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Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Mardi 26 mai 2009

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Henri Jibrayel, Vice-Président

– Audition de Mme Maryvonne Chapalain, commandant fonctionnel et de Mme Karine Lejeune, capitaine de gendarmerie, de la Délégation aux victimes

– Audition de Mme Nicole Blaise, directrice du Relais de Sénart, Mme Hanitra Andriamandroso, chef de projet, et Mme Renée Marc, chargée de mission

M. Alain Kurkdjian, adjoint à la directrice du Service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE) au ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité

La mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a auditionné Mme Maryvonne Chapalain, commandant fonctionnel et de Mme Karine Lejeune, capitaine de gendarmerie, de la Délégation aux victimes.

La séance est ouverte à seize heures quinze.

M. Henri Jibrayel, président. Mes chers collègues, nous reprenons nos auditions en recevant Mme Maryvonne Chapalain, commandant fonctionnel à la Délégation aux victimes, qui représente la police nationale – et que nous avons déjà entendue dans le cadre d’une table ronde consacrée à l’accueil des victimes –, ainsi que Mme Karine Lejeune, capitaine, au titre de la gendarmerie.

Nombre de nos interlocuteurs nous ont fait part des progrès réalisés par la police et par la gendarmerie dans l’accueil des femmes victimes de violences au sein de leur couple. Nous souhaiterions cependant évoquer l’ensemble des rôles joués par les services de police et de gendarmerie dans la lutte contre les violences faites aux femmes, quelles que soient ces violences. Je vous propose d’organiser notre audition en trois temps.

S’agissant tout d’abord de la question des statistiques, la police et la gendarmerie peuvent-elles comptabiliser les crimes et délits en fonction du statut de l’auteur – conjoint, ex-conjoint…– ou du sexe des victimes, notamment pour les agressions se déroulant dans l’espace public ?

Concernant ensuite la formation, quelle est celle reçue par les policiers et les gendarmes en matière d’accueil des victimes dans le cas de violences faites aux femmes ? Des unités spécialisées dans la lutte contre les violences intrafamiliales ont été créées et des référents nommés. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Enfin, qu’en est-il des partenariats noués par la police et la gendarmerie avec les autres acteurs – associations, collectivités… –, ainsi que des possibilités, pour d’autres intervenants – psychologues, notamment – d’être présents dans les commissariats et les gendarmeries ?

Mme Maryvonne Chapalain. La Délégation aux victimes, au sein du ministère de l’intérieur et de nos deux directions de la police et de la gendarmerie nationale, est une structure mixte composée pour moitié de policiers et de gendarmes. Nous travaillons en totale osmose. Dans le cadre des violences intrafamiliales, nous œuvrons de concert pour améliorer l’accueil et l’aide aux victimes.

Karine Lejeune et moi-même sommes issues de différents horizons – gendarmerie et police – mais nous avions déjà travaillé sur cette mission spécifique de l’aide aux victimes, tout particulièrement à la suite de violences conjugales. Voilà pourquoi nous mènerons notre intervention en duo. Mme Lejeune commencera par quelques données statistiques.

Mme Karine Lejeune. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas, dans l’état 4001 – l’outil d’enregistrement des crimes et délits – de possibilité technique de prendre en compte à la fois le sexe des victimes et des auteurs, et leur qualité. L’état 4001 est en effet fondé sur une certaine qualification d’infractions pénales ; c’est un outil qui date d’un certain nombre d’années et il est très difficile de le mettre à jour.

Malgré tout, plusieurs améliorations ont été apportées. Pour travailler sur la problématique des violences intrafamiliales, il a en effet fallu pouvoir les définir dans cet état. La police et la gendarmerie ont mis en commun leurs données portant sur les violences à la fois au sein du couple, à l’encontre des mineurs et envers les personnes âgées. Dans l’index 4001, cela représente treize infractions spécifiques.

Cette mise en commun ne permet cependant pas d’obtenir le caractère féminin ou masculin de l’auteur ou de la victime. Voilà pourquoi, depuis mars 2008, la gendarmerie nationale a mis en place, sur son outil spécifique, qui est la base nationale de statistique de la délinquance, un certain nombre de filtres. S’agissant plus particulièrement des violences au sein du couple, il existe six typologies de victimes.

Depuis cette date, on demande aux militaires qui assurent l’information statistique de bien déterminer le sexe de l’auteur et de la victime et de préciser leur qualité, en prenant en compte la loi du 4 avril 2006 : conjoint ou ex-conjoint, pacsé ou ex-pacsé, concubin ou ex-concubin.

Des filtres ont été mis en place sur la qualité de parent, dans le cadre de violences à l’encontre des mineurs et sur la qualité de personne à charge, notamment dans le cadre de violence à l’encontre des personnes âgées.

Mme Maryvonne Chapalain. Depuis 2006, la police nationale a mis en place le plan national d’enrichissement du fichier STIC (Système de traitement des infractions constatées), de manière que les violences intrafamiliales puissent être extraites de la base. Dans le cadre de ce plan, neuf rubriques ont été prises en compte. La première, par exemple, concerne les violences intrafamiliales. Cela nous permet, sur la base des fichiers de victimes, d’avoir des remontées d’information concernant le type de victimes : conjoint ou concubin, par exemple, en cas de violences dans le couple, mais aussi neveu, nièce, grand-parent ou enfant, etc. Ce n’est pas un fichier fiable à 100 %, dans la mesure où les personnels ne sont pas forcément formés à cet effet. Les données ne peuvent donc être utilisées qu’à titre indicatif.

Nous attendons avec impatience le nouveau logiciel ARDOISE qui remplacera, à l’horizon 2010, le logiciel de rédaction de procédures (LRP). On obtiendra ainsi des remontées plus générales dans tous les domaines, notamment sur tous les types de violences, dont les violences intrafamiliales.

Dans le cadre de l’état 4001, existe une infraction qui vise exclusivement les femmes : l’index 25 cible tout spécialement les vols avec violence sans armes au préjudice des femmes sur la voie publique et autres lieux. C’est ainsi qu’en 2007, ont été répertoriés 44 000 faits de cet ordre contre 41 363 en 2008, soit une légère baisse.

Quoi qu’il en soit, la plupart des phénomènes de délinquance qui touchent les femmes ne sont malheureusement pas répertoriés dans l’état 4001, qui est notre index officiel.

Mme Karine Lejeune. Pour pallier ces difficultés, certains organismes ont mené des études un peu plus poussées en matière statistique. Ainsi, l’Observatoire national de la délinquance mène, depuis les années 2007-2008, des études de victimisation détachées des index de l’état 4001, c’est-à-dire des infractions constatées par les services de police et les unités de gendarmerie. Il a pu, dans ce cadre, effectuer des enquêtes plus spécifiques sur la problématique des violences exercées à l’encontre des femmes, que ce soit dans le cadre intrafamilial ou hors ménage. Ces études sont novatrices, dans la mesure où elles s’appuient sur les faits constatés et où elles cernent la population éventuellement victime.

Selon l’Observatoire national de la délinquance, les forces de sécurité avaient relevé plus de 47 500 faits de violences en 2007, soit 31 % de plus qu’en 2004. C’est la raison pour laquelle la problématique des violences intrafamiliales, notamment conjugales, est plus particulièrement prise en compte par le ministère de l’intérieur.

Mme Maryvonne Chapalain Il faut relativiser. Cette augmentation du nombre des violences est sans doute, du moins en partie, liée à la loi de 2006 et à la prise en compte des « ex », ce qui n’était pas le cas auparavant.

La Délégation aux victimes a lancé, depuis sa création il y a trois ans, une étude spécifique sur les morts violentes au sein des couples. Il a ainsi été mis en exergue qu’en 2007 une femme décédait tous les deux jours et demi à la suite de violences commises au sein de son couple par son partenaire ou ex-partenaire, ce qui représentait, avec 166 femmes concernées, une augmentation de 14 % par rapport à l’année précédente. En 2008, une certaine stabilisation a été constatée, mais le ratio demeure à peu près identique – les chiffres de cette année seront officialisés courant juin.

M. Bernard Lesterlin. Je m’étonne des outils statistiques dont disposent encore la police et la gendarmerie. Voilà maintenant quatre ans, a été mise en place une Direction générale de la modernisation de l’État, dont la mission porte notamment sur la dématérialisation des procédures lourdes. Je ne comprends pas, dans ce contexte, que l’état 4001 puisse être inadaptable à l’examen de la victimologie qui nous intéresse.

Je suis surpris que, dans un pays comme le nôtre, notre outil d’appréciation statistique du phénomène aussi massif et aussi grave que les violences faites aux femmes soit aussi en retard par rapport aux technologies dont nous pouvons disposer, d’autant que la volonté politique de l’améliorer semble présente.

Mme Maryvonne Chapalain. L’état 4001 semble à beaucoup d’entre nous obsolète, mais ce type d’outil est très difficile à modifier. C’est précisément pour cela que l’on a mis en place le plan national d’enrichissement des procédures qui fournit des données plus spécifiques sur différents thèmes, en particulier sur les violences intrafamiliales. Par ailleurs, les nouveaux logiciels, dont celui qui va remplacer le LRP, nous permettront de disposer de données plus fiables que le Plan national d’enrichissement.

M. Henri Jibrayel, président. Où en est-on de l’avancée des logiciels ICARE et ARDOISE ?

Mme Maryvonne Chapalain. Nous les attendons à l’horizon 2010.

M. Bernard Lesterlin. La commande de la dématérialisation des procédures a été passée par le Premier ministre au printemps 2006. Il se trouve que j’étais au ministère de l’intérieur et que c’est avec la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) que j’ai eu le plus de mal à obtenir la coopération des services, sous des prétextes fallacieux de confidentialité. Qu’avez-vous fait en 2006 et depuis ? Il est essentiel d’avoir une appréciation fine et juste de ces phénomènes pour pouvoir agir de façon appropriée au niveau législatif.

Mme Maryvonne Chapalain. Je ne peux rien ajouter à ce que je viens de dire à propos du plan national d’enrichissement des procédures et au fait qu’il n'est pas prévu de changement au niveau de l’état 4001.

Mme Karine Lejeune. Ce dernier a été fondé sur un certain nombre d’infractions extraites de la table des infractions gérée par le ministère de la justice et issue du système « nature d’infraction » ou NatInf, qui est particulièrement rigide. Le problème est que l’on demande à un tel outil statistique, créé voilà des années pour permettre un comptage de faits constatés, de faire de l’étude victimologique.

Si l’on modifie l’état 4001, il faut alors modifier toutes les bases positionnées sur le NatInf, les fichiers de police judiciaire – STIC et système judiciaire de documentation et d'exploitation (JUDEX) – ainsi que tous les logiciels de procédures – LRP pour la police et ICARE pour la gendarmerie. Il faut savoir également qu’il ne s’agit que des faits qui sont portés à la connaissance des services de police ou des unités de gendarmerie. En matière de délinquance, et notamment des violence à l’encontre des femmes, de nombreux faits nous échappent totalement.

M. Henri Jibrayel, président. Il y a tout de même matière à étude, avec plus de 40 000 faits de violences répertoriés chaque année ! Il faut en tout cas que nous disposions d’outils. Est-ce le système ARDOISE qui sera le plus performant ?

Mme Maryvonne Chapalain. Vraisemblablement.

M. Bernard Lesterlin. Que peut-on en attendre ? Quel est d’ailleurs le cahier des charges ?

Mme Maryvonne Chapalain. Tout ce que je peux vous dire c’est qu’à l’horizon 2010, ce système permettra de disposer de données plus spécifiques – données sexuées, etc. – et de remontées plus fiables.

M. Henri Jibrayel, président. Peut-on espérer une bonne harmonisation entre la police et la gendarmerie ?

Mme Maryvonne Chapalain. Jusqu’à présent, tant les données que les logiciels étaient différents, ce qui était un peu archaïque. L’harmonisation est préférable, d’autant que nous relevons du même ministère.

