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Mardi 29 novembre 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Serge Grouard Président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur l’accès à l’eau avec la participation de M. André Flajolet, président du Comité national de l’eau et de M. Philippe Guettier, conseiller dans le cadre de la mission du VIe Forum mondial de l’eau, de M. Alexis Delaunay, directeur du contrôle des usages et de l’action territoriale de l’ONEMA, de M. Jean Philippe Torterotot, secrétaire de l’association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement (ASTEE), de M. Igor Semo, directeur des relations institutionnelles de Lyonnaise des Eaux, vice-président de la fédération professionnelle (FP2E) et du Partenariat Français pour l’Eau (PFE), membre du conseil d’administration de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur l’accès à l’eau avec la participation de M. André Flajolet, président du Comité national de l’eau et de M. Philippe Guettier, conseiller dans le cadre de la mission du VIe Forum mondial de l’eau, de M. Alexis Delaunay, directeur du contrôle des usages et de laction territoriale de l’ONEMA, de M. Jean-Philippe Torterotot, secrétaire de l’association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement (ASTEE), de M. Igor Semo, directeur des relations institutionnelles de Lyonnaise des Eaux, vice-président de la fédération professionnelle (FP2E) et du Partenariat Français pour l’Eau (PFE), membre du conseil d’administration de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA).

M. le président Serge Grouard. Au cours des derniers mois, la Commission du développement durable a organisé plusieurs tables rondes très intéressantes sur le développement économique maritime, la biodiversité marine, puis, avec notre collègue Fabienne Labrette-Ménager, les éco-organismes, et enfin la valorisation des biodéchets. Le thème que nous avons retenu pour cette table ronde est celui de l’accès à l’eau. Nous ne prétendons pas traiter aujourd’hui ce vaste sujet dans sa globalité. Nous l’aborderons donc sous l’angle de la préparation du VIe Forum mondial de l’eau, qui se tiendra l’année prochaine à Marseille. Nous nous intéresserons plus particulièrement à la filière amont, c’est-à-dire aux questions liées à la qualité et à la quantité de la ressource, à la répartition et au contrôle des usages entre les différentes activités ainsi qu’à l’accès pour les différents utilisateurs potentiels.

Nous recevons, pour en débattre, notre collègue André Flajolet – qui nous rejoindra d’ici quelques instants – en sa qualité de président du Comité national de l’eau, M. Philippe Guettier, conseiller auprès du VIe Forum mondial de l’eau, M. Alexis Delaunay, directeur du contrôle des usages et de l’action territoriale de l’ONEMA, M. Jean-Philippe Torterotot, secrétaire de l’Association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement, et M. Igor Semo, directeur des relations institutionnelles de Lyonnaise des eaux, vice-président de la Fédération professionnelle et du Partenariat français pour l’eau et membre du conseil d’administration de l’ONEMA.

M. Philippe Guettier, conseiller auprès du VIe Forum mondial de l’eau. Le VIe Forum mondial de l’eau se tiendra à Marseille du 12 au 17 mars 2012. Il s’agit d’un événement important, auquel sont attendus entre 20 000 et 25 000 participants du monde entier, représentant les différentes familles d’acteurs du secteur de l’eau et de l’assainissement – États, entreprises, autorités locales et régionales, organisations non gouvernementales, scientifiques et chercheurs. Le Gouvernement et les responsables marseillais et provençaux entendent faire de ce forum un véritable « Grenelle mondial de l’eau et de l’assainissement ». Il doit donc permettre de valoriser un certain nombre de solutions – c’est-à-dire de projets, de savoir-faire et d’expertises – dans le domaine de l’eau au niveau mondial. Il existe aujourd’hui de nombreuses solutions maîtrisées : il reste encore à les faire connaître, pour que les différents acteurs puissent les mettre en œuvre dans leur pays ou leur région.

Ce Forum est donc le forum des solutions, mais c’est aussi – et peut-être surtout – celui des engagements. L’idée est que les différentes catégories d’acteurs prennent des engagements concrets – datés et chiffrés – à Marseille. En outre, le forum verra l’instauration d’un mécanisme de suivi de la mise en œuvre de ces engagements, ce qui constitue une première.

Le forum a vocation à traiter d’un grand nombre de sujets, plutôt liés à l’eau douce – qu’elle soit superficielle ou souterraine – qu’aux eaux salées. Il se prépare activement et se déploie autour de quatre grands processus.

D’abord un processus politique, qui comporte à la fois un segment ministériel, un segment des autorités locales et régionales, et un segment des parlementaires. En ce qui concerne le segment ministériel, une réunion des représentants des gouvernements, à laquelle sont attendues plus de 150 délégations, se tiendra à Paris lundi et mardi prochains : il s’agit de travailler à une déclaration des ministres, aux solutions que proposeront les gouvernements et aux engagements qui doivent être pris par les États à Marseille. Le segment des autorités locales et régionales est piloté par Serge Lepeltier, ancien ministre en charge de l’environnement : l’un de ses objectifs est la reconnaissance du rôle des autorités locales et régionales, au niveau mondial, en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement – notamment, pour ce qui concerne la mise en œuvre du « droit à l’eau et à l’assainissement » reconnu par les Nations unies en 2010. Je laisse à André Flajolet, qui copréside le forum avec une députée coréenne, le soin de vous parler lui-même du segment parlementaire.

Il existe aussi un processus thématique, qui comprend quinze thématiques, un processus régional – sous forme d’un « Grenelle de l’eau » dans les grandes régions du monde – et un processus dit « événementiel » ou « racines », qui concerne plus particulièrement la communication et la mobilisation de la société civile à l’échelle internationale.

L’objectif de tous ces processus est clair : nous voulons voir les différents acteurs prendre des engagements en mars 2012, à Marseille.

M. Alexis Delaunay, directeur du contrôle des usages et de l’action territoriale de l’ONEMA. Je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Patrick Lavarde, directeur général de l’ONEMA, retenu à Lyon par les travaux du forum « recherche et environnement » organisé par l’ex-CEMAGREF.

Institué par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, l’ONEMA est pleinement mobilisé dans la perspective du VIe Forum mondial de l’eau. Il s’est vu confier au cours des années récentes de nouvelles missions, parmi lesquelles l’organisation de la recherche dans le domaine de l’eau. Nous préparons actuellement les dixièmes programmes des agences de l’eau, qui sont en passe d’être approuvés par le Parlement dans le cadre de la loi de finances pour 2012.

