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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 16 octobre 2007

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Henri Revol, sénateur, Président

– Audition de M. Jacques Stern, président du conseil d’administration de l’Agence nationale de la recherche (ANR), et de Mme Jacqueline Lecourtier, directrice de l’ANR

L’Office a procédé à l’audition du président du conseil d’administration de l’Agence nationale de la recherche (ANR), M. Jacques Stern, et de sa directrice, Mme Jacqueline Lecourtier.

M. Henri Revol, sénateur, président, après avoir rappelé les parcours professionnels des deux personnalités auditionnées, a indiqué le cadre dans lequel se plaçait l’audition. L’ANR s’est transformée le 1er janvier 2007 en établissement public administratif, en application du décret du 1er août 2006. Plus de deux ans après sa création, il est désormais possible de dresser un premier bilan de l’activité de l’ANR, qui est dotée cette année d’un budget de 825 millions d’euros pour financer des projets de recherche d’une durée maximale de quatre ans.

Il a alors évoqué quelques grandes questions : le fonctionnement des appels à projet et son aptitude à faire émerger de nouvelles thématiques de recherche, le développement de la recherche partenariale avec les entreprises, la création d’entreprises innovantes et la part prise par les pôles de compétitivité, la simplification des circuits de financement des laboratoires et, enfin, le positionnement de l’ANR par rapport à d’autres financeurs comme l’Agence de l’innovation industrielle (AII).

M. Jacques Stern, président du conseil d’administration de l’ANR, a tout d’abord souligné la pertinence d’une recherche fondée sur des projets et le partenariat avec les entreprises, en complément des recherches financées sur les ressources récurrentes des laboratoires. L’ANR s’est rapidement insérée dans le paysage de la recherche française et constitue un dispositif bien accepté. Elle favorise la mise en relation des chercheurs des universités et des grands établissements avec des entreprises grandes ou moyennes. Les sciences et technologies de l’information et de la communication (STIC) et l’énergie sont les domaines où la collaboration avec les entreprises est la plus forte. Globalement, la recherche partenariale représente 22 % de l’ensemble des projets de l’ANR.

Dans ce domaine, l’ANR n’a toutefois pas vocation à prendre la place d’autres acteurs du dispositif de recherche. Ainsi, contrairement à l’AII qui finance des projets de 40 à 50 millions d’euros sur 7 ou 8 ans avec de grands industriels, l’ANR finance des projets sur une durée de 3 ou 4 ans, à la fois plus ciblés et moins coûteux, en moyenne 600 à 800.000 euros.

Mme Jacqueline Lecourtier, directrice de l’ANR, a indiqué que l’ANR permettait de nouer des partenariats avec environ 300 PME chaque année, avec un fort taux de renouvellement. Ces partenariats sont très variables selon les thématiques, les entreprises n’ayant été parties prenantes que de 6 % des programmes dits blancs en 2006.

L’envoi à l’ANR d’environ 6.000 projets de recherche par an, avec des premiers résultats significatifs, montre qu’une dynamique a été créée. 30 % du budget est consacré aux programmes blancs, sans thématiques prédéfinies et visant à faire émerger des projets de rupture et à encourager les jeunes équipes les plus dynamiques. Elle a cité en exemple, des percées de recherche effectuées sur la simulation de l’univers ou sur le photon.

Dans le cadre des programmes thématiques définis en fonction des priorités économiques ou sociétales, le rôle de l’ANR est de faire émerger des consortiums pluridisciplinaires autour de sujets innovants comme les biocarburants de troisième génération, les nouveaux matériaux de stockage du CO2 ou le séquençage du génome de la vigne.

Les programmes thématiques partenariaux ont, quant à eux, vocation à favoriser le développement d’outils collaboratifs et le développement de technologies précompétitives comme le thermosoudage du bois, le développement de biomatériaux ou de technologies « 3D » pour faciliter le télétravail.

L’ANR a également permis l’émergence de 7 entreprises nouvelles dans le cadre du concours de création d’entreprises innovantes.

L’intégration des sciences humaines et sociales (SHS) à cette démarche est très prometteuse. Alors qu’aucun projet n’avait été soumis en 2005, ce sont 600 projets qui l’ont été en 2006 à la suite des démarches effectuées par l’ANR.

Les pôles de compétitivité soumettent un nombre croissant de projets dont le taux de succès (42 %) est supérieur au taux moyen d’acceptation des projets (25 %). Cette situation est due à l’amélioration de la gouvernance des pôles qui préparent mieux leurs projets, renforçant ainsi leur pertinence et leur crédibilité scientifique.

