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Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Mardi 27 janvier 2009

Séance de 17 h 15

Compte rendu n° 3

Présidence de Mme Danielle Bousquet, Présidente

– Audition de M. Jean-Marie HUET, directeur des affaires criminelles et des grâces et Mme Nathalie BÉCACHE, sous-directrice de la justice pénale du ministère de la justice

– Audition de M. Pascal SUHARD, vice-procureur, auteur de Justice et femme battue, enquête sur le traitement judiciaire des violences conjugales (2008) 10

La mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a auditionné M. Jean-Marie HUET, directeur des affaires criminelles et des grâces et Mme Nathalie Bécache, sous-directrice de la justice pénale du ministère de la justice.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Marie Huet, directeur des affaires criminelles et des grâces, et Mme Nathalie Bécache, sous directrice de la justice pénale générale pour, dans un premier dresser devant la mission un état des lieux de la politique pénale du ministère de la justice dans le domaine de la lutte contre les violences conjugales

M. Jean-Marie Huet. Le premier élément marquant est celui de l’augmentation de la prise en compte judiciaire des violences conjugales : de 39 000 affaires enregistrées en 2003, nous sommes passés à 58 000 en 2007. Cela ne signifie pas que les faits commis se sont multipliés, mais que les efforts entrepris par les associations, la police, la gendarmerie, la justice, et les différentes structures pour favoriser le dépôt de plainte ont porté leurs fruits.

S’agissant du traitement judiciaire, les données statistiques de 2008 tirées des sept juridictions de la couronne parisienne informatisées permettent de constater une baisse de la part des classements sans suite : de 31 % en 2003 on est passé à 16 % en 2008. Les procédures judiciaires étant en augmentation et la caractérisation des faits étant souvent difficile, cette baisse est significative. Les poursuites devant le tribunal correctionnel représentent environ 40 % des procédures. Parmi les procédures alternatives, la médiation est en baisse, conformément à la volonté de la Garde des sceaux et à la sensibilité du Parlement sur cette question.

Les condamnations sont également en hausse : 16 279 condamnations en 2007 contre 13 108 en 2006. La peine la plus prononcée est celle de l’emprisonnement et les condamnations à une peine d’emprisonnement ferme augmentent.

4 880 condamnations ont été prononcées pour des violences n’ayant pas entraîné d’Incapacité Temporaire de Travail (ITT), soit une augmentation de 92,3 % entre 2003 et 2007. Les peines d’emprisonnement représentent 77 % des condamnations ; 79 % ont été assorties d’un sursis total.

9 821 condamnations ont été prononcées pour des violences ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à 8 jours. Les peines d’emprisonnement représentent 81,5 % des condamnations, dont 19 % d’emprisonnement ferme ; le quantum moyen est de 4 mois.

Enfin, en ce qui concerne les violences ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours, 1 529 condamnations ont été prononcées, soit une augmentation de 30 % par rapport à la période de référence. Les peines d’emprisonnement ferme représentent 88 % d’entre elles ; le quantum moyen est de 6 mois.

Le suivi des peines plancher nous fournit des données actualisées concernant le taux de récidive. Sur 16 279 condamnations prononcées en 2007, 7,9 % des faits commis l’ont été en récidive : cette augmentation résulte sans doute des instructions données aux procureurs généraux pour une meilleure prise en compte de la récidive. Le taux moyen de récidive pour les autres formes de violence est inférieur, autour de 5,5 % :

En matière de violences conjugales suivies d’une ITT inférieure ou égale à 8 jours, le taux d’application des peines minimales prévues par la loi du 10 août 2007 est de 66 %, et pour les violences conjugales suivies d’une ITT supérieure à 8 jours, de 68 %. Le taux moyen national est de 50 % environ. Les chiffres datent de ce mois-ci.

Les mesures d’éviction du conjoint violent ont augmenté de 10 % environ entre le deuxième trimestre 2006 et le troisième trimestre 2008. Elles ont été prononcées dans des affaires de meurtre – 68 % –, d’agression sexuelle – 26 % – de violences graves – 25 % –, de violences légères – 8 %. Par ailleurs, 45 % d’entre elles l’ont été dans le cadre d’un contrôle judiciaire, 30 % dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve, 18 % dans le cadre d’une mesure alternative aux poursuites.

Au-delà des chiffres, il convient de noter les évolutions des dispositions législatives qui sont intervenues au cours de ces dernières années dans un sens plus répressif et plus protecteur des victimes : la loi de 2004 sur l’attribution du logement au conjoint qui n’est pas l’auteur de violences ; la loi d’avril 2006 sur la prévention et la répression des violences au sein du couple ; la loi de mars 2007 sur la prévention de la délinquance, qui étend le suivi socio-judiciaire avec injonction de soins aux auteurs de violences commises au sein du couple ou à l’encontre de mineurs.

À l’actualité de cette question, il faut y ajouter le plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes qui a pour objectif de coordonner les acteurs et la réflexion sur une répression plus efficace des violences, notamment par l’introduction dans le code pénal de la notion spécifique de violences psychologiques. Comme vous le savez, le point de savoir si la jurisprudence de la Cour de cassation suffisait à elle seule à intégrer le périmètre des violences dites psychologiques a longuement été débattu. La direction des affaires criminelles et des grâces a proposé d’introduire un nouvel article 222-14-2 dans le code pénal ainsi rédigé : « Les violences réprimées par les dispositions de la présente section sont constituées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques, qu’elles aient porté atteinte à l’intégrité physique ou à l’intégrité psychique de la victime ».

Cette proposition est intégrée dans un avant-projet de loi soumis au cabinet du garde des sceaux en décembre dernier, renforçant la lutte contre les mariages forcés et d’autres formes de violences contre les personnes. Ce texte prévoit la création d’une circonstance aggravante des homicides, tortures et violences commis en cas de mariage forcé, avec application de la loi pénale si les faits ont été commis à l’étranger à l’encontre d’une personne résidant habituellement en France. La répression spécifique des violences habituelles sur le conjoint ou le concubin est également prévue, avec aggravation de la peine encourue, à l’instar de ce que prévoit le code pénal pour les violences habituelles commises sur le mineur de quinze ans ou sur une personne vulnérable. Cela se traduirait par un nouvel alinéa de l’article 222-14 du code pénal disposant que : « Les peines prévues par le présent article sont applicables également aux violences habituelles commises par le conjoint ou le concubin de la victime, ou par le partenaire lié à celle-ci par un pacte civil de solidarité ».

S’agissant de la mise en œuvre de la politique pénale, le guide de lutte contre les violences conjugales a été réactualisé. Indépendamment du rappel du corpus de règles, il précise des orientations, comme la volonté de limiter plus encore le recours aux mesures alternatives aux poursuites pour ces formes de violences et met en exergue des bonnes pratiques. Les parquetiers et les magistrats du siège, en partenariat avec des institutions, des collectivités territoriales ou des associations, à Douai et ailleurs, ont pris des d’initiatives qui méritent d’être valorisées, et pour certaines, généralisées au niveau national.

