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Compte rendu

Mission d’information sur les toxicomanies

Mercredi 30 mars 2011

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Serge Blisko, député, coprésident, et de M. François Pillet, sénateur, coprésident

– Audition de M. Jérôme FOURNEL, directeur général des douanes et des droits indirects et M. Gérard SCHOEN, sous-directeur des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et des luttes contre la fraude 2

– Audition de M. Patrick HEFNER, contrôleur général, chef du pôle judiciaire « Prévention et partenariat », et de M. Bernard PETIT, sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à la direction générale de la police nationale, et du Colonel Pierre TABEL, adjoint du sous-directeur de la police judiciaire, et du Colonel Marc de TARLÉ, chef du bureau des affaires criminelles à la direction générale de la gendarmerie nationale 9

– Présences en réunion 22

MISSION D’INFORMATION SUR LES TOXICOMANIES

Mercredi 30 mars 2011

La séance est ouverte à seize heures vingt.

(Présidence de M. Serge Blisko, député, coprésident
et de M. François Pillet, sénateur, coprésident)

La Mission d’information sur les toxicomanies entend M. Jérôme Fournel, directeur général, et M. Gérard Schoen, sous-directeur des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et des luttes contre la fraude à la direction générale des douanes et des droits indirects.

M. Serge Blisko, coprésident pour l’Assemblée nationale. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Notre mission a pour but de dresser un état des lieux des conduites toxicomaniaques, essentiellement sous l’angle de la santé publique, mais il nous a paru important d’entendre les responsables des douanes ainsi que des services de police et de gendarmerie. Vous pourrez en particulier nous dire comment la politique de lutte contre les trafiquants de stupéfiants se mène, à nos frontières mais aussi dans le cadre européen. En tant qu’observateurs privilégiés, quels sont les produits que vous voyez arriver dans notre pays ? Confirmez-vous l’apparition préoccupante d’un commerce de produits non plus naturels ou transformés mais entièrement synthétiques, avec un recours de plus en plus fréquent à un trafic sur internet, plus difficile à juguler que par les véhicules habituels ? Pourriez-vous aussi nous donner votre point de vue sur les récentes évolutions de la législation relative à la saisie des avoirs criminels ?

M. Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects. La douane est l’administration chargée de la régulation des échanges de marchandises, ce qui veut dire à la fois faciliter l’accès d’un certain nombre d’entre elles, contrôler les échanges et réprimer ceux qui sont illégaux. Nous sommes donc bien placés pour apprécier la criminalité liée à des marchandises totalement prohibées, comme les stupéfiants, mais aussi à d’autres qui ne le sont pas, comme le tabac. Il n’est pas inintéressant de voir les choses sous cet angle, en particulier pour répondre aux questions relatives aux nouveaux produits synthétiques dérivés de molécules existant à d’autres fins.

La douane se préoccupe depuis longtemps de ces questions. On trouve ainsi dans nos archives des photographies de douaniers dans des champs de pavot en Indochine, au temps où la régie de l’opium était chargée du contrôle de son acheminement et de sa taxation.

Aujourd’hui, la douane saisit en moyenne entre 50 % et 70 % des quantités de stupéfiants saisies par les forces répressives dans notre pays. L’an dernier, cela a représenté 36 tonnes, soit 310 millions d’euros de contre-valeur sur le marché de gros. Les types de stupéfiants sont extrêmement divers. Alors que le trafic était auparavant essentiellement orienté vers le cannabis – nous en avons saisi 27 tonnes l’an dernier et nous sommes parfois allés jusqu’à 50 tonnes par le passé –, nous avons vu augmenter significativement les quantités de cocaïne – plus de 5 tonnes l’an dernier –, d’héroïne, avec des saisies de 400 à 700 kilogrammes ces trois dernières années, ainsi que de produits jusqu’ici peu développés comme le khat et – c’est un phénomène marquant en 2009 et 2010 – de drogues de synthèse : ecstasy et LSD (acide lysergique diéthylamide), mais aussi nouvelles molécules récemment interdites comme la méphédrone, les méthamphétamines, etc.

Nous observons également une diversification des modes d’acheminement. Alors que nos opérations de contrôle portaient traditionnellement sur les poids lourds, les vecteurs sont aujourd’hui bien plus variés : conteneurs – début 2011, près de 800 kilogrammes de cocaïne ont été découverts dans un conteneur arrivant par voie maritime –, véhicules légers, fret express, fret postal, etc.

Les formes de cache et d’organisation sont sophistiquées et mobiles. Outre les convois et les « go-fast », je suis frappé par l’utilisation de plus en plus fréquente de produits industriels, comme des pièces pour les piles de pont, qui sont montées en usine avec de la drogue à l’intérieur, ce qui requiert de grandes capacités d’anticipation et d’investissement. On peut bien sûr voir dans cette inventivité des trafiquants une forme de reconnaissance de l’efficacité de nos services, mais il ne faut pas sous-estimer la dangerosité de ces modes d’acheminement. La semaine dernière encore, un douanier a été tué lors de la poursuite d’un convoi : ces gens ne reculent devant rien !

Face à cela, nous ne disposons plus d’observatoires aux frontières depuis que la Commission européenne nous a demandé de démanteler tous les points de contrôle, ce qui entraîne de facto la création de zones de non-droit lorsque le premier péage se trouve à quelques dizaines de kilomètres. Ces difficultés sont encore aggravées par les possibilités de franchissement automatique des barrières de péage. Tout ceci nous oblige à repenser les modalités du contrôle douanier.

Nous devons dialoguer avec les sociétés d’autoroute et avec un certain nombre d’interlocuteurs pour développer des solutions techniques permettant d’acquérir l’information le plus en amont possible et de modéliser le fonctionnement des trafiquants. Les opérations consistant à monter des « nasses » en bouclant tout un secteur sont fort lourdes. Nous fournissons aussi un important effort pour acquérir en amont, y compris dans les pays étrangers, les renseignements permettant, par exemple, de surveiller les livraisons pour mieux comprendre les circuits.

En intervenant sur des trafics et non auprès des consommateurs, la douane agit au milieu de la chaîne logistique des trafiquants, ce qui permet de saisir des quantités non négligeables et de « taper les trafiquants au portefeuille », mais aussi de remonter les filières.

On avance souvent, en faveur de la dépénalisation, l’idée que l’on supprimerait de la sorte une bonne partie de l’économie souterraine. Mais on voit bien qu’il n’en est rien pour un produit pourtant légal comme le tabac. Les caches, la structure, la complexité et l’organisation des filières de la contrebande de tabac ne sont pas très différentes de ce qui se fait en matière de stupéfiants. L’an dernier, les saisies ont représenté pas moins de 350 tonnes, soit une centaine de millions d’euros. Nos modalités d’intervention – baliseurs, interceptions téléphoniques de sécurité, partenariats internationaux pour le suivi des livraisons – sont, elles aussi, similaires. On constate, là encore, qu’internet et le fret express et postal deviennent des modes de commande et d’acheminement extrêmement fréquents. La différence tient bien sûr à la valeur et aux marges : sur le marché illicite, un gramme de tabac coûte environ 0,15 euro contre 5 euros le gramme de cannabis et 60 euros le gramme de cocaïne.

La polyvalence des organisations criminelles est en outre très forte : les réseaux criminels n’hésitent pas à acheter de la cocaïne à un endroit et à vendre du cannabis à un autre, en fonction des demandes des différents marchés. On n’a pas encore observé une telle porosité entre les stupéfiants et le tabac, mais on sait que les organisations mafieuses comme la Camorra font du trafic de cigarettes, y compris pour se procurer des ressources qu’elles investissent ensuite sur le marché des stupéfiants.

Il apparaît par ailleurs extrêmement difficile d’établir une frontière entre les échanges autorisés et non autorisés, ce que confirment d’ailleurs nos collègues des pays où certains stupéfiants sont dépénalisés : il est par exemple fréquent qu’autour d’un « coffee shop » aux Pays-Bas, se nouent des trafics de produits interdits, voire que le « coffee shop » devienne lui-même une plate-forme. De récents jugements aux Pays-Bas considèrent qu’au-delà d’un certain volume, il ne s’agit plus de l’accompagnement de personnes qui ont besoin d’une prise en charge, mais bien de trafic.

