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Commission des affaires sociales

Mercredi 24 mars 2010

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 34

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président, puis de M. Pierre Morange, Vice-président, puis de M. Pierre Méhaignerie, Président

– Table ronde sur la réforme des retraites avec MM. Jacques Bichot, économiste, Antoine Bozio, chercheur à l’Institute for Fiscal Studies à Londres, et Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 24 mars 2010

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires sociales entend M. Jacques Bichot, économiste, M. Antoine Bozio, chercheur à l’Institute for Fiscal Studies à Londres, et M. Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), sur la réforme des retraites

M. le président Pierre Méhaignerie. J’ai souhaité que notre commission prépare avec beaucoup d’attention le débat sur la réforme des retraites : les auditions se dérouleront donc systématiquement les mardis après-midi et mercredis matin jusqu’au début du mois de juin. J’ajoute qu’avant d’entendre les responsables des différents régimes et les partenaires sociaux, j’ai souhaité que nos travaux commencent par une table ronde réunissant des économistes ayant particulièrement réfléchi à ces questions.

Monsieur Jacques Bichot, vous enseignez depuis 2001 à l’Institut d’administration des entreprises de l’université Jean-Moulin de Lyon et vous avez publié dès 1993 un premier ouvrage sur le problème des retraites : Quelles retraites en l’an 2000 ? L’année dernière, vous avez également publié une note pour l’Institut Montaigne intitulée : « Réforme des retraites : vers un big-bang ? » ; vous y regrettez, notamment, qu’à l’inverse de ce qui s’est passé dans nombre de pays étrangers, nos réformes aient été essentiellement « paramétriques ». Dès lors, vous proposez une réforme de grande ampleur fondée sur la fusion de l’ensemble des régimes de retraite par répartition au sein d’un régime national unique par points.

Monsieur Antoine Bozio, vous êtes chercheur à l’Institute for fiscal studies de Londres et enseignant à University College. En 2006, vous avez consacré votre thèse de doctorat d’économie – récompensée par l’Association française de science économique et l’Observatoire des retraites – à la question des retraites. Auteur de plusieurs articles, vous avez cosigné en 2008 avec Thomas Piketty un livre intitulé Pour un nouveau système de retraite, dans lequel vous plaidez pour une réforme systémique et proposez, à l’instar de la Suède, la mise en place d’un système en comptes notionnels.

Monsieur Henri Sterdyniak, vous êtes depuis 2002 directeur du département d’économie de la mondialisation à l’Office français des conjonctures économiques et vous avez également publié un ouvrage, Quel avenir pour nos retraites ?, ainsi que plusieurs articles dont deux, qui nous intéressent plus particulièrement. En juillet 2008, vous avez ainsi publié les conclusions des travaux d’une équipe que vous avez codirigée intitulées : « Emploi des seniors : les leçons des pays de réussite ». Enfin, en avril 2009, vous avez publié l’article : « Retraites : à la recherche de solutions miracles… »

M. Jacques Bichot. S’agissant des retraites, nous avons tout intérêt à distinguer les questions relatives au court terme et celles portant sur le long terme.

Sur le long terme, je note tout d’abord que la multiplicité des régimes que nous connaissons actuellement est contraire à l’article 1er du code de la sécurité sociale puisque, si cette institution est fondée sur la solidarité nationale, les retraites reposent sur des solidarités catégorielles. Par ailleurs, chacun s’accorde à considérer que les systèmes de compensation démographique ont fait leur temps mais, de plus, il est certain que la multiplicité des régimes est incompatible avec le style de vie moderne, en raison notamment des changements de carrière au cours d’une même vie professionnelle – si 40 % des retraités sont aujourd’hui multi-pensionnés, ce taux ne fera que s’accroître à l’avenir. L’unification des régimes, quant à elle, entraînerait une économie de frais de gestion d’au moins deux milliards d’euros.

De surcroît, la complexité du système actuel – tant pour les intéressés que pour les gestionnaires – génère des coûts de fonctionnement substantiels ainsi qu’un ensemble d’effets pervers. Il existe de nombreux éléments de redistribution qui s’effectuent des pauvres vers les riches et non l’inverse.

Enfin, travaillant depuis 1980 sur la question de la contributivité – l’attribution des droits à pension –, j’ai pu constater combien notre édifice législatif, et la France n’est pas seule en cause loin de là, est en porte-à-faux eu égard à la réalité économique, que décrit si bien le « théorème de Sauvy » : si les enfants d’aujourd’hui paieront les retraites futures, ce sont les cotisations vieillesse qui ouvrent les droits à pension, ce qui n’a aucun sens. Les cotisations sont utilisées pour payer les retraites actuelles, il n’en reste rien pour payer, dans trente ans, les retraites de ceux qui les versent aujourd’hui.

Une réforme systémique à long terme est donc inévitable, mais elle est par définition impossible à réaliser rapidement. Par exemple, les Suédois ont mis une dizaine d’années avant de se mettre d’accord : après avoir voté une loi-cadre en 1994, quatre années supplémentaires ont été nécessaires pour affiner l’ensemble de la réforme sur un plan législatif et réglementaire, puis encore trois années de plus afin d’adapter l’ensemble des systèmes, de former le personnel, de modifier les institutions ainsi que les systèmes informatiques et, enfin, de recalculer les droits acquis selon les anciennes règles.

Nous ne pouvons pas rester l’arme au pied pour une période aussi longue, nous devons donc agir à court terme, et ce de deux manières.

D’une part, alors que la France s’est jusqu’à présent toujours refusée à envisager de façon sérieuse les études visant à réaliser une réforme structurelle – à l’exception notable du rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) publié à la fin du mois de janvier sur le passage aux points ou aux comptes notionnels –, nous nous devons de réaliser des études d’impact et de faisabilité qui, d’ici à 2012, permettraient aux politiques de se déterminer en toute connaissance de cause.

D’autre part, nous avons besoin de mesures à court terme, car les déficits n’attendent pas. S’agissant du régime général, nous serions bien inspirés de mettre en place une retraite à la carte avec neutralité actuarielle ainsi qu’un instrument gestionnaire, et non plus politique, de régulation de l’équilibre financier du système. En effet si, comme l’a dit M. le Président de la République, il faut tout « mettre sur la table », il n’est jamais question du taux des pensions, alors que sa simple régulation annuelle permettrait de procéder aux ajustements nécessaires à la réalisation de cet équilibre, comme la valeur du point dans les régimes par points. Il n’y a pas de raison que le taux de la pension reste indéfiniment fixé à 50 %. En outre, les assurés sociaux doivent avoir la possibilité de travailler plus ou moins longtemps – à partir d’un âge pivot qu’il conviendrait de fixer – selon qu’ils préfèrent avoir des loisirs ou de l’argent. C’est le principe de la retraite à la carte avec neutralité actuarielle.

