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Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Mardi 19 mai 2009

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 13

Présidence de Mme Danielle Bousquet, Présidente

– Audition de Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

– Audition de Mme Olivia Cattan, présidente de l’association « Paroles de femmes »

Mme Armelle Andro, chercheur de l’Institut national d’études démographiques (INED) sur les mutilations sexuelles

La mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a auditionné Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.

La séance est ouverte à seize heures quinze.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Madame la garde des sceaux, notre mission a pour objectif d’évaluer la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, sous tous leurs aspects. A l’occasion des auditions auxquelles nous avons déjà procédé, aussi bien sur les violences conjugales que sur les violences au sein du monde du travail, les violences subies par les jeunes filles ou les violences commises au sein de l’espace public, de nombreuses questions juridiques ont été soulevées, tant par les associations d’aide aux victimes que par les professionnels du monde judiciaire. Elles portent notamment sur la définition de la notion de violences psychologiques et sur l’opportunité de créer une ordonnance de protection des victimes. Nous souhaiterions aborder ces points plus précisément avec vous, sachant que vous avez lancé une réflexion sur un avant-projet de loi visant à réprimer toutes les formes d’union forcée et à définir pénalement la notion de violences psychologiques.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Lutter contre les violences faites aux femmes, c’est refuser l’inacceptable. Que ce soit au sein du foyer, au travail ou en société, la défense de l’intégrité des personnes est un devoir. De même qu’on ne saurait tolérer, au sein des lieux publics, des zones de non-droit, on ne peut tolérer que le domicile familial échappe aux limites posées par la loi. Le droit à l’intimité de la vie privée s’arrête là où commence la violence. Parce que les violences conjugales prennent place là où justement la famille devrait apporter sécurité et protection, elles n’en sont que plus destructrices.

Ce refus de toute complaisance à l’égard des atteintes portées aux femmes, sous toutes leurs formes, s’est traduit dans l’expression politique la plus noble : la loi. Il aura fallu une évolution des mentalités et quelques combats pour y parvenir.

Nous connaissons tous l’engagement, ces dernières décennies, des associations et des professionnels de santé ou du droit en faveur des droits des femmes. Le premier de ces droits, c’est évidemment la protection de l’intégrité physique ; mais lorsque l’agresseur est celui avec lequel on vit, la problématique est beaucoup plus complexe. Il a fallu briser la loi du silence pour pouvoir agir. La dépendance matérielle, mais aussi psychologique, qui peut exister dans un couple est indiscutablement un frein.

Depuis 2004, la spécificité de la situation des femmes victimes de violences conjugales a été reconnue. Le dernier texte adopté était d’origine parlementaire ; c’est la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, dont le rapporteur a été à l’Assemblée nationale Guy Geoffroy, que je tiens à saluer aujourd’hui pour son ardent engagement. Ce texte, qui constitue une réelle avancée, a intégré le fait que les femmes peuvent aussi être victimes de leurs anciens conjoints ou concubins.

En trois ans, les services de police et de gendarmerie ont enregistré une hausse de 31 % des faits de violences conjugales. Plus de 58 000 affaires nouvelles ont été traitées par les parquets en 2007, soit 37 % de plus qu’en 2004. Ces chiffres ne signifient pas que les violences conjugales progressent, mais bien que la lutte contre ces violences progresse.

La part des violences conjugales dans l’ensemble des violences traitées est également en hausse : elle est passée de 6,3 % en 2004 à 8,3 % en 2007. Les condamnations pour ce motif ont augmenté de 19,5 % sur l’année 2007. 8 % de ces condamnations ont été prononcées contre un prévenu en état de récidive, contre 3 % en 2004, et alors que le taux de récidive pour les autres violences est de 5,5 % : c’est la preuve que ces faits sont davantage poursuivis, et par ailleurs que nous disposons avec les peines planchers d’un outil plus adapté.

La loi du 10 août 2007 instituant des peines planchers permet une répression beaucoup plus homogène de la récidive, compréhensible par tous et donc dissuasive. Les auteurs de violences commises en récidive sont plus sévèrement réprimés que les autres récidivistes, et la loi limite davantage pour eux les possibilités de dérogation à la peine plancher encourue. L’application du texte par les tribunaux répond à l’objectif poursuivi. Dans 65 % des cas, les conjoints violents qui récidivent sont condamnés à une peine égale ou supérieure à la peine plancher encourue, et dans 30 % des cas il s’agit d’un emprisonnement ferme.

Je sais combien votre assemblée est attentive à la mise en œuvre d’une politique pénale adaptée aux violences conjugales et harmonisée sur l’ensemble du territoire. Cette attente m’était déjà apparue très clairement lorsque la commission des lois m’avait entendue, le 11 décembre 2007, sur le bilan de la loi du 4 avril 2006. J’ai donc veillé à ce que les parquets disposent d’orientations précises, afin d’éviter des distorsions injustifiées dans le traitement de ce contentieux. J’ai demandé à mes services de réactualiser le guide d’action publique relatif aux violences au sein du couple, édité en 2004 ; le nouveau guide a été diffusé en novembre 2008. Les directives données aux parquets en matière de violences conjugales sont claires, et je les réaffirme lors de mes déplacements et à chaque réunion des procureurs. J’ai demandé aux parquets qu’une réponse pénale systématique et rapide soit apportée à chaque acte de violence. C’est ainsi qu’en Ile-de-France, le taux de réponse pénale en la matière s’est élevé à 84 % en 2008, alors qu’il était de 69 % cinq ans plus tôt.

Malgré l’augmentation du nombre d’affaires traitées, les parquets ont réussi à faire face et à accroître le nombre des poursuites. A titre d’illustration, sur les sept juridictions franciliennes, le taux de poursuites est désormais de 42,5 % en matière de violences conjugales. Il dépasse le taux de poursuite moyen qui, toutes infractions confondues, est de 39 %.

Les délais entre les faits et le jugement sont très brefs. Les modes de poursuite rapides sont privilégiés, et l’auteur des faits est amené à comparaître dans un délai de quarante-huit heures à deux mois au plus. Comme vous avez pu vous-mêmes le constater à Marseille et Evry, la convocation par le procureur est privilégiée ; elle permet un placement sous contrôle judiciaire, pendant ce délai de deux mois, avec des obligations notamment destinées à protéger la victime, à éloigner le partenaire violent et à le contraindre à se soigner.

S’agissant des jugements eux-mêmes, le taux d’application des peines planchers est très supérieur à la moyenne et les condamnations sont particulièrement fermes pour les conjoints violents qui récidivent. Mais il demeure indispensable de préserver la faculté de graduer la réponse pénale ; c’est ce que permet tout l’éventail des mesures alternatives aux poursuites. A ce sujet, je souligne que ce ne sont pas seulement les violences les plus graves qui sont poursuivies, contrairement à ce que l’on entend parfois : 90 % des condamnations sont prononcées pour des violences qui ont occasionné des blessures de faible ou de moyenne gravité, justifiant une incapacité de travail de huit jours au plus.

De nombreux critères sont pris en considération pour décider d’une alternative aux poursuites, et il existe autant de configurations différentes que de situations ou circonstances. Pour faire en sorte que les procédures soient à la fois adaptées à chaque cas d’espèce et homogènes entre les juridictions, le guide de l’action publique contient des indications précises. Les mesures alternatives aux poursuites sont très diverses : simple rappel à la loi, pour les premiers faits de faible gravité – mais il faut être conscient que s’il y a un dépôt de plainte pour une gifle, c’est qu’il y a eu plusieurs gifles avant –, prise en charge psychologique ; orientation des conjoints violents vers des structures qui proposent des actions de sensibilisation ou des groupes de parole animés par des travailleurs sociaux, des psychologues ou des psychiatres ; cures de désintoxication ou de sevrage, qu’il s’agisse d’alcoolisme ou de toxicomanie ; enfin, médiation pénale. Toutes ces mesures sont généralement mises en œuvre par des associations spécialisées ou des délégués du procureur formés spécifiquement à ce type de contentieux.