Il n’est pas inintéressant, par ailleurs, de constater que le coût respectif pour la douane de la lutte contre les stupéfiants et de l’accompagnement de l’ensemble de la filière du tabac est assez similaire, de l’ordre de 300 millions d’euros.

Pour améliorer le renseignement, surveiller les livraisons et démanteler les filières, nous avons aujourd’hui un grand besoin de cohérence, tant en interne qu’avec nos partenaires étrangers. L’une de nos grandes difficultés tient à la trop faible harmonisation des règles européennes, en particulier dans la définition des molécules considérées comme produits stupéfiants. Or, les organisations criminelles, dont j’ai souligné la sophistication, sont promptes à s’engouffrer dans de telles brèches.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. Pouvez-vous, à partir des saisies que vous réalisez, nous donner une idée du trafic total pour chacun des produits ?

M. Jérôme Fournel. Il est très difficile de mesurer quelle part du trafic total nous saisissons et de savoir, à partir de ces saisies, en fonction des enquêtes de prévalence dans la population, quelle part de la consommation globale elles représentent. Nous estimons qu’elle est de 15 % à 20 %, selon les produits, mais cela est plus difficile à mesurer lorsqu’une partie de la production vient de notre pays même. Qui plus est, nous avons toujours un temps de retard pour apprécier la diffusion de molécules synthétiques nouvelles et nous procédons souvent par comparaison avec d’autres pays. C’est ce qui s’est produit avec la méphédrone, lorsqu’elle a été interdite l’été dernier : tant que nous n’avons pas d’information sur la consommation d’un produit, il est difficile de savoir quelle part du total représentent les saisies.

Sur toutes ces questions, nous aimerions évidemment pouvoir être plus précis, ne serait-ce que pour connaître l’efficacité de notre action.

Nous nous intéressons aussi à l’évolution des prix : si l’on saisit davantage de produits mais que les prix baissent, c’est sans doute que les quantités acheminées augmentent.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. Vous avez dit que vous interveniez « au milieu de la chaîne ». Quelles sont vos possibilités de la remonter et jusqu’à quel échelon ? Parvenez-vous par exemple, pour le cannabis, à remonter jusqu’au Maroc ?

M. Jérôme Fournel. J’ai voulu dire qu’il est plus facile de remonter toute la chaîne à partir d’un maillon intermédiaire que depuis le consommateur.

On peut parfois remonter jusqu’au Maroc, mais on s’arrête le plus souvent dans des lieux d’entreposage en Espagne. Nous travaillons à partir du point de départ de la cargaison, éventuellement sur l’organisation, et nous travaillons avec les autorités espagnoles pour démanteler la partie locale du réseau.

En fait, tout dépend de la façon dont on a intercepté la marchandise. Si cela fait suite à une enquête et à des interceptions de sécurité et si nous disposons d’informations sérieuses, nous pouvons prétendre à un démantèlement qui aille assez loin. En revanche, dans le cas d’une saisie sur contrôle douanier, comme la semaine dernière, tout dépend si l’on interpelle uniquement le transporteur – ce qui nous donne en général peu d’informations –, ou aussi l’éclaireur, qui est peut-être l’un des organisateurs de la chaîne de fraude. Une organisation criminelle de stupéfiants n’a rien à envier à la logistique du commerce légal et les chaînons sont nombreux : « l’ouvreur », qui vérifie les conditions de passage d’un pays à l’autre, le logisticien, « le banquier » en charge du rapatriement des fonds, etc.

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. Comment lutter contre la vente de produits, en particulier de nouvelles molécules, lorsque le trafic se fait uniquement par internet ?

M. Jérôme Fournel. Nous avons beaucoup investi ces deux dernières années en faveur de la surveillance du commerce électronique : nous avons créé une division spécialisée, Cyberdouane, qui assure en permanence, à partir de moteurs de recherche, la veille sur ce qui se passe sur internet, pour les stupéfiants mais aussi pour les tabacs et les contrefaçons.

Nous sommes aussi de plus en plus présents dans les centres de tri du fret postal et du fret express, où il est assez facile de poser une « nasse ». Ainsi, l’an dernier, 2 tonnes de stupéfiants et 36 tonnes de tabac y ont été saisies par la douane. Nous travaillons en étroite coopération avec La Poste comme avec les transporteurs express pour recueillir l’information et cibler les colis qui présentent un risque parmi les millions d’envois quotidiens : bien que les trafiquants se montrent de plus en plus subtils dans les acheminements, nous savons que les molécules de synthèse proviennent souvent d’Asie ou du Moyen-Orient.

Dans le cadre de la veille, nous cherchons avec les autres services européens à identifier le plus tôt possible les molécules appelées à être diffusées. Cette recherche est facilitée par le fait que leur diffusion en France a souvent un temps de retard sur les autres pays.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l’Assemblée nationale. Tous les pays ne disposent pas de la même législation, mais tous luttent-ils avec la même vigueur contre les trafics ? Certains se montrent-ils plus laxistes ? Comment coopérez-vous avec vos homologues étrangers, par exemple avec le Maroc, grand pourvoyeur de produits en tous genres ?

M. Jérôme Fournel. La coopération avec nos partenaires européens est de qualité, y compris en ce qui concerne les nouvelles drogues et la vente des stupéfiants sur internet. Nous avons fait ensemble, l’automne dernier, un important travail pour renforcer la lutte contre la cybercriminalité, y compris la vente de médicaments contrefaits.

Mais les capacités à agir des différents États ne sont pas identiques. Ainsi, la France, les Pays-Bas et l’Allemagne sont les seuls à disposer d’une cellule du type de notre Cyberdouane. Or, si l’on veut gagner en efficacité, il faudrait qu’il en existe dans tous les pays et qu’elles fonctionnent en réseau, comme c’est le cas, en France, avec l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication.

Au sein de l’Union européenne, nous développons des cellules communes d’enquête et des surveillances de livraisons. Pour inciter à travailler en commun, nous avons même veillé à ce que les indicateurs français de performance quant aux volumes saisis ne jouent pas au détriment des objectifs européens globaux de lutte contre le trafic de stupéfiants.

Au-delà de l’Union européenne, la situation est un peu différente. Avec le Maroc, si les relations douanières sont bonnes en ce qui concerne l’échange de marchandises, les relations dans la lutte contre la fraude sont insuffisantes. Un attaché douanier vient d’être implanté dans ce pays pour faciliter les relations avec les autorités locales et faire ainsi remonter davantage d’informations. Les Marocains n’y sont pas opposés et les choses avancent. Nous menons en outre un important travail d’assistance technique, notamment par des actions de formation, afin que cette coopération progresse.

Elle demeure encore insuffisante avec un certain nombre d’autres pays, en particulier asiatiques. Elle a en revanche beaucoup progressé avec les pays d’Amérique latine : nous avons des attachés douaniers au Venezuela et en Colombie, où la volonté des autorités de renforcer les liens avec nos services est réelle.

M. Serge Blisko, coprésident pour l’Assemblée nationale. Pratiquez-vous la saisie des avoirs criminels ? Si tel est le cas, quels sont les volumes financiers concernés ?

M. Gérard Schoen, sous-directeur des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et des luttes contre la fraude à la direction générale des douanes et des droits indirects. Nous saisissons des avoirs criminels en tant que tels, lors de leur passage à la frontière, à l’entrée comme à la sortie du territoire. Je rappelle que toute personne transportant un montant supérieur à 10 000 euros en argent liquide qui n’en a pas fait la déclaration est en infraction au regard du code monétaire et financier, mais également du code des douanes s’il y a un lien avec une infraction. Ces saisies représentent plus de 180 millions d’euros par an, ce qui est loin d’être négligeable, d’autant qu’il n’est pas facile d’identifier ceux qui franchissent les frontières en étant porteurs de fortes sommes d’argent en liquide : il s’agit parfois de familles ou de personnes assez âgées, difficiles à soupçonner. Qui plus est, cet argent est dissimulé avec un luxe de précautions similaire à celui qui entoure le transport de stupéfiants : on en trouve dans des airbags et dans diverses parties des véhicules, parfois aménagées à cet effet.