M. Bernard Lesterlin. La pression sur chacun des départements ministériels, surtout au niveau des secrétaires généraux, a été forte à la suite de la commande de dématérialisation des procédures. À cet égard, l’harmonisation entre la police et la gendarmerie, que tout le monde approuve par ailleurs, est utile, davantage que l’affichage des coordinations hiérarchiques.

Mme Maryvonne Chapalain. Nous en convenons tout à fait. Mais tout ce qui touche aux chiffres est toujours très complexe à harmoniser.

M. Bernard Lesterlin. Avouez tout de même que quatre ans pour introduire les données sexuées de l’auteur de l’infraction, c’est tout de même un peu long !

Mme Maryvonne Chapalain. On y arrive dans les fichiers des victimes, mais le problème est d’entrer les données de façon fiable. Le plan d’enrichissement nous aide à cerner le problème, mais ce sont les fichiers ultérieurs qui assureront des données beaucoup plus performantes. C’est pour cela que Mme Lejeune et moi-même allons au plus près des services pour qu’ils nous fournissent, indépendamment des données purement chiffrées, des données plus qualitatives pour mener des études plus fines – je pense à l’étude sur les décès.

M. Henri Jibrayel, président. Abordons maintenant la formation des fonctionnaires de police et de gendarmerie en matière d’accueil des femmes. Quel est à cet égard votre sentiment, sachant que vos collègues que nous avons auditionnés nous ont fait part d’avis divergents ?

Mme Maryvonne Chapalain. La Délégation aux victimes se préoccupe, elle aussi, de la formation des policiers et des gendarmes, notamment dans le domaine bien particulier des violences faites aux femmes. Qu’il s’agisse de violences conjugales, d’agressions sexuelles ou de viols, ces événements sont psychologiquement très durs à vivre et exigent un accueil spécifique des victimes.

Depuis déjà quelques années, toutes les formations initiales de gardiens de la paix intègrent des modules relatifs à l’accueil des victimes en général. Il existe notamment une session de trois jours portant sur l’intervention dans une situation de violences intrafamiliales. Les officiers sont également sensibilisés à cette problématique.

Mme Karine Lejeune. Pour les gendarmes, la formation initiale se fait à deux niveaux, celui des sous-officiers et celui des officiers.

Pour les sous-officiers, un module spécifique à l’accueil a été mis en place depuis 2004. Étalé sur plus de trente heures il porte, que ce soit au sein de l’unité ou en intervention, sur l’accueil du public, sur la prise en charge des victimes ou encore sur les violences intrafamiliales. De même, un module de deux heures, spécifique à la problématique des violences faites aux femmes, a été mis en place.

Enfin, depuis l’année dernière, les élèves officiers de l’École des officiers de Melun bénéficient de deux heures de formation, menée par la Délégation aux victimes, sur la problématique des violences intrafamiliales.

M. Henri Jibrayel, président. Face à un tel sujet, pensez-vous que deux heures soient suffisantes ?

Mme Maryvonne Chapalain. Non, mais il s’agit de formation initiale, pendant laquelle ce sont seulement des bases dans des domaines très divers qui sont données aux jeunes fonctionnaires. Par la suite, la formation continue permettra d’aborder le sujet de manière plus intéressante.

Mme Karine Lejeune. Dans le cadre de la formation initiale est organisée dans chaque école de gendarmerie, depuis 2004, une demi-journée de rencontres entre des associations d’aide aux victimes et les élèves gendarmes. C’est pour ces derniers une première approche de ce qu’est une association et de ce que sont les attentes des victimes. Dans ce cadre, deux thématiques sont systématiquement abordées : l’aide aux victimes en général et les violences intrafamiliales.

M. Henri Jibrayel, président. Dans une compagnie de gendarmerie ou dans un commissariat, un fonctionnaire sera-t-il plus formé que les autres à cette problématique ?

Mme Maryvonne Chapalain. Nous essayons d’élargir au maximum les compétences des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie, pour que dans chaque unité et dans chaque commissariat soient présents des personnels spécifiquement formés à cet effet.

Dans la formation complémentaire des policiers, plusieurs cycles ont été mises au point : accueil du public ; audition des mineurs victimes ; aspects techniques et psychologiques des violences conjugales ; assistance aux victimes dans le cadre des enquêtes. Nous essayons de placer des référents un peu partout sur le territoire.

Mme Karine Lejeune. Pour la gendarmerie, le principe a été de sensibiliser des militaires déjà plus confirmés, dans le cadre de la formation continue. Au Centre national de la formation à la police judiciaire, situé à Fontainebleau, les militaires en stage bénéficient d’une demi-journée sur la problématique des violences intrafamiliales, et, depuis un an, d’une demi-journée sur la problématique très spécifique de la traite des êtres humains.

L’ensemble des commandants de brigade de proximité et des commandants de communauté de brigades bénéficient également, dans le cadre de leur stage au Centre national de formation des gradés de Rochefort, d’une intervention de deux heures sur la problématique de l’assistance aux victimes assurée par la Délégation, avec une association d’aide aux victimes.

Enfin, aussi bien les commandants de compagnie que les commandants de groupement sont sensibilisés à la problématique spécifique de l’aide aux victimes et des violences faites aux femmes. Pour les commandants de compagnie, c’est la première fois que cela aura lieu ; en revanche, le stage des commandants de groupement se fait déjà depuis quatre ans.

La formation, depuis 2005, se développe en pyramide. Elle s’appuie sur le système opérationnel qu’a mis en place la gendarmerie : au niveau de chaque département et groupement de gendarmerie a été désigné un correspondant départemental de lutte contre les violences intrafamiliales et, dans chaque communauté de brigade ou brigade autonome, a été désigné un référent. L’objectif n’était pas uniquement de désigner une personne, mais de la former et de l’informer sur tous les partenariats et tous les dispositifs existants sur les territoires.

Les officiers ont bénéficié déjà de trois séminaires nationaux, de trois jours chacun : le premier en décembre 2005 ; le deuxième en septembre 2006 ; le troisième en septembre 2008. Ce séminaire sera reconduit tous les deux ans pour permettre aux nouveaux arrivants de pouvoir être formés. C’est une formation pluridisciplinaire et pas uniquement propre à la gendarmerie, puisque nous faisons venir des procureurs de la République, des psychiatres, des psychologues, des associations, des médecins légistes, etc.

Les correspondants départementaux, ensuite, au niveau de chaque département, devront relayer cette formation auprès de l’ensemble des référents, lesquels devront sensibiliser les militaires. L’objectif est de former tous les militaires des unités territoriales à prendre en charge une victime de violences.

Mme Maryvonne Chapalain. Dans le cadre des violences faites aux femmes, l’apport de partenaires extérieurs, au-delà de l’aspect psychologique, est très important. Aussi essayons-nous de les intégrer systématiquement, qu’il s’agisse d’associations – qui ont souvent leur place dans la direction des formations –, de psychologues ou encore de médecins, chacun apportant son expérience de terrain. Au sortir de ces formations, les policiers ou les gendarmes nous disent chaque fois qu’ils ont beaucoup appris et qu’ils se sentent mieux préparés.

M. Bernard Lesterlin. Je suis convaincu des efforts réalisés aussi bien dans la police que dans la gendarmerie en matière de formation. Mais vous ne pouvez travailler qu’avec les outils que l’on vous donne et dans le cadre qui vous est fixé. Cela nous renvoie à la problématique de la proximité, qui concerne davantage la police que la gendarmerie – puisque par définition, cette dernière est une force de proximité en zone rurale.

S’il est en effet un domaine dans lequel la proximité se justifie, c’est bien en cas de traumatisme – et il est traumatisant de subir une violence et d’aller la déclarer. Or aller déposer plainte dans le bureau de police de son quartier ou de sa cité, ce n’est pas comme devoir prendre le bus pour aller en ville, avant de faire la queue pour rencontrer un officier de police judiciaire. Cela justifie que le concept de police de proximité revienne à l’ordre du jour.

On connaît les contextes aggravants que sont l’alcoolisme, la toxicomanie, etc. Pour effectuer cette prévention et ce repérage, les policiers doivent avoir une bonne connaissance de la population qu’ils ont en charge. À cet égard, des efforts sont-ils faits en matière de prévention et de repérage ?

L’articulation entre proximité et accueil et entre proximité, repérage et prévention a-t-elle fait l’objet d’une réflexion ?

Mme Maryvonne Chapalain. Il s’agit là plutôt d’une réflexion de niveau politique. En tout cas, quelques avancées sont d’ores et déjà notables.

Par exemple, les victimes peuvent porter plainte, auprès de la gendarmerie ou de la police, où elles le souhaitent, quel que soit le lieu de commission de l’infraction. Nous avons d’ailleurs insisté pour que cette précision figure dans un article de la Charte de l'accueil du public et de l'assistance aux victimes, afin que ces dernières en soient avisées. Ensuite, il est toujours possible de téléphoner partout en France à des correspondants départementaux d'aide aux victimes, à des permanences associatives, à des intervenants sociaux et à des psychologues, tous ces personnels qui leur assureront une écoute plus adéquate. C’est en cela aussi que l’on peut parler de proximité. Ce dispositif donne toute satisfaction en particulier en matière d’orientation des victimes, en dépit de l’a priori que pouvaient avoir les policiers, gendarmes ou intervenants sociaux.

M. Henri Jibrayel, président. Existe-t-il dans la police un système de formation comparable à celui de la gendarmerie, notamment en matière de formation continue ?

Mme Maryvonne Chapalain. Nous avons un peu le même type de formation, avec des référents partout en France auxquels on demande de sensibiliser leurs collègues. Il ne servirait à rien de recevoir une formation et de ne pas pouvoir transmettre sa pratique. Il existe même des divisions régionales de formation qui mettent en place des retours d’expérience (Retex). Ainsi, par rapport à ce type de formation, une évaluation peut être établie à partir des données fournies par les personnels formés.

Depuis les années 2000, la police dispense à Paris une formation très performante, avec la mise en place de référents dans tous les arrondissements. Dans le quinzième, une jeune femme a ainsi sensibilisé plusieurs centaines de ses collègues policiers.

Mme Jeanny Marc. J’éprouve quelques difficultés, dans ma circonscription, à obtenir des données concernant les violences faites aux femmes, chaque administration vers laquelle nous nous tournons nous répondant qu’elle ne dispose pas de statistiques précises en ce domaine. Or le phénomène des violences faites aux femmes prend de l’ampleur, en Guadeloupe en général et dans ma circonscription en particulier, au point que certaines municipalités se sont penchées sur la question. À cet égard, la formation de vos personnels a-t-elle entraîné une diminution des cas déclarés ?

Mme Maryvonne Chapalain. C’est très difficile à dire car les campagnes d’information ont aussi pu entraîner une hausse des révélations des faits par les femmes. Je suis d’ailleurs très favorable à ces campagnes, qui permettent aux victimes de savoir qu’il existe de nombreux partenaires aptes à les aider. L'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF), qui a révélé qu’une femme sur dix était victime de violences au sien de son couple a été une sorte d’électrochoc.

Les femmes victimes ont pu voir qu’elles n’étaient pas seules, qu’il y avait des personnels formés dans les commissariats et dans les gendarmeries, qu’elles pouvaient avoir une écoute meilleure qu’avant et non plus simplement remplir une main courante. Je ne prétends pas qu’il n’y a plus de dysfonctionnements, mais nous travaillons pour qu’il y en ait le moins possible.

Pour autant, les mains courantes sont très utiles pour des femmes qui ne veulent absolument pas déposer plainte. C’est un bon moyen pour elles de placer ainsi une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la tête du conjoint violent afin d’éviter la réitération des faits.

Mme Karine Lejeune. Une fois les victimes préparées psychologiquement et renseignées juridiquement, les associations les adressent plus facilement aux services de police et aux unités de gendarmerie.

