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Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Mercredi 16 décembre 2009

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 18

Présidence de M. André Gerin, Président

– Audition conjointe de M. Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, de M. Xavier Darcos, ministre du Travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, et de M. Éric Besson, ministre de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

Audition conjointe de M. Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, de M. Xavier Darcos, ministre du Travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, et de M. Éric Besson, ministre de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire

M. André Gerin, président. Nous achevons aujourd'hui les auditions débutées le 8 juillet. Menées avec sérieux et assiduité, elles nous ont permis d’entendre à Paris, Lyon, Marseille, et Bruxelles plus de 175 personnes de diverses tendances, qu’il s’agisse d’associations laïques ou féministes, de représentants des maires ou d’une femme qui a accepté d’ôter son voile intégral pour échanger à huis clos. Nous avons ouvert un dialogue très constructif avec le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), M. Mohammed Moussaoui, et le recteur de la Mosquée de Paris, M. Dalil Boubakeur. Nous avons relevé avec succès les défis qui s’imposaient à nous : travailler sur la question du voile intégral dans un esprit d’ouverture et sans stigmatiser personne et, au-delà, faire en sorte que la deuxième religion de France soit « républiquement compatible ».

Un grand débat s'est ouvert dans notre pays, en Europe et même dans le monde. Nous avons ainsi été sollicités par des médias canadiens, japonais, allemands, belges, russes et de plusieurs pays arabes. Nous avons enregistré plus de 80 000 connexions aux vidéos des auditions et pas un jour ne s’est passé sans qu'un quotidien évoque le sujet.

Il s’agissait de montrer que la pratique du port du voile intégral recouvre une question politique, celle du fondamentalisme. Nous avons réussi à clarifier un certain nombre de points s’agissant de l’intégrisme, à mettre en évidence l’endoctrinement des garçons et des filles dans certaines parties de notre territoire et à faire prendre conscience des violences qui sont faites aux femmes sous couvert du religieux.

Vient maintenant le temps de la réflexion. Les contributions que nous recevons depuis quelques jours doivent être rassemblées ; nous ne prendrons pas notre décision avant la conclusion de nos travaux, prévue à la fin du mois de janvier. Sur ces sujets, la patience prévaut et nous devons faire preuve, dans le contexte actuel, d’un grand sens de la responsabilité. La mission, représentative des différentes sensibilités de l'Assemblée nationale, rendra ses préconisations sans esprit partisan.

Je veux remercier MM. les ministres Hortefeux, Darcos et Besson de leur venue, en accord avec le Premier ministre. Celle-ci marque un moment important de nos travaux. En tout premier lieu, notre intérêt porte sur les résultats de l’enquête dont le Journal du dimanche s'est fait l'écho, et dont nous souhaiterions pouvoir disposer, Monsieur le ministre de l’Intérieur.

M. Éric Raoult, rapporteur. Au cours des six derniers mois, nous avons travaillé sans préjugés et entendu des personnes provenant d’horizons très divers : acteurs de terrain, intellectuels, élus, représentants du culte musulman, associations laïques ou féministes. Ces auditions ont permis de mieux cerner la complexité de la question et les raisons multiples qui conduisent au port du voile intégral.

Si les femmes qui ont fait ce choix s'expriment beaucoup, il ne faut surtout pas oublier celles qui subissent cette pratique rétrograde, qui – comme l’a dit le Président de la République – n’est pas la bienvenue dans notre pays. Notre première pensée va vers elles.

Un consensus s'est progressivement dégagé pour dire que cette pratique est contraire aux principes républicains et qu’elle met à mal la dignité des femmes, qui voient ainsi leur existence niée dans l'espace public.

Je me félicite des échanges très fructueux que nous avons eus avec les représentants du culte musulman. Nous sommes conscients qu'une partie de la solution viendra de l'implication des voisins, des amis, des administrés et des autorités religieuses qui prônent une pratique apaisée de l'islam.

Une fois ce constat établi, il reste à décider comment éviter l'extension de cette pratique qui heurte bon nombre de citoyens et qui, si elle devenait trop importante, pourrait menacer la cohésion sociale de notre pays.

Les enfants des quartiers de ma circonscription s’amusent à appeler ces femmes « Belphégor ». Nous devons condamner clairement cette pratique tout en restant à l'écoute de l'immense majorité des musulmans présents en France, qui eux aussi la rejettent et n'aspirent qu'à une chose : vivre paisiblement leur foi dans notre République.

Des pistes ont été tracées ; notre mission a encore quelques semaines de travail devant elle. En tant que rapporteur, je remercie MM. les ministres de leur venue et me réjouis qu’ils puissent conclure ces auditions.

M. Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. J’ai souhaité jusqu’à ce jour faire preuve de discrétion afin de réserver à votre mission les réflexions que m’inspire cette question très difficile. J’ai noté, comme les autres membres du Gouvernement, la grande qualité de vos travaux et la diversité des personnalités auditionnées. Je sais que nos débats et vos conclusions feront l’objet d’une attention toute particulière.

Aussi, sur un sujet aussi important que sensible, faut-il éviter tout amalgame, en veillant à ne stigmatiser aucune religion ni aucune population. Je l’ai dit au CFCM, dont j’ai reçu le bureau exécutif, et je le réaffirme solennellement aujourd’hui : on ne saurait réduire la religion musulmane au port du voile intégral. J’observe, d’ailleurs, qu’il s’agit d’une pratique tout à fait marginale parmi les musulmans de France.

Même si la loi de 1905 m’interdit en principe de porter une appréciation, je crois pouvoir dire que le port du voile intégral n'est pas une prescription du Coran. C’est du moins ce que j’ai retenu de mes entretiens avec les principaux représentants de l’islam de France : M. Mohammed Moussaoui, président du CFCM, M. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande mosquée de Paris, et M. Kamel Kabtane, recteur de la Mosquée de Lyon.

Je vous propose de concentrer mon propos autour de trois questions, auxquelles je tenterai d’apporter des réponses : de quoi parlons-nous ? Quelles sont nos convictions ? Que pouvons-nous proposer ?

Lorsque nous évoquons le port du voile intégral sur le territoire français, de quoi parlons-nous exactement ? Le port de la burqa afghane, qui se distingue des autres effets féminins islamiques par la dissimulation complète du corps mais aussi des yeux, cachés par une grille de tissu, n’est pas attesté en France. Il en va différemment du niqab, tenue traditionnelle portée par les femmes dans certains pays du Golfe, qui enveloppe toute la silhouette mais est souvent ouvert au niveau des yeux.

Quasiment inexistant au début des années 2000, le phénomène reste très difficile à quantifier. Le nombre de femmes portant le niqab sur l’ensemble du territoire français est estimé à environ 1 900, soit quelque 3 cas pour 100 000 habitants ; 270 d’entre elles vivraient hors de métropole : 250 à la Réunion et une vingtaine à Mayotte. Les spécialistes estiment qu’en métropole toutes les régions, peut-être la Corse mise à part, sont concernées. Le port du voile intégral est toutefois circonscrit aux zones urbanisées, et concentré dans les cités sensibles des grandes agglomérations : 50 % des femmes portant le niqab en métropole vivent en Île-de-France. Viennent ensuite la région Rhône-Alpes – 160 cas répertoriés –, puis la région Provence-Alpes-Côte-d’azur – une centaine de personnes recensées. Ces trois régions concentrent à elles seules les deux tiers des femmes portant le voile intégral en métropole.

Qui sont ces femmes ? À dire vrai, leur recensement est d’autant plus délicat que beaucoup restent confinées chez elles ou dans leur quartier de résidence. Les éléments dont nous disposons montrent qu’il s’agit d’une population relativement jeune : la moitié d’entre elles ont moins de trente ans et l’immense majorité – 90 % – moins de quarante ; 1 % d’entre elles seraient mineures. Plus des deux tiers seraient françaises et, parmi elles, la moitié appartiendraient aux deuxième et troisième générations issues de l’immigration. Près d’un quart seraient des converties, nées dans une famille de culture, de tradition ou de religion non musulmane.