Une telle réforme suppose de renoncer au méli-mélo entre durée d’assurance et âge de départ à la retraite. Dans les régimes qui fonctionnent correctement, la première intervient à travers le coefficient de proratisation – arrêtons, d’ailleurs, de le plafonner à 1, ce qui aboutit à brimer les carrières longues – et le second à travers le coefficient actuariel. En l’état, le calcul de la pension est extrêmement complexe en raison du mélange de ces deux variables, alors que nous aurions besoin de fonctions à variables séparées. Un tel système aurait alors des effets prévisibles, notamment en matière justice sociale.

Enfin, si un accord de principe intervenait d’ici le mois de septembre, les assemblées parlementaires pourraient s’en saisir dès la fin de l’année ou au début de l’année prochaine. Ainsi cette réforme structurelle, fût-elle modeste, contribuerait-elle à préparer l’instauration d’un système unifié par points.

M. Antoine Bozio. La situation actuelle se caractérise par deux chocs démographiques qui ne sont pas de même nature et ne touchent pas les mêmes personnes : le premier résulte de l’accroissement régulier de l’espérance de vie, qui profite aux jeunes générations qui toucheront leurs retraites pendant plus longtemps, le second de l’arrivée à l’âge de la retraite des générations nombreuses du baby boom. À ce propos, ces générations auraient pu constituer des réserves financières pour couvrir leurs retraites et elles ne l’ont pas fait – sans doute le Fonds de réserve des retraites (FRR) a-t-il été créé un peu tardivement. Les jeunes générations vont donc devoir assumer le surcoût induit par le grand nombre des départs. Le choc du baby boom est un choc transitoire mais long, qui doit être considéré comme l’héritage d’une dette passée.

Par ailleurs, la complexité et l’opacité de notre système ne manquent pas de créer des angoisses. Chez les seniors d’abord, qui découvrent au moment de quitter la vie active un, deux ou trois régimes complémentaires aux règles différentes – ce qui accroît la crainte des réformes, comme en atteste le pic de départs précoces à la retraite avant le vote de la loi de 2003. Chez les jeunes générations, qui n’ont aucune confiance dans le fait que leurs cotisations permettront de garantir leur future retraite – ce qui suffit d’ailleurs à remettre en cause la crédibilité du système par répartition, qui est fondé avant tout sur un lien de solidarité entre les générations.

De surcroît, la redistribution n’est pas aussi équitable que l’on pourrait le penser pour ceux dont les carrières ont été longues et difficiles. On a ainsi beaucoup de mal à savoir si les avantages non-contributifs sont efficaces en termes de redistribution. Ainsi, le système général a été fondé sur les dix, puis les vingt-cinq meilleures années de vie professionnelle ; il s’agissait d’exclure du calcul de la pension les plus mauvaises années. Or, le ratio entre ces dernières et les cotisations d’un smicard tout le long de sa carrière sera beaucoup plus faible que celui d’un cadre, qui connaît une carrière ascendante en matière de salaires. De ce point de vue-là, le rapport du COR, que je vous invite à regarder de près, est fort éloquent. Le minimum contributif, quant à lui, a été créé dans les années 1980 lorsque des personnes ayant cotisé 45 ans se sont retrouvées avec des pensions inférieures au minimum vieillesse. Vingt-cinq ans plus tard, et même si ce dispositif a été plafonné en 2006, il apparaît que la moitié de celles qui en bénéficient disposent déjà de pensions élevées dans un autre régime que le régime général. On a constaté que l’on attribuait donc la moitié du coût de ce dispositif à des personnes qui avaient des pensions supérieures à la moyenne.

C’est parce que nous considérons, avec Thomas Piketty, qu’une amélioration de la redistribution est possible que nous proposons de remettre à plat l’ensemble du système et d’unifier les régimes de retraite sous un système public, obligatoire, par répartition, contributif et redistributif, c’est-à-dire les principes confirmés par les lois successives.

Ce système reposerait sur deux principes fondamentaux : la contributivité – transférer des revenus des actifs vers les retraités – et la redistribution au profit de ceux qui ont des carrières difficiles.

D’une part, le compte notionnel permet de calculer la pension possible en tenant compte de l’ensemble des cotisations versées sans que le principe de la répartition soit remis en cause. Ce compte est revalorisé en fonction de l’augmentation annuelle des salaires, de manière à ce que les contributions versées en début de carrière professionnelle conservent leur valeur. Le salarié disposera en fin de carrière d’une évaluation de son patrimoine « notionnel » de retraite, lequel sera converti en rente. Cette conversion se fera en fonction de l’espérance de vie de chaque génération. On est, en effet, obligé de tenir compte, sur le montant des pensions, de l’allongement de l’espérance de vie. Je crois que les jeunes générations en sont bien conscientes.

D’autre part, chaque redistribution effectuée en raison d’un temps de chômage ou de maladie entraîne le crédit, sur le compte notionnel, de l’équivalent du montant qui aurait été cotisé si la personne avait travaillé. De la sorte, l’ensemble des salariés seront plus équitablement protégés, et surtout de manière beaucoup plus transparente.

Enfin, parce que la mise en place d’un tel système est elle-même complexe – il convient à la fois d’assurer une transition garantissant de bonnes conditions de départ dans le système actuel pour les générations qui sont à l’orée de la retraite et le basculement des jeunes générations dans le nouveau dispositif –, une graduation d’une dizaine d’années nous semblerait de bonne politique. J’ajoute que, selon une simulation dont le COR s’est fait l’écho, une telle organisation réduirait les inégalités de pension, car ceux qui perdraient le plus et à qui l’on demanderait le plus d’efforts seraient ceux qui ont de hauts revenus, c’est-à-dire les cadres.

Henry Sterdyniak. Le système de retraite français est l’un des plus généreux au monde. Or, comme en attestent de nombreuses études réalisées par le COR, il est menacé de déséquilibres financiers pour des raisons structurelles – allongement de l’espérance de vie et arrivée à l’âge de la retraite des baby boomers – mais, également, conjoncturelles avec la crise financière que nous avons connue ces deux dernières années.

Par ailleurs, je note qui si des rendez-vous sur les retraites étaient prévus en 2008 et 2012, le rendez-vous de 2010 ne l’était pas et semble quant à lui fort incongru : la réforme de 2003 initiée par M. Fillon ne devait-elle pas sauver notre système ?