Pour autant, comme l’a souligné Maryvonne Chapalain, mieux les personnels sont formés et plus on verra augmenter de manière statistique le phénomène des violences. Grâce à l’information relayée par les collectivités, par les associations, par les médias, les victimes osent enfin briser le silence et se présenter dans des unités ou dans des services sans crainte d’être accueillies par un personnel machiste leur expliquant que ce sont elles qui sont peut-être responsables de ce qui leur arrive. Les réseaux associatifs qui luttent contre les violences faites aux femmes reconnaissent d’ailleurs que la police et la gendarmerie ont vraiment fait un effort très important ; elles nous envoient de plus en plus de victimes, sachant qu’elles seront bien accueillies.

M. Henri Jibrayel, président. Bien que la main courante ait évolué, elle n’est toujours pas prise en considération par le Parquet.

Mme Maryvonne Chapalain. Cela dépend.

M. Henri Jibrayel, président. Il y aurait donc une disparité selon les parquets.

Mme Karine Lejeune. Tout le problème est là.

Mme Maryvonne Chapalain. Un guide de l’action publique a été réalisé il y a quelques années, et remis récemment à niveau par la loi de 2006. Il y était fait état des mains courantes qu’il valait mieux éviter. Au parquet de Douai, cependant, le procureur Frémiot se fait systématiquement adresser toutes les mains courantes et lance des poursuites.

M. Henri Jibrayel, président. C’est une exception.

Mme Maryvonne Chapalain. Non. À Paris, Françoise Guyot, vice-procureur en charge du dossier des violences conjugales, a ainsi tendance à faire remonter systématiquement les mains courantes avant de décider ensuite d’engager ou non une instruction.

M. Henri Jibrayel, président. À la fin de son audition, le procureur de Marseille, m’a dit en aparté qu’il fallait abolir la main courante. Il y aurait donc deux écoles.

Mme Maryvonne Chapalain. Tout à fait. La main courante peut être un premier pas pour une femme qui ne veut pas se lancer dans une procédure. En tout cas, mieux vaut selon moi une main courante que rien du tout. Pour autant, cela doit relever de la seule décision de la femme victime. Il ne faut pas que ce soit le policier qui la pousse à remplir une main courante.

M. Henri Jibrayel, président. Laquelle n’empêche pas le retour de la victime au domicile conjugal et parfois sa mort.

Mme Maryvonne Chapalain. Un décès peut être la conséquence d’un fait brutal unique. Il est même parfois difficile de savoir, surtout si l’auteur des violences se suicide ensuite, s’il y a eu des faits antérieurs, dans la mesure où beaucoup de femmes ne déposent jamais plainte.

M. Henri Jibrayel, président. Comment font les gendarmes qui ne prennent pas de main courante ?

Mme Karine Lejeune. Nous avons les procès-verbaux de renseignements judiciaires. C’est une pièce de procédure, ni plus ni moins qu’une enquête préliminaire telle que définie par l’article 75 et suivants du code de procédure pénale. Pendant très longtemps, mais de moins en moins, les parquets ont considéré qu’à partir du moment où il n’y avait pas de plainte, il y avait carence de la victime et qu’il n’y avait donc pas lieu à poursuite.

La disparité des politiques pénales est une difficulté que nous rencontrons, que nous soyons policiers ou gendarmes. À l’heure actuelle, certains procureurs de la République refusent l’éviction du conjoint violent ; c’est pourtant une prérogative qu’ils ont obtenue par la loi de 2006.

M. Bernard Lesterlin. Avez-vous la possibilité juridique de porter à la connaissance du procureur de la République telle main courante qui mérite de l’être ?

Mme Maryvonne Chapalain. Une main courante ne peut être remplie que dans des cas bénins, et avec une volonté manifeste de la victime de ne pas déposer plainte. Dans les cas contraires, nous faisons remplir une déclaration sur procès-verbal, que nous pouvons transmettre directement au parquet. Nous pouvons donc en prendre l’initiative.

Mme Karine Lejeune. Nous rappelons bien aux enquêteurs, dans le cadre de nos formations, que tout un pan de leur intervention peut être acté ou qualifié en enquête de flagrance. Dans ce cas-là, ils n’ont absolument pas besoin d’une plainte ou de la volonté de la victime de porter plainte pour saisir le procureur de la République.

M. Henri Jibrayel, président. Peut-être faut-il aussi inciter la victime à porter plainte ?

Mme Karine Lejeune. Quand elle se présente à la brigade. Mais en intervention à domicile, c’est le cas de flagrance qui s’applique.

Il y a encore quelques années, même les officiers ou les agents de police judiciaire rechignaient à partir en flagrance, à partir du moment où la victime leur disait qu’elle ne voulait pas porter plainte. Aujourd'hui, la police et la gendarmerie ont donné des consignes claires. Le policier qui est témoin d’un vol de sac sur la voie publique est en enquête de flagrance.

Mme Maryvonne Chapalain. Souvent, la victime ne veut pas déposer plainte parce qu’elle a peur de représailles ultérieures de la part de son conjoint violent. Si ce n’est pas elle qui dépose plainte, mais le policier qui est à l’origine de la procédure, elle se trouve dédouanée.

M. Henri Jibrayel, président. Parlez-nous maintenant des partenariats.

Mme Karine Lejeune. Pour ce qui est des partenariats associatifs, qui ont constitué une petite révolution au ministère de l’intérieur, le ministère est, depuis 2005, conventionné avec le plus grand réseau national d’aide aux victimes, à savoir l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM), pour la mise en place de permanences d’associations dans les services de police et les unités de gendarmerie. Ce système s’est développé beaucoup plus au sein de la police nationale que de la gendarmerie en raison de notre maillage. En tout état de cause, un peu plus de 150 permanences d’associations se tiennent dans les services.

Concernant la problématique plus spécifique des violences faites aux femmes, une convention a été signée le 7 mars 2006 par le ministère de l’intérieur avec les deux grands réseaux associatifs que sont la Fédération nationale « Solidarité Femmes » et le Centre national d’information aux droits des femmes et des familles. Elle prévoit un certain nombre de dispositifs tels que des permanences d’associations, mais elle est surtout centrée sur la formation interdisciplinaire entre les policiers, les gendarmes, les associations et tous les intervenants au niveau des départements. Elle est déclinée au niveau local, souvent avec l’aval du préfet et du procureur de la République. Un véritable partenariat s’est ainsi tissé.

Mme Maryvonne Chapalain. En milieu policier, nous mettons de plus en plus souvent en place des groupes d’intervention spécifiques dédiés aux différents aspects de la violence intrafamiliale. Vous connaissez tous le premier, qui a été mis en place à Strasbourg, mais il y en a aussi à Amiens, Toulouse, Le Havre, Orléans, Conflans-Sainte-Honorine. Ce type de structure – qui prend en compte tout ce qui a un lien avec la violence intrafamiliale en question : enfants, parents, etc. – devrait se développer prochainement un peu partout en France.

Plusieurs partenariats institutionnels ont été créés par l’intermédiaire des conseils locaux et intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance : les plans de prévention de la délinquance participent pleinement de cette action menée contre les violences intrafamiliales. Ces dispositifs se complètent par les permanences d’intervenants sociaux au sein même de nos commissariats et de nos gendarmeries.

On compte de plus en plus de partenariats. Actuellement, 183 exercent dans 73 circonscriptions de police et 47 dans les brigades de gendarmerie ; 16 sont mutualisés police-gendarmerie. Ils permettent de renforcer les actions des correspondants départementaux qui existent déjà et des bureaux d’aide aux victimes au sein des services de police.

Depuis janvier 2006, des psychologues sont par ailleurs présents, uniquement dans la police, dans certains commissariats. Leur nombre est passé à 35 au 18 mai 2009. Ce sont des personnels employés par la direction générale de la police nationale. Ils mènent des actions à la fois vers les victimes – et vers les auteurs pour essayer de les faire prendre conscience de leurs problèmes et de les orienter vers des soins.

Nous faisons partie de la Commission nationale de lutte contre les violences faites aux femmes, au titre, en ce qui me concerne, de personne qualifiée mais aussi au titre de la police nationale, et Mme Lejeune au titre de la gendarmerie nationale, et nous intervenons dans les plans triennaux de Mme Valérie Létard.

Des plaquettes sont diffusées par la Commission nationale dans tous nos services. Elles sont données aux auteurs en cas d’intervention à domicile, aux victimes lorsqu’elles se présentent dans nos services, aux témoins, etc. Il s’agit de partenariats actifs.

Des plaquettes sont également créées au niveau départemental. À Paris, un mémento est destiné aux enquêteurs concernant l’audition des personnes victimes de violences sexuelles. La Mairie a également édité à l’attention des élus un document sur la prévention des mariages forcés. Ce type de partenariat, très global, est très performant.

Des groupes de travail ont aussi été mis en place, notamment avec le Service des droits des femmes et de l'égalité en ce qui concerne les auteurs, ce qui a encore conduit à la publication de plaquettes. De même, un groupe de travail a été créé avec en particulier la direction de la formation de la police nationale pour créer un DVD permettant aux femmes victimes de savoir comment réagir dans des cas de violences au travail, dans le cadre conjugal, en cas de mariage forcé, etc. Il sera mis à la disposition des personnels et des victimes dans les quartiers, pour permettre à ces dernières de mieux réagir à ce type de délinquance.

M. Bernard Lesterlin. Faut-il internaliser ou externaliser ces partenariats ?

Mme Maryvonne Chapalain. Les deux options sont performantes. Le principal est qu’il y ait dans chaque département, dans chaque circonscription importante, dans chaque groupement de gendarmerie, des personnes qui soient formées à cet effet.

Il peut s’agir de partenaires extérieurs, et les intervenants sociaux sont en général recrutés et mis à disposition par les conseils généraux ou les mairies dans les services et les unités. Ce sont des professionnels dédiés à ces prises en charge.

Il peut tout aussi bien s’agir de personnels de la police ou de la gendarmerie, qui ont été spécifiquement formés pour pouvoir bien orienter les victimes.

Mais que ce soit en interne ou en externe, l’important est qu’il y en ait un peu partout.

Mme Karine Lejeune. Il faut vraiment qu’il y ait un échange. Chaque partenaire doit connaître la capacité d’action de l’autre.

Il y a quelques années, lorsque l’on a commencé la formation, les travailleurs sociaux ne savaient absolument pas ce que pouvaient faire les policiers et les gendarmes, ne serait-ce que d’un point de vue juridique et pénal, tandis que les policiers et les gendarmes regardaient les intervenants sociaux d’un œil assez suspicieux.

L’intérêt de créer le réseau au niveau départemental est de permettre de savoir qui fait quoi et de mettre la victime au cœur de ce réseau. À partir du moment où elle est prise en compte par un des acteurs, le chemin lui sera beaucoup plus facile.

Mme Maryvonne Chapalain. Nous cherchons à créer un maillage, à faire en sorte que la victime n’ait pas à quémander à droite et à gauche, mais qu’elle soit correctement orientée dès le départ. Si nous avons beaucoup évolué, nous voulons encore améliorer le dispositif grâce à une meilleure prise en compte des victimes, à des brigades spécifiques, etc.

Mme Jeanny Marc. Je tiens à vous féliciter pour votre travail, mais je n’ai pas l’impression, dans ma circonscription, que cela se traduise concrètement.

S’agissant par ailleurs des auteurs et des victimes, peut-être faudrait-il garder la mesure en toutes choses. S’il est très important de porter assistance aux femmes victimes, il faut aussi se méfier de certaines dénonciations.

Mme Maryonne Chapalain. Il arrive que certaines femmes déposent abusivement plainte à l’encontre de leur conjoint, par exemple dans le cadre d’un divorce. Mais, globalement, les enquêteurs arrivent à faire la part des choses et à distinguer les vraies victimes de celles qui ne le sont pas.

M. Henri Jibrayel, président. Mesdames, nous vous remercions pour la qualité de vos informations et l’excellence de vos travaux.

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La mission a ensuite auditionné Mme Nicole Blaise, directrice du Relais de Sénart, Mme Hanitra Andriamandroso, chef de projet, et Mme Renée Marc, chargée de mission.

M. Henri Jibrayel, président. Nous accueillons à présent la direction du Relais de Sénart, représentée par Mme Nicole Blaise, directrice, Mme Hanitra Andriamandroso, chef de projet, et Mme Renée Marc, chargée de mission – M. Salah Belarbi, président, n’ayant pu se joindre à nous.

