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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Crédit d’impôt recherche

Mardi 23 février 2010

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 8

Présidence de M. Alain Claeys, Rapporteur

– Audition, ouverte à la presse, de M. Gilles Avenard, vice-président de France Biotech et directeur général de Bioalliance Pharma, Mme Haude Costa, déléguée générale et Mme Lison Chouraki, expert-comptable, membre du conseil d’administration

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je vous souhaite la bienvenue.

Pour évaluer le dispositif du crédit d’impôt recherche, la mission d’évaluation et de contrôle peut déjà s’appuyer sur plusieurs travaux. Notre rapporteur général, Gilles Carrez, a déjà consacré un rapport au crédit d’impôt recherche. La Cour des comptes aussi a travaillé sur cette question et nous sommes accompagnés cet après-midi de M. Philippe Rousselot, conseiller référendaire à la troisième chambre de la Cour des comptes. En outre, pour la mission qui lui a été confiée sur le crédit d’impôt recherche, la MEC a déjà reçu le MEDEF, qui a élaboré un Livre blanc.

Il nous faut donc évaluer le dispositif actuel du crédit d’impôt recherche. Est-il pour vous un bon outil pour le développement de la recherche dans le secteur privé ou au contraire un instrument imparfait, créateur d’opportunités ? Est-il adapté à la recherche et au développement dans toute leur diversité ? Sa réforme a-t-elle été un progrès pour votre secteur d’activité ? Peut-il être encore amélioré ?

Nous aimerions aussi aborder la question de la propriété intellectuelle, essentielle pour vos secteurs d’activité.

M. Gilles Avenard, vice-président de France Biotech et directeur général de BioAlliance Pharma. Merci de recevoir France Biotech. Médecin de formation, j’ai travaillé vingt ans dans l’industrie pharmaceutique, avant de créer moi-même en 1997, avec un associé, une société de biotechnologie, BioAlliance Pharma. Partie de rien, elle emploie aujourd’hui 90 personnes, est cotée sur Euronext et a mis un premier médicament sur le marché. Je suis aussi vice-président de France Biotech, dont Haude Costa est déléguée générale et Lison Chouraki, par ailleurs expert-comptable, membre du conseil d’administration.

Les biotechnologies, c’est la mise en œuvre du vivant. Cette discipline est née il y a plus de trente ans aux États-Unis, lorsqu’a été découverte la possibilité de manipuler les cellules ou les gènes pour leur faire produire des protéines, notamment des médicaments. L’utilisation de cette technologie a été élargie au domaine végétal, puis développée jusqu’à produire des biocarburants.

Le terme de « société de biotechnologie », – ce sont ces sociétés que regroupe l’association France Biotech – désigne quant à lui un modèle économique, né également il y a trente ans aux États-Unis, de sociétés de nature entrepreneuriale et financées non pas par de la dette mais par des augmentations de capital : les cycles extrêmement longs selon lesquels elles travaillent imposent en effet ce mode de financement. Ces sociétés ont pour socle la R&D et l’innovation : sans recherche de très haute qualité, il n’y a pas de sociétés de biotechnologie. Aujourd’hui, 80 à 100 des principaux médicaments « blockbusters » mondiaux ont été inventés par ces sociétés. Ainsi organisées, elles créent, sur la durée, de la valeur pour un payeur futur, qui pourra être la grande industrie pharmaceutique. Ainsi, les antirétroviraux utilisés pour lutter contre le VIH – dont la plupart est aujourd’hui vendue par des grands groupes pharmaceutiques – ont pratiquement tous été découverts par des sociétés dites de biotechnologie.

La longueur du cycle économique de ces sociétés est un point essentiel. Pendant dix, quinze ans, voire plus, elles ne sont pas rentables. Elles créent de la valeur là où les grands groupes ne veulent pas prendre de risques, au cœur de ruptures technologiques où la recherche est trop innovante et trop loin de leurs marchés.

Si la France aujourd’hui est plutôt bien placée en Europe, en troisième position – derrière le Royaume-Uni et la Suisse, et devant l’Allemagne –, les sociétés de biotechnologie européennes ont vingt ans de retard sur les américaines, qui sont devenues de vraies grandes sociétés de l’industrie pharmaceutique.