De surcroît, si le déficit des systèmes de retraite et de chômage s’élève à 20 milliards d’euros en 2010, il s’inscrit plus globalement dans les 160 milliards de déficit public : dans ces conditions, on comprend mal pourquoi le sauvetage des retraites serait plus urgent que celui de l’Éducation nationale ou de l’armée. En fait, je crains qu’une réforme bâclée ne se mette en place sous la pression des marchés financiers qui œuvrent, à l’échelle européenne et mondiale, pour diminuer le montant des dépenses publiques et sociales. Ne se dirige-t-on pas vers une alliance entre la Commission européenne, les classes dominantes des pays européens et lesdits marchés excipant de la crise pour mettre en cause les dépenses sociales et parvenir à réaliser leur rêve : inviter les ménages à financer sur les marchés financiers leur retraite ou leur santé, quand ce sont précisément ces derniers qui portent la responsabilité de la crise ?

En outre, en 2007, le COR a fait état de projections jusqu’en 2050 montrant que notre système n’est pas foncièrement déséquilibré, puisqu’à cette date le déficit représenterait un point du PIB. Je ne pense donc pas qu’il soit de bonne politique de réviser en catastrophe la stratégie adoptée en 2003. Je rappelle que cette stratégie ne touchait pas l’âge légal de départ de retraite et visait à allonger la durée des carrières, ce qui est plus juste socialement. Elle permettait par exemple aux cadres – qui entrent plus tard sur le marché du travail – de travailler plus longtemps et aux autres salariés qui ont commencé à travailler tôt de partir tôt. Cela compense les différences d’espérance de vie et les différences de capacité à travailler après 60 ans. J’ajoute, à ce propos, que s’il est encore possible d’améliorer le dispositif actuel, il est en revanche stupide de permettre aux cadres de racheter leurs années d’études et qu’il conviendrait également de mettre en place un mécanisme permettant aux jeunes chômeurs n’ayant encore jamais travaillé d’accumuler des points pour leur retraite. Il ne faut pas, en catastrophe, changer le fusil d’épaule.

Par ailleurs, il n’est pas possible de demander aux salariés de continuer à travailler jusqu’à 70 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein, en situation de crise et alors que les seniors redoutent de ne pas trouver d’emploi ! La seule stratégie possible, celle qui a été définie en 2003, consiste à tout faire pour faciliter le travail de ces derniers – comme le montre l’exemple des pays scandinaves – et convaincre les syndicats de travailler en ce sens. Dans chaque entreprise, un examen de chacune des carrières devrait permettre d’évaluer la pénibilité des métiers, une éventuelle reconversion sur un poste différent à 45 ou 50 ans ainsi que la possibilité, selon les situations, de travailler jusqu’à 60 ou 65 ans : si, par exemple, des professeurs des écoles estiment ne plus pouvoir faire cours à partir de 55 ans, pourquoi ne pas leur permettre de devenir agent administratif ?

Autre idée fausse partout répandue : la réforme du système de retraite des fonctionnaires entraînerait plusieurs milliards d’économies. Certes, les règles sont différentes de celles des salariés du privé. Mais non seulement ces derniers bénéficient à peu près du même taux de remplacement que les salariés du secteur privé mais, de plus, un changement des règles en vigueur impliquerait la remise en cause du fait qu’il n’y a pas de cotisations sur les primes ainsi que la non-indexation du point d’indice sur les salaires. Aussi, comme pour les régimes spéciaux, une telle réforme coûterait autant qu’elle rapporterait.

Jusqu’à présent, le système de retraite avait un caractère social. Celui-ci, je le rappelle, consiste à assurer aux retraités les plus modestes un niveau de vie équivalent à celui de leur vie active sans effort d’épargne de leur part, et de leur permettre de partir au moment où ces entreprises ne sont plus prêtes à les employer. Dans cette situation, il y a deux remèdes miracles qui ont été proposés. Tout le monde est d’accord sur le fait qu’un système unifié serait préférable, même si la multiplicité des régimes est le fruit de l’histoire. Quel que soit le système, on ne pourra faire l’économie d’un arbitrage entre la hausse des cotisations, l’augmentation de la durée du temps de travail ou la baisse des pensions.

MM. Bichot, Madelin ainsi que le sénateur Leclerc préconisent un passage à un système par points – lequel serait équilibré par la baisse du niveau des retraites en fonction de la conjoncture et des difficultés financières, comme cela est d’ailleurs le cas des régimes complémentaires qui ont baissé de 20 % le montant des pensions depuis 1995. Or, cela est inacceptable faute de garantir aux salariés un niveau de pension et de rompre avec l’objectif de la parité de niveaux de vie entre actifs et retraités.

Avec le système des comptes notionnels, le niveau de retraite résulte quant à lui de l’âge du départ. Si à aucun moment le projet Bozio-Piketty ne précise le niveau effectif du taux de remplacement pour les salariés qui partiront à 60 ans, c’est que ce taux sera extrêmement faible ! Un professeur d’université ou un chercheur de l’Institute for fiscal studies, qui prendront leur retraite à l’âge de 67 ans, seront bien mieux lotis qu’un maçon dont la retraite sera particulièrement minable ! Là encore, il est inacceptable que le montant de la retraite dépende de manière excessive de l’âge de départ compte tenu des différences d’espérance de vie entre catégories socio-professionnelles et des possibilités de travailler ou non après 60 ans. Les carrières longues dont vous vous préoccupez, monsieur Bozio, ce sont celles des cadres !

La réforme de 2003 doit être poursuivie. Il convient de dire clairement que la durée d’activité sera allongée de façon différentielle : les cadres devront partir à la retraite à l’âge de 65 ans sans disposer de pensions faramineuses et les ouvriers pourront quant à eux cesser de travailler dès 60 ans. Il convient, en échange, de donner aux syndicats la possibilité de négocier des accords sur la pénibilité du travail ainsi que sur la stabilisation des taux de remplacement, une légère augmentation des taux de cotisations des salariés étant par ailleurs socialement envisageable : leur hausse de trois à quatre points ainsi qu’une augmentation de deux ans à deux ans et demi de la durée moyenne d’activité permettrait de passer le cap.

M. le président Pierre Méhaignerie. Outre que ce débat est fort complexe, je rappelle que des échéances ont été fixées.

Par ailleurs, en 2007, le système de financement de la sécurité sociale semblait en équilibre et la loi du 13 février 2008 ouvrait la perspective d’un redéploiement de 1,5 point des cotisations UNEDIC vers les régimes vieillesse. J’ajoute, également, que l’objectif national des dépenses d’assurance maladie avait progressé moins vite que la richesse nationale. Enfin, je rappelle que les cotisations UNEDIC s’élèvent à 6,4 points dans notre pays quand la moyenne européenne se situe en deçà de 4 points. La crise, bien entendu, a considérablement modifié la donne.

