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Commission des affaires économiques

Mardi 9 février 2010

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 42

Présidence de M. Patrick Ollier Président puis de M. Jean Dionis du Séjour, Vice-président

– Audition de M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé du commerce, de l‘artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation sur le projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (n° 2265) (Mme Laure de La Raudière, rapporteure)

La commission a entendu M. Hervé Novelli secrétaire d’État chargé du commerce, de l‘artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation sur le projet de loi relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (n° 2265) (Mme Laure de La Raudière, rapporteure).

M. le président Patrick Ollier. Nous sommes très heureux de vous accueillir, monsieur le secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation, pour que vous nous présentiez un projet de loi portant création de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, qui a exigé des efforts considérables.

Il s’agit de faire entrer dans notre droit la notion de « patrimoine d’affectation », en faveur de laquelle s’est engagée Mme Catherine Vautrin dans le cadre de la LME, avec la complicité active de M. Jean-Paul Charié et de moi-même. Le rapport remis par Me Xavier de Roux en novembre 2008 a permis de rompre avec le dogme de l’unicité du patrimoine. Nous avons eu fort à faire pour convaincre la Chancellerie de revenir sur sa doctrine civiliste. Le Président de la République vous a enfin permis de donner vie à votre projet.

Au-delà de cette innovation, quelques questions me semblent mériter d’être posées.

Premièrement, avez-vous prévu des solutions de transmission, car l’entreprise individuelle à responsabilité limitée doit pouvoir être cédée ou transmise comme une autre ?

Deuxièmement, l’accès au crédit est au cœur du texte, et Mme Laure de La Raudière, notre rapporteure, y a veillé. Le projet détaille des mesures pour renforcer les garanties institutionnelles du type Oséo ou la SIAGI. Mais est-il suffisamment précis pour empêcher l’entrepreneur individuel d’organiser lui-même son insolvabilité ? Les verrous sont-ils suffisants ?

Troisièmement, comment empêcher les banques d’exiger une caution sur des biens personnels de l’entrepreneur si l’envie les en prend ?

Ces préoccupations expliquent que nous ayons déposé pas moins de soixante-dix amendements, dont aucun, Monsieur Brottes, n’a été déclaré irrecevable.

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. Je suis très heureux de vous présenter ce soir le texte relatif à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Mon exposé liminaire sera l’occasion de répondre aux questions pertinentes que vous m’avez posées et sachez que j’ai beaucoup apprécié, monsieur le président, votre action en faveur de l’examen en urgence de ce projet de loi. En tant que président de la Commission des affaires économiques, votre rôle a été déterminant.

Ce texte vient de très loin et son enfantement a été très difficile. En 1978, le rapport de M. Claude Champaud est publié, avant celui de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris en 1984, et celui, très important, de M. Jacques Barthélémy en 1993. Six ans plus tard, M. Jean-Pierre Raffarin dépose une proposition de loi, prolongée par deux rapports de M. François Hurel, en 2002 et 2008. Dans tous les cas, il est recommandé de créer un patrimoine d’affectation. Pourtant, il ne s’est rien passé. Il m’a donc fallu beaucoup d’énergie pour convaincre de la nécessité de cette innovation juridique majeure, qui met fin à près de deux siècles de règne sans partage du dogme de l’unicité du patrimoine. Au cours de la discussion de la loi de modernisation de l’économie, de nombreux parlementaires avaient demandé au Gouvernement de se saisir du sujet, sensibles qu’ils étaient à l’obligation faite aux entrepreneurs individuels de répondre de leurs engagements professionnels sur la totalité de leur patrimoine, et qui rend, pour eux, la faillite synonyme de ruine. Me Xavier de Roux, a qui j’ai confié un rapport, rendu en novembre 2008, conclut lui aussi de façon irréfutable en faveur de la possibilité de créer un patrimoine d’affectation. La très large consultation qui a suivi a dégagé un consensus allant dans le même sens de la part des chambres des métiers, de l’ordre des avocats, des notaires, et des représentants des experts-comptables.

