation des produits biologiques équitables. Enfin, la FAO est prête, si ses États membres le souhaitent, à soutenir une concertation internationale sur le commerce équitable, pour les gouvernements et les ONG, afin de parvenir à une vision commune de son rôle dans le développement économique et social. (Applaudissements)

M. Christian Jacob, président. M. Jacques Diouf a accepté de répondre aux questions que vous souhaitez lui poser.

M. Jean-Marie Garcin, Oikcrédit. J’ai lu que, selon la FAO, un investissement annuel de 30 milliards de dollars permettrait d’éliminer la faim dans le monde – une indication d’autant plus intéressante qu’il faut rapporter ce montant aux dizaines de milliards consacrés à résoudre la crise financière. En est-il bien ainsi ?

M. Jacques Diouf. Il suffirait en effet d’investir chaque année 30 milliards de dollars pour développer les infrastructures rurales et accroître la productivité agricole des pays en développement en soutenant les petits exploitants. Il faut pour cela suivre un programme en quatre points. Ces sommes devraient être affectées en premier lieu à la maîtrise de l’eau – sait-on qu’à ce jour, seulement 4 % des terres arables sont irriguées au sud du Sahara ? Les fonds devraient aussi être investis dans des moyens de stockage pour éviter que, comme c’est le cas maintenant, de 40 % à 60 % de certaines productions ne soient perdues. Les investissements devraient encore être destinés à la construction de routes en milieu rural pour permettre aux intrants – semences, engrais, alevins, aliments pour le bétail – d’arriver et aux productions de parvenir sur les marchés. Quand on sait que, faute de routes, l’aide alimentaire parvient parfois aux populations concernées par parachute, on n’appréhende que trop bien l’absence d’infrastructures. Enfin, les investissements devraient aussi servir à financer la recherche indispensable pour adapter les variétés agricoles les plus productives aux conditions climatiques locales, et sa vulgarisation.

Or ces investissements essentiels manquent. Alors que, au cours des années 1970, la part de l’aide publique au développement consacrée à l’agriculture était de 17 %, ce qui a permis d’éviter la famine en Inde et en Asie, cette proportion est tombée à 3 % en 2006, pour remonter ensuite, faiblement, à 3,8 %. Alors que l’agriculture donne un emploi à 80 % de la population dans la plupart des pays en développement et que 70 % des pauvres du monde vivent en milieu rural, on ne consacre à tous ces gens que moins de 4 % de l’aide publique au développement ! Tels sont les faits, et ils sont bien connus : en 2002 déjà, nous disions que si la tendance à la baisse de l’investissement dans l’agriculture des pays en développement se maintenait, il faudrait attendre 2050 pour espérer réduire de moitié le nombre de personnes qui, dans le monde, souffrent de malnutrition, au lieu que cela se produise en 2015 conformément aux Objectifs du millénaire pour le développement. Un milliard d’êtres humains souffrent aujourd’hui de la faim ; nous disions donc vrai, mais on ne nous a pas écoutés.

M. Serge Fraichard, président de Max Havelaar France. La FAO, avez-vous dit, a entrepris des études de certification ; M. Novelli a indiqué qu’il en était de même en France. Comment ces démarches s’articuleront-elles ?

M. Jacques Diouf. Nous en sommes à la constitution de groupes d’experts. Mais chacun comprend qu’au-delà de l’aspect technique, bien d’autres questions se posent, sur lesquelles nous essayerons de susciter une concertation. Je me félicite donc que la France ait entrepris des études sur ce point et je serai heureux qu’une collaboration s’instaure entre la FAO et les autorités françaises.

M. Christophe Alliot, F.L.O. (Fairtrade labelling organization). Le commerce équitable ne concerne encore, vous l’avez souligné, qu’une frange étroite de la population. Le mouvement international Fairtrade a eu, à ce sujet, une fonction de laboratoire expérimental, ce qui l’a conduit à prendre position sur différentes questions. Pour votre part, que pensez-vous, du prix minimum garanti, une idée considérée comme hérétique par les penseurs libéraux ? Que pensez-vous d’une certification volontaire fondée sur un accord entre les parties prenantes et non entre les Etats – le système ISO en vigueur reposant sur une négociation dans laquelle les petits producteurs et les petits industriels n’ont pas leur mot à dire ? Que pensez-vous, enfin, du fait que des oligopoles contrôlent quelque 45 % des importations et exportations mondiales de blé ou de café ?