À l’évidence, le voile intégral exprime chez ces jeunes femmes une rupture avec le mode de vie des sociétés occidentales. Dans quelle mesure cette rupture est-elle voulue ou subie ? La question peut légitimement être posée. Sans entrer dans le détail des mouvances auxquelles elles sont susceptibles d’adhérer, je me contenterai de dire qu’il est difficile d’apprécier le libre arbitre de ces femmes et de déterminer si leur claustration traduit un engagement religieux sincère ou la soumission à une norme imposée.

Le port du voile intégral est à la source d’incidents. Ceux-ci surviennent lorsqu’une femme refuse d’enlever son voile pour se plier aux exigences de l’administration – guichet des préfectures, des collectivités locales, des services publics – ou de la sécurité publique – contrôle routier, contrôle d’identité. Les personnels des services hospitaliers ou les responsables d’offices HLM sont également confrontés à des difficultés. Souvent, la présence d’un mari ou d’un frère, réputé « protecteur » de la pudeur féminine, contribue à accentuer les tensions.

Face à ce qui est l’expression d’un communautarisme radical, tous les républicains partagent cette conviction : le port du voile intégral n’a pas sa place en France. Pourquoi ne voulons-nous pas du niqab ? Pourquoi suscite-t-il un tel sentiment de gêne, de crainte ou de rejet ? Comme l’a expliqué le Président de la République dans son discours au Congrès de Versailles, le 22 juin 2009, le port du voile intégral « n’est pas un problème religieux, c’est un problème de liberté de la femme, c’est un problème de dignité de la femme ». Le niqab interroge les fondements de notre République, une République pétrie des idéaux de liberté, de fraternité et de solidarité, de non-discrimination entre les sexes et d’égale dignité de tous les citoyens.

Personne ne peut nier que cette tenue vestimentaire ne soit pas vécue, par celles qui sont contraintes à la porter, comme un signe de soumission et d’asservissement. Et qui peut contester la violence du message envoyé par celles qui disent revêtir le voile intégral par conviction ? Je considère que cette pratique est une expression radicale et communautariste. Or la République ne peut accepter le radicalisme et le repli communautaire.

Les communautés existent. Je ne crains pas, comme ministre de la République, de dire mon attachement à ces communautés : chacun d’entre nous peut légitimement vouloir bâtir son histoire, garder en mémoire ses racines, honorer ses ancêtres, se réconforter aux côtés d’une communauté dans les épreuves que lui réserve la vie. Pour autant, il est inacceptable de réduire les femmes et les hommes de ce pays à leur appartenance à telle ou telle communauté. Les communautés, oui ; le communautarisme, non. La communauté, c’est le partage des valeurs ; le communautarisme, c’est le repli sur soi, le refus de la communauté des citoyens.

Pour faire valoir nos convictions, que voulons-nous faire, que pouvons-nous faire contre le port du voile intégral ? Je ne prétends pas vous livrer une solution clé en main. Le Gouvernement est à l’écoute des parlementaires et sera très attentif à vos propositions. Ni les uns ni les autres nous n’avons le droit à l’erreur.

Je voudrais exprimer cinq convictions qui pourraient constituer autant de paramètres pour nous guider dans les décisions à prendre. La réponse que nous devons apporter doit être tout à la fois efficace, acceptable, applicable, juste et solide sur le plan juridique.

Avant de modifier l’état du droit, éventuellement au moyen d’une loi, nous devons nous assurer que cette entreprise aura pour effet de juguler, ou à tout le moins de diminuer cette pratique radicale.

Quelle que soit la décision prise, il sera nécessaire de bien l’expliquer afin qu’elle soit comprise et acceptée en France, mais aussi à l’étranger.

Quel intérêt y aurait-il à brandir de grands principes si ceux-ci devaient rester lettre morte ? Si une nouvelle norme est édictée, son application sera immédiatement mise à l’épreuve par celles et ceux qui prêchent le communautarisme radical. La loi, pour avoir un sens, doit être effective. Rien ne serait pire qu’une loi inappliquée : une loi inappliquée, c’est une loi défiée.

Si une mesure d’interdiction devait être adoptée, nous ne pourrions faire l’économie d’une réflexion sur la sanction du non-respect de cette interdiction et donc sur la personne à laquelle cette sanction devrait s’adresser : la femme emprisonnée sous son niqab ou l’époux ?

Enfin, la solution préconisée doit être solide sur le plan juridique, conforme aux valeurs fondamentales exprimées dans la Constitution et dans les textes internationaux, tout particulièrement dans la Convention européenne des droits de l’homme.

Les nombreux juristes auditionnés ont rappelé qu’en matière de police la liberté est la règle, la restriction l’exception. Le droit de porter un signe distinctif, au travers par exemple d’un code vestimentaire traduisant une opinion, religieuse ou non, est l’une des composantes de la liberté d’opinion, consacrée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Ce principe de valeur constitutionnelle peut certes subir des restrictions, mais à condition qu’elles soient proportionnées et justifiées par un ou des principes de niveau équivalent.

Dès lors, quelles solutions peut-on envisager ? Je voudrais évoquer plusieurs pistes, dont certaines ne sont pas normatives.

La première option tient au dialogue et à la pédagogie. C’est la ligne du CFCM, convaincu que le port du voile intégral pourra reculer en France si les différentes autorités – civiles comme religieuses – manifestent, de concert, leur refus du port du voile intégral. Est-ce possible ? Est-ce réaliste ? Je n’en suis pas certain.

En tout état de cause, je ne crois pas que les responsables publics doivent rester passifs face à ce phénomène. Quelle qu’en soit la forme, une réponse publique est attendue.

Pour le Parlement, une seconde option non normative serait de voter une résolution, sur le fondement du nouvel article 34-1 de la Constitution, exprimant le refus du voile intégral sur le territoire de la République par la représentation nationale. C’est une piste qu’il convient d’explorer car les mots ont une force et la parole politique porte loin, parfois au-delà de l’énoncé d’une norme juridique.

Si nous utilisons l’instrument juridique qu’est la loi – nous sommes bien dans le champ des libertés et, par conséquent, dans le domaine que l’article 34 de la Constitution réserve à la loi –, à quelles options normatives pouvons-nous penser ?

Une loi d’interdiction générale et absolue du port du voile intégral dans l’espace public est-elle possible et souhaitable ? Peut-on interdire le niqab dans l’espace public, au motif que le port du voile intégral est contraire à la dignité humaine ou à la conception que la France se fait de la condition de la femme ? Ce serait sans doute, au fond, la meilleure traduction de ce que nous, républicains, pensons.

Mais si j’en crois les juristes, un tel fondement juridique ne serait pas exempt de fragilités. Une telle interdiction pourrait être analysée par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme comme une restriction à la liberté de manifester ses convictions. Ces deux instances regarderaient-elles cette restriction comme justifiée et proportionnée ? Les juristes en débattent et ne nous apportent pas, aujourd’hui, de réponse suffisamment affirmative. À tout le moins, une consultation officielle des plus hautes instances juridiques de notre pays – le Conseil d’État, par exemple – pourrait être opportune s’il était envisagé de s’engager dans la voie d’une loi d’interdiction.

Ces questions juridiques sont d’autant plus épineuses que se poserait aussi le problème d’une éventuelle sanction en cas de non-respect de l’interdiction. Une contravention viendrait-elle sanctionner un comportement jugé incompatible avec une valeur aussi fondamentale que la dignité de la personne humaine ? Pourrait-on dresser des procès-verbaux in situ aux femmes revêtues d’un voile intégral ? À qui s’appliquerait cette sanction, à celle qui porte le voile ou à celui qui l’y oblige ? Comment savoir si une personne porte le niqab par conviction ou par soumission ? On ne peut imaginer sanctionner indifféremment un acte résultant de l’expression d’une volonté propre et un fait commis sous la contrainte, puisque nous sommes tenus de respecter le principe fondamental du droit pénal, l’élément intentionnel de l’infraction.