(M. Jean Dionis du Séjour remplace M. Patrick Ollier à la présidence de la séance.)

M. le secrétaire d’État. Pourquoi créer l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ? Pour quatre raisons principales.

Premièrement, la constitution d’une société, en vue de protéger le patrimoine personnel, n’a pas convaincu les entrepreneurs, loin de là. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Depuis la création, en 1985, de l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, 185 000 EURL seulement ont vu le jour. Après un quart de siècle, elles ne représentent que 6,2 % du total des entreprises. En revanche, près de la moitié des entreprises créées en 2008 l’ont été sous forme de sociétés en nom propre, et même 75 % depuis l’apparition des auto-entrepreneurs. Le succès de ce nouveau régime ne fait que confirmer la préférence marquée des Français pour l’entreprise individuelle.

Deuxièmement, la possibilité de rendre insaisissables les biens immobiliers des entrepreneurs individuels, instaurée en 2003 et étendue par la loi de modernisation de l’économie, n’a pas rencontré le succès escompté. À ce jour, 20 000 déclarations seulement ont été faites. Il fallait donc faire davantage pour satisfaire le million et demi d’entrepreneurs individuels français.

Troisièmement, l’apparition de l’EIRL est un progrès social et sociétal significatif puisqu’elle adresse un signal positif à ceux qui entreprennent, dont elle améliore la protection. Elle traduit le fait qu’une défaillance ne signera plus, comme trop souvent dans le passé, la condamnation définitive de celui qui connaît un revers de fortune.

Quatrièmement, l’EIRL est bonne pour la croissance et pour l’emploi puisque l’entrepreneuriat individuel est l’une des réponses à la crise : il s’agit de promouvoir la liberté d’entreprendre par tous les moyens en limitant la prise de risque sans, bien sûr, la faire disparaître. Nous avons respecté à la fois la liberté de choix de l’entrepreneur et l’incitation à entreprendre.

Le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée s’adressera à tous les entrepreneurs individuels, qu’ils soient artisans, commerçants ou professionnels libéraux. Une simple déclaration au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers suffira. Pour atteindre l’objectif, le projet de loi repose sur un dispositif juridique très innovant : le patrimoine affecté. Cette nouvelle architecture, qui constitue une nouveauté dans notre droit, a été validée par le Conseil d’État le 21 janvier dernier, à l’issue d’un débat nourri.

Le nouveau dispositif prévu par le projet de loi est simple.

Tout d’abord, l’entrepreneur déclarera la liste des biens qu’il affecte à son activité professionnelle, séparant ainsi son patrimoine personnel de son patrimoine professionnel. Le patrimoine professionnel sera constitué de l’ensemble des biens, droits ou sûretés nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle. L’entrepreneur restera propriétaire des deux patrimoines et la déclaration d’affectation n’entraînera pas la création d’une société. Il évitera ainsi la complexité liée à la gestion d’une personne morale distincte.

Des règles particulières sont prévues pour l’affectation de biens immobiliers, ou de biens communs ou indivis nécessitant l’accord exprès du conjoint. Elle devra être reçue par acte notarié publié au bureau des hypothèques. En outre, lors de la constitution du patrimoine d’affectation, tout actif d’une valeur supérieure à 30 000 euros devra faire l’objet d’une évaluation par un expert. Il sera sans doute utile de compléter le texte sur les tarifs de dépôt de la déclaration, afin d’éviter que la création d’une EIRL n’entraîne des coûts importants.

L’affectation du patrimoine entraîne les conséquences suivantes à l’égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la déclaration d’affectation.

