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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 2 février 2010

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 8

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition, sur les projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux, de M. Guy Carcassonne, professeur de droit public

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à dix-sept heures.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition sur les projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux, de M. Guy Carcassonne, professeur de droit public.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie d’avoir accepté cette audition au cours de laquelle, je souhaiterais que nous évoquions les questions suivantes :

Tout d’abord, que pensez-vous, d’un point de vue constitutionnel, en particulier au regard de l’article 1er de la Constitution, du mode de scrutin retenu pour l’élection des conseillers territoriaux ? Quelles en seront les conséquences en termes de parité et quels seraient les aménagements possibles et les conditions indispensables pour obtenir un résultat paritaire ?

Le nouveau mode de scrutin est-il conciliable avec la loi de janvier 2007 relative à l’obligation de parité au sein des exécutifs régionaux ? À la veille des élections municipales de 2007, nous avons tenu à ce que ce texte soit examiné à l’Assemblée nationale car, si les conseils municipaux des villes de plus de 3 500 habitants comprenaient 47 % de femmes, on ne comptait que 25 % d’adjointes. J’avais demandé la stricte application de la parité dans la constitution des exécutifs, et la mesure avait été étendue aux exécutifs régionaux.

Enfin, que pensez-vous de l’extension de l’obligation paritaire aux communes de 500 à 3 500 habitants ?

M. Guy Carcassonne. Mon avis sur le mode de scrutin proposé est très défavorable, pour ne pas dire négatif.

D’abord, je suis, à titre personnel, opposé au rapprochement entre le département et la région, parce que je considère que les départements gagneraient à être rapprochés des communes et des intercommunalités, et les régions de l’État et de l’Europe. Or, le mode de scrutin retenu ouvre une perspective dans laquelle, c’est le département qui va absorber la région, et non l’inverse. En effet, dans ce qui sera une élection à 80 % au scrutin uninominal dans le cadre du canton, les élus s’attacheront, en priorité, aux sujets locaux, susceptible de favoriser leur réélection, plutôt qu’aux compétences régionales comme la recherche, l’enseignement supérieur et le développement économique. Je redoute que cela ne porte gravement atteinte à la région, institution déjà particulièrement faible dans notre pays.

Par ailleurs, du point de vue strictement constitutionnel, ce mode de scrutin pose plusieurs problèmes.

Tout d’abord, on peut se demander s’il n’existe pas en France un principe fondamental reconnu par les lois de la République, c’est-à-dire un principe de valeur constitutionnelle, selon lequel tout scrutin uninominal majoritaire doit comporter au moins deux tours. Les critères, établis par la jurisprudence de la Conseil constitutionnel pour identifier un tel principe, sont en effet ici réunis : il s’agit bien de lois, et non de décrets, antérieures à 1946, adoptées dans un cadre républicain, jamais remises en cause – on peut relever dans l’histoire des cas de scrutins à trois ou quatre tours, mais aucun précédent de scrutin majoritaire à un tour –, et qui ont été conçues dès l’origine comme affirmant un principe.

Les premières déclarations en ce sens remontent au 22 décembre 1789. Sous la IIIe République, vos prédécesseurs avaient refusé catégoriquement, pour des raisons de principe, de mettre en place ce que l’on appelait à l’époque des « élections minoritaires », c’est-à-dire le scrutin à un tour. On pourrait reprendre aujourd’hui mot pour mot leur argumentation.

J’ajoute que le scrutin uninominal à un tour est intrinsèquement antidémocratique : avec ce mode de scrutin, François Mitterrand eût été élu président de la République en 1974, Valéry Giscard d’Estaing en 1981 et Lionel Jospin en 1995, alors que cela ne correspondait pas, à l’évidence, au vœu majoritaire des Français.

Deuxième problème : en l’état du projet, il se passerait un phénomène sans précédent, à savoir que des candidats seraient élus sans que personne ait jamais voté pour eux ! L’élection à la proportionnelle résulte en effet de l’échec du candidat au scrutin majoritaire. Bien que l’électeur n’ait voté que pour ce dernier, et non pour les membres de la liste à laquelle il se rattache, ceux-ci seront élus.

