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Mercredi 20 octobre 2010

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Christian Jacob Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jérôme Bignon, président du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres, et de M. Yves Colcombet, directeur général.

– Information relative à la commission.

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Jérôme Bignon, président du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres.

M. le président Christian Jacob. Notre commission entend aujourd’hui l’un de ses membres, Jérôme Bignon, en sa qualité de président du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres. Son directeur général Yves Colcombet est également présent. Je suis heureux de les accueillir ici pour ce dialogue que nous souhaitions de longue date. Il sera l’occasion de présenter l’action du Conservatoire dans le cadre du Grenelle de l’environnement.

M. Jérôme Bignon, président du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres. Je remercie la commission de m’accueillir et de montrer ainsi son intérêt pour le Conservatoire du littoral et des rivages lacustres dont j’ai l’honneur d’assurer la présidence depuis deux ans. Cet établissement public existe depuis trente-cinq ans, à sa création par une loi du 10 juillet 1975 que je tiens pour remarquable par sa simplicité et sa sobriété, puisque ses six articles sont contenus sur une unique page du Journal officiel.

M. Daniel Paul. C’est effectivement une bonne leçon par les temps qui courent.

M. Jérôme Bignon, président du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres. Depuis sa promulgation, le texte de 1975 n’a guère évolué qu’à deux reprises. Transcrivant les propositions formulées par le rapport Le Pensec, la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a élargi les compétences du Conservatoire. La loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a précisé le statut des personnels employés.

Quant à la mission du Conservatoire, qui s’exerce dans les cantons côtiers et dans le voisinage des grands lacs, je la crois clairement exprimée par l’article L322-1 du code de l’environnement : « mener, après avis des conseils municipaux et en partenariat avec les collectivités territoriales intéressés, une politique foncière de sauvegarde de l'espace littoral et de respect des sites naturels et de l'équilibre écologique. »

Le Conservatoire du littoral joue un rôle de force de proposition auprès des instances politiques représentatives locales dont l’accord est toujours requis. Son action conduit à une quasi-inaliénabilité de l’espace foncier acquis. Sans aller jusqu’à la protection absolue dont bénéficie le domaine public, la cession d’un terrain nécessite un décret en Conseil d’Etat pris à l’initiative du conseil d’administration du Conservatoire se prononçant à la majorité qualifiée des trois-quarts. Autant dire que la procédure est très complexe à satisfaire !

La gestion des espaces fonciers acquis est formalisée à travers des conventions qui sont passées avec des tiers – collectivités, établissements publics ou encore associations. Le fonctionnement de la structure est tout à fait novateur puisque, dès l’origine et alors que la décentralisation n’était pas même à l’ordre du jour, il a associé au sein du conseil d’administration représentants de l’Etat, personnalités qualifiées et élus locaux. Les conseils de rivage, composés exclusivement de délégués des collectivités territoriales, proposent les opérations d'acquisition ; ils sont consultés sur les actions envisagées.

On a souvent attribué la paternité du Conservatoire au Président Giscard d’Estaing et à son Premier ministre Jacques Chirac. Il est vrai que la victoire a cent pères. En réalité, c’est à Georges Pompidou qu’en revient l’initiative : amoureux du littoral et inquiet de son urbanisation, il commanda à l’inspecteur général Picard un rapport sur les voies et moyens de préserver ce qu’on appelait, à l’époque, le « tiers sauvage ». Celui-ci recommanda l’institution d’une structure ad hoc sur le modèle du National Trust britannique. Le Conservatoire d’aujourd’hui a conservé l’objectif d’hier, c’est-à-dire l’acquisition et la protection d’un tiers de la surface littorale française.

Au 1er janvier 2010, le Conservatoire du littoral et des rivages lacustres détient quelques 130 000 hectares de terres gérés par cent trente agents équivalent temps plein. Ce personnel reste stable alors que nous acquérons entre 3 000 et 5 000 hectares supplémentaires chaque année, ce qui accroît la difficulté de leur mission et la multiplicité des tâches qui incombe à chacun d’eux.

L’essentiel des ressources disponibles provient du droit annuel de francisation et de navigation (DAFN), une taxe frappant les navires de plus de sept mètres ou d'une motorisation supérieure à vingt-deux chevaux. Ce droit est levé par les services douaniers et il a l’avantage de constituer une ressource stable, voire légèrement dynamique en dépit du contexte économique. Les 38 millions d’euros de recettes sont intégralement affectés au Conservatoire depuis 2005, à l’initiative du Président Jacques Chirac qui souhaitait éviter que la préservation de la nature vienne à souffrir des coupes budgétaires. Il s’était d’ailleurs déplacé personnellement pour en faire l’annonce à Rochefort, où se situe notre siège.

Les acquisitions de terrains s’opèrent dans leur grande majorité à l’amiable, plus rarement par voie d’expropriation dans les périmètres de préemption. Comme l’opinion reconnaît le succès de l’action du Conservatoire, nous recevons aussi des dons et legs qui ont représenté 1,5 millions d’euros en 2009. Il nous est permis depuis dix ans de percevoir des dations en paiement. Il arrive que des collectivités territoriales nous versent des aides, voire que l’Etat consente à une subvention exceptionnelle pour des opérations spéciales comme en Camargue. Enfin, nous bénéficions d’affectations de terrains du domaine privé étatique à la suite de leur déclassement : ce sont classiquement d’anciennes bases navales ou des sites militaires. Le Conservatoire a par exemple récemment reçu des forts datant du Second Empire, dont le ministère de la Défense ne savait que faire et qui pourraient se prêter au développement d’activités touristiques.

Le Conservatoire est présent sur le terrain à travers quelques 700 gardes du littoral mis à sa disposition par les collectivités territoriales qui y trouvent des synergies fortes. Je pourrais citer le cas des départements de la Manche et de la Somme qui ont compris combien leur bonne image était liée à la préservation des littoraux.

Pour autant, je ne suis pas à la tête d’un établissement public voué à sanctuariser les rivages nationaux. Les trois quarts de nos terrains font l’objet d’un contrat de gestion qui encadre leur mise en valeur. 17 000 hectares sont par exemple confiés à sept cent cinquante agriculteurs pour faire vivre l’agriculture en bord de mer et sur les rives des lacs. Nous discuterons d’ailleurs prochainement avec la FNSEA pour affiner les modalités de gestion, qui ne prennent pas la forme de baux ruraux mais de conventions, afin de limiter les droits qui grèveraient la propriété foncière. Ces cultures sont gérées de façon durable, ce qui se traduit par des contraintes que nous compensons par de faibles redevances. L’espace possédé par le Conservatoire abrite ainsi des productions de vin, de miel ou de moutarde, des élevages ovins et caprins : bref, un salon de l’agriculture à lui seul. J’ajoute que la pratique de la chasse y reste possible dans le cadre de conventions conclues soit avec le cédant pour conserver un droit d’usage, soit avec les fédérations locales sous forme de mises à disposition. L’activité touristique est en outre ouverte pour la découverte de la nature et le parcours des sentiers de douaniers : on estime à trente millions par an le nombre de visiteurs sur les sites du Conservatoire.

Le Conservatoire s’est doté en 1996 d’une délégation à l’outre-mer, rendue nécessaire par les immenses espaces à gérer sur l’ensemble du territoire. Il bénéficie aussi de l’appui d’un conseil scientifique, présidé par le professeur Lefeuvre, qui allie sciences dures et sciences humaines pour faire émerger une conception culturelle et philosophique du littoral.

Je conclurai ma présentation en mentionnant les difficultés que rencontre le Conservatoire et que les parlementaires pourraient décider d’amoindrir. Nous souffrons de l’inadaptation du statut du personnel, qui remonte à 1984, qui se traduit par une proportion élevée de contractuels peu favorisés et qui fait perdurer un régime indemnitaire complexe. Une réunion est prévue avec le secrétariat général du ministère de l’environnement pour aborder cette question. Par ailleurs, l’affectation du droit annuel de francisation et de navigation peut être remise en cause ; elle ne permet de toutes façons pas de couvrir les nouvelles missions comme la rénovation du patrimoine littoral, ainsi les phares et les abbayes. Un amendement est attendu en loi de finances rectificative pour élargir l’assiette de la taxe aux véhicules nautiques à moteur.

Le Conservatoire du littoral est partenaire de tous les établissements publics concernés par la biodiversité, des associations œuvrant en faveur de la protection de la nature (par exemple, les associations gestionnaires de jardins ou de terrains sur le littoral breton ou atlantique), des parcs nationaux, de Réserves naturelles de France, etc.

Le groupe de travail n° 2 du Grenelle de l’environnement, consacré à la biodiversité et présidé par Marie-Christine Blandin et Jean-François Le Grand, avait suggéré la mise en place d’une grande « Agence de la nature » à compétence nationale. L’idée a été reprise dans la loi « Grenelle II » et un rapport de préfiguration a été confié à Michel Badré et Jean-Philippe Duranthon.

Dans ce domaine de la préservation des espaces et de la biodiversité, je souhaiterais faire trois constatations.

D’une part, s’il semble que la protection des lieux et des espaces présentant un caractère exceptionnel est aujourd’hui assurée de manière globalement satisfaisante, il est difficile d’en dire autant de la préservation des sites plus communs. Or il faut garder présent à l’esprit que les premiers ne doivent guère représenter plus de 5 % du total des espaces à protéger. D’autre part, certaines missions ne sont aujourd’hui remplies que très imparfaitement : c’est le cas des activités de connaissance et d’évaluation, mais aussi de la gestion des ressources humaines. Enfin, il faut admettre que la coordination entre tous les partenaires, mal assurée, est perfectible. La France affectionne l’organisation en « tuyaux d’orgue », dans ce domaine comme dans d’autres, ce qui ne facilite pas la transversalité.

Je ne crois absolument pas qu’il faille appeler de ses vœux une fusion de tous les opérateurs. Mais il doit être possible d’inventer des structures suffisamment souples pour améliorer la recherche de synergies et remédier à certaines carences, tout en préservant l’identité de chacun.

A la suite de la mission de préfiguration, la concertation se poursuit et les conseils d’administration des différents établissements publics concernés ont été informés et consultés. L’idée serait de créer un Haut Comité de la biodiversité, une Agence de la biodiversité ou une Agence de la nature, qui reprendrait les moyens de certains établissements publics et permettrait donc de tirer avantage des bénéfices de la transversalité.

Je ne voudrais pas conclure sans mentionner que, parmi les autres grands dossiers qui attendent le Conservatoire, se trouve bien évidemment celui de l’outre-mer, les départements ultramarins abritant de véritables trésors de la biodiversité.

M. le Président Christian Jacob. Votre présentation démontre la passion qui anime le président du Conservatoire du littoral. L’idée d’une Agence de la nature n’avait pas été oubliée dans la loi « Grenelle I ». En tant que rapporteur du texte, j’étais très réservé sur l’opportunité de sa création. Je craignais que ce nouvel organisme ne vienne perturber des institutions et des procédures qui, pour beaucoup, donnent pleinement satisfaction.

M. Jean-Paul Chanteguet. Je voudrais tout d’abord vous remercier pour cette présentation exhaustive et passionnée.

Le Conservatoire du littoral n’est cité qu’une seule fois dans les lois « Grenelle I » et « Grenelle II ». N’en ressentez-vous pas un sentiment de frustration à la pensée d’avoir été négligé ?

Le Conservatoire existe depuis environ trente-cinq ans. Son schéma actuel est cohérent : il achète des espaces pour les préserver, il se finance par des ressources dédiées et grâce à l’aide apportée par les collectivités locales et les associations. Ces associations, comme par exemple le WWF et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), participent-elles au financement du Conservatoire ? Qu’en est-il des agences de l’eau ?

L’article 23 du « Grenelle I » prévoit que, d’ici dix ans, 2 % au moins du territoire terrestre métropolitain seront placés sous protection forte. Cet objectif représente environ vingt mille hectares de zones humides à acquérir. Le Conservatoire prendra-t-il sa place dans sa réalisation ?

Dans le cadre des accords conclus avec les collectivités territoriales et les associations, le Conservatoire présente des exigences et établit des cahiers des charges. La loi « Grenelle I » rappelle la nécessaire protection des espèces végétales et animales en danger critique d’extinction, dont 131 ont été recensées en 2007. La protection de ces espèces fait-elle partie, le cas échéant, des cahiers des charges que le Conservatoire impose à ses cocontractants ?

Pour ce qui concerne la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, le Conservatoire présente-t-il des demandes particulières à ses partenaires associatifs et territoriaux ?

Quel rôle le Conservatoire est-il appelé à jouer dans la mise en place des trames verte et bleue ?

Je m’interroge enfin sur un possible élargissement des missions du Conservatoire. Appelez-vous de vos vœux une intervention du législateur en ce sens, visant à étendre la compétence géographique de l’établissement — par exemple, dans les zones humides situées à l’intérieur du territoire ?

M. Stéphane Demilly. Sur les 135 000 hectares d’espaces fonciers confiés au Conservatoire, vous avez évoqué la présence d’un important patrimoine bâti (phares, abbayes). Comment le Conservatoire assure-t-il l’entretien et la valorisation de ce patrimoine ?

Vous avez fait état d’une capacité d’acquisition annuelle comprise entre 3 000 et 5 000 hectares, adossée à des moyens relativement stables. Avez-vous des raisons de craindre une contraction des financements complémentaires apportés par l’Union européenne ?

Les élus locaux connaissent bien la pression foncière qui s’exerce sur les bords de mer. Comment le Conservatoire réussit-il à concilier préservation du littoral et prise en compte de cette tendance lourde que représente le peuplement de ce même littoral ?

M. Michel Havard. Merci pour cette présentation passionnée. J’évoquerai plusieurs questions. D’une façon générale, quelles stratégies d’acquisition appliquez-vous, sont-elles territoriales ou thématiques ? Quel est le processus qui conduit à une décision d’achat par le Conservatoire ? Rencontrez-vous des situations conflictuelles lors des acquisitions, avec les propriétaires, les collectivités ou les associations ? Enfin, le Conservatoire du littoral réfléchit-il à la gestion de son patrimoine, dans une perspective d’adaptation à la problématique du réchauffement climatique ?

M. Jérôme Bignon, président du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres. Nous n’avons pas été frustrés par les lois sur le Grenelle de l’environnement, au contraire. Le contournement du droit de préemption du Conservatoire par l’apport d’un bien à une société civile immobilière a été empêché à cette occasion. Le « Grenelle de la mer » m’a permis d’intervenir pour que l’objectif de préservation du tiers sauvage ne soit plus fixé à 2050 mais à 2020-2030, pour une meilleure lisibilité de notre action sans négliger les contraintes financières et humaines.

S’agissant des sources de financement, nous disposons d’une ressource affectée, qui devra sans doute un jour être répartie avec d’autres intervenants. L’Europe apporte également sa contribution. La Camargue pourrait constituer la plus vaste zone naturelle du continent. Nos acquisitions se font aujourd’hui de manière empirique. Une mission d’inspection devrait prochainement définir une vision globale en termes d’écosystèmes.

Les associations n’aident pas le Conservatoire pour acheter, mais elles l’assistent dans ses tâches de gestion. Nous intervenons comme propriétaire, les grosses réparations nous incombent donc.

Les dispositions de la loi sur le « Grenelle de l’environnement » relatives aux zones humides intéressent évidemment le Conservatoire, mais celui-ci ne peut satisfaire seul l’objectif assigné. Sa compétence se limite aux cantons côtiers, le long des rivages, et aux vallées des fleuves littoraux.

Des exigences de protection de la biodiversité existent dans les conventions de gestion passées par le Conservatoire. Il en va ainsi pour la gestion de terres agricoles et pour l’accès du public aux zones de nidification.

Le Conservatoire se préoccupe également des espèces invasives. Elles peuvent avoir, en effet, un impact considérable sur les plantes endémiques, notamment outre-mer. Notre démarche scientifique de préservation associe arrachages et replantations.

M. Yves Colcombet, directeur général du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres. Le Conservatoire du littoral est bien propriétaire de terrains, mais il a aussi un rôle en matière de biodiversité et d’entretien du patrimoine bâti. Il opère avec tous les acteurs de terrain, collectivités ou associations.

M. Jérôme Bignon, président du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres. Le Conservatoire reste prudent sur la question de l’extension de ses missions et de sa compétence géographique. S’agissant de la valorisation du patrimoine bâti, il faut rappeler que l’objectif exclusif du Conservatoire était initialement la protection des milieux naturels ; il ne procédait alors à aucun achat immobilier. La dimension patrimoniale est apparue ensuite et le Conservatoire détient maintenant des bâtiments qui constituent un avantage pour se procurer des ressources. Le Conservatoire dialogue avec un opérateur britannique spécialisé dans la rénovation à des fins touristiques des constructions historiques de Grande-Bretagne.

La pression de l’urbanisation est un sujet majeur. Il donne de l’importance au Conservatoire, qui apparaît aux yeux des maires comme un instrument d’équilibre pour leur gestion foncière.

Les stratégies d’acquisition du Conservatoire obéissent à des critères stricts. Sont ainsi concernés : les espaces naturels soumis à des pressions multiples menaçant leur intégrité en dépit d’une réglementation protectrice, les sites naturels terrestres ou maritimes qui subissent un processus d’appauvrissement et de banalisation, les zones connaissant des flux touristiques difficilement maîtrisables, les lieux emblématiques qui ne sont plus accessibles au public, les lieux enfin où la maîtrise publique foncière est indispensable pour assurer la continuité des activités.

25 % des sites gérés par le Conservatoire sont exposés aux conséquences du changement climatique. Le Conservatoire est plutôt favorable à l’idée de laisser faire la nature et de ne s’opposer à la montée des eaux qu’en présence de digues anciennes montrant une volonté historique de préserver un site de la montée des eaux.

M. Pierre Lang. Je voudrais évoquer la question de l’extension des ports de plaisance. Le Conservatoire a-t-il une compétence en la matière ? On constate en effet, notamment dans les régions méditerranéennes, une absence de places disponibles dans les ports de plaisance. Cette situation nuit à notre industrie de construction navale pourtant très dynamique et à nos collectivités privées de ressources. A titre d’exemple, un bateau à moteur de 10 mètres acquitte chaque année quelques 1 300 euros de taxes. Huit cents nouvelles places génèrent donc un revenu d’un million d’euros. Ne faut-il pas réfléchir à une extension de ces ports de plaisance, qui soutiendrait notre industrie et les emplois locaux, et qui apporterait peut-être des ressources significatives au Conservatoire du littoral ?

Mme Geneviève Gaillard. Les récifs coralliens constituent pour la France une richesse importante ; leur état est cependant dégradé. Le Conservatoire du littoral compte-t-il intervenir dans ce domaine ? Quelles sont ses perspectives ? Y a–t–il un travail effectué en relation avec l’initiative française pour les récifs coralliens, l’IFRECOR ?

Mme Fabienne Labrette-Ménager. Les ressources apparaissent toujours difficiles à trouver. Le département de la Sarthe lève une taxe départementale sur les espaces naturels sensibles (TDENS), qui rapporte un million d’euros, assise sur les permis de construire et appelée à financer le Conservatoire du patrimoine naturel sarthois. Les départements du littoral recourent-ils une telle ressource, dont je sais l’institution facultative ? Le Conservatoire peut-il tenir un rôle en la matière ?

M. Maxime Bono. Je souhaite aborder la question de la « dépoldérisation ». Quelle est la doctrine du Conservatoire sur ce débat en cours dans notre pays ?

M. Jacques Le Nay. Quelles sont les relations du Conservatoire avec les collectivités territoriales dans la perspective d’acquisitions de terrains ? Le Conservatoire est-il associé, par exemple, à l’élaboration des plans locaux d’urbanisme ?

Mme Catherine Quéré. Pouvez-vous préciser quelles sont les limites de la notion de littoral ? Avez-vous une politique en matière d’installation des jeunes agriculteurs ? Les conventions sont-elles renouvelables annuellement ou sur plusieurs années ? Y a-t-il un travail en commun avec les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) ? Rencontrerez-vous des organisations agricoles autres que la FNSEA ?

M. Jean-Pierre Marcon. Élu du Massif Central, je voudrais aborder les problèmes posés aux régions littorales que j’affectionne par ailleurs. De nombreux sentiers de douaniers existent dans nos régions touristiques de Bretagne ou de Normandie ; or, ceux-ci sont souvent barrés par des propriétaires privés. Le Conservatoire dispose-t-il d’une compétence en tant que gardien de la législation qui permettrait de mettre fin à l’existence de ces obstacles ?

M. Bernard Lesterlin. Le Conservatoire a-t-il des missions en matière de domaine public maritime, constitué par la zone des cinquante pas géométriques outre-mer ? Pouvez-vous faire le point sur les missions d’intérêt général du Conservatoire ouvertes à des jeunes pour le service civique ? Il serait souhaitable que votre établissement soit représenté dans les nouvelles commissions régionales de coordination du service civique.

M. Didier Gonzales. Le Conservatoire du littoral agira-t-il également dans l’avenir sur des espaces reconnus au titre de la protection de la biodiversité, mais situés dans les zones urbaines ? De nombreuses espèces animales vivent par exemple sur les rives de la Seine.

M. Jean-Luc Pérat. Le Conservatoire du littoral a-t-il engagé une réflexion sur les territoires situés en dessous du niveau de la mer, notamment dans le département du Nord, à l’instar de ce que connaissent les Pays-Bas ? Je pense également que le Conservatoire du littoral doit tenir toute sa place dans la mise en œuvre de la loi sur le service civique.

M. François Grosdidier. Je souhaiterais savoir si des conditions particulières encadrent l’exercice du droit de préemption et si le Conservatoire dispose en la matière de prérogatives spécifiques. Comment dépasser les contraintes auxquelles est confronté le Conservatoire – faible nombre des personnels, importance des surfaces concernées, brièveté des délais de décision ? Enfin, comment prévenir le contournement du droit de préemption par les changements de parts de sociétés civiles immobilières ?

M. Jérôme Bignon, président du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres. Concernant l’extension des ports de plaisance, le Conservatoire du littoral ne dispose d’aucune compétence particulière : il ne s’intéresse qu’à des espaces naturels côtiers ou lacustres pour leur préservation, ce qui exclut l’édification d’infrastructures portuaires. La difficulté soulevée par Pierre Lang découle à mon sens de certaines dispositions de la loi littoral, qui empêchent l’extension des cales à sec dans les ports existants.

Catherine Quéré m’a interrogé sur les limites géographiques de la zone d’intervention du Conservatoire. En principe, celui-ci n’agit que sur terre, mais la loi de développement des territoires ruraux du 23 février 2005 a étendu cette compétence au domaine public maritime. Cela lui permet par exemple d’intervenir pour la sauvegarde des mangroves, où se rencontrent la terre et la mer, et qui sont essentielles pour la préservation des écosystème ultramarins. Cependant, si la zone visée est exclusivement maritime, elle relève de l’Agence des aires marines protégées (AAMP) que je préside également. Cet établissement public s’intéresse notamment aux récifs coralliens et il participe à l’Initiative française en la matière (IFRECOR). Je vous rappelle que la France dispose de 11 millions de km2 d’espaces maritimes, soit 10 % de l’ensemble des récifs coralliens dans le monde. Il nous revient donc une responsabilité particulière, car ces récifs constituent des écosystèmes extraordinairement productifs qui assurent la fourniture de quasiment toute la matière organique de base consommée ensuite par les poissons. Nous travaillons d’ailleurs, dans le Pacifique, à la création d’un Conservatoire du littoral et des aires marines protégées en Polynésie.

Pour répondre à la question de Fabienne Labrette-Ménager sur la taxe départementale des espaces naturels sensibles (TDENS), il s’agit d’un outil fiscal que les collectivités littorales utilisent notamment pour financer la gestion d’espaces acquis par le Conservatoire. Celui-ci est un bénéficiaire important de cette taxe sur le bâti qui présente l’avantage d’être une recette affectée.

Maxime Bono m’a interrogé sur la dépoldérisation et plus généralement sur les conséquences du réchauffement climatique sur le trait de côte. Les terrains acquis par le Conservatoire sont touchés, notamment en ce qui concerne la biodiversité propre à ces espaces, et nous sommes naturellement également attentifs aux parcelles contiguës. Pour cette raison, nous sommes susceptibles d’intervenir pour la construction de digues ou d’ouvrages de protection contre la montée des eaux. Nous restons vigilants et nous nous adaptons au cas par cas, sans dogmatisme, ainsi que je l’avais expliqué lorsque la mission d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia m’avait auditionné.

Jacques le Nay m’a demandé si le Conservatoire était associé à la rédaction des plans locaux d’urbanisme (PLU). Nous ne le sommes probablement pas suffisamment, mais c’est d’abord une question de moyens. Dans les communes littorales, les maires restent très sensibles à notre intervention car elle leur permet de répondre à la pression foncière. Le rôle de médiation des délégués du Conservatoire, lorsqu’ils réfléchissent avec ces élus locaux à leur urbanisme, qu’il s’agisse de PLU ou de schémas de cohérence territoriale (SCOT), me paraît irremplaçable, notamment dans la définition des zones de préemption. Leur expertise peut être sollicitée par un maire. Il leur revient également d’alerter les élus de zones dans lesquelles ils ont identifié des pressions répétées, qui peuvent leur avoir été signalées par les directions des territoires et de la mer (DDTM).

Catherine Quéré m’a interrogé sur notre politique en direction des jeunes agriculteurs. Nous favorisons naturellement leur installation sur les espaces à vocation agricole que nous détenons, en dialoguant avec les chambres d’agriculture qui ont reçu cette compétence nouvelle de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010. Nos conventions – car nous ne pouvons conclure de baux ruraux qui seraient incompatibles avec le régime juridique du domaine public maritime – offrent des garanties équivalentes à ceux-ci et elles sont naturellement renouvelables. Lorsqu’un agriculteur signataire d’une telle convention part à la retraite et qu’il souhaite transmettre son exploitation, le Conservatoire accepte d’en modifier le bénéficiaire sous réserve que toutes les clauses de la convention aient été respectées. J’en profite pour préciser que, comme nous avons rencontré les représentants de la FNSEA, nous sommes disposés à rencontrer les délégués d’autres syndicats agricoles.

M. Jean-Pierre Marcon, les sentiers du littoral ou sentiers douaniers constituent une très belle réalisation, mais le Conservatoire ne peut assurer leur continuité que lorsqu’il est propriétaire des terrains sur lesquels ils se situent. Lorsqu’il ne l’est pas, cette préservation dépend de l’efficacité des représentants de l’Etat, qu’il s’agisse du préfet ou du directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Je constate cependant que les services de l’Etat ne disposent ni de l’expérience ni la stabilité des délégués du Conservatoire, dont la pratique de la concertation reste à mon sens inégalée grâce à leur connaissance du milieu.

S’agissant de la question de Bernard Lesterlin sur les cinquante pas géométriques outre-mer, nous avons transposé ce qui avait été fait pour le domaine public maritime, notamment avec les différentes agences sur place. Nous avons sur cette question quinze ans de retard : la délégation du Conservatoire pour l’outre-mer n’a vu le jour qu’en 1996 et les collectivités ultramarines avaient à l’origine un intérêt limité pour nos activités. Aujourd’hui, nous assistons a contrario à un véritable engouement : les conseils de rivage des Caraïbes et de l’Océan indien sont extraordinairement vivants et les élus se passionnent pour la protection des espaces naturels, dont ils ont bien perçu le caractère stratégique pour la préservation de la biodiversité.

Concernant le service civique, j’ai personnellement pris contact avec Martin Hirsch à la prise de ses fonctions de président de l’Agence du service civique. Le Conservatoire comme l’AAMP ont fait acte de candidature. Mais le fait que nous ne soyons pas gestionnaires obère nos possibilités de recrutement, l’essentiel des effectifs pouvant être accueilli au sein des collectivités territoriales, soit directement, soit via le corps des gardes du littoral.

A la question, posée par Didier Gonzales, de savoir si le Conservatoire peut intervenir sur des espaces naturels reconnus en zone urbaine, la réponse est négative. Le Conservatoire n’a ni les moyens ni la compétence pour ce faire. C’est un problème qui pourrait trouver sa solution dans la création d’une agence de la nature qui s’occuperait de ce qu’on pourrait appeler la « biodiversité ordinaire ».

Jean-Luc Pérat m’a interrogé sur les wateringues que la délégation du Conservatoire pour le Nord-Pas-de-Calais connaît en deux lieux : la moyenne vallée de la Somme et le parc de l’Audomarois. Sur le littoral, nous agissons, lorsque nous sommes propriétaires, en concertation avec le syndicat de gestion des eaux. Il faut avoir conscience que l’eau peut, en cas de tempête ou de montée brutale, couvrir une zone allant de Dunkerque à Saint-Omer : le réseau hydrographique est à la fois ancien et fragile, car il se trouve sous le niveau de la mer.