M. Denis Jacquat. D’un point de vue méthodologique, faut-il privilégier une réforme systémique à une réforme paramétrique ?

A-t-on une idée de l’impact économique des cotisations vieillesse sur la compétitivité des entreprises ?

Quelle est, aujourd’hui, la place du Fonds de réserve des retraites (FRR) ?

Enfin, sur le long terme, quelle est l’évolution du nombre de points de PIB que la France consacre aux retraites ?

Mme Marisol Touraine. Je remercie l’ensemble des intervenants dont les propositions, pour être fort distinctes, n’en sont pas moins intéressantes même si l’on peut légitimement se sentir plus proche de telle ou telle.

Comme Denis Jacquat, je m’interroge sur le rôle du Fonds de réserve des retraites, sachant que sa mise en place a été tardive et qu’il est peu abondé. S’il en allait autrement, quelle serait sa place ? Par ailleurs, ses ressources doivent-elles être mises en réserve jusqu’en 2020, comme le dispose la loi, ou bien faut-il qu’elles le soient plus longtemps encore ? Enfin, comment les utiliser ?

Par ailleurs, la meilleure manière d’évaluer la pénibilité du travail est-elle de se référer à l’espérance de vie, sachant que la prise en compte générationnelle de la seconde, comme dans la proposition de MM. Bozio-Piketty, ne permet pas une juste appréciation individuelle de la pénibilité supportée par chacun ?

Enfin, compte tenu de la situation de l’emploi des seniors, le report de l’âge légal du départ en retraite et l’allongement de la durée de cotisation soulèvent un certain nombre de difficultés. Que pensez-vous de cette idée formulée par plusieurs observateurs – dont le MEDEF – selon laquelle le taux d’emploi des seniors est d’autant plus bas que l’âge légal de départ en retraite est fixé à 60 ans ?

M. Maxime Gremetz. Je m’étonne qu’aucune hypothèse n’aborde franchement la question cruciale du financement des retraites et de la sécurité sociale. Quel est donc, aujourd’hui, le poids des retraites dans le PIB ?

Par ailleurs, en tant que membre du COR, je suis scandalisé que le MEDEF instrumentalise le rapport dont nous avons parlé : il n’est pas question que cette institution, qui ne dispose d’aucun pouvoir officiel, se fasse passer pour l’autorité indépendante qu’elle n’est pas.

En outre, quelles que soient les hypothèses formulées sur un éventuel changement systémique – alors que le système par répartition doit demeurer –, je note que nul n’évoque les problèmes liés à l’emploi, pourtant décisifs pour le financement des retraites, non plus que ceux des exonérations de cotisations patronales ou de la spéculation financière.

J’ajoute qu’il est impératif de mieux tenir compte de la pénibilité du travail : de ce point de vue-là, la pratique des « trois-huit », des « deux-huit » ou du travail dominical constituent autant de critères judicieux.

Enfin, qui sont les premières victimes des licenciements, si ce n’est les seniors à qui l’on reproche de coûter trop cher ?

M. Jean-Luc Préel. Le tableau de la situation a été bien dressé par les trois intervenants : le papy boom et l’allongement de la durée de vie obligent à réformer notre système de retraites. Ce dernier étant très complexe, le passage à un régime universel – par points ou par comptes notionnels – est une solution qui offrirait une vraie liberté et permettrait d’aboutir à un équilibre financier. Cependant la position de M. Sterdyniak montre qu’il sera difficile d’obtenir un consensus à ce sujet parmi les experts, et je crains que celui-ci soit encore plus difficile à obtenir de la part des politiques.

Plusieurs questions se posent.

La première est celle de la pénibilité, sur laquelle les partenaires sociaux ont du mal à s’entendre actuellement. Ne peut-on l’aborder par le biais de l’espérance de vie et intégrer ce critère dans un système de retraite ?

Une deuxième question à étudier est l’employabilité des seniors. Quand une entreprise connaît des difficultés, il n’est pas simple pour elle de garder ces derniers.

Les pensions de réversion doivent-elles être maintenues ? Si oui, sur quelles bases ?

Comment traiter le cas des victimes de la vie ? Ce terme ne recouvre pas seulement les situations de chômage, mais également les handicaps et les maladies longues. Comment sont prises en compte ces situations dans les systèmes de retraite ? Est-ce à ces derniers de les prendre en compte ?

Enfin, M. Sterdyniak a prôné une augmentation prudente des cotisations. De combien faudrait-il les augmenter pour équilibrer le système ?

M. le président Pierre Méhaignerie. Je rappelle que nous devons prendre en compte trois éléments : l’emploi, les déficits et la justice. En matière d’emploi, c’est-à-dire de compétitivité des entreprises, nous sommes arrivés, en comparaison avec l’Allemagne, à des niveaux de cotisations que nous ne pouvons pas dépasser. Les déficits ont atteint des montants qui nous font courir des risques élevés vis-à-vis de l’Europe et qui vont peser sur nos enfants. Enfin, il est indispensable d’intégrer des notions de justice compte tenu des différences de travail.

M. Jacques Bichot. Ma position est très claire concernant la pénibilité : c’est aux employeurs, et non aux systèmes de retraite, de prendre en charge le coût de celle-ci. Sinon les employeurs ne seront aucunement incités à transformer les modes de travail de façon à ce qu’ils soient moins pénibles et qu’ils entraînent moins d’inconvénients, en particulier moins de vieillissement. Les syndicalistes comprennent très bien ce raisonnement.

M. Maxime Gremetz. Il faut que les employeurs paient plus de cotisations !

M. le président Pierre Méhaignerie. Il y aura toujours des métiers plus pénibles que d’autres, comme ceux qui s’exercent dans les abattoirs, dans les industries agroalimentaires ou dans le bâtiment. Il me paraît difficile de ne pas prévoir une solidarité entre les professions et de demander aux seules entreprises de prendre en charge le coût de la pénibilité.

M. Jacques Bichot. Pour moi, la pénibilité doit s’incorporer au coût du travail, y compris pour l’État.

Prenons l’exemple des opérations militaires extérieures. On compte, pour nos soldats en Afghanistan, trois années en termes de retraite pour une passée en opération militaire sur le terrain. Il est normal de les dédommager : ils courent des risques immenses et il est plus pénible de travailler sur le terrain que d’être dans une caserne. Mais pourquoi le faire sous forme d’un gain d’années de retraite ? Il faudrait les payer davantage ou abonder un fonds de pension pour leur permettre, s’ils le souhaitent, de partir plus tôt à la retraite. Le système actuel est un simple déguisement du coût pour l’État de ces opérations militaires.

