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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 6 octobre 2009

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 1

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Désignation d’un rapporteur

– Audition de Mme Chantal Bourragué, chargée d’une mission auprès de M. le Secrétaire d’État chargé de la coopération, du développement, et de la francophonie

– Audition de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale

– Audition de M. Yves Canevet, secrétaire confédéral de la CFDT, et de Mme Nora Setti, déléguée femmes

Mme Marie-Jo Zimmermann a été désignée comme rapporteur du rapport d’information sur l’article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale relatif aux majorations de durée d’assurance.

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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Chantal Bourragué, chargée d’une mission auprès de M. le Secrétaire d’État chargé de la coopération, du développement, et de la francophonie « Vers une meilleure prise en compte du genre dans nos politiques de coopération »

Mme Chantal Bourragué – Le rapport « Vers une meilleure prise en compte du genre dans nos politiques de coopération » reflète la volonté de la France de mener et de soutenir des projets de développement qui bénéficient aux femmes comme aux hommes et de prendre en compte le genre dans les dispositifs de coopération.

Je souhaiterais d’abord remercier le Premier Ministre et le Secrétaire d’État de m’avoir confié cette mission, ainsi que les ONG et tous ceux qui m’ont accompagnée dans ce travail.

L’approche genre est relativement neuve en France notamment parce que ce terme qui s’impose dans les relations internationales ne se traduit pas bien dans notre langue. Elle a pour finalité de faire prendre systématiquement en compte l’égalité entre hommes et femmes par les politiques de développement. Aujourd’hui, alors que ces politiques sont conduites depuis très longtemps, les trois-quarts des personnes les plus pauvres au monde sont des femmes, elles représentent les deux tiers des analphabètes et sont spécialement victimes de violences aussi bien en temps de guerre que de paix. Donc si l’on veut qu’il y ait une véritable égalité, il faut que les femmes puissent profiter du développement et qu’elles soient pleinement prises en compte dans l’ensemble de ces politiques.

La France est très impliquée dans l’aide publique au développement (APD) avec la volonté de soutenir les états démocratiques et se soucier du bien-être de leurs populations. L’APD en France est centrée surtout sur les domaines sociaux, l’éducation et la santé. Les intervenants sont nombreux : l’Agence française de développement (AFD), le Ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) et le Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. De ce fait, l’aide est dispersée, mais le MAEE a pris un certain nombre de directives en s’appuyant sur des accords internationaux. Ces dernières années, l’aide multilatérale a considérablement augmenté et représente plus de 40% de l’APD.

La France a décidé de se consacrer aux pays des zones de solidarité prioritaire. C’est ainsi que l’Afrique reçoit 57% de notre aide bilatérale qui va essentiellement vers les quatorze pays africains les plus pauvres et les moins avancés.

Cette coopération passe par quatre pôles : le pôle diplomatique, qui comprend le développement, la francophonie et le MAEE ; le pôle économique formé par le Ministère de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi ; l’AFD, qui est l’opérateur pivot et le Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du développement solidaire, nouveau participant depuis ces trois dernières années.

Les volumes de l’APD de la France sont très importants. Au niveau mondial, la France est le quatrième pays donateur et le deuxième pays du G7 en termes de ratio aide au développement sur revenu national brut. La France contribue à hauteur de 20% des fonds réunis par l’Union européenne (UE) qui elle-même représente 60% de l’aide mondiale.

Le contexte de l’harmonisation des aides est très évolutif. L’APD doit, depuis 2005, valoriser des programmes d’envergure plutôt que d’intervenir par petites touches, pour renforcer son efficacité. Il est à craindre que cette aide centrée sur de grands programmes n’affaiblisse l’aide aux associations de femmes qui sont souvent de petites entités davantage investies sur les microcrédits et qui sont pourtant essentielles.

Plusieurs étapes importantes ont eu lieu dans la lutte contre les inégalités hommes femmes.