Si nous avons souhaité vous entendre, c’est parce que, au-delà de votre activité d’accueil et d’hébergement de femmes victimes de violences, vous menez un véritable travail de réflexion concernant les violences faites aux femmes, notamment les violences psychologiques.

En introduction, pourriez-vous nous présenter les activités du Relais de Sénart et, éventuellement, les difficultés que vous rencontrez ?

Mme Nicole Blaise, directrice du Relais de Sénart. Le Relais de Sénart a été créé en 1985 à l’initiative du syndicat d’agglomération de Sénart (SAN) – avant de devenir une association en 1997 – pour venir en aide aux femmes en difficultés sur le territoire, une enquête ayant révélé qu’un grand nombre d’entre elles en instance de séparation connaissaient de graves difficultés, en particulier de logement.

Très rapidement, l’équipe du Relais s’est rendue compte que la plupart de ces femmes vivaient des situations de violences conjugales, ce qui l’a conduite à se rapprocher de la Fédération nationale Solidarité femmes. Peu à peu, notre structure s’est spécialisée dans l’écoute téléphonique, l’accueil et l’accompagnement des femmes souhaitant parler de la violence et éventuellement des moyens d’en sortir. Dès le départ, elle a ainsi créé un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et développé un service d’urgence pour mettre femmes et enfants à l’abri.

Nous avons également mis en place une antenne d’écoute médico-sociale en créant un réseau de professionnels des secteurs public et privé de la santé et du social, chargé de venir en aide aux femmes comme aux hommes en très grande souffrance psychosociale.

Nous avons également développé un service d’aide au logement, pour les familles risquant d’être expulsées et pour les femmes sortant de notre centre d’hébergement.

Enfin, nous venons de créer – à la suite des travaux que nous avons menés dans le cadre d’un partenariat État-SAN en matière d’insertion professionnelle des femmes victimes de violences – un centre de formation sur les questions de violences conjugales et de comportement sexiste. Cette action nous a permis de faire deux constats.

Le premier est que les femmes ayant réussi à sortir de la violence conjugale ont généralement acquis pendant la période une stratégie de défense et de résistance qui leur permet de rebondir. Aussi avons-nous voulu nous donner les moyens d’aider les femmes à comprendre ce qu’elles avaient vécu.

Le second est que nos partenaires dans notre environnement professionnel se reposaient totalement sur nous, le Relais étant l’arbre qui cachait la forêt. Aussi une formation destinée aux intervenants dans tous les champs de l’action sociale – logement, forces de l’ordre, justice, santé, emploi, etc. – est-elle apparue nécessaire. C’est ce qui explique la création de ce centre de formation, où des séances de sensibilisation, des sessions de formation et d’animation de groupes de travail sont assurées pour tous les professionnels qui le souhaitent.

En résumé, nous travaillons directement auprès des femmes et des enfants victimes de violence conjugale, mais aussi auprès de nos partenaires et de l’ensemble des professionnels.

M. Henri Jibrayel, président. Toujours à Sénart ?

Mme Nicole Blaise. Après vingt-cinq ans de fonctionnement avec l’établissement créé à Sénart, nous avons ouvert voilà deux ans, à la suite d’une commande conjointe de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et de la Délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité, un deuxième établissement similaire dans le grand sud de la Seine-et-Marne, qui couvre les arrondissements de Provins et de Fontainebleau.

M. Henri Jibrayel, président. Le nombre de places d’hébergement dans votre département est-il suffisant ?

Mme Nicole Blaise. Nous disposons de 77 places – 47 dans un établissement, 30 dans l’autre – et nos structures sont toujours pleines. Nous connaissons même fréquemment des problèmes de saturation.

La difficulté tient au fait que, dans le cadre du Plan d’action renforcé en direction des personnes sans abri – PARSA – et du droit au logement – DALO –, toutes nos places d’urgence nous ont été retirées. Alors que nous pouvions mettre à l’abri immédiatement femmes et enfants sur le département, sans problème de suroccupation, grâce soit à des places hôtelières, soit à des places d’urgence que nous gérions toutes directement, les premières ont été confiées au 115 et les secondes ont été transformées en place d’insertion. Nous avons d’ailleurs rendez-vous demain à la préfecture pour parler de ce problème de gestion directe rencontré par toutes les structures spécialisées dans les violences conjugales.

Il faut également savoir que la mise à l’abri par l’intermédiaire du 115 pose la question de l’anonymat, car ce service exige les noms des personnes hébergées. Or les femmes en danger n’ont pas forcément envie que leur identité soit révélée. En outre, nombre d’auteurs de violences font le tour des hôtels pour essayer de retrouver leur compagne, et il est donc important, pour des raisons de sécurité, que l’hôtelier ne dispose pas des noms.

J’émets d’ailleurs le souhait que la question des violences conjugales, si elle doit toujours être traitée dans le cadre du droit commun, voit sa spécificité reconnue. Il est dommage de traiter de la même manière des femmes et des enfants mis à l’abri – qui sont des personnes, victimes d’un délit, traumatisées et en danger – et des SDF, en rupture pour d’autres raisons. Nous souhaitons un ajustement des dispositifs traditionnels à la problématique particulière des violences conjugales.

M. Henri Jibrayel, président. C’est la première fois que ce problème de mélange des genres entre femmes battues et SDF est évoqué devant nous.

Mme Nicole Blaise. Cela ne m’étonne pas.

M. Henri Jibrayel, président. Que pensez-vous du dispositif des familles d’accueil ?

Mme Nicole Blaise. À notre avis, cette idée n’est pas adaptée, pour trois raisons.

Pour certaines femmes, vivre dans une famille où tout va bien, est très dur car cela leur renvoie une image d’échec personnel. Au Relais, en se retrouvant avec d’autres femmes dans la même situation, elles se sentent beaucoup plus à l’aise.

Ensuite, le risque existe que les auteurs des violences surgissent chez les familles d’accueil. À cet égard, il peut arriver, sans doute parce que nous sommes connus, mais aussi parce que certaines femmes l’ont souhaité – la violence conjugale étant une situation complexe du fait des sentiments amoureux ou encore de la présence d’enfants –, que les auteurs de violences viennent sur place, là où travaille notre équipe. Ce sont alors des moments de grande tension, car on ne sait jamais dans quelles dispositions sont ces personnes. Pour l’instant, nous n’avons pas eu à déplorer d’agression contre l’équipe, mais nous prenons nos précautions : l’équipe a des consignes très claires et appelle immédiatement les forces de l’ordre si besoin.

Enfin – aspect non négligeable –, si la société a parfois une image très dégradée des femmes victimes de violences, la plupart d’entre elles sont très belles, très intelligentes. Mais les placer chez un couple alors qu’elles sont également très fragiles et en grande demande affective, est donc à mon avis risqué. Pour ma part, je ne les ferais pas venir à la maison !

M. Henri Jibrayel, président. Quelle est, vis-à-vis de l’accès à l’hébergement et au logement, la situation des femmes victimes en situation irrégulière ?

Mme Nicole Blaise. Elle est devenue dramatique. Nous n’avons même plus le temps de faire appel au préfet pour demander l’examen de leur dossier, car, dès qu’elles quittent le domicile, les auteurs les dénoncent à la préfecture. Or s’il n’y avait pas de suite avant, ce n’est plus le cas aujourd'hui. Voilà pourquoi certaines d’entre elles restent dans la violence conjugale pour ne pas avoir à faire face, en plus d’être en grand danger, à une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Pour les autres, c’est le parcours du combattant, avec un travail alors démultiplié pour l’équipe. Tout le monde est perdant.

Mme Catherine Coutelle. Voilà un an et demi, le préfet m’a tout de même fait savoir que des directives prévoyaient que les femmes battues sans papiers puissent être mises à l’abri et obtenir rapidement de la part de la préfecture des papiers et le droit d’asile.

M. Henri Jibrayel, président. Les directives ont-elles changé ou sont-elles appliquées différemment selon les préfets ?

Mme Nicole Blaise. Notre première OQTF date d’il y a deux ans. Aujourd’hui, ce phénomène est très régulier.

Ces situations sont beaucoup plus compliquées que par le passé. Non seulement ces femmes ne sont pas toujours prêtes à porter plainte car elles ont très peur, mais elles sont en situation irrégulière en quittant le domicile. Nous n’avons en tout cas pas reçu de consigne de ne pas accueillir, prendre en charge et héberger les femmes sans titre de séjour.

En revanche, en perdant nos places hôtelières, gérées dorénavant par le 115, nous n’avons plus la main sur les mises à l’abri. Et le 115 a des consignes pour que ces femmes soient hébergées trois jours, puis orientées immédiatement vers un autre organisme. Le circuit de la mise à l’abri a donc changé.

Nous orientons bien les femmes sous le coup d’une OQTF vers la Cimade, mais nous sommes alors obligés de les accompagner jusqu’à Paris. Aider ces femmes à se défendre et à avoir des droits est pour nous un travail gigantesque.

Auparavant, la régularisation des titres de séjour ne nous posait pas trop de problèmes – nous savions monter les dossiers, interpeller le préfet et la Délégation aux droits des femmes –, mais les choses ont beaucoup changé. Cela dit, nous n’avons pas eu de retour au pays jusqu’à présent.

M. Henri Jibrayel, président. Combien dure, en moyenne, un hébergement et combien de femmes retrouvent un logement définitif ?

Mme Nicole Blaise. Le temps de séjour en hébergement est très variable.

Pour les femmes dont le seul besoin est de sortir de la violence et de trouver un logement, les choses peuvent aller très vite, même si, aujourd’hui, le temps d’attente pour obtenir un logement social sur notre territoire est en moyenne de douze mois, contre six mois il y a six ans.

Certaines situations nécessitent un séjour plus long en hébergement, car des problématiques conjuguées avec la violence conjugale peuvent impliquer un travail d’accompagnement et de reconstruction. Un tel séjour peut aller jusqu’à deux ans, mais toujours avec un an d’attente d’un logement, ce qui est un gâchis financier car une place en CHRS coûte très cher : d’après mes calculs, l’attente d’un logement social représente un coût supplémentaire équivalent à quatre ans de loyer modéré.

Mme Pascale Crozon. Dans le cadre de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, dite loi Boutin, un article spécifique, porté par la Délégation aux droits des femmes, donne la priorité aux femmes victimes pour obtenir un logement. Nous comptons sur votre appui pour son application.

La plupart du temps, les bailleurs sociaux ne tiennent pas compte des situations prioritaires. J’ai pour ma part l’intention d’écrire à tous les bailleurs sociaux de ma circonscription pour leur rappeler cette disposition.

Mme Nicole Blaise. Je vous en remercie au nom des femmes victimes de violences, car toutes ces petites pierres peuvent les aider. Cela dit, pour siéger à la Commission de médiation sur le droit au logement opposable (DALO) en Seine-et-Marne, je sais que ce sont les bailleurs qui ont la main, même si la demande de logement émane du préfet. Certes, ils sont plutôt bienveillants, mais les femmes doivent remplir toutes les conditions requises.

Selon un rapport issu de notre travail avec l’Escale, une association du réseau Solidarité femmes située à Gennevilliers, il existe, outre la pénurie de logements, un grand nombre de freins au logement des femmes victimes de violences, qui pourraient cependant être levés de manière simple.

Si ces femmes ont besoin d’un logement immédiatement, la plupart des bailleurs n’attribuent pas de logement s’il n’y a pas d’ordonnance de non-conciliation. Le temps de la justice pose donc problème. Ces femmes peuvent aussi se retrouver avec des dettes en revenant dans leur logement après leur divorce, car leur conjoint aura pu tout casser et ne pas payer le loyer.

Nous avons formulé des propositions très claires pour résoudre ces problèmes auprès des organismes de logement social franciliens, rassemblés au sein de l’Union sociale pour l’habitat d’Île-de-France (AORIF).