Le développement de l’expertise et de la recherche dans le domaine de l’eau est très important pour l’application des directives européennes et, en premier lieu, de la directive-cadre sur l’eau du 23 octobre 2000 (2000/60/CE). Pour rendre compte de la mise en œuvre de cette directive-cadre, nous devons en effet transmettre à la Commission européenne un ensemble de données sur l’état des eaux, sachant que la France s’est engagée dans le cadre du Grenelle de l’environnement à ce que les deux tiers des masses d’eau soient en « bon état écologique » – au sens de la directive – en 2015. L’ONEMA a été chargé de renforcer le système d’information sur l’eau afin de pouvoir rendre compte de manière homogène à Bruxelles. La Commission examine les plans de gestion établis par les pays de l’Union pour leurs bassins : elle évalue l’application des principes de la directive, les objectifs fixés pour les différents bassins, la motivation des reports de délai ou des dérogations. Le Blueprint annoncé pour 2012 comportera une évaluation des différents plans de gestion des districts européens. Il est donc nécessaire de renforcer le système d’information sur l’eau pour améliorer la cohérence des données transmises à Bruxelles dans le cadre de cette évaluation.

Selon le rapport d’information sur l’application du droit communautaire de l’environnement, que Mme Fabienne Keller a rédigé au nom de la Commission des finances du Sénat (12 octobre 2011), le nombre de contentieux dans le domaine de l’eau reste élevé, avec des risques financiers imminents dans le domaine de l’assainissement des eaux usées urbaines et une montée en puissance des contentieux liés à l’application de la directive-cadre sur l’eau. Il importe donc d’être particulièrement attentif aux données sur l’état des eaux que nous transmettons à Bruxelles et de mutualiser les informations entre les bassins, dans le cadre des dixièmes programmes des agences de l’eau.

Nous sommes tous très attachés à la qualité de l’eau potable ; or celle-ci dépend de la qualité de l’eau brute ou de la ressource en eau. Atteindre le bon état écologique des eaux nous permettra donc d’avoir une eau potable de qualité avec un coût de traitement diminué. Malheureusement, le premier baromètre de l’opinion sur l’eau montre que si les attentes des Français en termes de préservation des ressources en eau et de qualité de l’eau potable sont fortes, le lien entre, d’une part, la qualité de la ressource en eau et de l’eau brute et, d’autre part, celle de l’eau potable, est encore mal établi. De grands progrès restent à accomplir dans ce domaine.

L’ONEMA travaille également sur le contrôle des usages, pour éviter une dégradation irréparable de la qualité des eaux, ainsi que sur l’appui aux politiques locales de l’eau. En 2009, 45 % des masses d’eau étaient en bon état ; nous devons atteindre l’objectif de 66 %. Les travaux d’assainissement et de réduction des pollutions ponctuelles vont dans le bon sens, mais nous devons aussi conduire des actions dynamiques d’amélioration des milieux – restauration hydromorphique des cours d’eau – et de lutte contre les pollutions diffuses.

L’ONEMA est, par ailleurs, chargé d’un certain nombre d’actions. L’une d’entre elles, par exemple, concerne les départements d’outre-mer. Ceux-ci ont quarante ans de retard en matière de politique de l’eau, puisque les offices de l’eau y sont de création récente et restent fragiles. Ils ont donc besoin d’une solidarité inter-bassins avec les bassins de la métropole pour pouvoir appliquer les directives européennes. À cette fin, il est prévu un doublement de l’effort financier dans les dixièmes programmes.

Pour contribuer au plan Ecophyto 2018, la loi de finances pour 2009 a, par ailleurs, confié à l’ONEMA des missions visant à réduire l’utilisation des pesticides de 50 % d’ici à 2018, ce qui est très important pour la qualité de l’eau.

M. Igor Semo, directeur des relations institutionnelles de Lyonnaise des eaux, vice-président de la Fédération professionnelle (FP2E) et du Partenariat français pour l’eau (PFE), membre du conseil d’administration de l’ONEMA. Je vous prie d’excuser Philippe Maillard, directeur général de Lyonnaise des eaux, qui a pris la succession d’Isabelle Kocher le 1er octobre. Je m’exprimerai ici exclusivement en ma qualité de représentant de Lyonnaise des eaux.

Lyonnaise des eaux est aujourd’hui en mesure de présenter l’aboutissement d’une réflexion approfondie engagée il y a deux ans. Cette démarche, appelée Idées neuves sur l’eau, a été exposée lors du congrès des maires la semaine dernière. Il s’agit d’une série d’initiatives destinées à revisiter les thèmes habituels du domaine de l’eau pour les aborder sous un angle nouveau. Des comités d’experts, présidés par Eric Orsenna et Luc Ferry, ont été mis en place pour réfléchir au futur de l’eau en France. Nous estimons, par exemple, qu’il faut reconsidérer les approches traditionnelles en matière d’accès à l’eau.

Le document que je vous ai remis, intitulé « Le contrat pour la santé de l’eau », comporte trois parties.

La première dresse un constat, celui de la rareté de la ressource. Pendant longtemps, nous avons considéré qu’il n’y avait pas de problème particulier en France dans ce domaine. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Certes, il n’existe pas de problème général sur le plan quantitatif, mais ce qui compte, ce sont les situations locales. Or, dans bien des cas, on observe des tensions sur la ressource en eau et des difficultés que nous n’aurions pas imaginées il y a encore quelques années. La ressource est mal répartie et les besoins sont très concentrés à certains endroits et à certaines périodes de l’année. Au terme de ces deux années d’expertises, nous arrivons à la conclusion qu’environ 20 % du territoire est en tension – ce qui est important. Selon l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC), il faut s’attendre à un déficit de 2 milliards de mètres cubes à l’horizon 2050, sachant que la consommation annuelle représente 6 milliards de mètres cubes.

Il faut aussi prendre en compte l’impact du réchauffement climatique. Michel Havard a conduit sur ce sujet une concertation à laquelle j’ai participé. Le réchauffement climatique se traduira inévitablement en France par des épisodes sévères de sécheresse et d’inondations. Il induit aussi – ce qui est moins connu – un risque de montée du niveau de la mer qui aura pour conséquence une salinisation des nappes souterraines. Sans verser dans le catastrophisme, nous devons mesurer les risques auxquels nous sommes exposés.

Le Gouvernement a lancé une politique volontariste de réduction de 20 % de la consommation en eau d’ici à 2020. En tant qu’opérateur desservant 14 millions d’habitants, Lyonnaise des eaux est bien entendu un acteur de cette meilleure maîtrise de la consommation.