Ces saisies nous permettent d’obtenir des renseignements sur les flux financiers, mais aussi sur l’organisation des trafics, car on trouve beaucoup plus d’indices dans les véhicules qui transportent des fonds que dans ceux qui transportent les stupéfiants : bien souvent, on ne prend pas les mêmes précautions pour détruire les factures de carburant et pour neutraliser le GPS et les téléphones portables. Grâce à ces éléments, le service national de douane judiciaire mène les enquêtes et met de plus en plus fréquemment en lumière des liens avec les trafics de stupéfiants, en particulier lorsque le passage à l’Ionscan révèle une concentration de particules de produits stupéfiants sur les billets de banque.

Par ailleurs, les enquêtes judiciaires qui sont conduites après la saisie douanière, afin de démanteler la chaîne en amont comme en aval, conduisent également à la confiscation d’avoirs. M. Jérôme Fournel vous a parlé des véhicules « éclaireurs », mais il y a aussi des véhicules « leurres » qui ne contiennent qu’une petite quantité de stupéfiants et qui sont utilisés pour détourner l’attention des douaniers. Les indices que l’on y trouve sont importants pour reconstituer les trajets, pour nourrir l’enquête judiciaire, pour remonter jusqu’aux flux financiers et pour procéder à des saisies non seulement d’argent mais aussi de biens immobiliers : le code des douanes est extrêmement sévère sur le plan patrimonial puisque l’amende peut atteindre jusqu’à cinq fois la valeur de la marchandise.

M. Jérôme Fournel. Pour de petits trafics, les parquets encouragent la pratique de la transaction, qui permet d’accélérer la procédure judiciaire, donc de garantir l’effectivité de la sanction en frappant très vite les trafiquants « au portefeuille ». Cette pratique est notamment utilisée dans le cadre des groupes d’intervention régionaux, au sein desquels la douane est systématiquement représentée.

Mme Catherine Lemorton, députée. Vous avez évoqué les « go-fast », qui sont finalement assez faciles à repérer, mais on trouve aussi des « go-slow », en particulier sur les petites routes de montagne à la frontière espagnole. Avez-vous une idée de la part du trafic qu’ils représentent ?

Dans ce cas, l’interception semble plutôt liée au hasard, mais arrive-t-il que l’on arrête des personnes innocentes, par exemple des conducteurs ignorant totalement qu’il y a des produits illicites dans leur cargaison ? Si tel était le cas, cela montrerait qu’une certaine part du trafic échappera toujours à votre vigilance.

M. Gérard Schoen. Il est difficile de dire quelle part du trafic représentent respectivement les « go-fast » et les « go-slow ».

J’insiste sur le fait que la saisie n’intervient jamais « par hasard ». Le contrôle fait toujours suite à une analyse et à un ciblage préalables : si un véhicule lent est contrôlé à un endroit donné, c’est pour un motif bien précis.

L’analyse de nos saisies, y compris de leurs suites judiciaires, montre qu’il est extrêmement rare que les personnes soient de bonne foi. S’agissant de votre région, il est exceptionnel que les cours d’appel relaxent les chauffeurs au motif de leur bonne foi : lorsqu’un chauffeur déclare qu’il avait pour instruction de ne pas être présent au moment du chargement, les juridictions considèrent que sa responsabilité est engagée en raison d’un défaut de surveillance, y compris lorsqu’il produit un document de son employeur en appui de ses dires.

M. Philippe Goujon, député. Connaissez-vous les proportions respectives des prises aléatoires et de celles qui résultent d’enquêtes ?

M. Jérôme Fournel. Il y a toujours une part d’aléas, y compris quant à la capacité, à la suite d’une enquête, à appréhender un véhicule lors de son passage. Mais il ne faut pas s’imaginer qu’il nous arrive de réaliser des saisies en nous installant au bord d’une route et en contrôlant les véhicules au hasard. Le positionnement des unités et le moment de l’intervention sont systématiquement liés à l’analyse préalable des parcours et des critères recherchés sur les véhicules. Il peut par exemple advenir que la connaissance du type de marchandises transportées dans un sens donné et à une période donnée de l’année conduise un douanier à mener une investigation plus poussée.

Ces dernières années, on considère que plus du tiers – et même près de la moitié l’année dernière – des interventions fait suite à l’action de services spécialisés – aviseurs, interceptions de sécurité, etc. – dans le cadre d’enquêtes parfois fort longues, tout simplement parce que l’organisation d’un réseau de trafic efficace prend également du temps. Un autre tiers des interventions est lié à un ciblage au moment du dédouanement, notamment sur les grosses plates-formes de l’aéroport Charles-de-Gaulle et du port du Havre. Le dernier tiers est le fait des brigades des douanes. Mais, de plus en plus, la sophistication des réseaux nous pousse à travailler en amont.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. L’arsenal juridique qui est à votre disposition vous paraît-il suffisant pour intervenir en restant dans la légalité, ou attendez-vous quelque chose du législateur ?

M. Jérôme Fournel. Nous restons bien évidemment toujours dans la légalité !

Le législateur a fait beaucoup ces derniers temps en notre faveur, notamment en nous autorisant à procéder à des « coups d’achat », ce qui nous est précieux, en particulier pour nouer des liens sur internet, de même d’ailleurs que la possibilité qui nous a été donnée de rendre anonyme notre présence sur le réseau.

Nous apprécions aussi beaucoup de pouvoir agir vis-à-vis des sites internet qui vantent des produits dont les effets peuvent être assimilés à ceux des stupéfiants, sans avoir besoin de prouver que la substance incriminée a été déterminée comme stupéfiant.

Même si cela excède les capacités du législateur national, il nous semblerait fort utile, pour lutter contre le développement des drogues de synthèse, d’harmoniser les règles communautaires et d’accélérer le classement des nouvelles substances comme stupéfiants.

Il conviendrait également de renforcer notre capacité à analyser les mouvements de véhicules. L’ouverture qui a été faite dans le cadre de la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, avec la possibilité d’exploiter les données collectées par les lecteurs automatisés de plaques d’immatriculation, me semble insuffisante au regard des besoins d’identification des parcours. Si un véhicule entre en France par la frontière du Perthus, circule dans notre pays, franchit la frontière avec le Luxembourg ou avec la Belgique, revient en France et ressort par un autre endroit, un tel trajet paraît suspect. Avec la disparition des autres possibilités de contrôle comme les barrières de péage et des postes frontières, identifier des anomalies implique de plus en plus de disposer de la capacité de recueillir assez largement des données et de les traiter avec des systèmes d’analyse. Or, de telles possibilités de traitement sont pour l’heure limitées à une semaine, ce qui paraît trop bref.

M. Daniel Vaillant, député. L’amélioration de la coopération entre police, gendarmerie et douane s’est-elle poursuivie ? Pensez-vous par ailleurs que l’instauration d’une véritable police européenne aux frontières – physiques ou aéroportuaires – permettrait de juguler l’entrée des stupéfiants sur le territoire européen ? Enfin, constatez-vous un trafic autour de cette drogue licite qu’est l’alcool ?

M. Jérôme Fournel. Il y a bien une contrebande d’alcool, car dès lors qu’un produit est fortement fiscalisé, il y a toujours un intérêt à frauder, mais les volumes et les montants sont inférieurs aux trafics de tabac et de stupéfiants, en particulier parce que la production et le transport d’alcool sont plus compliqués. Nous sommes toutefois régulièrement informés de trafics et nous procédons à des saisies.

La coopération entre la police, la gendarmerie et la douane est bonne. L’ampleur de cette coopération est même souvent sous-estimée. De nombreux organismes comme les groupements d’intervention régionaux et les centres de coopération policière et douanière mettent en œuvre cette coopération de façon institutionnelle à travers des échanges d’informations et des opérations répressives ciblées. Il est également fréquent que nous menions en commun, avec succès, des opérations lourdes pour créer des « nasses » aptes à stopper des « go-fast » et des « go-slow ». C’est ce que nous faisons actuellement dans la région de Perpignan afin de boucler totalement une zone. Nous échangeons aussi des informations avec l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, qui est notre partenaire régulier, aux Antilles comme en métropole.