En matière de violences conjugales, il est demandé, pour recourir à ces mesures alternatives, de tenir compte notamment de la nature et de l’importance des blessures infligées, des antécédents de l’auteur des violences, de sa capacité à progresser dans sa maîtrise de lui-même, de l’existence ou non d’une plainte, de la situation du couple et notamment de la volonté ou non de la victime de poursuivre la vie commune. Evidemment, toutes ces considérations ne sont pas de même niveau. L’absence de plainte et le refus de la séparation ne seront en rien déterminants si les faits sont graves.

S’agissant plus particulièrement de la médiation pénale, je précise que l’objectif n’est en aucune façon de réconcilier le couple. Cette mesure n’a rien de commun avec la médiation familiale. Elle ne doit pas être catégoriquement exclue en matière de violences conjugales car elle peut être appropriée dans certaines situations ; cependant il faut l’utiliser de la manière la plus restreinte qui soit.

J’en arrive à la préoccupation essentielle que constituent pour nous la protection et l’aide apportées aux victimes. Chaque TGI compte depuis le 2 janvier 2008 un juge délégué aux victimes (JUDEVI), afin d’aider les victimes dans leurs démarches. De même, les bureaux d’aide aux victimes ont été généralisés. Et grâce à l’initiative parlementaire, le SARVI – service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions – a été créé par la loi du 1er juillet 2008 ; il est opérationnel depuis le 1er octobre 2008. La Chancellerie participe également, pour plusieurs centaines de milliers d’euros chaque année, au financement de nombreuses actions conduites par les fédérations d’associations d’aide aux femmes victimes de violences.

La grande avancée dans la protection des femmes victimes de violences conjugales est évidemment l’éviction du domicile conjugal de l’auteur des violences. Il a fallu pour y parvenir beaucoup de persévérance, eu égard notamment aux problèmes de constitutionnalité qu’on nous avait d’abord opposés ! Cette éviction peut intervenir, dans le champ pénal, à tous les stades de la procédure : comme alternative aux poursuites, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, comme obligation d’un sursis avec mise à l’épreuve après condamnation ou d’une mesure d’aménagement de peine. Instituée par la loi sur la récidive du 12 décembre 2005, l’éviction du conjoint en matière pénale a été prononcée dans 10 % des affaires en 2006, 13 % en 2008 et plus de 18 % depuis le début de l’année 2009.

En matière civile, l’éviction du conjoint violent est possible avant le prononcé du divorce depuis la loi du 26 mai 2004. Lorsque cette mesure est demandée au juge, elle est de plus en plus souvent accordée – dans plus de 80 % des cas actuellement.

Ces lois ont apporté des réponses spécifiques à un type particulier de violence, et cela grâce notamment à l’action de nombreuses femmes. J’entends poursuivre dans la même voie, et c’est pourquoi le ministère de la justice travaille aujourd’hui sur un projet visant à renforcer leur protection. Son premier volet portera sur les violences liées à un mariage forcé. Le deuxième portera sur les violences psychologiques, forme de violence qu’il n’y a pas lieu de circonscrire au milieu professionnel, car trop de femmes sont terrorisées par leur conjoint. La peine encourue sera modulée suivant les conséquences de ces violences pour la victime – dépression, peur de sortir, hyperémotivité… Le troisième volet, enfin, visera à alourdir les peines contre les violeurs et les auteurs d’agressions sexuelles qui utilisent des produits pour soumettre leurs victimes sans résistance, c’est-à-dire qui pratiquent ce que l’on appelle la « soumission chimique ».

Tout cela donne la mesure des progrès accomplis dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Pour autant, il ne faut surtout pas baisser la garde. La mobilisation des magistrats est sans faille, celle de leurs partenaires, en particulier les associations, également. C’est réellement une lutte de tous les instants qu’il convient de poursuivre contre un phénomène qui, je tiens à le souligner, concerne tous les milieux – même si le fait que les travailleurs sociaux en approchent davantage certains contribue à déformer notre vision.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Je vous remercie. Vous envisagez, dites-vous, des dispositions législatives relatives aux violences psychologiques. Celles-ci sont difficiles à définir autrement que par la description de leurs effets ; or si nous oublions de mentionner l’un des effets possibles, certaines victimes ne seront pas protégées par la loi. Avez-vous trouvé une manière satisfaisante de définir ces violences ?

Mme la garde des sceaux. La rédaction que nous envisageons est celle-ci : les violences (réprimées par les dispositions projetées) sont constituées quelle que soit leur nature, qu’elles aient porté atteinte à l’intégrité physique ou à l’intégrité psychique de la victime, y compris s’il s’agit de violences psychologiques ». De fait, il est difficile d’établir une liste, et mieux vaut faire confiance aux magistrats pour apprécier la situation. Au-delà des attestations médicales, bien sûr nécessaires, on pourra recueillir des témoignages dans l’environnement de la victime – comme on le fait pour des enfants lorsqu’il faut prendre la décision de les retirer ou non de leur famille. Par ailleurs, on peut se reporter utilement à la jurisprudence de 1982.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Les éléments chiffrés que vous nous avez donnés, madame la ministre, actualisent nos informations sur la mise en œuvre de la loi de 2006. Je me réjouis de constater que le mouvement que nous avions pu observer lors de notre premier point de la situation, fin 2007, s’est confirmé – ce qui ne veut pas dire que tout est gagné : nous ne devons pas baisser la garde, et il faut probablement aller plus loin.

En ce qui concerne les violences psychologiques, je partage votre point de vue : je crois qu’il faut que la loi y fasse référence, mais de telle manière qu’il revienne au magistrat de déterminer si l’on peut en faire application au cas qui lui est soumis. La voie que vous avez indiquée permet d’éviter les écueils que sont, en cas de définition trop précise de ces violences, l’absence de preuve et le risque de demande reconventionnelle : si les femmes devaient craindre d’être accusées de dénonciation calomnieuse, elles seraient dissuadées de faire état de violences psychologiques.

Ma deuxième observation concerne la politique pénale des parquets. Les choses évoluent dans le bon sens, mais néanmoins de manière inégale. Il y a des parquets remarquables, tels Douai, Evry ou Marseille. Au parquet d’Evry, nous avons été frappés par le pilotage global des dossiers relevant du civil et du pénal et par l’utilisation extrêmement pertinente de la médiation pénale, en tant qu’outil d’une démarche graduée. Comment peut-on aller vers une homogénéisation des politiques menées par les parquets ? Ne serait-il pas opportun de suggérer à tous les parquets de compter en leur sein un vice-procureur ou un procureur adjoint en charge du pilotage des problématiques liées aux violences faites aux femmes ?

Mme la garde des sceaux. La violence physique peut être elle-même difficile à prouver : comment apporter la preuve des gifles reçues ?

Quant à l’homogénéisation de la politique pénale, les peines planchers y contribuent. Par ailleurs, dans le guide d’action pratique, nous suggérons de désigner un magistrat référent en charge des problèmes de violences conjugales. Il n’y a pas lieu de l’imposer partout car dans certaines régions, ce n’est pas utile.

M. Bernard Lesterlin. Il est important pour les victimes de pouvoir nommer ce qu’elles ont subi d’inacceptable. C’est pourquoi je pense qu’il faut quand même préciser un peu la notion de violences psychologiques, et non se contenter de laisser le magistrat apprécier. J’aimerais d’ailleurs savoir quand les dispositions dont vous avez parlé nous seront soumises.

En dépit de la mobilisation des parquets, les chiffres montrent que le phénomène des violences faites aux femmes n’est pas enrayé. Il semble donc qu’une politique pénale plus répressive ne soit pas réellement dissuasive. Mais sans doute l’augmentation de ces chiffres traduit-elle surtout le fait que les violences sont davantage révélées. On peut en conclure que la politique de prévention, l’aide de l’Etat aux associations, le suivi médical, le règlement du problème de la surpopulation carcérale – laquelle favorise la récidive – sont particulièrement importants. Bref, la réponse pénale n’est pas la seule. Quel est votre point de vue sur ce point ?

Par ailleurs, quelle importance attachez-vous à la constitution dans les juridictions de pôles de la famille ?

Mme la garde des sceaux. En ce qui concerne votre première question, le projet de loi est rédigé, mais je ne sais pas quand le calendrier parlementaire permettra de l’examiner.