Lorsqu’on parle d’accès à l’eau, encore faut-il savoir quelle est la qualité de l’eau à laquelle on veut accéder. Les nouvelles pollutions – qui reflètent l’évolution des modes de vie et le vieillissement des populations – sont un sujet important. Nous les mesurons de mieux en mieux, au nanogramme près, car nos instruments d’analyse sont plus performants. Des problématiques nouvelles apparaissent, comme celle des résidus médicamenteux, dont on relève des traces dans 25 % des prélèvements. De même, 25 % des substances prioritaires et émergentes ne sont pas – ou peu – biodégradables.

J’en viens à l’accessibilité. Le service de l’eau a longtemps été considéré comme accessible, puisqu’il ne représente que 0,8 % du budget des ménages. Il ne s’agit cependant que d’une valeur moyenne et la question désormais posée est celle de l’accès à l’eau des ménages en situation de précarité, pour lesquels la facture d’eau représente parfois plus de 3 % – limite considérée comme raisonnable – et jusqu’à 6 %, 7 % ou même 9 % du budget. Il faudra donc trouver une réponse appropriée.

Les conflits d’usage risquent, par ailleurs, de se multiplier. L’eau est mal répartie sur le territoire et se transporte difficilement sur de longues distances. Il faudra inévitablement aborder la question de l’usage de l’eau en agriculture, qui représente 80 % des consommations en période estivale. Lyonnaise des eaux a établi un partenariat avec Terrena, première coopérative agricole de France (22 000 adhérents), afin de travailler sur de nouvelles pratiques culturales et d’irrigation : il existe en effet des voies de progrès significatives dans ce domaine.

J’en viens à la biodiversité. Je me bornerai ici à un constat : 70 % des zones humides de notre pays ont disparu au XXe siècle. Il est donc nécessaire de se doter d’une politique publique en ce domaine et, là encore, nous sommes prêts à œuvrer aux côtés des pouvoirs publics.

L’accès à l’eau, c’est aussi l’accès à l’information sur l’eau pour les usagers comme pour les collectivités. En tant que délégataire, nous n’avons pas toujours su répondre aux attentes en ce domaine. Nous proposons donc des mesures d’amélioration significatives dans le document que nous vous avons remis.

Nos propositions et nos engagements sont déclinés dans les trois piliers du « Contrat pour la santé de l’eau », c’est-à-dire la deuxième partie du document qui vous a été remis.

Premier pilier : mieux gouverner l’eau pour bien la protéger, ce qui signifie un pouvoir de contrôle renforcé des collectivités, davantage de simplicité, de clarté et de transparence – y compris dans l’exploitation du service – et une connaissance partagée avec les usagers. Je vous invite à consulter le baromètre 2011 du Centre d’information sur l’eau (CIEau), Les Français et l’eau, qui vient d’être publié : il montre que, dans le domaine de l’eau, les préjugés sont encore légion – mais nous en sommes collectivement responsables.

Deuxième pilier : innover pour la santé de l’eau et en mesurer l’efficacité. Il s’agit de protéger le bon état écologique de l’eau et de trouver des solutions technologiques innovantes pour diminuer la consommation, quels que soient les usagers. Nous en expérimentons d’ores et déjà certaines, mais il reste encore des progrès à faire.

Troisième et dernier pilier : promouvoir une économie vertueuse et concertée de l’eau. Il s’agit non seulement de partager équitablement la valeur créée, mais aussi de rémunérer les opérateurs sur la performance environnementale. Ce serait un changement, car les opérateurs sont aujourd’hui rémunérés sur la base des volumes vendus et nous pensons que c’est un contresens. Peut-être la Commission du développement durable proposera-t-elle des pistes pour remettre en cause cette approche qui ne peut plus régner sans partage. Enfin, il faut mettre en place des tarifications sociales progressives et environnementales.

Nous allons prendre douze engagements pour la période 2012-2016 sous le contrôle de Vigeo, agence de notation extra-financière, qui rédigera chaque année un rapport d’évaluation.

La troisième partie du document porte sur nos premières réalisations. Sans entrer dans le détail de celles-ci, je me bornerai à souligner notre souhait de construire des partenariats rénovés avec les collectivités.

M. Jean-Philippe Torterotot, secrétaire de l’association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement (ASTEE). Je vous remercie d’avoir invité l’association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement (ASTEE) à participer à cette table ronde et vous prie de bien vouloir excuser l’absence de son président, Pierre-Alain Roche. En tant que directeur adjoint de la stratégie et de la recherche au CEMAGREF, je vous demande également d’excuser celle de son directeur général, Roger Genet, puisque le forum auquel il participe à Lyon est organisé à l’occasion des trente ans de notre établissement et de son changement de nom : le CEMAGREF laisse désormais la place à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA).

L’ASTEE est une association reconnue d’utilité publique vieille de 106 ans. Elle compte quatre mille membres – soit mille personnes morales et trois mille personnes physiques d’origines très diverses (experts, praticiens, décideurs et scientifiques) – qui interviennent sur les services publics liés à l’environnement et dans les différents métiers et fonctions associés à ces services. Nous essayons actuellement de renforcer la présence des collectivités territoriales et des scientifiques, même s’ils sont déjà bien présents.

Nous exerçons nos activités dans une logique de plateforme pluraliste et ouverte, fondée sur l’échange d’informations et le travail en commun. Nous proposons aux pouvoirs publics des recommandations et des éléments de doctrine technique. Notre domaine d’activité concerne l’eau potable, l’assainissement, les milieux aquatiques, les réseaux et leur protection, mais aussi les déchets, qui interagissent fortement avec l’eau, ainsi que d’autres éléments du cadre de vie urbain comme la qualité de l’air ou les nuisances sonores.

À la demande du ministère chargé de l’écologie et en partenariat avec l’ONEMA, nous avons engagé une collaboration renforcée avec d’autres associations nationales professionnelles : l’Association française pour l’eau, l’irrigation et le drainage (AFEID), l’Académie de l’eau et la Société hydrotechnique de France. Il s’agit d’avancer ensemble sur des chantiers transversaux tels que le lien entre qualité et usage de l’eau, l’ingénierie écologique appliquée aux bassins versants et aux milieux aquatiques, les questions d’économie de l’eau – tant sur le volet « tarification et recouvrement » que sur le volet « évaluation économique » – ou encore les problèmes de mesure soulevés par de la directive-cadre et divers travaux prospectifs.