La circulaire du 19 avril 2006 recommande aux juridictions de désigner un magistrat référent pour la lutte contre les violences conjugales. Il n’est malheureusement pas possible d’identifier au plan national les magistrats concernés. Il existe de très nombreux contentieux comme celui des discriminations, par exemple, pour lesquels on a souhaité la spécialisation de magistrats appelés par ailleurs à changer au gré des mutations. Cependant, la mobilisation est réelle. J’en veux pour preuve la formation délivrée par l’École nationale de la magistrature, qu’il s’agisse de la formation initiale –dans le cadre de l’ouverture à la connaissance de la société contemporaine, avec des formations spécifiques sur la famille dans lesquelles sont abordées les problématiques de violences conjugales – ou de la formation continue – deux sessions annuelles de cinq jours sur le thème des violences conjugales. Ces formations réunissent un nombre important de magistrats. À l’initiative des parquets, les magistrats participent également à des colloques ou à des formations mises en œuvre par des associations.

La création de tribunaux spécialisés – parallèlement à la rédaction d’une ordonnance de protection des victimes –, qui est proposée par le Collectif national pour les droits des femmes, serait susceptible de porter atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi. En revanche, l’article 399 du code de procédure pénale prévoit que le siège et le parquet peuvent conjointement déterminer le rôle des audiences, par nature de contentieux. De la même manière que l’on organise des audiences spécifiques dans le domaine du droit du travail ou de la concurrence, des audiences rassemblant des procédures ayant trait au droit pénal de la famille – et pas seulement aux violences conjugales – peuvent être mises en place : le message, notamment à l’égard des auteurs, n’en est que plus fort, et les magistrats peuvent trouver là matière à exercer leur appétence et leur écoute particulière. La création de juridictions spécialisée apparaît ainsi comme surabondante par rapport aux politiques d’audience qui doivent être menées par les chefs des juridictions.

Voilà, en quelques mots, la façon dont le ministère de la justice entend que soit donnée aux faits de violence conjugale, la réponse pénale la plus claire, la plus lisible et, on le voit avec l’augmentation des peines plancher, la plus ferme.

Mme la présidente Danielle Bousquet. L’avant-projet dont vous avez fait état contient-il une définition des violences psychologiques ?

Pourriez-vous nous fournir des exemples d’audiences « spécialisées » qui auraient été tenues récemment ?

M. Jean-Marie Huet. Il ne paraît pas du niveau de la norme législative que de définir plus avant que nous le proposons la réalité de ce que peuvent être les violences psychologiques susceptibles d’occasionner des conséquences physiques ou psychiques. C’est par circulaire qu’il nous appartiendra de le définir, mais le débat reste ouvert. La preuve de violences psychologiques pourra aussi être apportée par des témoignages. S’agissant d’ailleurs des fameux certificats médicaux, nous débattons actuellement avec le ministère de la santé de l’organisation à l’échelle nationale de la médecine légale et plus particulièrement de la prise en compte des victimes de violences conjugales en milieu hospitalier. L’objectif est de « mailler » suffisamment le territoire pour favoriser l’accueil de ces victimes et pour leur offrir un service de qualité.

Je ne suis pas en mesure de vous fournir aujourd’hui des exemples d’audiences « spécialisées ». Je compte extraire des documents qui nous sont adressés en vue de la rédaction du rapport de politique pénale annuel ce qui concerne le contentieux familial et les bonnes pratiques en matière de lutte contre les violences conjugales. Il reste que même si nous pouvons adresser des recommandations aux procureurs généraux, il appartient aux présidents de juridictions et aux juges, lesquels agissent en toute indépendance, de décider de « spécialiser » ou, à tout à le moins, d’examiner un certain nombre d’affaires de ce type à un moment donné de l’audience. En tout cas, une telle démarche me paraît de bonne pratique et de nature à répondre aux attentes de celles et ceux qui voudraient voir une juridiction spécialisée en charge de ce type de contentieux.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Le fléchissement très net du recours à la médiation pénale montre que la Chancellerie a bien reçu le message du Parlement. La question reste posée de savoir si nous devons faire confiance à cette tendance, ou s’il faut hâter le pas en inscrivant dans la loi la suppression de cette voie en matière de violences conjugales.

Les chiffres dont vous avez fait état traduisent un phénomène de libération de la parole et une meilleure prise en compte par les parquets et les juges du siège de ces violences, autrefois considérées comme relevant de l’intimité des couples et donc insusceptibles de s’inscrire dans le champ pénal.

Dans la loi de 2006, nous avions veillé à faire entrer dans le champ des violences conjugales les violences commises après que le couple s’est séparé. Vos statistiques incluent-elles cette dimension ? Est-il possible de savoir quel est le pourcentage de violences commises par les « ex » ?

De la même manière, les dispositions de l’avant-projet visent-elles, par parallélisme, les actes commis après que le couple s’est séparé avec les problèmes que l’on sait concernant les enfants ?

On peut donner crédit à la Chancellerie que le guide de l’action publique insiste davantage sur la nécessité de traiter les violences conjugales de la même manière sur l’ensemble du territoire. Or, nous constatons que tel n’est pas encore tout à fait le cas. Certes, Douai est un exemple emblématique, mais d’autres parquets ne donnent pas l’impression d’avoir pris en compte l’importance de cette problématique et le volume des poursuites et des condamnations s’en ressent. La Chancellerie, au travers de ses directives aux parquets généraux, peut-elle aider à une harmonisation de la politique pénale dans le domaine de la lutte contre les violences conjugales ?

M. Jean-Marie Huet. Il est difficile d’imaginer une disposition normative qui imposerait au procureur de la République un choix procédural en fonction d’une infraction, fût-elle d’une particulière gravité. Ce serait revenir sur le principe d’opportunité des poursuites. Dans un certain nombre de situations, c’est la victime, souhaitant que son affaire ne vienne pas devant une juridiction, qui réclame cette médiation. En tout cas, ce dispositif ne place pas un pied d’égalité auteur et victime ; la médiation n’est pas la conciliation telle qu’on la connaît en matière civile. Il s’agit d’une réponse judiciaire qui, dans certains cas, peut être une réponse adaptée à une demande expresse de la victime. Dans le guide des violences conjugales, nous proscrivons le principe de la médiation pénale en cette matière, mais elle subsistera peut-être à la marge pour la raison que je viens d’évoquer.

La problématique des « ex » est prise en compte par la législation de 2006 dans le cadre des circonstances aggravantes. Dans la circulaire du 19 avril 2006, nous avons insisté sur l'innovation que constitue la possibilité de poursuivre les anciens époux, concubins ou partenaires liés par un Pacs. Je ne suis cependant pas en mesure de vous donner les statistiques correspondantes, le casier judiciaire ne mentionnant pas la qualité de la victime.

Nous essayons d’évaluer la politique pénale mise en œuvre en nous déplaçant sur le terrain et en étant à l’écoute des justiciables et des associations qui nous signalent les anomalies et les dysfonctionnements de certaines juridictions. Plusieurs milliers de courriers – 12 000 à 15 000 – sont systématiquement traités tous les ans par mes services et nous demandons des comptes – bien entendu, ces courriers ne portent pas tous des affaires ayant trait à des violences conjugales. S’il existe des marges de progression, je crois pouvoir faire, au travers des chiffres, le constat que la prise en compte de cette problématique est bien meilleure et que les réponses pénales sont plus fermes, notamment grâce à l’application des peines plancher.