Il s’agit, en particulier, de la Déclaration du Millénaire et les Objectifs du Millénaire pour le développement, de 2000 qui a fait suite a la conférence de Pékin de 1995. Cette conférence mondiale sur les femmes a fixé des objectifs stratégiques pour mieux prendre en compte la condition des femmes. Ces douze objectifs, parmi lesquels lutter contre la pauvreté, favoriser l’égal accès à l’éducation et aux soins et lutter contre les violences envers les femmes, sont inclus dans les politiques de développement de nos ministres.

Ensuite le Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et du développement économique (OCDE) a lancé dès 2000 des recommandations pour accroître les efforts en faveur de l’égalité hommes femmes. Pour cela, le CAD a mis en place un marqueur « genre » sur chaque action de développement, afin de relever ce qui peut favoriser ou pas le développement des femmes et l’égalité hommes femmes dans toutes les opérations menées par l’AFD, les ministères et les ambassades. La France pourrait cependant mieux communiquer afin que la cohérence de ses actions par rapport au marqueur genre soit mieux reconnue. Selon le CAD, il est nécessaire d’admettre que l’intégration du genre coûte cher :il faut rendre les dirigeants et le personnel des agences de développement redevables des résultats des politiques, embaucher plus de conseillers genre, c’est-à-dire des sociologues ayant pris en compte avec l’analyse précise de la situation du pays, et que le personnel des agences et des ambassades soit mieux formé.

Le Secrétaire d’État français de la Coopération et de la Francophonie, M. Joyandet, s’est engagé fortement dans l’intégration du genre au sein de ses politiques et soutient particulièrement les actions des femmes africaines.

À côté de l’OCDE, l’Union européenne (UE) s’est aussi engagée sur l’égalité hommes femmes dans les politiques de développement, comme dans la Communication de la Commission au Conseil sur l’égalité entre les hommes et les femmes et l’émancipation des femmes dans la coopération au développement de mars 2007.

Enfin, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) s’est engagée depuis 2000 sur ce sujet, via la Conférence des femmes de la Francophonie « Femmes, pouvoir, développement », avec pour but de favoriser la responsabilité des femmes. Monsieur Abdou Diouf est personnellement très engagé dans la prise en compte de l’éducation des femmes. Il reconnaît qu’il a du mal à faire prendre conscience de l’importance de cette question à l’ensemble des partenaires de la francophonie. Mais l’OIF a aujourd’hui un programme qui vise à prendre en compte le genre dans ses actions.

Le Premier Ministre m’avait demandé de regarder ce qu’il se passait dans les « pays modèles », comme le Danemark et les Pays-Bas, ainsi que la Grèce et le Portugal qui ont été un peu en avance sur nous quant à la prise en compte du genre. On a constaté l’importance de la présence de conseillers genre dans les ambassades et au Ministère des Affaires étrangères de chacun de ses pays avec des exigences fortes sur le marqueur genre pour chaque programme.

La France a fait d’importants progrès depuis 2000. Dès 2003, Mme Girardin a lancé la prise en compte du genre au MAEE, avec le réseau « genre en action », action poursuivie et renforcée par M. Joyandet. En 2006, à l’occasion de Pékin + 10, la France a publié un document intitulé « Promouvoir l’égalité entre hommes et femmes – initiatives et engagements français en matière de genre et développement » qui a confirmé la volonté politique de la France d’intégrer l’égalité homme-femme au cœur de toutes les politiques de développement. C’est vraiment à partir de 2006 que cette intégration a eu lieu en France, alors qu’au niveau mondial, elle avait été un peu antérieure. L’adoption par le MAEE d’un Document d’Orientation Stratégique genre (DOS genre) en décembre 2007 précise des objectifs pour lutter contre les inégalités ainsi qu’un objectif de transversalité de l’approche genre dans tous les domaines de la coopération française.