En matière de pénibilité, il convient de faire attention à l’exactitude comptable. Nous falsifions les résultats des entreprises ou de la collectivité nationale en reportant le coût d’opérations immédiates dans l’avenir. Actuellement, nous ne savons pas ce que coûte un travailleur dans un abattoir ou un soldat en Afghanistan !

Le Fonds de réserve des retraites a, en effet, été mis en place un peu tardivement. Il atteint aujourd’hui une trentaine de milliards d’euros, ce qui est dérisoire par rapport aux 2 200 milliards de réserves du système de retraite par répartition américain et même par rapport aux réserves de l’ARRCO et de l’AGIRC.

Deux solutions sont envisageables.

La première serait d’utiliser dès maintenant le Fonds pour boucher les trous. Mais ce ne serait pas une très bonne solution parce qu’une part notable de celui-ci étant investie en actions, il ne faut pas les vendre n’importe quand.

La seconde solution consisterait à faire du Fonds de réserve des retraites un élément de lissage des accidents conjoncturels. Les systèmes de retraite ont à jouer un rôle de stabilisateur automatique, c’est-à-dire à maintenir le pouvoir d’achat même quand celui-ci s’effondre pour d’autres catégories de la population. Mais, cela est aujourd’hui fait par l’endettement, mieux vaudrait qu’il le soit grâce à un fonds de réserve dans lequel on pourrait piocher dans les périodes de mauvaise conjoncture et dans lequel on réinvestirait dans les périodes de bonne conjoncture. Selon moi, c’est cette seconde solution qui devrait être privilégiée.

Pour mesurer le poids des retraites dans le PIB, il faut aussi y inclure tous les autres transferts opérés en direction des retraités. Ainsi, les dépenses d’assurance maladie des retraités sont deux à trois fois supérieures à la moyenne nationale alors que les contributions de ceux-ci sont plus faibles. Il y a donc un transfert – de l’ordre de 40 %, correspondant à un peu plus de 4 % du PIB – de l’assurance maladie en direction des retraités. Par ailleurs, 50 % de la population passera par une période de dépendance à la fin de sa vie. On ne s’occupe pas d’un enfant handicapé de la même manière que d’une personne de 85 ans atteinte de la maladie d’Alzheimer. C’est pourquoi il me paraît important d’incorporer le coût de la dépendance des personnes âgées – qui représente un peu moins de 1 % du PIB actuellement – dans le pourcentage de PIB consacré aux retraités. Quand on ajoute aux 13 % correspondant au poids des seules retraites dans le PIB, les 4 points correspondant au transfert de l’assurance maladie et le point correspondant au coût de la dépendance, on arrive à 18 %.

Sur la question du financement de la sécurité sociale et son impact sur les entreprises, je trouverais peut-être un point d’accord avec M. Sterdyniak : je ne crois pas que le financement de la retraite par répartition sous forme de cotisations, qu’elles soient patronales ou salariales, pèse sur le coût du travail et, par conséquent, sur la compétitivité des entreprises. Quelles que soient les modalités de financement, les niveaux de salaires se mettent en place sur le marché du travail et c’est le coût global pour l’employeur qui est la variable d’équilibre de ce marché. Qu’une partie plus ou moins importante aille aux travailleurs sous forme de salaire direct et qu’ensuite elle leur soit reprise sous forme d’impôt ou de cotisation, cela ne change pas énormément la donne. Une comparaison entre la France et le Danemark, les deux pays les plus écartés de ce point de vue en Europe, le montre : le Danemark a un financement très axé sur les impôts et la France sur les cotisations ; or les coûts salariaux au Danemark sont un peu supérieurs à ceux de la France, et il en est de même pour les indicateurs de productivité et de niveau de vie général.

Dans l’état actuel des choses, je pense qu’on ne coupera pas à un léger relèvement des cotisations : d’une part, c’est ce qu’il y a de plus facile à faire ; d’autre part, il est moins grave de relever un peu les cotisations que d’accumuler les déficits. Je fais ce constat vraiment à contrecœur, car je ne suis pas partisan de l’augmentation des cotisations. Mais, entre deux maux, il faut choisir le moindre.

M. Gremetz a raison : on ne peut pas parler des retraites sans parler de l’emploi.

Je considère qu’il y a une interrelation entre les règles de départ à la retraite et l’âge d’arrêt de l’activité professionnelle. On ne peut sérieusement penser que l’âge de cessation d’activité reculera au niveau qu’on le souhaite si on ne modifie pas les conditions de départ à la retraite. Les hommes ne sont pas des anges : ils agissent, non pas par souci de l’intérêt général, mais en fonction de leur intérêt particulier. Par conséquent, si les gens ne sont pas poussés à travailler davantage par le fait que, s’ils travaillent moins, ils auront une retraite moindre, les choses ne bougeront pas beaucoup.

Comment la Finlande a-t-elle réussi, en l’espace de quinze ans, à faire passer son taux d’emploi des seniors de 30 à 60 %, rejoignant presque la Suède, qui est à 70 % ? En adjoignant une politique très active en faveur de l’emploi des seniors à leur réforme des retraites. C’est la conjonction des deux qui donne de bons résultats : il faut à la fois prendre des mesures actives en faveur de l’emploi des seniors et durcir les conditions de départ à la retraite.

M. le président Pierre Méhaignerie. Par la décote et la surcote ?

M. Jacques Bichot. Je propose, comme dans mon intervention liminaire, une autre solution, qui consiste à prendre le taux à un âge déterminé comme variable d’ajustement. Si les gens voient qu’à soixante ans, leur retraite ne correspond plus à 50 % de leur salaire, ils travailleront plus longtemps pour obtenir ce taux. C’est ce que font aujourd’hui les gens qui n’ont pas 162 trimestres à soixante ans.

M. le président Pierre Méhaignerie. Compte tenu du symbole que représente l’âge de 60 ans et de l’objectif de 62 ans auquel on doit tendre, la voie de la surcote ou de la décote laisse-t-elle une liberté de choix suffisante, tout en étant une incitation assez puissante à retarder l’âge de la retraite ?

M. Jacques Bichot. La surcote avec une augmentation de 0,75 % du taux de pension était assez ridicule. Un taux de 1,25 % est déjà un peu plus proche de la neutralité actuarielle.

Cela étant, la surcote présente le gros inconvénient de mélanger durée de cotisation et âge de départ à la retraite. Une personne qui n’aurait que 130 trimestres alors qu’elle serait à taux plein à 65 ans n’aurait pas droit à la surcote et ne serait donc pas incitée à continuer à travailler même si elle en avait la force et le désir. C’est un exemple typique de séparation entre durée d’assurance, qui joue sur le coefficient de proratisation, et âge de départ à la retraite, qui joue sur le coefficient actuariel.