Mme Pascale Crozon. Mme Alliot-Marie a fait état la semaine dernière d’une nette augmentation des violences conjugales, expliquant qu’il s’agit d’un domaine dans lequel les forces de police et de gendarmerie ont le plus de difficulté à intervenir car on est au cœur de la vie privée. Comment analysez-vous cette hausse ?

Par ailleurs, la ministre de l’intérieur a nommé un Préfet, Philippe de Lagune, au Secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et lui a confié la mission de rechercher de nouvelles méthodes de lutte contre les violences familiales. Comment concevez- vous la nécessaire coordination à la fois entre les ministères et entre les ministères et les associations ?

M. Jean-Marie Huet. Le Président de la République a déclaré récemment qu’en matière de la lutte contre les violences conjugales, ce ne sont pas les moyens traditionnels, comme les rondes nocturnes des BAC qui contribueront à améliorer les indicateurs d'efficacité. J’ai tendance à penser, compte tenu des informations dont je dispose et de ma pratique professionnelle, que cette augmentation est essentiellement due aux évolutions législatives et à une meilleure prise en compte des plaintes et non à une aggravation des violences familiales. Je me souviens avoir encore vu, lorsque j’étais procureur, des victimes renvoyées par un service d'enquête qui leur demandait de revenir avec un certificat médical. Reste qu’il y a un « chiffre noir » que les membres d’association, les sociologues ou les spécialistes peuvent mieux estimer que je ne puis le faire, et c’est pourquoi je considère que la hausse pourrait encore se poursuivre, comme cela a été le cas pour les atteintes sexuelles sur les mineurs dont le nombre a explosé. Cela ne me conduit pas pour autant à minorer la réalité d’une aggravation de ces comportements violents dans les familles et il convient donc de continuer de les prévenir.

Le ministère de la justice est partie prenante du comité interministériel de prévention de la délinquance. Le guide de lutte contre les violences conjugales, élaboré avec différents partenaires, sera d’ailleurs diffusé bien au-delà des seuls acteurs judiciaires. Il s’agit d’une politique nationale qui touche à divers domaines : certificats médicaux, accueil, orientation des victimes… Le ministère de l’intérieur et celui de la justice sont en phase pour accorder le maximum d’écoute à ces victimes, qui doivent être médicalement traitées, psychologiquement et juridiquement aidées – le traitement judiciaire relevant du seul procureur de la République. Je ne crains pas un téléscopage des initiatives ; elles sont parfaitement coordonnées.

Le Président de la République a fait de la lutte contre ce type de délinquance une priorité pour 2009 ; cela conduira à une mobilisation des forces de police et de gendarmerie et des acteurs de la justice.

Les politiques de prévention sont coordonnées ; quant à la politique pénale, il n’y a qu’un acteur : le ministère public.

M. Henri Jibrayel. Comment, pendant la procédure, protégez-vous la femme qui a osé franchir le pas et porter plainte ?

Quelle est votre réaction à l’égard des parquets qui n’agissent pas suffisamment à l’encontre des violences conjugales ?

M. Jean-Marie Huet. Je souhaite que les parquets prennent en compte toutes les situations de cette nature, dès qu’elles sont connues. Même si l’on peut observer, à la marge, des plaintes abusives, on présuppose la bonne foi du plaignant.

Des passerelles médicales existent pour soigner et prendre en charge psychologiquement la victime. Par ailleurs, la procédure d’éviction du conjoint violent a été consacrée par le législateur ; si celle-ci ne peut être mise en œuvre, nous travaillons en partenariat avec les collectivités territoriales et les associations afin que les victimes soient accueillies dans des foyers. Les associations d’aide aux victimes agissent tout au long de la procédure, accompagnent et soutiennent la victime. Les auteurs, il est important de le noter, sont également pris en charge et traités dans une optique de prévention de la récidive.

Je n’ai pas la prétention de connaître en temps réel l’action de l’ensemble des 181 parquets français, mais les associations et, souvent, les parlementaires, ne manquent pas de me signaler les plus réticents ou les moins allants. De plus, c’est en rencontrant sur le terrain le directeur départemental de la sécurité publique ou le colonel du groupement de gendarmerie que l’on voit si l’ensemble des acteurs est en phase sur cette problématique.

M. Bernard Lesterlin. Vous semblez dire qu’il n’y a pas de définition des violences psychologiques ou, à tout le moins, que celle-ci relève non du domaine de la loi, mais du domaine réglementaire. Je pense que l’on ne réglera pas le problème en se privant d’une définition législative.

Par ailleurs, à partir du moment où le lien juridique entre les êtres est rompu, les violences de l’un à l’égard de l’autre ne peuvent plus être comptabilisées comme violences conjugales, tout au plus le lien passé constitue une circonstance aggravante. Des précisions sont nécessaires sur ce point.

La frontière qui existe entre le civil et le pénal est un obstacle. Les juges aux affaires familiales ne sont-ils pas eux aussi confrontés à de nombreuses victimes de violences psychologiques ? Notre objectif est de réduire ces phénomènes de délinquance, de faire en sorte que notre justice soit adaptée à ceux-ci et puisse protéger ceux qui souffrent.

M. Jean-Marie Huet. Le ministère de la justice a longtemps considéré que la jurisprudence de la Cour de cassation permettait de prendre en compte les violences psychologiques en donnant son plein sens au texte. On pouvait déjà avoir en l’absence de traces physiques un certificat d’arrêt de travail. Ce n'était pas suffisant puisque nous proposons aujourd’hui, dans un avant-projet de loi, de renforcer la sanction des violences qui n’ont pas un caractère physique mais qui ont des conséquences psychiques.

Il me semble hasardeux de décrire ce que peuvent être les violences psychologiques – d’autant que le législateur n’a pas détaillé les violences physiques. Agressions verbales, privation d’aliments, interdiction d’accès au compte bancaire… la liste pourrait être très longue. Mais surtout, elle ne sera jamais exhaustive et l’évolution des techniques est susceptible de créer de nouvelles souffrances qui ne seront pas reconnues. En tout cas, le texte que nous présentons ouvre un champ suffisamment large … ce qui aura peut-être pour conséquence d’augmenter encore le nombre des victimes de violences conjugales. Je n’ai pas la prétention de suggérer quoi que ce soit et il ne s’agit jamais que d’un avant-projet de loi – il reviendra bien sûr au législateur de débattre ce texte. Je rappelle cependant que, dans le cadre de la commission Léger, le Président de la République nous a demandé de réfléchir à un nouveau code de procédure pénale et à un nouveau code pénal, plus simples, plus clairs et plus lisibles.

Le texte de la loi 2006, vise, dans le même alinéa, les conjoints, concubins, partenaires liés par un Pacs et les « ex ». Par conséquent, nous ne sommes pas en mesure de distinguer parmi les statistiques quelles sont les violences commises par ces derniers. Notez que le casier judiciaire ne nous permet pas davantage de dire quelle est la part des violences conjugales exercées à l’encontre de femmes – même si l’on sait que cela représente environ 98% des cas. N’y voyez aucune mauvaise volonté de notre part.