Tout est compliqué en matière de violences conjugales. Des règles simples régissant les couples « normaux » deviennent totalement contre-productives, voire dangereuses pour les femmes victimes, comme la loi sur l’autorité parentale conjointe qui nous met en porte-à-faux au moment où nous mettons les femmes à l’abri.

Mme Nicole Blaise. Si l’éloignement du conjoint violent est une bonne mesure, les femmes se retrouvent, du jour au lendemain, dans une situation familiale complètement bouleversée à laquelle elles ne sont pas préparées. Le conjoint pouvait être utile pour conduire la voiture, pour rapporter un salaire, pour gérer les comptes – les femmes victimes n’ont souvent pas la maîtrise du budget –, ou encore pour garder les enfants si elles travaillent.

Nous devons, au moment de la mesure d’éloignement du conjoint violent, en être informés pour prendre contact avec les femmes et voir avec elles de quoi elles ont besoin : une aide financière, un mode de garde pour leurs enfants, un soutien moral, une protection du commissariat ou de la gendarmerie la plus proche au cas où le conjoint reviendrait au domicile.

Les associations du réseau sont prêtes à travailler avec les pouvoirs publics afin de rendre les mesures existantes efficaces. Sinon, on continuera à s’entendre dire que les femmes rouvrent la porte aux auteurs ! Or si elles le font, c’est souvent parce qu’elles n’ont pas le choix.

M. Bernard Lesterlin. Votre association a donc à la fois le statut de centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et la charge – vous avez parlé des SDF – d’accueillir une mixité de publics ?

Mme Nicole Blaise. Notre spécificité est d’être un CHRS dédié aux femmes victimes de violences conjugales. Même si certains collègues d’autres CHRS ont du mal à comprendre la nécessité d’une spécificité de ces centres, les femmes victimes de violences conjugales doivent être accueillies dans une structure faite pour elles où elles se sentent totalement sécurisées et comprises.

M. Bernard Lesterlin. Votre vision de la réinsertion semble passer par un lieu spécifique, sans mixité des publics. Comment conciliez-vous dans ces conditions la nécessité pour les femmes victimes de retrouver une vie normale ?

Mme Pascale Crozon. Pour avoir rencontré une association à Villeurbanne, inquiète que la mixité des CHRS soit prévue par la DDASS, je ne puis, pour ma part, qu’être d’accord avec la nécessité de ne pas mélanger les publics.

Mme Nicole Blaise. Surtout que se pose également un problème de compétences des équipes. Ce n’est qu’en commençant à travailler au Relais, voilà une quinzaine d’années, que j’ai compris la spécificité de la problématique des femmes victimes de violences conjugales, qu’il s’agisse de la compréhension du phénomène ou des actions à mener. J’ai alors réalisé que cela faisait vingt ans que je faisais n’importe quoi en matière d’appréhension des violences conjugales.

Comme dans le domaine de la justice, on croit que les pouvoirs publics suivent tous les mêmes règles. Or ce n’est pas le cas. Notre travail avec les DDASS, nos financeurs principaux, est en effet à géométrie variable : il dépend des équipes du département et même des époques. Nous avons vécu l’âge d’or du Relais de Sénart avec des équipes DDASS très attachées à ce que nous ayons les bons outils pour travailler. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. En outre, comme réseau national, nous constatons des pratiques divergentes à travers le pays.

Pour ce qui est de reprendre une vie normale, c’est bien entendu vers quoi doivent tendre les femmes victimes de violences, mais il y a un temps pour tout. D’abord, il faut un temps pour l’écoute puis vient le temps de la conscientisation et de la reconstruction.

Pour autant, nous ne travaillons pas de manière isolée pour orienter les femmes en matière d’emploi et de logement, mais en partenariat.

Notre travail consiste simplement à leur garantir un espace de liberté, de reconstruction et de sécurisation, pour elles et leurs enfants. Certaines n’ont pas besoin de réinsertion et se prennent en charge une fois hors de danger et après avoir à peu près réglé leurs problèmes juridiques, voire judiciaires.

Mme Hanitra Andriamandroso, chef de projet. Les femmes accueillies et hébergées au CHRS cumulent des problématiques différentes, car la violence conjugale détruit leur santé, leur vie professionnelle, leur relation avec leurs enfants. La spécificité de cette violence est que l’agresseur fait en sorte de rompre les liens, familiaux, sociaux, professionnels que la femme peut avoir tissés.

Pour se réinsérer socialement, il faut avoir au préalable reconstruit quelques liens avec sa famille et, surtout, s’être reconstruit soi-même. C’est ce qui explique ce temps de reconstruction nécessaire, sachant que les femmes accueillies pour l’année 2008 ont vécu en moyenne cinq ans avec un auteur de violences – mais cela peut aller jusqu’à quinze ans.

Comme l’a démontré le rapport Henrion de 2001, les femmes et les enfants victimes de violences familiales sont gravement traumatisés, comme des personnes ayant vécu une prise d’otage. Avec elles, nous essayons de prendre le temps de reconstruire son identité, son lien avec elle-même, ses liens sociaux, en vue de préparer son réinvestissement au niveau sociétal.

Il faut savoir que ces femmes ne sont pas enfermées ; elles ont un réseau social, elles emmènent ensemble leurs enfants à l’école, elles voient des gens.

Mme Nicole Blaise. Elles vivent, après notre intervention, en cohabitation dans des appartements répartis sur la ville nouvelle.

Mme Hanitra Andriamandroso. Nous les accompagnons dans toutes les démarches nécessaires, sachant qu’un stade obligé est la reconnaissance par la société de leur statut de victime d’une infraction et de la nécessité d’une réparation symbolique pour leur permettre de rebondir. Une fois reconnues victimes de violences et leurs problèmes de santé réglés, reste pour ces femmes à faire reconnaître leur droit à un logement autonome, sachant qu’elles doivent attendre en moyenne douze mois.

Mme Nicole Blaise. L’année dernière, sur cinquante femmes que nous avons accompagnées dans leur demande d’un logement autonome, quinze ont trouvé un relogement.

Mme Hanitra Andriamandroso. Si l’une l’a trouvé en deux mois, une autre avait dû attendre trente-six mois.

Les femmes veulent se réinsérer, elles n’ont pas vocation à être victimes toute leur vie, mais elles sont stigmatisées dans leur recherche d’emploi et de logement du fait de leur situation monoparentale. L’une des stratégies des auteurs de violences est d’ailleurs d’avoir beaucoup d’enfants, car ils savent qu’il est très compliqué pour une femme seule avec quatre ou cinq enfants de reconstruire sa vie, sans compter les problèmes d’argent.

Le temps passé dans notre environnement protecteur est nécessaire. La réinsertion sociale se fait tout doucement, au rythme de leur reconstruction.

M. Bernard Lesterlin. Comment réglez-vous le problème de la sécurité des femmes puisque l’établissement est éclaté en appartements répartis dans la ville nouvelle ?

Mme Nicole Blaise. Les appartements sont anonymes et l’adresse des femmes est au siège.

Mme Pascale Crozon. Très souvent, les femmes victimes ne partent pas à cause des enfants. Or on le sait : les enfants sont également victimes car ils subissent de plein fouet les violences exercées à l’égard de leur mère, et eux aussi devront se reconstruire.

Faire comprendre aux femmes qu’elles ne peuvent pas se réfugier derrière les enfants, car eux aussi sont victimes, les aide à quitter leur conjoint.

Mme Nicole Blaise. Toutes ne réussissent pas à partir car elles sont sous contrôle : si une possibilité se présente pour elles de s’échapper, bien souvent les auteurs le réalisent et resserrent leur emprise. En outre, si une femme arrive à partir avec ses enfants et que le conjoint la retrouve, il peut emmener les enfants par la force sans que la police puisse intervenir. Il a en effet autant de droits qu’elle sur les enfants, et c’est un de nos gros soucis. Il faut changer la loi !

Mme Pascale Crozon. Et s’il y a plainte ?

Mme Nicole Blaise. Cela ne change rien. Toute notre stratégie consiste à mettre en sûreté femmes et enfants – lesquels ne vont plus à l’école pour que les auteurs ne viennent pas les chercher à la sortie – jusqu’à ce que, dans le meilleur de cas, un référé en urgence soit pris. Mais encore faut-il que les éléments du dossier soient solides pour que le procureur se saisisse de l’affaire.

Les auteurs se servent des enfants car ils savent que s’ils les reprennent, la femme reviendra – alors que s’ils perdent, ils ne s’y intéressent plus du tout. Les enfants sont donc un enjeu considérable.

Expliquer aux femmes que leurs enfants sont en souffrance ne suffit d’ailleurs pas toujours. Aujourd’hui encore, il est en effet très compliqué de sortir de la violence conjugale : il faut non seulement déconstruire d’abord la violence conjugale comme elle s’est construite, c'est-à-dire à petit pas, mais encore affronter toutes les barrières juridiques, sociétales et sociales.

Les femmes qui s’en sont sorties nous disent toutes la même chose : sans le Relais, elles n’auraient jamais réussi à s’échapper des griffes de leur bourreau. Partir signifie en effet mettre sa vie en danger, et les victimes en ont parfaitement conscience : en restant dans la violence, elles sauvent leur vie, voire celle de leurs enfants. Le meurtre se produit quand l’auteur se rend compte que tout est perdu : il casse alors son jouet.

M. Henri Jibrayel, président. Ne pourrait-on pas imaginer d’inclure la suspension de l’autorité parentale dans une ordonnance de protection provisoire ?

Mme Nicole Blaise. On court alors le risque d’un placement des enfants. Certes, en accord avec la maman, nous faisons parfois des signalements auprès des autorités pour permettre aux enfants d’être protégés et, dans le meilleur des cas, elle les récupère assez vite. Mais cela peut aussi mal tourner.

Nous réfléchissons dans le cadre de la protection de l’enfance à un dispositif un peu particulier d’accueil mère-enfants victimes de violences conjugales, qui va sans doute être mis en place sur la commune de Guy Geoffroy. Il s’agit d’obtenir du juge un mandat de protection de l’enfance nous donnant l’autorité nécessaire pour prendre des décisions sans l’autorisation du père. Ainsi, dès l’instant où le juge les aura placés, si la femme n’en peut plus et si les enfants vont très mal, nous pourrions placer ces derniers en famille d’accueil quelque temps – dans la journée, la nuit ou en continu sur une courte période –, sans avoir besoin ni d’une levée de ce placement par le juge, ni de l’accord du père.

Mme Renée Marc, chargée de mission. Ces femmes culpabilisent également de passer avec leurs enfants d’un milieu relativement aisé à une situation difficile, car si le foyer est un lieu sécurisé, beaucoup font plusieurs établissements avec leurs enfants.

Elles sont également culpabilisées par leurs enfants qui leur reprochent d’avoir envoyé leur père en prison ou d’avoir fait venir les gendarmes. Sans oublier la belle-famille qui peut aussi les manipuler. Il faut qu’elles soient très fortes pour quitter leur milieu et partir avec les enfants.

Mme Catherine Coutelle. La question des enfants est majeure.

Je connais le cas d’un père à qui le juge aux affaires familiales avait retiré l’autorité parentale sur ses deux petites filles, car il battait leur mère – il avait également battu ses deux précédentes femmes et leurs enfants. Cet homme a fait appel et a gagné car, selon les juges, rien ne prouvait qu’il battait les deux petites. Le droit de visite a ainsi été rétabli, et la maman a été obligée de présenter ses filles, mais dans un lieu sécurisé. Le père n’est pourtant jamais venu, ce qui rejoint la remarque précédente sur l’attitude du père à l’égard des enfants une fois la femme partie.

Cette maman, qui avait refait sa vie, est tombée enceinte. Elle est alors venue me demander si l’autorité parentale du père pouvait être retirée sur les deux petites filles, craignant que, s’il lui arrivait quelque chose, celles-ci soient retirées de la garde de son nouveau concubin pour être remises au père qui non seulement ne les connaissait pas, mais était capable de les maltraiter. Or, rien ne permet de retirer l’autorité parentale au père en cas de violences conjugales. S’il arrive quelque chose à la mère, les enfants retournent chez le père violent. C’est un vrai problème.