En mai 2009, M. Joyandet a précisé que le DOS était entré en application. Antérieurement, il avait lancé en décembre 2008 le Plan d’action sur le genre et la valorisation de femmes, avec un budget spécifique et les « huit chantiers pour l’Afrique ». Il a ainsi été nommé une conseillère des affaires étrangères spécifiquement chargée des questions du genre. Le plan d’action consacre 20 millions d’euros au genre: 14 millions d’euros mis en œuvre par l’AFD, dont 4 millions passeront par la voie des ONG et 10 millions pour deux projets, le centre mère-enfant de Kaboul et le projet d’adduction d’eau au Burkina Faso ; 3 millions d’euros d’enveloppes pour les ambassades afin qu’elles subventionnent des projets portés par des associations locales dans le cadre des crédits déconcentrés, fonds sociaux de développement ; 3 millions pour le Fonds de solidarité prioritaire mobilisateur « genre et développement économique », qui est un volet important car la participation complète des femmes et leur indépendance ne se feront qu’à partir d’un volet économique et de leur éducation.

L’AFD intègre le genre dans toutes ses politiques a nommé un correspondant genre, mais elle ne sait pas communiquer sur cet aspect de ses actions sur le terrain, si bien que les Français ne connaissent pas le « genre » dans les politiques de développement.

Lors de notre visite au Burkina Faso, j’ai bien vu que les femmes étaient bien invitées à participer aux projets, notamment à ceux d’adduction d’eau car elles étaient intégrées à la fois par les maires, par les chefs de village et par les nouvelles équipes municipales, grâce à un accompagnement sociologique fort. J’ai pu voir aussi sur un projet de coopérative agricole une main-mise des hommes : le microcrédit avait permis aux femmes de prendre un début d’autonomie financière, mais au moment où on arrivait à un projet plus important, les femmes étaient mises à l’écart. On constate un réel effort, mais il reste encore des opérations conduites par des ONG qui n’ont pas eu les moyens d’avoir un accompagnement sociologique de la prise en compte des femmes, très lourd en milieu rural. Mais comme la France est engagée, il y a dans tous les projets un renforcement de la capacité des ONG, du MAEE et des ambassades à prendre en compte la situation des femmes.

Je suis également allée au Cameroun. Dans un projet de développement local, les sociologues se sont rendus compte qu’on n’arrivait pas à faire participer les femmes parce qu’elles étaient installées en position de faiblesse par rapport aux hommes. Elles ne faisaient pas assez confiance aux ONG et n’osaient prendre la parole en public. Ainsi, les politiques de genre sont difficiles à mettre en marche sans la formation, sujet sur lequel travaillent beaucoup la Francophonie et les associations de femmes. L’AFD est en train de passer au-delà du microcrédit pour aider les entreprises conduites par des femmes, car en Afrique ce sont les femmes qui ont en charge la santé et l’éducation et l’accès à l’eau.

En conclusion de ce travail, des propositions ont été formulées :

Concernant les domaines d’intervention, il faudrait tout d’abord renforcer la présence et le discours français en faveur de l’égalité homme-femme et du genre dans les instances européennes et internationales. Ensuite, le discours des Droits de l’Homme devrait intégrer l’égalité homme-femme malgré les différences de civilisation, pour faire comprendre que le développement et l’équilibre d’un pays vont de pair avec l’égalité des sexes. L’autonomisation des femmes devrait également être un domaine d’intervention à part entière de la coopération française, notamment de l’AFD, le genre intégré de façon transversale et le partenariat entre l’AFD et la Plate-forme pour le Commerce équitable renforcé, les femmes jouant un rôle primordial dans l’agriculture et l’artisanat, domaines clés du commerce équitable.

En termes de ressources humaines, il faudrait que le MAEE crée une véritable « mission genre » car il y a trop peu de personnel disponible aujourd’hui et que les effectifs des correspondants genres dans les ambassades et les institutions de la coopération française soient augmentés, afin de permettre une meilleure évaluation de la situation en fonction du contexte culturel. Il est également important que les hommes soient inclus dans les projets et au sein des équipes de coopération.

Enfin, en ce qui concerne le marqueur politique genre nous devons communiquer autrement. L’OCDE reconnaît que la France mène des actions sur le genre, mais le terme en lui-même, d’origine anglo-saxonne, ne correspond pas à nos modes de fonctionnement. Monsieur Joyandet a annoncé que nous allions souscrire au marqueur genre aussi bien pour l’AFD et l’OCDE.