En matière de stupéfiants, nous réalisons chaque année entre 13 000 et 15 000 constatations, soit 10 % à 15 % du total, et les deux tiers des saisies. À la suite de la majeure partie de ces constatations, une enquête judiciaire débute. La coopération est donc en quelque sorte mécanique. Le service national de douane judiciaire a compétence sur le blanchiment, les fraudes douanières et le trafic de contrefaçons mais le législateur n’a pas voulu qu’il ait également compétence dans le champ des stupéfiants, qui relève de l’office central. Il peut arriver que le service national de douane judiciaire soit cosaisi, pour la partie qui le concerne, mais cela se fait en parfaite complémentarité.

Depuis fort longtemps, le territoire douanier est celui de l’Union européenne et aller vers une douane européenne aurait donc pour moi un véritable sens. Ces dernières années, les systèmes d’information des douanes nationales ont été croisés et connectés : un exportateur d’alcool à partir de la France reçoit un certificat électronique qui accompagne le produit jusqu’à sa sortie du territoire communautaire, même s’il est passé par plusieurs autres pays de l’Union européenne. Pour les marchandises qui entrent dans l’Union, nous avons également créé au niveau communautaire un système de contrôle de sûreté reposant sur des critères communs de ciblage.

J’observe toutefois que les interventions des douanes portent exclusivement sur les marchandises et qu’il en existe d’autres, comme Frontex, pour tout ce qui a trait à l’immigration, mais qui ne relèvent souvent pas des mêmes administrations. Il conviendrait donc de bien préciser les objectifs de la création d’une douane européenne.

M. Serge Blisko, coprésident pour l’Assemblée nationale. Merci beaucoup d’avoir participé à cet échange.

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* *

La Mission d’information sur les toxicomanies entend ensuite M. Patrick Hefner, contrôleur général, chef du pôle judiciaire « Prévention et partenariat », et M. Bernard Petit, sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à la direction générale de la police nationale, ainsi que le colonel Pierre Tabel, adjoint du sous-directeur de la police judiciaire, et le colonel Marc de Tarlé, chef du bureau des affaires criminelles à la direction générale de la gendarmerie nationale.

M. Serge Blisko, coprésident pour l’Assemblée nationale. Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue.

Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur les politiques de lutte contre les trafics de stupéfiants, tant en France qu’à l’échelle internationale ? Nous aimerions en particulier vous entendre sur la lutte contre l’offre de nouveaux produits et les nouveaux types de trafics.

Par ailleurs, quelle part les saisies représentent-elles par rapport à l’ensemble des trafics ?

Enfin, que suggérez-vous au législateur pour vous aider dans votre tâche ?

Colonel Pierre Tabel, adjoint du sous-directeur de la police judiciaire à la direction générale de la gendarmerie nationale. Je représente le général Michel Pattin, en mission à l’étranger.

Pour la gendarmerie nationale, qui travaille de manière très conjointe avec la direction centrale de la police judiciaire, la difficulté est que la guerre contre la drogue est un combat sans fin. Les saisies de drogue se multiplient. Le marché nourrit bien ses acteurs : sans parler des grands trafiquants, nous estimons qu’un guetteur dans une cité peut gagner 100 euros par jour et un revendeur 1 000 euros ou plus. Chaque année, nous interpellons, dans le cadre d’enquêtes liées aux stupéfiants, entre 140 000 et 150 000 personnes, dont 80 % sont des consommateurs. La production de cannabis est en légère augmentation, notamment en Afghanistan. Nous avons découvert, en région parisienne et en province, des entrepôts dans des lieux de stockage difficiles à détecter, notamment dans les zones dont la sécurité est confiée à la gendarmerie nationale.

La France est un marché de consommation important, surtout pour le cannabis. Les jeunes de dix-sept à vingt ans sont particulièrement touchés par rapport à ceux des pays voisins. Nous estimons à 1,2 million le nombre d’usagers réguliers de cannabis et à au moins 550 000 celui des usagers quotidiens.

Notre pays compte 300 000 consommateurs de cocaïne contre trois fois plus dans les pays voisins, notamment le Royaume-Uni, l’Espagne et le Danemark.

La France est aussi un pays de transit entre les pays de production (Afghanistan, Maroc, Turquie, Pays-Bas) et les pays voisins.

À partir des faits, des saisies et des affaires judiciaires, nous considérons qu’il y a une assez grande disponibilité des produits stupéfiants au plan national et que la tendance à la baisse des prix favorise leur diffusion, même au-delà des grands centres urbains, à tel point que de plus en plus d’affaires concernent les agriculteurs. De même, dans la pêche, métier très dur, la consommation de cocaïne est assez importante. Ainsi, cette forme de criminalité, très urbaine au départ, s’étend. Cette tendance concerne aussi les zones de stockage.

Dans les collectivités d’outre-mer, la consommation de stupéfiants est importante et le trafic en provenance notamment d’Amérique du Sud est préoccupant.

Le nombre de personnes mises en cause pour infraction à la législation sur les stupéfiants a progressé de 7,8 % en 2010 et celui du nombre d’usagers-revendeurs de 16,44 %. En 2009, les personnes mises en cause étaient à 94 % des hommes, de nationalité française, dont 69 % avaient une profession. Enfin, 80 % des usagers appartiennent à la tranche des quinze à vingt-neuf ans.

Colonel Marc de Tarlé, chef du bureau des affaires criminelles à la direction générale de la gendarmerie nationale. Il y a aussi un marché important de l’héroïne, qui est associée à la cocaïne pour permettre la « descente ». On peut donc parler d’un polyusage des produits stupéfiants.

Pour le cannabis, la part de la résine est tombée de 90 % à 60 %, tandis que celle de l’herbe est passée de 10 % à 40 %. Or, cette herbe a une teneur très importante en THC (delta-9-tétrahydrocannabinol), jusqu’à sept fois plus que la résine.

S’agissant des drogues de synthèse, on constate une véritable « course contre la montre », dans la mesure où, quand un chimiste invente une nouvelle molécule qui a des effets toxicologiques, elle n’est pas immédiatement classée comme produit stupéfiant.

L’action de la gendarmerie s’inscrit notamment dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies, piloté par le ministère de l’intérieur, qui a permis la nomination d’un délégué national à la lutte contre le trafic de drogue et la mise en place d’un groupe opérationnel. Les directives sont de diagnostiquer et de cartographier des zones « sensibles » et d’y organiser des actions de déstabilisation, ou « coup-de-poing » : dans le cadre des plans départementaux, huit cents actions ont été menées en 2010, sur la base de contrôles d’identité et de fouilles de véhicules.

La gendarmerie a fait un effort pour axer son action sur le démantèlement de réseaux, notamment d’équipes structurées. En synergie avec la police nationale, elle participe au renforcement de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants.

La lutte contre le trafic de stupéfiants doit être totale, c’est pourquoi nous ne négligeons pas la prévention. Ainsi, depuis leur création en 1990, six cent soixante-dix formateurs relais antidrogue ont été formés et ils ont touché environ 7 millions de personnes, notamment des jeunes, dans divers milieux. Le dispositif SAGES – « Sanctuarisation globale de l’espace scolaire » – permet en outre d’aller au cœur des établissements classés les plus sensibles en zone relevant de la gendarmerie.

Nous travaillons sur l’ensemble du spectre des stupéfiants, en faisant un effort, je l’ai dit, sur les équipes structurées pour lesquelles nous avons largement recours à la rémunération d’informateurs, qui permet un traitement efficace. Nous utilisons également tous les dispositifs permis par la loi (captation d’images et sonorisation), car ils sont très efficaces. La gendarmerie participe aussi au dispositif du service interministériel d’assistance technique, surtout pour son volet infiltration.

Nous nous efforçons de traiter le phénomène inquiétant des « go fast », ces convois de véhicules puissants et ultrarapides qui convoient de la drogue en passant en force sans se dissimuler et en n’hésitant pas à foncer sur les forces de l’ordre. Cette menace émergente provient notamment de certaines cités. Le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale s’est spécialisé dans les interpellations de ces véhicules, dont plusieurs ont été interceptés en 2009 et 2010.

