Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Crédit d’impôt recherche

Mardi 1er juin 2010

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 45

Présidence de M. Olivier Carré, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Rodolphe GINTZ, sous-directeur chargé de la 3ème sous-direction de la direction du Budget, et M. Stanislas GODEFROY, chef du bureau de la Recherche et de l’enseignement supérieur

M. Olivier Carré, Président. Pour la deuxième audition de cet après-midi, nous entendons M. Rodolphe GINTZ, sous-directeur chargé de la 3ème sous-direction de la direction du Budget, et de M. Stanislas GODEFROY, chef du bureau de la Recherche et de l’enseignement supérieur. M. le Rapporteur, vous avez la parole.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Si l’on vous disait que le crédit d’impôt recherche est utilisé pour diminuer la pression fiscale des entreprises, que répondriez-vous ?

M. Rodolphe Gintz. Ce n’est pas nouveau. Chacun s’accorde, y compris le conseil des prélèvements obligatoires, pour dire qu’il fait partie des éléments de notre législation contribuant à diminuer la fiscalité des entreprises.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Est-ce que c’était l’objectif ?

M. Rodolphe Gintz. Ça faisait partie des objectifs.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Quel était l’objectif de la loi : développer la recherche ou diminuer la pression fiscale ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Je vais compléter. Est-ce que les 4 milliards d’euros mis dans le crédit d’impôt recherche chaque année servent uniquement à diminuer la fiscalité des entreprises ?

M. Rodolphe Gintz. En ces termes, je dirais non. Il n’y avait pas uniquement un objectif de diminution de la pression fiscale.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il faudrait tout de même clarifier la question de savoir s’il s’agit uniquement d’une dépense fiscale supplémentaire ou s’il a contribué à développer la recherche. Nous pouvons prendre une période suffisamment longue pour tirer les enseignements, par exemple la période 1992-2008.

En 1992, la dépense intérieure de recherche et développement représentait 2,33 % du PIB et, en 2008, cette dépense était de 2,07 %. Nous constatons donc une chute des dépenses de recherche. Par conséquent, jusqu’à la réforme, le crédit d’impôt recherche peut s’interpréter comme un simple avantage fiscal. Maintenant, il nous faut regarder ce qui se passe depuis la réforme de 2008.

M. Rodolphe Gintz. Pour juger de la pleine application du nouveau dispositif et de son effet sur les programmes de recherche, nous n’avons que l’année 2009 dont les chiffres complets ne sont pas encore disponibles, 2008 et 2009 étant de plus des années de crise. Pour l’avenir, il est encore difficile de faire des prévisions sur l’impact de la réforme sur la recherche et développement. On voit tout de même en 2008 une stabilisation des dépenses de R&D, malgré la crise qui peut conduire des entreprises à diminuer leurs dépenses de R&D. Le crédit d’impôt recherche a donc un impact réel.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous ne faites pas de prévisions mais des estimations. Pouvez-vous commenter les chiffres figurant dans les documents que vous nous avez transmis ?

M. Rodolphe Gintz. Les éléments fournis portent sur les mécanismes de restitution anticipée. La réforme de 2008 a eu pour conséquence une augmentation de la créance qui va atteindre 4 milliards d’euros. En l’absence de mesure de restitution accélérée, et si l’on prend comme dépense fiscale 40 % de la créance de l’année N, puis 10 % pour chacune des deux années suivantes et 40 % ensuite, on a une augmentation linéaire jusqu’en 2013, année pour laquelle la dépense doit avoisiner les 5 milliards d’euros. Or, deux mesures ont été prises dans la loi : la restitution accélérée en loi de finances rectificative pour 2008 et la restitution anticipée en loi de finances pour 2010. Ces deux mesures donnent une progression plus heurtée de la dépense du crédit d’impôt recherche : 5,8 milliards d’euros en 2009 et 4,2 milliards d’euros en 2010. Le résultat est qu’en 2009, le crédit d’impôt recherche devient la première dépense fiscale du budget de l’État.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Hors effet de ces mesures, la direction asymptotique vers laquelle tend la dépense, c’est 4 milliards ?

M. Rodolphe Gintz. Oui avec une augmentation annuelle liée au dynamisme de l’assiette. Dans le document que je vous ai transmis, cette augmentation est estimée à 100 millions d'euros par an ; il est difficile d’être plus précis, car l’assiette du crédit d’impôt recherche ne couvre pas toutes les dépenses de recherche et développement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vos graphiques prennent-ils en compte pour l’avenir le maintien de l’anticipation de la créance pour les PME ?

M. Rodolphe Gintz. Non, afin de ne pas surcharger la présentation avec des effets croisés de trois restitutions différentes, mais on peut estimer qu’elle pourrait représenter une augmentation de l’ordre de 200 millions d’euros.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Que proposez-vous pour éviter les stratégies d’optimisation fiscale ?