M. Jacques Diouf. Voilà des questions plus simples les unes que les autres… (Sourires) S’agissant du prix minimum garanti, les derniers événements ont conduit à un changement de philosophie. Parce qu’il a fallu tenir compte de la réalité, c’est précisément dans les pays où l’on considérait que le marché suffirait à établir une autorégulation générale - la fameuse « main invisible », depuis lors devenue extrêmement visible - que l’on consacre désormais des milliards d’argent public à soutenir des banques et des entreprises. Il n’est donc plus sacrilège de dire qu’il faut utiliser les deniers publics pour parvenir à plus d’équité et de justice. Cela étant, les pays développés soutenaient déjà, de manière indirecte, leurs agriculteurs, à hauteur de 365 milliards de dollars chaque année… Pour notre part, nous étions passés outre ce tabou lors de la crise de 2007. Le prix des engrais ayant augmenté de 172 % en deux ans, celui des semences de 75 % et de 45 % celui des aliments pour le bétail, nous avons souligné que si rien n’était fait pour aider les agriculteurs des pays en développement, la situation n’allait cesser de s’aggraver et, dans le cadre de l’Initiative contre la flambée des prix des denrées alimentaires, nous avons mobilisé 150 millions de dollars en faveur des producteurs de 76 pays en développement en leur fournissant des intrants. Après quoi l’Union européenne nous a suivis, en définissant un programme d’appui à la production agricole d’un milliard. A présent, la Banque mondiale indique que chaque investissement dans l’agriculture à un impact triple à celui d’un investissement dans tout autre secteur… Une révolution culturelle a donc eu lieu, et il est désormais admis que l’on ne peut laisser les agriculteurs des pays pauvres seuls face aux oligopoles. Il faut dire qu’un milliard d’affamés dans le monde est un nombre assez éloquent.

Quant à la certification avec les parties prenantes, elle ne doit pas être considérée comme un système alternatif mais complémentaire à celui qui est en vigueur. Les parties doivent se mettre d’accord sur un mécanisme fondé sur des échanges commerciaux classiques – mais le soutien de l’État faciliterait la conclusion de tels accords.

Pour ce qui est du rôle des multinationales, les études conduites par la FAO et par d’autres organisations pointent la concentration croissante des activités dans plusieurs secteurs : achats, distribution, facteurs de production… C’est ce qui explique que, malgré la baisse du prix du pétrole, les engrais aient augmenté de 172 % par rapport à leurs prix de 2005-2006. Telle est la réalité objective de l’impact de cette organisation économique sur les conditions des échanges et des prix.

M. Christian Jacob, président. Le système du prix garanti peut fonctionner – qu’était la politique agricole commune d’avant 1992 sinon cela ? – mais si l’on veut éviter que les Etats-Unis et l’Union européenne ne déstabilisent les marchés des pays émergents, il doit s’agir d’un système véritablement mondial. Mieux vaudrait donc privilégier l’option d’un « filet de protection », et seulement dans un cadre réellement international. Il faut donc parvenir à une codification européenne ; une fois celle-ci acquise, l’Union pourra se positionner sur ces sujets dans le cadre mondial.

M. Jacques Diouf. Je précise que je parlais de prix garanti dans le cadre du commerce équitable, c’est-à-dire d’un prix juste. Sur le plan mondial, nous prônons des revenus – et non des prix – garantis, car il est logique que tous les agriculteurs aient des revenus similaires à ceux des travailleurs des secteurs secondaire et tertiaire – sinon ils quittent la terre ! Mais comment parvenir à cela en évitant des distorsions de concurrence sur le marché international ? C’est l’un des défis que nous affrontons et que nous souhaitons voir relever lors du Sommet mondial sur la sécurité alimentaire dont nous avons proposé qu’il se tienne en novembre 2009. (Applaudissements)

M.  Christian Jacob, président. M. Jean-Jacques Moineville nous dira quel regard l’Agence française de développement porte sur le commerce équitable et quelles actions elle entend mener pour accompagner les producteurs des pays de son champ d’intervention.