Nous fonctionnons beaucoup par le biais de la trentaine de cellules d’enquête qui luttent contre le « haut du spectre », le but étant d’identifier et d’interpeller des individus qui trafiquent jusqu’à l’âge de trente ans, puis se reconvertissent après avoir blanchi le fruit de leur activité.

La gendarmerie s’emploie également à lutter contre tous les avoirs criminels, grâce à la plate-forme d’identification des avoirs criminels et l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, récemment créée. Nous avons fourni un effort en matière de saisie du patrimoine. En effet, outre les peines de prison, la saisie du produit de leur crime est ce qui fait le plus de mal aux délinquants. À ce titre, 7 millions d’euros liés au trafic de stupéfiants ont été saisis en 2009, et 13,7 millions d’euros en 2010. Les investissements à l’étranger nécessitent une coopération internationale qui peut poser certaines difficultés.

Chaque fois que nous le pouvons, nous intégrons des équipes communes d’enquête comme celle qui travaille actuellement sur le trafic de stupéfiants.

Nous intégrons enfin les dispositifs internationaux.

M. Patrick Hefner, contrôleur général, chef du pôle judiciaire « Prévention et partenariat » à la direction générale de la police nationale. Le pôle dont j’ai la charge fait l’interface avec la direction centrale de la police judiciaire, plus particulièrement les services de M. Bernard Petit.

Parmi les structures périphériques qui apportent une aide essentielle à la lutte contre les stupéfiants, je mentionnerai tout d’abord celles qui sont destinées à l’impulsion et à la coordination.

La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie est chargée de la gestion des crédits interministériels et d’un fonds de concours alimenté par les saisies, ce qui motive les services et leur permet d’acheter des matériels performants pour lutter contre les trafics. Ainsi, pour l’exercice 2011, la police nationale pourra prétendre à 800 000 euros de crédits interministériels et à 7,160 millions d’euros de fonds de concours.

Le délégué national à la lutte contre le trafic de drogue, institué par un décret du 22 février 2011, a pour mission, en liaison avec la mission interministérielle, d’animer le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies, esquissé en 2009.

Composée d’un commissaire divisionnaire et d’un commandant de police, la Mission de lutte anti-drogue prépare les actions du ministère en matière de prévention et d’information du public et propose les stratégies qu’il convient d’adopter aux plans national et international afin d’éclairer tant le directeur général de la police nationale que le ministre.

Quel que soit le niveau des affaires, nous devons impérativement être renseignés, le trafic de stupéfiants étant, par définition, une infraction occulte. Pour cela, nous disposons de structures internationales et nationales.

Je citerai d’abord les officiers de liaison à l’international, dont la structure la plus développée se trouve en Espagne (Madrid, Malaga, Barcelone et Alicante), ce pays étant, notamment en matière de cannabis, la plaque tournante du système d’alimentation français.

Les attachés de sécurité intérieure peuvent également être sollicités en fonction des besoins.

Le Centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants, implanté à Lisbonne, auquel participent sept pays de l’Union européenne (France, Irlande, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Portugal et Pays-Bas) avec un pays observateur, le Maroc, a pour objectif la répression du trafic illicite dans l’Atlantique. Depuis sa création, le 1er juillet 2007, il a permis de faire aboutir deux cent trente dossiers, de saisir 45 tonnes de cocaïne et 37 tonnes de cannabis, et de procéder à vingt-neuf saisies maritimes, ce qui n’est pas négligeable.

Le Centre de coordination pour la lutte anti-drogue en Méditerranée, dont l’objectif principal est la lutte contre le trafic illicite en Méditerranée, a quelque difficulté à se positionner du fait de la conjoncture actuelle dans cette zone et de la défection de certains de nos partenaires, notamment l’Italie et la Grèce. Pour autant, son activité n’est pas négligeable puisque 3,7 tonnes de cannabis et 400 kilogrammes de cocaïne ont été saisis.

Au plan national, un de nos gros soucis est de recenser le renseignement, de l’analyser, de le finaliser et de le restituer aux services de police et de gendarmerie, les structures étant généralement mixtes.

Le service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique de la criminalité organisée s’est substitué à l’unité de coordination et de recherches anti-mafia. Ses actions recouvrent largement, sans les traiter exclusivement, les aspects liés aux stupéfiants.

La division du renseignement et de la stratégie, créée le 1er septembre 2010, relève d’une des préconisations du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies.

J’en viens aux structures qui « épousent » et répriment la sphère des avoirs criminels. Négliger les avoirs criminels accumulés par les trafiquants, c’est leur permettre de jouir en toute quiétude de sommes importantes à leur sortie de détention. Épouser les aspects des avoirs criminels a donc constitué une révolution culturelle dans les services de police et de gendarmerie. Le trafic de stupéfiants est extrêmement rémunérateur. Deux exemples : 900 000 euros ont été retrouvés dans une cage d’escalier à Villepinte ; des actes authentiques attestant d’acquisitions immobilières dans les Émirats arabes Unis ont été découverts dans la selle d’un scooter sur lequel se trouvaient deux personnes impliquées dans un trafic de stupéfiants dans une cité de l’Est parisien. Le chiffre d’affaires du trafic de cannabis en France est estimé à 1 milliard d’euros, ce qui suscite bien des convoitises.

Nous nous sommes aperçus que les trafiquants s’adaptent. Ils sont, par exemple, rarement propriétaires du véhicule de luxe qu’ils utilisent, ayant plutôt créé une société à responsabilité limitée qui le loue au Luxembourg ou en Allemagne. Il est donc très important de nous adapter à ces évolutions.

Une fois les stupéfiants saisis, l’affaire ne fait que commencer, car il est essentiel de rechercher tous les avoirs criminels accumulés. Plusieurs outils nous le permettent.

Les organismes bancaires pour l’essentiel, mais aussi les notaires, signalent des dépôts en espèces douteux et des comptes au fonctionnement atypique au service d’enquête TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), créé en 1990.

Créés en 2004, les groupements d’intervention régionaux consacrent plus de la moitié de leur activité à mettre en évidence les avoirs criminels résultant du trafic de stupéfiants. Depuis leur création, 6 000 opérations ont été recensées, ainsi que 35 000 gardes à vue dont plus de 8 200 ont été suivies de mises sous écrou ; 2 819 véhicules ont été saisis, ainsi que 166 millions d’euros de numéraires, de valeurs mobilières et immobilières ; et 6 136 vérifications fiscales ont été proposées.

Service très pointu, la plate-forme d’identification des avoirs criminels s’est livrée à un travail de bénédictin en recherchant, au travers des conventions bilatérales, le moyen de procéder à des saisies bancaires et immobilières. Les informations très précises qu’elle a fournies nous ont permis, par chancelleries interposées, de procéder à des saisies à l’étranger, par exemple en Thaïlande et dans la péninsule arabique.

Créée par la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués alimente le fonds de concours et gère tous les fonds et produits saisis et confisqués. Placée sous l’autorité d’un magistrat, c’est une structure mixte qui compte également des gendarmes et des agents du domaine, du fisc et des douanes.

Une structure nouvelle constituée de cinquante-trois agents de la direction générale des finances publiques est dédiée à quarante-trois quartiers « sensibles » dans dix-huit départements. Sa mission principale est de mettre en évidence, grâce aux services de police et de gendarmerie, les activités lucratives non déclarées. En un an et trois mois d’existence, elle a permis de procéder à 3 438 contrôles et à des redressements de droits et pénalités à hauteur de 1,150 million d’euros.

Enfin, en autorisant la taxation des saisies et des éléments du train de vie, la loi de finances rectificative pour 2009 permet à l’administration fiscale d’imposer toute personne trouvée en possession de stupéfiants.

S’agissant enfin des structures de formation et d’information à destination du public, je ne parlerai que des policiers formateurs anti-drogue : deux cent soixante-sept de ces cinq cent douze fonctionnaires sont dédiés à l’information des parents d’élèves, des élèves et des enseignants dans les collèges et les lycées. En 2010, notre auditoire a été de 112 542 personnes. L’information dispensée est très prisée des parents qui découvrent le monde des stupéfiants. Le savoir unanimement reconnu de ces fonctionnaires est également très apprécié à l’étranger.

