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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mardi 15 juin 2010

Séance de 17 heures 45

Compte rendu n° 23

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de M. Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT, sur la réforme des retraites..

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de M. Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT, sur la réforme des retraites.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous souhaitons recueillir votre point de vue sur la réforme des retraites en cours et, en particulier, sur ses conséquences sur les pensions servies aux femmes.

M. Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT. La réforme a été présentée comme inévitable mais chacun espère qu’elle ne touchera que son voisin, car finalement cette réforme revient à « travailler plus pour cotiser plus ».

Par ailleurs, même si ce n’est pas le cœur du problème, je comprends qu’il soit difficile pour les élus d’avoir à décider de mesures qui affecteront les pensions des Français, sans toucher à leur propre régime.

En outre, ce dossier n’intéresse véritablement que ceux qui sont proches de la retraite. Pourtant, ce sont bien les générations suivantes qui ont lieu d’être inquiètes. Il y a heureusement toujours des personnes qui ont cotisé les durées requises, en ayant des carrières linéaires et dynamiques, et parmi ces personnes de plus en plus de femmes. Le problème naît de ce que les écarts se creusent, de plus en plus, entre ces carrières et des carrières précaires qui sont surtout le fait de femmes, bien qu’elles réussissent mieux que les hommes dans les cursus de formation et qu’elles soient de plus en plus qualifiées. Les bénéfices de cette évolution sont, en fait, ruinés par la précarité.

Alors que la réforme lancée par le Gouvernement est une réforme dure, sans considération pour les plus fragiles, pour notre syndicat, le bon angle d’approche aurait dû celui de la réduction des inégalités, que ce soit celles liées aux travaux pénibles, aux carrières longues ou à la précarité. Or, les plus précaires ce sont les femmes.

S’y ajoutent les effets d’évolution qui s’avèrent pénalisantes. Par exemple, les jeunes gens entament de plus en plus tard une carrière professionnelle stable. Aujourd’hui, c’est vers l’âge de trente ans ce qui est justement l’âge de la première maternité. Or, les années passées loin du travail, pour élever ses enfants, ce qui est un souhait parfaitement légitime, coûtent de plus en plus cher en termes de carrière. En fait, elles ne se rattrapent jamais.

Enfin, il existe des inégalités qui mériteraient d’être corrigées, dans la répartition même des avantages familiaux et dont personne ne parle jamais, à l’exception de notre syndicat. Les majorations de durée d’assurance, par exemple, ne servent à rien pour 20 % des femmes, celles qui ont cotisé suffisamment longtemps pour avoir assez d’annuités. Mais le dispositif le plus injuste qui soit reste celui de la majoration de pension de 10 % octroyée, aux pères comme aux mères, qui ont eu trois enfants. D’abord, il bénéficie aux retraités et non aux familles mais surtout, cet avantage est proportionnel au montant de la pension et il est de surcroît défiscalisé. Le problème est que toucher à cette majoration provoquerait une levée de bouclier de la part des associations familiales. Cette mesure qui avait à l’origine une finalité nataliste est d’ailleurs financée par la CNAF et non par les régimes de retraites. Chaque fois que l’on évoque ce sujet, devant le COR notamment, il est évacué sans qu’aucun argument valable ne soit avancé. Pour FO et pour la CGT, c’est un avantage acquis, il ne faut donc pas y toucher. Pourtant, c’est un avantage acquis qui opère une redistribution à l’envers puisqu’elle profite essentiellement aux hommes aisés.

M. Yves Canevet, secrétaire confédéral en charge du dossier des retraites. Cette majoration de pension coûte environ 6 milliards d’euros par an. Les hommes ayant en moyenne des pensions plus élevées que les femmes, ils en captent environ 60 %.