Mme Catherine Coutelle. Il est très important pour les victimes de pouvoir parler de ce qu’elles ont vécu et de le nommer ; mais n’en va-t-il pas de même pour les auteurs des faits ? Existe-t-il pour eux des groupes de parole, des groupes de suivi ? Y a-t-il des psychologues spécialement formés pour les accompagner ? Faute de quoi on peut s’attendre à ce qu’ils recommencent, le cas échéant avec une autre femme.

Mme Pascale Crozon. Je voudrais insister moi aussi sur le problème des moyens : il ne suffit pas de sanctionner, il faut aussi se donner des outils permettant d’amener les auteurs des faits à ne pas recommencer.

Par ailleurs, que pensez-vous du choix fait en Espagne de mettre en place des tribunaux spécifiques ?

Chez nous, comme le rapporteur l’a souligné, on constate de grandes disparités entre les départements. Il peut arriver qu’une politique particulièrement active soit mise en place à l’initiative d’un magistrat, puis qu’à son départ, elle soit abandonnée. Comment résoudre ce problème ? Selon vous, faut-il ou non donner aux parquets des instructions précises ?

Enfin, on voit beaucoup de femmes refuser de quitter un homme violent au motif qu’il est un « bon père ». Or on ne peut qualifier de bon père un homme qui impose à ses enfants la vision des violences qu’il fait subir à sa femme, et dont les enfants se trouvent être aussi les victimes indirectes. Comment faire pour renforcer les droits des enfants ?

Et permettez-moi une dernière question : si le projet de loi que vous avez évoqué est prêt, à quoi sert cette mission de l’Assemblée nationale ?

Mme la garde des sceaux. Le texte que nous avons rédigé est issu de nombreuses réflexions antérieures, mais son passage en Conseil des ministres n’est pas encore programmé. Le guide d’action publique, que nous avons actualisé, date de la mandature précédente. Sur un sujet aussi grave, il ne faut se priver de rien de ce qui peut contribuer à améliorer la situation, des travaux parlementaires comme des instructions données aux parquets, en passant par les expérimentations et le soutien des associations. Il y a bien longtemps que l’on travaille sur les violences psychologiques faites aux femmes, mais jusque là l’introduction de cette notion dans le code pénal avait été refusée. Nous proposons de l’y inscrire. Cela permettra aux magistrats de fonder une condamnation, de manière explicite, sur les violences psychologiques exercées, alors que jusqu’à présent ils ne pouvaient tenir compte de ces violences que de manière implicite. En revanche, nous souhaitons conserver de la souplesse, en ne précisant pas les moyens par lesquels cette violence psychologique pourra être prouvée.

Quelques mots sur l’efficacité de la politique pénale en matière de violences conjugales. L’impératif, c’est de ne pas abandonner les femmes qui sont victimes de ces violences. Pour cela, il est essentiel de sanctionner et de sanctionner encore. Dès qu’il y a eu un dispositif législatif, les dénonciations de faits ont augmenté de plus de 20 %. L’exemple de Douai est frappant. Ces femmes ont besoin que la loi les prenne en compte.

En 2005, au ministère de l’intérieur, nous avons créé la délégation aux victimes, ce qui a permis de signer des conventions avec des associations et fédérations défendant les droits des femmes. A compter du 1er janvier 2006, nous avons fait en sorte qu’il y ait des psychologues dans les commissariats et les gendarmeries, afin notamment de pouvoir prendre en charge les enfants et les répercussions des violences sur ces derniers. Puis nous avons mis en œuvre une politique pénale très stricte, avec déferrement obligatoire. Une politique répressive plus stricte à un effet dissuasif et de prévention incontestable. Les peines planchers sont efficaces contre la récidive en matière de violences conjugales.

En ce qui concerne la prise en charge médicale, la loi de 1998, dite loi Guigou, a posé le principe du soin en prison. Le problème est qu’elle a été adoptée sans aucun moyens. Par ailleurs, vous savez combien il est difficile de faire travailler ensemble le monde de la justice et celui de la santé. Des psychiatres, notamment, considèrent que le soin n’est pas opérant dès lors que la personne est incarcérée. Il faut faire évoluer les mentalités pour permettre une prise en charge efficace. Les commissions pluridisciplinaires y contribuent en permettant de mettre en place des dispositifs de suivi des détenus en matière de soins, comme une prise en charge des problèmes d’alcoolisme ou de toxicomanie, par exemple. Nous avons décidé de très fortement augmenter le nombre de médecins coordonnateurs. Il n’y en avait que 90 en 2007, ils sont aujourd’hui 208 et devraient être 500 à terme. Nous avons également augmenté le nombre de conseillers d’insertion et de probation. Quant à l’aménagement des peines, que nous avons triplé, il contribue à lutter contre la récidive, mais il faut bien l’expliquer car il est impopulaire.

La création de pôles famille, comme il en existe déjà à la Cour d’appel de Paris, permet de regrouper tous les magistrats qui traitent des contentieux familiaux – juge pour enfants, juge aux affaires familiales, juge des tutelles… C’est un prolongement de la réforme de la carte judiciaire, avec le regroupement de magistrats spécialisés là où c’est nécessaire. D’ici à fin 2009, je pense que pratiquement tous les tribunaux auront mis en place un pôle famille. Au demeurant, pour les violences conjugales jugées en correctionnelle, nous demandons que le juge aux affaires familiales soit assesseur.

En ce qui concerne la prise en charge des victimes, nous avons donc créé le juge des victimes, développé l’équipe pouvant les assister au commissariat et à la gendarmerie et créé des bureaux d’aide aux victimes – il existait pour les condamnés les bureaux d’exécution des peines, il était normal de créer des bureaux pour les victimes.

Le suivi socio-judiciaire est déjà inscrit dans la loi du 5 mars 2007 ; dès lors que les violences sont habituelles, il y a une obligation de soins des auteurs. Quant aux groupes de parole pour les conjoints violents, ils commencent à se développer dans les prisons.

En ce qui concerne la loi espagnole – loi-cadre qui traite de manière globale des rapports hommes-femmes – le bilan n’est pas très bon en matière de violences conjugales. Sa mise en oeuvre s’est heurtée à des difficultés. Le problème de la création de tribunaux spécialisés comme en Espagne est que l’on crée ainsi des tribunaux d’exception. Je préfère que, dans les tribunaux où cela est nécessaire, il y ait un magistrat en charge des violences conjugales, et que dans le tribunaux où cela n’est pas nécessaire, car la violence n’est pas la même selon les territoires, des instructions précises soient données, afin que la politique pénale soit ferme et homogène sur l’ensemble du territoire français. Et pour ma part, je demande des comptes aux procureurs sur l’application de la mise en œuvre des politiques pénales.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Quels sont les effets précis des peines planchers sur la récidive. Avez-vous des éléments chiffrés à ce sujet ?

Mme la garde des sceaux. Je vous les transmettrai. Une précision toutefois, la mesure de la récidive dépend de l’inscription des condamnations au casier judiciaire. Or, celui-ci n’est pas toujours actualisé au moment du prononcé de la nouvelle condamnation. Les peines planchers vont permettre d’avoir une mesure plus précise de la récidive et nous verrons comment les chiffres évoluent.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Merci d’avoir répondu à notre invitation, madame la ministre.

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La mission a ensuite auditionné Mme Olivia Cattan, présidente de l’association « Paroles de femmes ».

Mme la présidente Danielle Bousquet. Madame, votre association a pour objectif la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes, la promotion du statut des femmes et la lutte contre les discriminations. Vous intervenez en milieu scolaire par le biais de modules éducatifs visant à prévenir les discriminations envers les femmes. Merci de nous présenter ces actions.

Mme Olivia Cattan. Notre association a été créée il y a trois ans et demi. Nous avons commencé par un pacte féminin. A cette occasion, nous avons soumis au Président de la République des propositions très concrètes en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Nous avons également soumis des propositions à Mme Rachida Dati.

Nous avons ensuite rédigé une Charte des droits des femmes, établissant dix priorités. Nous souhaitons la faire signer par l’Union pour la Méditerranée et par les pays européens. Nous avons obtenu plus de 8 000 signatures, de personnes parfois connues, venant de pays comme l’Iran, le Maroc, la Tunisie ou l’Inde.

Nous avons ensuite élaboré des modules de prévention pour servir de support à des interventions dans les établissements scolaires, afin de lutter « à la racine » contre les violences faites aux femmes, au moment où les enfants sont en pleine construction intellectuelle et psychologique. Nous intervenons du CM2 au BTS, et parfois dès la maternelle.