Cette difficulté est toutefois aisément surmontable. Il suffirait de prévoir que les bulletins porteront, au recto, le nom du candidat au scrutin uninominal et de son suppléant, et, au verso, la composition de leur liste de rattachement. Les personnes élues à la proportionnelle pourront au moins dire que des bulletins portant leurs noms ont été glissés dans l’urne !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Qu’adviendra-t-il si le candidat au scrutin majoritaire n’appartient pas à un parti politique ?

M. Guy Carcassonne. S’il ne se rattache pas à une liste, les voix seront perdues.

Le troisième problème est d’ordre démographique : dans les régions où il existe de fortes disparités de population d’un département à l’autre, sur quel critère va-t-on asseoir la représentation de chaque département ?

En région PACA, par exemple, le conseil général des Alpes-de-Haute-Provence devra compter, pour être viable, au moins une dizaine de membres, issus d’autant de cantons. En toute logique, le conseil général des Bouches-du-Rhône serait alors composé de deux cents membres !

De deux choses l’une : soit l’on portera atteinte à l’équilibre démographique dans des proportions attentatoires aux droits des électeurs, soit l’on respectera l’équilibre démographique et les assemblées régionales seront pléthoriques.

Mme Claude Greff. Les choses ne me paraissent pas si compliquées : de même que nous, parlementaires, nous partageons entre le local et le national, le conseiller territorial se partagera entre le départemental et le régional.

M. Guy Carcassonne. À cela près que votre mandat de député est national, et non local – même si vous pouvez disposer, par ailleurs, d’un mandat local.

Mme Claude Greff. Je ne parle pas de mandat, mais d’action politique : si l’on crée les conseillers territoriaux, c’est pour remplacer les élus départementaux et régionaux.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mais on garde les deux assemblées !

M. Guy Carcassonne. De fait, il existera toujours un conseil général et un conseil régional, peuplés d’élus amphiboles, puisque les deux assemblées seront composées des mêmes personnes. C’est l’institutionnalisation du cumul des mandats.

S’agissant de l’article 1er de la Constitution, le Conseil constitutionnel n’a pas encore proposé son interprétation du verbe « favoriser ». Dès 1999, au lendemain de l’adoption de la révision constitutionnelle relative à l’égalité entre les femmes et les hommes, Georges Vedel avait souligné que trois acceptions du terme étaient envisageables : celle d’« encourager », qui suppose que l’on prend des mesures positives en ce sens ; celle de « créer des conditions favorables », sans aller jusqu’à une action positive ; et celle de « tendre à réaliser » la parité. J’ignore laquelle sera privilégiée par le Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, si ce mode de scrutin est adopté, les 3 000 sièges perdus seront pris sur la parité et la diversité. On peut d’ores et déjà dresser le portrait-robot du futur conseiller territorial : ce sera un homme, blanc, issu de la fonction publique.

Le résultat politique et sociologique est donc connu d’avance. Il reste que ce n’est nullement un résultat juridique : le juge constitutionnel peut considérer que ce résultat ne procède pas de la loi elle-même, mais du comportement des partis politiques et des habitudes sociologiques. En conséquence, il risque de décider que, si le nouveau dispositif ne favorise pas l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, il ne le défavorise pas non plus. Je ne suis donc pas certain qu’il soit déclaré inconstitutionnel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. D’autant que l’article 1er évoque l’« égal accès » et non l’« égale présence ».

M. Guy Carcassonne. En effet, ce n’est pas le résultat qui est pris en considération.

Les différents types de scrutin pour les cantonales n’auront pas d’incidence directe sur la parité, dans la mesure où le ticket paritaire est déjà prévu par l’article L.210-1 du code électoral. Les conseils généraux ne seront pas affectés. C’est la suppression de la parité dans les conseils régionaux qui fait problème.

S’agissant de l’articulation avec la loi de 2007, l’article L.4 133-5 du code général des collectivités territoriales impose d’ores et déjà la règle paritaire, tout en disposant simultanément : « Un groupe de conseillers qui ne dispose pas de membres de chaque sexe en nombre suffisant peut compléter sa liste par des candidats de même sexe ». Ce que les femmes perdront en quantité, elles le gagneront en qualité, dans la mesure où elles seront toutes membres de l’exécutif, même celles qui ne le souhaitent pas, car leur groupe sera obligé de les présenter. Les listes seront ensuite complétées par des hommes.