Répondant ensuite à M. Henri Revol, sénateur, président, qui l’interrogeait sur le processus de programmation de l’ANR et de sélection des projets de recherche, Mme Jacqueline Lecourtier a expliqué que l’Agence avait une démarche participative consistant à consulter très largement la communauté scientifique, les pôles de compétitivité, les entreprises et la société civile pour définir sa programmation. Celle-ci tient également le plus grand compte des priorités exprimées par le gouvernement. La programmation une fois élaborée est soumise pour approbation à l’autorité de tutelle et au conseil d’administration de l’ANR.

Les projets de recherche sont sélectionnés dans le cadre des 40 à 50 appels à projet émis chaque année. Les laboratoires ont alors deux mois pour présenter leurs projets scientifiques, sur cinq à six pages, dans lesquelles ils exposent notamment les grands objectifs économiques ou sociétaux auxquels ils contribuent et dressent un cadre financier sommaire de leurs besoins. Ces projets sont soumis à des comités d’évaluation composés de 15 à 20 membres qui peuvent faire appel à des experts externes, 22 % des membres étant étrangers. Une synthèse est réalisée par un rapporteur. Elle est discutée par les membres qui classent les projets qui leur sont soumis en trois catégories A, B et C. Dans le cadre des programmes blancs, seule la qualité scientifique compte mais, dans le cadre des appels thématiques, un comité de pilotage effectue une seconde évaluation portant sur l’intérêt économique, la faisabilité industrielle ou l’urgence sociétale. Il peut modifier le classement précédemment établi, sans toutefois pouvoir revenir sur les projets classés « C ».

M. Daniel Raoul, sénateur, a souhaité obtenir des précisions sur les priorités de l’ANR, notamment en matière de recherche partenariale, par comparaison aux pays étrangers, sur le caractère novateur des entreprises créées à la faveur de l’ANR et sur l’articulation entre l’ANR et les autres modes de financement des pôles de compétitivité.

Mme Jacqueline Lecourtier a alors indiqué que si les domaines de l’énergie et des STIC étaient les domaines où naturellement les entreprises étaient les plus présentes, cela ne reflétait pas une orientation particulière de l’ANR vis-à-vis de ces domaines de recherche, l’agence conservant bien entendu ses priorités telles qu’elles sont exprimées dans sa programmation. Ces priorités sont tout à fait comparables à celles qui sont retenues chez nos partenaires européens. Elle a confirmé que les « jeunes pousses » favorisées par l’ANR étaient réellement de nouvelles entreprises, venant pour certaines du monde de la recherche publique. Elle a rappelé que l’ANR se plaçait en amont dans le financement de la recherche, visant plus le précompétitif que l’aval.

M. Ivan Renar, sénateur, se référant au prix Nobel Albert Fert, s’est interrogé sur l’utilité d’accroître la part des programmes blancs dans le budget de l’ANR, sur le montant des financements dévolus aux SHS et sur la manière dont les porteurs de projets pouvaient avoir connaissance de l’évaluation faite de leur proposition.

M. Jacques Stern a alors expliqué que s’il était naturellement favorable à ce que la créativité des chercheurs puisse largement s’exprimer et que la programmation de l’ANR reflète les idées de la communauté scientifique, le poids actuel des programmes blancs paraît bien adapté aux objectifs car il est nécessaire de tenir compte d’une programmation qui est également le reflet des priorités économiques et sociales de notre pays.

Mme Jacqueline Lecourtier a indiqué que le budget dévolu aux SHS est croissant puisqu’il passera de 13 millions d’euros en 2006 à 16 millions d’euros en 2008. Des premiers appels à projets transnationaux franco-allemands ont eu lieu en 2007 dans ces disciplines. Par ailleurs, les comités d’évaluation de l’ANR ont le devoir de rédiger une synthèse d’évaluation destinée aux porteurs de projet. Cette méthode a paru plus pertinente que la transmission sans synthèse des différents avis émis sur le projet.

M. Pierre Laffitte, sénateur, s’est inquiété qu’on ne veuille faire trop tôt une évaluation a posteriori des projets de recherche. Se référant à des exemples étrangers, il a souhaité qu’une partie des financements puisse être dévolue à des projets se déroulant sur une durée d’environ sept ans et assortie d’une plus forte prise de risque avec comme contrepartie une plus grande sélectivité.

M. Pierre Cohen, député, revenant sur les origines de l’ANR, s’est demandé si son succès n’était pas dû au manque de financement récurrent des laboratoires et si l’agence avait vraiment la capacité d’infléchir les orientations de recherche des grands établissements et des universités en fonction des priorités du pouvoir politique et de la société.