Mme Cécile Sportis, chargée de mission au MAEE. Nous avons décidé d’appeler la mission du MAEE « Égalité homme-femme dans le développement » et non plus genre pour se mettre en accord avec les préconisations de l’OIF, mais aussi parce que « le genre » est une notion qui en français correspond à une définition sexuée et non sociologique.

Mme Chantal Bourragué. Il faudrait également que l’AFD prenne en compte l’autonomisation des femmes dans la coopération. Les agents devront aussi mieux intégrer cette notion d’égalité homme-femme. D’un point de vue budgétaire, les projets égalité homme-femme sont renforcés au niveau du Secrétariat d’État de M. Joyandet : 3,5 millions d’euros sont consacrés aux projets des ONG sur fonds propres, dont 75% pour les femmes ; 605.000 euros aux projets des ONG, via la subvention du MAEE ; 12 millions pour les projets AFD subventionnés par le MAEE. Ensuite il y a le projet du MAEE qui s’appelle : « Soutien aux femmes actrices du développement ». Les 3 millions d’euros qui devaient y être consacrés ont été complètement dépensés pour financer onze projets pour l’autonomisation de 100.000 femmes dans les domaines de l’artisanat et de l’agroalimentaire. On a également, en relation avec l’ENA, le renforcement des capacités à haut niveau de femmes leaders. Enfin, il faut y ajouter les projets portés par les ambassades. Finalement, final 6,5 millions d’euros ont été dépensés par trente ambassades. Globalement, le chantier femmes avance au MAEE, même s’il reste beaucoup à faire.

Mme la Présidente, Marie-Jo Zimmermann – Je suis très admirative de ce rapport qui met en évidence une approche particulière des politiques de développement car il y met les femmes au centre des actions. Les propositions faites montrent que c’est par les femmes que le développement peut changer de modèle. Je souhaiterais savoir comment, au niveau de la délégation, nous pouvons apporter un accompagnement supplémentaire au rapport et de façon concrète ?

Mme Chantal Bourragué – Mon premier souci a été de rencontrer les gens de terrain plus que les décideurs. Le rôle de la délégation est de suivre l’évolution de la place des femmes dans le monde, et de bien rappeler qu’il s’agit de l’égalité homme-femme ; il faut que l’ensemble de la famille le comprenne. Cela ne peut fonctionner que si les personnels sur le terrain en ont la volonté et si le marqueur homme-femme est clair. Il faut savoir qu’il y a des différences importantes selon les cultures et traditions du pays, ce qui influe sur le mode de relation.

La France mène une politique très forte en matière de santé, de lutte contre le sida et le paludisme, mais il faut rester vigilant sur le niveau d’enseignement des femmes et le développement économique. La délégation peut accompagner des réflexions et des échanges, et pourrait être associée à davantage de déplacements en Afrique.

Il est vrai que les différences sont importantes selon la culture du pays majoritairement évangéliste comme au Burkino-Faso ou bien musulman. Il y a des femmes élues aux chambres de commerce mais c’est une toute petite minorité.

Mme Catherine Coutelle – Je fais partie du groupe parlementaire sur le sida, et lors d’un déplacement au Burkina Faso, on a pu constater que l’aide internationale arrive au travers d’opérations très intéressantes qui associent la société civile. Nous sommes allés dans des centres de prévention, il y a aujourd’hui une distribution gratuite des médicaments au Burkina Faso par le Fonds mondial aussi bien pour la tuberculose que pour le sida.

Mme Chantal Bourragué – Dans le domaine économique, j’ai rencontré des femmes chefs d’entreprise pour parler des marchés possibles, du commerce possible, des labels. En Afrique, le microcrédit marche très bien, ce sont les moyennes entreprises qui ont des difficultés à se développer. L’Afrique n’est pas loin de décoller, elle doit encore faire des progrès sur sa capacité de production et sur son autonomie alimentaire, et il lui faut quelques infrastructures supplémentaires pour l’importation.