M. Rodolphe Gintz. Plusieurs points posent question. Le premier porte sur le niveau du plafond. Le deuxième est l’absence de prise en compte des relations entre sociétés mères et filiales, qui peut inciter des grands groupes à l’optimisation de leur structure capitalistique en multipliant leurs filiales. Le troisième concerne la part forfaitaire des dépenses de fonctionnement. Le taux de 75 % me semble un peu élevé. Nous n’avons pas accès aux comptes des entreprises mais quand nous regardons les organismes de recherche, comme le CNRS, nous voyons des dépenses de fonctionnement d’environ 15 % du budget. Il faudrait donc engager une discussion avec le ministère de la Recherche sur cet aspect. Concernant les deux points précédents, les discussions ont commencé.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Si l’on proposait de retirer les banques du dispositif, quelle serait votre réaction ?

M. Rodolphe Gintz. 50 millions d’euros, ce n’est pas un très gros enjeu pour le crédit d’impôt recherche. De plus, exclure du dispositif de crédit d’impôt recherche les banques pourrait poser un problème au regard du droit communautaire. Toutefois, je doute que ce qui est communément appelé « recherche » dans les banques constitue intégralement de la recherche et développement au sens du crédit d’impôt recherche ou du manuel de Frascati.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Et sur le plafond, quelles sont vos pistes ?

M. Rodolphe Gintz. Nous avons engagé une réflexion consistant à établir différents scenarios en fonction du niveau de plafond : 100 millions d’euros semblent être un plafond assez élevé, des corrections à la marge concernant notamment le plafond et les dépenses de fonctionnement peuvent être envisagées. Pour autant, il faut conserver la stabilité d’ensemble du dispositif.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Et l’idée de supprimer la tranche de 5 % au-delà du plafond ?

M. Rodolphe Gintz. Cette suppression rapporterait d’après les estimations du sénateur Christian Gaudin 588 millions d’euros ; mais une suppression pure et simple semble difficile à envisager.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il a été évoqué de lier le crédit d’impôt recherche avec le niveau d’imposition globale de l’entreprise. Avez-vous réfléchi à cette question ?

M. Rodolphe Gintz. Même si nous n’avons pas ouvert de réflexion à ce sujet, je ne suis pas certain de la simplicité d’un tel dispositif. Parmi les pistes, un taux différencié en fonction de la taille de l’entreprise peut être intéressant. Toutefois, n’oublions pas qu’instaurer des seuils peut avoir des effets pervers pour les entreprises.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous abordé, avec le ministère de la Recherche, le sujet de la frontière, non évidente, entre recherche et innovation ? Les PME considèrent que l’assiette du crédit d’impôt recherche ne va pas assez loin dans le domaine de l’innovation.

M. Rodolphe Gintz. Nous n’avons pas discuté de ce sujet depuis quelque temps avec le ministère de la Recherche. Mais compte tenu des outils spécifiques destinés à aider l’innovation dans les PME, je ne pense pas que nous puissions considérer qu’il y aurait une lacune dans le dispositif. Les outils d’OSÉO me semblent mieux adaptés à l’innovation dans les PME qu’une extension à l’innovation du crédit d’impôt recherche.

M. Olivier Carré, Président. Lors de l’audition précédente, Mme Marie-Christine Lepetit considérait que l’un des atouts du crédit d’impôt recherche résidait dans la notion de foisonnement, qui suppose qu’il n’y ait pas de fléchage des aides. Les deux plaidoyers sont intéressants et, à la réflexion, les deux raisonnements sont plus complémentaires que contradictoires.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Qu’en est-il de la sous-traitance ? Est-ce qu’à travers le crédit d’impôt recherche, il n’y aurait pas une forme de financement des organismes qui bénéficient du doublement de la dépense ? Avez-vous observé, sur cette question, une évolution significative de la situation ? À la suite des auditions que nous avons déjà menées, nous avons compris que les entreprises, ont intérêt, pour des raisons de mécanique fiscale, à développer leur recours à la sous-traitance.

M. Rodolphe Gintz. Nous constatons effectivement dans les comptes des organismes de plus en plus de ressources provenant du secteur privé, à l’évidence grâce à cette mesure qui a été prise pour multiplier les ponts entre recherche publique et recherche privée.

M. Olivier Carré, Président. Est-ce que cela marche ?

M. Rodolphe Gintz. Cela s’observe dans les comptes, mais nous manquons encore de recul pour en mesurer les conséquences réelles. Il faudra notamment apprécier quelles sont les tâches sous-traitées, ainsi que la nature réelle des relations de sous-traitance. Il faudra davantage de temps pour mesurer l’efficacité réelle de ce phénomène en termes de politique publique.