M. Jean-Jacques Moineville, directeur des opérations de l’Agence française de développement. L’Agence française de développement, opérateur pivot de l’application de la politique d’aide au développement de l’État, ne s’est impliquée qu’assez récemment dans le commerce équitable. Cela étant, la convergence entre les méthodes, les objectifs et les pratiques de l’Agence et ceux du commerce équitable est frappante, qu’il s’agisse de la lutte contre la pauvreté, du respect des ressources naturelles ou de la répartition des fruits de la croissance – car de quoi d’autre parle-t-on quand on traite du prix payé aux producteurs ? La mise en œuvre d’un commerce équitable demande un grand travail de structuration des producteurs, dont les organisations doivent être puissamment soutenues, aussi bien pour définir des critères homogènes que pour négocier avec les pays et les marchés du Nord. L’appui aux fédérations de producteurs est au cœur de l’action de l’Agence, qui mène par ailleurs une réflexion sur l’intégration des pays du Sud dans le commerce mondial. Le soutien aux exportations, des pays africains notamment, est l’une des actions conduites par la France et par l’Union européenne.

Comme l’aide publique au développement, le commerce équitable n’aurait aucun sens sans le soutien explicite de la population, des élus et des collectivités. De nombreux déterminants communs apparaissent donc entre les deux démarches, dont celui de solidarité Nord-Sud. Le commerce équitable est un vecteur d’adhésion au développement : lorsque j’achète un café labellisé « commerce équitable », je sais agir en faveur d’un producteur d’un pays du Sud. C’est donc un moyen de faire prendre à chacun conscience des enjeux du développement solidaire.

Certes, la contractualisation qu’implique le commerce équitable diffère sensiblement du mode opératoire traditionnel de l’Agence française de développement. Il n’empêche : celle-ci conduit depuis quelques années une action déterminée de soutien au commerce équitable, s’intéressant aussi au processus de certification, qui garantit au consommateur que lorsqu’il achète tel café cela aura tel effet pour le producteur. Cette orientation a trouvé sa traduction dans la participation de l’Agence à de nombreux colloques et conférences et dans la signature d’un accord cadre visant à financer plusieurs études, dont une sur le commerce décentralisé. Nous avons en particulier animé l’atelier du colloque « Entreprendre pour le développement » consacré au bilan de l’évolution récente des partenariats public/privé en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement.

Pour agir efficacement, nous cherchons à favoriser la synergie avec les actions menées depuis plusieurs décennies par l’Agence dans certains pays. Ainsi voulons-nous contribuer à développer la filière coton au Bénin, au Burkina Faso, au Cameroun, au Mali et au Sénégal, tous pays dans lesquels l’Agence intervient depuis des années avec des effets notables dans la lutte contre la pauvreté et en faveur de la sécurité alimentaire. Une telle action, qui s’est inscrite dans la durée pour structurer les filières, a déjà eu des résultats : ainsi M. François Traoré, l’emblématique président de l'Union nationale des producteurs de coton du Burkina-Faso, est-il désormais un négociateur international. Il était intéressant de s’appuyer sur cet acquis – la production de coton équitable et bio-équitable – pour élargir les bénéfices d’une telle production à une frange plus vaste des producteurs de coton de la zone concernée. Ce projet, financé par l’Agence et engagé il y a un an, vise l’amélioration de la compétitivité de la filière coton et sa promotion sur le marché mondial.

Nos modes d’intervention futurs en matière de commerce équitable seront aussi guidés par les conclusions, disponibles d’ici un mois ou deux, d’une étude destinée à tracer des perspectives plus précises en définissant comment intégrer ce volet à nos nouveaux projets, soit par la structuration de la production, soit par l’appui à la négociation internationale. Nous envisageons pour cela des projets pilotes en partenariat avec des entreprises privées.