Il existe une variante à cette option. Il s’agirait d’envisager, par la loi, de poser le principe selon lequel chacun doit circuler tête nue et le visage découvert sur la voie afin de rendre l’identification toujours possible, pour des motifs de sécurité. Mais peut-on sortir de ce débat, que nous avons abordé sous l’angle fondamental de la dignité des femmes, en se plaçant sur un autre terrain, celui de la sécurité ? Je n’en suis pas certain, ni en opportunité ni sur le plan juridique.

Par son caractère général et absolu, cette dernière option ferait l’objet de fortes incertitudes juridiques. Notre droit, qui protège la liberté d’aller et de venir et le respect de la vie privée, n’oblige en rien les citoyens à être reconnaissables en tous lieux et en permanence. Comme toujours, lorsque les libertés publiques sont en jeu, les restrictions ne sont admises que dans des circonstances particulières – c’est d’ailleurs ce qui a justifié le décret du 19 juin 2009, prohibant le port de cagoules aux abords immédiats des manifestations.

J’en viens à une troisième option normative, sans doute plus solide juridiquement : une loi d’interdiction qui s’appliquerait dans les services publics.

Sur le plan pratique, on voit bien l’intérêt d’une telle évolution. Demain, une femme ne pourrait plus porter le voile intégral dans divers actes de la vie quotidienne – se rendre au bureau de poste, aller chercher ses enfants à l’école, se présenter au guichet d’une préfecture, visiter un parent à l’hôpital, emprunter les transports en commun. Cette interdiction serait d’une grande portée. Elle présenterait l’avantage de répondre concrètement aux problèmes rencontrés sur le terrain et de conforter les agents des services publics.

Quel en serait le fondement juridique ? Je ne suis pas certain que le principe de neutralité du service public puisse être invoqué. Ce principe s’applique aux agents publics et non aux usagers – même si cette conception a évolué à la faveur des débats de 2003 et 2004 sur le port des signes religieux ostensibles. Il me semble que ce fondement peut se trouver dans une idée simple et forte : la nécessité de pouvoir être identifié lorsque l’on s’adresse à un service public pour entreprendre une démarche personnelle.

Il existe une dernière piste que M. Éric Besson évoquera sans aucun doute. Depuis quelques années, le droit du séjour des étrangers en France, que le Parlement a profondément modifié, prend mieux en compte les efforts d’intégration pour bâtir un parcours, de la première carte de séjour d’un an à la carte de résident de dix ans, jusqu’à l’accès à la nationalité française. Je le dis très clairement : rien ne serait plus normal que de refuser systématiquement l’accès à la carte de résident à la personne portant le voile intégral ainsi qu’à son mari. Il serait sans doute utile de préciser, en ce sens, le code de l’entrée et du séjour des étrangers.

La naturalisation me paraît encore moins souhaitable en pareil cas. D’ailleurs, le Conseil d’État, en juin 2008, a pris une décision en ce sens, en refusant la naturalisation d’une femme portant le voile intégral au motif que celui-ci était une pratique « incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment avec le principe d’égalité des sexes ».

Faut-il modifier le code civil ? J’y suis à titre personnel très ouvert : celle qui porte le voile intégral ou celui qui oblige sa femme à le porter se placent en marge de la communauté nationale et ne peuvent, par conséquent, devenir Français.

La République, pas plus aujourd’hui qu’hier, ne prétend gouverner les consciences. En revanche, elle ne peut accepter, pour reprendre les mots du Président de la République, que des femmes soient « prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale et privées de toute identité ». Il nous appartient de refuser le communautarisme radical, qui condamne à vivre en marge de la communauté des citoyens. C’est aux ministres de la République et aux élus de la nation qu’il revient de faire le choix juste.

M. Xavier Darcos, ministre du Travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. Je veux vous faire part, en tant que ministre chargé des relations sociales, de la réflexion qui est la mienne sur ce phénomène, même si, en la matière, la parole du Gouvernement est une.

Vous vous souvenez sans doute que j'ai été, il y a quelques années, l'un des artisans de la loi interdisant le port ostensible de signes religieux dans les écoles, collèges et lycées de l'enseignement public. À l’époque, nous avions eu des débats importants sur l'opportunité d’une loi qui visait essentiellement le port du foulard dans les établissements scolaires : certains affirmaient que le principe de laïcité suffisait à lui seul à en justifier l'interdiction ; pour d'autres, il s'agissait d'un traitement discriminatoire imposé à une communauté particulière.

Cinq ans plus tard, chacun s'accorde à reconnaître que cette loi a permis de trouver un équilibre entre deux principes auxquels nous sommes très attachés : la neutralité de l'espace scolaire et la liberté reconnue à chacun de pratiquer le culte de son choix.

Le succès de cette démarche législative constitue donc un précédent dont on pourrait être tenté de s'inspirer pour répondre à la question du voile intégral. Votre mission d'information, je le sais, ne s'est pas encore prononcée sur ce point. Cette prudence me paraît légitime, non seulement pour des raisons méthodologiques, mais aussi parce que les deux questions sont, en réalité, fort éloignées l'une de l'autre.

La question de la laïcité, notamment, ne se pose pas dans les mêmes termes. Dans le cas de l'interdiction du voile à l'école, il allait de soi que l'expression d'une conviction religieuse entrait en contradiction avec le caractère laïque de l'institution scolaire. Le cadre était celui d'un espace circonscrit et d'une règle d'interdiction parfaitement claire. Le port du voile intégral se pratique dans un espace indéterminé où l'expression d'une opinion, même religieuse, est un droit fondamental.

Interdire le port du voile intégral au nom du principe de laïcité reviendrait, à mon sens, à redéfinir radicalement la portée de ce principe pour le rendre applicable non seulement aux services publics, mais aussi à la totalité de l'espace public. À supposer qu'une telle solution soit constitutionnelle, elle constituerait une réponse sans doute excessive, parce que trop générale, au problème très particulier du port du voile intégral.

Par ailleurs, ces deux questions participent de deux approches très différentes de la liberté individuelle. La loi interdisant le port ostensible des signes religieux à l'école participait d'une volonté de protéger les jeunes filles mineures de tout prosélytisme. L'institution scolaire considère, en effet, que la liberté d'opinion ou de croyance d’élèves encore jeunes et insuffisamment éclairés n’est pas pleine et entière. Dans le cas qui nous occupe, le port du voile intégral n'est pas le fait de jeunes filles dont le discernement serait altéré, mais de femmes adultes, qui, pour la plupart, affirment porter volontairement ce vêtement.

La question qui nous est donc posée n'est plus celle de la protection de la liberté individuelle, mais celle de sa restriction au nom d'une conception plus générale des libertés publiques. Sur la forme, la restriction d'une liberté au nom d'un principe d'intérêt général requiert l'adoption d'une loi ; la question de son opportunité doit être appréciée au regard de l'équilibre général des libertés individuelles et des libertés publiques.

Quelque déplaisir que nous cause l'affirmation d'une servitude volontaire, il est sans doute difficile d'en proclamer l'illégitimité sans remettre en cause la capacité d'auto-détermination que la pensée moderne a posée au fondement de notre système démocratique.

Enfin, si le voile porté par les jeunes filles d'âge scolaire manifestait ostensiblement une appartenance religieuse, on ne saurait pour autant affirmer qu'il constituait une atteinte intolérable à la dignité de la femme ou une rupture inacceptable avec les principes élémentaires d'organisation des relations sociales. Telles sont pourtant les critiques adressées au voile intégral par la plupart des personnalités que vous avez entendues.