Ces modules ont été créés par d’anciens professeurs, des travailleurs sociaux, des psychiatres. Nous y abordons les clichés sexistes, mais aussi le thème de l’égalité hommes-femmes en essayant de donner aux élèves un minimum de culture féministe. Ceci est très important, surtout dans les zones sensibles. Nous agissons notamment en Seine-Saint-Denis, dans le XIXe arrondissement – aux collèges Brassens et Rouault.

Nous travaillons six mois avec une même classe où l’on a pu repérer des difficultés : propos racistes, antisémites, sexistes ou homophobes. Nous intervenons à deux, tous les quinze jours, pendant deux heures, mais sans les professeurs, pour permettre aux enfants de s’exprimer. Nous sommes cependant en lien avec les professeurs et nous rencontrons les parents. Nous tentons de faire participer ces derniers, pour que notre travail continue dans les familles.

Nous commençons par un petit cours théorique, d’un quart d’heure. Puis nous passons à des ateliers, où nous faisons travailler les élèves sur les préjugés. Nous terminons par ce qu’ils préfèrent : de petites pièces, écrites par des auteurs de théâtre – Amanda Sthers, notamment. Les hommes jouent le rôle des femmes, les juifs celui des musulmans, les noirs celui des blancs, etc. En se mettant dans la peau de l’autre, ils ressentent ce que ressent l’autre et qu’ils lui font peut-être subir, au quotidien dans les classes.

Il faut savoir qu’il y a des collèges, dans lesquels des enfants de douze ou treize ans organisent des concours de fellation dans les toilettes, pour 5 euros. Les élèves ne savent même pas comment on prend la pilule. Pour eux, les femmes ont acquis le droit de vote en 2000 et la première féministe est Ingrid Betancourt. Ils peuvent être très violents – la semaine dernière, j’ai reçu des coups. Dans une classe de vingt élèves, il y a peut-être une fille en jupe. Les filles se comportent comme des garçons, parce qu’elles n’ont pas le choix. Les garçons ont envers elles des gestes très violents et indécents. Elles subissent continuellement une sorte de harcèlement psychologique et moral.

Nous ne leur disons pas que ce n’est pas bien, en essayant de leur inculquer certaines valeurs car ils sont totalement fermés à ce genre de discours, mais nous essayons de les faire travailler en profondeur. Pour donner un exemple, nous travaillions la semaine dernière sur le racisme et l’antisémitisme, parce qu’un petit garçon s’était fait traiter de « sale juif » dans la classe. Deux musulmans, dont l’un faisait le juif, ont improvisé un dialogue. L’un a traité l’autre de « sale juif », l’autre a levé le poing pour le frapper. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu : parce que je suis juif. Je lui ai fait remarquer que c’était un rôle, et il m’a répliqué : « Mais, je ne sais pas qui je suis ! » Je lui ai répondu : tu es peut-être français, simplement.

Les violences faites aux femmes relèvent de la même problématique. Nous avons abordé avec les élèves les mariages forcés, l’excision. L’un d’eux m’a dit dernièrement que sa future femme devrait montrer le drap à ses parents, parce qu’une fille qui n’est pas vierge est une « pute ».

Il faut mener un vrai travail de prévention dans les écoles, dès le CM2, sans attendre le collège. Nous intervenons dans des classes de cinquième, quatrième et troisième, mais c’est très tard. Les élèves sont déjà entrés dans un système de clichés et de relations à l’autre extrêmement violentes où l’insulte sexiste ou raciste est totalement banalisée. Les filles se font traiter de putes toute la journée, les juifs se font insulter, et c’est considéré comme normal.

La violence est un problème clé : violence par rapport aux femmes, violence par rapport à une autorité. Les enfants ne sont pas disciplinés – au collège Brassens, les chaises volaient pendant les cours ! Ils sont issus de milieux défavorisés, où il y a beaucoup de familles monoparentales, où les mères n’arrivent plus à s’en sortir. L’association « Paroles de femmes » mène donc en parallèle tout un travail social auprès des familles.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Merci de votre témoignage. Quel est votre statut ? Dans quel cadre intervenez-vous ? Pourquoi intervenez-vous en collège et pas dès l’école primaire ou élémentaire ?

Mme Olivia Cattan. L’école primaire des Cheminées nous a fait intervenir et à la rentrée, nous interviendrons en maternelle. Mais en général, ce sont les collèges qui nous contactent – nous n’allons pas les démarcher – lorsqu’ils rencontrent ce genre de problèmes.

A la fin de nos modules, nous demandons aux élèves de lancer un projet créatif sur le droit des femmes. Au collège Brassens, la classe précédente a élaboré une campagne d’affichage sur les violences faites aux femmes. Ils sont allés poser des affiches dans les collèges de l’arrondissement. Nous les avons ainsi responsabilisés de façon citoyenne, les garçons, mais aussi les filles. Ces dernières sont très passives, et nous tentons de leur faire prendre conscience qu’elles ont des droits et qu’elles doivent se défendre.

La nouvelle classe, quant à elle, montera une pièce de théâtre au mois de décembre. Les parents viendront, et participeront aux costumes. Nous servons de pont entre les élèves et les enseignants ; de leur côté, les enseignants nous alertent sur la situation sociale des élèves. C’est un vrai travail d’équipe.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la Mission d’évaluation. Ce que vous faites, et qui nous laisse admiratifs, commence à être connu, mais mériterait de l’être davantage et d’être développé.

Lorsque nous avons débattu de la loi de 2006, certains de mes collègues pensaient que ma proposition d’ajouter, à une loi d’abord centrée sur les violences conjugales, des dispositions concernant les mutilations sexuelles et le tourisme sexuel, ôterait de la lisibilité au texte. Ce que vous faites renforce mon opinion : en s’intéressant à ces questions, on contribue de manière directe à la prévention des violences faites aux femmes.

Votre travail est admirable mais vous vous êtes peu nombreux alors que la violence de genre concerne tous les milieux. Comment la prévenir sans nécessairement légiférer pour cela ?

Mme Olivia Cattan. Nous défendons, en effet, l’idée que la violence faite aux femmes concerne toutes les femmes, quel que soit leur milieu social. Nous avons des permanences d’écoute de victimes, y compris dans des quartiers qui ne sont pas défavorisés et nous entendons des femmes cadres, ingénieurs, etc. qui viennent se plaindre de violences conjugales.

C’est pourquoi nous avons demandé (pour une fois la demande ne venait pas de l’établissement) à faire un module de prévention au lycée Janson de Sailly, dans le XVIe arrondissement. Il nous paraissait en effet intéressant de voir s’il y avait aussi de la violence et comment elle se manifestait. J’ai déjà rencontré une classe : le langage des élèves est moins cru, mais leur culture féministe est presque aussi limitée.

Nous ne sommes que six et nous avons beaucoup de demandes. En ce moment, nous couvrons le XIXe arrondissement. Nous irons, dans le XVIe et le XVIIe, puis à Marseille et à Lyon. Je précise que nous sommes tous bénévoles.

J’ai écrit au Président de la République pour lui demander qu’un programme soit dispensé au niveau national. Bien sûr, il ne pourrait pas être pris en charge par les associations, qui n’ont pas les structures adaptées. M. le Ministre de l’éducation nationale m’a remis il y a deux semaines les palmes académiques, pour ces actions  et je lui ai demandé des moyens pour former des intervenants : les sujets évoqués sont très sensibles et il n’est pas évident de se faire entendre de ces enfants, qui sont volatiles et explosifs, et de savoir les écouter.

Votre mission peut peut-être nous appuyer, faire connaître et propager ces modules un peu partout. C’est une démarche qui prendra des années. Mais il est exact que si nous étions aidés politiquement de façon effective, nous aurions davantage d’intervenants et d’argent. Ce travail doit se faire au niveau national et ne pas se cantonner aux quartiers sensibles.

Nous nous étions rencontrés, M Geoffroy, au moment de la sortie de mon livre La femme, la République et le Bon Dieu. Je constatais alors que les religions ne faisaient pas beaucoup de bien à ces enfants et faisaient reculer le droit des femmes. En tant qu’association, nous essayons d’alerter l’opinion, en utilisant les médias, en informant les politiques ou en organisant des rencontres. Il faudra bien que l’on prenne un jour cette question sérieusement.