M. Jean-Louis Malys. Les hommes n’ont pourtant aucunement vu leur carrière professionnelle affectée par le fait qu’ils ont eu des enfants. Au contraire, cela leur donne une image de responsabilité et de sérieux valorisée dans l’entreprise. Nous pensons donc que les sommes aujourd’hui consacrées au financement de ces majorations de pension devraient être redéployées vers un dispositif plus juste. À tout le moins, la majoration devrait être forfaitisée et fiscalisée. Pour prendre un exemple extrême, une femme qui s’est arrêtée de travailler pour élever ses enfants ou a travaillé à temps partiel, qui a été rémunérée au SMIC et qui va toucher une pension d’environ 7 00 euros, verra celle-ci majorée de 70 euros. Un homme cadre, qui lui aussi a eu trois enfants et n’en a nullement été pénalisé dans sa vie professionnelle, s’il touche une retraite de 6 000 euros, verra celle-ci majorée de 600 euros ! Ses enfants vaudraient donc plus chers que ceux des autres.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les propositions de la délégation relatives aux retraites des femmes vous ont été communiquées. Quelles sont vos réactions ?

M. Jean-Louis Malys. Nous approuvons l’essentiel d’entre elles. Vous préconisez d’abord d’adapter les mécanismes de solidarité à la réalité des besoins sociaux. Cela rejoint l’analyse que je viens de faire de la majoration de pension pour trois enfants. Pourtant, la réforme n’en dit mot. Seule l’Assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) est mentionnée dans le document d’orientation.

Ensuite, privilégier la constitution de droits directs par les femmes est un élément clef. La question des parcours professionnels est primordiale dans la constitution de droits propres qui constitue une voie importante dans la réduction des inégalités de niveau de pension.

Votre proposition de report des salaires au compte des indemnités journalières (IJ) pour les périodes validées non cotisées, comme les périodes de congé maternité, est également soutenue par la CFDT. La question se pose alors du niveau de report au compte. Ce peut être soit une cotisation sur la base du montant des IJ (maximum : 2.15 SMIC) comme vous le proposez, ou bien une cotisation forfaitaire sur la base du SMIC (comme pour l’AVPF) potentiellement plus égalitaire. Des études complémentaires sont à réaliser sur ce point.

Pour les temps partiels, il est effectivement souhaitable d’étendre les possibilités de cotisations sur la base d’un temps plein. Cela passerait notamment par une contribution de l’employeur pour permettre aux salariés qui travaillent moins de 17 heures par semaine de valider quatre trimestres dans l’année. Mais l’extension des possibilités de surcotisation doit être privilégiée par rapport au rachat de cotisation. Il serait, en effet, paradoxal de devoir « racheter » des trimestres pour des périodes travaillées !

La reconduction de l’assurance veuvage au-delà du 31 décembre 2010 va également se poser, comme vous le soulignez. En effet, alors que la loi de 2003 avait supprimé la condition d’âge pour l’accès à la réversion, celle-ci a été rétablie en 2009 à 55 ans. Or on sait que le veuvage précoce est souvent source de difficultés économiques : le taux de pauvreté des veuves de moins de 55 ans est de 28 %, contre 12 % pour l’ensemble de la population. La réintroduction de la condition d’âge est d’autant plus négative que l’assurance veuvage n’est pas à ce jour remplacée par une politique publique abordant efficacement la question du veuvage précoce, par exemple sous forme d’amélioration du capital décès, de développement de la prévoyance obligatoire, etc…

Développer l’information des salariés sur les possibilités de cotiser à l’assurance vieillesse sur la base d’un temps plein pour les régimes de base et complémentaires et rendre obligatoire dans les branches et les entreprises l’introduction d’une clause relative à la possibilité de surcotisation en cas de temps partiel et sur sa prise en charge par l’employeur nous paraît, à nous aussi une piste très intéressante à creuser.

Sur la réforme de la demi-part de quotient familial supplémentaire, il faut préciser que cette demi-part a été créée afin d’aider d’abord les veuves et les femmes divorcées ayant eu des enfants. Elle génère une réduction d’impôt mais n’apporte aucun avantage aux revenus les plus faibles et à ceux qui ne sont pas imposés. La CFDT a acté lors de son récent congrès que « le barème de l’impôt doit être appliqué au revenu des personnes, et non plus à ceux des ménages. Rien ne peut justifier que l’aide fiscale apportée aux ménages par le biais du quotient familial soit d’autant plus importante que leurs revenus sont élevés. Il doit être remplacé par une allocation forfaitaire par enfant. ».

Pour la CFDT, la question posée est donc celle du maintien d’un avantage fiscal forfaitaire par enfant, aux parents ayant élevé seuls un enfant, afin d’aider ceux ayant eu des charges de famille après le décès du conjoint, un divorce ou une séparation.