De 1997 à 1999, les Länder allemands ont réalisé un considérable effort de financement : pour un deutsche mark investi, un deutsche mark de subvention était apporté. De nombreuses sociétés se sont alors créées. Cependant, ni l’État ni les investisseurs n’ont relayé l’effort fait. En conséquence ces sociétés n’ont pas perduré et cette action n’a été qu’un feu de paille.

Les sociétés de biotechnologie que regroupe France Biotech travaillent dans trois domaines. Le premier est la thérapeutique, le médicament, avec par exemple la thérapie cellulaire – qui consiste à injecter non plus des molécules mais des cellules, qui vont aller réparer un organe – ou encore la thérapie génique. Le deuxième est le traitement des malades et le diagnostic ; avec la découverte de nouveaux outils pour diagnostiquer ou suivre des maladies, il est en pleine expansion aujourd’hui, et les « biomarqueurs » vont sans doute devenir demain l’une des clés des traitements. Le troisième est constitué par ce qu’on appelle le dispositif médical. Ses innovations sont à la frontière de disciplines différentes, comme l’électronique ou les biomatériaux. Le cœur artificiel, ainsi que des prothèses, en relèvent ; dans les vingt ou trente années à venir, les innovations porteront probablement d’abord sur ce domaine, avant le médicament.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans cette révolution où la transversalité est le maître mot, qu’apporte le crédit d’impôt recherche ?

M. Gilles Avenard. Dans notre métier, le crédit d’impôt recherche est, avec le statut de jeune entreprise innovante (JEI), la pierre angulaire de la création et du développement des sociétés. La réforme du dispositif, qui a fait passer son calcul de l’accroissement des dépenses de recherche à un pourcentage des dépenses dans ce domaine, a été globalement favorable aux PME de biotechnologie. Néanmoins, pour nous, les aides remboursables n’auraient pas dû être incluses dans l’assiette du crédit d’impôt recherche. En effet, ce ne sont pas des subventions mais des dettes des sociétés. Elles figurent d’ailleurs à ce titre dans leur comptabilité. Surtout dans les phases de démarrage et de croissance – c'est-à-dire au moment où les sociétés sont les plus fragiles et ont le plus besoin d’argent –, cette inclusion les prive d’une partie des fonds du programme pour lesquelles elles ont demandé une aide à Oséo. Or, exclue du crédit d’impôt recherche, cette aide ne se transformera en subvention que si le programme est un échec. Si c’est un succès, elle sera remboursée ! Cette disposition a été pénalisante pour beaucoup de sociétés. En avril 2008, nous avons réalisé une étude pour attirer l’attention du Gouvernement sur ce point.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour quelles raisons le dispositif est-il favorable aux PME ? D’autre part, certaines entreprises n’auraient-elles pas profité d’un effet d’aubaine ?

M. Gilles Avenard. Dans notre secteur, les PME sont toutes fondées sur la recherche et le développement. La définition de la recherche par le dispositif du crédit d’impôt recherche nous convient parfaitement. Grâce à elle, 100 % des membres de notre association qui effectuent de la recherche et du développement en bénéficient.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pourtant, ces entreprises effectueraient de la recherche même en l’absence de crédit d’impôt recherche. Ce dispositif ne recouvre donc t-il pas une subvention déguisée, qui pourrait à ce titre être contestée ?

M. Gilles Avenard. Le crédit d'impôt recherche participe à l’attractivité internationale de la France depuis des années. Les sociétés de notre secteur sont financées par des augmentations de capital, apportées par des fonds d’investissement en capital-risque. Ces opérateurs – y compris les français – travaillent à l’échelle internationale. Ils disposent d’un large choix d’affectation de leurs investissements. Or, la France est aujourd’hui connue pour son attractivité : le crédit d'impôt recherche est ainsi pour nos sociétés non pas un effet d’aubaine mais un élément structurant. Le supprimer équivaudrait probablement à mettre fin à une grande partie de la création d’entreprises.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. À l’évidence, le dispositif vous satisfait. Néanmoins, avez-vous identifié des freins qui empêcheraient des entreprises d’accéder au CIR ? Quelles contraintes avez-vous repérées ?

M. Gilles Avenard. Il est probable que la réforme de 2008 a fortement favorisé de grands groupes. La Cour des comptes a dénoncé un effet d’aubaine. Cependant, cette préoccupation est hors du champ d’action de France Biotech.