Une réflexion doit avoir lieu sur l’articulation des mécanismes de fixation et de contrôle des prix entre les producteurs qui font du commerce équitable et les autres, pour éviter que les uns ne perturbent les autres. Le commerce équitable est d’autant plus intéressant qu’il peut changer d’échelle, assurant le meilleur revenu au plus grand nombre ; nous y travaillerons aussi. Mais il faudra encore traiter de l’organisation commerciale dans les pays concernés. Mme la secrétaire d’État chargée de l’écologie a dit tout à l’heure que les produits issus du commerce équitable coûtent un peu plus cher que les autres ; si cet écart est justifié par un surcoût de production, soit, mais il faut aussi apprécier s’il n’est pas possible de réduire les coûts des circuits de distribution. Des lois de programmation agricoles seraient peut-être bienvenues. Reste enfin à améliorer la capacité de négociation des filières du Sud dans leurs relations avec les pays du Nord. De nombreux outils existent déjà à cette fin, tels les programmes de renforcement de capacités commerciales à l’exportation, qu’il faudra encore appuyer.

Telles sont nos pistes de réflexion. La convergence des objectifs et des méthodes entre l’Agence française de développement et le commerce équitable est trop grande pour que l’on ne cherche pas une mise en commun. (Applaudissements)

M. Christian Jacob, président. C’est en quelque sorte un appel à projets qui vient d’être lancé ! Cela se conçoit fort bien, car outre de moyens financiers nous avons besoin d’expertise technique et celle de l’Agence française de développement est reconnue. La savoir engagée en faveur du commerce équitable est un élément très positif.

La parole est à M. Jean-Pierre Blanc. Il nous dira quelle peut être l’intervention d’un opérateur privé en matière de commerce équitable, et ce qui lui semble nécessaire en termes d’organisation publique et de restructuration de la production.

M. Jean-Pierre Blanc, directeur général des cafés Malongo. Toute action demande une force motrice. A cet égard, je remercie vivement M. Christian Jacob et M. Antoine Herth, qui ont tous deux accompli un travail remarquable et dont le soutien nous est particulièrement utile. Le commerce équitable est pour moi une longue aventure, et j’ai le sentiment que nous sommes à un tournant. Qu’il s’agisse du prix minimum garanti, de la prime sociale ou du pré-financement des récoltes, nous avons l’appui de la FLO, organe de tutelle. Mais ce n’est pas suffisant si l’on veut utiliser ce qui est encore une niche de marché pour rechercher un effet de levier, et si bien transformer le système économique mondial actuel, défavorable aux petits producteurs des pays du Sud, que dans vingt ans la notion de « commerce équitable » aura disparu – autrement dit, que la moralisation du système aura permis de trouver des solutions pour tous.

M. Jean Luckner Bonheur décrira le quotidien des coopératives caféières au Cap haïtien. Pour ma part, j’avancerai, à partir de deux exemples, des propositions relatives au développement futur du commerce équitable. Au Sud d’Haïti, le manque d’infrastructures routières a des conséquences désastreuses dans tous les domaines. Il en résulte en particulier un déficit de formation et d’informations dans les zones rurales car, faute de voies d’accès, il n’y a pas de professeurs. Avec des investisseurs privés, nous avons pris une initiative dont nous espérons qu’elle se répètera ailleurs, en installant à Cap Rouge, en collaboration avec Alcaltel-Lucent, l’opérateur de téléphonie mobile local Voilà, l’Université de Nice Sophia Antipolis et l’Université d’État de Port-au-Prince, un réseau Internet à haut débit utilisable dans un rayon de 40 kilomètres. La station Wimax et les terminaux associés permettront d’assurer la traçabilité du café et serviront d’outil de gestion à la coopérative pour accélérer les paiements. Par ailleurs, les écoles publiques ont été équipées gratuitement ; l’accès à Internet y est également gratuit et les cours de formation à son utilisation, après avoir été retardés par les cyclones, ont maintenant commencé. La population se rend compte que les nouvelles technologies permettent d’améliorer le niveau d’éducation mais aussi de sortir de l’isolement, et de fixer ainsi les jeunes dans les zones rurales tout en les ouvrant au monde moderne. On voit là le double enjeu – économique et de formation – de ce type d’initiatives, dont je souhaite qu’elles se développent avec l’aide d’institutions internationales.

