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Commission des affaires économiques

Mercredi 23 juin 2010

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 78

Présidence de M. Patrick Ollier Président

– Audition de M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence

– Informations relatives à la commission

La commission a entendu M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence.

M. le président Patrick Ollier. Monsieur le Président, notre commission vous a auditionné au début du mois de janvier 2009 préalablement à votre nomination comme président de l’Autorité de la concurrence. Quel bilan pouvez-vous tirer de cette première année d’expérience à la tête de cette nouvelle institution ?

Outre votre fonction contentieuse, vous disposez également d’une fonction consultative (en mars, vous avez notamment rendu un avis au ministre de l’économie et au ministre chargé de l’industrie sur le très haut débit et, début juin, vous avez donné un avis à votre consoeur, l’ARCEP, sur l’analyse des marchés de gros de la terminaison d’appel SMS sur les réseaux mobiles, sujet qui nous préoccupe beaucoup). Comment effectuez-vous le suivi des avis que vous rendez car, de leur non-respect, peut ensuite découler une éventuelle sanction ?

Parmi nos préoccupations récurrentes figure la mise en œuvre de la loi de modernisation de l’économie, dont nous contrôlons l’application : j’ai achevé le travail de notre regretté collègue Jean-Paul Charié, avec Jean Gaubert. Je rends hommage à Madame Catherine Vautrin, qui accomplit à la présidence de la Commission d’examen des pratiques commerciales un travail considérable. Faut-il encore légiférer ? Pouvez-vous exercer une pression suffisante pour faire cesser les dérives et les contournements des règles ?

Parmi les nombreux avis que vous avez rendus (57 pour la seule année 2009), un grand nombre (34) sont relatifs à des demandes portant sur des accords sectoriels dérogatoires en matière de délais de paiement. Notre commission, au cours des longs débats qui ont eu lieu sur la loi de modernisation de l’économie, a beaucoup lutté pour que les délais de paiement soient plus brefs. On ne peut se satisfaire de voir se multiplier ainsi les accords dérogatoires : quelle est votre perception des choses sur ce sujet ?

Le projet de loi relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services que l’Assemblée nationale a examinée en deuxième lecture hier soir, Madame Vautrin étant rapporteure, permet désormais aux présidents des observatoires des prix et des revenus outre-mer de saisir l’Autorité de la concurrence. Notre commission comptant un assez grand nombre de députés ultramarins, pouvez-vous nous dire comment vous appréhendez cette nouvelle charge de travail ?

Je souhaite connaître votre analyse sur le programme national très haut débit (THD) : quel est cadre réglementaire qui permettra d'optimiser les investissements des opérateurs dans la fibre ? Selon quelles modalités pratiques un co-investissement des opérateurs est-il envisageable, comme le recommande l'Autorité ?

Enfin, alors que le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité est en navette, il serait utile que vous puissiez souligner les principales recommandations de l’avis que vous avez rendu à notre demande, mi mai, notamment sur la sortie progressive du dispositif et l’incitation des fournisseurs à investir dans des capacités de production d’électricité. Je me suis beaucoup battu, lors de l’élaboration du projet de loi, sur ce dernier point.

Vous l’avez compris, la concurrence est l’une de nos préoccupations essentielles.

M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence. Merci pour votre accueil. Je me souviens effectivement de mon audition en janvier 2009, alors que je n’étais que candidat à la présidence de cette nouvelle institution, et vous m’aviez encouragé à mener une action vigoureuse. Voilà l’heure d’un premier bilan, alors que notre rendez-vous annuel est désormais prévu par la loi. Je vous remets le premier rapport d’activité de la nouvelle Autorité de la concurrence.

Il faut d’abord souligner que sa mise en place a été rapide. La loi de modernisation de l’économie, du 4 août 2008, a été complétée par une ordonnance en novembre, puis par une dizaine de décrets. L’Autorité a été mise en place le 2 mars 2009, au lieu du 15 janvier initialement prévu, à cause de retard dans les nominations des membres du collège. Elle a adopté le même jour son règlement intérieur ainsi qu’une charte déontologique. La nomination du conseiller auditeur en juillet a permis d’effectuer les notifications de griefs. L’Autorité fonctionne donc à plein régime depuis la fin du mois de juillet 2009.

Cette nouvelle institution dispose de nouvelles équipes, issues notamment de la direction nationale des enquêtes de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), mais aussi de recrutements variés. Les effectifs des services sont ainsi passés de 130 à 180 personnes. Pour ne pas maintenir de duplication entre les enquêtes de terrain et l’instruction des dossiers, jugée inefficace, un seul statut de rapporteur a été défini, chargé du dossier de A à Z. Chacun a donc dû apprendre un nouveau métier. Les anciens rapporteurs du Conseil de la concurrence participent désormais à la collecte de preuves, au relevé des prix, à des perquisitions, tandis que les anciens enquêteurs de la DGCCRF contribuent désormais à la construction de l’instruction. L’intégration culturelle est ainsi facilitée.

S’agissant du bilan de fond, j’aborderai trois points : l’activité consultative, le contrôle des concentrations, et la surveillance des pratiques anticoncurrentielles.

L’Autorité de la concurrence a rendu 20 avis en 2007, 40 en 2008 et 62 en 2009, destinés au Gouvernement, aux commissions parlementaires, aux organisations professionnelles, ou résultant d’auto-saisines. La France se caractérise par une faible culture de la concurrence. Il est donc important de guider les acteurs en leur donnant un point de vue indépendant sur les questions structurantes de l’économie.

Nous avons par exemple rendu des avis très approfondis sur l’outre-mer, qu’il s’agisse du secteur des carburants ou de la grande distribution, ou sur la crise laitière. Sur cette dernière question, comme sur le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, nous avons eu le dialogue avec le Parlement prévu par la loi de modernisation de l’économie. Nos recommandations ont discutées dans le cadre des états généraux de l’outre-mer, et ont fait l’objet de très vifs débats. Nous avons contribué à révéler des problèmes, notamment les positions acquises par certains grands acteurs du pétrole ou de la grande distribution.