Quant à l’extension de l’obligation paritaire aux communes de 500 à 3 500 habitants, on pourrait en effet la présenter comme une compensation, mais ce serait une plaisanterie de très mauvais goût.

Mme Chantal Bourragué. Et les pénalités ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les pénalités sont réclamées aux partis et ne concernent que les élections nationales. Si on les instaurait à l’échelon local, cela politiserait encore plus le conseil territorial.

M. Guy Carcassonne. En outre, elles n’ont pas – hélas ! – le caractère dissuasif espéré.

Mme Martine Billard. S’agissant de l’interprétation de « favoriser », on peut considérer qu’avant la révision constitutionnelle de 1999, rien ne s’opposait à ce que les partis politiques présentent des listes paritaires : si la disposition a été introduite par le législateur, c’est afin d’inciter les partis politiques à instaurer davantage de parité. En conséquence, ne peut-on pas considérer que tout mouvement inverse est contraire à l’esprit de la Constitution ?

M. Guy Carcassonne. Il est vrai qu’avant la révision constitutionnelle, chacun était libre de présenter la liste qu’il voulait ; d’ailleurs, Michel Rocard fut le premier, en 1994, à constituer une liste paritaire, surnommée « chabadabada ».

Par ailleurs, je rappelle que la révision constitutionnelle de 1999 tendait à lever l’opposition du Conseil constitutionnel à des textes qui, en 1982 et 1995, avaient souhaité introduire des quotas.

S’agissant de l’esprit de la révision, vous avez donc raison. Le moment venu, on pourra plaider cette thèse auprès du Conseil constitutionnel ; toutefois, il serait aventureux de garantir qu’elle sera prise en compte.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. D’autant qu’en 2003, le Conseil avait considéré que la réforme du mode de scrutin pour les sénatoriales n’était pas contraire à la Constitution !

M. Guy Carcassonne. La situation n’est pas tout à fait comparable car la loi de 2003 tendait à réserver l’application de la proportionnelle aux départements élisant quatre sénateurs et plus, ce qui diminuait finalement l’obligation de parité de façon très minime. La mise en cause est bien plus nette avec le projet de loi actuel, qui aboutira à réduire de manière considérable la proportion de femmes dans les conseils régionaux – de 48 % à 15 à 30 %, si l’on se réfère aux exemples des conseils généraux et de l’Assemblée nationale.

Je précise que si le Conseil constitutionnel avait pris une autre décision en 2003, cela aurait induit une révision implicite de la Constitution. L’article 34 prévoit en effet que les modes de scrutin des assemblées, aussi bien nationales que territoriales, relèvent de la loi ordinaire. Dans ces conditions, il était difficile pour le Conseil constitutionnel d’interpréter les dispositions relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes dans un sens ayant pour conséquence d’empêcher tout retour au scrutin majoritaire, dès lors que le scrutin proportionnel a été adopté pour une élection. Rien ne justifiait de constitutionnaliser un mode de scrutin.

Mme Danielle Bousquet. De ce fait, si nous déposons un recours, le Conseil constitutionnel refusera à nouveau d’imposer le retour à la proportionnelle ?

M. Guy Carcassonne. Ce n’est pas ce qu’on lui demande : on pourrait imaginer que le législateur édicte, dans le cadre d’un scrutin majoritaire, des règles à ce point impératives qu’elles produisent de la parité.

Le problème constitutionnel réside dans le fait que le projet de loi tend à contrarier, dans des proportions très importantes, l’égal accès des femmes et des hommes, alors que, dans son article 1er, la Constitution prévoit que la loi le « favorise ». Le Conseil tranchera.

Mme Catherine Coutelle. Nous nous heurtons à un mur ! Vous avez renvoyé le problème aux partis politiques. Une des méthodes pour imposer la parité, consiste à réserver des circonscriptions aux femmes. Peut-on envisager de généraliser cette solution ?

M. Guy Carcassonne. Le projet de loi introduit un lien obligatoire entre le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel : on ne vote qu’une fois, avec un seul bulletin ; du résultat du scrutin majoritaire se déduit la représentation proportionnelle. Cette relation ne s’établit cependant pas spontanément, mais par le choix des candidats à l’élection au scrutin uninominal de se rattacher à une liste.