Mon deuxième exemple porte sur le projet d’écotourisme concernant la coopérative d’Uciri, située au Sud du Mexique. Dans un village où vivent une cinquantaine de paysans, deux maisons ont été construites pour accueillir les touristes. Pour permettre l’amélioration des revenus des coopérateurs par des activités complémentaires à la production de café, nous finançons la construction de deux autres maisons. La commercialisation de ce programme touristique, volontairement limité à dix personnes, va commencer.

Hors la question du prix minimum, je considère en effet que nous devons inscrire notre action dans une autre vision du développement, fondée sur des actions concrètes. Mais, pour ce faire, nous avons besoin d’autres acteurs – la Banque interaméricaine de développement, l’Agence française de développement, le Fonds international de développement agricole des Nations Unies… Des programmes de co-développement adaptés doivent être mis au point, sachant que beaucoup peut être fait, dans chaque coopérative, avec peu d’argent. Il faut pour cela définir des accords tripartites liant les institutions internationales, les coopératives et les acteurs économiques qui s’engagent à acheter la récolte. Cela suppose d’améliorer la qualité des plantations, de la cueillette et de la récolte avec l’aide d’ingénieurs agronomes et de diffuser les savoir-faire en matière d’agriculture biologique pour améliorer rendements et revenus et réduire les frais de gestion. Il faut aussi mener à bien des projets permettant d’assurer aux paysans des revenus complémentaires, soit par des programmes d’éco-tourisme soit par la création de produits transformés à plus forte valeur ajoutée. C’est le pivot du développement d’une agriculture vivrière qui doit être pérennisée pour que les producteurs puissent vendre une partie de leur récolte sur le marché local.

J’en appelle aujourd’hui aux institutions nationales pour qu’elles étudient ces questions, en collaboration avec les collectivités territoriales, qui font déjà beaucoup pour améliorer la productivité des programmes. Si l’on y parvient, une nouvelle étape aura été franchie dans le développement du commerce équitable : le processus s’accélérera, et l’on rendra ainsi autonomes les petits producteurs des zones intertropicales. (Applaudissements)

M. Jean Luckner Bonheur, coopérative de producteurs de café Recocarno au Cap haïtien. Je représente le réseau des coopératives caféières de la région Nord – le Recocarno- dont je suis le coordonnateur exécutif. Je remercie les responsables des Cafés Malongo de m'avoir donné l'occasion de parler de mon organisation et de notre perception du commerce équitable. Notre réseau est constitué de huit coopératives. Il compte 6 500 membres dont 43 % sont des femmes. Ce réseau est géré par un conseil d'administration de sept membres, tous producteurs et productrices. Son expertise s’exerce dans la production et la commercialisation du café vert.

M. Cesar Morocho, coopérative des producteurs de mangues APROMALTI du Pérou. Je vous remercie de nous permettre de faire savoir qui nous sommes et ce que nous faisons.

Bien que nous soyons séparés par des milliers de kilomètres, nos pays entretiennent de bonnes relations commerciales, politiques et diplomatiques.

Je représente deux organisations de petits producteurs bios de mangues et de bananes du nord du Pérou. Depuis là, nos produits mettent 23 jours pour atteindre les ports de Rotterdam ou d’Anvers avant de se retrouver, quinze jours plus tard, sur les étals des supermarchés français, anglais, hollandais ou allemands.

C’est en 2003 que nous sommes entrés dans le commerce équitable pour les mangues et en 2008 pour les bananes, car nous y avons vu une alternative au commerce traditionnel.

Cela nous a tout d'abord permis d'élever notre standard de qualité, les petits producteurs étant amenés de la sorte à garantir la satisfaction des consommateurs.

Parce que le commerce équitable traduit la volonté de répondre à un besoin commun, nous avons également pu obtenir des prix justes, ce qui nous a permis d'accroître le niveau de vie de nos familles et de toute la communauté.