Le mécanisme du quotient familial ne bénéficie, par hypothèse, qu’aux personnes qui sont imposables.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Certes, mais la perte du bénéfice de la demi-part aboutit à rendre certaines personnes imposables, ce qui a des effets en cascade sur la redevance et la taxe d’habitation…

M. Jean-Louis Malys. En ce qui concerne la proposition qui consiste à demander au juge d’opérer, en cas de divorce, un partage des droits à la retraite de celui qui a cotisé, nous avons quelques réticences. L’implication du juge suppose une logique de conflit et cette disposition pourrait indirectement encourager les femmes à ne pas constituer de propres droits. Nous ne voulons pas inciter à l’inactivité féminine.

Globalement, nous sommes assez positifs sur vos propositions.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Pour l’instant, nous n’avons pas reçu de réponse du Ministre.

Mme Odette Duriez. Ni de réponse à nos questions en séance.

M. Jean-Louis Malys. Il reste trois jours pour négocier avec le Ministre. Le projet de loi sera examiné en Commission des affaires sociales avant le 20 juillet, et par l’Assemblée nationale, le 7 septembre. Je pense cependant que la question des femmes n’est pas au programme. Le document d’orientation n’a pas posé une seule fois cette question. Ce qui nous attriste, c’est que les plus modestes seront les plus touchés, et parmi eux, les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Le ministre considère qu’on ne peut par corriger les aléas de carrière au moment de la liquidation des droits.

M. Jean-Louis Malys. Cela va même au-delà : le système des retraites amplifie les inégalités au lieu de les corriger.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je note l’attente de la CFDT par rapport à la question des femmes. Je compte sur ceux qui ont une conscience claire de ce problème pour le faire avancer.

M. Jean-Louis Malys. Dès que l’on parle du problème des femmes, il faut faire attention à ne pas tomber dans le piège qui consiste à assimiler les femmes aux handicapées, aux personnes issues de l’immigration... Les femmes ne sont pas une minorité, mais une majorité ! À la CFDT, nous avons pris l’habitude, dès que nous abordons un dossier, de traiter parallèlement l’impact spécifique que ce dossier aura pour les femmes. Lorsque nous avons abordé la question de la souffrance au travail, nous avons pu constater que les femmes subissaient des violences bien particulières, comme les viols ou le harcèlement sexuel. Il existe une rupture d’égalité entre les hommes et les femmes dont il faut tenir compte.

Par ailleurs, sur la question de la pension de réversion pour les couples pacsés, nous avons quelques réticences. Ce serait juste, mais le surcoût serait immense.

M. Jean-Luc Pérat. Il me semble que nous avons un problème d’information sur la question des retraites et des droits de chacun. Pourrions-nous imaginer que toute personne soit informée chaque année des droits qu’il a acquis et puisse recevoir des évaluations relatives au montant de sa pension ?

M. Jean-Louis Malys. Je partage ce point de vue. Le problème, c’est la complexité du système qui empêche toute anticipation dans les comportements.

Par exemple, très souvent les personnes qui ont été fonctionnaires ne savent pas que si elles n’ont pas cotisé au régime spécial de la fonction publique pendant une durée minimale de quinze ans, elles ne bénéficieront pas d’une retraite de la fonction publique. Elles seront affiliées au régime général et au régime complémentaire des non-titulaires de la fonction publique auquel elles devront verser des rattrapages de cotisations élevés.

C’est pourquoi il faudrait travailler sur une réforme systémique. La logique par points est la plus lisible. Elle permet de connaître les droits correspondant à telle somme cotisée. Il faudrait un système par répartition dans lequel générateur de droits de façon continue, comme le système suédois, qui adapte en plus le lien entre espérance de vie et retraite. À chaque cotisation versée serait ouvert un droit à pension qui serait identifié. Par exemple, à un an de cotisation correspondrait un montant x de pension. La réforme actuelle produit l’effet inverse car elle complexifie encore le système. Jusqu’à présent, on avait un système qui se comptait en annuités et en trimestres et désormais on va parler de quadrimestres...

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie.

La séance est levée à 18 heures.