Dès lors, ne peut-on prévoir qu’une liste ne pourra bénéficier d’une déclaration de rattachement qu’à la condition que les candidats demandant le rattachement soient, à parts sensiblement égales, des hommes et des femmes ? Cela reviendrait à exiger des formations politiques qu’elles désignent comme candidats pour les cantons un nombre égal d’hommes et de femmes, sous peine de ne pas avoir d’élus à la proportionnelle. A priori, je ne vois pas d’obstacles constitutionnels à une telle disposition.

Mme Catherine Coutelle. Le problème vient de ce qu’aux élections locales, les non-inscrits sont nombreux, surtout dans les cantons ruraux.

M. Guy Carcassonne. Avec la création des conseillers territoriaux, cette époque est révolue. Soit les non-inscrits cesseront purement et simplement d’exister, soit les partis se partageront les 20 % de sièges pourvus à la proportionnelle, sans que personne n’ait jamais voté pour eux !

Mme Martine Billard. Aux sénatoriales, dans les départements soumis au scrutin proportionnel, quand un candidat n’est pas dans une position éligible, il constitue une autre liste ; des élus écartés par leur parti ont ainsi pu être élus.

Les partis ne risquent-ils pas, suivant le même principe, de présenter les femmes au scrutin de liste et les hommes au scrutin majoritaire ? Ils respecteront ainsi la parité de manière purement formelle.

M. Guy Carcassonne. J’en doute, car ce seront les 20 % d’élus à la proportionnelle qui décideront, en général, de la présidence. Pour les départements massivement de droite ou de gauche, cela n’aura aucune importance. En revanche, pour les autres – soit 70 % d’entre eux –, le résultat sera serré, et aucun parti ne pourra se priver de sa quote-part de 20 % d’élus à la proportionnelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Que va-t-il advenir maintenant ?

M. Guy Carcassonne. Je n’arrive pas à imaginer qu’un tel mode de scrutin puisse voir le jour … sauf si, comme cela arrive, les parlementaires sont unanimes pour critiquer un texte mais qu’il ne manque pas une voix de la majorité au moment de l’adopter.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le scrutin majoritaire à un tour n’est pas démocratique : on ne peut pas considérer qu’une personne élue avec 25 ou 30 % des voix représente véritablement une population. Par ailleurs, le système mixte proposé est incompréhensible et absurde !

M. Guy Carcassonne. Effectivement ce texte ne satisfait guère à l’exigence d’intelligibilité de la loi.

S’agissant du scrutin majoritaire à un tour, on opposera toujours l’exemple de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de la moitié des députés allemands. Cette objection n’est pas dirimante. D’abord, le taux d’abstention est très élevé aux États-Unis, de l’ordre de 60 % ; ensuite, ces pays sont plus démocratiques malgré leur mode de scrutin, que grâce à lui.

Mme Danielle Bousquet. Par ailleurs, ce sont des systèmes bipartites.

M. Guy Carcassonne. En Grande-Bretagne, le système politique s’est en effet construit sur le bipartisme et le scrutin majoritaire à un tour, alors que le système politique français s’est bâti dès le 22 décembre 1789 sur le scrutin majoritaire à deux tours, avec un plus grand nombre de partis – même s’il leur arrive de se réunir en coalitions.

Toutefois, si ce mode de scrutin venait à être adopté, vous pourriez reprendre la suggestion consistant à n’autoriser que les listes auxquelles se rattacheront un nombre égal d’hommes et de femmes, candidats au scrutin majoritaire.

M. Jean-Luc Pérat. Il ne s’agit cependant que de candidatures.

M. Guy Carcassonne. C’est mieux que rien !

Quant aux législatives, j’ai essayé – sans succès jusqu’à présent – de promouvoir l’idée que les sanctions financières doivent profiter aux adversaires et que le vice finance la vertu.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce projet constitue une véritable régression.

M. Guy Carcassonne. Je crains que, pour beaucoup d’élus, la parité ne soit pas un enjeu déterminant… Il reste à espérer que le travail parlementaire éclaire l’ensemble de vos collègues !