Mme Monique Boulestin. Ne serait-il pas possible d’évaluer concrètement – et de manière transversale – les conséquences des violences à l’égard des conjoints et des enfants ? On sait que, longtemps après un jugement, la victime peut développer une psychose ou une névrose.

M. Jean-Marie Huet. Il est en effet important de mesurer la résonnance des violences, longtemps après que la justice est passée. Mais il vrai aussi que plus le conjoint violent est sanctionné rapidement, plus cela rend difficile cette évaluation. Cette question pourrait être abordée par le groupe de travail interministériel avant d’être prise en compte de manière législative. Une ITT de quinze jours ne suffit pas à définir des violences qui peuvent déboucher plus tardivementsur un arrêt de travail de plusieurs mois.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Qui pilote ce groupe interministériel ?

Mme Nathalie Bécache. Ce groupe, qui réunit des représentants du ministère de la justice, du secrétariat d’état à la solidarité, des magistrats, des avocats et des associations, est issu du plan triennal 2008-2010 de lutte contre les violences faites aux femmes. Depuis le mois de septembre, la Chancellerie, qui le pilote, a souhaité lui donner une impulsion plus forte en accélérant le rythme des réunions et en le chargeant de travailler sur des modifications législatives qui portent sur l’introduction, non seulement de la sanction des violences psychologiques, mais aussi sur circonstance aggravante de violences habituelles au sein du couple, ainsi qu’une meilleure articulation des procédures pénales et civiles.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Est-ce ce le même groupe qui a rédigé l’avant-projet de loi ?

M. Jean-Marie Huet. La garde des sceaux a passé commande à ma direction d’un texte portant sur les mariages forcés, auquel s’est agrégée la problématique des violences conjugales – ce qui conduit à compléter la loi de 2006. Il est vrai que l’article relatif aux violences psychologiques a fait l’objet d’un large débat au sein de ce groupe.

Qui pilote ce groupe, du ministère de la justice, de celui de la santé ou de celui de l’intérieur ? Je ne veux pas faire la césure entre prévention et répression, même si la loi de mars 2007 a consacré la compétence du procureur de la République une compétence dans le domaine de la prévention. Ce que l’on demande aux acteurs de la justice, c’est une réactivité et une réponse pénale claire et dissuasive. Cela ne signifie pas que l’on se désintéresse de l’amont, mais le Garde des sceaux n’a pas autorité sur les policiers et les gendarmes. En tout cas, la problématique des violences conjugales, qu’il s’agisse de la prévention ou de la réponse pénale, est intégrée à nos pratiques quotidiennes. Je l’évoque, à mon niveau, avec le directeur général de la police nationale et le directeur général de la gendarmerie nationale. Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une dispersion des énergies. Au contraire, les partenariats avec les collectivités – je pense notamment à la mise en œuvre de l’éviction du conjoint violent – naissent d’autant plus facilement que l’ensemble des acteurs sont mobilisés.

M. Jean-Luc Pérat. De quelle manière sont formés les policiers, les gendarmes et les magistrats pour apprécier ce type spécifique de violences ?

M. Jean-Marie Huet. Pour ce qui concerne les policiers et les gendarmes, il m’est difficile de vous répondre, mais pour faire partie du Conseil national de formation de la police nationale, je sais que cette problématique est prise en compte aussi bien dans la formation initiale que dans la formation continue. Cela a très certainement participé au changement culturel. Auparavant, les enquêteurs avaient , parfois, des difficultés pour prendre en compte certaines situations, notamment lorsque les traces de violences n’étaient pas visibles au moment du dépôt de plainte.

S’agissant des magistrats, le sujet des violences conjugales est intégré aux modules sur la famille prévus dans leur formation initiale qui dure deux ans et demi, dont six mois au sein du cabinet d’un avocat. Dans le cadre de la formation continue, deux sessions annuelles de cinq jours comprennent l’intervention de spécialistes, de psychologues, de psychiatres, de responsables associatifs.

Mme Catherine Coutelle. Il est vrai que les structures transversales sont toujours complexes, mais nous ne comprenons toujours quelle sera la place du préfet de Lagune dans ce nouveau dispositif.

Je ne suis élue que depuis 2007, mais j’ai pu constater à de nombreuses reprises qu’une loi pouvait succéder à une autre sans que le Parlement ait vraiment eu le temps d’évaluer la première. La mission que nous conduisons aujourd’hui aura-t-elle une quelconque utilité si l’avant-projet de loi dont vous nous avez parlé est déjà prêt ?

M. Jean-Marie Huet. Je présume que le préfet de Lagune agira dans le domaine de la prévention en cherchant notamment à fédérer les signalements provenant des services sociaux.

Le ministère de la justice s’efforce de donner à la représentation nationale la mesure de l’application des textes qu’elle a adoptés.

Pour ce qui est de l’avant-projet, nous sommes dans le cadre d’une réflexion purement prospective sur un texte relatif à la lutte contre les mariages forcés et les autres formes de violences à l’égard des personnes. Il s’agit pour ma direction, qui dans une de ses composantes a une vocation normative, de proposer des textes qui évoluent en fonction des apports des différentes commissions de réflexion et d’évaluation. En tout cas, ce texte n’a pas été transmis au Conseil d’État et présenté en conseil des ministres.

S’agissant de la définition des violences psychologiques, si le fruit de votre réflexion permettait de parvenir à une déclinaison beaucoup plus précise de celles-ci, il est évident que le projet de texte pourrait en tenir compte. C’est la raison même d’une direction comme celle des affaires criminelles, qui fonctionne non en vase clos mais en interministériel et qui, bien évidemment, intègre dans ses réflexions les bilans et les apports dressés par les commissions parlementaires.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Je vous remercie.

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* *

La mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a auditionné M. Pascal SUHARD, vice-procureur, auteur de Justice et femme battue, enquête sur le traitement judiciaire des violences conjugales.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Mes chers collègues, nous continuons nos travaux avec l'audition de M. Pascal Suhard, vice-procureur à Albi.

Monsieur, vous êtes l'auteur, avec M. François Dieu, qui ne peut être présent aujourd'hui, d'un ouvrage paru en 2008, intitulé Justice et femme battue, enquête sur le traitement judiciaire des violences conjugales. Dans ce livre, qui procède à une analyse sociologique et juridique de ces violences conjugales, vous décrivez précisément les contextes les plus fréquents dans lesquels elles se déroulent ainsi que les procédures mises en œuvre par les tribunaux de grande instance d'Albi et de Castres pour les réprimer.

Pourriez-vous orienter votre propos sur les améliorations que vous suggéreriez à notre mission pour ce qui est de la prise en charge des victimes et le traitement des auteurs ?

La procédure pénale est-elle, selon vous, la solution la plus adaptée à la répression des violences commises au sein du couple ?

M. Pascal Suhard. Lorsque j’ai entrepris ce livre avec François Dieu, je ne pensais pas venir un jour devant vous, mais c’est pourtant ce travail qui me vaut d’être ici aujourd’hui, sans doute parce que les travaux de ce type se comptent sur les doigts d’une main.