L'atteinte à la dignité de la personne, y compris lorsqu’elle porte sur soi-même, est un motif déjà admis par la jurisprudence pour restreindre la liberté individuelle : c'est sur ce fondement que le Conseil d'État a pris son célèbre arrêt interdisant la pratique du lancer de nain. Mais fonder une loi d’interdiction sur un tel principe pourrait être perçu comme la condamnation implicite de la croyance sur laquelle repose cette pratique ; cela entrerait alors en contradiction avec la liberté d'opinion garantie par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Lorsque l'on compare la question du voile intégral avec celle du voile à l'école, ce qui frappe instantanément est la difficulté que nous rencontrons aujourd'hui à poser clairement les enjeux de cette question.

Le voile de 2004 était un objet connu, dont la portée était parfaitement comprise. Le voile intégral, au contraire, est un objet aussi obscur que la réalité qu'il recouvre – au point d'ailleurs que votre propre mission a dû modifier son intitulé. Les différents avis qui se sont exprimés au cours des derniers mois, dans le cadre de votre mission ou au-dehors, ont révélé cette complexité.

Pour les uns, le port du voile intégral constitue une forme d'interprétation littérale des textes religieux ; pour les autres, cette interprétation minoritaire ne correspond pas à l'esprit des textes ; d'autres encore font abstraction de la dimension religieuse pour ne considérer le port du voile intégral que comme une simple pratique anthropologique. En tant que ministre et citoyen, je considère que le rôle des pouvoirs publics n'est pas de trancher cette controverse d'ordre théologique.

Par ailleurs, à ceux qui voudraient voir dans le port du voile intégral la marque d'un refus d'intégration de la part de certaines communautés d'immigration récente, la réalité vient opposer de nombreux exemples de jeunes filles d'origine française récemment converties à l'islam et encore peu familières de ses traditions.

Le fait que nous ne parvenions pas à nous accorder sur une interprétation univoque de ce que signifie ou implique le port du voile intégral ne doit pas être sous-estimé. C'est, à mon sens, l'une des clés du problème.

Toute société repose sur un ensemble de signes qui expriment la nature particulière du pacte social qui unit chaque individu à la collectivité qui l'entoure. Ce qui caractérise une société démocratique, c'est sa capacité à articuler un nombre croissant de signes exprimant des cultures, des sensibilités, des convictions, des croyances, sans que cette expression remette en cause les fondements de son pacte social.

Autrement dit, toute société procède d'un compromis. C'est même, disent les penseurs de l'âge moderne, la seule forme d'aliénation volontaire qui soit parfaitement légitime dans l'ordre social.

Si le port du voile intégral pose problème, ce n’est pas seulement parce que le sens de cette pratique nous échappe : c’est aussi parce que nous n’y percevons pas de volonté de compromis avec le système de valeurs sur lequel repose notre société, notamment avec les règles élémentaires de sociabilité. Celles-ci passent par l'échange, le regard, le sourire, la parole ; elles reposent sur la capacité que nous avons à nous reconnaître dans le visage de l'autre : la République se vit à visage découvert.

Au fond, la question qui nous est posée est non seulement celle de la compatibilité du port du voile intégral avec les valeurs de la République, mais aussi celle de la capacité de notre société à être suffisamment sûre de ses valeurs pour admettre l'expression de convictions ou de croyances différentes des siennes. C'est une question difficile et exigeante. Elle concerne la Nation tout entière et ne peut être réglée que par la représentation nationale. Le Gouvernement exprime ici sa réflexion, mais il reviendra au Parlement de trancher, après consultation des plus hautes juridictions de l’État s’il le souhaite.

C'est la raison pour laquelle il me semble important que, dans un premier temps, la représentation nationale passe d'une logique d'interdiction pure et simple – dont on entrevoit les difficultés d’application – à une logique de réaffirmation des valeurs républicaines. Cela permettrait notamment de rappeler que l'expression d'une opinion ou d'une croyance ne saurait être revendiquée indépendamment de l'ensemble des valeurs, des droits et des devoirs qui l'autorise.

Dire cela serait déjà légitimer les agents des services publics qui demandent régulièrement aux femmes de retirer leur voile intégral afin de vérifier leur identité dans certaines démarches de la vie courante.

En donnant au Parlement la possibilité d'adopter des résolutions de caractère général, la réforme constitutionnelle de 2008 a créé un outil parfaitement adapté pour donner une lecture moderne et actualisée des valeurs républicaines. Il me semblerait souhaitable que le Parlement exprime ainsi le consensus le plus large et réaffirme, en la circonstance, nos valeurs. Tout le reste en découlera, qu’il soit d’ordre législatif ou réglementaire.

M. Éric Besson, ministre de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. À mon tour, je veux saluer l'initiative de votre mission, dont j’ai suivi l’essentiel des travaux. Ceux-ci m'ont permis d'affiner ma réflexion et ont fait évoluer certaines de mes analyses. C'est donc avec modestie – il m'arrive encore de douter –, et tout en me réservant le droit de nuancer ultérieurement mon propos en fonction des conclusions auxquelles vous parviendrez, que je vous ferai part de mes convictions.

Le port du voile intégral est contraire aux valeurs de notre identité nationale. Notre Nation ne s'est pas construite sur la juxtaposition de communautés ou sur des origines géographiques, ethniques, raciales ou religieuses communes. Elle a été fondée sur des valeurs et des principes qui permettent de dépasser les différences, grâce à de puissants efforts de cohésion nationale imposés par l'État. Notre identité nationale est une construction permanente, dans laquelle l'État, les principes qu'il porte et les normes qu'il fixe, jouent un rôle central.

Depuis que notre nation est une République, ces principes sont la liberté, l'égalité, la fraternité, mais aussi la dignité humaine, la laïcité, et l'égalité entre les sexes. Mis à l'épreuve par des communautarismes toujours prêts à naître ou à resurgir, ces principes doivent être sans cesse réaffirmés.

L'ensemble des personnes auditionnées par votre mission l'ont confirmé : le voile intégral n'est pas une prescription du Coran ou de l'islam : il s'agit d'une dérive intégriste ultra-minoritaire. Même limité dans son ampleur, il s'agit bien d'un nouveau défi pour notre identité nationale et républicaine.

Le débat sur le voile intégral doit éviter trois risques. Le premier serait de stigmatiser l'islam et les musulmans. Le débat sur le voile intégral ne doit pas être un débat sur la place de l'islam dans la République. Le voile intégral n'est pas représentatif de l’islam, et il ne doit pas être perçu comme tel.

La religion musulmane doit avoir sa place dans l'espace public. Cet espace public n'est pas un lieu où les différences doivent s'effacer, mais le lieu où elles peuvent s'exprimer. La diversité des identités n'est pas un danger pour notre Nation républicaine : c’est, bien au contraire, l'uniformité qui la menacerait, faisant perdre aux individus leurs repères et suscitant ainsi la frustration. L'éradication de toute expression du pouvoir spirituel dans l'espace public – sur le modèle du régime stalinien – n'est pas préférable à la confusion entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel.

La différence de chaque individu est la marque de son humanité. Comme l'écrit Hannah Arendt, « l'homme n'existe pas, il existe des hommes ». Si chaque citoyen devait se cacher pour vivre ses convictions personnelles, cela signifierait la fin de tout espace public, cela voudrait dire qu’une interprétation mutilante et intolérante du principe de laïcité aurait eu raison de la République et qu’une intolérance en aurait remplacé une autre.

L'exigence de laïcité pèse sur l'État plus encore que sur les personnes privées. M. Bertrand Mathieu, professeur de droit public auditionné par votre mission l’a affirmé : « La laïcité ne s'applique pas dans la rue. ». Le principe de laïcité ne peut fonder, à lui seul, l’interdiction de manifester des opinions religieuses dans l'espace public.