Mme la Présidente Marie-Jo Zimmermann. Concernant une meilleure gouvernance, les femmes ont-elles un rôle à jouer?

Mme Chantal Bourragué. Je vais donner l’exemple de Bamako qui vient de créer des mairies et des arrondissements. Cependant en l’absence de personnel municipal formé, ce qui est en train d’être fait par la coopération décentralisée de Bordeaux, il n’y a pas la capacité de créer un État civil.

Mme Cécile Sportis. Quand nous allons sur le terrain, on nous présente toujours les projets qui marchent, mais il faut savoir que 90% de la population ne peut pas accéder ne serait-ce qu’au microcrédit. Quand on parle d’accès à l’alimentation, cela concerne l’immense majorité des femmes. Les femmes et les fillettes sont plus victimes de la faim que les autres, bien qu’elles soient souvent agricultrices. On n’inscrit pas les filles à l’état civil car cela coûte de l’argent, et sans état civil, on ne peut aller à l’école primaire. Cela devrait être un chantier prioritaire. Il a été abandonné car on disait que le problème était réglé, ce qui n’est pas le cas. L’état civil est important pour les femmes, simplement pour leur donner une existence.

L’autre chantier prioritaire est l’accès à la terre, car les femmes sont cultivatrices mais elles ne représentent que 10% des propriétaires, pour à peine 2% des surfaces cultivées. Si on leur concédait des baux emphytéotiques de dix ou vingt ans, cela leur permettrait de souscrire à des microcrédits en agriculture, ce qu’elles ne peuvent pas faire actuellement car elles n’ont la garantie d’être sur le même lopin de terre l’année suivante.

Mme Chantal Bourragué. Le contrôle de la natalité est aussi un chantier prioritaire.

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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale.

M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale. Alors même que le conseil constitutionnel a validé, en 2003, la réforme des bonifications pour enfants du régime de retraite des fonctionnaires, nous nous trouvons sous le coup de décisions de la Cour de justice des communautés européennes et de la Cour européenne des droits de l’homme relatives à l’application du principe d’égalité.

Il est clair que de grandes disparités existent entre hommes et femmes en termes de retraites, que ces écarts existent depuis des générations et qu’ils ne se résorbent que très lentement comme les projections le font apparaître. Au fil du temps, ces écarts de pensions vont être de moins en moins liés à des différences de durées de cotisation car de plus en plus de femmes auront des carrières complètes, mais ils subsisteront en raison des profils de carrière des femmes et des inégalités salariales.

La cour de cassation, après une première décision en 2006 reconnaissant le bénéfice de la majoration de durée d’assurance (MDA) à un père ayant élevé seul ses enfants, a finalement ouvert le droit aux MDA de la même façon aux hommes qu’aux femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ne peut-on espérer un nouveau revirement de jurisprudence sur ce point ?

M. Dominique Libault. Je serais assez sceptique sachant que la règle de l’unanimité empêche l’évolution des règles européennes et que les seules interprétations des traités qui existent sont le fait des juridictions. L’égalité salariale est un principe fondamental au sein de ces règles.

Les pouvoirs publics ont toujours eu à cœur de défendre les droits existants au bénéfice des femmes. Il se trouve que la Cour de cassation a ouvert ce droit aux hommes dans le régime général. À supposer même que l’on puisse financer cette extension - ce qui n’est absolument pas le cas compte tenu de la situation des régimes de retraite – cela reviendrait à supprimer un avantage spécifique aux femmes. Dans la mesure où celles-ci contribuent plus que les hommes à l’éducation des enfants et qu’elles en subissent un préjudice, il faut reconstruire un système sur une base juridique solide qui permettre de leur en attribuer le bénéfice.

Je ferai remarquer qu’il y a des féministes pour lesquelles l’existence même d’un dispositif de compensation du préjudice subi par les femmes perpétue la situation qui le génère et est critiquable à ce titre.