L’ouvrage a été cofinancé par la Délégation aux droits des femmes, et, pour le logiciel, par la préfecture du Tarn.

Quelles en ont été les raisons de notre démarche ? Quand une commission sur les violences conjugales se réunit à la préfecture, elle prend d’abord acte du nombre des femmes qui décèdent victimes de leur partenaire – 192 l’an dernier, soit une tous les deux jours et demi – et évoque les différentes statistiques. Après quoi, elle s’interroge sur ce qu’elle va faire localement. C’est là que commencent les difficultés, car chacun comptabilise les chiffres d’une façon différente. C’est pourquoi j’ai proposé à la commission à laquelle je participais de substituer aux débats sur les chiffres une approche scientifique, ce qui – et cela m’a étonné – a soulevé l’enthousiasme. J’ai conduit ce travail dans le cadre d’un centre de recherches, ce qui a permis d’éviter toute polémique. Cette approche a ses limites : elle concerne le département du Tarn, qui n’est pas le plus criminogène, et elle ne touche pas ni « au chiffre noir » ni « au chiffre gris » de la délinquance, même si nous nous sommes aperçus qu’il n’y avait finalement pas beaucoup de différence entre les données dites officielles et celles dont nous disposons au parquet.

Nous manquons cruellement de données statistiques. Les outils statistiques sont indispensables, sinon il est impossible de mener des politiques publiques locales. La Direction des affaires criminelles et des grâces le reconnaît elle-même dans un document relatif à la lutte contre les violences faites aux femmes battues. En ce qui me concerne, je demande, sans succès, depuis six mois l’autorisation d’accéder aux données sur les violences mortelles.

Notre travail n’est pas polémique : il ne fait que relater la réalité d’un département. Ainsi 278 dossiers ont été analysés aux titres des années 2005-2006. Dans le département du Tarn, les faits de violences conjugales ont progressé de 30 % d’une année sur l’autre. Cependant, si vous me demandez si la délinquance en matière de violences conjugales faites aux femmes a augmenté, je vous répondrai en vous disant ce qu’il est ressorti des discussions avec les associations, que les femmes qui portent plainte sont de plus en plus jeunes. Cette évolution montre que la sensibilisation porte ses fruits. En revanche, il faut se montrer prudent. Ainsi, des travaux comme ceux du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) vont dans un sens contraire et indiquent par exemple que les violences physiques et plus particulièrement les homicides diminuent depuis les années 1980.

Notre étude permet de mieux connaître les auteurs et les victimes, ainsi que l’action de la justice. Notre travail n’est sans doute pas parfait, mais il est honnête. Qu’il ait été réalisé dans le cadre d’une préfecture lui apporte une plus-value : c’est un outil qui peut servir pour articuler des politiques publiques. Il en est ainsi de la modification de la politique en matière d’éviction du conjoint violent.

Ce qui manque, c’est un pilote. Ce pilote doit-il être le parquet ? En tout cas, c’est lui qui détient les chiffres clés et il doit les communiquer ; cela ne devrait pas passer par une étude comme la nôtre.

Le problème de fond est celui de va-et-vient au sein du couple, des lunes de miel, des retours et des départs. Ainsi, en quittant aujourd’hui mon bureau, j’y ai laissé une lettre d’une personne qui se désistait de sa plainte.

Le but de l’étude est également de faire connaître le travail des magistrats et de répondre ainsi à certaines critiques. Un auteur a dit que des violences de même nature ne sont pas traitées de la même manière. Il est évident que le premier prisme d’analyse utilisable est celui de la qualification juridique de l’infraction. Une infraction non caractérisée ne sera pas traitée de la même façon qu’une infraction qui l’est.

Il est également dit qu’on ne réprime pas assez. L’enquête montre que 23 % des plaintes donnent lieu à des poursuites correctionnelles. Mais ce sont 61 % des dossiers qui font l’objet d’une réponse pénale. La différence, ce sont les mesures alternatives aux poursuites.

À mon sens, lorsque la personne violente n’a jamais été renvoyée devant la justice, qu’elle n’a pas de casier judiciaire, que les violences ne donnent pas lieu à une interruption totale de travail (ITT), le rappel à la loi, après 24 ou 48 heures de garde à vue, des prises d’empreintes génétiques ou papillaires, constitue une sanction suffisante.

La graduation des sanctions a un sens : 37,8 % des réponses pénales sont prononcées par le parquet par le biais des alternatives aux poursuites. Dans le département du Tarn, 84 % des violences sont commises par des personnes qui n’ont pas de casier judiciaire, et 80 % des violences ne donnent pas lieu à interruption totale de travail. Lorsque l’on confronte ces chiffres à ceux que j’ai donnés au début de mon intervention, on se rend compte de la difficulté de mettre en œuvre une politique locale.

L’audition des victimes est essentielle. Aussi, nous avons décidé d’organiser des formations pour tous les intervenants. Dans le département du Tarn, nous avons mis en place des formations pour les policiers, les gendarmes et les assistantes sociales qui acceptent de les suivre. D’ailleurs, des études canadiennes montrent que l’intervention des policiers et des gendarmes dans la sphère intime est efficace. Deux psychiatres viennent exposer les moments de dangerosité extrême. J’interviens moi-même pour décrire le cadre juridique et dresser le tableau de la délinquance du département. Cela donne au dialogue qu’on entretient avec les intervenants un caractère plus riche et plus productif.

Notre enquête montre que 80 % des auteurs de violences conjugales ont des enfants et que la tranche d’âge la plus concernée est celle des 25-45 ans, c’est-à-dire justement celle durant laquelle l’on élève des enfants – ce dernier élément ne figure nulle part. Dans le Tarn, dès les résultats connus, on s’est donc dit qu’il fallait accentuer les actions en direction des enfants.

Les enfants sont-ils victimes des violences conjugales ? Bien sûr. Ils subissent et reproduisent. Pour autant, l’enquête montre que le motif des violences est rarement lié aux enfants (6,5 % des cas). On peut penser que pour l’auteur de violences, toucher l’enfant serait le geste de trop susceptible de provoquer une réaction de l’autre.

Un des premiers enseignements de l’enquête est donc de dire que si les violences sont suffisamment graves, il faut avoir une réponse pour l’auteur, qui est en garde à vue, pour la victime, à qui il faut trouver une structure d’accueil, mais aussi pour les enfants. 

Nous constatons aussi que les résultats de notre enquête sur le profil sociologique des victimes ou des auteurs se révèlent très proches de l’enquête du CESDIP, qui a été conduite en région parisienne. On peut donc émettre des hypothèses. Quant à la ventilation de l’ensemble des plaintes pour violences dans le Tarn, on peut postuler qu’elle est assez proche de la ventilation nationale, sous réserve de spécificités locales : 80 % des violences n’entraînent pas d’ITT, 17 % une ITT inférieure à 8 jours, et moins de 3 % une ITT supérieure à 8 jours.

L’enquête montre également que, contrairement aux affirmations générales, la majorité des auteurs de violences conjugales, même ceux qui sont allés en prison, reconnaissent les faits (53,6 %). Il semble se dégager un lien entre reconnaissance des faits et reprise de la vie commune. Ainsi, la reprise de la vie commune est plus fréquente lorsque l’auteur reconnaît les faits. En effet, plus d’un quart des couples concernés reprennent la vie conjugale, durant la procédure et ce quelles que soient la nature ou la gravité des violences.