Les créanciers dont les droits sont nés à l’occasion et pour les besoins de l’activité professionnelle ont pour seul gage le patrimoine affecté, et les autres créanciers le patrimoine non affecté, c'est-à-dire personnel. Le patrimoine spécialement affecté à l’exercice de l’activité professionnelle fera l’objet d’une comptabilité autonome et les comptes annuels, déposés au même lieu que celui de la déclaration initiale d’affectation, permettront de suivre l’évolution du patrimoine professionnel. En cas de faillite, seul le patrimoine professionnel sera liquidé et les biens personnels – maison, voiture, épargne – seront préservés. Le Gouvernement sera habilité à prendre par voie d’ordonnance les modifications nécessaires pour adapter à l’EIRL les dispositions du code de commerce relatives aux difficultés des entreprises.

Sur le plan fiscal, une injustice sera réparée : l’entrepreneur en nom propre pourra enfin bénéficier du même régime fiscal que l’associé unique d’une société. Il s’agit là aussi d’une innovation majeure. L’entrepreneur individuel optera soit pour l’impôt sur le revenu, soit pour l’impôt sur les sociétés. Par défaut, le régime des sociétés de personnes, c'est-à-dire l’impôt sur le revenu, s’appliquera, mais l’entrepreneur aura le choix. L’EIRL ne créera pas un régime social ou fiscal nouveau dans la mesure où tout entrepreneur individuel peut d’ores et déjà opter pour l’IS en créant une EURL. Le bénéfice réalisé par l’EIRL pourra donc être taxé dans les mêmes conditions que l’entrepreneur en EURL ayant opté pour l’impôt sur les sociétés : 15 % jusqu’à 38 000 euros et 33 % au-delà. En outre, la part des revenus de l’activité professionnelle reversée au patrimoine non affecté, et qui excédera 10 % de la valeur du patrimoine affecté ou 10 % du montant du bénéfice net – si ce montant est supérieur –, sera assujettie aux cotisations sociales dans les conditions de droit commun. C’est ce qu’on appelle la clause anti-abus. L’option pour l’IS est novatrice et se situe dans la logique visant à rapprocher le régime fiscal applicable aux entrepreneurs quelle que soit la forme juridique qu’ils adoptent. C’était une demande forte des députés. Les auto-entrepreneurs, s’ils le souhaitent, pourront aussi adopter le régime de l’EIRL dans un cadre comptable spécifique et simplifié. Leur régime fiscal et social demeurera inchangé, avec des prélèvements en pourcentage du chiffre d’affaires.

Bien entendu, les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée devront avoir accès au crédit. C’est un enjeu crucial ! Pas plus tard que cet après-midi, j’ai réuni les représentants des établissements bancaires pour développer les outils de caution solidaire et éviter ainsi que les banques ne cherchent, dans certains cas, à reprendre, via des cautions personnelles, ce que nous sécurisons au moyen de l’EIRL.

J’ai indiqué à mes interlocuteurs qu’il était nécessaire de faire évoluer les pratiques pour les adapter à l’EIRL. Il s’agit, non pas de déresponsabiliser les acteurs, mais de mieux prendre en compte la réalité économique de l’entreprise individuelle, confondue jusqu’à présent avec l’entrepreneur et ses biens personnels. Il convient de promouvoir la faculté pour l’EIRL de fournir des garanties extérieures, comme les cautions solidaires. À cet égard, nous proposerons, avec les opérateurs concernés, un plan d’action en nous appuyant sur des solutions de marché, pour accompagner la loi. Nous aurons cette discussion en séance publique le 17 février, mais sachez combien j’ai été sensible aux premières observations qui m’ont été adressées, notamment par Mme la rapporteure. Nous entendons sécuriser davantage le régime de l’EIRL en offrant à l’entrepreneur la faculté de substituer à une partie de sa caution personnelle une garantie apportée par des organismes tiers. Les propositions que j’ai reçues sont en cours d’expertise.

M. Jean Dionis du Séjour, président. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous comparer ce projet de loi avec le régime des autres grands pays européens ? Quel sera l’impact budgétaire de l’EIRL ?

Mme Laure de La Raudière, rapporteure. Nous nous réjouissons également d’examiner un texte historique que les artisans et les commerçants réclament depuis trente ans, et que je suis très fière de rapporter. Ce sera à nous, parlementaires, d’y apporter, si nécessaire, des compléments.