M. Bernard Petit, sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à la direction générale de la police nationale. Je tiens à votre disposition les organigrammes des services de police judiciaire (hommes et structures), ainsi que le bilan des saisies et celui des interpellations d’usagers et de trafiquants pour les années 2009 et 2010.

Pour ma part, j’ai à connaître de l’activité de plusieurs structures : l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants ; l’Office central de lutte contre le crime organisé ; l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière ; le service interministériel d’assistance technique, en charge des infiltrations dans les réseaux ; le service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique de la criminalité organisée, qui tente de définir des stratégies pour informer les décisionnaires ; la plate-forme d’identification des avoirs criminels.

Dans cette importante activité, assez complexe, l’aspect financier n’est plus jamais détaché de l’aspect criminel. Jusqu’en 2006, un distinguo était opéré entre les enquêtes criminelles et les enquêtes financières ; aujourd’hui, ce n’est plus le cas : elles sont systématiquement simultanées. Cette réforme très importante permet de saisir le patrimoine et les avoirs criminels le plus rapidement possible.

Bien qu’il existe des milliers de produits stupéfiants – rien que pour 2010, quarante nouvelles molécules susceptibles d’être utilisées par des consommateurs ont été détectées et identifiées –, la consommation et le trafic en France restent organisés autour de trois produits phares : le cannabis (herbe et résine), la cocaïne et l’héroïne.

Certes, les drogues de synthèse (ecstasy et dérivés d’amphétamines) sont un sujet de préoccupation et des saisies et des interpellations sont menées. De nouvelles molécules apparaissent tous les jours, commercialisées sur internet par des réseaux très difficiles à identifier, sans compter que celles qui ne sont pas classées rapidement permettent à des gens d’entrer dans la toxicomanie de façon légale ! Néanmoins, d’après les statistiques, les drogues de synthèse n’ont pas le même impact que la cocaïne, l’héroïne et la résine de cannabis.

La France est, en Europe, un marché de consommation de stupéfiants de première importance, estimé entre 2 et 2,5 milliards d’euros. Le premier marché est celui du cannabis : entre 200 et 300 tonnes de résine doivent être acheminées chaque année pour satisfaire la consommation française, ce qui représente une valeur comprise entre 800 millions et 1 milliard d’euros, soit beaucoup d’argent ! La consommation française de cocaïne nécessite d’acheminer de 15 à 20 tonnes par an, pour une valeur estimée à 800 millions d’euros. Enfin, les consommateurs d’héroïne ont besoin de 8 à 10 tonnes par an, soit un marché de 200 millions d’euros.

D’après les études de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, corroborées par celles de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies basé à Lisbonne, la France compte 1,2 million d’usagers réguliers de cannabis et au moins 550 000 usagers quotidiens. Toutes ces données montrent l’ampleur du phénomène.

La France est également un pays de transit. La résine de cannabis part du Maroc, traverse l’Espagne, la France et se propage en Europe, la France et l’Espagne en absorbant une grande quantité au passage.

La France est aussi un pays de transit pour les drogues de synthèse et l’héroïne. Cette dernière provient d’Afghanistan, remonte par la route des Balkans, « tape » en Allemagne, puis « rebondit » aux Pays-Bas où se trouvent les structures commerciales permettant une diffusion dans le reste de l’Europe : le marché britannique en tête, puis la France, l’Espagne, l’Italie, etc. Environ 80 % de l’héroïne consommée dans nos cités et dans le Sud du pays viennent des Pays-Bas et du Nord de la Belgique.

Notre pays permet aussi de faire « rebondir » la cocaïne vers d’autres pays de l’Union européenne, les deux portes d’entrée principales restant l’Espagne et les Pays-Bas.

Produite uniquement par les pays andins – Colombie, Pérou, Bolivie et peut-être une zone en Équateur –, la cocaïne est transportée par voie maritime ou aérienne. Autrefois, elle arrivait d’Espagne d’où elle se répandait dans l’ensemble de l’Europe. Aujourd’hui, grâce aux dispositifs des États, notamment français, un « bouclier » permet d’entraver les arrivées massives. Grâce à la mutualisation des officiers de renseignement que nous avons déployés en Amérique du Sud et à l’antenne de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants créée à Fort-de-France, qui regroupe des gendarmes, des policiers, des douaniers et des marins, nous arrivons à intercepter et à détourner nombre de bateaux de la zone Caraïbe qui avaient vocation à traverser l’Atlantique pour venir chez nous. Le Centre opérationnel d’analyse et de renseignement maritime pour les stupéfiants surveille l’océan Atlantique pour empêcher les bateaux transportant des cargaisons de cocaïne d’arriver chez nous. Ce dispositif est complété par la création de deux nouvelles antennes, à Dakar et à Accra, qui nous aident à « verrouiller » l’Afrique de l’Ouest et le Golfe de Guinée afin de repousser les bateaux le plus loin possible.

Ce « bouclier Caraïbe » produit aujourd’hui ses effets. Mais si la France est bien placée, sur la façade atlantique, pour la lutte contre la cocaïne, avec l’Espagne, le Portugal et la Grande-Bretagne, il n’en est hélas pas de même pour la lutte contre l’héroïne qui provient d’Afghanistan par la route des Balkans. D’où la nécessité d’une solidarité européenne par le biais de partenariats : pour lutter efficacement, il faut partager les responsabilités et les actions de façon organisée.

La forte demande de stupéfiants est aussi un élément de fragilisation de la sécurité intérieure nationale. Le trafic génère énormément d’argent et les groupes criminels se structurent très rapidement. En seulement deux ans, un groupe criminel né du trafic de résine de cannabis atteint une maturité et un développement problématiques qui nécessitent l’intervention, non d’un commissariat ou d’une unité de gendarmerie territoriale, mais d’unités spécialisées.

Je m’arrête sur le bilan des saisies numéraires. En 2010, 39 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en France. Cet effort a été consenti par la police et la gendarmerie à parts égales. D’année en année, notre pays améliore ses résultats. Le dispositif est donc dans une phase très performante et va être complété par l’action de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, créée récemment, qui va gérer les biens saisis, notamment immobiliers, ce qui facilitera les saisies auxquelles nous renoncions pour des difficultés de gestion. Nous espérons donc que le montant des saisies augmentera dans les années à venir.

L’internationalisation des trafics est patente. Ils ont changé d’échelle : autrefois, de petites équipes achetaient leur produit en France ou en Espagne où se trouvaient leurs contacts et distribuaient 100 kilogrammes de résine dans une cité ; aujourd’hui, les équipes descendent en Espagne, ont des contacts avec des Français de souche marocaine ou algérienne, voire avec des Colombiens, ce qui leur permet d’accéder à différents produits de qualité satisfaisante et à des prix compétitifs.

J’insiste enfin sur le fait que les pouvoirs publics ne doivent pas se focaliser sur les produits. Certes, le cannabis est un sujet de santé publique et de prévention ; on peut toutefois comprendre que, si l’on a des enfants, trouver une barrette de cannabis n’a pas la même signification que trouver une seringue et un coton ensanglantés. Le débat sur les drogues dures et les drogues douces est légitime, on peut l’entendre. Néanmoins, ce qui compte, ce sont les réseaux criminels qui apportent ces produits chez nous : ces criminels se moquent de notre appréciation du produit et de sa dangerosité, ils trafiquent, ils font de l’argent !

Les trafiquants de cannabis ont progressé et diversifié leurs produits : ils ramènent l’héroïne des Pays-Bas, ils remontent la cocaïne d’Espagne. Mes camarades gendarmes et policiers vous le diront : en Espagne et en France, beaucoup de règlements de compte sont liés au trafic de cannabis. Ces réseaux criminels sont très dynamiques, très organisés et disposent d’une manne financière extrêmement importante. Et comme ils mettent moins de deux ans à se structurer à l’international – à blanchir l’argent, à acheter de l’armement et des faux papiers –, le travail de démantèlement est extrêmement difficile.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. Pensez-vous qu’une politique contraventionnelle en direction des « petits porteurs » ou des consommateurs permettrait de marquer plus facilement les jeunes qui sont dans une première approche de consommation ?