Nous pouvons également influer sur les règles européennes, comme lors de la crise du lait, lors de laquelle nous nous sommes efforcés de faire changer le regard de la Commission européenne sur le regroupement des agriculteurs pour peser dans les négociations avec leurs partenaires.

Le bilan de cette activité consultative est donc très positif, et contribue à prévenir les contentieux et améliorer la sécurité juridique.

La loi de modernisation a transféré la responsabilité du contrôle des concentrations du ministre de l’économie à l’Autorité de la concurrence, qui s’est donné trois objectifs : accélérer les délais de traitement des dossiers, pour correspondre au rythme de l’activité économique, faciliter le dialogue et la résolution des affaires grâce au développement des engagements, et accroître la transparence avec la publication de lignes directrices. Nous avons rendu 94 décisions en 2009, dont 39 portant sur le commerce de détail. La baisse du seuil de notification des concentrations à l’occasion de la loi de modernisation de l’économie explique ces chiffres. Les principaux secteurs concernés sont l’agroalimentaire, les banques et assurances, le commerce de gros et le transport et la logistique. Sur cinquante opérations examinées, l’Autorité n’a eu aucun refus à formuler, mais huit opérations ont donné lieu à la négociation de remèdes, notamment le rachat par TF1 de deux entreprises de télévision numérique.

La surveillance des pratiques anticoncurrentielles constitue le cœur de métier de l’Autorité de la concurrence. Sur ce point, la loi de modernisation de l’économie n’a pas créé de nouveaux outils, et le plafond des sanctions est fixé depuis la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001. Toutefois, nous faisons face à des remises en cause de notre politique, à l’encontre du message formulé en 2008 par votre commission, qui nous incitait à ne pas faiblir. Plusieurs voix posent la question d’un assouplissement de nos exigences, que la crise économique rendrait nécessaire. Alors que nous avions très sévèrement sanctionné un cartel de l’acier en 2008, la cour d’appel de Paris a divisé par huit les sanctions, le 19 janvier dernier. Onze entreprises, dont des filiales très importantes d’Arcelor Mittal avaient mis le secteur en coupe réglée, mettant, grâce à des accords secrets, onze régions sous surveillance, instituant une commission chargée de fixer l’ensemble des prix et de répartir les clients. Il existait même un « code de déontologie » du cartel. Les PME, en aval, avaient subi des hausses de prix de plus de 25%. Les sanctions ont atteint un montant exceptionnel de 574 millions d’euros, mais les preuves étaient accablantes. La cour d’appel de Paris, en janvier 2010, a réduit ce montant à 74 millions, ce qui est peu de choses pour les entreprises condamnées, et justifié sa décision par le contexte de crise économique et le dommage à l’économie jugé modéré. Je regrette que le ministre de l’économie ait refusé le pourvoi en cassation, mettant simplement en place une commission de réflexion sur la prévisibilité des sanctions, qui rendra son rapport dans quelques semaines.

Souvenez-vous des nombreuses affaires de marchés publics truqués dans le secteur du BTP, au détriment des contribuables. Nous nous étions autosaisis dans l’affaire du cartel des lycées d’Ile de France ou du logiciel « drapeau ». Cette politique de lutte résolue a porté ses fruits : ces pratiques ont très nettement diminué aujourd’hui. Il ne faudrait pas que le message s’affaiblisse, devant le prétexte commode de la crise. Ce sont les PME les plus exposées qui en subiraient les conséquences. Nous tenons compte dans la détermination des sanctions des capacités contributives des entreprises.

S’agissant de la grande distribution, la loi de modernisation de l’économie nous a apporté trois outils nouveaux.

Le seuil d’examen des concentrations est passé de cinquante à quinze millions d’euros, ce qui nous a permis d’examiner les rachats d’enseignes au niveau local. Quarante affaires ont été examinées dans ce cadre en 2009. Quatre principales enseignes contrôlent l’essentiel du marché. Nous sommes très vigilants sur les opérations à l’intérieur des réseaux, sans changement d’enseigne, mais nous n’avons pas relevé de problèmes particuliers.

L’Autorité de la concurrence peut désormais prononcer des injonctions structurelles, outre les sanctions pécuniaires, et imposer la revente de surfaces à une enseigne qui commettrait un abus de position dominante.

Compte tenu du délai moyen de dix-huit mois pour l’examen des affaires, il est un peu tôt pour faire le bilan de ces innovations.

Enfin, l’Autorité de la concurrence peut désormais s’autosaisir, ce qu’elle a fait sur trois sujets :

– une enquête est en cours sur la gestion du foncier commercial : il y a trop de cas de préemption abusive pour empêcher l’installation de concurrents ;

– une autre porte sur les relations entre les grandes enseignes et les magasins indépendants qui leur sont liés par affiliation ou franchise. Qui sait qu’aujourd’hui à Paris les diverses enseignes se rattachent à deux groupes seulement ? Certaines clauses contractuelles interdisent de quitter un réseau pour un autre.

– la troisième concerne le management catégoriel, pratique qui se développe désormais en France après les Etats-Unis : on désigne ainsi la gestion de linéaires confiée à un fournisseur, par exemple Danone pour le rayon laitier. Cela peut poser des problèmes aux PME et crée un risque d’harmonisation des prix. Nous échangeons sur ce sujet avec la Commission d’examen des pratiques commerciales présidée par Madame Vautrin.

Il reste encore de nombreux sujets à aborder, mais gardons les pour les questions.