Toutes les auditions ont mis en évidence la satisfaction générale des professionnels concernés, non seulement des artisans, commerçants et dirigeants de PME, mais aussi des chambres des métiers, des chambres de commerce et d’industrie, des notaires, des avocats, des experts-comptables.

Je salue également le travail de nos collègues pour faire aboutir cette réforme : Mme Vautrin, MM. Jean Dionis du Séjour, Louis Giscard d’Estaing, Nicolas Forissier, Jean-Paul Charié et Patrick Ollier notamment.

Ce texte part du constat de la faible utilisation de l’EURL et de l’insaisissabilité, ainsi que de l’inadéquation de la fiducie. Le nouveau dispositif rend justice aux entrepreneurs individuels en leur offrant la possibilité d’opter pour l’IS.

Le succès de l’EIRL, c'est-à-dire du patrimoine affecté, passe d’abord par des formalités de constitution qui soient les plus simples possibles : la création d’un patrimoine affecté ne doit pas rendre les formalités administratives trop lourdes. Ensuite, la transmission et la cession devront s’aligner au maximum sur ce qui est prévu pour l’EURL car la vie de l’EIRL doit se rapprocher de celle d’une société. Enfin, le niveau d’information et de protection garanti aux créanciers doit être suffisant. À cet égard, le projet me semble avoir trouvé un équilibre satisfaisant entre créanciers et entrepreneurs, qui ressemble à celui qui caractérise l’EURL.

Sur cette base, j’ai été conduite à proposer deux modifications de fond.

La première concerne l’étanchéité entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel, sur laquelle repose tout l’intérêt du dispositif. Il convient de définir le plus précisément possible les cas de levée de la barrière qui sépare les deux patrimoines. Cette sanction doit être limitée aux cas les plus graves, c'est-à-dire à la fraude ou au détournement de l’utilisation du patrimoine affecté.

La seconde vise à faciliter la pluriactivité afin de s’adapter au monde d’aujourd’hui, où les entrepreneurs peuvent exercer à la fois une activité d’artisan ou de commerçant, et une profession libérale.

Deux autres points fondamentaux méritent toute notre attention. Il s’agit, d’une part, de la garantie des crédits professionnels qui protège l’entrepreneur. Si le patrimoine affecté limite le gage général des créanciers, il n’interdit pas à un prêteur, une banque par exemple, de demander des garanties sur les biens personnels. D’autre part, le texte se penche peu sur la vie du patrimoine affecté : il se focalise sur la création et la liquidation, ou bien encore sur la transmission en cas de décès, mais il parle peu de l’évolution de ce patrimoine, dont traiteront bon nombre de nos amendements.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Je voudrais féliciter le secrétaire d’État : il applique aujourd’hui les idées qu’il défendait avant d’être appelé au Gouvernement, ce qui n’est pas si fréquent.

La notion de patrimoine affecté est une avancée essentielle, mais elle ne réglera pas tout. On peut se couvrir par une assurance quand on achète un logement ou un véhicule, mais rien de tel n’est possible quand on crée une entreprise. Or, chacun sait que la vie des entreprises peut être affectée par des accidents.

Engager des biens personnels n’est pas une sanction, et c’est parfois une nécessité en l’absence de fonds de garanties et de cautions accessibles. J’espère que vous parviendrez à trouver une solution pour faciliter les garanties extérieures. Ce ne sera certainement pas simple, mais c’est un combat qui mérite d’être engagé.

M. Jean Gaubert. Ce texte ne mérite ni un excès d’honneur, ni un excès d’indignité. Il a certes bien des mérites, mais il présente également des lacunes dont les précédents intervenants se sont fait l’écho.

Créer une entreprise revient à prendre un risque. C’est ce que les libéraux affirment et je suis d’accord avec eux sur ce point. Mais ce risque ne doit pas être seulement celui de gagner. Nous devons veiller à ménager un équilibre : il faut protéger l’entrepreneur, mais aussi son créancier, qui est lui aussi, dans bien des cas, un entrepreneur.