Par ailleurs, les collèges sont-ils le meilleur endroit pour sensibiliser nos jeunes ? Le temps d’information n’y est-il pas vécu, d’abord, comme un instant de détente ?

Enfin, quel impact des centres d’injection supervisés auraient-ils sur votre activité ? Cela nécessiterait-il des modifications réglementaires ou législatives du régime juridique de la consommation des stupéfiants ?

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l’Assemblée nationale. La coopération entre vos services et vos homologues européens est-elle efficace ?

Quels contacts avez-vous avec le Maroc ?

Enfin, avez-vous une idée du coût de tous les organismes qui luttent contre les trafics ?

Mme Brigitte Bout, sénatrice. En moins de deux ans, dites-vous, des hommes et des femmes arrivent à créer une entreprise multinationale qui fonctionne parfaitement bien ! Quand on voit le mal qu’ont nos jeunes aujourd’hui à s’installer à leur compte pour travailler honnêtement et gagner une misère, on se dit que quelque chose ne va pas !

Mme Catherine Lemorton, députée. Les réseaux de santé que le groupe d’études sur la prévention et la lutte contre la toxicomanie de l’Assemblée nationale a auditionnés nous ont communiqué des montants inférieurs à ceux que vous avez cités sur les revenus des trafiquants. D’après eux, les guetteurs gagnent à peine 20 % de plus que les minima sociaux. D’où tenez-vous vos données ?

La drogue est avant tout un problème de santé publique. Comment les gamins de cinquième et de quatrième vous perçoivent-ils lorsque vous arrivez au collège, où vous renvoyez l’image de l’ordre public et de l’autorité ? Avez-vous des retours « de terrain », en particulier des enseignants ?

Colonel Pierre Tabel. Les retours des enseignants sur le dispositif des formateurs relais antidrogue sont globalement positifs.

Je suis bien incapable de vous dire quel est l’impact réel de ces formations sur les préadolescents et les jeunes adolescents que nous rencontrons. Dans la mesure où 42 % des jeunes de dix-sept à vingt ans sont usagers de cannabis, ces formations ne sont certainement pas assez efficaces, mais si elles n’existaient pas, ce serait une lacune dans le dispositif et ce taux serait probablement plus élevé…

Il fut un temps où nous n’étions pas bien accueillis dans les collèges ; ce n’est plus le cas car le problème est réel. Mais il serait intéressant que nous puissions faire des sondages auprès des enseignants.

Bref, si le dispositif est perfectible, il est nécessaire.

Mme Catherine Lemorton, députée. Après votre passage, il faudrait distribuer des questionnaires à destination des enfants et des adolescents afin de savoir ce qu’ils ont retiré de l’information que vous leur avez dispensée.

Colonel Pierre Tabel. Je ne suis pas convaincu qu’ils répondraient au questionnaire de manière sincère.

Mes propres enfants, préadolescents et adolescents, se sentent très concernés et parlent beaucoup de ces questions. Selon moi, la sensibilisation doit d’abord se faire dans la famille. Les gendarmes et les policiers formateurs viennent en complément.

M. Patrick Hefner. On n’imagine pas le nombre de parents qui, dans le cadre de ces conférences dans les collèges et les lycées, ont découvert la toxicomanie de leur enfant ! Nos interventions suscitent toujours des questions chez les parents.

Les médecins peuvent aussi alerter sur la dangerosité de ces produits. Mais nous-mêmes ne manquons jamais de souligner les incidences que ces produits peuvent avoir sur la santé.

Lors d’une émission télévisée, un grand acteur de cinéma à qui il était demandé comment il avait vécu son interpellation par la brigade des stupéfiants a répondu : « c’est la première fois que je me suis dit que j’étais en marge de la société, que ce que je faisais était illicite ». De même, un grand nombre de jeunes consommateurs de cannabis, au gré de nos interventions, prennent conscience qu’à chaque fois qu’ils fument, outre qu’ils détruisent leur santé, ils commettent un délit !

Que deux ou trois jeunes seulement, dans un auditoire d’une centaine, décident, grâce à notre discours, de s’abstenir ou de stopper leur consommation est pour nous la preuve que nous accomplissons notre mission.

M. Daniel Vaillant, député. Mon propos n’est pas de mettre en cause les formateurs qui interviennent dans les collèges, mais de savoir sur quel terrain s’exerce la prévention sanitaire et sociale. Étant opposés à la consommation de toute drogue, nous devrions aussi agir à l’Assemblée nationale et au Sénat, quelles que soient nos traditions, pour lutter contre la consommation excessive d’alcool. En attendant, je voudrais être sûr qu’on met les écoliers et les collégiens en garde contre les méfaits de l’alcoolisme, même si, parce que la vente d’alcool est licite, elle ne donne pas lieu à un trafic et permet même à l’État de prélever des taxes.

Outre l’école et la structure familiale, n’oublions pas un autre maillon : un service civique obligatoire de courte durée permettrait aux garçons comme aux filles de recevoir une information de sécurité sanitaire sur l’utilisation des produits illicites ou licites.

Colonel Marc de Tarlé. Les formateurs relais antidrogue interviennent également dans des expositions, ainsi que dans les administrations. À l’école, la prévention en matière d’alcool s’effectue plutôt dans le cadre de l’initiation à la sécurité routière. Les gendarmes, dont le rôle est de rappeler la loi, sont formés de manière spécifique pour inciter les jeunes à prendre conscience de tous les dangers et à se montrer le plus responsables possible.

La création de centres d’injection supervisés, expérimentée dans plusieurs pays, n’est pas une solution appropriée. Selon l’Organe international de contrôle des stupéfiants, elle discrédite le discours de prévention et, partant, toute la pédagogie destinée à lutter contre l’usage de stupéfiants.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. Puisque la plupart des jeunes consommateurs assimilent le rappel à la loi à une absence de sanction, pourquoi ne pas renoncer à l’incrimination délictuelle et leur infliger plutôt des amendes contraventionnelles à payer immédiatement par les parents ?

M. Bernard Petit. Parmi les personnes interpellées, les usagers sont la majorité ; il faut donc envisager un traitement de masse. Actuellement, nous préférons aux sanctions réelles un rappel à la loi. Étant moi-même favorable à la répression – bien que très attentif, ce qui n’est pas contradictoire, à la prévention, aux soins et à la réduction des risques –, je ne suis peut-être pas le mieux placé pour vous répondre. La disparition de l’incrimination délictuelle ferait perdre à nos collègues des brigades territoriales ou des commissariats, qui sont en contact avec l’usager, la possibilité de remonter au moins un échelon dans la filière, et d’atteindre le petit trafiquant implanté dans une rue ou une barre d’immeubles, où il cause déjà des dégâts. En revanche, elle serait sans effet sur ceux qui enquêtent sur le trafic national ou international et mènent des actions d’entrave aux arrivages massifs.

Madame Françoise Branget, le coût de la lutte contre la toxicomanie n’a pas été calculé, ce que je regrette, car cette donnée manque à notre réflexion. Pour que le montant soit exact, il faut aussi prendre compte le coût des procédures juridiques, celui des gardes à vue et le temps de travail des magistrats. La lutte contre la toxicomanie est un investissement dont il serait intéressant de connaître le rendement.

M. Serge Blisko, coprésident pour l’Assemblée nationale. Selon le directeur de la prison de Fleury-Mérogis, où je me suis rendu il y a quelques jours, 70 % de la population incarcérée sous tous les régimes, y compris les femmes et les jeunes, sont liés au trafic de stupéfiants. La maison d’arrêt des femmes est remplie de « mules ».

Colonel  Pierre Tabel. Le projet de loi relatif à la garde à vue que vous examinerez dans quelques jours réduira sensiblement le nombre de gardes à vue, lequel diminuerait encore si les revendeurs étaient seulement soumis à une contravention. La présence d’un avocat pendant la procédure compromettra en outre la possibilité de découvrir le nom d’un revendeur et de remonter ainsi un maillon de la chaîne. La contraventionnalisation pèserait lourd en termes d’efficacité. En outre, certains dérivés du cannabis, à forte teneur en tétrahydrocannabinol sont de plus en plus dangereux.