Nous n’identifions que peu de contraintes. Au départ, l’un des freins à l’utilisation du crédit d'impôt recherche était le risque de contentieux avec l’administration. À BioAlliance Pharma, nous avons subi successivement un contrôle très difficile du ministère chargé de l’industrie et de la recherche, sur la définition de la recherche, puis un contrôle fiscal. Depuis sa création, BioAlliance Pharma a bénéficié de 8 millions d'euros de CIR pour 100 millions d'euros d’investissement en capital. Le ratio est peu élevé eu regard de ses 30 % de dépenses de R&D : 8 % sur treize ans, sachant que nous avons mis un médicament sur le marché, réalisé des développements aux États-Unis et que seule la recherche stricto sensu entre dans l’assiette du CIR.

Aujourd’hui, au contraire, la procédure de rescrit – c'est-à-dire de demande d’avis préalable – auprès de l’administration fiscale, d’Oséo, ou de l’Agence nationale de la recherche (ANR) lève beaucoup de ces freins. Plus d’aisance pour les entreprises suppose probablement une meilleure communication du ministère. Nous, leurs associations, nous efforçons de les informer au mieux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel succès le dispositif de diagnostic préalable rencontre-t-il ?

Mme Lison Chouraki. En fait, c’est le rescrit JEI que les entreprises mettent en œuvre. Comme la définition de la recherche y est la même que dans le rescrit relatif au CIR, il valide, de fait, celui-ci.

M. Gilles Avenard. La plupart des sociétés de notre secteur ont en effet le statut de JEI.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Croyez-vous à l’efficacité du remboursement anticipé du crédit d'impôt recherche ?

M. Gilles Avenard. Oui. De plus, sa suppression après deux ans d’existence risquerait de créer des difficultés sérieuses pour les trois ans qui viennent. Néanmoins, France Biotech propose de cantonner le remboursement anticipé du CIR aux PME, et plus précisément à celles qui consacrent 15 % de leurs dépenses à la recherche – autrement dit, le même critère que les JEI. L’adoption de ce ratio – qui pourrait être contrôlé par Oséo – limiterait le remboursement anticipé aux seules entreprises qui en auraient réellement besoin.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Des critères d’éligibilité par taille d’entreprise ou secteur d’activité pourraient-ils être institués ?

M. Gilles Avenard. L’attribution du crédit d'impôt recherche par secteur ne nous paraît pas forcément une bonne idée. En revanche, sa modulation par taille d’entreprise pourrait être une évolution souhaitable. Nous proposons aussi de plafonner de nouveau le taux de 30 % du crédit d'impôt recherche à 50 millions d'euros de dépenses – ce taux passant ensuite à 5 % – et, au-delà d’un certain montant – nous proposons 30 millions d'euros – de conditionner le CIR à des collaborations avec des JEI. Extrêmement vertueux pour l’ensemble de l’économie, ce dispositif réduirait en partie la dépense actuelle, de 4 milliards d'euros, et ne pénaliserait que peu de groupes industriels. Ainsi, par exemple, Sanofi Aventis, ne serait concerné qu’à hauteur de 15 millions d'euros.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour quelles raisons refusez-vous de cantonner le crédit d'impôt recherche à quelques secteurs ? À l’instar du grand emprunt, ne faudrait-il pas être sélectif et concentrer l’effort par exemple sur les biotechnologies, l’espace, le développement durable, au détriment de secteurs polluants, comme l’automobile ?

M. Gilles Avenard. La définition de la recherche dans les textes relatifs au crédit d'impôt recherche me paraît adéquate : elle est restrictive et limitative. Une décision politique pourrait certes limiter le CIR à certains secteurs. Je comprends très bien qu’une partie du grand emprunt soit ciblée sur les secteurs dont le développement est souhaité pendant les vingt prochaines années. Cependant, dans notre métier, il faut éviter les coups d’accordéon. Dans les biotechnologies qui contribueront à la santé de demain, une continuité de l’investissement est nécessaire. Des représentants d’autres secteurs technologiques tiendront sans doute devant vous des propos du même ordre. C’est un leurre de penser qu’il est possible d’innover pendant dix ans dans un domaine, puis de se reporter sur un autre secteur. BioAlliance existe depuis treize ans, or, nous venons seulement de mettre un médicament sur le marché. D’autres sont en cours de mise au point. Mettre fin dans cinq ans au crédit d'impôt recherche serait déstructurant.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour vous, les brevets sont l’un des critères de la mesure de l’efficacité du crédit d'impôt recherche. Avez-vous observé dans votre secteur une augmentation de leur nombre du fait de ce dispositif ?