Plus largement, il a permis le progrès social pour les petits producteurs et pour leur entourage. Avant mon départ pour cette réunion, l'un d'entre eux me disait qu'il avait pu ainsi faire construire un toit pour sa maison et inscrire son enfant à l'université, et il m'incitait à rechercher de nouveaux marchés…

Au-delà de la construction de routes, de dispensaires, d’écoles, c'est de reconnaissance qu'il s’agit : désormais les producteurs se sentent écoutés, compris, entendus. En outre, des initiatives comme celle de Max Havelaar nous ont permis d'entrer aux relations avec d'autres cultures et ont convaincu les petits producteurs de la nécessité de s'inscrire dans une dynamique et dans une démarche de qualité, en respectant les règles du marché et les critères des labels du commerce équitable, qui posent des exigences aux petits producteurs du monde entier.

Le fait d'appartenir au système du commerce équitable nous a également permis d'affronter sans courber la tête la crise alimentaire et financière, qui affecte particulièrement les petits producteurs. Bien sûr, nous ne pouvons pas contrôler la crise, mais nous pouvons lui faire face. Ainsi, lorsque des distributeurs ont annoncé, notamment après ce lundi noir qu'a été le 6 octobre, qu'ils n'étaient plus capables d'absorber nos productions et que les prix risquaient de chuter, les petits producteurs ont pu élaborer une réponse collective qui s'est traduite par la diversification de leurs activités. On voit, là aussi, que le commerce équitable offre une alternative et je me réjouis que vous lui apportiez votre appui politique. (Applaudissements).

M. Christian Jacob, président. Ces témoignages nous aident à porter ce projet politiquement et ils renforcent l’écho de la quinzaine du commerce équitable. Surtout, ils nous montrent ce que le commerce équitable peut apporter directement aux producteurs, de façon très concrète, par exemple par le financement de formations ou par l'électrification. Il permet aux opérateurs d'offrir une meilleure réponse aux organisations de producteurs et il est un gage de progrès social. C’est pourquoi il faut poursuivre dans cette voie, d'autant que l'intervention de Jean-Pierre Blanc nous a aussi montré que le commerce équitable favorise la diffusion des nouvelles technologies.

Toujours de façon concrète, s'il est assez facile, au niveau local, d'intégrer le commerce équitable dans certaines activités comme la restauration scolaire, il nous reste encore à définir un cadre global et je vous propose d'en venir sans plus tarder à notre dernier thème.

Le rôle des collectivités locales :
le lancement de la campagne territoires du commerce équitable

M. Joachim Munoz, directeur général de Max Havelaar France. Je vous remercie pour le soutien que vous apportez à la famille du commerce équitable et je souhaite en effet centrer mon propos sur l'intervention des pouvoirs publics locaux dans ce domaine, en insistant particulièrement sur la campagne « territoires du commerce équitable » que nous soutenons avec d'autres acteurs comme Artisans du monde et la Plate-forme du commerce équitable et qui vise tout simplement à permettre aux collectivités locales d'aller plus loin en la matière.

Cela a été dit, l'Assemblée nationale a été un des premiers lieux publics où l’on a consommé du café – boisson ô combien utile lors des longues séances de nuit… – issu du commerce équitable.

Aujourd'hui, le commerce équitable est plus que jamais d'actualité dans les pays en développement, notamment dans les zones rurales où la crise a des effets particulièrement dramatiques. Après 20 ans, nous voyons qu'il s'agit d'un outil efficace, global et concret pour œuvrer en faveur des plus démunis. Les témoignages que nous venons d'entendre nous montrent qu'il ne s'agit pas seulement d'un préfinancement ou d'un soutien aux prix mais aussi de donner une voix à ceux qui n'en avaient pas, de leur permettre de se développer et d'accroître le bien-être de leurs familles.

Pour que cette utopie devienne réalité, il a fallu que des militants, des entrepreneurs, des ONG, des leaders paysans, des élus locaux et nationaux s'engagent pour construire cette nouvelle forme de commerce. Mais il s'agit bien aujourd'hui d'une réalité puisqu'en France, un foyer sur trois a consommé en 2008 au moins un produit issu du commerce équitable, tandis que 80 millions de familles dans 40 pays consomment régulièrement des produits labellisés et que plus d’1,7 million de familles du Sud en bénéficient.