La répression est certes nécessaire, mais il faut aussi faire de la prévention . On peut initier les petits à l’égalité hommes-femmes et à l’acceptation de l’autre, car tout – racisme, antisémitisme, homophobie, etc. – réside dans la non acceptation de l’autre.

Mme Martine Billard. La régression que nous sommes en train de vivre en France tient en effet à cette non acceptation de l’autre. Nous constatons nous aussi que les relations entre les garçons et les filles se sont dégradées dans tous les milieux de façon impressionnante. Je pense moi aussi qu’il faudrait demander au ministre de l’éducation de prendre en charge ce type de modules.

Vous nous avez dit que vous rencontriez les parents. Viennent-ils ? Sont-ils conscients du comportement de leurs enfants ?

Disposez-vous déjà du recul suffisant pour savoir ce qui se passe dans les écoles après que vous ayez organisé vos modules ?

Il est illusoire de penser que l’on puisse disposer rapidement d’autres intervenants. Ne pourrait-on recourir à des « fiches », où les enseignants trouveraient le moyen de prendre en charge ce genre de situations lorsqu’ils y sont confrontés dans leur classe ?

Est-ce que le retour à la non mixité résoudrait les problèmes entre les filles et les garçons ? Personnellement, je n’y suis pas favorable. Étant donné votre expérience, comment réagissez-vous à une telle proposition ?

Mme la présidente Danielle Bousquet. Vos modules sont-ils transposables dans la formation initiale et continue des enseignants ? Je crois beaucoup aux interventions extérieures, surtout sur de tels sujets, car les professeurs de la classe ne sont pas forcément les mieux placés pour en parler mais vous pourrez difficilement faire le tour des établissements de France.

Mme Pascale Crozon. Les enseignants sont las d’être interpellés sur ces problèmes, alors que leur activité première doit être d’apprendre à lire, écrire et compter. A l’école maternelle, on pourrait inclure dans la formation des enseignants des modules permettant de faire le travail que vous faites. Mais ensuite, comment faire ? Les associations sont mieux placées pour parler de certains sujets que les enseignants eux-mêmes, qui sont directement confrontés aux problèmes des enfants.

Mme Olivia Cattan. Nous réunissons les parents, surtout les mamans, autour d’un apéritif ou d’un petit repas, pour que ce soit plus convivial. Cela a eu du succès à l’école des Cheminées et au collège Brassens, un peu moins au collège Rouault. Il nous a fallu aller rencontrer les parents sur place. Nous leur avons également demandé par courrier s’ils souhaitaient être soutenus au niveau scolaire. Dans certaines écoles, nous avons formé un groupe de mamans : chaque semaine, une maman reçoit chez elle un enfant en difficulté pour l’aider à faire ses devoirs. Par ce biais, nous transmettons nos modules de prévention et nous pouvons alerter l’ensemble des mamans sur le comportement de leurs enfants ou sur les sujets qui nous occupent.

Que se passe-t-il par la suite ? Nous travaillons en très bonne intelligence avec tous les directeurs d’établissement et les CPE. A chaque fois qu’ils constatent un incident, ils nous rappellent. Soit nous revenons faire une séance pour rafraîchir la mémoire des élèves, soit nous intervenons autrement, comme ce fut le cas hier avec la projection du film « La journée de la jupe » et le débat qui a suivi ; ils nous arrive aussi de concevoir des petits devoirs, des questions, des jeux sur le droit des femmes que les professeurs supervisent pendant les heures de permanence.

Nos modules évoluent, selon les problèmes rencontrés. Par exemple, nous nous étions aperçus que lorsque nous leur demandions s’ils se sentaient Français, aucun élève de la classe ne levait la main. Nous avons donc ajouté dans nos modules la citoyenneté française. Nous avons également ajouté la laïcité, dont ils ne connaissaient pas la définition.

Nous avons contacté l’éditeur Hachette, pour faire des petites fiches. Mais même si nous parvenons à les faire éditer, elles ne remplaceront pas le travail d’un atelier où les enfants s’expriment en l’absence de leurs professeurs, qu’ils vont retrouver par la suite et qui vont les noter. Cela dit, nous les notons également – même si la note ne compte pas dans la moyenne. Il est très important de leur montrer qu’ils ne participent pas aux modules seulement pour s’amuser et qu’ils sont là pour apprendre.

Je suis évidemment contre la non mixité. Il faut apprendre à vivre avec l’autre. Sinon, on pourrait aussi créer des écoles pour les juifs, pour les musulmans, pour les noirs, etc. Cela aboutirait à une « République des tribus » qui risque de ne pas être agréable à vivre. Je suis pour le mélange, et nous nous battons pour cela.

Je suis par ailleurs journaliste à Judaïques FM et à Tribune Juive. J’ai proposé à des écoles juives d’accueillir nos modules. Il y a aussi énormément de préjugés – sur les musulmans, sur les rapports entre les garçons et les filles, etc. – et les élèves ne sont pas en contact avec d’autres enfants. Nous sommes également en train de mettre en place, avec des élèves d’écoles laïques du XIXe arrondissement, des rencontres avec des écoles juives du même arrondissement. Il n’existe plus de service militaire, donc plus de lieu de rencontre…

Ces modules s’appliquent à toutes les écoles. C’est ainsi que je suis en rapport avec une école catholique, pour y parler de contraception.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Tout cela à six ?

Mme Olivia Cattan. Oui. Nous avons du courage et, surtout, nous y croyons beaucoup. Nous sommes tous citoyens français. Parmi nous, Karim-Hervé Benkamla est musulman et travaille aussi à la Grande Mosquée de Paris ; c’est un républicain et un laïque convaincu. Diagne Chanel, qui est métisse, travaille sur la laïcité et la citoyenneté depuis des années ; elle a milité pour le Tchad et le Darfour, etc. Que nous ayons une religion ou que nous soyons agnostiques, nous ne parlons pas de religion – ce sont les élèves qui en parlent. Nous essayons de leur faire comprendre que leurs religions et leurs traditions, que nous respectons, font partie de la sphère privée et qu’ils sont là dans une école laïque, pour partager des valeurs ; que les traditions, qui sont celles de leurs parents, sont souvent obscurantistes ; qu’elles leur appartiennent aussi mais qu’ils doivent en faire une richesse, pas un modèle. Pour la plupart, d’ailleurs, ils ne connaissent pas vraiment leur propre religion. C’est plutôt pour eux une posture, un moyen de s’opposer les uns aux autres et l’occasion d’être violents. Tout cela peut donc évoluer.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Au-delà de votre militantisme et de l’énergie que vous déployez, est-ce que vous recrutez ? Avez-vous une formation spécifique ? De quelles ressources disposez-vous ?

Mme Olivia Cattan. Chacun prend, sur son travail, une journée ou une demi journée par semaine. Nous venons de recruter une jeune femme qui a une formation de professeur. Mais nous la formerons avant de la faire intervenir. Il faut être très prudents. Nous intervenons seuls dans les classes, notre responsabilité est donc très grande.

Nous avons dernièrement lancé une campagne sur les violences faites aux femmes, avec un spot auquel ont participé Lara Fabian et d’autres artistes dans la rue. Nous essayons de faire voter un projet de Maisons citoyennes qui pourraient accueillir des femmes, avant qu’elles ne se retrouvent à la rue. Cette fois, il devrait s’agir de lieux non mixtes. Aujourd’hui, les femmes SDF arrivent, parfois avec des enfants, dans des foyers insalubres, avec des clochards et des chiens. Cela ne peut pas continuer. Il en est de même des femmes victimes de violences. La semaine dernière, nous avons reçu un mail d’une petite fille disant que sa mère était victime de violences, qu’elle avait vu le spot avec Lara Fabian et qu’elle voulait qu’on l’aide. La mère, que nous avons contactée, nous a répondu qu’elle ne bougerait pas de chez elle car elle préférait prendre des coups que de se retrouver avec ses enfants dans un foyer.

Nous avons besoin aujourd’hui de foyers spécifiques pour des femmes victimes de violences ou des femmes SDF. Le vœu a été voté par le Conseil de Paris la semaine dernière. La mairie du XVIIIe m’a indiqué il y aurait peut-être des terrains disponibles.