Le deuxième risque serait de porter atteinte aux libertés publiques de façon disproportionnée. L'objet de votre mission parlementaire n’est pas celui de la commission Stasi : D'une part, les spécialistes estiment que le voile intégral ne peut être considéré comme une exigence de l'islam et, d’autre part, la question du voile intégral se pose bien au-delà de l'école, dans l'ensemble de l'espace public. Or, si le bon fonctionnement des services publics justifie des règles particulières, ces contraintes ne peuvent être généralisées sans précaution à l'ensemble de l'espace public, où la liberté est le principe et la restriction l'exception.

Une prohibition générale du voile intégral sur la voie publique peut certes se fonder sur un certain nombre de principes, dont celui de l’égalité entre les sexes et celui de l’ordre public. Pour le constitutionnaliste Guy Carcassonne, le législateur pourrait poser le principe selon lequel « on n'a pas à se dissimuler quand on est en public ». Bien que M. Rémy Schwartz, le rapporteur de la commission Stasi, ait répondu qu'« on ne peut imposer aux citoyens d'être en état de contrôle permanent », je crois aussi que la relation sociale, dans sa conception française, exige le visage découvert, le « face-à-face », les « yeux dans les yeux ».

Le principe de la dignité humaine pourrait également constituer le fondement d’une interdiction. Le voile intégral représente une mutilation de l'identité ; il place la femme à l'écart des rapports sociaux. Laisser déambuler dans notre espace public des personnes ainsi « engrillagées », ce n'est pas seulement donner libre cours à l'obscurantisme et autoriser une discrimination inacceptable, mais c'est aussi remettre en cause cette part d'humanité, dont il a été dit, à juste titre, que la personne ne dispose pas librement.

Toutefois, une prohibition générale du voile intégral sur la voie publique risque de se heurter à d’autres libertés fondamentales, comme la liberté de conscience, la liberté d'opinion, la liberté de manifester son opinion, la liberté d'aller et venir.

Une telle complexité juridique pourrait déboucher sur l'inaction, et c’est bien là le troisième risque auquel nous sommes confrontés.

Le voile intégral est un défi pour notre République. Toute tolérance à son égard sape les chances d'établir un islam de France. La complexité de l'État de droit ne doit pas pour autant paralyser la République et les républicains. Mme Élisabeth Badinter l'a affirmé avec force devant votre mission : « Nous devons rompre avec cette attitude relativiste, paresseuse et bien-pensante, selon laquelle toutes les traditions sont respectables. » L'État ne saurait, en particulier, se décharger de ses responsabilités et renvoyer à des arrêtés de police municipale, qui, pour être légaux, doivent répondre à des circonstances locales particulières. Or, ce ne sont pas les circonstances locales qui sont en cause, mais les principes mêmes de notre République.

Pour ces raisons, une mesure d'interdiction me semble incontournable. Une interdiction limitée aux grands services publics serait une solution a minima. Un consensus semble émerger pour considérer qu'une interdiction du voile intégral dans les services publics présente suffisamment de solidité juridique pour pouvoir être envisagée. Les signes religieux distinctifs sont déjà interdits aux fonctionnaires et agents publics dans l'exercice de leurs fonctions ; la loi de 2004 s’applique aux élèves des écoles, collèges et lycées ; l'obligation d'être photographié tête nue sur les photographies des pièces d'identité a été validée ; enfin, en vertu du décret « anti-cagoule » de 2009, le port d'un vêtement dissimulant le visage est prohibé dans certaines circonstances de troubles à l'ordre public. L’interdiction du port du voile intégral dans l'ensemble des services publics, écoles, hôpitaux, mairies et transports ne semble donc pas devoir soulever d'objection juridique majeure.

Une interdiction élargie à l'ensemble de l'espace public mérite d'être étudiée, même si elle pose un problème juridique nouveau. Ma conviction est que nous devons faire preuve d'un volontarisme républicain renouvelé.

En effet, chaque partie de notre espace public laissée au voile intégral fragilise notre capacité à faire émerger un islam de France. L'anthropologue Dounia Bouzar l'a très bien dit dans votre enceinte : « Faire comme si on ne voyait rien serait pire que tout. Ne pas être choqué du comportement de ces jeunes, c'est, en effet, l'entériner comme musulman. Au contraire, s'étonner de ce drap noir, c'est refuser de reconnaître ce type de comportement comme religieux : l'islam ne peut être une religion aussi archaïque qui enferme ainsi les femmes. » Comme elle, je considère que refuser le voile intégral, c'est respecter l'islam, et c'est montrer au monde que notre République a une vision moderne de cette religion.

Le voile intégral n'est pas un signe de conviction religieuse, mais un rabaissement. Mme Sihem Habchi, présidente de l’association Ni putes ni soumises, vous l'a dit : « La burqa est le symbole de l'oppression sur les femmes par ceux qui luttent contre la mixité. »

Dans notre République, la dignité humaine est une question d'ordre public. L'autorité publique est fondée – elle en a même le devoir – à protéger la dignité de la personne, y compris contre elle-même. Le Conseil constitutionnel a jugé à plusieurs reprises que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, contre toutes les formes d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ». Le Conseil d'État a jugé en 1995 que l'autorité administrative pouvait se fonder sur ce principe pour interdire des activités qui lui sont contraires, en écartant l'argument selon lequel cette pratique dégradante pouvait être librement consentie par la personne qui en fait l'objet.

Je suis bien averti des risques encourus devant le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme. Mais je maintiens malgré cela une conviction personnelle et de principe que notre République doit interdire cette atteinte à la dignité humaine dans l'ensemble de son espace public.

Dans le cadre des activités du ministère dont j'ai la charge, je souhaite prendre des mesures concrètes. Je veux que le port du voile intégral soit systématiquement considéré comme preuve d'une intégration insuffisante à la société française, faisant obstacle à l'accession à la nationalité. Pour la délivrance des cartes de résident de dix ans, je vais indiquer aux préfets que le port du voile intégral devra constituer un motif de rejet de la demande. Ces règles pourraient être reprises et rendues explicites par la loi.

Concernant l'accueil des ressortissants étrangers sur notre territoire, je veillerai à ce que la formation aux valeurs de la République soit renforcée et insiste davantage sur les principes de laïcité et d’égalité entre les sexes, ainsi que sur l'interdiction du port du voile à l'école.

Notre loi pourrait, par ailleurs, être modifiée afin que le port du voile intégral puisse être assimilé à un manquement aux obligations contenues dans le contrat d'accueil et d'intégration, susceptible de s'opposer à la délivrance ou au renouvellement du titre de séjour.

M. André Gerin, président. Je remercie les membres du Gouvernement pour la grande qualité de leurs exposés.

M. Jean Glavany. Il me semble que les membres de la mission, quelle que soit leur sensibilité, s’accordent à trouver intolérable le port du voile intégral. Qu’il s’agisse de salafisme tendance wahabite, ou de talibanisme pour ce qui concerne la burqa, cette pratique est la marque d’idéologies barbares. C’est aussi une violence faite aux femmes, ainsi qu’une atteinte au principe de fraternité, qui impose l’échange et la reconnaissance de l’autre. Enfin, et accessoirement, cela pose un problème de sécurité, par le biais de l’identification.

Ne jouons pas avec les mots : si cette pratique est intolérable, il ne faut pas la tolérer. Il faut donc l’empêcher, et probablement l’interdire. La question que nous nous posons depuis le début de nos travaux est de savoir comment l’interdire intelligemment.

Autre point sur lequel nous sommes d’accord : nous parlons bien du port du voile intégral dans l’espace public, et non dans les services publics. J’estime en effet que nous disposons déjà de tous les moyens juridiques pour interdire cette pratique au sein des services publics comme nous l’avons fait au sein de l’école. Je pense notamment aux arrêts du Conseil d’État justifiant le refus la nationalité pour défaut d’assimilation. Peut-être faudrait-il veiller à mieux appliquer le droit en vigueur.

