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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 27 janvier 2010

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 7

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition sur les projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux de M. Bernard Maligner, Ingénieur d’études au Centre d’études et de recherche de sciences administratives et politiques de l’Université Panthéon-Assas

L’audition commence à douze heures.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition sur les projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux, de M. Bernard Maligner, ingénieur d’études au Centre d’études et de recherche de sciences administratives et politiques de l’Université Panthéon-Assas.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je souhaiterais que vous nous éclairiez sur certains aspects des projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux, d’un point de vue juridique et constitutionnel ainsi que du point de vue de leurs incidences en terme de parité. La question du mode de scrutin est alors cruciale. Il y a aussi une interrogation relative à la loi de janvier 2007 sur l’obligation de parité au sein des exécutifs des conseils régionaux. Comment va-t-elle pouvoir s’articuler avec le texte actuel ?

M. Bernard Maligner. Préalablement je souhaite vous remercier de votre invitation. Je me présente à vous aujourd’hui avec à l’esprit, une double conviction qui peut paraître antinomique.

D’une part, j’ai le sentiment – que je ne partage pas avec le plus grand nombre de juristes – que, pour l'élection des conseillers territoriaux, l'introduction (à grande dose) d'un scrutin uninominal (en fait d'un scrutin binominal) majoritaire à un tour est un bon système, dès lors qu'il est tempéré par le recours au scrutin proportionnel qui assure une représentation des minorités. J’y suis donc favorable mais sous certaines réserves.

D’autre part, je suis un ardent partisan de la parité. J’ai pu mesurer à quel point la présence des femmes dans le conseil municipal au sein duquel j’ai siégé était un système qui serait appelé à prospérer : les femmes, dans l’action publique sont actives, proches des réalités concrètes et leur force de conviction l’emporte souvent.

Je suis donc par expérience autant que par conviction, résolument favorable à la féminisation des instances élues et par conséquence à la parité.

C'est la raison pour laquelle, je ne vois qu’un avantage à ce que, d'une part, le projet étende l'exigence de parité aux élections municipales dans les communes de 500 à 3500 habitants et pour les élections des délégués communautaires, et d'autre part à ce que les dispositions de la loi du 31 janvier 2007 qui étend, en l’état du droit positif, la parité au sein des instances exécutives municipales et régionales, soit aussi étendue à l'élection des organes exécutifs du département et de la région, dans le nouveau schéma des conseillers territoriaux.

L’analyse juridique de la réforme pose une première question qui est celle de la constitutionnalité du mode de scrutin

Le professeur Guy Carcassonne a développé dans une tribune publiée dans Libération des 10 et 11 novembre 2009, l’opinion selon laquelle le scrutin majoritaire à un tour est contraire à la Constitution, parce qu’il est contraire à un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Il estime que les textes de la IIIe République, donc antérieurs à 1946, ayant retenu le scrutin majoritaire à deux tours, il existe un principe assez général permettant de regarder ce mode de scrutin comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Cette thèse est séduisante et si elle était admise, elle contraindrait le gouvernement à revoir sa copie.

Selon moi, cette proposition n’est pas exacte.

En premier lieu, pour qu'un principe soit regardé comme un principe fondamental reconnu par les lois de la république, il faut que son application soit constante. Or, cela n’a pas été le cas pour les élections législatives de 1986, sans parler des élections européennes qui n’ont pas eu lieu au scrutin majoritaire à deux tours.

Deuxièmement, ni la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ni celle du Conseil d'État n'ont jamais déclaré que le scrutin majoritaire à deux tours était un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Mais, il est exact que, pour autant, on ne peut préjuger qu’il n’en décidera pas ainsi…

Reste le point de savoir si le projet est inconstitutionnel parce qu’il violerait l'article premier, alinéa 2 de la Constitution, d'après lequel : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ».

D’abord, favoriser c’est « tendre vers », ce n’est pas garantir. Ensuite, toute la question est de savoir ce qu'il faut exactement entendre par « égal accès ». L'égal accès aux mandats électoraux et fonctions électives, c’est l’égale possibilité faite aux hommes et aux femmes d'accéder à un mandat électif. Et cette égale accession se réalise, par l'égale possibilité faite aux femmes et aux hommes d'être candidats à l'élection. L'égalité d'accès au sens de l'article 1er alinéa 2 de la Constitution, ce n'est pas à l’égalité de la représentation. Il ne s'agit pas de faire en sorte que le nombre d'élues femmes soit égal à celui des élus hommes.