Mais nous ne sommes pas le SAMU social ni « Les Enfants de don Quichotte » : nous ne pouvons pas aller chercher des femmes qui sont dehors depuis plusieurs années et qui sont désocialisées. Nous souhaitons agir à titre préventif avant que certaines femmes ne se retrouvent dans la rue. Car la précarité féminine est très spécifique : une femme dans la rue, c’est une femme violée et battue. Cette question relève à mon avis, de la problématique des violences faites aux femmes, et donc de votre mission.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Merci infiniment. Vos propos étaient extrêmement intéressants.

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La mission a enfin auditionné Mme Armelle Andro, chercheur de l’Institut national d’études démographiques (INED) sur les mutilations sexuelles.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Nous accueillons maintenant Mme Armelle Andro, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques – INED – et maître de conférences à l’Université Paris 1 qui a dirigé une grande enquête intitulée « Excision et Handicap » visant à remédier au manque d’information sur ce phénomène en France. L’étude comprend trois volets : une estimation chiffrée, une enquête qualitative – sur les motivations qui poussent les parents à faire exciser leurs filles en dépit de l’interdiction – et une enquête quantitative cherchant à cerner les conséquences de l’excision sur la santé des femmes.

Mme Armelle Andro. L’enquête comporte en effet trois volets. La collecte des données pour le troisième volet, relatif aux conséquences sur la santé, s’est terminée à la fin du mois de février ; nous sommes donc au premier stade d’évaluation des résultats.

Ce travail mené de 2006 à 2008, a reçu le soutien de plusieurs institutions : l’Agence nationale de la recherche, le ministère de la santé, l’INED et l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (l’ACSE).

Le plan violence et santé du ministère de la santé en 2006 avait soulevé la question du nombre de femmes concernées par une mutilation sexuelle en France. Nous avons essayé de l’évaluer car nous ne disposions que de quelques données émanant des associations, en réalisant une estimation qui a eu pour but de fournir un référentiel permettant de réfléchir à la prise en charge de ces femmes. Cette estimation a été très difficile à réaliser du fait des réticences de la statistique publique en France à quantifier les populations selon leurs origines précises. Or les mutilations sexuelles ne concernent que certains pays africains et seulement certains groupes ethniques dans ces pays. Des études menées en Afrique permettent de connaître l’ampleur du phénomène dans ce continent mais il était difficile de mesurer les flux migratoires de ces pays d’origine vers la France. Cependant, avec le soutien de l’INSEE, nous avons réussi à établir une estimation – encore parcellaire – du nombre de femmes vivant en France qui ont été victimes d’une mutilation sexuelle. En prenant en compte les dernières données du recensement alors disponibles, nous estimons, qu’en 2004, il y avait près de 55 000 femmes adultes concernées, nombre assez important si l’on précise qu’il n’inclut pas les mineures, que l’état des données ne permet pas, pour l’instant, de chiffrer de manière fiable. Nous espérons pouvoir actualiser ce nombre avec les données du recensement de 2009. On peut penser qu’il a légèrement augmenté.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Qu’est-ce qui vous le fait penser ?

Mme Armelle Andro. L’arrivée à l’âge adulte de jeunes filles qui n’étaient pas jusque là comptabilisées. Je ne veux pas du tout dire que le phénomène a augmenté, au contraire, la tendance est plutôt à la baisse.

La pratique recule dans la plupart des pays d’Afrique. Certains pays ont mené, ces dernières années, des politiques relativement efficaces. Au Sénégal, par exemple, la pratique a été abandonnée dans des régions entières. Dans d’autres pays, les changements seront très lents, comme au Mali où la proportion de femmes excisées est encore supérieure à 90 %. Cela étant, même dans ce pays, on note une tendance à la diminution puisque le taux est passé de 96 % à 94 %. Des lois existent dans la plupart des pays mais elles ne sont pas toujours appliquées.

Les femmes qui vivent sur le territoire français et qui ont subi une mutilation sexuelle sont généralement issues des pays d’Afrique de l’Ouest. Le type de mutilation et le contexte dans lequel elle s’effectue varient d’un pays à l’autre. L’Organisation mondiale de la santé a construit une typologie en quatre catégories, selon l’ampleur des lésions. Celles que l’on retrouve le plus fréquemment chez les populations originaires de ces pays vivant en France sont de type II : elles consistent en une clitoridectomie accompagnée, généralement, de l’ablation des petites lèvres.

Cette catégorisation reste très approximative parce qu’elle ne laisse en rien entrevoir l’ampleur des conséquences sur la santé des femmes. Certaines mutilations sexuelles, effectuées dans des conditions sanitaires déplorables, peuvent mal cicatriser et devenir handicapantes. A l’opposé, les mutilations peuvent être pratiquées, comme en Guinée et en Égypte, en milieu hospitalier ce qui limite les risques. Il faut, chaque fois, diagnostiquer les conséquences qui en résultent pour chaque femme.

À partir de ce constat, nous avons monté un dispositif d’enquête encore inédit en Europe et dans les pays d’émigration sur un sujet extrêmement sensible. Les résultats qu’il a donnés peuvent inciter d’autres pays à mener des études similaires.

L’enquête quantitative a eu pour but de cerner les conséquences de l’excision sur la santé des femmes. Jusque-là, la question des mutilations était, généralement, abordée, avec raison d’ailleurs, sous l’angle des risques de perpétuation de la pratique, mais on ne s’était jamais intéressé aux femmes qui en avaient été victimes pour mesurer les conséquences de cette mutilation et voir comment leur apporter un soutien.

Nous avons, avec l’aide d’une équipe de recherche pluridisciplinaire, élaboré un questionnaire de santé publique, validé par les instances de santé publique, pour mesurer ces conséquences. Le dispositif d’enquête était assez compliqué car il n’est pas facile de savoir si une femme est excisée. Impossible de lui poser la question directement : nombre de femmes concernées ne le savent pas, et, quand elles le savent, elles n’en ont jamais parlé à personne.

Il a fallu imaginer un protocole permettant de collecter des données précises sur la situation de ces femmes, sans les mettre en difficulté en leur demandant d’aborder des sujets dont elles n’auraient pas forcément envie de parler. Finalement, nous avons décidé de réaliser ces enquêtes en milieu médical, lors de consultations en gynécologie et, surtout, de construire une analyse de type cas/témoins, c’est-à-dire de poser les mêmes questions à des femmes non mutilées afin de comparer le niveau de certaines pathologies. Nous nous sommes intéressés essentiellement aux maladies urogénitales et au vécu de la sexualité.

Nous avons interrogé 3 000 femmes dont 714 avaient subi une mutilation sexuelle. Nous avons travaillé dans 75 centres de santé et dans cinq régions.

L’un des premiers résultats est déjà de montrer qu’une telle enquête est réalisable alors qu’on nous avait prédit d’énormes difficultés. Or, très peu de femmes ont refusé d’y participer et encore moins – de l’ordre de 0,5 % – ont abandonné le questionnaire en cours de route. Elles étaient parfois surprises, voire choquées, de son contenu mais beaucoup d’entre elles nous ont confié qu’elles étaient touchées qu’on s’intéresse enfin à leur sort. La plupart n’en avaient jamais parlé. Alors que nous les interrogions en milieu médical et qu’elles sortaient, pour la plupart, d’une consultation gynécologique, elles nous ont avoué qu’elles n’avaient jamais abordé le sujet avec un gynécologue. Le premier résultat de l’enquête est donc de montrer que, pour peu qu’on sache employer les bons mots, il est possible de parler de sexualité et d’excision avec des femmes qui l’ont subie.