M. Jacques Stern s’est déclaré ouvert à une réflexion sur l’allongement de la durée de certains programmes blancs mais a souligné que la question était de savoir si les besoins étaient d’ores et déjà couverts. Il a estimé que les moyens financiers de l’ANR ne pouvaient pas être considérés comme pris sur la dotation récurrente des grands établissements, que ceux-ci avaient intégré dans leur propre programmation l’action de l’ANR et que l’Agence jouerait certainement un rôle dans la mise en place d’un cercle vertueux en faveur d’une recherche de qualité dans les universités, compte tenu de leur nouvelle gouvernance.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, a souhaité obtenir des précisions sur l’évolution du budget de l’ANR, son utilisation et sa répartition, notamment géographique, et sur l’implication possible du parlement dans la définition des priorités de l’ANR.

M. Jacques Stern s’est déclaré ouvert à recevoir l’expression parlementaire sur les choix en matière de recherche mais a jugé que ce n’était pas à l’ANR d’en définir les modalités. Il a, par ailleurs, estimé qu’il ne pouvait pas y avoir de concurrence possible entre l’ANR et, par exemple, le CNRS, car leurs objectifs sont très différents.

Mme Jacqueline Lecourtier a précisé que les financements de l’ANR se répartissaient de manière équitable entre les différentes grandes institutions de la recherche en fonction de leur importance respective dans le dispositif. Elle a indiqué que le budget de l’ANR était passé de 700 millions d’euros en 2005 à 825 millions en 2007 et 955 millions en 2008.

M. Christian Gaudin, sénateur, faisant référence à la rencontre de l’Office avec son conseil scientifique, intervenue le 2 octobre 2007, s’est interrogé sur la capacité des projets retenus par l’ANR à structurer la recherche française et sur le caractère peut-être trop complexe des procédures de soumissionnement des projets.

Mme Jacqueline Lecourtier a expliqué que l’ANR se donnait pour objectif de soutenir des projets moins nombreux et plus importants car cela apporterait plus de lisibilité et de simplicité mais qu’il ne pouvait pas y avoir de calibrage a priori de la taille des projets, en termes de montant plancher ou de plafond du soutien financier accordé.

En revanche, elle a estimé que l’accusation d’un formalisme exagéré n’était pas recevable car, d’une part, un chercheur doit formaliser ses projets de recherche et les approfondir – l’évaluation ne peut pas se fonder sur une présentation trop brève – et, au regard de ces deux éléments, une présentation de six à sept pages ne pouvait pas paraître excessive. D’autre part, en matière administrative, l’ANR demande une formalisation la plus simple possible du budget demandé, mais celle-ci reste nécessaire puisque la demande vise à obtenir un financement et doit être cohérente avec l’objectif visé.

Répondant ensuite à M. Henri Revol, sénateur, président, qui l’interrogeait sur l’activité internationale de l’Agence, Mme Jacqueline Lecourtier a présenté les projets bilatéraux mis en œuvre en 2007, après que l’agence a décidé de s’intégrer à plusieurs actions ERA-NET européennes en 2006. Les partenariats sont relativement facilement noués avec les pairs étrangers de l’ANR. Ainsi, plusieurs appels à projets ont vu le jour en partenariat avec l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Chine et Taïwan. En 2008, de nouveaux projets pourraient se réaliser avec les Etats-Unis, le Japon ou Israël.

A la suite de questions de MM. Daniel Raoul, Christian Gaudin, sénateurs, et Henri Revol, sénateur, président, sur l’articulation de l’évaluation de l’ANR avec celle, par exemple, de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), elle a indiqué que l’ANR n’avait pas pour mission d’évaluer les équipes mais la manière dont les projets de recherche répondaient aux appels et ultérieurement aux objectifs fixés. Il existe bien évidemment une corrélation qui a été confirmée par une étude effectuée par le CNRS et l’INSERM. Le suivi et l’évaluation des projets feront l’objet d’une publication synthétique à partir de 2008. M. Jacques Stern a par ailleurs précisé que la crédibilité scientifique des équipes portant un projet de recherche était un élément de leur évaluation.

MM. Henri Revol, sénateur, a posé une question sur les conséquences possibles des conclusions du « Grenelle de l’environnement » sur certains programmes de recherche de l’ANR, concernant les organismes génétiquement modifiés et les nanotechnologies.

Mme Jacqueline Lecourtier a rappelé que le responsable du département développement durable de l’ANR était impliqué dans ce processus. L’Agence attend les conclusions pour préciser sa programmation 2008, notamment en matière de génomique, l’ANR ne pouvant s’abstraire des choix politiques et sociétaux effectués en la matière. Elle a, toutefois, noté qu’elle s’était déjà impliquée dans des programmes de mesure de la toxicité potentielle des nanotechnologies et des produits chimiques, et de leurs dérivés dans l’environnement.