Si les acheteurs publics locaux soutiennent ce mouvement depuis longtemps, notre campagne est destinée à leur permettre d'aller plus loin, à fédérer tous ceux qui s'engagent en faveur d'une vision du monde et du commerce qui respecte l'homme et l'environnement.

Cet engagement est d'abord le fait d'individus fortement convaincus. Mme Jouanno nous a ainsi expliqué que c’est d'abord en tant que consommatrice qu'elle s'était tournée vers le commerce équitable. Mais les élus veulent aussi mettre en pratique l'agenda 21 de leurs collectivités pour construire un développement local harmonieux.

Les collectivités locales ont un rôle important à jouer : elles animent des réseaux, elles financent des associations, elles font un travail de sensibilisation, elles organisent des débats citoyens sur des questions aussi importantes que comment nourrir la planète ? Comment combiner capital écologique et commerce ? Comment faire en sorte que le commerce mondialisé n'exclue pas mais au contraire intègre le plus possible la population ? Au-delà, les collectivités investissent dans des programmes de coopération décentralisée – c'est en particulier le cas de la ville de Lyon. – afin de créer des dynamiques locales dans le Sud. En fait, elles ne s'arrêtent pas au commerce équitable mais vont plus loin dans la notion d'économie solidaire, par exemple en soutenant des initiatives comme les AMAP - Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne.

Les collectivités locales ont eu un rôle pionnier puisque ce n'est qu’hier que la Commission européenne a reconnu que les acteurs historiques du commerce équitable répondaient aux attentes des consommateurs et jouaient un rôle de sensibilisation.

On doit le projet Fairtrade Towns – territoires du commerce équitable – à un militant de la première heure, Bruce Crowther, qui a lancé à sa ville de Garstang, au Royaume-Uni, le défi d'adopter le système du commerce équitable dans sa vie de tous les jours. Celle-ci fut ainsi la première « fairtrade town », rejointe depuis lors par plus d'un millier de collectivités dans 17 pays du monde, dont 12 en Europe. En France, ces collectivités s'appuient sur cette campagne.

Mais pour aller plus loin, pour changer d'échelle, il est indispensable de pouvoir s'appuyer sur les instances nationales. C'est pourquoi nous soutenons la création de la commission nationale du commerce équitable. Afin de faciliter l'engagement concret des acteurs publics, nous jugeons également nécessaire d'harmoniser les approches, les contenus et les démarches. Or, le guide des achats publics intègre trop peu le commerce équitable même si ce dernier s’inscrit dans la stratégie du gouvernement français en faveur du développement durable.

Pour notre part, nous souhaitons le développement du commerce équitable parce qu'il traduit un état d'esprit et un engagement très fort en faveur des plus démunis. (Applaudissements).

M. Christian Jacob, président. Parvenir à une harmonisation serait une grande victoire et le communiqué qu'à publié hier la Commission européenne marque un premier pas. De même, il serait souhaitable que le code des marchés publics permette de prendre plus aisément en compte les spécificités du commerce équitable.

Mme Guylaine Gouzou-Testud, Déléguée à l'Economie Sociale et Solidaire et au Développement Durable, Mairie de Lyon. Que de chemin parcouru depuis que la ville de Lyon s'est engagée, en 2001, en faveur du commerce équitable. Nous-mêmes, hommes et femmes politiques, avons avancé grâce à l'engagement des acteurs, des associations, des entreprises et des citoyens, qui nous y ont sans cesse poussés. Aujourd’hui, la progression du commerce équitable est sensible dans les esprits et, surtout, dans les actes d'achat.

Lyon s'est engagée, en partenariat avec tous les acteurs, dans une action phare qui consiste à introduire le commerce équitable dans les marchés publics, ce qui lui donne un véritable coup d'accélérateur. Cela n'est certes pas facile mais n'a rien d'insurmontable, notre travail en relation avec d'autres grandes villes européennes nous l’a montré.

Nous souhaitons amplifier encore notre action : après avoir introduit le commerce équitable dans les marchés de traiteur et de restauration scolaire, nous allons l'étendre à celui des vêtements de travail.