M. le président Patrick Ollier. Je voulais tout d’abord vous remercier de nous avoir transmis la synthèse du rapport annuel de l’Autorité de la concurrence. J’apprécie tout ce que vous avez dit et vous remercie d’avoir fait acte d’autorité dans certains cas, mais je suis étonné de ce que vous me dites. Je n’entends pas les voix réclamant moins de sanctions en temps de crise dont vous parlez, ou alors parlent-elles à voix basse. Dans tous les cas, il est certain qu’elles n’émanent pas de cette commission. Bien au contraire, il nous semble que le devoir citoyen d’un chef d’entreprise est de ne pas profiter de la crise pour étrangler ses sous-traitants et l’ensemble du réseau qui fait vivre l’économie en général. Peut être pourrions-nous, en concertation avec Madame Vautrin, présidente de la CEP, organiser une table ronde avec la grande distribution afin de débattre à huis clos de ces problèmes et de faire entendre notre point de vue sur la sévérité qu’il faut opposer à de telles pratiques. Vous êtes aujourd’hui au milieu de députés, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, qui sont tous convaincus que les meilleures règles de la concurrence sont celles qu’une autorité forte prononce et a les moyens de faire exécuter. Je suis choqué par la décision de la cour d’appel dont vous faites mention. La raison d’une telle décision tient peut-être dans le manque de formation et de sensibilisation des juges aux problématiques d’ordre économique. Je m’entretiendrai avec les personnes responsables de ce secteur pour en discuter car ce me semble être un problème de tout premier ordre.

Je conçois bien que vous êtes soumis à des sollicitations diverses. Il faut être indépendant et vous l’êtes. Ici, nous avons le souci de préserver votre indépendance et je vous encourage à continuer d’exercer vos fonctions avec toute la sévérité qui s’impose, sans quoi la transparence ne pourra pas exister et le commerce économique sera menacé. Je voyais Monsieur Piron réagir à l’instant lorsque vous évoquiez le problème de la préemption du foncier par certaines entreprises. Nous sommes tout à fait conscients de ce problème, que nous avons tenté de résoudre lors de la discussion de la proposition de loi sur l’urbanisme commercial. Il est toutefois extrêmement difficile de trouver, par le biais d’une loi, la parade à ces comportements commerciaux. Je crois qu’il ressort davantage de la commission présidée par Madame Vautrin ainsi que de l’autorité indépendante que vous dirigez de mettre en place des règles de bonne conduite seules à même d’éviter de telles dérives.

Je vais maintenant passer la parole aux responsables des groupes.

M. Daniel Fasquelle. Nous vous avons écouté avec intérêt et saluons votre action à la tête de l’Autorité de la concurrence. Pour appliquer la loi de modernisation de l’économie, vous avez réalisé un très gros travail : on ne peut que vous en remercier et se féliciter du choix que nous avons fait de soutenir votre candidature à l’unanimité. Nous avons besoin, dans notre pays, de plus de concurrence, dans l’intérêt du consommateur, de façon à ce que celui-ci bénéficie des meilleurs services et de produits au meilleur prix. Cependant, il faut aussi savoir adapter la concurrence aux secteurs d’activité : certains comme l’agriculture ou l’électricité doivent faire l’objet d’une régulation.

Revenons aux trois points que vous avez évoqués. Tout d’abord, on ne peut que se féliciter de la publication de nombreux avis. Ceux-ci éclairent fort utilement nos débats et participent grandement aux rapports étroits entre nos deux institutions. Vous avez également rappelé l’influence qu’ils peuvent avoir sur le droit européen : je crois comme vous qu’il est important de garder à l’esprit l’interpénétration des droits national et européen en matière de concurrence.

S’agissant des concentrations, le sujet d’importance est la grande distribution. Vous avez répondu à mes interrogations lors de votre intervention.

Enfin, la question des sanctions doit être abordée sous divers aspects. Je pense comme vous et le président Ollier qu’il ne faut pas faiblir sur le montant des sanctions. La « culture de la concurrence » s’imposera par la voie d’une politique de sanctions.

Il n’en reste pas moins que lorsque l’on écoute les entreprises, quelques points d’inquiétude demeurent. Certaines d’entre elles sont interrogées sur des faits très lointains en disposant de délais de réponse très courts, mais attendent très longtemps que se terminent certaines instructions ou que des dossiers qui ont été déposés auprès de vous soient enfin traités. Autre sujet de préoccupations, la politique de clémence : c’est une pratique tout à fait nouvelle, importée d’outre-atlantique via le droit européen. Je n’ai pas le sentiment aujourd’hui qu’elle soit parfaitement bien rodée. Les entreprises se posent beaucoup de questions sur les démarches qui doivent être mises en oeuvre pour bénéficier de mesures de clémence et ont parfois le sentiment d’un certain arbitraire des règles appliquées dans ce cadre. Quel est votre sentiment sur ce sujet et comment pourrions nous perfectionner notre système de clémence ? Enfin, les entreprises considèrent le montant des amendes comme imprévisible. L’Autorité de la concurrence ne pourrait-elle pas dégager plus clairement les critères aux sanctions prononcées ?

M. Jean Gaubert. Je vous félicite pour cette première année de travail. Structurer une telle autorité n’était pas chose facile, et ce d’autant plus qu’il s’agissait de marier deux cultures différentes. Je voudrais débuter mon propos en précisant le sens de la concurrence. Elle n’est pas pour nous un but, mais plutôt un moyen, le moyen de parvenir à une plus grande compétitivité. Nous sommes aussi, reprenant une expression longuement débattue, pour une concurrence libre et non faussée. Cela implique notamment que les règles sociales et environnementales soient respectées de la même manière dans tout l’hexagone. Comment agir face à des entreprises disposant d’un siège à l’extérieur de la France et de l’Union européenne ? Je fais suite à de nombreuses plaintes de nos opérateurs économiques qui disent ne pas pouvoir résister à des concurrents dont les coûts de main d’œuvre sont bien inférieurs et les règles de sécurité qu’ils doivent respecter moins strictes. Cette question ne dépend pas de vous, mais a tout de même une influence considérable sur votre action.