Ce texte marque une innovation juridique qu’il faut saluer. J’espère que le secrétaire d’État acceptera, dans le même esprit, d’autres avancées que nous proposerons par voie d’amendements au texte sur le crédit à la consommation – je pense, par exemple, à la double signature.

Ce projet de loi instaure une certaine étanchéité des patrimoines. Toutefois, qui empêchera un banquier d’exiger un prêt personnel ? Cela arrive fréquemment, et aucune disposition législative ne pourra interdire à un entrepreneur de souscrire un emprunt à titre individuel.

Un autre problème concerne l’insolvabilité. Il est en effet très difficile d’établir une limite claire entre celle qui est subie et celle qui est organisée, et je constate que le texte ne parvient pas à résoudre cette difficulté.

J’en viens au régime des successions : il est prévu que la succession sera d’abord réglée, puis qu’une nouvelle déclaration d’affectation aura lieu. Mais quid des créanciers qui se seront engagés en fonction de la déclaration initiale ? N’y a-t-il pas un risque de tromperie ?

Avec ce nouveau texte, le Gouvernement ne fait qu’empiler les statuts au lieu de simplifier les dispositions en vigueur. Pourquoi ne pas avoir toiletté l’EURL ? Je ne suis pas étonné que les avocats, les notaires et les fiscalistes se frottent les mains : il sera très difficile de se décider entre les différents statuts possibles, ce qui fera leur bonheur.

M. Thierry Benoit. Le Nouveau Centre soutient ce texte fort utile sur un sujet que le secrétaire d’Etat a personnellement pris à bras-le-corps. Nous sommes ici au cœur de l’« économie réelle ».

Les nouvelles dispositions ont pour objet d’instaurer une protection du patrimoine non professionnel de l’entrepreneur individuel sans création d’une personne morale distincte. Le volet social et fiscal du texte nous semble particulièrement intéressant, car il permettra à l’entrepreneur individuel d’opter pour l’impôt sur les sociétés.

Nous défendrons quelques amendements, fruit d’un travail commun des membres de notre groupe siégeant à la Commission des affaires économiques et de ceux qui siègent à la Commission des finances. Par un amendement déposé par notre collègue Philippe Vigier, nous demanderons que l’affectation de patrimoine s’accompagne de mesures de publicité légale, déjà familières aux créanciers et aux tiers. Un autre amendement tendra à limiter la réduction du délai de reprise en matière de TVA aux contribuables ayant opté pour l’impôt sur les sociétés. Nous reviendrons également sur le statut des agriculteurs, qui pourront, eux aussi, opter pour l’EIRL.

Mme Pascale Got. Connaissant l’approche très patrimoniale des banques, je vois mal ce qui pourrait les dissuader d’exiger une garantie personnelle en cas de demande de prêt ou d’avance de trésorerie. La séparation des patrimoines pourrait même les conduire à se surprotéger, voire à refuser leur concours dans certains cas.

Vous êtes visiblement conscient de ce danger, monsieur le secrétaire d’État, car vous proposez de renforcer le dispositif de cautionnement institutionnel. Comment comptez-vous vous y prendre ? Quelles mesures envisagez-vous pour rendre ce dispositif accessible aux TPE ?

Mme Annick Le Loch. Les chambres des métiers, les chambres de commerce et les syndicats professionnels considèrent ce texte comme une avancée sociale : nous avons tous connaissance de situations familiales dramatiques résultant de la faillite d’artisans ou de commerçants en l’absence de séparation entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel.