M. Gilles Avenard. Oui, c’est indéniable – même si je ne peux pas vous répondre sur les effets de la réforme de 2008. Lors de sa création en 1997, BioAlliance n’était propriétaire d’aucun brevet ; à ce jour, elle en a déposé 300. Les dépenses réalisées à ce titre étant éligibles au CIR, on mesure l’importance de ce dernier pour nos sociétés.

Son doublement pour les dépenses auprès d’organismes publics de recherche est également vertueux. En favorisant les partenariats entre le secteur privé et le secteur public, il transforme ce qui serait une simple subvention au secteur privé en une aide à la création d’entreprises dans le domaine de la R&D. Dans notre secteur, ce mécanisme est un vrai moteur de l’économie.

En revanche, en élargissant le champ des entreprises éligibles au CIR, la réforme de 2008 a eu pour conséquence la multiplication des consultants et sociétés de conseil qui se rémunèrent au pourcentage sur ce crédit. Beaucoup de nos membres s’en plaignent. Certes, ils ne sont pas obligés de céder. Mais nous trouvons que ce mode de rémunération n’est pas vertueux en termes d’utilisation de l’argent public et qu’il pénalise la recherche : en effet, les sommes ainsi dépensées ne vont ni à la recherche ni à l’innovation. Nous proposons donc que, lorsque les consultants sont rémunérés au pourcentage, ils soient obligés de le préciser sur leur déclaration fiscale. Un suivi pourrait ainsi être effectué. Il serait aussi envisageable que, au-delà d’un certain pourcentage, une partie des fonds ainsi utilisés soit déduite du crédit d'impôt recherche lui-même.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À leurs débuts, les start up, ont pourtant besoin de conseils.

M. Gilles Avenard. Non. L’utilisation de la procédure de rescrit, avec l’aide d’Oséo ou de l’ANR, est largement suffisante. BioAlliance Pharma n’a jamais eu besoin d’aide en matière de CIR.

Mme Lison Chouraki. Que le temps du consultant soit rémunéré est logique. En revanche, sa rémunération en pourcentage du CIR n’est pas éthique.

M. Philippe Rousselot. France Biotech a été créée en 1997. Pouvez-vous nous présenter quelques exemples concrets d’amélioration des relations entre secteurs public et privé depuis cette date ? Au-delà des partenariats, le nombre de thésards, de jeunes doctorants, a-t-il augmenté parmi les effectifs de vos adhérents ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous tissé des partenariats avec votre interlocuteur public principal, l’INSERM ? France Biotech les facilite-t-elle ?

M. Gilles Avenard. Les partenariats sont le socle de l’activité des sociétés françaises de biotechnologies. Pratiquement 100 % d’entre elles en ont conclu, avec l’INSERM, mais aussi le CNRS, l’Institut Pasteur, les autres grands organismes de recherche et les universités. La plupart des 300 brevets déposés par BioAlliance sont venus des universités. Nous leur en rendons une partie. Le dispositif est vertueux.

France Biotech a élaboré en 2007 un Livre blanc de la valorisation. Nous pourrons vous le communiquer. Il traitait de l’amélioration des relations entre les secteurs public et privé. Il est prévu de créer actuellement des sociétés régionales d’aide aux transferts de technologie. Elles auront pour objet de travailler avec les universités et l’ensemble des acteurs pour favoriser la valorisation de leurs travaux auprès des entreprises privées. L’actuelle réforme des universités contribue aussi à faire évoluer profondément la situation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La réorganisation des sciences de la vie autour de l’INSERM est un élément essentiel.

M. Gilles Avenard. Oui. Le secteur évolue en profondeur, et favorablement, même si les délais de négociation avec les organismes sont toujours beaucoup trop longs au regard de nos attentes. Le mandat unique de gestion de la propriété intellectuelle contribue aussi à cette évolution. De réelles améliorations sont en cours. Nous y travaillons.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Merci beaucoup.