Je voulais ensuite revenir sur certains des points que vous avez évoqués. Tout d’abord, il me semble nécessaire de porter la plus grande attention à la grande et moyenne surface, et plus particulièrement au secteur du bricolage. Nos concitoyens, de plus en plus bricoleurs, paient très chers de tels produits, et ce de manière indue, comme le montre la marge nette affichée par les enseignes du bricolage, la plus forte de toute la grande et moyenne surface.

J’approuve également vos propos sur la particularité de la situation parisienne. Les Parisiens ont le sentiment d’avoir le choix entre plusieurs enseignes différentes. La réalité est toute autre : beaucoup dépendent de la même structure, ou du moins de la même centrale d’achat. Dès lors que celle-ci détermine le prix d’achat, qui représente l’essentiel du prix de vente, la marge pratiquée par toutes les enseignes sera sensiblement la même. Que peut-on faire pour lutter contre la concentration de ces centrales d’achat en prenant en compte le fait que dans un certain nombre de groupes, chaque opérateur local est théoriquement indépendant ? C’est le principe des fameuses coopératives : il n’y pas de capital croisé sur la zone de chalandise locale. Par exemple, le patron du Leclerc de Lannion pourra détenir des actions du Leclerc de Rennes, mais pas de celui de Guingamp.

Autre point que vous avez mentionné, la tendance des grandes surfaces à devenir des dépôts vente d’un certain nombre de ces structures. Je l’avais déjà dénoncé il y a très longtemps et l’on voit que cela continue de se développer sous des formes très diverses.

Revenons sur la question des concentrations : j’aimerais connaître la doctrine de l’Autorité de la concurrence. Lorsque je constate que sur les quatre-vingt-quatorze avis que vous avez rendus, tous sont positifs, je m’interroge : soit nous avons mis la barre trop haut, et nous devrons y réfléchir, soit ce sont d’autres éléments qui le justifient et, dans cette hypothèse, je désirerais savoir lesquels. S’agissant des sanctions, je m’inscris par ailleurs dans la lignée des propos que les précédents orateurs ont tenu : la crise ne doit pas être un prétexte invoqué pour justifier des amendes trop faibles. En période de crise, les entreprises victimes des pratiques anticoncurrentielles sont encore plus fragilisées.

J’évoquerai ensuite brièvement les marchés publics. Depuis trente-deux ans que je suis élu, je me suis toujours posé la même question : pourquoi paie-t-on plus cher que dans le cadre d’un marché privé ? On nous a expliqué qu’il fallait mettre en place des règles de concurrence sans aucune interface ou interférence. Malgré ces règles, ou peut-être à cause d’elles, les prix que nous acquittons sont plus élevés. Il faudra aussi s’interroger sur le rôle des prescripteurs, lesquels prescrivent des choses complètement hors normes en sachant qui pourra répondre au marché et de combien cela renchérira celui-ci.

Enfin, dans le secteur des « nouvelles concurrences » comme les télécommunications et l’électricité, on constate à quel point le plus grand opérateur commercial est en train de mettre en coupe réglée les artisans.

Mme Catherine Vautrin. En tant que présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales, et ne disposant donc pas de pouvoir de sanction, je voudrais souligner combien votre rôle me paraît important.

Deux points m’ont paru essentiels lors de votre propos liminaire. Le premier concerne les délais de paiement. Vous avez joué un rôle essentiel dans la facilitation de l’application des textes en rendant des avis sur la possibilité de décaler les délais de paiement d’un certain nombre d’activités. J’attire votre attention, dans ce cadre, sur les conséquences extrêmement lourdes, pour les PME de notre pays, d’un sujet à la limite de nos deux institutions : les stocks déportés. De plus en plus, on exige des PME qu’elles livrent leurs produits dans un endroit de stockage qu’elles financent. Comme il n’y a pas transfert de responsabilité et que le produit n’est toujours pas en magasin, il n’est pas nécessaire de modifier les délais de paiement. La présence en rayon des produits de l’entreprise est donc beaucoup plus faible, ce qui est particulièrement problématique dans le cas de produits saisonniers périssables : on les solde ou bien on les renvoie sous prétexte qu’on ne les a pas écoulés.

Le second point qui m’interpelle est celui des « category managers ». Le distributeur devient un loueur de place, car il n’apporte plus le service de la gestion. Là encore, on note une dérive. Le distributeur, ne pouvant pas conserver d’une année sur l’autre la marge qui est la sienne, impose au fournisseur une baisse significative du prix d’achat avant même l’ouverture des négociations, dans le but de reconstituer sa marge, et ce même dans le cas où il ne perd pas d’argent sur le produit.

Cela m’amène à évoquer le phénomène des concentrations abusives que sont les centrales d’achat. Sept centrales d’achat sont les interlocuteurs privilégiés, ou devrais-je dire forcés, de bon nombre de nos PME.

Mme Frédérique Massat. Je souhaiterais vous interroger sur les tarifs bancaires. Début janvier, vous avez dénoncé leur opacité. Un rapport publié fin septembre par la Commission européenne avait dénoncé le manque de transparence des banques françaises en matière de tarifs. Vous avez indiqué que l’Autorité de la concurrence rendrait prochainement une décision concernant une enquête initiée en 2007 sur une possible entente au sujet de la tarification des chèques. Par ailleurs, une enquête de l’association UFC-Que choisir dresse un rapport accablant selon lequel le consommateur aurait de plus en plus de mal à s’y retrouver dans la « jungle des tarifs bancaires ». Pour comparer les offres des douze premières banques françaises, il faudrait lire au moins deux cent quatre vingt dix pages, mettre en parallèle plus de trois mille sept cents lignes tarifaires, sans pour autant être capable d’identifier l’offre la plus avantageuse.