M. Antoine Bozio. Dans tout système de retraite, quel qu’il soit, le niveau de retraite qu’on peut offrir dépend du niveau de financement, donc du taux de cotisation. Contrairement à ce qu’a dit M. Henry Sterdyniak, dans un système à comptes notionnels, le taux de cotisation n’est pas figé. C’est la principale variable d’ajustement du système : chaque année, on peut décider de l’augmenter.

Dans le système actuel ou celui à points, on ne peut pas garantir la valeur des cotisations alors que, dans le système à comptes notionnels, l’idée principale est de tenir toutes les promesses que l’on fait. Avec le niveau de cotisation actuel, on est capable de dire quel sera le montant de la retraite si l’espérance de vie n’augmente pas.

La réforme des comptes notionnels, telle que je la perçois, permettra de sortir de la cuisine « décote-surcote-modification des paramètres », pour ne retenir que deux paramètres principaux : le taux de cotisation, qui relève d’un choix politique, et l’espérance de vie à l’âge de la retraite.

M. Henry Sterdyniak a reproché à Thomas Piketty et à moi-même de ne pas avoir pris parti pour un niveau de cotisation. Mais c’est un choix social et politique. C’est aux politiques de décider du niveau d’augmentation, du rythme et des modalités de celle-ci.

M. Maxime Gremetz. Et de déterminer qui paie !

M. Antoine Bozio. Dans un système par répartition, ce sont toujours les salariés, les actifs, qui paient, monsieur Gremetz. En matière de retraites, il y a un transfert pour les salariés de leur vie active vers la retraite. Pour la partie redistribution, en revanche, vous avez une grande marge de liberté : vous pouvez taxer ce que vous voulez, les profits et le capital.

Deuxièmement, on équilibre un système à points en faisant varier la valeur du point. On peut se permettre de faire de l’inflation – en faisant baisser le rendement du point. Ce n’est pas possible dans un système de comptes notionnels, où il y a plus de contraintes et, par conséquent, de garanties pour les salariés : on peut garantir que tout euro de cotisation versé aura un rendement positif en plus de la croissance des salaires.

De telles garanties n’existent pas dans le système actuel : personne ne peut dire aujourd’hui à un jeune salarié à quelle retraite il aura droit dans quarante ans avec le niveau de ses cotisations actuelles.

Troisièmement, dans un système de comptes notionnels, le Fonds de réserve des retraites sert de coussin amortisseur sur le long terme. Il permet de faire des ajustements lorsque se produisent des chocs à la fois en termes de taille de génération et de niveau de croissance. En cas de baby boom, le système génère mécaniquement des excédents qui sont versés sur le fonds de réserve, ce qui permet de garantir aux salariés du baby boom que les promesses qui leur ont été faites seront honorées lorsqu’ils arriveront à la retraite.

Le problème du système actuel est de générer une dette implicite, car les promesses faites aux générations du baby boom ne pourront être tenues qu’en taxant les jeunes générations. La façon la plus cohérente de régler ce problème me semble être de mesurer cette dette et de procéder à un prélèvement qui n’ouvre pas de droit – donc un impôt – afin d’alimenter le fonds de réserve des retraites pour, dans un premier temps, payer la « bosse » du baby boom et, dans un second temps, constituer des réserves.

Si on pouvait mesurer de manière précise la pénibilité, ce serait, avec les comptes notionnels, très simple : il suffirait d’ajouter des surcotisations et d’alimenter plus de droits chaque fois qu’une personne serait soumise à des conditions de pénibilité. Le gain serait alors proportionnel à la pénibilité mesurée. Mais le gros problème, c’est de mesurer la pénibilité.

Je fais remarquer que la question de la pénibilité n’est évoquée que pour les travaux pénibles non compensés par l’employeur. Il n’est pas question de la prendre en compte dans le cas, par exemple, d’une personne qui part travailler sur une plateforme pétrolière et reçoit en compensation de la pénibilité de ce travail de très hauts niveaux de salaire de la part de son employeur.

M. Paul Jeanneteau. Il sera très difficile de définir la pénibilité. Est-il plus pénible de travailler sur une plateforme pétrolière en mer du Nord que d’extraire du pétrole dans le Sahara ? Ne vaudrait-il pas mieux prendre comme critère l’espérance de vie ?

M. Antoine Bozio. Le problème est qu’il n’est pas plus facile de mesurer l’espérance de vie que la pénibilité.

M. le président Pierre Méhaignerie. Sauf, peut-être, sur une génération !

M. Henri Sterdyniak. Il faut être clair : le Fonds de réserve des retraites est mort. L’urgence, à l’heure actuelle, est de réduire le déficit et la dette. Nous n’avons pas d’argent à mettre dans le fonds, d’autant que ce dernier n’est rentable que s’il rapporte plus que les obligations. Nous n’avons pas d’argent pour spéculer en bourse.

Il n’y a aucun lien entre cotisations vieillesse et compétitivité des entreprises. Si on augmente les cotisations vieillesse, on augmentera les cotisations des actifs, parce que la retraite concerne ces derniers et doit donc être financée sur le revenu de ceux-ci.

Si l’on pense que, pour augmenter les cotisations, il faut accroître la fiabilité du système, il faut convaincre les jeunes générations qu’elles ont intérêt à travailler en France, où elles pourront bénéficier d’un système de retraite social et garanti, plutôt que dans un pays comme le Royaume Uni où elles n’auront pas de retraite et devront constituer celle-ci sur les marchés financiers.

Nous souhaiterions tous une réforme systémique conduisant à un système unifié. Mais, elle n’aura pas lieu car toute transition est longue, pénible et coûteuse. Une réforme systémique prendrait vingt ans. Elle n’est pas simple : il faudrait reconstituer sur une base équivalente le droit des fonctionnaires et celui des salariés du privé. Que ferait-on des primes et des cotisations payées par les fonctionnaires ? Il y a des réponses immédiates à donner, nous ne pouvons pas perdre de longues années en transition.

MM. Bozio et Piketty ont l’air d’oublier qu’il existe déjà, dans le système français, des mécanismes de prise en compte du chômage, de la maladie et de la maternité et que le système ARRCO-AGIRC fonctionne par points. Ce n’est donc pas une révolution qu’ils proposent. De plus, un arbitrage doit être fait entre taux de cotisation, durée de travail et niveau de pension. On aimerait savoir à quoi on aboutirait avec un système en comptes notionnels.