Nous avons aussi introduit comme paramètre dans notre étude la distinction entre séparation et querelle de ménage. Dans la majorité des cas, les femmes sont à l’origine de la séparation, du divorce. Or, dans une séparation, celui qui est quitté vit dans le passé, alors que celui qui s’en va se situe déjà dans l’avenir. Et dans ce cas, il peut y avoir des violences graves, voire mortelles. Quand le motif des violences est la séparation, les reprises de la vie commune sont très rares – les associations me l’ont confirmé. En revanche, quand le motif des violences relève de la querelle de ménage, il y a reprise de la vie conjugale dans plus de 44 % des cas, ce qui considérable et signifie que le lien n’est pas remis en cause. Ce que veut la femme, c’est la fin des violences ; si elle l’obtient, la plainte n’a plus forcément de raison d’être.

C’est pourquoi la nomenclature administrative des parquets devrait évoluer. En effet, les statistiques sont conditionnées par la nomenclature administrative. Lorsque vous décidez de classer sans suite, vous devez cocher un motif tel que « désistement du plaignant » ou « infraction insuffisamment caractérisée ». Or, si vous cochez « désistement du plaignant », cela signifie qu’il y a infraction caractérisée sans pour autant qu’il y ait une réponse pénale, ce qui ne correspond pas forcément à la réalité.

Un tiers des plaintes classé sans suite donne lieu à désistement. Dans ces cas, la reprise de la vie commune est très fréquente. Néanmoins, certains désistements concernent des plaintes déposées suite à des infractions graves. Pour autant, on peut difficilement aller à l’encontre de la volonté des personnes. Alors que j’avais ouvert une procédure devant le juge d’instruction contre l’auteur de violences attestées, la victime a retiré sa plainte et a même déclaré devant le magistrat instructeur que la poursuite de cette information lui était insupportable. L’auteur des violences a cependant été renvoyé devant le tribunal après information.

On s’est également rendu compte que les femmes qui reprennent la vie commune sont plutôt celles qui n’ont pas d’enfants, et aussi les plus jeunes et les plus âgées – on pourrait dire les plus amoureuses et les plus résignées. On peut penser que les femmes qui ont des enfants non seulement les défendent, mais bénéficient aussi d’aides et de conseils donnés par les associations, et que cela est efficace.

Je rejoins l’idée d’Elisabeth Badinter qui parle de violence de genre, celle du genre humain. Je peux citer le cas d’un couple violent dont l’homme a été poignardé par la femme, mais qui est revenu vivre avec elle. La femme peut être la plus forte, mais moins de 10 % des plaintes sont déposées par des hommes : notre enquête ne fait état que de trois cas.

Ce qui est paradoxal, c’est l’écart entre la part des violences mortelles commises par les femmes – 20 % – et leur part dans les violences conjugales, qui est beaucoup plus faible.

Alors que nous avions mis en place un dispositif d’éviction des conjoints violents en accordant des moyens à des associations, nous nous sommes demandé pourquoi ce dispositif ne fonctionnait toujours pas au bout de deux ans. L’enquête nous a fourni la réponse : sur 278 cas, un quart des couples avait repris la vie commune et 40 % des infractions n’avaient pas été caractérisées. Et à la question « a-t-on envie de vivre dans un endroit où l’on a été battu ? », il a été répondu « non » à un fort pourcentage, selon la responsable de la maison des femmes lors d’une commission.

Nous avons donc remplacé le dispositif par un numéro d’appel d’urgence : le 115. Ce numéro peut même être appelé la nuit. Il permet aussi d’établir un sas entre l’intervention et la formulation de la plainte. Au moment des violences, la femme exprime une intense émotion. Ensuite, survient la réflexion. Il peut être prudent de ménager un laps de temps suffisamment long pour prendre une décision réfléchie, de façon qu’elle soit pérenne.

Nous disposons de deux ou trois appartements pour loger les hommes évincés de leur domicile. Le recours à ce type de mesure, qui est symbolique, permet de répondre à des cas bien précis. Une enquête sociale rapide est alors particulièrement utile.

Il faut aussi se donner le temps de la décision, pour qu’elle soit acceptée, et que la réponse ne soit pas seulement judiciaire. Quand les violences sont bénignes, il est parfois difficile d’instaurer un contrôle judiciaire strict assorti d’une menace d’emprisonnement. Par ailleurs, il convient de respecter la parole des victimes, même si elle est contradictoire. Il ne faut pas décider à leur place.

Dans le département du Tarn, le taux de récidive n’est que de 2,5 %, donc loin de certains chiffres plus élevés qui sont avancés. Il faut croire que les dispositifs mis en place et la prévention générale ont une certaine efficacité. Bien sûr, ce chiffre est appelé à augmenter mécaniquement du fait des dispositions de la loi du 5 avril 2006 relative à la lutte contre les violences au sein du couple et de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales.

En finançant notre ouvrage, la Délégation aux droits des femmes a permis de mettre en évidence la nature des violences commises dans le département du Tarn à travers les dossiers du parquet avec les limites précitées. Maintenant, il faut s’appuyer sur les résultats de cette étude et les exploiter. Respecter les femmes battues, c’est faire des enquêtes. Les seuls à pouvoir faire des enquêtes de qualité, ce sont les parquets car ce sont eux qui ont les chiffres officiels les plus fiables. Pour autant, il faut donner les moyens de les faire à ceux qui en ont envie, et il ne s’agit pas tant de moyens financiers que d’autorisations.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Avez-vous déjà assuré des formations transversales, destinées à tous types de public, de façon à coordonner les actions ? Que pensez-vous de ces formations par rapport aux formations par corps de métier ?

M. Pascal Suhard. Nous n’organisons que des formations transversales. Viennent y assister des policiers, des gendarmes et des assistantes sociales, les membres d’association, le personnel médical.

Nous avons également organisé un colloque spécifique avec des médecins car la rédaction du certificat médical est essentielle pour corroborer les dires de la victime – 10 % des médecins du département y ont assisté. – Dans le livre figure un descriptif exact de ce qui est écrit par les médecins.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Les médecins prescrivent souvent des ITT de moins de 8 jours. Quelle est votre appréciation sur ce point ?

M. Pascal Suhard. Le descriptif des violences figurant dans l’enquête paraît répondre à cette question (hématomes, ecchymoses (40 %), érythèmes, lésions, dermabrasions, contusions (18 %). Les parquets les plus importants recourent à des médecins légistes ; dans le Tarn, nous avons moins de moyens pour y recourir systématiquement. Toutefois, aujourd’hui, le nombre de jours d’ITT n’a plus d’importance : il suffit de disposer d’un descriptif établi par les médecins des violences entre conjoints et de photos. Et quand la durée de l’ITT ne paraît pas correspondre à la description des dommages, nous faisons appel aux légistes : cela concerne une dizaine de cas par an.