Interrogés sur les sujets à traiter dans les mois et années à venir, les membres de notre commission « Eau potable » citent immanquablement : les polluants émergents ; les questions d’eau et de santé, qu’il s’agisse du suivi de la qualité de la ressource au robinet ou de l’évaluation des risques sur l’ensemble de cette partie de cycle de l’eau ; les technologies de traitement – pas seulement pour leur effet sur la qualité de l’eau, mais aussi pour leur impact environnemental ; l’organisation des services – c’est-à-dire la question de la « maille élémentaire » idéale pour l’organisation d’un service d’eau et d’assainissement ; l’évolution des consommations d’eau ; les conséquences de diverses évolutions sur les infrastructures – pour la ville de Trondheim (Norvège), il a ainsi été estimé que l’eau et l’assainissement représentent 40 % de la valeur des équipements appartenant à la collectivité : cela illustre le poids de ces infrastructures souvent cachées, en même temps que la part des facteurs d’investissement dans le prix de revient de l’eau.

Dans le cadre d’un groupe de travail préparatoire au VIe Forum mondial de l’eau, l’ASTEE anime une réflexion à vocation internationale sur la gouvernance et la performance des services. J’ai essayé d’en extraire des éléments qui sont plus représentatifs de l’Europe, car les situations sont très diversifiées. Cette performance recouvre à la fois l’effectivité des services rendus, l’effectivité de la prise en compte et du respect des contraintes sociales et réglementaires, la mise en œuvre des politiques et des stratégies, et enfin le caractère plus ou moins optimisé des moyens mis en œuvre en fonction des résultats – ce que l’on appellerait « efficacité » en français et efficiency en anglais.

La question de la performance est un enjeu majeur pour la crédibilité des autorités organisatrices comme pour celle des opérateurs, publics ou privés. C’est un enjeu pour la pérennité financière des services – en particulier, pour ceux qui sont de taille modeste – et pour la conservation et le fonctionnement des infrastructures, mais également au regard des trois piliers du développement durable que sont le pilier environnemental, le pilier économique et le pilier social. Les débats sur ce sujet montrent que la définition de la performance est rarement explicite et partagée et que l’utilisation d’indicateurs de performance est toujours partielle. Même s’il existe des approches de normalisation à l’échelle nationale et internationale, il n’y a pas d’objectif global de progrès et de progression.

Le groupe de travail est en train d’élaborer des propositions dans la perspective des sessions spécialisées auxquelles il participera lors du Forum. Nous proposons d’abord de généraliser les contrats de service précisant – pour les opérateurs publics et privés – les objectifs, mais aussi les moyens mis à disposition par les autorités organisatrices. Les objectifs fixés par ce contrat doivent être clairs : il est certes compliqué de définir des objectifs de gestion patrimoniale de l’ensemble des infrastructures existantes, mais c’est indispensable.

Nous proposons, par ailleurs, de réserver un budget bien identifié au suivi des infrastructures, ainsi qu’au suivi et au contrôle des services et de leurs performances. Cela pose la question des compétences et des moyens humains disponibles, et conduit dans certains cas – notamment, pour les services de taille modeste – à envisager une mutualisation dans des structures fédératives.

Nous suggérons également à l’ensemble des acteurs de pousser plus avant leurs réflexions sur un usage raisonné des indicateurs de performance. Nombreux et divers, ceux-ci sont rarement cohérents au-delà des frontières. Or ils sont, avant tout, un outil de dialogue et d’échange. Leur premier usage est d’identifier les pistes de progrès dans une situation donnée. Ces indicateurs permettent, en particulier, d’assurer un suivi et une réflexion dans le temps sur l’évolution de ces services. La situation de ces services est l’héritage de décennies de choix d’investissement : comparer des situations à un moment donné est donc assez vain.

Notre dernière proposition est un plaidoyer pro domo : il s’agit de développer davantage le rôle des associations professionnelles à l’échelle internationale, nationale ou régionale, pour faire progresser ces indicateurs de performance en complémentarité avec, d’une part, les mises en réseau qui existent déjà entre collectivités ou entre opérateurs et, d’autre part, les actions réglementaires.

Mme Fabienne Labrette-Ménager. Nous ne l’avions sans doute pas assez mesuré, mais la question de l’eau va devenir primordiale dans les années à venir. Avec le changement climatique, qui induit une montée des eaux salées, certaines terres, notamment dans les départements littoraux, risquent de devenir incultes ou d’exiger des traitements particuliers.

Se pose bien sûr le problème de l’eau potable. Comment faire en sorte que chacun ait accès à l’eau d’une manière harmonisée, et en même temps équitable sur l’ensemble du territoire, que ce soit à l’échelle nationale, européenne ou mondiale ?

S’agissant des eaux usées, beaucoup reste à faire, même si nombre de collectivités ont investi dans les stations d’épuration et le traitement des eaux au cours des dernières années.

Il faut également s’intéresser aux réseaux d’eau potable et, tout particulièrement, au problème des fuites. Comment mutualiser ces réseaux, qui font partie – ainsi qu’il a été rappelé – du patrimoine d’une commune ?

Il s’agit là de questions transversales, qui intéressent aussi bien le consommateur que la collectivité.

Lorsqu’on parle de plans de gestion des eaux, la difficulté est qu’on ne raisonne pas dans le cadre de départements ou de régions, mais de bassins versants. La plupart des départements et des régions sont membres de commissions locales de l’eau, qui élaborent leur schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) dans le respect des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) – puisque c’est une obligation européenne. Mais quid du maître d’ouvrage, lorsque vient la question des investissements et des travaux : qui va faire quoi, à quel prix et pour qui ? La question est délicate, mais il faudra bien l’aborder dans les années à venir pour pouvoir mutualiser les moyens.

Ma deuxième question porte sur l’équité dans le domaine de l’eau. Nous avons mis en place, pour l’énergie, un tarif de première nécessité qui permet aux plus démunis d’avoir accès à l’énergie à bas coût. En revanche, l’eau est facturée au volume consommé, avec des disparités qui peuvent aller de 1 à 5, voire 6. Dans ces conditions, peut-on imaginer mettre en place un tarif de première nécessité pour l’eau ? Peut-être convient-il de le faire de façon régulée ou progressive, mais il va falloir agir. En tant qu’élus, nous sommes d’ailleurs sensibilisés à la question des tarifs : non seulement les collectivités prennent en charge une partie des factures des centres communaux d’action sociale, mais nombre d’entre nous – c’est mon cas dans la Sarthe – présidons des offices HLM. Bref, consommer mieux et moins est devenu une question absolument centrale.