Or, il me semble que, comprise comme il vient d'être dit, cette égale possibilité pour les femmes et les hommes de se porter candidats n’est pas compromise par le projet de loi. En prévoyant expressément, que les dispositions actuelles de l'article L. 210-1 du code électoral demeurent applicables, en droit, la parité est maintenue dans le « ticket », je parlerais plutôt de « couple », ou mieux encore de « binôme », c’est-à-dire au niveau de la candidature dont serait issu 80 % des conseillers régionaux. Évidemment, vous redoutez que dans les faits, dans une forte proportion des cas, le candidat titulaire soit un homme et que son remplaçant soit une femme.

Il ne serait donc pas surprenant qu'il soit jugé que les dispositions critiquées ne portent pas, par elles-mêmes, atteinte à l'objectif d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives comme le conseil constitutionnel l’a déjà fait en 2003, à propos de la réforme de l’élection des sénateurs.

Il pourrait aussi y avoir un problème de tutelle d’une collectivité sur l’autre, au regard de l’article 72 de la constitution et de la libre administration des collectivités locales. Il devrait y avoir deux assemblées différentes. Or il y a l’exemple du Conseil de Paris, qui se réunit au niveau régional et départemental.

Cela étant, est-il possible d'agir, et si oui sur quels points, pour faciliter l'égale accessibilité des femmes et des hommes aux fonctions de conseiller territorial ?

Plusieurs pistes, dont certaines sont d'ores et déjà connues de vous, peuvent être envisagées. Il est une piste que je laisse de côté, c’est celle du scrutin proportionnel, parce que ce n'est pas le choix fait par le gouvernement dans son projet de loi.

Par contre, on peut agir sur l'attribution, voire la suppression de l'aide publique accordée aux partis politiques.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mais un candidat n’est pas forcément adhérent à un parti.

M. Bernard Maligner. Les partis politiques préfèrent recevoir globalement moins d'aides financières que de respecter la parité. En tout cas, cela est vrai pour les formations politiques les plus puissantes électoralement. Cela l'est beaucoup moins, pour les autres formations, comme le Front National ou les partis écologistes. Tout est, en réalité, question de dosage.

En premier lieu, on pourrait accroître le « taux de pénalisation » de la première fraction de l’aide publique. Actuellement le taux de pénalité est égal à 75 % de l'écart entre hommes et femmes. Pourquoi ne pas envisager de passer à 80 %, voire plus. Et pourquoi ne pas envisager de supprimer toute aide publique, purement et simplement.

En deuxième lieu, pourquoi ne pas instituer un mécanisme de compensation financière au profit des partis politiques qui respectent ou respecteraient la parité des candidatures.

Une troisième possibilité consisterait à étendre le système de pénalité à la seconde partie de l'aide publique.

Autre piste, sans changer le mode de scrutin, agir sur le rapport 80 % - 20 %  pour modifier le pourcentage de sièges affectés respectivement au système majoritaire et au scrutin proportionnel.

Le scrutin proportionnel assurant en toute hypothèse, au mieux la parité, plus on élève le taux de conseillers territoriaux élus au scrutin proportionnel plus on accroît la parité, en raison de l’alternance homme-femme dans la présentation de la liste :

80 % - 20 % entraînent 10 % de femmes au moins

70 % - 30 % entraînent 15 % de femmes au moins

60 % - 40 % entraînent 20 % de femmes au moins

50 % - 50 % entraînent 25 % de femmes au moins

On pourrait aussi envisager d'agir sur le système de candidatures au scrutin majoritaire, sur le nombre ou le pourcentage de femmes à élire au scrutin majoritaire uninominal (ou plutôt binominal) à un tour, dans un département donné, dans une circonscription cantonale remodelée. On pourrait, par exemple, poser comme règle que le nombre de candidats têtes de liste d'un même sexe se réclamant d'une même formation politique dans les cantons d'un même département, doit être égale au nombre des candidats têtes de listes de l'autre sexe se réclamant de la même formation politique dans le même département.

Enfin, une totale parité pourrait être assurée sans changer l'économie d'ensemble du projet de loi, en faisant des conseillers territoriaux élus au scrutin majoritaire, comme au scrutin proportionnel, des « binômes » à part entière.