M. Bernard Lesterlin. Si vous mettez en sûreté les femmes victimes de violences conjugales en attendant que les choses soient réglées par la justice, vous cachez de fait les enfants partis avec elles.

Mme Nicole Blaise. Nous sommes hors la loi.

M. Bernard Lesterlin. Si notre Mission réfléchit à la protection des femmes victimes de violences, les enfants doivent être aussi au cœur de ses préoccupations. Ils ne doivent pas être instrumentalisés par les adultes. Pour moi, faire des enfants ne crée que des devoirs et ne donne aucun droit. Ce n’est pas la tradition juridique française.

À cet égard, les enfants étant inévitablement otages, que préconisez-vous sur les plans juridique et législatif pour les protéger d’un parent comme de l’autre ? Ils n’ont en effet ni à souffrir de la situation de déséquilibre de leur mère ni à contribuer à la reconstruction de celle-ci.

Mme Hanitra Andriamandroso. La protection des enfants est un vaste sujet. Or la société a une réelle méconnaissance de la violence conjugale.

Lorsqu’un homme tue sa femme et ses enfants, les médias n’évoquent pas la violence conjugale, mais parlent de « drame de la séparation », de « drame familial », voire de « crime passionnel ». Mais on ne tue pas si on est passionné.

On doit donc s’interroger sur l’idéologie véhiculée qui conduit à parler facilement de « mauvaise mère », mais de « bon père », et de prise d’otage des enfants dans la résolution d’un « conflit de couple ». Les violences conjugales ne sont pas un conflit ! Dans un conflit, on s’explique ; dans une situation de violences conjugales, l’auteur dévalorise l’autre en permanence, parfois jusqu’à la mort, pour asseoir son autorité. En 2007, 166 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint !

La suppression de la notion de chef de famille en 1970 a été une avancée, de même que le partage à égalité de l’exercice de l’autorité parentale depuis 2005, mais il faudrait une réflexion spécifique sur l’exercice de l’autorité parentale dans ce cadre spécifique de l’enfance en danger.

Un homme qui maltraite sa femme, l’insulte, la dévalorise au quotidien, la frappe parfois au point qu’elle doive être hospitalisée, ne donne-t-il pas à ses enfants une image déplorable de lui-même et une image très dégradée de la mère, ce qui est déjà – les chercheurs du Québec ont effectué des études en la matière – un danger pour les enfants ? À quel point les enfants exposés à et témoins de la violence de leur père sur leur mère sont-ils considérés comme des victimes eux-mêmes ? Certes, les deux parents ont des droits, mais la mise en danger des enfants est dans ce cas bien réelle.

Mme Renée Marc. Les enfants sont instrumentalisés dès le départ. Les proches s’en aperçoivent quand la femme s’en va. C’est peut-être justement le moment où il faut aider ces enfants, mettre des mots sur leurs souffrances, leur dire que ce qu’ils ont vécu n’est pas normal.

À l’école, on dit aux enfants de ne pas être violents, de ne pas frapper leurs camarades. À la maison, on ne parle pas de la violence familiale, et les enfants se construisent avec ce secret. Il faut arriver à en parler au moment de la séparation, dire que c’est un délit.

Mme Nicole Blaise. Les enfants victimes ne peuvent pas comprendre que ce qu’ils vivent est mal s’il n’y a pas punition, s’il y a impunité en cas de faute. La société a donc une responsabilité envers eux.

Parmi ces enfants devenus adultes que je rencontre, les plus détruits sont ceux dont les parents sont restés dans la violence conjugale, la mère n’ayant jamais pu franchir le pas pour toutes sortes de raisons. Quand la mère a pu sortir de la violence, les enfants ont acquis un modèle de défense et, en général, arrivent un peu mieux à s’en sortir.

Quand il y a eu non pas condamnation, mais punition pour « non-devoir » – détruire la mère de ses enfants est pour moi une absence totale de devoir parental –, les enfants vivent mieux leur vie d’adulte. La société doit donc savoir dire non.

Mme Hanitra Andriamandroso. Sur le plan législatif, nous proposons de créer un délit spécifique des violences conjugales, car celles-ci doivent être nommées dans la loi.

M. Henri Jibrayel, président. Il faut être prudent sur ce point.

Mme Nicole Blaise. Nous avions demandé la suspension de l’autorité parentale pour les cas de violences conjugales, mais vous ne nous avez pas entendus. Nous renouvelons cette demande.

La création d’un délit de violences conjugales est une demande très forte de notre part. La violence conjugale n’existe pas dans la loi et pour les juges, on ne combat que ce qui est nommé.

Nous ne sommes pas véhémentes à l’égard des hommes, mais à l’égard des auteurs de violences qui représentent tout de même 10 % de la population masculine. La violence conjugale est une torture quotidienne infligée aux femmes concernées. On croit toujours avoir entendu le pire, mais le pire est encore pour demain, ce qui explique notre révolte, portée par l’ensemble de l’équipe.

Mme Nicole Blaise. Nous avons été désignés référents Violences conjugales pour les territoires de nos deux établissements. À cet égard, le projet sur les référents Violences conjugales parle d’un professionnel référent. Or un professionnel ne peut que s’épuiser sur un sujet aussi compliqué. Il faut choisir des structures et des équipes pluridisciplinaires. Celles qui font partie de notre réseau travaillent sur cette question depuis plus de trente ans.

Si notre département a retenu une structure, en l’occurrence Solidarité femmes, ce n’est pas le cas partout et c’est dommage.

M. Henri Jibrayel, président. Je vous remercie pour la passion que vous portez à ce problème.

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La mission a enfin auditionné M. Alain Kurkdjian, adjoint à la directrice du Service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE) au ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.

M. Henri Jibrayel, président. Nous continuons nos travaux par l'audition de M. Alain Kurkdjian, adjoint à la directrice du Service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE).

Nous souhaiterions, Monsieur le directeur, que vous nous présentiez l'action du SDFE dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes. Comment assurez-vous votre rôle de coordination ? Quel est le budget consacré, au niveau national, à la lutte contre les violences faites aux femmes ? Quel est le rôle de la commission nationale ?

Pour prolonger cette audition et compte tenu de votre rôle central dans ce domaine, nous vous ferons parvenir dans les prochains jours un questionnaire écrit, auquel nous vous remercions de bien vouloir apporter une réponse pour le milieu du mois de juin.

Je vous laisse à présent la parole pour un exposé introductif, qui ne manquera pas de susciter des questions de notre part.

M. Alain Kurkdjian, adjoint à la directrice du Service des droits des femmes et de l'égalité. Je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Mme Élisabeth Tomé, qui vient d’être nommée chef du Service des droits des femmes et de l’égalité et a dû remplacer Mme Létard pour participer à Prague à une réunion du Groupe de haut niveau sur la lutte contre les stéréotypes.

Le SDFE, placé auprès du ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, est le mécanisme institutionnel national en charge de la politique des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, ce service devrait devenir délégation interministérielle au sein de la Direction générale de la cohésion sociale et exercer un rôle d’impulsion, d’animation, de pilotage et de coordination afin de renforcer le rôle interministériel de ces structures et de légitimer l’interministérialité et la transversalité de la politique publique des droits des femmes et de l’égalité.

Le SDFE est constitué d’un service central et d’un réseau de chargées de mission départementales et de déléguées régionales. Ces dernières seront placées auprès des secrétaires généraux aux affaires régionales – les SGAR – dans les préfectures, et les chargées de mission départementales seront intégrées dans les directions départementales interministérielles de la cohésion sociale ou de la population – parfois dans les deux –, auprès du directeur départemental, avec une mission fortement interministérielle. Le champ de la cohésion sociale couvert par ces directions départementales interministérielles ne couvre cependant pas l’ensemble du champ d’intervention des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes et il nous faut donc travailler aussi avec le secteur de l’emploi et avec l’éducation nationale, la justice, la police et la gendarmerie.

Le service compte cinq champs d’intervention.

Le champ international et européen, tout d’abord, joue un rôle moteur pour la politique des droits des femmes. De fait, ce sont l’Europe et l’ONU qui ont demandé que chaque État identifie un mécanisme institutionnel national – qui, en France, est aujourd’hui le SDFE et sera demain la Délégation interministérielle. Outre la réunion du Groupe de haut niveau à Prague, nous sommes assez souvent sollicités pour diverses interventions, au nom des engagements pris par la France en matière de droits des femmes et d’égalité entre les femmes et les hommes.

Outre ce premier champ, notre service travaille selon quatre axes d’intervention.

Le premier est celui de la parité et de l’accès des femmes aux responsabilités dans tous les domaines – politique, entreprise ou vie sociale.

Le deuxième, très large, est celui de l’égalité professionnelle, qui couvre aussi la diversification des choix de formation, la mixité des emplois, l’égalité salariale et l’aide à la création d’entreprises par les femmes.

Le troisième axe d’intervention est celui du droit à la dignité, qui suppose en particulier l’information des femmes sur leurs droits, par l’intermédiaire notamment des centres d’information sur les droits des femmes (CIDF). Ceux-ci bénéficient d’un agrément de notre service et reçoivent de lui, à ce titre, un financement important qui, s’il ne couvre pas l’intégralité de leur budget, a du moins été stabilisé ces dernières années à la demande des ministres malgré les réductions budgétaires subies par notre programme. C’est dans ce troisième d’axe d’intervention que se situe également le plan de lutte contre les violences faites aux femmes.

Un quatrième axe porte sur la conciliation – on parle parfois d’« articulation » – des temps de vie, que nous ne voulons pas limiter à l’articulation entre vie professionnelle et vie familiale, mais que nous souhaitons traiter globalement en y intégrant d’autres temps de vie qui participent à l’autonomie des femmes.

Ces axes s’accompagnent de thématiques transversales, portant notamment sur les femmes immigrées et issues de l’immigration, ou sur les femmes et la pauvreté – on sait en effet à quel point les violences favorisent cette dernière.

Notre service organise des réunions thématiques interrégionales, pour lesquelles le territoire français est divisé en trois grandes interrégions. La thématique choisie cette année dans ce cadre est précisément « Femmes et pauvreté », qui anticipe l’un des axes prioritaires fixés par l’Europe pour 2010 et dont le Groupe à haut niveau aura inévitablement à traiter.

Le plan interministériel 2008-2010 de lutte contre les violences, présenté par la secrétaire d’État le 26 novembre 2007 structure l’action de notre service dans ce domaine. Le programme 137, souvent décrit comme l’un des plus petits programmes de l’État, ne mobilise qu’une partie des moyens qui peuvent être mis en œuvre. Au titre de la lutte contre les violences, 5,4 millions d’euros sont alloués aux CIDF. Outre l’information, d’autres actions sont financées à hauteur de 3,5 millions d’euros en 2008 – contre 3 millions d’euros en 2007. Nous avons en effet choisi, dans le cadre d’un budget contraint et malgré les réductions budgétaires, des redéploiements de crédits vers des actions prioritaires, comme les activités de la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF), dont nous finançons également le réseau local, la mise en service du numéro unique 3919, créé à la demande de Mme Vautrin, alors ministre, ou le déménagement de la FNSF destiné à lui permettre de mieux répondre aux appels téléphoniques.

Plus large que le plan précédent, qui se limitait aux violences au sein du couple, le plan interministériel 2008-2010 aborde toutes les formes de violences envers les femmes et nous nous efforçons de mettre en œuvre son aspect interministériel, avec l’ensemble de nos partenaires ministériels ou associatifs. Les grandes thématiques de ce plan, qui a vocation à briser les tabous et à libérer la parole des femmes, portent notamment sur les mutilations sexuelles féminines, les mariages forcés, la violence au travail et toutes les formes de violences recensées. Le respect et la lutte contre les stéréotypes sont à cet égard particulièrement importants.

Une convention interministérielle a été conclue, entre autres partenaires, avec l’éducation nationale. Elle comporte trois aspects.