M. Jean-Paul Chanteguet. L’accès à l’eau est un enjeu planétaire et stratégique majeur. Près d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable et 2,6 milliards ne sont pas raccordés à un réseau d’assainissement. Or il n’y a pas aujourd’hui de politique mondiale de l’eau. Créé en 1996 sous forme associative au sens de la loi de 1901, le Conseil mondial de l’eau se dit l’héritier de la Conférence sur l’eau organisée par l’ONU en 1977. Est-il une organisation privée au service d’intérêts privés, comme le pensait la présidente de France Libertés, qui contestait sa légitimité internationale et militait pour une gouvernance publique internationale de la gestion de l’eau, afin de faire de l’accès à l’eau un droit inaliénable ? Ce droit, réclamé par de nombreuses associations, ne figure pas dans le texte publié par le Forum mondial de l’eau à l’issue de la session organisée à Istanbul en 2009. Qu’en sera-t-il à Marseille ?

La demande en eau va augmenter, puisque la population mondiale va passer de 7 milliards d’habitants aujourd’hui à 9 milliards en 2050. Cette croissance démographique se traduira par une augmentation des besoins alimentaires, principalement satisfaits par l’agriculture, qui représente 70 % des consommations d’eau. De plus, le changement climatique sera d’abord ressenti à travers l’eau, que ce soit au travers des sécheresses, des inondations, de la fonte des glaciers ou de la montée des océans. La pression sur les ressources en eau sera donc de plus en plus forte.

L’accès à l’eau pour tous peut-il devenir une réalité, demain ? En 2000, l’ONU avait fixé un cap dans le cadre des objectifs du Millénaire pour le développement : réduire de moitié le nombre des personnes n’ayant pas accès à l’eau ni à l’assainissement d’ici à 2015. Cet objectif pourra t-il être atteint ?

Enfin, les objectifs de bon état écologique des masses d’eau assignés par la directive-cadre seront-ils atteints ?

M. Albert Facon. Nos concitoyens et les élus sont de plus en plus sensibles au problème de l’eau, en qualité et en quantité. Vous le savez, pratiquement toutes les solutions existent pour en améliorer sa qualité ; le seul problème pour les collectivités et les usagers est donc le prix. Les usines d’assainissement et l’entretien des réseaux ont un coût et il me semble que les opérateurs proposent parfois des solutions inutilement onéreuses. En présence de nitrates, on aura ainsi tendance à construire une usine de dénitrification ; or il existe d’autres solutions, que j’ai testées dans mon agglomération. Je pense notamment à un vrai partenariat avec les agriculteurs : il faut une zone boisée autour du point de captage et une agriculture raisonnée, de sorte que les engrais soient quantifiés et que les collectivités incitent à privilégier des plantes comme la moutarde, qui piège le nitrate. Nous essayons désormais de supprimer notre usine de dénitrification, mais cela ne pourra se faire du jour au lendemain. Ce sont de tels programmes de coopération qu’il faut développer.

Je partage totalement l’analyse de Mme Labrette-Ménager : il n’est pas normal que de telles disparités existent dans les tarifs de l’eau. Le prix du kilowattheure est pratiquement le même sur l’ensemble du territoire ; pourquoi n’en est-il pas de même pour le prix de l’eau ? Tout simplement, parce que certaines collectivités n’ont pas pu investir ou que des problèmes particuliers se posaient. En ce sens, mutualiser serait une bonne chose. Les communautés d’agglomération arrivent progressivement à harmoniser les prix, mais c’est long : il faut donc une volonté politique en la matière. Lorsque les prix seront à peu près identiques sur l’ensemble du territoire, l’instauration d’un tarif social sera plus aisée. Mais pour cela, il faut de la volonté…et de l’argent !

M. Jean-Marie Sermier. Je ne pense pas que l’on puisse proposer des solutions simplistes ni espérer que, dans un pays aussi varié que la France, le prix de l’eau pourra un jour être le même partout. Dans le canton du Jura dont je suis l’élu, une commune de vingt habitants possède sa propre régie d’eau : je m’efforce d’aider le maire autant qu’il m’est possible, mais comment comparer une telle situation avec celle des grandes agglomérations, qui peuvent bénéficier d’importantes économies d’échelle ? En outre, chacun est jaloux de son organisation : pour 544 communes, le département du Jura compte plus de 250 gestionnaires d’eau – dont des syndicats et des régies..

Il faut néanmoins résister à la tentation d’opposer régies et sociétés privées. Siégeant au conseil d’administration de la Fédération des entreprises publiques locales, je me demande si la mise en œuvre de synergies entre ces régies et les sociétés d’eau, sur la base de contrats connus et transparents, ne permettrait pas au contraire une amélioration du système, donc un contrôle – et pas nécessairement une unité – des prix. Permettez-moi de citer un seul chiffre : pour un réseau d’eau dont le taux de fuite atteint 50 %, les pertes en eau de 20 personnes équivalent à la quantité d’eau nécessaire pour irriguer un hectare de terre agricole. L’amélioration de la technologie sera obtenue par une meilleure coopération entre les uns et les autres, non par l’affrontement.

M. Philippe Plisson. La France figure parmi les mauvais élèves pour ce qui concerne l’application de la directive-cadre sur l’eau. Comment s’assurer de sa mise en œuvre à l’horizon 2015, sachant que les événements climatiques extrêmes – sécheresses ou inondations – augmentent et que l’artificialisation et l’érosion des sols s’accélèrent ?

Par ailleurs, est-il envisagé de rétablir un contrôle public homogène sur l’ensemble du dispositif d’analyse de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine ?

Que penser enfin de l’instauration d’une redevance sur les eaux embouteillées, qui serait perçue par les agences de l’eau au titre de leur mission de protection de la ressource ?

M. Martial Saddier. Il se trouve que les territoires qui produisent, préservent et stockent l’eau potable ne sont pas toujours ceux qui la consomment. Dès lors, s’il y a une obligation de résultat pour les premiers, qui consiste à continuer à préserver la quantité et la qualité de l’eau potable, n’y a-t-il pas lieu désormais de mettre en place, dans les politiques nationales et européennes, une solidarité financière de l’aval à l’amont – ce fut l’un des grands sujets de débat lors de l’adoption de la loi sur l’eau. Au reste, une partie des 14 milliards d’euros affectés aux agences de l’eau est ciblée sur la solidarité. Bref, si les grandes zones urbaines veulent continuer à avoir de l’eau potable en quantité et en qualité, cette solidarité financière devra être instaurée pour aider les zones rurales et les zones de montagne, qui sont les châteaux d’eau de notre pays.