Le dispositif proposé n’est pas modifié pour les enfants déjà nés, sauf marginalement. Pour le « flux », on s’en remet au libre choix des couples. Quatre trimestres sont, en tout état de cause, attribués à la mère en raison de l’accouchement. Dans le silence des parents, - six mois après les quatre ans de l’enfant, les quatre autres trimestres reviennent à la mère. Dans la très grande majorité des cas, ce sont donc les femmes qui bénéficieront donc de cet avantage. En cas de désaccord des parents, le père ne pourra en bénéficier que s’il peut prouver avoir participé à l’éducation de l’enfant.

La MDA est donc toujours de deux ans. Il n’y a pas de diminution des droits.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La commission européenne a demandé à la France des comptes sur le régime adopté en 2003 pour les bonifications des pensions de retraite des fonctionnaires.

M. Dominique Libault. Ce sont des montages juridiques complexes. Il faut tenir compte de la réalité, sans, pour autant se plier aux orientations dominantes. Les femmes ont des droits plus faibles que les hommes, et ceci tient, en partie à la maternité et au rôle qu’elles jouent dans l’éducation des enfants. Il en résulte un préjudice objectif.

Mme Martine Billard. Justement, ne pourrait-on mettre en place des actions positives envers les femmes en tant que catégorie discriminée comme on l’a fait, par exemple, pour les jeunes.

M. Dominique Libault. C’est un élément est sans cesse soulevé. En 2003, quand le Conseil constitutionnel a été saisi par l’opposition de l’article relatif aux bonifications, il a admis que des traitements différents pouvaient être apportés à des situations différentes. Il reste que la cour de cassation a rendu une décision et que les juridictions interprètent des conventions internationales qui s’imposent à la France. La position européenne n’est pas forcément intangible mais la réaction de la commission européenne dont on vient de parler, montre que l’on est loin d’une évolution de cette position.

Mme. Catherine Coutelle. D’autres pays européens ont-ils des systèmes similaires et sont-ils confrontés aux mêmes difficultés. Y existe-t-il des dispositifs qui reposent sur le libre choix ?

M. Dominique Libault. Je vous renvoie au rapport du Conseil d’orientation des retraites. La Suède a un système basé sur le libre choix. L’Allemagne a cherché à aller dans le sens indiqué par l’Union européenne.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La réaction des pouvoirs publics après l’arrêt de la cour de cassation a quand même été particulièrement rapide ! Je trouve que l’on agit avec précipitation. Sur l’égalité salariale il n’y a pas le même sentiment d’urgence.

M. Dominique Libault. L’arrêt Greismar date de 1991. À partir du moment où on a admis que le maintien de règles différentes entre hommes et femmes était impossible pour les fonctionnaires, il est devenu difficile de soutenir le contraire pour les assurés dépendant du régime général. On peut regretter les décisions qui ont été rendues et qui s’opposent à ce qu’une discrimination puisse être uniquement fondée sur le sexe, mais les caisses doivent appliquer le droit.

Mme. Catherine Coutelle. Le déséquilibre entre les hommes et les femmes apparaît au moment de la liquidation de la pension. Ne pourrait-on imaginer que ce soit celui qui a la plus faible retraite qui en profite ?

M. Dominique Libault. En cas de désaccord entre les parents, on recourra, sous le contrôle du juge, à des critères objectifs qui seront fixés par décret. Il est important que le choix intervienne rapidement, car plus le temps passe et plus les risques de mésentente augmentent. En outre, les personnes ne liquident pas forcément leur retraite en même temps et cela poserait aussi des difficultés de gestion considérables.

Mme Martine Billard. Qu’en est-il des enfants adoptés ?

M. Dominique Libault. Il va falloir trouver un critère adapté pour qu’ils puissent ouvrir les mêmes droits.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je reste réticente à cette solution qui va poser des problèmes de preuve et qui est source de conflit. Quels en seront les moyens ?