Où en êtes vous dans votre action en faveur de la concurrence entre les banques ? Quelles sont vos données à ce sujet ?

Ma deuxième question porte sur les sanctions : compte tenu de l’importance des sommes en jeu, où sont-elles affectées ? Sont-elles réinvesties dans vos services pour déployer davantage d’agents ou bien sont-elles utilisées autrement ? Y a-t-il un plafond fixé au montant des amendes ? Vous avez indiqué que les sanctions françaises étaient inférieures à celles infligées par vos homologues européens. Comment l’expliquer ?

Mme Laure de La Raudière. Je vais vous parler de fracture numérique, de montée en débit et de très haut débit. Nous avons suivi avec attention les conclusions de votre avis, défavorable à certaines installations de montée en débit sur les réseaux de cuivre. Je voudrais rappeler l’orientation qui a présidé à la loi sur la fracture numérique, dont j’avais l’honneur d’être rapporteure. Dans les zones très denses, nous avions considéré que la concurrence devrait être complète sur les infrastructures, tout en acceptant qu’en dehors de ces zones, la concurrence soit moins vive, avec la possibilité de mutualisations. Afin d’équiper ces zones rurales en fibre optique, une phase préalable de montée en débit est nécessaire ; il faudra étudier une solution technique qui permette la concurrence par les services, qui prépare le déploiement de la fibre optique, et pour laquelle on aura besoin du soutien de l’Autorité de la concurrence. Je suis consciente que l’offre que l’on vous a présentée ne répondait pas à tous les critères que j’ai énumérés, mais seriez-vous prêt à réviser cet avis si étaient élaborées des solutions de montée en débit préparées par les opérateurs, plus neutres et préparant mieux l’avenir ?

Par ailleurs, quel est votre point de vue sur les futurs réseaux mobiles 4G et leur déploiement dans les zones rurales ?

Mme Corinne Erhel. Ma question s’inscrit dans le prolongement de celle de Mme Laure de La Raudière. Nous voulons tous que chacun ait accès au très haut débit le plus rapidement possible. Dans la synthèse de votre rapport d’activité que vous nous avez transmise, vous rappelez un avis défavorable envers la montée en débit, l’une des solutions transitoires envisageables. Je cite : « Ces solutions ne sont pas neutres d’une point de vue concurrentiel et risquent de compromettre le déploiement de la fibre en décourageant les investissements. C’est pourquoi l’Autorité recommande de limiter leur usage à des situations exceptionnelles ». Quelles sont ces situations exceptionnelles ? Ne serait-il pas possible d’imaginer un dispositif qui permette cette montée en débit des territoires sans obérer la possibilité de déployer de la fibre optique ? Nous savons tous le coût que représentent de tels investissements dans la fibre, et qu’il est impossible de le faire dans des délais restreints, et l’on ne peut accepter que certains citoyens n’aient pas accès au très haut débit et aux services afférents.

M. Michel Piron. Je ferai trois observations et questions. Premièrement, vous avez évoqué votre participation à l’élaboration du droit européen de la concurrence par l’intermédiaire de vos avis. Quelles inflexions avez-vous obtenu de la Commission européenne en la matière ?

Deuxièmement, lorsqu’il s’agit de contrôler les concentrations dans le secteur de la production, l’Autorité de la concurrence est parfaitement compétente, mais lorsque l’on aborde la question des centrales d’achat, c’est beaucoup plus difficile. Quelles pistes envisagez-vous ? A combien mesurez-vous l’effet de telles concentrations sur les prix ?

Enfin, vous avez évoqué, avec raison, l’impact de la crise sur les sanctions. Or, la crise est une crise de dérégulation : il ne faut donc pas cesser de réguler, mais au contraire sanctionner plus. Vous avez pris l’exemple d’un certain nombre de stratégies commerciales à travers le foncier. Je crois savoir que, s’agissant de l’activité commerciale proprement dite, cela représente un tiers du résultat des grands intervenants. Pouvez-vous nous dresser un état des lieux des stratégies commerciales de la grande distribution, notamment sur la question du foncier ?

M. Michel Lefait. Mes questions portent sur la possibilité de faire accéder le plus grand nombre de nos concitoyens à la culture.

La première concerne la numérisation des salles de cinéma. Nous savons qu’à brève échéance, les salles de cinéma sont vouées à passer au numérique ou à disparaître. Or dans les petites municipalités et les zones rurales, les rares salles qui subsistent n’ont pas les moyens financiers de procéder à la numérisation. Le Centre national de la cinématographie (CNC) avait proposé de créer un fonds de mutualisation adossé à une contribution des distributeurs, qui aurait aidé les salles de cinéma à faire face aux coûts de numérisation. Je sais que cette proposition pose des difficultés, puisqu’elle risque de créer des distorsions vis-à-vis des exploitants privés. Sans cette aide, cependant, de nombreuses salles mettront la clé sous la porte. Comment pensez-vous qu’il soit possible de financer le passage au cinéma numérique par d’autres moyens ?

Ma seconde question concerne le livre numérique, dont il est évident qu’il va se diffuser rapidement. Les livres physiques sont soumis au prix unique institué la loi de 1981. Au contraire, les plates-formes en ligne proposent à la vente les livres numériques à des prix différents. Ne serait-il pas opportun d’étendre le prix unique au livre numérique ?

M. Alain Suguenot. Je souscris tout à fait à l’idée que vous avez exprimée qu’en temps de crise, il faut plus que jamais protéger les plus faibles des pratiques anticoncurrentielles. Je vous remercie par ailleurs pour votre avis sur la loi « Pintat » sur la fracture numérique. J’aurai une question sur le financement de la production culturelle, en lien avec la question qui a été posée à l’instant sur la numérisation des salles de cinéma. Dans votre avis, vous vous êtes exprimé en faveur de la création d’une taxe : cela ne conduit-il pas à revenir à une taxe sur la copie privée et sur un débat que nous avons déjà eu plusieurs fois dans cette enceinte ? Par ailleurs, quel est le suivi que vous donnez à vos avis ?