Mme Martine Billard. Il est prévu que des suppléants puissent remplacer le conseiller territorial dans les fonctions de représentation qu’il est amené à remplir au nom de l’institution dont il est l’élu. Selon le droit du travail, un élu bénéficie dans ce cas d’une autorisation d’absence. Si le suppléant – ou, en l’occurrence, la suppléante – est appelé à remplacer le titulaire, cela suppose qu’on lui reconnaisse un statut lui permettant d’être absent. Cela n’est pas prévu !

Par ailleurs, la création des suppléants ne remet-elle pas en cause le fondement même de la réforme, à savoir la diminution du nombre d’élus ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. À ce propos, je souligne que l’idée d’associer les suppléants aux fonctions des conseillers territoriaux a été lancée après que Mme  Bousquet a fait remarquer à M. Marleix que le nouveau conseiller ne pourrait siéger dans deux assemblées en même temps. Résultat : le nombre d’élus sera maintenu alors que le projet visait à le diviser par deux !

M. Guy Carcassonne. Il s’agit d’un problème politique, non constitutionnel. En revanche, j’ai oublié de mentionner un grief d’inconstitutionnalité très important. L’article 72 de la Constitution énonce que les collectivités territoriales de la République sont administrées par des conseils élus. Ne doit-on pas en déduire qu’à chaque collectivité correspond son conseil ? Or les conseillers territoriaux cumuleront les fonctions de conseiller général et de conseiller régional : les citoyens n’auront pas le choix, ils seront contraints d’élire une personne qui sera à la fois l’un et l’autre et qui, au sein d’une assemblée, tiendra nécessairement compte des intérêts de l’autre collectivité. Je doute que cela soit conforme au principe de libre administration des collectivités territoriales !

Mme Catherine Coutelle. En général, un électeur vote pour la majorité ou pour l’opposition. Une personne pourra-t-elle, bien qu’ayant été élue au même scrutin, appartenir à l’exécutif dans un conseil et faire partie de l’opposition dans un autre ?

M. Guy Carcassonne. Vous avez raison, c’est absurde.

Lorsqu’un territoire et une population disposent d’une assemblée unique chargée de gérer deux collectivités, cela ne pose aucun problème : c’est depuis longtemps le cas de la ville de Paris et du département de la Seine, et c’est ce qui se passera en Martinique et en Guyane à la suite du vote intervenu il y a dix jours.

Le projet de loi met en place la situation inverse : il existera deux assemblées, composées – du moins pour partie – des mêmes personnes. Celles-ci seront, par nature, conduites à rechercher simultanément l’intérêt du département et l’intérêt de la région. Comme ceux-ci ne coïncident pas toujours, l’une des deux collectivités sera nécessairement privée de son conseil élu, ce qui pose problème au regard du principe de libre administration énoncé par l’article 72 de la Constitution.

Mme Catherine Coutelle. Cela entraînera-t-il la dépendance d’une collectivité à l’égard de l’autre ?

M. Guy Carcassonne. On ne peut parler de « dépendance », car la relation n’est pas univoque. En revanche, l’une des deux collectivités sera nécessairement privée de son conseil, chargé de déterminer ses propres objectifs en fonction de ses propres intérêts.

Mme Catherine Coutelle. Dans la mesure où la région ne votera plus aucun impôt, qu’elle ne recevra quasiment que des dotations de l’État, et qu’elle perdra toute autonomie financière, s’agira-t-il encore d’une « collectivité territoriale » ?

M. Guy Carcassonne. D’une manière générale, les réformes en cours se font au détriment de la région. Alors que l’on parle depuis des années de supprimer les départements, on va les pérenniser et supprimer les régions !

Mme Martine Aurillac. Les effets risquent d’être particulièrement néfastes au plan européen.

Mme Catherine Coutelle. D’autant que les crédits européens transitent par les régions !

M. Guy Carcassonne. Par ailleurs, je signale que le conseiller territorial sera le principal concurrent du député.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il ne nous reste qu’à faire œuvre de pédagogie auprès de nos collègues ! Monsieur Carcassonne, je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

Informations relatives à la Délégation

La Délégation a désigné Mme Marie-Jo Zimmermann, rapporteure d’information sur le projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, dans lequel figurent des dispositions intéressant la parité.