M. Dominique Libault. Pour les quatre trimestres liés à l’éducation de l’enfant, le problème de la preuve ne se posera qu’en cas de désaccord. Les textes d’application apporteront les précisions nécessaires mais la preuve ne devra pas être liée à un arrêt d’activité. Ce système crée une présomption en faveur de la femme.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ces précisions sont indispensables. Je persiste à penser qu’on est allé très vite en besogne et que ce montage est très complexe.

M. Dominique Libault. Le meilleur moyen de faire disparaître les MDA aurait été de ne rien faire, car un avantage fondé sur le sexe n’est plus admis par la Cour européenne des droits de l’homme ni par la Cour de cassation. Il faut voir que dans la très grande majorité des cas la MDA continuera à bénéficier à la femme.

Mme Martine Billard. Si les parents partagent les droits puis que l’un des deux disparaît que se passera-il ? Ne faudrait-il pas prévoir une clause de révision ?

M. Dominique Libault. Les critères pour statuer sur le désaccord ne relèvent pas de la loi. Il n’y a pas nécessairement de renvoi à un juge car les personnes peuvent ne pas être mariées. En tout état de cause, le silence profite à la mère et on peut supposer que la plupart des couples ne se poseront pas la question.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ne serait-il pas possible d’avoir un seul dispositif, quelle que soit la date de naissance des enfants ?

M. Dominique Libault. Pour le flux, on ne peut échapper à la modification des règles, mais pour le « stock », on a cherché à rester le plus près possible de l’existant. Par contre, appliquer ce système au flux serait discriminatoire. Comme l’a souligné une tribune du monde signé de Madame Masse-Dessen et de M. Lyon-Caen, il s’agit de mettre en place un « puissant régime transitoire ».

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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de M. Yves Canevet, secrétaire confédéral de la CFDT, et de Mme Nora Setti, déléguée femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous souhaiterions connaître la position de la Cfdt sur le dispositif proposé par le Gouvernement pour réformer les MDA ? Par ailleurs, ne conviendrait-il pas de mener une réflexion globale sur les compensations des préjudices de carrière, tant que l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes n’est pas effective ? Enfin, comment analysez-vous les effets du temps partiel quand vont arriver à la retraite des femmes qui auront travaillé une grande partie de leur carrière à temps partiel ?

Mme Nora Setti. Notre position sur la MDA est étroitement liée à l’analyse que nous faisons de la situation professionnelle des femmes, du recours au temps partiel, de la difficulté d’articulation des temps familiaux et professionnels et de la nécessité de prendre en compte la maternité et ses conséquences qui pénalisent les femmes dans leur carrière et au moment de la retraite. 20 % des grossesses génèrent des problèmes de santé et rendent nécessaire l’allongement du congé de maternité pour raison pathologique. De même, 30 % des salariés prennent un congé annuel à l’occasion de la naissance. Ceci montre bien qu’il n’est pas considéré comme suffisant.

C’est pourquoi nous avons souhaité qu’il y ait une reconnaissance spécifique de la maternité par l’octroi de trimestres supplémentaires liés à la naissance pour des raisons qui répondent à des données physiologiques. Il ne faut pas oublier que la nature de l’emploi occupé a aussi des conséquences importantes : plus l’emploi est précaire et moins on constate de recours au congé pathologique. Les conditions de travail jouent aussi sur la prématurité des nouveaux-nés. Toutes ces réalités sont essentielles dans la position que nous avons prise sur le projet de MDA.

M. Yves Canevet. Le projet de réforme de la MDA, tel qu’il devrait figurer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, correspond, dans les grandes lignes, à nos souhaits, même s’il appelle quelques réserves. Il faut bien voir qu’un statu quo sur cette question était impossible compte tenu des décisions de justice qui sont intervenues et de la multiplication des recours. Cela risquait finalement d’aboutir à la disparition d’une disposition conférant un avantage de retraite aux femmes. En effet, la MDA a un impact très fort sur les pensions des femmes, notamment sur la décote, sur la possibilité de partir plus tôt en retraite et sur la possibilité de prétendre au minimum contributif. 20 % des femmes ont pu avancer leur départ en retraite grâce aux MDA. Par contre, 20 % n’en ont pas tiré de bénéfice car elles avaient déjà une carrière complète.