Tout d’abord, nous nous mobilisons afin de mieux traiter en amont la diversification des choix d’orientation, traitée jusqu’à présent au collège, au lycée, puis dans l’enseignement supérieur.

Le deuxième aspect est celui du respect et de l’information sexuelle, en réponse à la dégradation observée chez les jeunes en la matière. Si nous parvenons à lutter dès le plus jeune âge en mobilisant l’ensemble de la communauté – et pas seulement la communauté éducative –, nous pourrons anticiper les phénomènes de violence. Une première réunion interministérielle et interacadémique, organisée avec Mme Marie-Jeanne Philippe, recteur de l’académie de Besançon, qui préside le comité de pilotage de la mise en œuvre de cette convention interministérielle, a déjà permis d’insister sur ces questions auxquelles nous sommes très sensibilisés, en nous appuyant notamment sur des travaux statistiques réalisés dans certaines académies, où les violences subies par les femmes – élèves ou enseignantes – montrent que l’ensemble de la communauté éducative doit être sensibilisé, mais aussi que ce problème doit être pris en compte dès le plus jeune âge.

Le troisième volet de la convention interministérielle est consacré à la formation des maîtres. Ainsi, on a observé que la notation tend à être plus indulgente pour les garçons que pour les filles en mathématiques, et que l’inverse est vrai en français. De tels thèmes sont abordés avec beaucoup de pragmatisme lors de ces réunions interacadémiques, avec l’ensemble des acteurs territoriaux des services déconcentrés et des autres partenaires des ministères signataires de cette convention.

M. Jean-Luc Pérat. Quelle définition donnez-vous de la pauvreté ?

Quelle place faites-vous aux élus des communes et départements pour démultiplier l’action menée ?

Enfin, ne croyez-vous pas que le respect, que vous évoquez à juste titre, devrait être un axe prioritaire de l’éducation nationale, ainsi que la formation des maîtres et l’encadrement dans les établissements, nécessaires pour permettre à chacun de vivre dans la société ?

Mme Pascale Crozon. Si les déléguées départementales restent intégrées aux préfectures auprès des secrétaires généraux, les chargées de mission départementales s’inquiètent à juste titre des problèmes que posera leur prochain rattachement à la direction de la cohésion sociale, qui les privera de l’autonomie, notamment budgétaire, dont elles jouissaient jusqu’à présent.

Par ailleurs, la parité, dont on se gargarise et qui est, de fait, pratiquement acquise au niveau des exécutifs régionaux, est loin d’être atteinte au sein de notre assemblée, où les femmes ne représentent que 18,6 % des députés, ce qui place la France au 58e rang mondial en la matière. Quant au Sénat, la représentation des femmes n’y dépasse pas 23 %, grâce notamment à l’introduction d’une part de proportionnelle. Avez-vous une réflexion sur cette question, qui pose d’ailleurs un important problème pour l’avenir, dans l’hypothèse où la fusion entre conseils régionaux et conseils généraux recommandée par la commission Balladur s’accompagnerait d’un scrutin uninominal, qui interdit l’application de la loi sur la parité ? Les associations partagent notre inquiétude sur ce point.

Dans la vie professionnelle enfin, les femmes n’occupent que 10 % des postes dans les conseils d’administration des entreprises, et un effort important est nécessaire pour améliorer cette situation. Une proposition de loi sera vraisemblablement déposée en ce sens et j’espère qu’elle sera votée très largement.

M. Henri Jibrayel, président. Que pensez-vous de la création d'un Observatoire national consacré aux violences faites aux femmes ? Cette fonction pourrait-elle être intégrée dans celles de l'Observatoire de la parité ?

Comme vous le savez, la lutte contre les violences faites aux femmes sera déclarée en 2010 grande cause nationale. Quels seront les moyens supplémentaires qui lui seront alloués à cette occasion ?

M. Alain Kurkdjian. Notre approche de la pauvreté est relativement large et nous préciserons mieux sa définition à l’issue de nos travaux.

La pauvreté est d’abord monétaire : dans ce domaine, l’écart entre les femmes et les hommes est de deux points. Pour ce qui concerne la retraite, la situation se détériore. Les inégalités de carrière ne sont que l’un des facteurs qui l’expliquent en amont et j’ai demandé qu’on étudie cette question.

Le Conseil national des missions locales dispose d’intéressantes statistiques sexuées, qui font apparaître que, si les femmes de 16 à 25 ans sont plus diplômées que les hommes, celles qui souhaitent prendre leur autonomie, plus nombreuses que les garçons, se trouvent plutôt dans des foyers ou dans divers hébergements de fortune après avoir quitté leur famille. Ces jeunes femmes, qui peuvent avoir des charges de famille et ont parfois plusieurs enfants de pères différents, sont dans l’antichambre des minima sociaux et ont peu d’autonomie. Priorité doit être donnée à leur insertion professionnelle et je vais demander que l’on prête grande attention à leu situation. Faut de pouvoir leur offrir une véritable insertion professionnelle, le décalage de carrière les maintiendra dans des situations de précarité et de pauvreté, puis leur interdira de bénéficier d’une retraite leur permettant de vivre correctement.

J’ai également demandé que l’on s’intéresse davantage à la pauvreté des femmes en milieu rural, qui est aussi très importante. Lors de la première réunion interrégionale que j’ai animée récemment à Angers, nous avons entendu des récits très préoccupants à cet égard : la plupart de femmes en situation de pauvreté se cachent – parfois même dans des buissons ! – par honte de cette situation.

La pauvreté a également des effets collatéraux, notamment sur la santé de ces femmes, d’autant plus difficiles à traiter qu’elles se laissent aller. Celles-ci connaissent un isolement et une dépersonnalisation considérables. Ce sont là des questions que nous aurons à traiter.

Il nous faut présenter, dans le cadre de la lutte que nous menons en France contre les exclusions, une stratégie, un plan d’action destiné aux femmes, qui subissent plus que les hommes ces phénomènes de pauvreté et de précarité. Tel est l’objectif de ces réunions interrégionales et j’espère que nous saurons être une force de proposition, non seulement pour des actions destinées à être menées par le SDFE ou par la Délégation, mais aussi au plan interministériel. La Direction générale de la cohésion sociale, chargée de la lutte contre les exclusions, devrait nous aider à traiter spécifiquement ce phénomène.

Que ce soit au niveau des communes ou des départements, les élus ont une grande importance, que nous nous efforcerons de mieux valoriser. À cette fin, nous reprendrons contact avec l’Association des régions de France, l’Assemblée des départements de France et l’Association des maires de France, qui mènent des actions très importantes dans le domaine des luttes contre les violences. Nous ne pouvons que nous féliciter du partenariat qui se développe avec les collectivités territoriales. Même si le document de politique transversale que vous avez voté porte sur les actions menées par l’État dans le cadre des budgets qu’il alloue à différents programmes, nous nous attacherons également à identifier dans ce cadre, conformément à la demande de la représentation nationale, l’action de l’ensemble de nos partenaires, notamment des collectivités territoriales, et les moyens mobilisés.

Le respect est un enjeu très général, qui concerne donc aussi pour l’éducation nationale. Dans le champ qui nous intéresse, les violences que subissent les jeunes filles ou les femmes, notamment dans les enceintes scolaires, par manque de respect, doivent être combattues. L’un des grands objectifs de notre partenariat avec l’éducation nationale consiste à développer ce type d’actions et nous allons élaborer un véritable plan d’action en la matière. La question fait d’ailleurs déjà l’objet de discussions avec Marie-Jeanne Philippe au sein du comité de pilotage qui nous aidera à sensibiliser l’ensemble de nos partenaires, comme les responsables du ministère de l’éducation nationale. Compte tenu de la détérioration des chiffres dont nous disposons en matière de respect, il faut enrayer ce phénomène préoccupant.

Les réunions interacadémiques doivent également permettre de progresser en matière de formation des maîtres. Celle-ci doit intégrer la dimension de ce que la terminologie européenne appelle le « genre ». Le SDFE devra donc être une force de proposition pour les établissements de formation des maîtres.

Mme Catherine Coutelle. Ils sont en train de disparaître. Ce sont les universitaires que vous devrez convaincre !

M. Alain Kurkdjian. Nous avons commencé à y travailler. J’ai demandé que l’on recense les enseignements dispensés dans les universités, afin de travailler en partenariat avec celles-ci et de les convaincre d’intégrer la dimension du genre dans leurs enseignements. La tâche est certes difficile, mais notre action doit être volontariste si nous voulons des résultats, sans démissionner d’emblée à l’idée que nos interlocuteurs seront difficiles à convaincre. Il faut utiliser les outils disponibles, comme le règlement intérieur ou le projet d’établissement, en leur donnant du sens.

J’en viens aux inquiétudes des chargées de mission départementales et tiens d’abord à souligner que nous souhaitons optimiser nos choix d’organisation. Pour ce qui est tout d’abord de la crainte des effets réducteurs de l’ancrage de ces chargées de mission auprès de la direction départementale de la cohésion sociale et de la population, je précise que nous donnerons aux préfets et aux préfigurateurs des directions départementales interministérielles des instructions visant à éviter que cette politique ne soit diluée dans les champs d’action de cette direction et à faire reconnaître la légitimité de ces chargées de mission au-delà du champ de la cohésion sociale. Une instruction du Premier ministre sur l’organisation territoriale, en cours d’achèvement, permettra de préciser en ce sens le rôle des déléguées régionales et des chargées de mission départementales.

Le tout récent décret SGAR prévoit que les déléguées régionales animent et coordonnent, sous l’autorité du SGAR, le réseau des chargées de mission départementales – ce qui suppose qu’une chargée de mission départementale soit clairement identifiée dans chaque département. Ces chargées de mission doivent disposer d’une autonomie qui leur permette d’être très réactives. Il a été bien précisé, notamment avec la Mission interministérielle pour la réforme de l’administration territoriale de l’État (MIRATE) que l’intégration dans les directions départementales interministérielles ne devait en aucun cas être un frein à la mise en œuvre de cette politique publique. Cela sera, je le répète, écrit sous la signature du Premier ministre, responsable de l’organisation territoriale.

Pour l’essentiel, nous nous inspirerons des courriers par lesquels M. Xavier Bertrand, alors ministre, et Mme Valérie Létard indiquaient aux préfets le positionnement et les missions des déléguées régionales et des chargées de mission départementales, ainsi que l’articulation des rôles de ces dernières. Il conviendra que les directeurs départementaux interministériels intègrent bien cette dimension du genre, afin d’éviter, je le répète, que cette politique publique ne soit réduite au champ de la cohésion sociale et de la population. En tout état de cause, cette politique interministérielle ne peut réussir au niveau départemental – c’est-à-dire à celui de la proximité – sans une personne référente qui soit capable de la mettre en œuvre et de l’animer territorialement.

La demande formulée par les chargées de mission départementales de disposer d’un budget pose une question délicate. De fait, la décision ministérielle de reconduire les crédits du CIDF, le fléchage de nos budgets sur les contrats d’égalité et de mixité ou sur le Prix de la vocation scientifique et technique sont, entre autres, des contraintes qui pèsent sur notre propre budget et les masses disponibles sont donc très réduites – de l’ordre de 40 000 euros en moyenne par département. Nous préférons donc mutualiser les moyens au niveau régional, afin de renforcer l’effet levier des crédits que nous allouons à certaines associations. En outre, l’animation de réseaux locaux a elle aussi un effet levier qui permet parfois de mobiliser des financements de la part d’autres partenaires. Ces deux approches doivent être conjuguées.

M. Bernard Lesterlin. Pouvez-vous nous rappeler combien pèse le programme 137 ?

M. Alain Kurkdjian. Les crédits de fonctionnement de ce programme, représentant la masse salariale du personnel du service central et du réseau et une partie des moyens de fonctionnement du réseau – car s’y ajoutaient jusqu’à présent des moyens mis à disposition par les préfets, appelés toutefois à décroître – s’élèvent à 11 millions d’euros environ, y compris le CAS pension. Les dépenses d’intervention représentent environ 16,5 millions d’euros, dont une part importante est contrainte. Après mise en réserve de crédits, le montant moyen disponible par département, est, je le répète, de l’ordre de 40 000 euros, ce qui est dérisoire.