La création de l’EURL en 1985 permettait déjà de procéder à une telle séparation, et nous avons renforcé le dispositif grâce à un texte adopté en 2003. Si la situation n’a pas changé, c’est sans doute parce que les solutions existantes sont complexes, mais aussi parce que les chambres des métiers n’ont pas su faire preuve de la pédagogie qu’on pouvait attendre d’elles et qu’elles n’ont pas su relayer l’information. Le feront-elles demain ? On peut en douter. Elles ont un lourd contentieux avec vous, monsieur le secrétaire d’État, sur le statut de l’auto-entrepreneur, notamment en ce qui concerne l’inscription au répertoire, qui n’est pas clarifiée, mais aussi le contrôle de la qualification et la participation aux stages de préparation à l’installation.

Malgré la politique du Gouvernement en faveur de la création d’activité et du renforcement de la concurrence au service des consommateurs, qui s’est notamment traduite par la baisse de la TVA dans la restauration et par la suppression de la taxe professionnelle, on constate dans tous les tribunaux de commerce que le nombre des liquidations judiciaires augmente. L’activité économique demeure fragile.

Les carences de ce texte, notamment en matière de cautions, me semblent donc particulièrement regrettables.

M. William Dumas. En tant qu’ancien banquier, j’avoue être plus sceptique que le secrétaire d’État : il n’y a pas de culture du risque dans notre pays, et cela vaut aussi pour les banques ! Je suis ainsi intervenu, sans succès, en faveur d’une femme qui ne parvenait pas à emprunter 80 000 euros, alors qu’elle dispose de 20 000 euros et qu’elle est prête à hypothéquer un terrain.

Pour remédier aux difficultés actuelles, je me demande si les pouvoirs publics ne devraient pas créer une caisse de caution, quitte à ce que les prêts accordés soient un peu plus chers, comme c’est le cas pour le logement social. À l’instar de Jean Gaubert, je crains en effet que les banques ne demandent un prêt personnel ou des cautions.

En outre, il me semblerait utile que nous fassions le point sur ce texte dans quelques mois afin de voir comment la situation évolue.

M. François Brottes. Vous allez entrer dans l’histoire, monsieur le secrétaire d’État, en créant l’entreprise sans capital, sans patrimoine et sans chiffre d’affaires. Ce que vous proposez aujourd’hui n’est que de la poudre de perlimpinpin : vous prétendez simplifier les dispositifs, mais sans apporter de sécurité à ceux qui créent de l’activité !

Je peux tout à fait concevoir que la capacité d’initiative soit à la hauteur du risque pris, et je reconnais qu’il est insupportable de voir un petit entrepreneur tout perdre en faisant faillite alors que les grands patrons touchent d’autant plus d’argent en quittant leur entreprise qu’ils lui en ont fait perdre.

Cela étant, il ne faut pas oublier qu’il y a des créanciers, qui sont eux aussi des entrepreneurs, derrière toute activité économique portée par une entreprise, même individuelle. Or, ce texte ne prévoit pas de contrôle en dessous de 30 000 euros, ce qui ouvre la voie à bien des dérives. Ce que vous proposez ne sera pas sécurisant pour les créanciers, parfois victimes de malfrats.

Par ailleurs, j’aimerais savoir comment la nouvelle fiscalité locale s’appliquera aux EIRL. Quelle sera leur contribution au financement des missions d’intérêt général réalisées par les collectivités territoriales, que vous privez également de chiffre d’affaires ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Le large consensus qui semble se dessiner démontre que ce texte, très attendu dans le contexte économique actuel, était nécessaire.

Les plans de licenciement s’accompagnent souvent de la mise à disposition de fonds pour aider les salariés concernés à créer leur entreprise, ce qu’ils ne font pas toujours avec succès. Je me réjouis que « défaillance » cesse enfin de signifier « condamnation irrémédiable », mais je voudrais appeler l’attention sur les garanties apportées aux EIRL. Il s’agit là d’un aspect essentiel que nous devons prendre en compte.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Je regrette le pessimisme de nos collègues socialistes. Une entreprise naît, elle vit et elle meurt. Ce qui est important, c’est de protéger celui qui la crée.

Pour cela, on peut imaginer qu’un pourcentage du patrimoine devienne inaliénable, mais on ne pourra pas empêcher quelqu’un d’engager tout ce qu’il possède pour sauver son entreprise. Inversement, on constate que des entreprises déposent leur bilan parce que leur patron ne veut pas engager ses biens personnels.