Par le mécanisme de la MDA, associé à l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), on parvient à égaliser la durée d’assurance entre les femmes ayant eu des enfants et celles qui n’en ont pas eu. Cela ne suffit cependant pas à réduire l’écart des pensions entre les hommes et les femmes.

Par une décision de 2009, le Cour de cassation a étendu le bénéfice de la MDA aux hommes, en s’appuyant sur une vision étroite du principe d’égalité entre les hommes et les femmes. Aujourd’hui, on se trouve donc dans une situation paradoxale : les écarts sont très grands entre les hommes et les femmes et se creusent au moment de la retraite, en raison des inégalités professionnelles et de phénomènes de discrimination et, malgré ce constat, une mesure compensant ces inégalités se trouve remise en cause au nom même du principe d’égalité.

Il faut donc maintenir un dispositif qui bénéficie prioritairement aux femmes, sans le lier à un arrêt d’activité, tout en respectant les règles européennes et sans détériorer les comptes du régime général. C’est pourquoi nous avons proposé que la majoration soit divisée en deux parties, la première réservée aux femmes, en contrepartie de l’accouchement, la deuxième leur revenant en priorité. En outre, ce dispositif ne serait pas rétroactif et ne s’appliquerait donc pas aux enfants déjà nés.

Nous avons souhaité que, dans le silence du couple, les quatre trimestres de la deuxième partie soient attribués à la mère. Si les parents décident le partage, ce choix doit être respecté. En cas de litige, la MDA devrait être attribuée automatiquement à la mère. Cette proposition a reçu l’assentiment du Conseil d’administration de la CNAV.

Mme. Catherine Coutelle. Que se passera-t-il si les parents divorcent après le partage éventuel ? Ne devrait-il pas être possible de revenir en arrière si la femme a, ensuite, élevé seule les enfants ?

M. Yves Canevet. Des garanties supplémentaires seront sans doute nécessaires en cas de situations conflictuelles. Toutefois, plus la période de choix est longue et plus on ouvre la porte à des comportements d’optimisation.

Mme. Catherine Coutelle. En amont de cette proposition, la Cfdt a-t-elle réfléchi à une formule consistant à créer une action positive compensant le préjudice subi par les femmes en matière de retraite ?

M. Yves Canevet. Cette façon de procéder n’est pas apparue comme la mieux à même de sécuriser le système. Par contre, une réflexion a eu lieu sur les parcours professionnels des femmes.

Mme Nora Setti. La MDA ne fait que réparer les conséquences de situations antérieures. C’est pourquoi il faut avoir une approche transversale et traiter les inégalités en amont.

M. Yves Canevet. Nous demandons un Grenelle des retraites et nous appelons à un débat citoyen sur cette question qui n’est qu’un sous-ensemble de la question plus générale des retraites qui, elle-même, est liée à celle des emplois.

Mme. Catherine Coutelle. Cette réflexion est effectivement nécessaire mais la situation, telle qu’elle est aujourd’hui rend incontournable des mesures de compensation comme la MDA.

Mme Nora Setti. Cette situation résulte aussi de l’absence de cohérence entre les politiques d’emploi et la politique familiale dans un contexte d’inégalité professionnelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est clair que l’on n’avance pas en matière d’égalité professionnelle, mais aussi que l’on se trouve en présence d’une situation concrète à régler et d’une réponse à apporter à la menace qui pèse sur le dispositif de la MDA même si cette question devrait être intégrée dans les réflexions à mener sur les retraites.

M. Yves Canevet. La MDA coûte 5 milliards d’euros au régime général. Au-delà même du fait que son extension aux hommes générerait un coût intenable, son objectif qui est de compenser un préjudice subi par les femmes, ne serait alors pas rempli. Il faudra d’ailleurs veiller à ce que la MDA continue à être prise en compte, en tant que durée validée, dans le calcul des durées d’assurance pour ouvrir droit au départ anticipé pour carrière longue ou pour les adultes handicapés.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie.