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Mercredi 11 mai 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 47

Présidence de M. Serge Grouard Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Perben dont la nomination au poste de président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) est envisagée par le Président de la République

– Information relative à la commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission a auditionné M. Dominique Perben dont la nomination au poste de président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) est envisagée par le Président de la République.

M. le président Serge Grouard. La présidence de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) est vacante depuis la nomination de Gérard Longuet comme ministre de la défense.

La commission de l’économie du Sénat a auditionné hier soir M. Perben, dont la nomination à cette présidence est envisagée par le Président de la République. A la suite de la présente audition, nous procéderons à un scrutin avec appel nominal et vote à la tribune sur cette nomination.

Le financement des infrastructures de transport est un sujet essentiel pour notre commission, qui en a déjà débattu à de multiples reprises.

Nous avons eu par ailleurs à examiner le schéma national des infrastructures de transport (SNIT). La question de son financement se pose aujourd’hui à tous.

M. Dominique Perben, candidat à la présidence de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). La présidence de l’AFITF est effectivement vacante depuis que Gérard Longuet a été nommé ministre de la défense.

Comme vous le savez, elle est normalement confiée à un parlementaire, ce que je suis depuis 1986. J’ai aussi été – ce qui est également important pour l’AFITF – élu local pendant longtemps : vingt ans maire de Chalon-sur-Saône et dix ans conseiller général de Saône-et-Loire puis, plus récemment, du Rhône.

Par ailleurs, j’ai eu la responsabilité du ministère des transports et ai connu l’AFITF entre 2005 et 2007, au début de son fonctionnement.

L’AFITF a un premier intérêt, qui a fait débat, comme l’a montré le rapport de la Cour des comptes sur le sujet : apporter un flux régulier de financement des grandes infrastructures. Elle a été créée à la suite du Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) de 2003 : Jean-Pierre Raffarin avait voulu à l’époque définir les grands chantiers futurs. On avait estimé qu’existait un certain retard dans le rythme de réalisation des grands investissements de transport, aussi bien routiers que ferroviaires ou fluviaux. Le gouvernement Raffarin a souhaité créer l’Agence pour que l’on sorte du principe de l’annualité budgétaire, qui est un drame pour ce type d’infrastructures, la réalisation d’une autoroute, d’une voie ferrée ou d’un canal exigeant du temps et une décision dans la durée. Il faut donc avoir une vision de moyen et long terme en la matière.

Après le CIADT de 2003, a eu lieu le débat – auquel votre commission a participé – sur le Grenelle de l’environnement, avec la nécessité de mettre en place les financements correspondants.

Depuis 2004, l’Agence a apporté 18,6 milliards en autorisations d’engagement et 11,5 milliards en crédits de paiement. Elle a donc joué son rôle. Cela a notamment été le cas en termes de report modal : alors que les ressources dont elle dispose, indépendamment des ressources budgétaires de l’État, sont routières, seulement 37 % de son budget bénéficie au secteur routier.

Plusieurs problématiques sont, à mes yeux, importantes pour l’avenir. J’ai lu le rapport critique de la Cour des comptes sur l’AFITF, lequel concluait à l’opportunité de sa suppression. Il résulte d’une vision très financière, qui considère, peut-être dans l’esprit de ce que l’on pense à Bercy, que tout ce qui introduit de la rigidité – nous dirions de la continuité – dans les financements publics est à combattre et qu’il faut respecter une annualité budgétaire stricte, de façon à ce qu’il n’y ait pas de contrainte vers la dépense.

Pour autant, les observations de la Cour méritent l’attention. L’inspecteur général Claude Gressier a par la suite rédigé un rapport faisant un certain nombre de propositions – en partie reprises par le ministre et M. Longuet – qui sont intéressantes et me permettent d’évoquer les problématiques futures.

D’abord, l’AFITF est un des rares lieux où un véritable échange est possible entre l’État et les collectivités territoriales, lesquelles jouent un rôle important dans la réalisation des grandes infrastructures de notre pays. Elle permet de nourrir un débat assez riche – et indispensable – sur des choses concrètes, des projets précis. Si je suis nommé, je souhaiterais réfléchir avec les autres membres du conseil d’administration, en particulier les autres membres élus, sur la manière dont l’AFITF pourrait accroître son action dans ce domaine, en particulier dans le dialogue avec les régions.

La deuxième problématique est celle des ressources. La situation de l’Agence a très vite évolué après sa création : lors de son discours d’investiture, le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin, a annoncé devant le ministre de l’équipement et des transports que j’étais – un peu étonné, voire consterné – la privatisation des sociétés de gestion d’autoroute. Cette information importante n’a pas été stabilisante pour moi, qui venais d’être nommé seulement quelques heures auparavant : dans ce cas-là, soit on démissionne, soit on fait son travail. J’ai choisi de faire mon travail, notamment en « sauvant les meubles », en faisant le lobbying nécessaire pour que, sur le fruit de cette vente, nous récupérions 4 milliards d’euros. La situation en 2005 était très difficile pour le financement des grandes infrastructures – la plupart des grands chantiers ont été arrêtés pour des raisons financières : cet apport a permis de relancer beaucoup d’entre eux, ce qui a conduit à assurer une activité importante à ce secteur et à apporter des réponses importantes à nos concitoyens.

Cela étant, à partir de ce moment-là, on est passé à un système un peu hybride – qui n’était pas dans l’esprit de l’AFITF au départ –, dans lequel il était nécessaire –indépendamment des 4 milliards, qui n’ont pas permis de le faire vivre longtemps – d’avoir des dotations budgétaires. Mais nous nous orientons vers un système différent, puisque le principe de l’écotaxe a été acté et que, nonobstant les difficultés de nature juridique qui se posent et retardent le processus, à partir de la fin de 2013, nous devrions disposer d’une recette pérenne supplémentaire de l’ordre de 900 millions grâce à cette redevance sur les poids lourds. Cela devrait nous permettre d’avoir un système relativement durable de recettes.

Cependant, pour 2012 et 2013, nous devrions être confrontés à un « gap » financier, qui nécessitera des discussions avec le Gouvernement, lequel devra prendre ses responsabilités pour faire face à cette période difficile en termes d’équilibre financier – entre les besoins tels qu’ils résultent des opérations déjà engagées, ou de celles qu’il faut impérativement engager, et les recettes.

Troisième problématique, bien relevée en creux par la Cour des comptes et de manière positive par le rapport Gressier : ce que l’AFITF pourrait faire en matière d’évaluation. Je suis convaincu que celle-ci pourrait apporter davantage dans ce domaine. Il ne s’agit pas de lui faire jouer le rôle du Parlement ou du Gouvernement – à chacun sa mission –, mais, compte tenu de la composition de son conseil d’administration et de son rôle dans les conventions de financement des grandes opérations, elle devrait avoir une action plus importante dans l’évaluation qualitative des projets, en posant des questions après une réflexion et un travail préalables. Je ne pense pas que cela devrait pour autant la conduire à avoir un pouvoir de décision dans la hiérarchisation de ces projets – lequel appartient au Gouvernement et au Parlement –, mais une capacité de demander des expertises ou de solliciter éventuellement des experts extérieurs au système traditionnel.

Dans les dix ou quinze prochaines années, la puissance publique va être confrontée à un travail difficile en termes d’évaluation de la qualité des projets, de leur utilité et de leur indispensable hiérarchisation – ceux-ci étant nombreux –, pour que la dépense publique soit valorisée au mieux. Si je suis nommé, je souhaiterais rapidement parler de cette question avec les administrateurs.

Dernière problématique, dans laquelle l’AFITF pourrait également jouer un rôle plus important : la réflexion sur l’ingénierie financière. Si nous avons évolué depuis une dizaine d’années dans ce domaine, peut-être serait-il intéressant que l’AFITF aille un peu plus loin dans l’analyse de ce qui se fait dans d’autres pays – afin de voir comment on pourrait mobiliser davantage un certain nombre de moyens publics ou privés pour assurer le financement des énormes besoins que nous avons en matière d’équipements publics.

M. Maxime Bono. Personne ne vous fera le mauvais procès de vous dire que vous ne connaissez pas le monde des transports : vous avez en effet été ministre des transports, mais à une période que nous jugeons particulièrement funeste pour l’AFITF. Nous avons salué la création de cette agence : elle avait pour but de transférer les recettes de la route vers le financement de modes alternatifs de transport, grâce aux fonds résultant des dividendes attendus des sociétés d’autoroutes – 42 milliards étaient ainsi escomptés jusqu’à 2032. Ces sociétés ont été vendues pour environ 14 milliards d’euros : or, M. Zacharias, alors président-directeur général de Vinci, avait demandé 8 millions d’euros de prime pour avoir correctement négocié ces ventes, ce qui donne une idée de ce que la nation a perdu ce jour-là !

Outre le fait que cette privatisation s’est traduite par une hausse faramineuse des tarifs, une opacité sans précédent dans leur élaboration et une quasi-impossibilité pour l’État, comme l’avait déjà relevé un rapport de la Cour des comptes, de contrôler cette hausse, elle a signé l’arrêt de mort à terme de l’AFITF par asphyxie financière.

J’en veux pour preuve le titre du rapport de la Cour des comptes « L’AFITF : une agence de financement aux ambitions limitées, privée de ses moyens, désormais inutile ». Je n’irais peut-être pas jusque-là, mais quand un rapport de la Cour a un tel titre, on peut penser qu’il s’agit d’une mort programmée. Je pense que cette mort était programmée dès l’instant où l’on retirait à l’Agence ses recettes pérennes et où on l’amenait à dépendre de recettes budgétaires et de l’annualité budgétaire, dont vous avez vous-même dit à l’instant qu’elle constituait un drame pour des infrastructures qui devaient se développer sur plusieurs années.

Au moment de la privatisation, on avait dit que la recette qui en serait tirée contribuerait à couvrir le déficit budgétaire ; or, à l’époque, en 2005, la dette de la France s’élevait à 1 145 milliards d’euros : les 14 milliards obtenus ont constitué en comparaison une goutte d’eau.

Aujourd’hui, on constate que, dans l’arrêt du 3 avril 2011, le processus de mise en œuvre de la taxe sur les poids lourds est annulé, qu’il est reporté à 2014 ou fin 2013 dans le meilleur des cas : le temps que les recettes montent en puissance, cela signifie que l’Agence va dépendre des ressources budgétaires jusqu’à 2014, voire 2015. Je ne sais pas, dans ces conditions, comme elle pourra faire face aux grands défis qui sont devant nous. Comment allons-nous répondre en matière ferroviaire au besoin de sillons nouveaux – sachant que vous voulez ouvrir le marché à la concurrence ? Comment allons-nous remettre à niveau le réseau, qui a besoin d’un entretien, lequel fait défaut aujourd’hui ?

Vous nous parlez d’une agence d’ingénierie, d’expertise des projets : je crains que même avec beaucoup d’inventivité en la matière on ne soit pas en mesure de faire face aux défis considérables du monde des transports, qui supposent des investissements très importants. Cela est rendu impossible parce que la principale recette de l’AFITF a été supprimée par la privatisation des autoroutes. Je veux bien admettre qu’il s’agit d’une commande du Premier ministre de l’époque mais c’est vous, monsieur Perben, qui l’avez portée, organisée, défendue : vous avez été l’auteur de ce mauvais coup porté au financement du transport dans notre pays et vous comprendrez, dans ces conditions, que nous ne pouvons nous associer à votre nomination.

M. André Chassaigne. Je souhaiterais insister sur la place que devrait prendre l’AFITF face aux défis très importants de notre société, qu’il faut appréhender à leur juste niveau. C’est le cas en particulier du défi du réchauffement climatique : si des mesures ne sont pas prises, en particulier dans le domaine des transports, notre planète court rapidement à la catastrophe. Quels outils comptez-vous mettre en œuvre dans ce domaine ? Pensez-vous avoir les moyens nécessaires pour répondre aux défis actuels ?

Je souhaite citer trois exemples à cet égard. En premier lieu, l’immense déséquilibre entre les modes de transport : le Grenelle de l’environnement en particulier a retenu l’objectif du développement du fret ferroviaire ; or, mois après mois, on assiste à un effondrement de ce mode de transport au profit de la route, avec des conséquences gravissimes, non seulement en termes de gaz à effet de serre mais aussi de qualité de vie – une véritable asphyxie qui se fera jour rapidement si on ne prend pas les dispositions pour inverser cette évolution. Pensez-vous que le fret ferroviaire peut être considéré d’intérêt général au regard de ces enjeux ?

Deuxième exemple : le drame que vit le centre de notre pays avec la Route Centre-Europe atlantique (RCEA), qui traverse notamment les départements de la Saône-et-Loire, de l’Allier et de la Creuse, et enregistre, en Auvergne en particulier, des dizaines de morts chaque année, parce que l’État n’a jamais voulu prendre ses responsabilités sur l’aménagement de ces routes. Nous avons une exigence de dialogue entre l’État et les collectivités territoriales, mais aussi entre ces collectivités – je pense aux départements de l’Allier et de la Saône-et-Loire. Pensez-vous que vous pourrez avoir un rôle de dialogue pour faire avancer ce type de projet, qui est bloqué depuis des années, faute de réponse adaptée ?

Dernier exemple : celui des autoroutes. On assiste aujourd’hui, après la privatisation, à une forme de dégradation et à une grande colère des citoyens à l’égard des profits énormes engendrés par les sociétés privées de gestion et de l’absence de retour sur le transport et les grandes infrastructures routières de notre pays. Ne faudrait-il pas remettre à plat cette question, qui est liée à l’aménagement du territoire dans son ensemble et, s’agissant du développement de ces infrastructures, à des problèmes touchant à l’utilité, à la qualité et aux conséquences territoriales ?

M. Martial Saddier. À titre personnel, je me réjouis de votre candidature : votre compétence n’est pas contestée et l’on a pu vérifier, lors des fonctions que vous avez exercées, que vous étiez très disponible, à l’écoute, et que vous aviez la capacité de faire bouger les lignes.

Que pensez-vous du report modal et du rapport 70 %-30 % dans la répartition du budget de l’Agence entre les projets bénéficiant à d’autres secteurs que le routier et ceux relevant de celui-ci ? Ce rapport doit-il évoluer ?

Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la date de mise en œuvre de l’écotaxe – cette date ayant été reportée à plusieurs reprises et posant un problème de crédibilité ?

À combien évaluez-vous le « gap » financier que vous évoquiez pour 2012 et 2013 ?

Je salue votre proposition de réfléchir à de nouveaux modes de financement : favoriserez-vous également une expertise internationale et sensibiliserez-vous notre pays à de nouveaux modes de déplacement, sachant que de grandes métropoles ou certains territoires dans le monde développent de nouvelles techniques de transport moins onéreuses ?

Enfin, j’ai voté l’ensemble des dispositions concernant le Grand Paris, mais nous sommes confrontés à un engorgement nouveau des zones périurbaines et des grandes villes de demain. Quelles sont vos propositions en la matière, notamment pour mettre en place des transports collectifs ?

M. Philippe Duron. Monsieur Perben, vous êtes un spécialiste des transports et des infrastructures, et vous avez été ministre de l’équipement pendant plusieurs années.

L’AFITF a été créée pour deux raisons principales : assurer un financement pérenne aux infrastructures ; permettre une plus grande transparence entre les différents ministères et les élus sur les choix retenus concernant celles-ci et les projets.

Aujourd’hui, sur le premier point, l’AFITF est de fait largement fragilisée, ce qui pose, comme le fait la Cour des comptes, la question de son utilité et de sa survie. La taxe kilométrique sur les poids lourds était une des réponses du Gouvernement à ce problème, mais elle est différée et insuffisante. Si la troisième directive sur l’écotaxe est publiée d’ici la fin de l’année, sera-t-il possible d’améliorer la taxe sur les poids lourds en internalisant certaines dépenses liées au transport ?

M. Gressier avait suggéré dans son rapport l’émission d’obligations à vingt ou vingt-deux ans, qui pourraient être remboursées lorsque la concession des autoroutes serait renouvelée : que pensez-vous de cette mesure, qui redonnerait de l’oxygène à l’AFITF à un moment où l’État est en grande difficulté financière ?

Enfin, aujourd’hui la régénération des infrastructures de transport est une priorité : on sait l’effort demandé à la SNCF et à RFF en la matière ; or, on constate ici et là que les programmes ne sont pas tenus, dans la mesure où RFF n’en a pas les moyens humains et techniques. Comment voyez-vous l’évolution de cette question ?

L’AFITF a également été créée pour assurer le transfert de ressources de la route vers d’autres modes de transport, mais on observe que l’État a eu du mal à entretenir son propre réseau routier – la meilleure preuve est qu’il en a transféré une grande partie aux départements – et ceux-ci vont avoir demain les difficultés financières que l’on connaît : quelle est votre opinion sur le bon maintien et la modernisation du réseau routier au regard notamment des questions de sécurité ?

M. Bertrand Pancher. Je me réjouis également de la candidature de Dominique Perben. Nous avons en effet besoin d’un bon connaisseur des transports, notamment dans le contexte actuel.

Je suis frappé par la position de l’ensemble des acteurs de la société civile – les organisations environnementales et syndicales, les entreprises et le MEDEF – dans le cadre d’une réflexion récente qui a donné lieu à des propositions unanimes, notamment sur le fait qu’il fallait réfléchir à des ressources nouvelles pour financer les infrastructures et à l’adaptation de l’offre de celles-ci – en disant qu’on a certainement moins besoin de grands travaux mais beaucoup plus d’entretien et moins de très grande vitesse et beaucoup plus de couverture de l’ensemble du territoire.

Les hauts fonctionnaires compétents et le Gouvernement se sont retrouvés un peu « acculés » face à ces propositions : l’AFITF peut constituer une aide précieuse en la matière dans ce rôle d’ingénierie que vous proposez. Votre suggestion est également intéressante pour le Parlement, qui dispose de peu d’agences pour se forger son propre point de vue sur des projets de long terme.

Quel est votre avis sur ces propositions, notamment sur l’adaptation de l’offre d’infrastructures ?

M. Bernard Lesterlin. À combien évaluez-vous aujourd’hui les sociétés d’autoroutes privatisées – semble-t-il à votre corps défendant – par Dominique de Villepin en 2005 ? On peut toujours regretter une décision mais cela est plus difficile lorsqu’on a eu à la mettre en œuvre…

Quelle est votre position sur les concessions des autoroutes ou voies express existantes dont on voit difficilement comment on ne pourrait pas les faire aboutir – je pense notamment à la RN 7 et à la RCEA ?

M. Jean-Marie Sermier. Monsieur Perben, les enjeux du transport sont multiples et vous êtes mieux placé que quiconque pour les appréhender.

L’AFITF, qui est un établissement public dont l’objectif est d’assurer le financement des infrastructures de transport, aura à l’avenir une mission de réflexion et d’ingénierie. Les moyens de l’Agence lui permettront-ils d’assumer cette mission prospective ?

Quelle est votre réflexion sur les nouveaux modes de transport ? Qu’en est-il en particulier de l’hydrogène – nous aurons dans les prochaines années une liaison autoroutière entre l’Allemagne et l’Italie proposant ce combustible : l’AFITF sera-t-elle associée à ce type de projet ?

Concernant l’ensemble des grands projets, je suppose qu’un chiffrage a été réalisé globalement au niveau national : quelles sont les priorités ? Comment seront-elles mises en œuvre ? La branche sud du TGV Rhin-Rhône en fera-t-elle partie ?

M. Didier Gonzales. Je me réjouis également de la candidature de Dominique Perben.

Le projet d’interconnexion sud des lignes à grande vitesse (LGV) en Ile-de-France – qui est inscrit dans la loi du 3 août 2009 relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement et dont RFF est le maître d’ouvrage – est en cours de discussion : permettant, sur le modèle de l’interconnexion Est, de contourner Paris et de faciliter les trajets province-province sans correspondance pour la capitale, il constitue un élément fondamental d’aménagement de notre territoire. Les sommes en jeu sont considérables et imposent des choix stratégiques : quel est l’état de votre réflexion sur ce sujet ?

M. Dominique Perben. Sur les ventes des sociétés d’autoroutes, j’ai bien compris les critiques qui me sont adressées : je n’y reviendrai pas sur un plan personnel, mais je voudrais dire deux choses.

D’abord, elles ne sont pas le seul avatar d’un combat traditionnel entre ceux qui souhaitent assurer des recettes pérennes à une partie de la dépense publique et ceux qui, en particulier guidés par nos grands spécialistes de Bercy, font tout pour que cela n’ait pas lieu. Je ne vais pas retracer l’historique de tous les fonds interministériels d’investissement, routiers notamment, qui ont existé dans le passé et qui, sous tous les gouvernements, ont été à un moment donné rognés ou supprimés compte tenu des nécessités financières : cela est une réalité, dont chacun peut ici se souvenir et qui conduit à relativiser les choses.

Monsieur Lesterlin, je ne suis pas en mesure de vous dire combien valent les sociétés d’autoroutes – je ne suis pas sûr d’ailleurs qu’il y ait un homme ou une femme en France qui le sache.

Par ailleurs, le rapport de la Cour des comptes n’est pas innocent non plus : il fait partie du même combat contre la mise de côté de moyens dans la durée.

Il faut essayer de préparer l’avenir. Je crois que l’AFITF est indispensable, non pas parce que je suis candidat à sa présidence, mais pour assurer ce que beaucoup d’entre vous ont évoqué : le report modal, qu’il faut sans doute accentuer, et la pérennité du financement – grâce à une fonction « antigel » budgétaire. Chaque année, quelques semaines après le vote du budget, le ministre des finances revient par arrêté sur des décisions que nous avons prises – cela fait deux cents ans qu’il en est ainsi, sans parler de l’Ancien Régime ! Or, l’AFITF permet de mettre de côté des capacités financières échappant aux mesures de gel budgétaire, ce qui est important pour la réalisation de nos investissements.

Concernant la taxe poids lourds, le Conseil d’État va rendre sa décision. Sur le fond, je n’ai rien à dire – il revient au Conseil de se prononcer – mais s’il prend une décision sur le fond et en cassation avant la période de vacances de l’été prochain, compte tenu des 21 moins prévus dans le projet, cette taxe pourrait être mise en œuvre à la fin de 2013.

Le « gap » global dont risque de souffrir l’AFITF en 2012 et 2013 est de l’ordre de 1,5 milliard d’euros.

L’expérimentation de la taxe poids lourds six mois avant en Alsace est bien prévue et n’a pas de raison d’être mise en cause par les avatars juridiques de ce dossier. Les Alsaciens avaient demandé – j’étais encore ministre de l’équipement à l’époque –, compte tenu du report de la circulation de l’Allemagne vers l’Alsace du fait de la taxe sur les poids lourds existant dans ce pays, de mettre en place cette taxe chez eux. L’expérimentation va permettre de tester le dispositif dans cette région avant d’être généralisé à l’ensemble du territoire.

Monsieur Duron, cette taxe pourrait éventuellement permettre, dans l’esprit de la nouvelle directive communautaire à venir, d’internaliser certains coûts. J’y suis tout à fait ouvert. Sur ce type de sujets, nous devons avoir un dialogue franc et constructif avec l’ensemble des acteurs. Il ne faut pas que les décisions de la puissance publique soient perçues par le monde du transport comme un système de sanctions. Ce monde peut être fragile – je rappelle qu’il est très diffus sur le territoire : dans nos villes petites ou moyennes, les entreprises de transport sont souvent les seules existantes. Il faut donc être très attentif à la façon dont ce secteur, indispensable à l’économie de notre pays, peut participer de façon constructive aux décisions. Cela ne sert à rien de s’engager dans des processus qui connaissent ensuite de telles difficultés politiques qu’on est ensuite amené à y renoncer. Ce dialogue – qui n’appartient pas principalement à l’AFITF, mais au ministre en charge des transports et aux parlementaires – est nécessaire.

Concernant la prise en compte des enjeux climatiques, touchant au fret ferroviaire et au report modal – qui correspond à l’idée qui a présidé à la création de l’AFITF ainsi qu’à l’esprit du Grenelle de l’environnement –, la régénération est très importante, non seulement dans le domaine ferroviaire, mais dans aussi dans le domaine routier. L’AFITF doit soulever les questions qui se posent en la matière.

Lorsque j’étais ministre en charge des transports, j’avais eu des difficultés sur les trains intercités et j’ai lancé le premier plan de régénération pour aider RFF à faire les travaux indispensables – dont beaucoup sont en cours, ce qui entraîne des retards dans les trains. Ce sujet en recouvre d’autres tels que le rapport entre travaux neufs et régénération ou grande vitesse et accélération des vitesses moyennes. Le débat qualitatif doit aussi porter sur cela. Il ne s’agit pas tant de faire la liste des projets en indiquant des numéros de priorité – ce qui relève du Gouvernement et du Parlement – que de poser des questions permettant de faire une véritable évaluation qualitative des projets pour être sûrs qu’ils sont valables et qu’on ne se trompe pas de stratégie. L’Agence peut constituer à cet égard une réelle valeur ajoutée, dans le respect des compétences des pouvoirs exécutif et législatif.

S’agissant de la renégociation des concessions – j’ai eu l’occasion d’en discuter avec des responsables du ministère –, il faut voir : il s’agit de concessions déjà très longues ; je ne sais pas si cette piste nous mènera très loin.

Monsieur Pancher, au sujet de l’accord assez général sur les besoins d’infrastructures, il est clair que les économies modernes sont très liées à la qualité des transports des marchandises et des hommes, laquelle est un facteur très important d’accélération de la croissance : un réseau de transports très performant peut être un élément déterminant à cet égard. Il n’est donc pas étonnant que l’ensemble des acteurs accorde une place privilégiée à ce secteur. Quant aux priorités, il nous appartiendra de poser un certain nombre de questions et de les déterminer.

S’agissant de certaines questions très précises – la branche sud du TGV Rhin-Rhône, les interconnexions au sud de l’Ile-de-France… –, lorsque l’AFITF en sera saisie, il lui appartiendra de soulever les questions qui se posent – si je suis nommé, je verrai en priorité avec les autres administrateurs de l’agence leur vision de notre rôle – avant de participer à la mise au point des conventions financières, pour être sûrs d’avoir tous les éléments à notre disposition.

Peut-on s’orienter vers des concessions sur des routes existantes ? En tant que ministre, j’avais été assez réservé sur ce point, non pour des motifs idéologiques, mais pour des raisons pratiques. Une jurisprudence européenne assez compliquée fait qu’on ne peut aller très loin dans la gratuité. Or, vous ne mettrez pas une route existante en concession si vous ne négociez pas en même temps la possibilité pour les utilisateurs locaux d’avoir un accès gratuit – sous peine de déclencher des émeutes ou des barricades ! La possibilité de voir accepter cette gratuité n’est peut-être pas immense, ce qui limite l’exercice.

M. le président Serge Grouard. Merci, monsieur Perben, de vos réponses.

J’ai été heureux de vous entendre sur cette question – beaucoup débattue ici – de la recherche d’un optimum au regard de nos capacités financières, qui est peut-être la clé principale pour savoir entre modernisation, nouveauté, grande vitesse, moins grande vitesse, ce vers quoi nous devons nous orienter. Pour l’instant, nous ne connaissons pas cet optimum – peut-être d’ailleurs n’existe-t-il pas ou y en a-t-il plusieurs ? En tout cas, il s’agit de sujets essentiels, qui, selon moi, ne sont pas suffisamment traités.

*

Après le départ de M. Dominique Perben, il est procédé au vote sur la nomination de ce dernier à la présidence de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les deux scrutateurs d’âge étant MM. Christophe Bouillon et Martial Saddier.

*

Les résultats du scrutin sont les suivants :


Nombre de votants


Bulletins blancs ou nuls


Suffrages exprimés


Pour


Contre


Abstention

◊ ◊

Information relative à la commission

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a désigné M. Yves Albarello, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à faciliter la mise en chantier des projets des collectivités locales d’Île-de-France (n° 3298).

M. Yves Albarello. Je souhaiterais souligner que la proposition de loi étant inscrite à l’ordre du jour du 30 mai, je devrai rapporter dès mercredi 18 mai prochain. Alors que le Sénat a eu le temps d’étudier ce texte, une nouvelle fois, comme pour le projet de loi relatif au Grand Paris, l’Assemblée nationale est défavorisée par l’ordre du jour et doit travailler dans l’urgence.

M. François Grosdidier. Ce délai très court explique que nous ayons choisi un rapporteur d’une grande vivacité (sourires).

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 11 mai 2011 à 10 heures

Présents. - M. Yves Albarello, Mme Chantal Berthelot, M. Jérôme Bignon, M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, M. Jean-Claude Bouchet, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Christophe Caresche, M. Jean-Paul Chanteguet, M. André Chassaigne, Mme Claude Darciaux, M. Marc-Philippe Daubresse, M. David Douillet, M. Raymond Durand, M. Paul Durieu, Mme Odette Duriez, M. Philippe Duron, M. Albert Facon, M. Daniel Fidelin, M. André Flajolet, M. Joël Giraud, M. Daniel Goldberg, M. François-Michel Gonnot, M. Didier Gonzales, M. François Grosdidier, M. Serge Grouard, M. Michel Havard, M. Antoine Herth, M. Armand Jung, Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Pierre Lang, M. Jacques Le Nay, Mme Annick Lepetit, M. Gérard Lorgeoux, M. Jean-Pierre Marcon, M. Gérard Menuel, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. René Rouquet, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. André Vézinhet

Excusés. - M. Jean-Yves Besselat, M. Guy Delcourt, Mme Geneviève Gaillard, M. Thierry Lazaro, M. Jean Lassale, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Max Roustan, M. Philippe Tourtelier

Assistaient également à la réunion. - M. Bernard Lesterlin, M. Patrice Martin-Lalande, M. Germinal Peiro