M. le président Serge Grouard. Avez-vous une estimation du coût des investissements nécessaires pour parvenir à un bon état écologique des eaux d’ici à 2015 ?

Par ailleurs, je puis témoigner qu’il est tout à fait possible d’avoir une tarification particulière pour l’eau dite « de première nécessité ».

M. Philippe Guettier. Les Forums mondiaux de l’eau sont co-organisés par le Conseil mondial de l’eau, association française au sens de la loi de 1901, et le pays et la ville qui accueillent le Forum. Ce sont donc le Conseil mondial de l’eau, l’État français et la ville de Marseille qui sont les organisateurs du prochain Forum, à travers le groupement d’intérêt public créé à cet effet. Le conseil d’administration de ce GIP a été constitué, de manière paritaire, de représentants de la partie française et de représentants du Conseil mondial de l’eau. Le financement du Forum est assuré, pour les deux tiers par les acteurs publics, État et collectivités locales, et pour un tiers par les entreprises.

Sur le plan international, hormis une convention entre l’Europe et les Nations unies, il n’existe pas de convention mondiale régissant le secteur de l’eau. Quant à la convention des Nations unies de 1997 sur la gestion des bassins transfrontaliers, elle est en cours de ratification ; elle doit encore être signée par dix pays pour entrer en vigueur. En revanche, le secteur de l’eau mobilise une pléthore d’organismes internationaux, puisque vingt-huit agences des Nations unies travaillent, de près ou de loin, sur cette question. La France prône la mise sur pied d’une gouvernance internationale dans le domaine de l’environnement, en particulier celui de l’eau, et a pris un certain nombre d’initiatives en ce sens. Des propositions doivent être débattues dans le cadre de la conférence de « Rio + 20 », qui se tiendra en juin prochain. C’est dans cette perspective qu’il faudra, lors du prochain Forum, poser la question du lien entre ces réunions informelles que sont les Forums mondiaux de l’eau et les instances officielles des Nations unies.

M. Alexis Delaunay. S’agissant du bon état des eaux, les objectifs du Grenelle sont ambitieux. Pour les atteindre dans chaque bassin, le coût des programmes est estimé à vingt-sept milliards d’euros pour la période 2010-2015, dont la moitié pour la réduction des pollutions ponctuelles, notamment urbaines, un quart pour la réduction des pollutions diffuses et un peu moins d’un quart pour lutter contre la détérioration de l’hydromorphologie des cours d’eau. Une évaluation à mi-parcours de l’exécution de ces programmes est prévue en 2012.

Le faible développement des structures de maîtrise d’ouvrage constitue un des freins à l’exécution de ces mesures. La situation est très variable selon le schéma d’aménagement et de gestion des eaux concerné, certains SAGE bénéficiant d’une structure porteuse adaptée à leur périmètre. Dans les cas où un même bassin compte plusieurs structures, il faudrait envisager la possibilité de confier la maîtrise d’ouvrage à une structure unique qui les fédérerait toutes. Nous en avons débattu avec des maires engagés dans des actions de restauration, lors de la table ronde que nous avons organisée dans le cadre du congrès des maires et des collectivités locales et qui s’est tenue la semaine dernière. En effet, la sensibilisation des élus de proximité est une de nos tâches essentielles, mais ce travail de longue haleine ne sera pas terminé d’ici à 2015.

La révision, en 2015, des plans de gestion et des programmes d’action inaugurera le deuxième cycle de la directive-cadre sur l’eau. Dès 2013, un état des lieux nous permettra de mesurer l’état de réalisation des objectifs fixés en 2009. Comme monsieur Facon l’a justement souligné, les traitements curatifs trouvent leurs limites : il est de loin préférable de prévenir les pollutions à la source – par exemple, en pratiquant une agriculture raisonnée ou en boisant des zones de captage d’eau, comme cela se fait pour protéger les 500 captages « Grenelle ».

M. Igor Semo. L’absence de définition précise de la maîtrise d’ouvrage pour la gestion du grand cycle de l’eau est le premier constat établi par le forum d’experts présidé par Erik Orsenna. Plusieurs solutions ont été envisagées : certains proposent d’étendre la compétence des agences de l’eau, mais cette proposition se heurte à de fortes réticences ; d’autres, comme André Flajolet, plaident pour que la maîtrise d’ouvrage soit confiée aux établissements publics territoriaux de bassin, les EPTB, mais ceux-ci sont loin de couvrir l’ensemble du territoire. Le ministère semble considérer que c’est aux autorités organisatrices du service de prendre en charge la protection de la ressource en eau, mais les situations sont diverses sur le terrain, cette mission pouvant être assurée ici par un syndicat de rivières, là par un EPTB, ailleurs par une ou plusieurs collectivités. Pour l’heure, les opérateurs privés se bornent à constater que la question n’est pas résolue et ils estiment que cette absence d’une maîtrise d’ouvrage clairement identifiée, de même que l’absence de financement affecté, constituent des obstacles importants à l’atteinte des objectifs assignés par la directive-cadre. Ce n’est qu’une fois que cette maîtrise d’ouvrage aura été clairement identifiée, que nous serons en mesure d’aider les maîtres d’ouvrage à atteindre leurs objectifs.

Garantir l’équité de l’accès à l’eau, comme on a pu le faire pour l’accès à l’énergie, est une question qui mérite un examen approfondi. Nous comptons d’ailleurs mettre sur pied, en janvier 2012, un troisième forum d’experts chargé de débattre – sous la présidence de Martin Hirsch – de la question des nouveaux modes de tarification du service de l’eau. La mise en place d’une tarification sociale de l’eau comparable à ce qui existe pour le gaz et pour l’électricité se heurte néanmoins à plusieurs obstacles, au nombre desquels la multiplicité des opérateurs de l’eau et de l’assainissement – près de 32 000, dont 17 000 pour l’eau potable et 15 000 pour l’assainissement – et la différence des prix.

