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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 20 janvier 2009

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Claude Birraux, député, Président

– Réunion avec les membres du Conseil scientifique.

– Conseil scientifique - Audition

L’Office a procédé à l’audition des membres de son conseil scientifique.

M. Claude Birraux, député, président, a tout d’abord informé les membres du conseil scientifique des principaux changements intervenus au sein de l’Office depuis la réunion précédente, qui avait eu lieu à l’Assemblée Nationale le 2 octobre 2007. Il a rendu hommage à MM. Henri Revol, Claude Saunier et Pierre Laffitte, qui ont quitté l’Office à la suite du renouvellement sénatorial.

Après avoir détaillé les travaux passés et en cours de l’Office (rapports, auditions publiques, auditions de représentants d’institutions et visites de laboratoires), il a mentionné la conférence interparlementaire organisée par l’Office dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne, le 22 septembre 2008. Ayant pour thème « Science, société et Parlements », cette conférence a donné lieu à l’adoption d’une déclaration finale qui a témoigné de l’attachement des Parlements du continent à la science et à l’innovation, insistant sur la nécessité de développer des relations fructueuses entre les parlementaires et la communauté scientifique. Si des partenariats avec les Académies des sciences sont en place dans les parlements de plusieurs pays, l’Office est le seul organe parlementaire qui comporte en son sein un conseil scientifique, ce qui constitue une originalité appréciable.

Enfin, il a indiqué que le troisième cycle de partenariat avec l’Académie des sciences serait très prochainement lancé et que le Bureau de l’Office avait décidé de développer des contacts plus réguliers, sur un modèle restant à définir, avec l’Académie des technologies, afin notamment de s’ouvrir davantage aux préoccupations de la recherche industrielle.

M. Laurent Gouzenes, Directeur du plan et des programmes d'études, ST Microelectronics SA, a approuvé la méthode consistant pour les membres du conseil scientifique à assister les parlementaires en temps réel, au cours des auditions qu’ils réalisent dans le cadre de leurs travaux. Ayant lui-même assisté M. Claude Saunier au cours de son étude sur le secteur de la micro et de la nanoélectronique, il a jugé ce mode de fonctionnement fructueux.

M. Jean Therme, Directeur du CEA Grenoble, membre de l'Académie des Technologies, a ensuite abordé trois sujets lui paraissant devoir intéresser l’Office : les démonstrateurs technologiques, les technologies de l’information et les centrales solaires.

A propos des démonstrateurs technologiques, qui constituent le relais entre la recherche et son déploiement industriel, il a estimé que les politiques publiques n’étaient pas suffisamment claires et qu’elles pourraient s’inspirer de l’exemple japonais.

S’agissant des technologies de l’information, il a jugé crucial qu’elles consomment à l’avenir moins d’énergie et deviennent plus respectueuses de l’environnement.

Enfin, il a évoqué la question du groupement européen des instituts dans le domaine de l’énergie et celle des relations entre l’Europe et le Maghreb, s’agissant de la mise en place de centrales solaires thermodynamiques, jugeant que la France était insuffisamment présente sur ce terrain.

M. Jean-Claude Lehmann, membre de l'Académie des Technologies, a approuvé les propos de M. Jean Therme, au sujet des démonstrateurs technologiques . Le renforcement de ce maillon indispensable se heurte à l’absence de prise en compte de ce type d’activité dans l’évaluation des chercheurs.

Il s’est félicité du renforcement des liens entre l’Office et l’Académie des Technologies, précisant que cette collaboration ne devait pas aller seulement dans le sens d’une meilleure connaissance des technologies industrielles, mais qu’elle devait aussi s’orienter vers un décryptage des relations entre la technologie et la société. A titre d’exemple, il a évoqué les réflexions de l’Académie sur le thème de la médecine ambulatoire, dont le développement soulevait non seulement des problèmes techniques, mais aussi des questions éthiques auxquelles le Parlement ne pouvait demeurer indifférent.