M. Stanislas Godefroy. Le phénomène est assez lent car les entreprises doivent se rapprocher des organismes et apprécier dans quelle mesure ces derniers peuvent leur apporter des compétences. Nous constatons le développement d’un réel intérêt : les entreprises et les organismes font la démarche d’aller les uns vers les autres pour voir ce qu’ils peuvent s’apporter.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pour le conseil d’administration d’un organisme de recherche, trouver un financement privé conduit-il à une réduction des financements publics ou est-ce un plus pour l’organisme ?

M. Rodolphe Gintz. C’est un plus pour les organismes car il n’y a pas de mécanisme de vase communicant conduisant à une réduction du financement public. Les financements publics ne sont pas remis en cause du fait de l’apport de fonds privés aux organismes de recherche.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel sera le bon moment pour juger de l’efficacité du dispositif mis en place en 2008 ? Est-ce que ce sera en 2012 ?

M. Rodolphe Gintz. Inévitablement, la crise économique et la mesure de restitution anticipée prise dans le cadre du plan de relance sont deux paramètres liés qui interfèrent dans la lecture de la mise en œuvre du dispositif. Le rythme de croisière devrait être atteint vers 2013-2014, ce qui ne signifie pas qu’on ne pourra rien dire avant cette date. D’ailleurs, un audit de l’Inspection générale des finances est en cours. Il est bon que des dépenses fiscales d’une telle ampleur soient évaluées selon une fréquence raisonnable, peut-être pas tous les ans, mais au moins tous les trois ou quatre ans et que leurs effets puissent être documentés en continu par des indicateurs de performance.

M. Stanislas Godefroy. Le crédit d’impôt recherche doit être évalué d’ici juin 2011, comme l’ensemble des dépenses fiscales.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. De quels indicateurs d’évaluation disposez-vous ?

M. Rodolphe Gintz. Nous disposons de l’indicateur de performance prévu dans les documents budgétaires, qui mesure le supplément de dépense de recherche et développement par euro de crédit d’impôt recherche investi. Nous réfléchissons, avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, à l’évolution de cet indicateur qui ne semble plus totalement adapté au nouveau dispositif. Nous allons voir ce que va conclure l’Inspection générale des finances. En tout état de cause, je ne suis pas persuadé qu’un indicateur unique de performance, de périodicité annuelle, soit suffisant pour évaluer un dispositif de 4 milliards d’euros.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous vivons dans un pays étonnant : je suis surpris par le nombre d’organismes et de missions qui s’intéressent au crédit d’impôt recherche : le ministère du budget, l’Inspection générale des finances, le Sénat, l’Assemblée nationale, la Cour des comptes… Qui fera la synthèse de tous ces rapports ? Tout le monde – y compris la presse – évoque dans une grande cacophonie cette manne de 4 milliards d’euros.

M. Olivier Carré, Président. Compte tenu de l’objet de la MEC et de sa dynamique, nous sommes en position de réaliser cette synthèse. Nous bénéficions de l’éclairage de l’administration, de la Cour des comptes, nous votons le budget… Nous sommes typiquement dans une démarche d’appréciation et de fixation d’une doctrine. Il nous appartiendra de prendre nos responsabilités, le moment venu, sur la poursuite et l’ajustement du dispositif. C’est tout particulièrement votre rôle en tant que Rapporteur.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Indépendamment de cela, il faudrait évaluer le coût des études et des audits. C’est une vraie question.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour en revenir au sujet qui nous préoccupe, celui de la croissance des PME, est-ce que la réforme de 2008 répond bien au défi de cette croissance ?

M. Rodolphe Gintz. J’ai tendance à penser que cette réforme fait partie des éléments qui y contribuent. Le dispositif de rescrit, notamment, apporte un élément de sécurisation aux responsables de PME.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pensez-vous que le crédit d’impôt recherche et OSÉO soient bien complémentaires ?

M. Rodolphe Gintz. Je pense que oui. Le crédit d’impôt recherche seul ne résoudra pas tous les défis auxquels notre économie est confrontée, mais conjugué à l’apport d’OSÉO, au grand emprunt et à la mise en place des pôles de compétitivité, le dispositif français de soutien à la recherche et à l’innovation commence à ressembler à ce qu’il faudrait faire.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Que pensez-vous de l’évolution du nombre de rescrits ?

M. Rodolphe Gintz. J’ai été étonné par sa faiblesse, comparé au nombre de PME et de déclarations de CIR.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous avons seulement 286 rescrits pour 12 949 dossiers. Vous considérez que le rescrit devait apporter une sécurité juridique aux chefs d’entreprise ; or, on a plutôt l’impression que ces derniers s’en désintéressent…

M. Rodolphe Gintz. C’est surprenant en effet. Le dispositif n’est peut-être pas assez connu.

M. Olivier Carré, Président. Messieurs, merci pour votre contribution.