Actuellement, le poids des retraites dans le PIB est de 13 %. Si on maintient le système tel qu’il est, il sera de 19 % en 2050, soit six points de plus, ce qui est beaucoup trop. Les prévisions du COR situaient ce taux à 14,7 %, soit 1,7 point de plus : un point était financé par le transfert des cotisations chômage et 0,7 point par la hausse des cotisations. Mais, cela n’est pas entièrement satisfaisant car cette projection repose sur l’hypothèse d’une baisse du niveau relatif des retraites. C’est pourquoi il m’apparaît nécessaire d’accepter des hausses de cotisation, afin de maintenir ce niveau relatif.

Si les partenaires sociaux acceptent de traiter la question de la pénibilité avec sérieux, c’est-à-dire acceptent que les postes pénibles soient définis par la médecine du travail et des ergonomes, on peut avoir un système dans lequel ces postes peuvent être bonifiés. On ne peut pas laisser les entreprises s’en occuper seules, car on sait que les personnes qui auront occupé des emplois pénibles ne pourront pas continuer à travailler après soixante ans. Par ailleurs, dans la majorité des cas, les emplois pénibles sont faiblement rémunérés. Donc, nous sommes obligés de traiter la question.

Je pense qu’il faudra encore maintenir les pensions de réversion pendant une cinquantaine d’années, tant que les taux d’emploi des femmes ne seront pas satisfaisants.

Il y a trois manières de modifier la mentalité des entreprises et des salariés, afin que la norme devienne les 42 années de carrière et non plus l’âge de soixante ans.

La première est la manière sociale, à la scandinave : elle consiste à mobiliser les entreprises et les syndicats sur cet objectif et à conduire une réflexion sur les carrières.

La deuxième manière consiste à imposer brutalement, du jour au lendemain, la retraite à 65 ans. Nombre de personnes entre 60 et 65 ans se retrouveraient, comme en Grande-Bretagne, dans la misère et seraient obligées de prendre des petits boulots. Le taux d’emploi des seniors serait, à n’en pas douter, relevé mais la méthode ne serait pas prudente.

La troisième manière, sociale libérale, est de procéder par incitations. Le problème est qu’il y a déjà les mécanismes de décote et de surcote et que tout le monde n’a pas la capacité à répondre aux incitations. Cette méthode favoriserait les cadres et serait catastrophique pour les ouvriers.

M. Arnaud Robinet. Compte tenu de la complexité du système, du montant des déficits, encore accentué par la crise, et du resserrement du ratio actifs-retraités, qui fait qu’une retraite sur dix n’est plus financée, peut-on encore envisager une réforme systémique ? Une telle réforme systémique permettrait-elle de retrouver l’équilibre financier ?

Dans le cadre d’une réforme paramétrique, quel serait l’âge de départ à la retraite adéquat, c’est-à-dire qui aurait le plus d’effet ? Y a-t-il une relation entre âge de départ à la retraite et emploi des seniors ? Peut-on, à la fois, reculer l’âge de départ à la retraite et augmenter la durée de cotisation ?

La France semble le seul pays à vouloir intégrer la question de la pénibilité dans la réflexion sur les retraites ? La pénibilité ne serait-elle pas de nature à créer d’autres régimes spéciaux ?

Quel peut être un rapprochement entre le public et le privé à propos de la règle des vingt-cinq dernières années et celle des six derniers mois ?

Un régime par capitalisation peut-il venir en complément du régime par répartition ?

M. Patrick Roy. Notre débat d’aujourd’hui suscite en moi des craintes car l’avenir n’est pas envisagé de manière très optimiste, en dehors des propos de M. Sterdyniak, qui me semblent plus réalistes. L’accent est mis depuis des années sur le rééquilibrage des comptes. Ne peut-on y joindre le souci de permettre aux millions de retraités qui vivent aujourd’hui dans la misère – eh oui, pour eux, l’époque de Zola n’est pas encore révolue – d’avoir une vie digne ?

M. Bernard Perrut. Mes questions s’adressent plus spécialement à M. Bichot.

Vous prônez une mise en évidence du lien entre ce qui est fourni et ce qui sera ultérieurement reçu et une distributivité véritable. Faites-vous allusion au développement de la capitalisation en complément de la répartition ?

Dans votre note à l’Institut Montaigne, vous proposez la mise en place d’une garantie de pension de même inspiration que le revenu de solidarité active. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ?

M. Dominique Dord. Le président Pierre Méhaignerie a raison quand il souligne que nous sommes conduits aujourd’hui à nous poser une question cruciale que nous ne nous posions pas du tout de la même manière en 2007. Il ne faut donc pas dramatiser à l’excès. Quand la conjoncture économique est meilleure, la question de l’équilibre du régime est moins cruciale. D’où l’intérêt d’imaginer des systèmes qui permettent le flux et le reflux.

Contrairement à ce qu’a dit M. Sterdyniak, je ne trouve pas que vos propositions, messieurs, soient politiquement très différentes : elles présentent des différences techniques mais nous aurions tort de les opposer.

Avant d’imaginer un autre système, il faut prendre en compte les toutes petites retraites évoquées par Patrick Roy, ainsi que la question de la pénibilité. De ce point de vue, la proposition de M. Bichot, que je ne considère pas comme antagoniste des autres, me paraît la plus simple, la plus facile et la plus lisible tout de suite. Comme M. Sterdyniak l’a souligné, il faut, en effet, trouver une réponse applicable tout de suite et non dans vingt ans.

Dans le système proposé par M. Bichot, la variable principale est la durée de cotisation. M. Sterdyniak suggère de la fixer à 42 ans. Pourquoi pas ? Un tel système permet un peu de liberté. Pour partir un peu plus tôt à la retraite, un salarié acceptera de toucher un peu moins. Cela me semble également régler, d’une certaine manière, la question de la pénibilité, puisque celui qui a commencé à travailler très jeune occupe souvent des emplois pénibles non compensés par le salaire.

M. Jacques Domergue. Pour qu’elle soit acceptée par les Français, la réforme que nous allons présenter devra être lisible et perçue comme équitable. Pour eux, le critère de pénibilité doit être pris en compte, mais il est très difficile à mesurer ; au reste, aucun Français ne vous dira qu’il n’a pas un métier pénible. En fait, le seul paramètre que l’on puisse prendre en compte est celui de la durée de vie : il peut être évalué par profession et assorti d’un système correctif.