J’exprimerai toutefois des nuances à l’égard des propos tenus par les ministres. Ainsi, je suis réservé à l’égard de l’affirmation obsessionnelle – déjà formulée par le Président de la République à Versailles – selon laquelle cette pratique n’a rien à voir avec la religion. Comme l’a dit devant nous un philosophe, il faudrait arrêter d’exempter les religions de toute responsabilité dans leurs dérives intégristes. C’est comme si l’on disait que le hooliganisme n’a rien à voir avec le football, ou le dopage rien à voir avec le Tour de France. Nous devons mettre les gens devant leurs responsabilités !

En outre, il y a contradiction à affirmer tout à la fois, comme vous le faites, Monsieur le ministre de l’Intérieur, que le port du voile intégral n’est pas un signe religieux, mais que son interdiction pourrait porter atteinte à la liberté d’opinion religieuse, et que la République n’entend pas gouverner la conscience. Dire cela, je le reconnais, ne fait pas beaucoup avancer notre débat, mais la nuance n’est pas négligeable.

De même, vous affirmez ceci : « Les communautés, oui ; le communautarisme, non. » Mais, dans la construction de la philosophie républicaine, les seules communautés qui aient été tolérées et reconnues sont les communautés nationales, et non religieuses. Les deux ne peuvent être confondues. En France, je peux reconnaître les communautés algérienne, marocaine, tunisienne, italienne, espagnole, polonaise, parce que la République s’est historiquement fondée sur la présence, sur notre sol, de communautés nationales venant de l’étranger.

En ce qui concerne le sens donné à cette mission parlementaire, j’ai également des nuances à exprimer, car je suis de ceux qui considèrent que nous avons regardé le problème par le tout petit bout de la lorgnette mais ceci dit, nous avons tiré un fil, découvrant à son bout des questions beaucoup plus vastes ; je le regrette mais c’est comme ça.

Enfin, Monsieur Darcos, je ne suis pas d’accord avec vous lorsque vous affirmez qu’il s’agit de restreindre une liberté générale. Interdire une pratique qui constitue une violence faite aux femmes, c’est protéger une liberté, celle de ne pas porter ce voile. Des millions de femmes, à travers le monde, attendent d’être libérées de cette contrainte.

J’en viens à mes questions. De nombreuses personnes auditionnées, représentants du monde musulman, philosophes, sociologues, ont soulevé la difficulté à laquelle nous sommes confrontés : nous voulons éviter de montrer du doigt une catégorie de femmes, en l’occurrence les femmes musulmanes qui portent le voile intégral, que ce soit sous l’influence salafiste ou talibane, de leur propre gré ou sous la contrainte – j’avoue que la distinction m’intéresse assez peu. Êtes-vous d’accord avec l’idée selon laquelle une mesure d’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public comporterait le risque de stigmatiser une certaine catégorie de personnes ? Et, si c’est le cas, quel véhicule législatif préconisez-vous ? Pour ma part, j’en envisage trois.

Après plusieurs voyages en Afghanistan, j’ai fait diffuser aux membres de la mission le document officiel détaillant les droits et devoirs des femmes sous le régime taliban. Ce document, de même que le port du voile intégral, est l’expression d’une idéologie barbare. La République ne pourrait-elle pas combattre de telles idéologies et les traditions qui leur sont associées comme elle combat le racisme et l’antisémitisme ?

Mais, pour ne pas stigmatiser une certaine catégorie de femmes, le mieux serait de s’adresser à toutes les femmes. Or une mission parlementaire vient justement d’effectuer un travail remarquable sur l’ensemble des violences faites aux femmes dans la société française. Nous souhaiterions que la proposition de loi déposée à partir de ses conclusions vienne en discussion le plus rapidement possible. Et, dans la mesure où l’amputation de l’identité d’une femme est une violence exercée à son égard, une disposition sur le port du voile intégral ne trouverait-elle pas sa place dans ce texte ?

M. Guy Carcassonne et un certain nombre de constitutionnalistes nous disent que le fondement juridique le plus sûr d’une interdiction du voile intégral serait la défense de l’ordre public. Mais le Parlement ferait preuve d’une bien piètre ambition en résumant cette question à un problème de sécurité. Certes, la question de la sécurité se pose – y compris, d’ailleurs, de la sécurité routière, dans la mesure où une conductrice qui porterait un voile intégral aurait un angle de vision restreint –, mais il ne serait pas très glorieux de recourir à cet argument.

M. Jacques Myard. Le sujet est complexe et appelle des idées simples et claires. Mieux vaut donc ne pas trop laisser les juristes s’en mêler, faute d’aboutir à une impasse.

Votre conclusion, Monsieur Hortefeux, me paraît frappée au coin du bon sens : vous avez clairement dit que vous ne pouviez admettre le communautarisme radical. Nous faisons face, en effet, à un intégrisme prosélyte qui cherche à instituer son propre ordre juridique. Les travaux de la mission l’ont montré : derrière le port du voile se trouvent des pratiques qui heurtent directement toutes les lois de la République : refus de la mixité, refus de manger avec des gens que l’on considère comme impurs, etc. C’est un processus de dérive totale.

Vous évoquez le nombre de 1 900 femmes qui revêtiraient, en France, le voile intégral. En réalité, le chiffre exact importe peu, le problème étant qu’il n’y en avait pas il y a quelques années. Nous voyons donc monter en puissance des gens qui instrumentalisent leur religion à des fins politiques.

De même, il est clair qu’il existe autant de réponses que de musulmans à la question de savoir si le port du voile est un précepte religieux. Le Conseil français du culte musulman affirme que ce n’est pas le cas, mais d’autres pourront toujours invoquer certains hadiths pour répondre par l’affirmative. Pour ma part, je n’entrerai pas dans ce débat théologique : ce qui est certain, c’est que nous devons nous en tenir aux règles constitutionnelles et aux principes de la République.

Quelles que soient les motivations de ces pratiques, il s’agit d’une dérive qui progresse chaque jour, et qui continuera de progresser si nous ne décidons pas fermement d’y mettre un terme. Ce sera sans doute difficile, Monsieur Darcos, mais si nous n’agissons pas tout de suite, ce sera encore plus difficile demain.

Il est vrai que la loi peut parfois heurter, qu’elle peut être difficile à appliquer. Mais ce n’est pas parce que les feux rouges ne sont pas respectés qu’il faut les supprimer. Je préfère donc faire face à des difficultés aujourd’hui et éviter, demain, des affrontements violents.

Comme l’eau sur les plumes d’un canard, une résolution glisserait sur les personnes concernées, car elles sont enfermées dans leurs convictions religieuses. Seule une loi peut à la fois réaffirmer les principes de la République et mettre un terme à cette dangereuse dérive communautariste, intégriste et fanatique.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je serai brève, car je partage une grande part des analyses de Jean Glavany.

J’ai cru déceler une petite divergence entre vous : tandis que M. Hortefeux a évoqué plusieurs pistes, dont celle de la résolution, M. Besson a semblé ramener à la seule loi l’éventail des actions possibles. Quoi qu’il en soit, mon souci, depuis le début de cette réflexion, est de ne stigmatiser personne. Certes, de nombreuses personnalités auditionnées, et pas seulement les représentants du CFCM, ont rappelé que le port du voile intégral n’était pas une prescription du Coran. Mais il concerne tout de même des femmes musulmanes, et j’ai le sentiment que de nombreux musulmans modérés et laïques se sentent menacés et stigmatisés par l’évocation d’une loi d’interdiction.