La difficulté concerne les violences psychologiques. Il faut éviter à tout prix l’esprit de croisade qui a prévalu dans l’affaire d’Outreau. Autant la lutte contre les violences conjugales est capitale, en particulier parce que cela touche les enfants, autant il faut toujours remettre en cause certaines certitudes. Outreau a au moins eu un mérite : celui de montrer que les études sont nécessaires, qu’elles constituent des instruments de travail pour approcher la réalité. Aujourd’hui, lorsque je suis saisi de plaintes pour violences, je demande s’il y a des enfants et quel est le motif de ces violences.

Il faut ajouter que l’alcool est présent dans un tiers des cas de violences conjugales. On peut prendre des mesures à l’encontre de l’auteur des violences commises sous l’emprise de l’alcool, mais parfois c’est le couple qui boit ; or il est très difficile d’imposer des mesures à une victime. Et comment traiter l’auteur des violences si sa femme continue à boire ? De plus, des alcooliques sevrés peuvent rester violents.

M. Henri Jibrayel. Quel est votre sentiment sur les parquets qui n’agissent pas ?

Quelles sont les motivations femmes qui veulent reprendre la vie conjugale ?

Le chiffre de 2,5 % de récidivistes concerne-t-il des premières agressions ou des séries d’agressions ?

M. Pascal Suhard. Le taux de récidive est calculé à partir des renvois pour récidive devant le tribunal et en fonction de la définition de la récidive en vigueur au moment de l’étude portant sur les années 2005-2006.

Les parquets dynamiques ont besoin de vous, car le type de réponse qui y est conduit n’est pas spécialement encouragé.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. J’ai le sentiment que votre travail porte sur les violences visibles, autrement dit les violences physiques, et qui sont en grande partie des violences dites conjugales. Mais il existe également d’autres formes de violences au sein du foyer conjugal sans qu’on puisse pour autant les caractériser comme étant constitutives d’un processus de violences conjugales.

Notre objectif – qui était aussi le mien lorsque j’ai proposé le dispositif qui est devenu la loi de 2006 –, c’est bien sûr de porter un regard sur les violences physiques, et en particulier sur ce drame que constituent les 180 ou 190 décès annuels dus aux violences au sein du couple. Il s’agit aussi de se préoccuper de comportements qui, tout en ne se traduisant pas par des violences physiques, pour que la justice ne puisse en connaître, créent un lien de dépendance associé à un processus de destruction identitaire. Peut-on, dans ce cas, parler de violences psychologiques, en inscrire le principe dans la loi et établir la définition qui permettra à la justice de s’en saisir ? J’ai le sentiment que vous avez très peu de moyens pour apprécier cette partie immergée de l’iceberg. Si la justice en arrive à jeter l’éponge, ne donne-t-on pas satisfaction aux pervers narcissiques que sont les violents conjugaux, lesquels démontrent de la sorte qu’ils ont gagné dans leur processus de domination sur l’autre ?

Dans votre parquet, vous êtes chargé plutôt des violences conjugales. Est-ce un choix délibéré du procureur, soucieux qu’un spécialiste conseille ses collègues pour caractériser ces violences, ou est-ce le fruit d’une réflexion que vous avez proposée ? Êtes-vous isolé ?

M. Pascal Suhard. Le travail fait avec un psychiatre a permis, lors d’un procès d’assises, de condamner à vingt ans de prison une personne qui avait à son actif cinq affaires, mais dont deux s’étaient conclues par des non-lieux. Le travail conduit avec les psychiatres a donc un sens mais il a résulté d’un long processus car les violences que vous évoquez sont difficiles à établir.

Il y a des cas où l’on n’y arrive pas : par exemple, il est difficile de construire un dossier avec quelqu’un qui nie les faits, comme peut le faire un pervers, qui est a priori une personne intelligente. Les affaires où la personne mise en cause ne reconnaît pas les faits sont davantage classées et sans que je puisse m’appuyer sur suffisamment d’éléments pour le démontrer, il paraît probable que plus on monte dans l’échelle sociale, plus les faits sont contestés.

La lutte contre les violences psychologiques, en particulier celles commises par les pervers, est vraiment difficile. Le dossier que j’ai cité précédemment a pu aboutir parce que nous avons réussi à mettre en évidence un processus de fonctionnement dans lequel le pervers utilisait la séduction, puis la violence, puis de nouveau la séduction pour priver ses victimes successives de réaction. Par ailleurs, ce travail a sensibilisé les magistrats du tribunal (il s’agit d’une petite juridiction) comme en atteste le taux des poursuites correctionnelles.

Mme Catherine Quéré. Qu’est-ce qui vous a amené à porter un tel intérêt à ces dossiers ?

Le fait d’avoir formé les gens autour de vous, et que cela se soit su, a-t-il abouti à une diminution du nombre des affaires ? Cela a-t-il joué dans le domaine de la prévention ?

M. Pascal Suhard. Je ne peux pas affirmer une telle chose. En revanche, mon intérêt pour ces dossiers a conduit à une connaissance réciproque. Ainsi, nous essayons de bâtir une grille de lecture avec les psychiatres. J’ai toujours été passionné par la criminologie. J’ai fait une thèse dans ce domaine.

Mme Catherine Quéré. La reconnaissance de leurs fautes par les êtres violents a-t-elle pour origine qu’ils les trouvent graves, ou est-ce une perversion supplémentaire pour se faire pardonner ?

M. Pascal Suhard. Vingt-quatre heures de garde à vue dans les locaux de la police, des menottes aux poignets, un interrogatoire, c’est vraiment rude. Quand les violences laissent des marques physiques, quand l’interrogatoire est long, comment les auteurs des faits peuvent-ils ne pas les reconnaître dans une forte proportion ?

Mme Catherine Quéré. Le nombre de lieux d’hébergement d’urgence pour les femmes battues est-il suffisant ? J’ai l’impression que, lorsqu’on n’habite pas au moins dans une ville moyenne, c’est le désert.

M. Pascal Suhard. Dans le Tarn, nous avons monté un dispositif large. Nous avons fait appel au numéro d’urgence, le 115. Les intervenants assument, y compris pour l’hébergement. Ils nous ont d’ailleurs demandé à être formés au caractère spécifique de ce contentieux.

Mme Catherine Quéré. Les femmes ne reviennent-elles pas avec les hommes violents pour des raisons pécuniaires ?

M. Pascal Suhard. C’est vrai pour certaines. La relation est ambivalente. Interviennent le manque d’amour et le manque d’argent. Le monde est dur quand on n’a ni argent, ni formation.

Je peux citer le cas d’un homme violent qui a récidivé deux fois. Les deux premières affaires étaient liées à des violences lourdes. Mais alors que la troisième n’a entraîné aucun jour d’ITT, il a pourtant été condamné à trois ans de prison. En fait, il y a eu un changement dans l’attitude de la femme : lors des violences antérieures, elle était dans une logique de querelle de ménage, le couple n’était pas remis en cause ; lors des dernières violences, elle était dans une logique de séparation en changeant d’appartement et en ne communiquant pas son adresse, et c’est pour cela, sans doute, que cet homme est revenu l’agresser une troisième fois.

Il convient également de préparer la sortie de prison des condamnés. Ceux-ci ayant souvent des enfants, les motifs de rencontre existent. Nous mettons donc en place des groupes de parole pour ceux qui vont sortir, mais aussi pour les condamnés avec sursis.