Nous avons été surpris en revanche par une certaine résistance initiale des professionnels à notre démarche : ils ne cessaient de nous répéter que les femmes victimes d’excision n’accepteraient jamais de répondre à notre questionnaire. Mais dans la très grande majorité des centres où nous sommes intervenus, notre travail a eu un effet positif : ils se sont appropriés les questions et se sont mis à parler de l’excision en consultation. Il y a, d’ailleurs, une demande très forte de formation sur cette question de la part aussi bien des médecins gynécologues, des sages-femmes et des puéricultrices que des conseillères conjugales et des psychologues

Dans les départements confrontés depuis longtemps à ce problème du fait d’une forte présence de populations concernées, comme la Seine-Saint-Denis, les professionnels se sont formés et ont développé une expertise dans la prise en charge et l’accompagnement de ces femmes. Dans d’autres régions, les professionnels découvrent ce phénomène et ne savent pas le prendre en charge. Il en résulte des différences de traitement très importants : une femme mutilée, selon qu’elle vit en Seine-Saint-Denis, dans les Pays de Loire ou dans le Nord-Pas-de-Calais, ne bénéficie pas de la même offre de soin ni des mêmes capacités de prise en charge. Néanmoins, la situation peut évoluer rapidement car il y a une forte demande d’information et de formation de la part des professionnels et il est important de pouvoir l’offrir à ceux qui sont confrontés à ce problème.

Les premiers résultats de l’analyse cas/témoins révèlent des conséquences sur la santé et la sexualité des femmes.

Nous nous attendions à voir figurer en tête de ces conséquences les incidents à l’accouchement puisque, dans les pays d’origine, l’excision est responsable d’une surmortalité maternelle. Or ce n’est pas le cas, grâce à l’efficacité du système obstétrique français. Ces femmes sont prises en charges dans des structures très médicalisées où le savoir-faire et la compétence des professionnels de santé évitent des situations dramatiques.

Par contre, le vécu de la sexualité est bien peu enthousiasmant, et même parfois douloureux. Pour avoir participé à la réalisation de l’enquête sur le contexte de la sexualité en France, où un échantillon important de la population générale était interrogé sur les questions de dysfonctions sexuelles, j’ai noté des différentiels très importants entre la population générale et les femmes concernées. La sexualité des femmes est déjà peu verbalisée en général et les problèmes en ce domaine rarement pris en charge, mais, chez ces femmes, la question n’est tout simplement pas abordée et elles ne savent pas à qui s’adresser pour en parler. Il ne vient pas, non plus, à l’idée des professionnels de considérer les problèmes à ce niveau et de proposer un suivi et une prise en charge. Il y a un gros travail à faire en ce domaine.

Les questions portant sur la santé mentale ont révélé des différentiels importants entre ces femmes et la population générale. Les états dépressifs sont beaucoup plus fréquents chez ces femmes et elles les associent en partie à leur mutilation. Nous devons, cependant, garder à l’esprit qu’une très grande partie de ces femmes vit, par ailleurs, dans des conditions sociales extrêmement difficiles qui peuvent concourir à cet état dépressif.

Une autre dimension importante de notre travail consistait à évaluer les catégories de femmes pour qui la chirurgie réparatrice remboursé par la sécurité sociale depuis 2004, a du sens ou correspond à une demande. Nous pouvons dire que la chirurgie réparatrice est très importante pour pour des jeunes filles nées sur le territoire français et qui ont été excisées, soit en France dans les années 1980, soit lors d’un retour dans le pays d’origine. Elles n’ont, généralement, aucun souvenir de l’excision et découvrent très tardivement qu’elles ont été mutilées, lors d’une première visite chez le gynécologue, par exemple. Elles considèrent cette mutilation comme très handicapante, contraire à l’image qu’elles ont d’elles-mêmes et portant atteinte à leur identité.

En revanche, pour d’autres femmes, le fait d’être excisée ne semble pas poser de problèmes et elles ne voient pas l’intérêt d’une opération. Ce qui ne prouve pas qu’elles ne changeront pas d’avis, mais il est important de ne pas être trop invasif dans l’offre de soins. Il ne doit en aucun cas y avoir de prise en charge systématique.Cela étant, il ne faut pas non plus passer à côté des femmes qui vivent un martyre au quotidien à cause de cette mutilation et qui n’osent pas en parler.

Si ces femmes ont des difficultés à aborder cette question, c’est sans doute aussi parce que, jusqu’à présent, quand elles venaient déclarer une mutilation à un professionnel, celui-ci leur proposait de porter plainte et d’engager une procédure judiciaire. Or, si ces femmes en veulent souvent à leurs parents et, notamment, à leur mère, la plupart d’entre elles n’envisagent pas un recours contre eux ou même contre d’autres personnes de leur famille. Cette judiciarisation du problème a été très efficace dans l’éradication du phénomène sur le territoire national et la prévention du risque, mais c’est un obstacle pour celles qui veulent aborder le problème sous l’angle strictement médical.

Une autre raison qui dissuade les femmes qui sont mères de petites filles d’aborder le sujet avec les professionnels de santé est la suspicion qui pèse alors sur leurs propres intentions vis-à-vis de leurs filles et le peu de crédibilité qu’on leur accorde lorsqu’elles affirment ne pas avoir l’intention de pratiquer de mutilation sur elles. La protection de leurs filles prend le pas sur le soutien et la prise en charge qu’elles sont venues demander.

Le troisième volet du projet porte justement sur les dynamiques familiales. Par une approche qualitative, basée sur des entretiens approfondis avec quelques femmes et quelques hommes, nous avons essayé de comprendre pourquoi certaines familles en situation de migration abandonnent l’excision, tandis que d’autres perpétuent la pratique. Le sujet était très difficile à aborder puisque toutes les familles vivant sur le territoire national savent que l’excision est interdite et sévèrement punie. Les femmes qui se sont portées volontaires pour parler de cette question étaient donc plutôt bien disposées, même si certaines d’entre elles ne tenaient pas un discours totalement négatif sur la pratique de l’excision.

Nous avons interrogé vingt femmes et sept hommes. Il a été très difficile de trouver des hommes car ces derniers refusent, en général, catégoriquement d’aborder la question.

La première constatation est le silence qui entoure cette question. Elle est totalement tabou dans les familles. La plupart des femmes interrogées avaient découvert la question lors d’une émission télévisée qui avait déclenché une discussion au sein de la famille. A cette occasion que leurs parents leur avaient appris qu’elles avaient été, elles-mêmes, excisées quand elles étaient bébés. Les quelques soirées THEMA qui ont eu lieu sur Arte au cours des dernières années ont été un formidable déclencheur de parole dans les familles – les discussions avaient lieu avec les mères et les sœurs, jamais avec les pères – au point que presque toutes les femmes interrogées étaient capables de dire la date de ces émissions. C’est grâce à elles aussi qu’elles avaient entendu parler de la chirurgie réparatrice. Aujourd’hui, une quinzaine d’hôpitaux, essentiellement en région parisienne, pratiquent ce type de chirurgie.

Le sujet est également tabou chez les professionnels de santé. Certaines femmes nous ont dit avoir changé dix fois de gynécologue dans l’espoir d’en trouver un qui aborde le sujet.

Pour certaines la question de l’excision est liée à celle de l’identité. Être un bon parent dans le pays d’origine, c’est exciser sa fille parce que, si elle n’est pas excisée, elle ne trouvera pas de mari et aura mauvaise réputation. Dans le pays d’installation, être un bon parent, c’est ne pas exciser sa fille. Il est très difficile pour des parents de gérer ces deux injonctions contradictoires, surtout s’ils sont soumis à la pression de la famille d’origine. Parfois, ils se plient à la volonté de la famille. S’opposer à l’excision, les expose souvent à une rupture avec la famille, ce qui est un vécu très violent : leurs filles ne connaîtront pas leur grand-mère et n’iront jamais passer des vacances dans le pays d’origine car ce serait trop risqué. Des jeunes filles, tout en se réjouissant d’avoir gardé leur intégrité physique, ont l’impression d’avoir perdu leurs racines. Psychologiquement, c’est très lourd à porter.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Je me suis rendue dernièrement au Burkina Faso où j’ai entendu le discours que vous rapportez : si une jeune fille n’est pas excisée, elle ne trouvera pas de mari.

Mme Catherine Coutelle. Une députée djiboutienne est venue à Poitiers faire une conférence sur l’excision. Or l’organisateur n’a invité que des étudiants à la rencontre qui a suivi. Cela a provoqué la colère des filles mais les garçons ont dit avoir découvert des choses qu’ils ignoraient. L’éducation des jeunes hommes de ces pays lorsqu’ils sont en France me semble être également importante.