Enfin, s’agissant de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, il a regretté que les personnalités extérieures présentes dans les conseils d’administration des universités n’aient pas de droit de vote au moment de l’élection du Président. Ce mode de fonctionnement n’est pas de nature à susciter l’implication de ces personnalités pourtant susceptibles de contribuer très favorablement à la vie universitaire.

M. Jean-Claude Etienne, sénateur, Premier Vice-président a ajouté qu’un rapprochement avec l’Académie de médecine pourrait également être utile, notamment au sujet du développement de la médecine ambulatoire. Cette question nécessite l’intervention des trois académies, l’Office ayant vocation à constituer un point de rassemblement.

M. Pierre Castillon, membre de l'Académie des Technologies, a signalé les principaux changements intervenus récemment au sein de l’Académie des Technologies, ainsi que les travaux réalisés par celle-ci. L’Académie a notamment présenté en régions un rapport sur le transport de fret, abordant la question de la compétitivité des ports maritimes.

M. Hervé Chneiweiss, directeur de recherche, directeur du groupe de neuro-oncologie moléculaire et clinique, Collège  de France, a souligné la fragilité de l’emploi scientifique, compte tenu de la multiplication des contrats à durée déterminée. La crise économique limite les débouchés des chercheurs. L’Etat réduit le nombre d’emplois statutaires. L’avenir des contractuels est donc très incertain, ce qui contribue à détourner massivement les jeunes des carrières scientifiques.

M. Claude Birraux, député, président, a souhaité que les entreprises embauchent effectivement davantage de docteurs, dans les diverses disciplines, y compris les sciences humaines et sociales.

M. Joël de Rosnay, Président exécutif de Biotics International, conseiller du Président de la Cité des sciences et de l'industrie, a souligné l’émergence de deux thématiques scientifiques.

En premier lieu, la génétique se transforme par la prise en compte de l’épigénétique, qui étudie les modifications dans l’expression des gênes résultant de l’environnement et des comportements des individus. Cette question de la modulation du message génétique a des conséquences en termes de santé et, plus généralement, des répercussions sociales.

En second lieu, dans le domaine du numérique, les bouleversements de l’internet entraînent la décentralisation des données vers des serveurs dispersés dans le monde entier, ce qu’on qualifie de « nuage internet ». La fusion de l’internet classique, de l’internet mobile et de l’internet des objets est propice à cette évolution.

M. Claude Birraux a remarqué que les deux sujets évoqués par M. Joël de Rosnay comportaient une connotation éthique. Il a jugé utile que les questions scientifiques et technologiques puissent être abordées dans une optique autre que celle de la seule profitabilité.

M. Jean-Marc Egly, directeur de recherche à l’INSERM, membre de l’Académie des sciences, a regretté que la question de l’emploi scientifique n’ait pas été convenablement traitée au niveau politique. Les conditions matérielles d’existence des chercheurs demeurent précaires. Les meilleurs étudiants s’orientent par conséquent vers d’autres carrières. Toute réflexion sur l’avenir de la recherche doit commencer par une réflexion sur l’avenir des chercheurs.

M. Claude Birraux, a déploré, de surcroît, que la science soit bien souvent jugée responsable de nombreux maux, ce qui contribue à créer un climat défavorable à la recherche.

Mme Claudie Haigneré, ancien Ministre, conseiller auprès du Directeur général de l'Agence spatiale européenne, membre de l'Académie des Technologies, a jugé que la question de la diffusion des connaissances en direction des médias était essentielle, notamment en Europe. S’agissant du domaine numérique, elle a estimé que la révolution en cours soulevait des problèmes éthiques majeurs. Compte tenu du contexte actuel de crise économique, elle s’est déclarée favorable à une réflexion sur la nature des innovations à encourager pour relancer la croissance en Europe.

M. Jean-Marc Egly a appuyé ce point de vue, signalant que la nouvelle administration américaine avait réuni des scientifiques pour réfléchir aux problématiques d’avenir, et que la France pourrait s’inspirer utilement de cet exemple.