M. François Brottes. La communication que vous faites de vos décisions est-elle suffisante, étant donné le caractère dissuasif que peut revêtir la publicité ? Ne faudrait-il pas que l’Autorité soit obligée de publier toutes ses décisions dans un journal d’annonces légales, si elle ne le fait pas déjà ?

Ensuite, j’ai moi aussi été choqué par l’arrêt de la cour d’appel. Les entreprises qui s’organisent en cartel sont des sortes de terroristes, dont le fonctionnement s’apparente à une mafia. Je sais que de tels propos risquent de choquer mais ils correspondent à la réalité. Par ailleurs, si la Cour raisonne sur le seul fondement du dommage causé aux consommateurs, elle oublie que les actes commis par les cartels sont répréhensibles en eux-mêmes.

Enfin, quels sont vos rapports avec les régulateurs sectoriels, notamment dans les marchés qui fonctionnent sur la base d’une régulation asymétrique ? Êtes-vous concernés par ce problème et en parlez-vous ?

M. Alfred Trassy-Paillogues. Dans l’affaire du cartel de l’acier, l’amende infligée équivaut à mois de 0,1 % du chiffre d’affaires que ces métiers ont réalisé alors que les PME ont été pénalisées à hauteur de 20, 30, ou 40 %. Savez-vous qui, à Bercy, a fait obstacle à un pourvoi en cassation ? Il nous serait agréable de le savoir.

Les déchets sont aujourd’hui l’équivalent de l’eau et de l’assainissement il y a vingt ans. Avez-vous analysé les raisons qui poussent un nombre croissant de collectivités qui exploitaient jusqu’ici les services de récupération des déchets en régie à se jeter dans les bras de grands opérateurs privés ?

En ce qui concerne les énergies renouvelables, vous êtes-vous autosaisi sur les pratiques d’EDF qui, avec de « vrai-faux » agréments Bleu Ciel donnés à des artisans fantaisistes, est en train d’assécher les marchés du solaire et du photovoltaïque ? Et vous êtes-vous penchés sur la question de la spéculation sur les éoliennes et de ces bénéfices colossaux ??

Mme Marie-Lou Marcel. Dans un avis, l’Autorité de la concurrence a analysé en profondeur le fonctionnement de la filière laitière. L’Autorité considère que la crise du lait n’est pas une conséquence des marges des distributeurs mais des politiques communautaires et que la fixation des prix en interprofessionnelle n’est pas la solution. À la veille de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture en séance, maintenez-vous cette analyse et, de manière plus générale, quel est votre avis sur ce projet de loi ?

M. William Dumas. La semaine dernière à l’occasion de la discussion du projet de loi de modernisation de l’agriculture en Commission des affaires économiques, nous avons eu de longs échanges sur la question de la formation des prix. Nous avons insisté sur le fait qu’il faut que soient intégrés le coût de revient des producteurs mais aussi, le cas échéant, le coût de transformation et le coût de distribution afin de pouvoir comparer précisément les marges. Trop souvent aujourd’hui, les producteurs sont obligés de vendre à perte en raison des marges de la grande distribution.

M. le président Patrick Ollier. J’ajouterai une question sur le management catégoriel. Je pense qu’il y a là un vrai problème créé par cette technique de gestion qu’il faut tuer dans l’œuf. Il va peut-être falloir pour cela prendre de nouvelles dispositions législatives. J’aimerais que vous nous disiez ce qu’il vous semble possible de faire dans cette matière.

M. Bruno Lasserre. La diversité des questions soulevées montre la variété des domaines dans lesquels nous intervenons. Je remercie Madame Coutelle pour avoir fait remarquer que la composition du collège de l’Autorité de la concurrence respecte le principe de parité.

Concernant d’abord la question posée par Monsieur Fasquelle sur la durée des procédures, il est vrai que celles-ci sont longues. Mais il faut faire remarquer, d’abord, l’asymétrie des forces en présence. Il m’est arrivé de passer des nuits à rédiger seul des décisions alors qu’en face, une entreprise mobilisait plus de vingt avocats. Il faut ensuite rappeler que pour que des sanctions importantes puissent être prononcées, il est indispensable que la procédure soit irréprochable, qu’elle respecte le contradictoire et toutes les formes obligatoires. Enfin, dans son arrêt « Ravon » de 2008, la Cour de justice des communautés européennes a obligé les États membres à permettre la contestation en appel des décisions du juge des libertés en matière de perquisition, tandis que la loi qui a permis de satisfaire cette obligation a permis l’application de cette faculté aux anciennes procédures, ce qui fait qu’aujourd’hui ce sont plus de 80 procédures qui sont engagées à ce titre et nous empêchent de nous prononcer au fond. Notre objectif est bien sûr de rester en phase avec le temps économique dans la mesure où cela ne nuit pas à la robustesse de nos procédures.

Concernant la politique de clémence, je ne partage pas le point de vue exprimé par Monsieur Fasquelle. Il est clair que ce programme a réussi. Il a été calqué sur le programme type européen.

Concernant les sanctions, évoqués par MM. Fasquelle, Brottes, Gaubert et d’autres députés, si la sanction doit être prévisible, elle ne doit pas l’être entièrement pour garder son caractère dissuasif. Si les entreprises savent exactement à quelle sanction elles s’exposent, elles se livreront à un calcul rationnel et optimiseront leur comportement en conséquence. La sanction doit donc conserver une part de mystère. Ceci dit, nous avons besoin de plus de prévisibilité et j’ai indiqué que nous étions prêts à travailler à des lignes directrices pour déterminer précisément le mode de calcul des sanctions en fonction des critères suivants : gravité de l’infraction, importance du dommage, réitération, situation de l’entreprise.