M. Serge Blisko, coprésident pour l’Assemblée nationale. Pour le gros trafic, le projet de loi prévoit certaines dérogations à l’intervention de l’avocat.

Venons-en à la question de Mme Brigitte Bout : pourquoi les jeunes se lancent-ils dans ce trafic ?

M. Bernard Petit. Certains jeunes perçoivent les réseaux comme une alternative au développement. Ils nous expliquent leur parcours quand nous les rencontrons afin de recruter des sources. Dans la cité, ils commencent par servir de chauffeur au petit trafiquant, avant de « dealer » eux-mêmes. Ils servent ensuite de « nourrices », ce qui leur permet de vivoter. De toute façon, ils n’ont pas d’autres sources de revenus, n’ayant jamais travaillé, et n’accèdent aux droits sociaux que par leur famille.

Un jour, ils franchissent un cap en réalisant une transaction. Certains commencent par une infraction non liée aux stupéfiants pour financer une opération qui, elle, y est liée et leur permet de tripler ou de quadrupler leur mise. Par la suite, ils trouvent la filière qui leur permet de réceptionner et de stocker la marchandise en provenance d’Espagne ou du sud de la France. Plus tard, ils descendent en Espagne. D’abord, ils font « l’ouvreuse » pour le convoi qui remonte le cannabis. Puis ils conduisent la voiture « porteuse », avant de devenir chefs de convoi.

Ils gagnent vraiment de l’argent le jour où ils voyagent entre Malaga et Paris, la Seine-Saint-Denis, Strasbourg ou Dole. Avec les copains qui ont servi de manœuvres, ils montent leur propre réseau, qui écoule 40 à 100 kilogrammes. En deux ans, ils sont devenus chefs. Ils ont un adjoint et un complice en Espagne, où ils louent une maison et des voitures. En cas de besoin, ils commandent un « carjacking » sur l’Audi Q7 d’une personne totalement étrangère au trafic, ce qui provoque une délinquance accessoire.

Même quand ils ne sont encore que deuxième couteau dans une équipe, il est difficile de les recruter comme source. Pourquoi travailleraient-ils pour nous ? Ils ont des revenus réguliers. Même s’ils ne touchent pas encore 100 000 euros à 150 000 euros par mois, comme les grands chefs de réseaux, ceux-ci ont tous les jours besoin de « go-fast », qui ne sont d’ailleurs qu’un vecteur parmi d’autres.

Mme Brigitte Bout, sénatrice. Enseignants et éducateurs ne pourraient-ils pas déceler chez ces jeunes une certaine énergie et un sens de l’organisation, qui sont tout de même des valeurs positives, car développer une affaire en démarrant de peu, c’est bien la démarche d’un chef d’entreprise ?

M. Bernard Petit. On ne peut nier qu’une certaine énergie pousse ces jeunes à gagner de l’argent, mais voyons la réalité. Tous ceux qui pratiquent les écoutes savent qu’ils ne se lèvent jamais avant onze heures ou midi et se couchent vers trois ou quatre heures du matin. Même s’ils déploient une énergie farouche pour gagner de l’argent très vite, comme on peut le faire dans le monde du spectacle ou du football, ils ne font aucun effort au quotidien.

À la différence du métal ou du bois, le cannabis ne nécessite pas de travailler un produit et il permet de faire une véritable « culbute ». Un commerçant, qui travaille au moins dix heures par jour, ou un restaurateur, qui se lève tôt pour aller aux halles, mettent du temps pour dégager du profit. On ne peut les comparer à quelqu’un qui se contente, trois jours par mois, de remonter d’Espagne de la résine de cannabis, quitte à prendre des risques ou à tuer. L’énergie que celui-ci déploie n’a rien de positif, et le profit qu’il dégage tient seulement au fait qu’il convoie un produit extrêmement rentable. Il n’y a rien de commun entre l’énergie de quelqu’un qui ne cherche qu’à s’affranchir de la loi et celle d’un chef d’entreprise.

Colonel  Marc de Tarlé. Au niveau international, l’action des réseaux, qui sont très structurés, est inquiétante : usage des armes sur la guardia civil ; attaque d’une équipe de transfèrement, dans le Nord de la France, pour faire évader un complice ; corruption au Maroc, ce qui compromet la collaboration internationale. En outre, pour éviter qu’on ne les repère ou qu’on ne saisisse leurs avoirs, certains délinquants conservent un train de vie relativement chiche lorsqu’ils sont en France, alors qu’ils possèdent des chaînes d’hôtel à l’étranger. Manifestement, on peut encore progresser en matière de collaboration internationale.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l’Assemblée nationale. Sur le terrain, certains trafics s’effectuent au vu de tous. Dans un quartier de ma circonscription, les habitants savent parfaitement qui chapeaute le réseau. Telle personne, qui possède une villa au Maroc, mène tranquillement ses affaires sans que la police intervienne. Celle-ci fait-elle preuve de laxisme ou achète-t-elle la paix sociale ? Des trafiquants qui roulent en X5 ou X6 ne sont pas difficiles à repérer dans un quartier où tout le monde touche le revenu de solidarité active. Chaque jour, à ma permanence, je reçois des habitants qui dénoncent leur présence.

M. Patrick Hefner. Selon l’Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, un effort significatif a été accompli par le Maroc. La surface de culture du cannabis a été réduite de 130 000 hectares à 64 000 hectares, et les quantités saisies ont considérablement augmenté. En 2010, les autorités locales ont mis la main sur 100 tonnes de marchandises, quand nous en avons saisi 56, ce qui montre que, malgré certaines difficultés propres au pays, elles sont engagées dans la lutte.

En France, si la police peut donner l’impression de laisser perdurer des trafics, c’est que les enjeux sont importants. Dans certaines cités, il arrive qu’une équipe cède une cage d’escalier pour 50 000 euros ; si l’on n’y veille pas, en moins de vingt-quatre heures, une autre équipe succède à celle qu’on vient d’arrêter. D’où la création par la police nationale de « groupes cités ».

M. Bernard Petit. Cela dit, la situation que vous évoquez est anormale : habituellement, les groupes ne roulent pas en 4x4 sur les lieux de trafic, les responsables préférant les laisser en Espagne où ils mènent la belle vie. À mon sens, les trafiquants que vous décrivez commettent des erreurs de débutants. Transmettez-nous leur identité. Un groupement d’intervention régional leur demandera de justifier leurs ressources.

Colonel  Pierre Tabel. Des enquêtes menées en Seine-Saint-Denis révèlent que tous les 4x4 utilisés dans ce contexte sont des véhicules de location. Nous discutons actuellement avec la justice pour savoir où placer le curseur entre l’exaspération des citoyens et la nécessité de disposer de charges suffisantes pour faire condamner les intéressés. Si l’on intervient trop vite, leur dossier ne sera pas assez lourd et ils seront aussitôt remis en liberté. On n’a donc pas d’autre choix que d’accumuler les preuves, au grand dam des habitants.

Si l’on arrête tous les quinze jours un « chef militaire » de l’ETA, c’est qu’à peine incarcéré, il est aussitôt remplacé par un autre. Le phénomène est le même dans les réseaux de trafic de drogue, où les places ne restent jamais vacantes.

M. Serge Blisko, coprésident pour l’Assemblée nationale. Je vous remercie.

La séance est levée à dix-neuf heures.

Membres présents ou excusés

Mission d’information commune à l’Assemblée nationale et au Sénat
sur les toxicomanies

Réunion du mercredi 30 mars 2011 à 16 h 15

Députés

Présents. – M. Serge Blisko, Mme Françoise Branget, M. Philippe Goujon, Mme Catherine Lemorton, M. Georges Mothron

Excusés. - Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Jean-Christophe Lagarde

Sénateurs

Présents. – M. Gilbert Barbier, Mme Brigitte Bout, Mme Isabelle Pasquet, M. François Pillet