L’action entreprise par le secrétaire d’État va dans le bon sens : plus nous nous brasserons les méninges, plus nous avancerons !

M. Jean Dionis du Séjour, président. Il me semble, au contraire, que les propos de nos collègues socialistes étaient équilibrés. Ils ont plaidé en faveur de la culture du risque et d’un équilibre entre créanciers et entrepreneurs.

M. le secrétaire d’État. À la demande du Premier ministre, j’ai fait réaliser une étude sur les mesures adoptées par d’autres pays. Je puis notamment vous dire que le Portugal a consacré la notion de patrimoine d’affectation depuis plusieurs années, et qu’il existe, dans les pays de droit anglo-saxon, des mécanismes de fiducie proches de celui que nous vous proposons.

L’impact budgétaire de ce texte devrait être compris entre 50 et 60 millions d’euros, sur la base de 100 000 EIRL.

La rapporteure, que je remercie pour son travail, a insisté à juste titre sur l’étanchéité du patrimoine. C’est effectivement un aspect essentiel du texte. Dans la rédaction actuelle du texte, la transmission-reprise de l’EIRL sera possible sans liquidation, mais on pourrait envisager de le préciser par voie d’amendement. Un fonds de commerce, par exemple, doit être cessible sans qu’il soit nécessaire de se défaire de tous les actifs et tous les passifs de l’EIRL.

S’agissant des garanties et des cautions, je me suis entretenu cet après-midi encore avec la Fédération bancaire française, avec la SIAGI et la SOCOMA, organismes de caution respectivement créés par les chambres des métiers et les banques populaires, mais aussi avec Oséo et les assureurs. Il est envisagé que les banques fassent un choix : soit elles auraient recours à la garantie d’Oséo, qui porte sur 70 % des fonds engagés dans les entreprises, soit elles pourraient demander une extension de la caution au-delà du patrimoine affecté. Pour amortir le risque de perte supplémentaire, il semble normal que la garantie octroyée soit alors légèrement supérieure aux taux actuellement pratiqués – elle pourrait coûter 1,2 % du montant du crédit garanti, contre 0,9 % à l’heure actuelle.

Il va de soi que l’organisation de l’insolvabilité ne doit pas être facilitée. En ce qui concerne le patrimoine personnel, l’insolvabilité relèvera des dispositifs applicables en cas de surendettement, et de procédures collectives pour le patrimoine professionnel. Si l’entrepreneur procède frauduleusement à une captation de son patrimoine professionnel pour organiser son insolvabilité, le juge pourra prononcer la confusion des patrimoines, ce qui fera disparaître leur étanchéité, solution déjà applicable aux EURL.

J’ignore si l’échec des dispositions relatives aux EURL est dû aux chambres des métiers, mais il me semble que d’autres facteurs ont dû jouer, notamment en matière culturelle. En tout cas, force est de constater que nous n’avons pas dépassé le nombre de 185 000 EURL en vingt-cinq ans.

Le contentieux avec les chambres des métiers est aujourd’hui apaisé, du moins en ce qui concerne les deux points qui faisaient l’objet des plus vives critiques.

Tout d’abord, la qualification professionnelle des artisans et des auto-entrepreneurs devra être prouvée ; le décret sera publié avant la fin du mois de mars.

M. François Brottes. C’est une mesure que nous avions proposée dès l’origine !

M. le secrétaire d’État. C’est exact, mais il faut parfois un peu de temps…

Mme la rapporteure. Et la question relève du domaine réglementaire !

M. le secrétaire d’État. La loi dite « Raffarin » de 1996 prévoyait déjà un tel contrôle, mais le décret n’a pas été pris. Les artisans sont aujourd’hui satisfaits.

Un amendement adopté en loi de finances rectificative rend, en outre, automatique l’inscription au répertoire des métiers d’un auto-entrepreneur qui exercerait à titre principal un métier à qualification.