M. Claude Birraux a jugé que le bon échelon de réflexion dans ce domaine était probablement européen.

M. Michel Caboche, directeur de recherche à l'INRA, membre de l'Académie des Sciences, a tout d’abord appelé à soutenir le conseil de la recherche européen (ERC) qui lui paraissait mis en danger.

Par ailleurs, il a estimé que la question de l’emploi scientifique se posait dans de nombreux pays, mais qu’elle était particulièrement criante en France, compte tenu de la faible durée des contrats des chercheurs (2 ans). Prenant pour exemple l’Autriche, où les « post-docs » étaient financés sur des durées de 5 à 6 ans, il a jugé le système français particulièrement démobilisateur.

Enfin, il s’est inquiété du retard européen dans le domaine des organismes génétiquement modifié (OGM). A titre d’exemple, il a mentionné qu’une entreprise américaine était sur le point de produire un soja enrichi en DHA, susceptible de faire reculer les carences mondiales en acides gras essentiels découlant de la diminution des stocks halieutiques.

M. Jean Therme a indiqué que la recherche technologique offrait aux chercheurs davantage de débouchés sûrs que la recherche fondamentale.

M. Jean-François Minster, directeur scientifique de Total, membre de l'Académie des Sciences, Membre de l'Académie des Technologies, a insisté sur la nécessité de mobiliser la recherche en réponse à la crise économique, ce qui implique de développer les démonstrateurs technologiques. Le gouvernement devrait s’investir davantage en ce sens dans le cadre de la nouvelle stratégie qu’il souhaite mettre en œuvre pour la recherche.

La question des impacts devrait également être mieux prise en compte : l’impact sur la société du changement climatique est, par exemple, insuffisamment étudié.

M. Claude Birraux a jugé que la stratégie nationale de recherche devait s’élaborer non par disciplines mais d’un point de vue transversal. Il a souhaité que le comité de pilotage et d’évaluation mis en place, dont il est membre, privilégie ce type d’approche.

M. Jean Jouzel, directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), a relevé que l’emploi scientifique était en grande difficulté dans maints endroits.

Par ailleurs, il a estimé qu’il fallait lutter contre la crise écologique pour sortir de la crise économique. Les orientations du Grenelle de l’environnement sont, par exemple, créatrices de dynamisme économique et d’emplois. Au niveau international, la donne devrait changer avec la mise en place de la nouvelle administration américaine.

M. Claude Birraux a estimé que le Grenelle permettait à la France d’être bien placée pour aborder cette nouvelle dynamique internationale en faveur de l’environnement.

M. Jean-Claude Lefeuvre, Président de l'Institut français de la biodiversité, professeur émerite au Museum national d'histoire naturelle, a attiré l’attention des membres de l’Office sur la question des écosystèmes. Des espèces non autochtones se développent aujourd’hui dans différents milieux. Le changement climatique diminue le nombre d’espèces et favorise leur déplacement, ce qui accroît la fragilité globale des écosystèmes.

Par ailleurs, il a souligné l’importance des questions relatives à l’écotoxicologie. Des interrogations demeurent sur l’impact à long terme d’une exposition chronique à de faibles doses de polluants, ainsi que sur les synergies résultant d’une exposition concomitante à plusieurs polluants. Les études existantes sont insuffisantes.

M. Claude Birraux a rappelé la création récente de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité et souligné l’intérêt de mener une étude sur les risques épidémiques émergents.

M. Laurent Gouzenes a jugé que le nouveau crédit d’impôt recherche arrivait à point nommé compte tenu de la crise. A ce sujet, la réflexion ne doit pas seulement porter sur les moyens de traverser la crise. Elle doit contribuer à l’élaboration d’une véritable stratégie de compétitivité.

Dans ce contexte, la relance par l’investissement devrait privilégier l’amélioration de notre compétitivité, tout en prenant en compte les effets de taille critique. L’échelle européenne doit permettre d’atteindre cette taille critique qui est un facteur crucial de réussite pour la recherche.