Dans le cadre de la double approche – intégrée et spécifique –, nous comptons plutôt nous appuyer sur nos partenaires plutôt que gérer nous-mêmes des actions que les petites dimensions du programme 137 ne permettent pas de mener à bien. Il est cependant nécessaire d’avoir la capacité d’assumer notre rôle d’animation et de jouer un effet levier. Ces informations devront figurer dans le document de politique transversale. En effet, comme l’a déjà souligné la Cour des comptes, l’effet levier devra pouvoir être mesuré, notamment pour permettre à la représentation nationale d’avoir une vision globale des services et de la politique menée en matière de droits des femmes et d’égalité.

Je ne partage pas l’inquiétude exprimée quant à une erreur stratégique de positionnement qui se traduirait par le risque de voir disparaître l’autonomie dont disposaient les chargées de mission départementales. Nous devrons cependant veiller au positionnement de ces dernières et à mettre en position de responsabilité le directeur départemental, qui ne doit pas être un frein, mais plutôt un accompagnateur et un accélérateur du rôle de nos chargées de mission départementales. Cela dépendra de notre capacité non seulement à convaincre, mais aussi, le cas échéant, à imposer nos vues.

Le fait que, selon les termes du décret SGAR, les déléguées régionales animent et coordonnent le réseau des chargées de mission départementales sous l’autorité de préfets devrait nous permettre de renforcer leur position et de leur donner la légitimité nécessaire pour porter l’intégralité de cette politique publique, et non pas seulement, comme je l’ai déjà dit, le seul champ de la cohésion sociale dilué en quelques actions et thématiques au sein des directions départementales.

Quant à la parité, nous sommes en train d’élaborer une réflexion en la matière. Nous devons en effet travailler davantage dans ce champ, où nous sommes peu intervenus jusqu’à présent, mais qui fait cependant partie des politiques des droits des femmes et de l’égalité. Cela se fera en partenariat avec d’autres, notamment avec l’Observatoire de la parité, avec lequel nous collaborons déjà en ce sens.

L’égalité dans la vie professionnelle est également un champ dans lequel nous travaillons déjà. L’accès des femmes aux responsabilités dans les entreprises est un thème important. Nous nous appuierons sur des actions exemplaires pour développer cet accès des femmes aux responsabilités dans l’entreprise.

Mme Pascale Crozon. Il me semble qu’un amendement de la Délégation aux droits des femmes, tendant à imposer la parité au sein des conseils d’administration, avait été adopté par notre assemblée et supprimé par le Sénat.

M. Alain Kurkdjian. Si l’égalité existe en droit, l’égalité réelle n’existe pas et nous devons accompagner ces textes afin de mobiliser l’ensemble de la collectivité sur ces questions.

Nous avons à cet égard deux axes de travail. Le premier est le label égalité, qui engage les entreprises à entrer dans une démarche d’égalité professionnelle. Avec 44 entreprises labellisées, ces labels sont encore peu nombreux, mais ils concernent 800 000 salariés. J’ai demandé au club des entreprises labellisées de nous indiquer en quoi cette démarche a été bénéfique pour les entreprises et pour les salariés. De fait, des progrès ont été réalisés dans de nombreuses entreprises quant à la représentation des femmes dans les conseils d’administration. Ces expériences doivent donc être mises en valeur pour montrer que ces progrès sont possibles et bénéfiques.

Par ailleurs, nous souhaitons mettre en place l’égalité professionnelle dans les fonctions publiques, en commençant par la fonction publique d’État. En effet, même si les taux sont parfois meilleurs que ceux que l’on observe dans les entreprises, ils ne sont pas encore satisfaisants. En outre, il conviendrait que la fonction publique puisse montrer aux entreprises qu’elle se conforme elle-même à ce qu’elle leur demande. Le ministre a souhaité que son ministère s’engage, à titre exemplaire, dans cette démarche d’égalité professionnelle.

Monsieur le président, vous proposiez la création d’un Observatoire de la lutte contre les violences et son intégration à l’Observatoire de la parité. De fait, la mise en œuvre de plans d’action suppose une observation précise, pour laquelle nous disposons d’ailleurs déjà de divers outils. Pour ce qui concerne les violences, plusieurs organismes interviennent déjà, comme l’Observatoire national de la délinquance. Des études et des statistiques restent nécessaires. Quant à savoir si ce travail peut relever d’une mission élargie de l’Observatoire de la parité, je ne suis pas certain que cette confusion des problématiques, dont les effets réducteurs ont notamment été dénoncés lors d’un récent colloque organisé au Conseil économique, social et environnemental, recueille l’unanimité. J’avais proposé à Mme la présidente de la Délégation aux droits des femmes et aux membres de l’Observatoire de la parité que ces actions soient réalisées plutôt dans la complémentarité que dans l’opposition.

M. Henri Jibrayel, président. C’est bien l’esprit de ma proposition !

M. Alain Kurkdjian. Un tel mécanisme poserait en outre la question du devenir de la Commission nationale contre les violences envers les femmes, qui est pour la ministre un outil très important de suivi de la mise en œuvre du plan. Cette commission interministérielle, à laquelle sont associés des partenaires associatifs, permet d’avancer sur plusieurs axes et priorités du plan de lutte contre les violences. Pour ce qui est de la création d’un observatoire, il conviendra notamment de savoir s’il doit s’agir d’une structure distincte ou s’il faut regrouper des structures existantes – ce qui présente selon moi le risque de générer des effets réducteurs.

La réalisation d’études est importante, car ces études apporteront un élément qualitatif aux données statistiques dont nous disposons. L’ensemble permettra une vision plus précise. J’ajoute que, si l’Observatoire national de la délinquance dispose de statistiques qui intéressent les violences faites aux femmes, il convient néanmoins de procéder à des investigations plus poussées sur ce point.

M. Henri Jibrayel, président. Qu’en est-il de la proclamation, prévue pour 2010, des violences faites aux femmes comme grande cause nationale ?

M. Alain Kurkdjian. Dans le cadre de la programmation budgétaire pluriannuelle pour 2009-2011, les budgets annuels ont été arrêtés pour chacune des trois années. La campagne d’intérêt général souhaitée par le Premier ministre est une première étape, qui doit donner une dimension particulière à la campagne particulière que la ministre va bientôt présenter. Le Premier ministre a souhaité que la lutte contre les violences faites aux femmes soit déclarée grande cause nationale en 2010 et nous étudions la dynamique que nous pourrons donner à cette lutte dans ce cadre et les moyens dont il faudrait disposer dans un cadre budgétaire contraint. Compte tenu du petit budget dont nous disposons et du fait que l’action que nous sommes chargés d’animer se réalise aussi dans d’autres ministères, faut-il que nous disposions de moyens supplémentaires ?

M. Henri Jibrayel, président. Le Gouvernement n’a-t-il pas prévu d’affecter un budget particulier à cette « grande cause » ?

M. Alain Kurkdjian. Je partage votre surprise, mais vous me permettrez de ne pas insister. Si nous devons plaider pour des moyens budgétaires adaptés, il devra s’agir de moyens sur le programme 137, de moyens d’accompagnement de la politique interministérielle et de moyens pour les autres programmes budgétaires fléchés au profit de cette politique.

M. Henri Jibrayel, président. Au terme des auditions auxquelles nous procédons depuis plusieurs mois, il semble que cette déclaration d’une grande cause nationale soit l’occasion de donner à tous les intervenants un signal fort, accompagné des moyens correspondants. Si la volonté politique ne se traduit pas par une volonté financière, la déclaration restera symbolique.

Mme Catherine Coutelle. Monsieur le directeur, il est normal qu’en tant que fonctionnaire vous défendiez la politique du Gouvernement. Pour ma part, je n’y crois pas du tout. Il ne s’en dégage aucune visibilité ni aucune ambition – et je ne suis pas la seule à le regretter au sein de la Délégation aux droits des femmes. Il n’y a plus aujourd’hui de politique du droit des femmes : comme vous l’avez bien décrit, celle-ci est transversale, noyée et privée de moyens. C’est un véritable abandon et une véritable violence politique.

La Délégation au droit des femmes s’est déjà inquiétée de constater la légèreté des dispositions du décret SGAR relatives aux déléguées régionales. J’ignore si nos commentaires ont donné lieu à modification de ce texte.

Je souligne par ailleurs que la commission départementale des violences faites aux femmes a été supprimée et noyée dans la structure départementale consacrée à la délinquance. Je le répète, la visibilité de cette politique est nulle, à telle enseigne que, lors de l’examen du budget, je ne savais pas, sur les quatre ministres présents, auquel je devais adresser mes questions.

M. Bernard Lesterlin. Je crois utile de rappeler que le SGAR est le secrétaire général aux affaires régionales d’un préfet. Le statut de rattachement au préfet avait jusqu’à présent pour conséquence concrète que, lorsque celui-ci réunissait ses chefs de services au niveau départemental, la déléguée au droit des femmes était présente, ce qui ne sera désormais plus le cas, puisque, pour de simples raisons de hiérarchie et d’organigramme, c’est le directeur du service de la cohésion sociale qui participera à ces réunions. Il ne me semble pas judicieux de rattacher une « grande cause nationale » à une strate hiérarchique de l’administration de l’État plutôt qu’au préfet lui-même, qui est en effet le représentant de l’État et a autorité sur les directeurs des services extérieurs de l’État. Je crains donc que le rattachement à un secrétaire général – qui est sous-préfet – ne représente pas une promotion de la fonction que l’on voudrait défendre.

Mme Catherine Coutelle remplace M. Henri Jibrayel à la présidence.

M. Alain Kurkdjian. Notre service s’emploiera à accompagner la décision de rattachement des déléguées au SGAR et à la mettre en œuvre dans les meilleures conditions possibles, dans l’intérêt des déléguées régionales et pour assurer la visibilité et la légitimité de cette politique publique à tous les niveaux – national, régional ou départemental.

La circulaire que nous sommes en train d’élaborer portera sur les missions des déléguées régionales et des chargées de mission départementales, afin de leur assurer un positionnement très clair en vue de leur rôle d’animation, de pilotage et de mise en œuvre de cette politique publique, chacune à son niveau. Chacune de ces missions devra être clairement établie et les SGAR devront, sous l’autorité des préfets, faire en sorte que cette fonction interministérielle puisse être exercée dans les meilleures conditions possibles.

Les contacts que j’ai eus avec les SGAR m’ont montré que ceux-ci étaient assez réceptifs au message que nous nous efforçons de transmettre et à l’intérêt de cette politique publique, à charge pour nous d’en expliquer la nature et les avantages que chacun peut en retirer, ainsi que de montrer qu’elle doit être mise en œuvre à tous les niveaux. Cela suppose que les SGAR assument pour les déléguées régionales aux droits des femmes et que les directeurs départementaux assument pour les chargées de mission départementales un rôle d’impulsion sur le plan territorial, en vue de la mise en œuvre des grandes orientations du document de politique transversale. L’organisation territoriale ne doit pas être un obstacle à la mise en œuvre de cette politique interministérielle et transversale, qui passe par les orientations du programme de chaque ministère et par l’organisation territoriale des services déconcentrés. Nous y veillerons.

L’approche intégrée de l’égalité doit avoir du sens. Notre rôle ne consiste pas seulement à l’observer, mais à l’accompagner. Nos partenaires institutionnels, qui dans l’ensemble se sont approprié cette politique publique, attendent que nous soyons une force de proposition et nous allons nous employer à l’être. Notre pays a pris des engagements internationaux et doit être capable de renforcer leur mise en œuvre.

Mme Catherine Coutelle. Monsieur le directeur, je vous remercie d’avoir répondu à nos questions. Le fait que bon nombre d’entre elles portaient sur la politique générale d’égalité des droits des femmes, et non pas seulement sur la lutte contre les violences faite aux femmes, traduit bien notre inquiétude en la matière.

La séance est levée à vingt heures dix.

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