Concernant la question de la publicité, soulevée par Monsieur Brottes, l’Autorité de la concurrence produit de nombreux communiqués de presse et s’efforce de sensibiliser les journalistes aux enjeux liés aux affaires que nous traitons. Nous travaillons beaucoup sur le pourquoi de la sanction, parce qu’il est important de faire saisir les effets néfastes des pratiques anticoncurrentielles. Depuis l’affaire de la téléphonie mobile en 2006, la couverture médiatique des décisions de l’Autorité de la concurrence s’est d’ailleurs sensiblement améliorée. Je précise que la plupart du temps, l’Autorité prévoit la publication de ses décisions dans des journaux d’importance nationale ou locale selon l’importance de l’affaire.

Concernant l’agriculture, évoquée par Madame Marcel, Monsieur Dumas et d’autres, et plus précisément la filière laitière, l’Autorité de la concurrence estime que la fixation des prix au niveau interprofessionnel n’est pas la solution. D’une part, nous vivons dans un monde ouvert et les accords interprofessionnels n’empêchent pas les transformateurs de s’approvisionner à l’étranger lorsque les prix sont plus avantageux ; les accords interprofessionnels n’ont d’ailleurs jamais interdit ces importations. D’autre part, le pouvoir de marché est du côté des industriels et si les prix fixés par l’accord interprofessionnel ne leur conviennent pas, ils le dénonceront. Le vrai problème se trouve dans l’asymétrie entre des producteurs atomisés qui n’ont pas de pouvoir de marché et les distributeurs de grande taille. D’où, premièrement, l’idée que nous avons proposée et dont s’inspire le projet de loi de modernisation de l’agriculture, d’accroître la contractualisation, en l’absence de laquelle le transformateur fixe directement le prix sans discussion. Deuxièmement, l’Autorité de la concurrence estime qu’à côté des coopératives agricoles permettant le regroupement des structures ou des productions, une solution qui pourrait être intéressante est celle du mandataire unique, auquel les exploitants demanderaient collectivement de négocier la vente de leur production tout en restant propriétaires de celle-ci, ce qui reviendrait à regrouper les seules politiques commerciales. Troisièmement, il est important que les interprofessions puissent diffuser des indicateurs de tendance, objectifs et stables.

Concernant les technologies de l’information et de la communication (TIC), évoquées par Madame de La Raudière, Madame Ehrel, Monsieur Suguenot et d’autres, le premier sujet est celui de la fibre optique. L’Autorité de la concurrence croit à la fibre optique et souscrit pleinement à l’objectif politique de l’apporter à tous les Français. Il y a un objectif d’intérêt général évident à ce que tous les territoires aient accès aux nouveaux services. Le problème qui se pose est celui des moyens permettant de réduire la fracture numérique. Il faut noter à ce sujet la différence de situation entre le cuivre et la fibre, le réseau de cuivre étant déjà déployé et largement amorti, alors que pour la fibre les investissements sont à faire, ce qui implique que la régulation soit incitative pour les investissements. L’Autorité estime qu’il faut tirer parti de l’opportunité qu’offre la fibre d’ouvrir durablement à la concurrence la boucle locale sans reconstituer de monopole. C’est la raison pour laquelle dans son avis sur la montée en débit, elle a noté que si des financements publics sont mobilisés pour la montée en débit, l’incitation à investir dans la fibre demain risque de diminuer. La montée en débit devrait donc être réservée aux zones qui n’ont presque aucune chance de susciter l’intérêt économique des opérateurs privés pour déployer la fibre.

La seconde question en lien avec les TIC concerne les salles de cinéma. Dans l’avis transmis au CNC, l’Autorité de la concurrence souligne la confusion des genres qu’implique la gestion directe par le régulateur d’un fonds. Le CNC serait alors à la fois régulateur et acteur de marché. La proposition de loi aujourd’hui en discussion permet d’ailleurs d’atteindre l’objectif affiché d’aide à la numérisation des salles de cinéma sans mélange des genres, via une taxe qui n’est pas une taxe sur la copie privée.

La troisième question concerne le livre numérique. La loi Lang a été une bonne loi qui a permis d’éviter la vente à prix cassé de best-sellers dans les supermarchés, qui aurait réduit la diversité et tué les librairies de quartiers. La loi Lang et le prix unique du livre doivent-ils être transposés tels quels au livre électronique ? Il ne le semble pas. Premièrement, l’avenir du livre numérique n’est pas à une économie de biens mais de services, avec des offres complexes – abonnements aux dix livres les plus lus, à des extraits concernant un thème bien définis, etc. Va-t-on réguler toutes les offres qui apparaîtront ? Deuxièmement, comment fera-t-on pour s’assurer du respect du prix unique sur les plates-formes situées à l’étranger ? Plutôt que le prix unique, il me semble qu’il faut trouver des moyens pour inciter les éditeurs à investir dans des plates-formes de qualité, qui leur permettront de concurrencer les Google, Amazon et autres. Il s’agit donc plus d’un problème de moyens que d’objectifs.

S’agissant de l’énergie, Monsieur Gaubert a évoqué le problème des relations entre EDF et les artisans. Lors d’une affaire récente sur ce thème, nous avons enjoint à EDF de dissocier la communication auprès de ses clients au tarif réglementé et celle vis-à-vis de ses filiales sur les marchés concurrentiels, notamment l’électricité solaire, de manière à ce que, d’une part, les consommateurs soient clairement informés et, d’autre part, que la notoriété d’EDF ne soit pas utilisée pour distordre la concurrence sur le marché de l’installation électrique auquel participent les artisans.