Il y a donc eu des avancées, dont certaines avaient été proposées par des membres du groupe SRC. Vous voyez, Mesdames, Messieurs, que nous ne rejetons pas vos suggestions a priori.

Les agriculteurs pourront, eux aussi, bénéficier du statut de l’EIRL, ce qui est une très bonne nouvelle : ils pourront ainsi échapper à la ruine en cas de difficulté.

Il coûtera effectivement plus cher, monsieur Dumas, de recourir aux services d’Oséo, mais l’alternative envisagée marque un véritable progrès.

Je suis reconnaissant à M. Brottes d’évoquer, dans chacune de ses interventions, le statut de l’auto-entrepreneur : cette mesure est un grand succès. On ne peut pas affirmer que cette innovation juridique ne rapporte rien à ses bénéficiaires. Bien que nous ne disposions pas encore des chiffres définitifs pour l’année 2009, le chiffre d’affaires des auto-entrepreneurs est aujourd’hui estimé à 1 milliard d’euros, ce qui représente 200 millions d’euros de rentrées fiscales et sociales.

Il est exact que l’évaluation des biens par un expert-comptable ne sera pas requise en dessous d’un seuil de 30 000 euros, mais je rappelle qu’une responsabilité sur les biens propres est prévue pendant cinq ans en cas de fausse déclaration. Voilà qui devrait décourager les déclarations volontairement erronées.

En matière fiscale, le droit commun s’appliquera, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés. En ce qui concerne la fiscalité locale, les EIRL seront également soumises au même régime que les EURL.

Pour répondre à M. Nicolas, je rappellerai que les travaux en cours devraient déboucher sur diverses propositions en matière de cautions. D’autres options seront mises sur la table, notamment grâce au recours à des financements européens. Nous aurons l’occasion de revenir plus tard sur le sujet.

Je suis très sensible aux propos tenus par M. Taugourdeau, dignes du chef d’entreprise responsable qu’il est.

Le Gouvernement est favorable aux amendements du groupe Nouveau Centre concernant le délai de reprise et le statut des agriculteurs. Je ferai, par ailleurs, tout ce qui est en mon pouvoir pour ce que ce texte ne soit pas une « usine à gaz ». Sans vouloir paraître immodeste, je suis à l’origine du régime le plus simple au monde pour la création d’entreprise. Vous pouvez donc compter sur moi pour éviter les complexités excessives.

Le projet de loi renvoie à une ordonnance en ce qui concerne les procédures collectives applicables aux EIRL. Je rappelle que le code de commerce prévoit, pour le moment, la saisie de l’intégralité du patrimoine en cas de faillite. L’ordonnance à venir respectera les principes suivants : l’entrepreneur aura droit de recourir, en ce qui concerne son patrimoine personnel, au dispositif applicable en cas de surendettement si son activité professionnelle demeure viable ; en cas de faillite, le patrimoine professionnel sera liquidé. Le régime prévu en la matière se rapprochera de la liquidation simplifiée déjà en vigueur.

Telles sont les réponses que je puis vous apporter. Nous aurons l’occasion de continuer à débattre de ce texte en commission et en séance plénière. J’espère, pour ma part, que le projet de loi sera adopté à la quasi-unanimité.

M. Jean Dionis du Séjour, président. Monsieur le secrétaire d’État, nous vous remercions.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 9 février 2010 à 18 h 30

Présents. - M. Thierry Benoit, M. François Brottes, Mme Catherine Coutelle, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, M. Daniel Fasquelle, M. Jean Gaubert, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Gérard Hamel, Mme Laure de La Raudière, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Claude Lenoir, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Patrick Ollier, M. Michel Piron, Mme Josette Pons, M. Jean Proriol, M. Franck Reynier, M. Francis Saint-Léger, M. Jean-Charles Taugourdeau

Excusés. - M. Jean-Michel Couve, M. Henri Jibrayel, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, M. Serge Poignant