Après avoir signé la charte avec Max Havelaar en 2001, nous entendons changer d'échelle en nous inscrivant dans la campagne « territoires du commerce équitable ». Ainsi, nous avons accueilli en février dernier la convention Fairtrade et le maire, Gérard Collomb, était présent pour lancer ce programme qui s'inscrit dans la nouvelle dynamique économique de notre ville en faveur d'une consommation durable. Celle-ci se traduit par un soutien aux circuits courts pour les produits locaux et au commerce équitable pour les produits nécessairement importés.

Quelques actions concrètes illustrent cet engagement : installation d'un marché équitable permanent dans un arrondissement lyonnais, organisation de la quinzaine du commerce équitable dans la ville, création d'un comité local regroupant des entreprises, des structures liées à la ville comme des écoles et des clubs sportifs, des associations, des acteurs historiques du commerce équitable.

Capitale de la gastronomie oblige, nous lançons également avec l'Association lyonnaise des Toques blanches, du 16 au 19 juin prochains, une opération « restaurateurs équitables ». À l'occasion de cette grande première en France, vingt chefs accompagnent cette démarche en mettant à leur table, de façon pérenne, des produits du commerce équitable.

Pour que la dynamique économique novatrice de la consommation durable et équitable soit clairement identifiée dans les territoires, nous souhaitons par ailleurs lancer un label « ville équitable et durable » et nous travaillons pour cela avec l'ensemble des acteurs, en particulier avec les entrepreneurs, afin que les consommateurs puissent clairement identifier les lieux où ils peuvent consommer de façon équitable et durable. Il n'est bien sûr pas question de nous labelliser nous-mêmes : nous souhaitons la création d'un comité national de sages qui apprécierait en particulier le respect de l'environnement humain et naturel.

Merci à tous ceux qui nous permettent d'avancer au quotidien car de telles campagnes nous aident à mener des actions et à développer des partenariats avec les acteurs de notre territoire. (Applaudissements).

Conclusion

M. Christian Jacob, président. Cet important témoignage montre comment les responsables des collectivités locales mais aussi départementales et régionales peuvent véhiculer le message et faire bouger les choses.

Je ne reviendrai pas en conclusion sur l’ensemble de cette réunion. Après que le Président Accoyer a marqué l’engagement de l’Assemblée nationale en la matière, les deux ministres ont annoncé que le groupe de travail rendrait ses conclusions dans les trois mois et que la commission nationale serait installée avant la fin de l’année. Ce sera, je l’espère, un point de départ pour avancer ensuite dans le cadre communautaire, en particulier vers l’harmonisation que nous avons appelée de nos vœux. De ce point de vue, le premier communiqué publié hier par la Commission européenne me paraît important ; il est le signe que l’engagement de la France commence à porter ses fruits.

Je remercie tout particulièrement Jacques Diouf de nous avoir apporté sa vision globale et prospective. Il nous a montrés comment il est possible, dès lors que la volonté politique est là, d’améliorer très concrètement la vie des petits producteurs par une autre organisation du commerce, par une autre démarche de ses acteurs. Par leurs témoignages précieux, Jean Luckner Bonheur et Cesar Morocho nous ont expliqué que le prix du café s’en était trouvé multiplié par dix en dix ans et que les producteurs de mangues et de bananes avaient tout simplement pu mettre un toit sur leurs maisons. Ainsi, parce que la filière s’est structurée, chaque acte de consommation est directement utile.

Jacques Diouf l’a souligné, on doit tout ceci bien moins aux politiques qu’aux ONG. Aujourd’hui, il nous appartient de nous emparer du ballon pour transformer l’essai. Les ministres nous l’ont dit, ils sont prêts à mouiller le maillot pour cela.

Je remercie aussi l’AFD pour son engagement, dont nous a assurés Jean-Jacques Moineville.

En nous mobilisant, en mobilisant les distributeurs, nous favoriserons le développement d’un secteur dont les parts de marché s’accroissent déjà de 20 % chaque année.

Je vous souhaite à tous une bonne quinzaine du commerce équitable dont je me réjouis qu’elle ait été lancée ici, à l’Assemblée nationale, avec le soutien de parlementaires de plus en plus investis à vos côtés. (Applaudissements).