L’expérimentation est également essentielle, ce qui rend nécessaire un déploiement de démonstrateurs. Dans ce domaine, la France pourrait jouer un rôle pilote pour certaines applications telles que le dossier médical informatisé.

M. Claude Birraux ayant évoqué à ce sujet le rôle des grandes infrastructures de recherche, M. Hervé Chneiweiss a observé que la création de tels équipements devait s’inscrire dans une politique englobant la formation et l’emploi des chercheurs.

M. Etienne Klein, directeur des sciences de la matière du CEA, a jugé qu’outre la question des carrières se posait également la question de la transmission des savoirs fondamentaux, dans un contexte marqué par l’utilisation généralisée de l’Internet. Comment parler aujourd’hui des sciences et techniques de façon pertinente ?

M. Jean Therme a relevé que l’économie de l’innovation était passée du stade de « l’agriculture » à celui de la « cueillette », au sens où un découplage était apparu entre la production et l’exploitation des connaissances. Les pays producteurs de connaissances courent aujourd’hui le risque d’être pillés par d’autres. La France exploite insuffisamment les résultats de sa recherche.

Par ailleurs, il a dénoncé la financiarisation des brevets, y compris ceux de la recherche publique française. Les brevets devraient avoir une vocation prioritairement industrielle.

M. Michel Petit, président de la section scientifique et technique du Conseil général des technologies de l'information, membre de l'Académie des Sciences, a complété la réflexion sur le caractère écologique ou non des technologies de l’information. La question n’est pas seulement de savoir si ces technologies sont ou non fortement consommatrices d’énergie. Elle est aussi d’appréhender les conséquences de ces technologies sur d’autres secteurs, notamment lorsqu’elles permettent une diminution des coûts de transport (dans le cas du télétravail par exemple).

Il a ajouté que le rôle des technologies de l’information serait important, à l’avenir, dans le domaine de la santé et du maintien à domicile.

Il s’est prononcé pour un renforcement des moyens de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Enfin, il a jugé nécessaire de poursuivre les études sur la physique du changement climatique, s’agissant de sa répartition régionale et de son ampleur.

Estimant que les échanges avaient montré le caractère essentiel du facteur humain, M. Jean-Pierre Finance, président de l’université Henri Poincaré Nancy I, a regretté la dichotomie existant en France entre ingénierie (grandes écoles) et sciences (universités). Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) sont insuffisamment fluides. Ils ne sont pas à la hauteur de leurs modèles étrangers, par exemple le MIT (Massachusetts Institute of Technology). Les barrières existantes détournent des carrières scientifiques.

A cet égard, M. Claude Birraux a jugé qu’il fallait mieux organiser les interfaces.

M. Etienne Klein a observé que si le tiers des effectifs des grandes écoles s’orientent actuellement vers les secteurs des assurances et des banques, la crise économique pourrait contrarier cette évolution.

Mme Claudie Haigneré a regretté que les sciences et technologies soient à ce point mises au service de la création de valeur financière et utilisées comme instruments de pouvoir, alors qu’elles devraient aussi être perçues comme des incitations à la sagesse et susciter l’imaginaire.

Prenant pour exemple la mobilité des chercheurs, que les mesures prises avaient échoué à accroître, M. Jean-Claude Lehmann a jugé que les lois pouvaient demeurer ineffectives lorsqu’elles se heurtaient à des obstacles culturels.

M. Michel Petit a soulevé la question de l’acceptabilité sociale du progrès. Il a jugé que la demande sociale était un élément de pertinence de la recherche.

Par ailleurs, il a souhaité que les membres du conseil scientifique soient davantage mis à contribution par l’Office, en dehors des réunions et de la participation à des groupes de travail.

Rappelant que le Conseil scientifique était mis à contribution pour la rédaction de notes d’information faisant le point sur des sujets scientifiques (biocarburants, médecine nucléaire), M. Claude Birraux s’est déclaré ouvert à une association encore plus étroite du conseil aux travaux de l’Office.