J’ai eu connaissance par ailleurs du cas dramatique d’une étudiante djiboutienne qui, ayant recouru à la chirurgie réparatrice, s’est trouvée rejetée par sa famille et interdite de retour au pays…

Le fait que les professionnels de santé ne sachent pas aborder cette question est déconcertant. Il faudrait prévoir une formation sur le sujet. En tout cas, il faut les sensibiliser – et votre enquête y contribuera – au fait que les femmes ayant subi une mutilation n’attendent qu’une chose, c’est qu’on leur en parle.

Il y a une communauté guinéenne très importante à Poitiers. Quand des familles sans papier ont des filles, celles-ci bénéficient d’une protection subsidiaire, qui protège ces dernières mais pas leurs parents. Mais quand, dans le pays d’origine, une politique de lutte contre l’excision commence à être menée, la France n’accorde plus cette protection. Or, si l’on constate une baisse de cette pratique dans les pays d’Afrique, elle reste encore très répandue.

Mme Armelle Andro. Si l’on prend l’exemple du Mali, le taux d’excision est passé de 96 à 94 %, ce qui signifie que les petites filles courent toujours le même risque.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Les législations pour lutter contre l’excision dans les pays d’Afrique ont certes entraîné une diminution du nombre d’excisions sur les petites filles de 8 ou 10 ans mais se sont accompagnées d’un accroissement de cette pratique sur les bébés. La lutte y est plus juridique que réelle, d’autant que les chefs coutumiers n’ont pas du intégré la nécessité de s’y plier. Il y a un décalage complet entre la loi et les comportements.

Mme Catherine Coutelle. A quel âge se pratique l’excision ? Y a-t-il des différences d’un pays à l’autre ?

Mme Armelle Andro. La pratique de l’excision varie selon les pays. Au Mali, par exemple, elle est, historiquement, un rite de passage à l’âge adulte qui a lieu au moment de l’adolescence. Dans tous les pays d’Afrique, l’excision est aujourd’hui de plus en plus pratiquée sur des nourrissons, ce qui accroît les risques de lésions graves et de mortalité.

En France, il n’y a plus d’excision pratiquée dans la petite enfance. Le suivi des petites filles par les pédiatres et en PMI est très serré. Par contre, les associations signalent que des jeunes filles sont envoyées au pays par leurs parents, à l’entrée de l’adolescence, pour y subir une mutilation sexuelle et même, dans certains cas, être mariées de force. C’est pourquoi nous proposons, dans les recommandations figurant dans notre rapport à l’ACSE, que soit mis en place un soutien aux familles quand leurs enfants arrivent à l’adolescence. On peut comprendre que des parents, ayant vécu dans leur pays d’origine une adolescence qui ne ressemble en rien à celle que vivent leurs enfants nés et scolarisés en France, se trouvent démunis et envoient leurs enfants au pays. Il me paraît important de prendre en compte ces moments critiques où peut émerger à nouveau le risque de l’excision. Au vu des déclarations que nous ont faites leurs mères, nous estimons à un tiers la proportion de jeunes filles nées en France soumises à ce risque, soit par la pression familiale, soit par la pression du père, soit, en dernière instance, par une décision de la mère.

M. Guy Geoffroy, rapporteur. Je voudrais replacer la question au sein de notre réflexion sur les violences faites aux femmes et, plus généralement, sur la place des femmes dans la société.

Vous avez parlé d’injonctions contradictoires : injonction familiale, d’un côté, avec le poids des traditions du pays d’origine, et injonction légale, de l’autre, avec certainement, un poids grandissant du sentiment d’appartenance à la communauté nationale française. Les parents qui respectent la loi française d’interdiction de l’excision le font-ils pour ne pas avoir d’ennuis ou parce qu’ils adhèrent aux valeurs qui fondent ces lois ? Voit-on se profiler à l’horizon le temps où, pour ces jeunes filles, le fait d’avoir des racines sera dissocié de ces pratiques mutilantes ?

Notre pays a mis en place des dispositifs très clairs, qui ont été amplifiés au plan pénal par les dispositions de la loi de 2006. Des éléments de votre enquête attestent-ils du poids de ces dispositions dans la diminution des pratiques d’excision en dehors de la France ? On observe, par ailleurs, que, dans les pays d’origine, ces pratiques diminuent avec le niveau d’étude et l’âge.

Mme Pascale Crozon. Des cas d’infibulation ont-il également été recensés en France ?

M. Jean-Luc Pérat. Vous avez souligné l’effet déclencheur de parole de certaines émissions de télévision. N’est-ce pas une piste à développer sur d’autres chaînes, moins spécifiques, qu’ARTE ? Ce peut être également un support intéressant, sous une forme à adapter en concertation avec l’Éducation nationale, pour sensibiliser les jeunes au problème dans les collèges et les lycées.

Avez-vous observé une évolution chez les jeunes filles ? On peut penser qu’elles préféreront de plus en plus maintenir leur intégrité plutôt que de se soumettre pour éviter un conflit familial.

Notez-vous une volonté chez les gouvernements des pays où l’excision est pratiquée de manière intensive de diminuer celle-ci et d’entrer dans une démarche permettant de donner à la femme toute sa place ?

Mme Armelle Andro. Dans de nombreuses familles, la fille aînée a été excisée – souvent parce qu’elle est née dans le pays d’origine – mais les plus jeunes ne le sont pas et, compte tenu de leur âge et du discours de la mère, ne le seront jamais. C’est une appropriation très rapide des valeurs et du droit à l’intégrité physique tel que le conçoit le pays d’accueil.

Le cadre légal a été extrêmement efficace. Jusqu’à présent (un procès a eu lieu en Suisse) la France était le seul pays à poursuivre pénalement. Cela a eu des effets puisqu’aucune des jeunes filles que nous avons interrogées n’a été excisée sur le sol français dans les années 1990, alors que cette pratique y avait cours dans les années 1980. L’application de la loi et la médiatisation de plusieurs affaires ont éradiqué le phénomène sur le territoire.

Ce cadre légal très coercitif est un bouclier derrière lequel les femmes se protègent encore aujourd’hui. Des mères l’invoquent pour intimider les grands-mères restées au pays : « Si ma fille ne revient pas entière de ses vacances au pays, je me retrouverai en prison et tu en seras responsable » ou encore : « Les gendarmes français viendront te chercher au village si tu touches à ta petite fille ! » Les mères présentent ces démarches comme personnelles mais je pense que leur conjoint est, en partie, dans le même état d’esprit. De nombreuses femmes disent ne pas vouloir que leurs filles subissent les mêmes mutilations qu’elles ni ne vivent la vie qu’elles ont vécue : leurs filles, pour elles, sont des Françaises et ont droit, à ce titre, à une vie affective et sexuelle épanouie.

Dans les pays d’origine, il faudra attendre plusieurs décennies avant que la volonté des gouvernements ne produise une réelle transformation sociale permettant d’être sûr qu’une petite fille ne coure plus de risque. En revanche, il est maintenant inimaginable pour des jeunes filles nées en France, même excisées, de faire subir un tel traitement à leurs propres filles. Les descendants de migrants abandonnent cette pratique. On voit même que les attitudes changent, en quelques années, au sein d’une même famille.

Pour ce qui est des actions de sensibilisation des jeunes en milieu scolaire, il faut faire très attention car elles peuvent être stigmatisantes. Quand on aborde ce sujet en classe, tout le monde se retourne vers les deux ou trois filles africaines pour leur demander si elles ont été excisées, ce qui met ces dernières extrêmement mal à l’aise, pour ne pas dire plus. Les émissions de télévision, par contre, peuvent être utiles. Toutes les femmes en ont parlé comme de quelque chose de très positif

L’infibulation fait partie des mutilations de type III, c’est-à-dire les plus dramatiques. Elles sont pratiquées essentiellement en Afrique de l’Est – Somalie, Djibouti, Éthiopie. On en rencontre peu en France car il y a peu de migrantes originaires de ces pays. Le Royaume-Uni et les pays scandinaves sont beaucoup plus souvent confrontés à ces situations qui, au moment de l’accouchement, sont catastrophiques. Cela étant, une mutilation de type II peut, si la lésion est importante donner l’impression d’une infibulation.

Mme la présidente Danielle Bousquet. Nous vous remercions.

La séance est levée à dix-neuf heures trente.

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