Par ailleurs, Monsieur Darcos, il est vrai que la loi de 2004 sur les signes ostentatoires était absolument nécessaire. Mais ma permanence de députée est située juste en face d’un collège, et si, avant 2004, je voyais chaque jour trois gamines venir à l’école avec un foulard, aujourd’hui, je constate qu’elles le portent toutes : elles l’enlèvent avant d’entrer en classe et le remettent en sortant. La loi a donc ses limites, notamment lorsqu’il s’agit de faire évoluer les mentalités. C’est pourquoi je suis très favorable à l’idée, évoquée par M. Hortefeux, d’adopter une résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution. On pourrait agir en deux temps et, pour ne stigmatiser personne, adopter d’abord une résolution, quitte à préciser d’emblée qu’une loi sera votée si celle-ci reste sans effet. C’est une piste que je défends depuis le début, étant moins affirmative que Jacques Myard sur la nécessité d’une loi. En effet, quand je participe aux travaux d’une mission parlementaire, je préfère écouter plutôt que de partir avec des idées préconçues, sinon c’est six mois que l’on perd.

J’en viens au fondement juridique d’une interdiction. Les juristes que nous avons consultés ont jugé difficile d’invoquer la notion de contrainte faites aux femmes. Quant à fonder l’interdiction sur la dignité, ils ont tous dit que ce n’était pas envisageable. M. Guy Carcassonne a donc proposé une interdiction fondée sur l’ordre et la sécurité publics mais, sur ce point, je reste réticente. Certes, je partage tout ce que nous a dit Mme Élisabeth Badinter à ce sujet, et je trouve insupportable la vision de ces femmes voilées, qui s’apparentent à des fantômes tant leur individu est nié. Mais – pardonnez-moi cette plaisanterie un peu caricaturale, mais c’est un peu ce que je ressens – si l’on interdit de dissimuler son visage sur la voie publique, que deviendra le Père Noël ?

M. Brice Hortefeux. Je précise, Madame Hoffman-Rispal, qu’il n’y a pas la moindre divergence entre Éric Besson, Xavier Darcos et moi-même, notamment sur la forme juridique de la réponse à apporter. Nous sommes respectueux des travaux du Parlement. Nous avons évoqué plusieurs pistes, dont l’adoption d’une résolution ou celle d’une loi, mais le Gouvernement n’a pas exprimé un choix ou une préférence.

Pour vous répondre, Monsieur Glavany, je partirai d’un principe simple : nous appartenons à une république laïque, dont le rôle est de protéger l’ensemble des cultes, sans opérer un quelconque choix entre eux. Le voile intégral est-il, ou non, une affaire de liberté religieuse ? Je l’ai dit, la loi de 1905 nous interdit de porter une appréciation définitive à ce sujet. Mais, pour les représentants de l’islam de France que nous avons consultés, il ne s’agit pas d’une prescription du Coran. Ce qui est certain, en revanche, c’est que, dans cette affaire, les libertés d’opinion et d’expression sont en cause. Nous devons donc trouver la voie permettant de limiter, de circonscrire cette expression.

Sur quel fondement juridique peut-on y parvenir : la sécurité ou la dignité ? Le premier ne peut pas être écarté d’un revers de main – et encore moins pour un ministre de l’Intérieur –, car l’identification est un élément important de la sécurité. Mais, selon moi, le principe fondamental qui doit nous guider est celui du respect de la dignité de la femme.

En indiquant le nombre de femmes portant le niqab en France, je posais la question de savoir si celles-ci le faisaient de manière volontaire ou si cette pratique leur était imposée. En réalité, nous n’avons enregistré que deux cas d’opposition explicite, dans les Alpes-de-Haute-Provence et à Mulhouse, me semble-t-il. Dans le premier cas, la femme à qui on imposait le voile intégral a fini par faire une demande de divorce. Dans le deuxième, si je me souviens bien, l’épouse avait reçu une paire de gifles après avoir manifesté devant son mari son intention de ne plus porter le niqab.

Je le répète, même si la sécurité constitue un élément important, la vraie question est celle de la dignité de la femme.

M. Xavier Darcos. Il n’y a, en effet, aucune divergence entre les membres du Gouvernement. Nous essayons seulement de réfléchir, en tant que responsables politiques, mais aussi comme citoyens, aux diverses options qui se présentent à nous. Mais nous nous en remettons au Parlement pour trancher : la décision qu’il prendra sera la bonne.

Il n’y a pas non plus, Monsieur Glavany, de divergence entre nous sur le but à atteindre : nous sommes d’accord sur le fait que cette pratique, cette ostentation, n’est pas acceptable, et qu’elle ne correspond à rien de ce que nous aimons et défendons, notamment les valeurs sur lesquelles se fonde le pacte social. Sur ce point, il n’y a aucune ambiguïté.

Bien entendu, il existe un fond religieux à tout cela. J’ai simplement noté que nous n’avions pas à en parler, et que cette question théocratique ne nous intéressait pas. En effet, si nous n’avions affaire qu’à des femmes obligées de porter le voile contre leur propre volonté, vous n’auriez même pas eu besoin de réunir cette mission pour faire appliquer la loi. Le problème vient des femmes, et en particulier des jeunes néophytes, qui affirment vouloir manifester leur libre arbitre en s’habillant de cette manière.

Par ailleurs, il serait abusif d’opposer résolution et loi, comme le ministre de l’Intérieur l’a bien marqué d’emblée. Devant la question nouvelle qui se pose à la nation française, et à un moment où, outre la question du voile, un certain nombre de tensions se manifestent dans la société, il n’est peut-être pas inutile que le Parlement rappelle de manière unanime ce que sont les valeurs qui nous fondent. Je reste donc favorable, de toute façon, à l’adoption d’une résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution. À quoi aurait-il servi de modifier la Constitution si nous ne saisissons pas cette occasion de reformuler ensemble une idéologie partagée ? Mais, au-delà d’une résolution, il appartient au Parlement de décider du véhicule juridique auquel il pourrait avoir recours. Le ministre de l’Intérieur a parlé de « norme » : c’est le bon mot. Qu’elle soit ou non législative, l’essentiel est que cette norme soit appliquée.

En dépit des nuances que vous avez exprimées, il m’a semblé que cette discussion ne marquait pas de divergences, mais plutôt une volonté commune d’être le plus efficace possible, tout en évitant que l’application de la loi ne soit source de tensions.

M. Brice Hortefeux. La résolution peut être l’occasion de rappeler certains principes, et M. Jean Glavany a commencé à dessiner le socle sur lequel elle pourrait se fonder : le port du voile intégral est une pratique intolérable, une violence faite aux femmes, une atteinte au principe de fraternité ; en outre, le voile intégral pose un problème de sécurité. Mais une résolution peut être complétée et, surtout, elle peut trouver une déclinaison concrète à travers une circulaire. Une réponse peut donc être apportée en plusieurs étapes. Première étape : rappel de principes dans la résolution ; deuxième étape : circulaire récapitulant les conséquences de ces principes ; enfin, une loi pourrait constituer la troisième étape.

M. Jacques Remiller. Je remercie les ministres d’avoir bien voulu mettre leur expérience au service des réflexions de notre mission.

M. Éric Besson disait il y a quelques instants qu’une loi serait vraisemblablement incontournable. Nous avons toutefois auditionné une personne dont je tairai le nom, et qui a dit : « Loi ou pas, je porterai le niqab ! » Quels moyens la République pourra-t-elle mettre en place pour faire respecter la loi, si loi il y a ?

Mme George Pau-Langevin. Les interventions des trois ministres m’ont semblé infiniment plus raisonnables que certains propos tenus par des membres de la majorité depuis quelques mois. J’ai toutefois le sentiment qu’ils tendent à se défausser du problème.

J’ai bien compris que M. Hortefeux ne souhaitait pas prendre de décret, contrairement au choix effectué pour empêcher la dissimulation du visage aux abords de manifestations sur la voie publique. On s’orienterait donc vers le vote d’une résolution, complétée par une circulaire. Mais je ne pensais pas qu’une circulaire puisse être créatrice de droit : normalement, elle ne fait que l’interpréter. Je suis donc surprise que l’on puisse envisager de passer de la résolution, qui affirme des principes – et cela me semble intéressant –, à une circulaire, laquelle devrait être dépourvue de valeur normative. Il y a là une difficulté.