Plusieurs collectivités locales se sont emparées des possibilités que leur ouvre la loi sur l’eau de 2006 pour lancer des initiatives en la matière. Certaines d’entre elles ont, par exemple, mis en place une tarification progressive distinguant entre l’eau « vitale » – soit une consommation quotidienne de quarante litres par personne –, l’eau « utile » et l’eau « confort ». Il faudrait également envisager une tarification spécifique pour les grands consommateurs, dont l’activité économique est vitale pour l’emploi.

La commune de Libourne, dont nous sommes l’opérateur, a été la première à s’engager dans cette voie de la tarification progressive. S’agissant d’une initiative totalement nouvelle, nous en sommes encore au stade des tâtonnements et cette première expérience est encore perfectible. Nous sommes parvenus à résoudre certaines difficultés pratiques, notamment celle posée par les logements collectifs. Restent cependant d’autres problèmes, comme la question de la part fixe – si cette part est très élevée, elle réduit d’autant la progressivité de la tarification d’assainissement – ou celle des services publics gros consommateurs. Il y a également le problème des ménages dont la consommation est réduite du fait de forages non déclarés et qui, outre qu’ils ne contribuent pas au service de l’assainissement, vont bénéficier du tarif social. Il me semble, de ce point de vue, que l’absence d’obligation de déclarer les forages constitue une faille juridique.

En tout état de cause, nous nous efforçons de mettre nos compétences en matière d’ingénierie tarifaire à la disposition de la collectivité, seule autorité décisionnaire, et d’affiner nos propositions en fonction de ses besoins. La ville d’Hyères (Var), avec laquelle nous venons de signer un contrat de délégation de service public, a ainsi souhaité la mise en place d’une tarification progressive à visée sociale et environnementale – il s’agit d’inciter les usagers à modérer leur consommation – intégrant un élément de tarification saisonnière, afin que la population estivale contribue à la prise en charge des coûts du service, dont 85 % sont des coûts fixes.

Je sais combien il est difficile, pour les élus locaux, d’expliquer pourquoi le prix de l’eau potable peut autant varier d’une commune à l’autre. À défaut d’une harmonisation nationale des tarifs, qui soulève d’autres objections, une harmonisation des tarifs dans un périmètre raisonnable serait un progrès. Je crois que l’État et de nombreux élus sont favorables à un regroupement des services publics d’eau et d’assainissement visant à une plus grande harmonisation des tarifs. En tout état de cause, les contrats de distribution d’eau ne font pas obstacle à ce genre d’initiatives, comme le prouve le précédent de la communauté urbaine de Nantes.

S’agissant du choix du mode de gestion, je vous renvoie aux conclusions du rapport public du Conseil d’État, intitulé L’Eau et son droit et fruit du remarquable travail de Frédéric Tiberghien. Le rapport met en garde contre une focalisation excessive du débat sur la question du mode de gestion, au détriment de sujets beaucoup plus stratégiques. Qu’il soit public ou privé, un opérateur est confronté aux mêmes problèmes de performance du service, de réchauffement climatique, de rendement des réseaux, etc.

Je dois dire avec franchise que nous vivons assez mal la mise en cause de la participation des entreprises françaises aux Forums mondiaux de l’eau. Le premier de ces Forums s’est réuni en 1997 à Marrakech ; il rassemblait un certain nombre d’acteurs publics et privés de bonne volonté qui souhaitaient inscrire les problématiques de l’eau et de l’assainissement à l’agenda des grands de ce monde. Ce Forum ayant rencontré un certain succès, il a été décidé de le réunir tous les trois ans. Ayant participé au Forum d’Istanbul, qui s’est tenu en 2009, j’ai été impressionné de voir ces délégations venues du monde entier et dont les préoccupations étaient fort éloignées du choix du mode de gestion !

Le Forum de Marseille permettra d’avancer encore, puisque nous parlerons aussi de solutions et d’engagements. Je voudrais à ce propos rendre hommage à Danielle Mitterrand, que j’ai eu l’occasion de rencontrer en sa qualité de présidente de la fondation France-Libertés. Avec une conviction et une ardeur impressionnantes, celle qui était une militante – mais aussi une femme de dialogue – s’est toujours battue pour que l’accès à l’eau et à l’assainissement devienne une priorité des gouvernements.

Ce Forum est préparé par le Partenariat français pour l’eau (PFE), présidé par Henri Bégorre et qui rassemble les acteurs français de l’eau : ministères, agences de l’eau, ONEMA, collectivités territoriales – notamment l’Association des maires des grandes villes de France et l’Association des maires de France, laquelle sera représentée au Forum par l’ancien sénateur Paul Raoult –, organisations non gouvernementales, associations scientifiques comme l’ASTEE, entreprises de l’eau. Il participera à la constitution du stand « Espace France » au Forum de Marseille, où auront lieu de nombreux débats.

S’agissant de la lutte contre la pollution par les nitrates, les entreprises de l’eau – qui sont des entreprises d’ingénieurs – cèdent peut-être trop à la facilité de proposer des solutions technologiques à des problèmes qui pourraient être résolus autrement, notamment par la collaboration et le dialogue avec les agriculteurs. C’est d’ailleurs l’esprit de la directive-cadre communautaire que de passer du curatif au préventif. Nous partageons votre constat que le traitement des eaux ne saurait être qu’une solution à très court terme. C’est pourquoi la FP2E, qui fédère l’ensemble des entreprises de l’eau, a noué un partenariat avec l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, visant à contribuer à la protection effective des captages d’eau potable face aux pollutions diffuses. Les bonnes pratiques partenariales entre les différents acteurs ont été recensées, donnant lieu à l’édition d’un guide de vingt-et-une recommandations à destination de tous les acteurs de l’eau, notamment des agences de l’eau. Celui-ci préconise notamment l’amélioration des pratiques agricoles. C’est ainsi que dans la région de Dunkerque, nous incitons les agriculteurs à planter de la moutarde, qui constitue un excellent piège à nitrates.

Pour ce qui a trait aux sociétés d’économie mixte, nous suivons les travaux de la Fédération des entreprises publiques locales – j’ai notamment assisté cette année au congrès des EPL, qui s’est tenu à Tours. Nous sommes ouverts à toutes les possibilités de collaboration dans ce domaine. Lyonnaise des Eaux considère cependant que le cadre de la délégation de service public permet déjà de doter les collectivités locales de tous les moyens de pilotage : c’est à l’autorité organisatrice du service de fixer les objectifs et de prendre les décisions, non seulement lors du renouvellement du contrat, mais aussi au cours de l’exécution de celui-ci. C’est à la collectivité locale de piloter le dispositif : nous ne sommes qu’un opérateur, ce qui est déjà une responsabilité importante.