Nous avons rendu un avis dans lequel nous considérons que le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité répond à un vrai besoin. Obliger EDF à vendre à des opérateurs concurrents et à des tarifs régulés une partie de sa production, c’est mettre en place une véritable économie administrée. C’est sans doute un moyen utile d’amorcer la concurrence dans le secteur de l’électricité ; toutefois, à terme, la concurrence doit se faire entre des opérateurs qui puissent se reposer sur leur propre production d’électricité. Ainsi, la loi NOME ne doit être que transitoire : il faut garder une incitation à l’investissement pour les opérateurs, qui ne doivent pas bénéficier ad vitam aeternam de la rente d’EDF. Nous sommes donc favorables à ce que la quantité d’électricité régulée diminue progressivement, pour que les opérateurs soient forcés de sortir, à terme, de la régulation et de s’appuyer sur des capacités de production indépendantes.

Concernant le secteur du BTP, je comprends votre agacement sur le maintien de pratiques anticoncurrentielles dans les marchés publics. Je tiens toutefois à souligner que la situation s’est améliorée. Nous faisons face à un nombre de saisines moindre. Nous pensons que la politique de dissuasion très forte que nous avons menée est en train de porter ses fruits, notamment l’élévation du plafond des sanctions. Ainsi, nous n’avons pas hésité à aller jusqu’à infliger des sanctions allant jusqu’à 5% du chiffre d’affaires des entreprises concernées, le seuil maximum prévu par les textes. Les groupes mettent par ailleurs en place des programmes de conformité pour sensibiliser leurs cadres aux problèmes de concurrence.

Toutefois, il est vrai que, parfois, les normes qui s’appliquent aux commandes publiques sont plus exigeantes. Nous travaillons d’ailleurs actuellement sur un dossier relatif aux conditions d’élaboration des normes et à l’influence des groupes dominants du BTP sur cette élaboration.

La trop forte opacité des tarifs bancaires ne fait pas de doutes. Les consommateurs ne comprennent pas ce qui leur est facturé, si bien que certains « packages » sont moins avantageux que les services qu’il contient pris séparément ! En conséquence, le coût de la mobilité est trop important, compte tenu de l’impossibilité de comparer les tarifs pratiqués par les différentes banques.

La décision que nous rendrons en septembre est très attendue ; il s’agit de statuer sur la gestion automatisée du chèque et sur la licéité d’une commission uniforme créée par l’ensemble des banques françaises lors de l’automatisation du chèque. Nous sommes également saisis de la question plus générale des moyens de paiement. Nous avons par exemple lancé une enquête sur les commissions interbancaires sur les moyens de paiement comme les cartes bancaires.

Enfin, vous avez évoqué à de nombreuses reprises la question des centrales d’achat. Nous n’avons pas bien abordé, par le passé, lorsque l’Autorité n’existait pas encore, le contrôle des concentrations dans ce secteur. Après avoir entendu vos propos sur le sujet je crois qu’il serait utile de lancer une enquête sur le sujet, de notre propre initiative. Je suis d’accord avec vous : c’est un secteur excessivement concentré et qui créé de ce fait une uniformité des prix en aval.

Je ne suis pas sûr qu’il faille interdire le management catégoriel. Je pense qu’il serait préférable de publier au préalable des enquêtes sur le sujet et d’en discuter ultérieurement. Cette pratique pose le problème plus général de l’interdiction par voie législative : des stratégies commerciales innovantes parviennent toujours à la prendre de vitesse et à la contourner.

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Informations relatives à la commission

●  La Commission a procédé à la désignation de ses rapporteurs pour avis pour le projet de loi de finances pour 2011.

Ont été désignés :

Mission Agriculture, pêche, forêt et affaires rurales

(Mission Agriculture, pêche et alimentation)

M. Michel Raison

UMP

Mission Économie

   

– Entreprises

Mme Laure de la Raudière

UMP

– Tourisme

M. Daniel Fasquelle

UMP

– Commerce extérieur

M. François Loos

UMP

– Consommation

M. Jean Gaubert

SRC

– Communications électroniques et postes

M. Alfred Trassy-Paillogues

UMP

Industrie-Énergie

- améliorer la compétitivité des entreprises industrielles

- recherche dans le domaine de l’énergie

Mme Geneviève Fioraso

SRC

Mission Outre-mer

M. Alfred Almont

UMP

Mission Recherche et Enseignement supérieur

Grands organismes de recherche

– recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires 

– recherche spatiale 

M. Pierre Lasbordes

UMP

– recherche industrielle

M. Daniel Paul

GDR

Mission Ville et Logement

Ville

M. Michel Piron

UMP

Logement

M. Jean-Pierre Abelin

NC

●  La Commission a créé une mission de contrôle de l’application de la loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique et a désigné :

– Mme Laure de La Raudière, rapporteure

– Mme Corinne Erhel, rapporteure adjointe

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 23 juin 2010 à 10 heures

Présents. - M. Jean-Paul Anciaux, M. Thierry Benoit, M. Gabriel Biancheri, M. François Brottes, M. Louis Cosyns, Mme Catherine Coutelle, M. Jean-Michel Couve, M. Marc Dolez, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, Mme Geneviève Fioraso, M. Claude Gatignol, M. Jean Gaubert, M. Bernard Gérard, M. Daniel Goldberg, M. Jean-Pierre Grand, M. Jean Grellier, M. Louis Guédon, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, M. Pierre Lasbordes, M. Michel Lefait, M. Michel Lejeune, M. Jean-Louis Léonard, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Patrick Ollier, M. Serge Poignant, M. Jean Proriol, M. François Pupponi, M. Michel Raison, M. Bernard Reynès, M. Alain Suguenot, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Alfred Trassy-Paillogues, Mme Catherine Vautrin, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Pierre Gosnat, Mme Annick Le Loch, Mme Josette Pons, M. Francis Saint-Léger

Assistait également à la réunion. - M. Michel Piron