Vous avez évoqué les mesures concrètes qui pourraient être prises à l’égard des personnes de nationalité étrangère portant le voile intégral. Mais nous avons vu qu’une partie des jeunes femmes concernées sont des musulmanes de nationalité française. En outre, cette pratique est parfois, pour elles, une revendication pas forcément religieuse mais identitaire, voire un signe de révolte à l’égard de la République. Vos propositions ne répondent absolument pas à ce cas de figure. Quelles mesures entendez-vous prendre, qu’elles soient de nature juridique ou d’accompagnement, à l’égard des femmes de nationalité française qui portent cette tenue en pleine connaissance des règles de la République ?

Le fond du problème, en effet, est que le voile constitue un septum. Tous, ici, nous souhaiterions aller plus loin, et comprendre les causes du problème afin de pouvoir les traiter.

Mme Sandrine Mazetier. Je remercie les ministres de leurs présentations liminaires, notamment M. Brice Hortefeux pour nous avoir enfin donné des chiffres. Je regrette toutefois que ceux-ci nous aient été communiqués aussi tardivement et soient aussi limités.

Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué le nombre de femmes qui, à la connaissance de vos services, porteraient le niqab, mais n’avez rien dit du contexte de cette pratique, notamment du fait qu’elle marquerait ou non une offensive politique de la part d’un salafisme militant. Il eût pourtant été important que notre mission soit informée sur ce point. Peut-être pourrions-nous, Monsieur le président, avoir un échange avec ce que l’on appelait les « Renseignements généraux » car nous nous sommes souvent interrogés sur ce point sans jamais poser la question aux services compétents.

Je remercie M. Xavier Darcos d’avoir souligné l’importance de s’entendre préalablement sur la signification du port du voile intégral, puisque c’est, en effet, de là que tout découle. C’est la première question à laquelle il nous faut répondre avant d’envisager quelque circulaire, résolution, loi d’interdiction, partielle ou totale, que ce soit.

Le port du voile intégral traduit-il une offensive politique ? Une dérive sectaire ? Dans ce dernier cas, on pourrait peut-être s’inspirer des recommandations de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Mais, comme on l’a vu avec l’Église de scientologie, il est difficile de combattre une secte lorsque celle-ci est déterminée et a « ses entrées ».

Le port du voile intégral marque-t-il l’affirmation par un individu, une femme en l’occurrence, d’une inégalité fondamentale entre les sexes ? Dans ce cas, il conviendrait de réaffirmer fortement l’un des principes fondateurs de notre République, à savoir l’égalité d’accès des femmes et des hommes à toutes les fonctions, dans toutes les sphères de la vie publique mais aussi spirituelle. Or, et je me permets de le rappeler au ministre chargé des cultes, l’égalité d’accès à nombre de fonctions religieuses n’est pas garantie entre les sexes.

Le port du voile intégral pourrait faire obstacle à la délivrance de certains titres de séjour, avez-vous dit. Les visas de tourisme seraient-ils également concernés, auquel cas cela pourrait éloigner de notre pays certaines touristes habituées à faire des emplettes de luxe près de certains grands hôtels parisiens ?

Enfin, d’une manière générale, interdire l’entrée sur le territoire français à une femme portant le voile intégral ne serait-il pas contradictoire avec le souhait exprimé par le Président de la République lors de sa campagne présidentielle que la France soit une terre d’asile pour toutes les femmes persécutées dans le monde ?

Mme Colette Le Moal. Monsieur Hortefeux, une loi interdisant le port du voile intégral dans les services publics – préfectures, bureaux de poste, hôpitaux, notamment – et aux abords des écoles ne vous paraît pas présenter de difficulté. Mais qu’en serait-il dans les transports, qu’il s’agisse de transports collectifs ou de taxis, dans les commerces et sur les marchés ?

M. Brice Hortefeux. Monsieur Remiller, nous n’exprimons pas de préférence : nous ne faisons que rappeler la palette des solutions possibles. Nous respecterons le choix du Parlement.

Pas plus que vous nous ne voulons d’une loi fragile ou inapplicable, donc inappliquée et défiée. Dans le cas où le Parlement choisirait de recourir à la loi, quelles seraient les sanctions applicables en cas de non-respect de celle-ci ? Ce pourrait être une contravention, mais aussi l’impossibilité d’accéder aux services publics et à leurs prestations.

Madame Mazetier, une enquête menée entre juillet et octobre 2009 a établi que 54 % des femmes portant le voile intégral auraient moins de trente ans, 68 % seraient de nationalité française, 23 % seraient converties et 41 % évolueraient dans la mouvance salafie. Cette mouvance regrouperait aujourd’hui 12 000 personnes, contre 5 000 environ en 2004. Les salafistes contrôleraient une cinquantaine de lieux de culte musulman sur les 1 900 recensés sur l’ensemble du territoire français, y compris outre-mer, et il y aurait environ 90 imams salafis. Ces chiffres, dont je pensais qu’ils étaient déjà en votre possession, ne sont que des estimations et doivent donc être pris avec précaution.

Madame Pau-Langevin, le Parlement choisira la voie qu’il souhaite. S’il adopte une résolution, il serait utile de l’officialiser et d’en porter les principes à la connaissance des préfets, des maires, des proviseurs et de tous les interlocuteurs potentiellement concernés. Elle serait un complément indispensable mais, vous avez raison, elle n’aurait pas valeur normative, non plus bien entendu qu’une circulaire, et toute mesure en ce domaine ne relève pas du domaine réglementaire.

M. Xavier Darcos. Je souhaiterais juste apporter une précision après l’intervention de Mme Mazetier.

C’est une question que je ne m’étais pas posée, mais s’il était avéré que le développement du port du voile intégral en France résulte d’un entrisme visant à faire reculer certains principes républicains au profit de principes théocratiques, mon point de vue serait beaucoup plus ferme que celui que j’ai exprimé. Je me suis pour l’heure limité à constater que des femmes dans notre pays portent le voile intégral, disent qu’elles le font volontairement et qu’elles marquent par là leur attachement à une croyance. S’il s’agissait d’une opération visant à porter atteinte notamment au principe de laïcité, je ferais, à titre personnel, preuve de plus de fermeté car se trouveraient alors menacées des valeurs fondamentales, d’ailleurs largement partagées dans le monde entier.

M. Éric Besson. Monsieur Remiller, je n’ai pas dit qu’une loi, mais qu’une « mesure d’interdiction » me paraissait « incontournable ». J’ai parlé d’une interdiction limitée, qui paraît faire consensus, et pourrait en effet ouvrir la voie à une interdiction générale.

Pour être tout à fait honnête, ce que je n’ai pas dit, je l’ai pensé si fort que vous l’avez entendu, Monsieur Remiller. Pour autant, les options sont diverses et vous aurez à choisir entre elles.

Votre question sur les visas, Madame Mazetier, est légitime. C’est volontairement que je me suis limité à évoquer le contrat d’accueil et d’intégration, la carte de séjour de dix ans et l’accès à la nationalité française – dont la procédure comporte un entretien dit d’assimilation. Il me paraîtrait extrêmement difficile de refuser un visa d’une durée inférieure à trois mois à des femmes portant le voile intégral.

M. André Gerin, président. Je vous remercie, Messieurs les ministres.

En dépit de la complexité du problème, notre mission est déterminée à aller de l’avant. Nous ne nous déroberons pas à notre responsabilité car il s’agit finalement d’avancer pour améliorer le vivre-ensemble, ce qui est notre seul objectif.

La séance est levée à dix-neuf heures quinze.