Mme Pascale Crozon. En réalisant votre étude, avez-vous pu vous faire une idée du milieu social auquel appartiennent les femmes victimes de violences conjugales?

M. Pascal Suhard. Oui, et nos résultats concordent avec l’étude parisienne : ce sont les catégories les plus démunies qui sont les plus touchées.

Mme Pascale Crozon. Peut-être parce que dans les autres catégories, on trouve plus de pervers ?

M. Pascal Suhard. Face à ces catégories, nous sommes plus désarmés, et notre travail les concernant est moins abouti.

Mme Pascale Crozon. Si vous quittez le tribunal où vous êtes affecté, toute l’action que vous aurez conduite pendant des années va s’arrêter. Cela pose la question du pilotage. Nous devons développer une réflexion sur ce point. Pour ma part, j’ai piloté, au travers d’une commission, ce type d’action. Mais lorsque la ministre a quitté ses fonctions, l’action s’est délitée car il n’y avait plus de volonté politique réelle, d’outils, de moyens, d’injonctions, de circulaires. Nous avons le sentiment que bien des éléments ont été mis en place, mais que tout cela manque de coordination et de pilote.

M. Pascal Suhard. Je suis content que soit abordée la question du pilotage. L’enquête que nous avons menée est une enquête classique de criminologie. Elle donne des informations qui permettent d’adapter l’action, d’où que vienne l’inspiration politique. Nous bataillons en ce moment avec la direction des affaires criminelles et des grâces pour obtenir des autorisations d’accès à des informations sur les violences mortelles, mais nous ne les obtenons pas.

L’étude que nous avons faite constitue, me semble-t-il, un outil majeur pour la capacité d’évaluation du Parlement car la recherche en ce domaine est un désert.

Mme Monique Boulestin. J’ai cru comprendre de vos propos que le motif des violences était la séparation. Or il me semblait que c’était au contraire parce que des femmes étaient victimes, sur la durée, de violences, qu’elles décidaient un jour de partir.

M. Pascal Suhard. La séparation est un processus. Les violences qui vont être sanctionnées pénalement seront liées à la séparation, même s’il a pu y en avoir d’autres avant. Mais dans un processus de séparation, il peut aussi y avoir des violences ponctuelles, à un moment de tension, par des gens que la justice ne reverra jamais. Je ne peux pas faire dire aux procédures ce qu’elles ne disent pas. Même si des violences antérieures sont évoquées, je ne peux pas en déduire un processus que je ne démontre pas.

Mme Catherine Coutelle. Le directeur des affaires criminelles et des grâces, que nous avons entendu, n’a pas répondu à nos questions sur la coordination et le pilotage. Par ailleurs, je n’arrive pas à comprendre que l’on cherche à freiner votre effort en matière de statistiques, d’autant que vous ne demandez pas de financements. À l’inverse, on nous a exposé que l’Observatoire national de la délinquance, faute de moyens, n’exploite que 10 % des données qu’il recueille.

M. Pascal Suhard. Je peux vous citer la dernière page du document actuellement diffusé par la DGACG pour lutter contre les violences faites aux femmes : « Afin d’évaluer l’action de la justice en matière de violences au sein du couple, il paraît essentiel d’améliorer l’outil statistique. En effet, l’insuffisance des données, notamment sexuées, sur les victimes de ce type de violences, contribue à la difficulté d’appréhender l’ampleur et l’évolution du phénomène et, par suite, l’efficacité des interventions publiques en la matière. »

Mme Catherine Coutelle. Lorsque vous avez parlé du public des formations, vous n’avez pas cité les magistrats.

M. Pascal Suhard. Il y a une véritable attente de leur part.

Mme Catherine Coutelle. Un commissariat central de ma circonscription dispose d’une personne très bien formée pour répondre aux appels des victimes de violences ; or les appels arrivent aux commissariats locaux.

Parvient-on à former tous les intervenants ?

M. Pascal Suhard. La difficulté du pilotage tient au fait que ce sont les préfectures qui maîtrisent les fonds. À condition qu’il soit suffisamment dynamique, le parquet devrait au moins apporter son expertise. Il dispose des outils pour cela : il assure en particulier une permanence 24 heures sur 24. Cela changerait toute l’architecture du dispositif.

M. Bernard Lesterlin. Nous sommes tous d’accord sur l’impossibilité d’analyser les phénomènes sans avoir accès à des études comme la vôtre. Il n’y a pas de bonne politique sans évaluation, sans connaissance objective des faits.

En matière de délinquance, les bonnes politiques ne sont pas seulement des politiques de réponse, mais aussi des politiques d’évitement, donc de prévention. À partir de vos observations, avez-vous tiré des conclusions sur les politiques pourraient être mises en œuvre pour prévenir les actes de délinquance ? Il y a une distinction entre, d’une part, ce qui relève du signalement et, d’autre part, ce qui dépend du repérage des situations et qui nécessite des pilotages très horizontaux entre médecins, travailleurs sociaux et enseignants, sachant que les révélateurs les plus représentatifs qui permettent d’accéder aux souffrances et aux violences dans le couple sont souvent les souffrances des enfants.

M. Pascal Suhard. Dans le Tarn, la politique a principalement été élaborée par la Délégation aux droits des femmes et la préfecture. J’interviens sur l’ensemble des dispositifs mis en place comme par exemple l’éviction du conjoint violent.

D’autres approches sont en cours, en ce qui concerne les alcooliques par exemple. Les réflexions s’élaborent aussi en partenariat avec l’école. Dans 80 % des cas, le couple vit avec des enfants.

On tente aussi de faire des repérages, ce qui est toujours délicat : l’humain est tellement imprévisible même s’il est vrai que, dans certains cas, des clignotants s’allument. Nous essayons donc de mettre en place des systèmes d’alerte, d’organiser des actions de prévention comme la constitution de groupes de parole pour éviter que les condamnés ne récidivent – en ce domaine, il faudra cependant attendre deux ou trois ans pour mesurer l’efficacité de ce dispositif.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Que faites-vous du conjoint violent pendant la période de « sas » dont vous avez parlé ?

M. Pascal Suhard. Dans l’essentiel des cas, durant cette période, le conjoint violent est placé en garde à vue. Pour tout ce qui est grave, nous savons faire : le conjoint va être placé en garde à vue, puis il va aller en prison. Toutefois, cela ne concerne que 22 % des affaires renvoyées devant le tribunal correctionnel. Le cœur du problème, ce sont les 80 % de cas où il y a des violences sans ITT, commises par des auteurs qui n’ont pas de casier judiciaire.

Mme Catherine Coutelle. Des signalements sont-ils faits par un tiers ?

M. Pascal Suhard. Cela peut arriver. Mais pour signaler, il faut une formation et que cela entre dans les pratiques. Or, les violences conjugales ne constituent pas un contentieux de masse : dans le département du Tarn, elles représentent 3 % ou 4 % des affaires.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Merci, monsieur, de ces propos, qui ont beaucoup enrichi notre réflexion et qui nous ont permis de constater que lorsque l’on traite d’hommes et de femmes, il faut éviter d’être systématique.

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