Mme Martine Billard : La possibilité pour le suppléant de représenter le titulaire dans l’autre assemblée risque de soulever des difficultés. En effet, l’élu, quand il est salarié du secteur privé, a droit à des autorisations d’absence pour le temps où il siège. Il faudrait alors prévoir cette obligation dans le statut de l’élu.

M. Bernard Maligner : La question du statut de l’élu se pose effectivement, d’où l’idée de créer entre le titulaire et le suppléant un binôme interchangeable.

Mme Marie-Jo Zimmermann : On va ainsi revenir à 6 000 élus !

M. Bernard Maligner : Sans modifier aucunement ni la durée du mandat de six ans des conseillers territoriaux non plus que le nombre des conseillers territoriaux en fonction, on pourrait concevoir que les élus siègent non pas en même temps, car on doublerait le nombre des élus, alors que la volonté des promoteurs du projet est de les réduire, mais alternativement. Pour raisonner sur les conseillers territoriaux élus au scrutin majoritaire, ils seraient en fonction pour trois ans chacun : trois ans le candidat élu titulaire, trois ans le candidat remplaçant élu en même temps que lui.

Mme Martine Billard. Même les verts ont renoncé à ce système au Parlement européen, avant qu’il n’y soit interdit. Il pose des problèmes de continuité de l’action

M. Bernard Maligner : Une dernière piste consisterait à jouer sur les règles de financement des campagnes électorales des candidats à élire au scrutin majoritaire, en faisant varier le plafond de dépenses : si, dans un canton, le candidat titulaire au scrutin majoritaire à un tour est un homme, le plafond des dépenses serait réduit ; en sens inverse, s’il s’agit d’une femme, elle pourrait bénéficier d’un plafond plus élevé. Cette disposition semble être en contradiction avec le principe constitutionnel d’égalité entre les hommes et les femmes. Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision 95-863 du 11 janvier 1995, a, en effet, sanctionné la fixation de plafonds de dépenses différents selon les candidats, mais la motivation était autre. Il a sanctionné la fixation de plafonds différents car leur montant n’était pas le même avant et après le vote de la loi. Pour le Conseil d’État et le Conseil Constitutionnel, l’égalité s’apprécie au sein d’un groupe homogène, c’est-à-dire pour des personnes se trouvant dans une situation juridique identique.

M. Jacques Remiller : Il faudra quand même aller expliquer cela au Conseil Constitutionnel !

Mme Chantal Bourragué : Parmi les possibilités que vous avez évoquées, il y a sans doute des pistes plus faciles que d’autres pour agir : accroître les pénalités ou bien modifier le rapport 80/20 entre les sièges pourvus au scrutin majoritaire ou à la proportionnelle, avec tous les inconvénients que présente ce dernier mode de scrutin.

Mme Henriette Martinez : Accroître les pénalités ne fonctionne que pour les élections nationales.

M. Bernard Maligner : Dernière piste à étudier, la recevabilité des candidatures. Pour une collectivité donnée, les candidatures pour les sièges pourvus au scrutin majoritaire, ne seraient recevables que si le nombre total des candidats d’un même sexe et se réclamant d’une même appartenance politique n’était pas supérieur à l’autre.

Mme Chantal Bourragué : Ceci aurait pour inconvénient de multiplier considérablement les candidatures hors liste.

M. Bernard Maligner : Je rappelle qu’il faut avoir recueilli au moins 5 % des voix pour figurer parmi les candidats qui peuvent être élus à la proportionnelle.

Mme Henriette Martinez : Bien souvent, les candidats se font élire pour eux. Il leur sera bien égal que d’autres candidats de leur parti soient élus à la proportionnelle. Cette proposition risque donc de rester sans effet.

Mme Marie-Jo Zimmermann : Cette discussion laisse penser que ce projet est sous-tendu par la volonté de politiser les élus locaux. La nécessité d’appartenir à un parti politique pour se présenter ne serait-elle pas inconstitutionnelle ?

M. Bernard Maligner : Il serait extrêmement utile de disposer de l’avis que le Conseil d’État a rendu sur ce projet. Pour autant que je sache, il ne contient que peu d’éléments relatifs à la parité. Je précise, par ailleurs, que le contentieux de l’élection des conseillers territoriaux relèvera du tribunal administratif. Ses assemblées locales seront des assemblées administratives.

Mme Henriette Martinez : La représentation proportionnelle est la seule façon d’imposer la parité.

L’audition s’achève à treize heures.