M. Jean-Philippe Torterotot. La tarification de l’eau ne peut pas se comparer à celle de l’électricité, cette dernière ressource se caractérisant par une grande concentration des lieux de production et une relative facilité de transport. C’est d’ailleurs en raison de ces contingences matérielles que le modèle de gestion du service de l’eau a été, dès l’origine, un modèle local.

Une comparaison précise des performances des services demande une analyse très approfondie. Ce travail a été fait, il y a quelques années, à partir de l’étude d’une centaine de régies d’eau potable du Bas-Rhin, présentant des conditions de ressources et d’organisation relativement homogènes en dépit de tailles variables. Il s’agissait d’établir des relations statistiques entre certaines caractéristiques du service et le prix de l’eau. Cette étude a permis d’identifier les deux caractéristiques qui avaient la plus forte incidence sur le prix : il s’agissait du nombre des captages, quelle que soit la taille de la collectivité, et de la politique d’investissement menée durant les décennies précédentes. En revanche, cette étude n’a pas permis de dégager de relation statistique significative entre la taille du service et le prix de l’eau. Il ne sert donc à rien de comparer la taille sans comparer les déterminants du service. Cela dit, l’exemple bas-rhinois a permis de mettre en évidence l’incidence de la taille du service sur sa performance, sa fiabilité et sa qualité – la vitesse d’intervention en cas de problème de rupture du réseau ou l’intensité des contrôles de qualité, par exemple.

Il appert que la question du prix n’est pas dissociable de la prise en compte de nombreux paramètres, notamment celui de la qualité, avec toutes les difficultés de caractérisation que cela implique. Cet exemple – de même que celui, déjà cité, de la communauté urbaine de Nantes – prouve la nécessité de dialoguer avec les usagers et de leur exposer l’incidence de la prise en compte de ce facteur « qualité » sur les coûts d’investissement et de fonctionnement. Ce type d’analyse est complexe et nous en sommes encore au stade de la recherche dans ce domaine.

De nombreux travaux associant scientifiques, collectivités locales et représentants de la société civile ont exploré la question de la solidarité entre espaces urbains et espaces ruraux. Il semble qu’en dehors des très grandes agglomérations, les solidarités sont multiples et croisées sur un bassin de vie.

La directive-cadre sur l’eau a introduit deux éléments totalement nouveaux : d’une part, la prise en compte de l’état écologique des milieux aquatiques – il faudrait aussi parler des services rendus par les écosystèmes, bien au-delà de l’enjeu que constitue la protection du patrimoine naturel – et, d’autre part, l’obligation de résultat.

Je formulerai deux remarques supplémentaires. Premièrement, la directive-cadre n’impose pas la mise en œuvre mécanique d’une tarification incitative fondée sur le principe du « pollueur-payeur » ou « usager-payeur » – du reste, le calcul du coût environnemental complet que supposerait l’application d’un tel principe serait d’une extrême complexité. Deuxièmement, la directive n’est pas l’expression d’une vision manichéenne : elle permet de déroger aux objectifs qu’elle assigne, pourvu que les demandes de dérogation soient justifiées par un bilan coûts-avantages positif. Une telle démarche est relativement nouvelle pour nous et l’indigence, en la matière, des premières ébauches de plans de gestion est révélatrice de la difficulté à intégrer cette nouveauté dans la pratique opérationnelle et décisionnelle. Nous espérons que l’évaluation des programmes permettra de proposer de véritables argumentaires à l’appui des demandes de dérogation et, plus largement, de faire évoluer nos modes de travail et de réflexion.

M. le président Serge Grouard. Je vous remercie, messieurs, de nous avoir apporté des éléments propres à éclairer notre commission sur un sujet aussi essentiel. Il me semble que vous avez répondu à toutes nos questions… sauf une, la mienne, celle du coût d’un retour à un bon état écologique des milieux aquatiques. Je n’ignore pas que la réponse à une question aussi simple est, en réalité, extrêmement complexe ; mais considérant la transformation radicale de notre société qu’implique la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement et les investissements considérables que cette transformation induit dans tous les domaines, on est bien obligé de se poser la question concrète de la ressource financière. Notre pays peut-il mobiliser un financement à la hauteur de ces enjeux ? Et sinon, quels choix devra-t-il faire ? Ces questions ne me semblent pas totalement dénuées d’intérêt dans la perspective des rendez-vous de 2012.

M. André Flajolet, président du Comité national de l’eau. En fait, il y a un paradoxe : alors que la restauration de la nature et la réparation des agressions que nous lui avons infligées sont une œuvre de long terme – nos conduits d’eau potable ont en moyenne plus de 62 ans – nos investissements sont de court terme, quand ils ne sont pas immédiats.

Je voudrais aussi souligner l’importance de la dimension européenne des questions et nous comptons profiter du Forum de Marseille pour sensibiliser l’ensemble des pays européens à ces problématiques et à la mise en œuvre, malgré des temps difficiles, d’une forme de solidarité comme celle que promeut la loi Oudin-Santini. C’est, du reste, pour cette raison que je rencontre demain l’intergroupe « Eau » du Parlement européen et, dans les prochains jours, différents commissaires européens concernés par les problèmes de l’eau.

Je terminerai par l’expression d’un regret : alors que la solidarité en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement sera un des thèmes essentiels du Forum de Marseille, l’amendement que j’avais proposé en ce sens est tombé sous le couperet de l’article 40 de la Constitution. J’ai proposé au ministre concerné de le reprendre à son compte. J’ose espérer que nous parviendrons à l’adopter : ce serait un signe que nos actes sont conformes à nos dires.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 29 novembre 2011 à 17 heures

Présents. - M. Joseph Bossé, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Albert Facon, M. André Flajolet, Mme Geneviève Gaillard, M. Serge Grouard, Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Jean Lassalle, Mme Christine Marin, M. Bertrand Pancher, M. Yanick Paternotte, M. Philippe Plisson, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier

Excusés. - Mme Chantal Berthelot, M. Jean-Yves Besselat, M. Philippe Boënnec, M. Philippe Briand, M. Yves Cochet, M. Frédéric Cuvillier, M. Stéphane Demilly, M. Jean-Claude Fruteau, M. Michel Havard, M. Apeleto Albert Likuvalu, M. Alfred Marie-Jeanne

Assistaient également à la réunion. - Mme Frédérique Massat, M. Francis Saint-Léger