La préemption, pour répondre à François Grosdidier, est une question que nous traitons quotidiennement. Lorsque la vente d’un bien immobilier est envisagée dans une zone de préemption, le notaire doit notifier la déclaration d’intention d’aliéner au Conservatoire qui en assure le traitement. Si le Conservatoire décide d’acquérir la parcelle, et c’est une décision que nous prenons en concertation avec la commune, le département ou la SAFER, nous le faisons en mobilisant notre budget propre. Il nous arrive parfois, lorsque celui-ci se révèle insuffisant pour réaliser l’acquisition, de bénéficier du portage de la collectivité concernée que nous remboursons ensuite. Le Conservatoire collabore de façon extraordinairement partenariale avec l’ensemble des collectivités locales concernées par son action, car nous avons tous la certitude d’œuvrer à la préservation d’un patrimoine partagé.

M. Jean-Luc-Pérat. Pourriez-vous préciser à quel niveau se situe notre coopération avec la Belgique et les Pays-Bas sur les « wateringues », car ces deux pays investissent conjointement sur la sécurité du réseau dans le cadre du programme européen Delta ?

M. Jérôme Bignon, président du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres. Je n’ai pas connaissance de coopération de ce type, bien qu’étant personnellement très intéressé par le plan Delta. Les Pays-Bas ont adopté une démarche extrêmement convaincante puisqu’ils investissent un milliard d’euros par an dans leur réseau, qui est une condition de survie car 40 % de leur territoire est potentiellement inondable, et qu’ils gardent la mémoire des catastrophes naturelles comme l’inondation du 31 janvier 1953 qui causa la mort de 1 800 personnes. Leur organisation est à mon sens exemplaire et doit inspirer notre réflexion.

M. Christian Jacob, président. Je remercie Jérôme Bignon de la clarté de son exposé et de la précision de ses réponses.

Mes chers collègues, je vous rappelle qu’à la suite de notre réunion aura lieu la réunion constitutive de la mission d’information relative à la biodiversité. Un mot sur les objectifs de la mission : il s’agit d’abord de dresser un inventaire de tous les organismes et institutions concernés, de leur champ d’intervention et des éventuels recoupements, car la lisibilité de leur action reste problématique. C’est une des difficultés sur lesquelles nous avons d’ailleurs buté lors des travaux préparatoires du « Grenelle II », ce qui explique que, sur ce point, la loi manque parfois de concision. Il faudra ensuite que cette mission fasse des propositions afin d’améliorer l’efficacité de tous les acteurs de la biodiversité.

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Information relative à la commission

La mission d’information relative à la biodiversité a procédé à l’élection de son bureau, qui est composé comme suit : M. Serge Grouard, président, Mme Geneviève Gaillard, rapporteure.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 20 octobre 2010 à 9 h 30

Présents. - Mme Chantal Berthelot, M. Jérôme Bignon, M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Françoise Branget, M. Christophe Caresche, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Frédéric Cuvillier, Mme Claude Darciaux, M. Lucien Degauchy, M. Stéphane Demilly, M. Raymond Durand, M. Philippe Duron, M. Albert Facon, M. Daniel Fidelin, M. André Flajolet, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Jean-Pierre Giran, M. Joël Giraud, M. Didier Gonzales, M. François Grosdidier, M. Serge Grouard, M. Michel Havard, M. Christian Jacob, M. Jacques Kossowski, Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Pierre Lang, M. Thierry Lazaro, M. Jacques Le Nay, M. Bernard Lesterlin, M. Gérard Lorgeoux, M. Jean-Pierre Marcon, Mme Christine Marin, M. Philippe Meunier, M. Bertrand Pancher, M. Yanick Paternotte, M. Christian Patria, M. Jean-Luc Pérat, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Philippe Tourtelier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Jean-Yves Besselat, M. André Chassaigne, M. Yannick Favennec, M. François-Michel Gonnot, M. Armand Jung, Mme Conchita Lacuey, M. Jean Lassalle, M. Jean-Marc Lefranc, Mme Annick Lepetit, M. Philippe Martin, M. Arnaud Montebourg, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, Mme Sophie Primas, M. Jean-Marie Sermier, M. André Vézinhet

Assistait également à la réunion. - M. Daniel Paul