On nous dit que l’on ne jouera que sur la durée de cotisation, et donc sur la durée de travail, ce que les Français peuvent comprendre. Mais parallèlement, nous nous heurtons à des difficultés d’emploi et au fait que les entreprises n’embauchent pas les seniors, et là ils ne comprennent plus. Nous devons donc faire un gros effort de pédagogie, notamment en matière d’évolution des carrières, pour montrer qu’on n’exerce pas le même métier à cinquante ans qu’à trente ans et qu’à soixante ans : on peut être utile sans faire exactement le même métier.

M. Michel Heinrich. Vous semblez, messieurs, être tous les trois d’accord sur le fait que le taux de cotisation global, qui est de 25 % dans le privé et de 60 % dans le public, n’impacte pas la compétitivité. Avez-vous imaginé d’autres ressources que la cotisation sur les salaires pour financer les retraites ?

M. Lionel Tardy. Il n’existe que trois solutions : soit on augmente la durée de cotisation ; soit on relève le montant des cotisations ; soit on baisse le niveau des pensions. Je suis persuadé qu’aucun de ces solutions n’est tenable à moyen terme.

Aujourd’hui, aucun salarié ne sait réellement combien il cotise par mois pour son hypothétique retraite, alors que les droits acquis représentent à peu près 20 000 milliards d’euros – mais on ne sait pas où ils sont. Il faut préciser qu’un smicard paie chaque année deux mois de salaire net en cotisation vieillesse, sans savoir non plus combien il touchera.

Il existe un système dont on n’a pas parlé ce matin : il consiste à remplacer le système de répartition par un système de compte retraite personnel. Le principe est que 10 % du salaire est versé chaque mois sur un compte au choix du salarié. La somme reste bloquée pendant 40 à 45 ans. L’État n’a pas de droit de regard, mais garantit une pension minimale.

La transition pourrait se faire sur la base du volontariat : soit les gens conservent le système actuel, soit ils font le choix du compte retraite personnel – au Chili, 95 % des salariés ont choisi ce système. Pour les salariés qui ont déjà cotisé sur un régime par répartition, des bons de validation permettent de calculer le capital qui a été acquis depuis qu’ils travaillent. On peut sortir du dispositif de deux manières : soit le capital recueilli est transformé en pension mensuelle, type assurance-vie ; soit il reste un capital et le salarié programme des versements mensuels. En cas de décès prématuré, la famille récupère l’intégralité du capital. L’avantage de ce type de système réside dans sa sécurité : pas un euro de capital n’est perdu ; son taux de rendement moyen est de 9 % sur 25 ans ; il permet de financer des investissements.

Au Chili, après un an de transition, le Gouvernement a reçu, de la part des entreprises, des taxes supplémentaires permettant de payer les bons de validation en raison de la baisse du niveau des charges des entreprises. Il en est résulté un changement culturel profond de la population chilienne : celle-ci se voit incitée à cotiser pleinement pour les retraites. Ce système existe depuis 28 ans au Chili. Il a été adopté par 28 pays différents. Qu’en pensez-vous, messieurs ?

(M. Pierre Morange remplace M. Pierre Méhaignerie à la présidence de la séance)

M. Michel Issindou. On peut jouer sur trois paramètres : allongement de la durée ; taux de remplacement ; augmentation des recettes. Le Président de la République a annoncé qu’il ne voulait pas toucher au taux de remplacement et il semblerait que nous allions vers l’allongement de la durée. Pour ma part, je milite en faveur de l’augmentation des recettes, lesquelles pourraient être augmentées de trois manières.

D’abord, il serait possible d’inclure les revenus financiers dans les cotisations. Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet dans le cadre d’une mission d’information sur les niches sociales. La participation, l’intéressement, les stock-options, les primes échappent aux cotisations, ce qui constitue incontestablement un manque à gagner pour les régimes de retraite.

Ensuite, on pourrait supprimer les exonérations sur les bas salaires et les heures supplémentaires – loi de 2007 –, qui représentent un manque à gagner de 3 milliards d’euros. Nous ne sommes pas convaincus que ces exonérations soient bonnes pour l’emploi ni pour la compétitivité des entreprises.

Enfin, la troisième manière consisterait à relever les cotisations et à élargir l’assiette, ce qui rendrait les choses plus indolores.

L’effort doit être partagé et il sera probablement nécessaire d’allonger la durée de cotisation. Toutefois, en contrepartie, il conviendrait de trouver des recettes nouvelles ou de mobiliser celles qui existent déjà.

Le déficit des retraites paraît énorme : 10 milliards d’euros en année moyenne. Mais, ce n’est pas le cas si on le compare au PIB. Il ne faudrait pas que ce déficit soit considéré comme insurmontable et qu’il nous amène à des changements fondamentaux. Après tout, le profit total de quelques grandes entreprises atteint bien 10 milliards.

Des ajustements sont nécessaires, mais le système n’est pas, comme certains le pensent, au bord de la rupture.

Mme Colette Langlade. Soit on augmente les cotisations, soit on diminue les pensions, soit on allonge la durée de la vie active. À en croire une déclaration de M. Fillon rapportée fin janvier par le journal Le Figaro, rien n’est encore joué. Le Premier ministre souhaitait que l’on ressuscite le schéma prévu en 2003 et consistant à augmenter les cotisations retraite en contrepartie d’une baisse des cotisations chômage ; cependant, cette hypothèse, qui ne suscite pas l’enthousiasme de l’Élysée, a été fragilisée par les dernières prévisions du COR, qui ne prévoit pas un retour au plein emploi avant 2024.

D’un côté, des seniors voudraient partir beaucoup plus tôt à la retraite quand ils ont commencé à travailler tôt. De l’autre, les jeunes de moins de 25 ans éprouvent des difficultés à trouver un premier travail. A-t-on adopté dans notre pays une logique de tutorat et d’accompagnement, à la fois pour aider les seniors à quitter la vie professionnelle et permettre l’insertion professionnelle de nos jeunes.

M. Pierre Morange, président. On peut imaginer que le tutorat ne soit pas une façon de quitter la vie professionnelle, mais d’avoir une deuxième vie professionnelle. Il serait intéressant de connaître précisément le bénéfice qui résulterait du passage du taux actuel d’emploi des personnes de plus 55 ans à un taux de quelque 60 %, comme dans les pays nordiques. Dans quelle mesure cela contribuerait-il à diminuer le déficit du régime d’assurance vieillesse ?

M. Régis Juanico. Selon Arnaud Robinet, la France serait le seul pays en Europe à engager une réforme des retraites incluant la question de la pénibilité. Toutefois cette question aurait très bien pu faire l’objet d’une réforme complètement distincte de celle des retraites, dans la mesure où un amendement de M. Xavier Bertrand adopté à l’article 12 de loi de 2003 invitait les organisations professionnelles représentatives à négocier au niveau national sur la définition et la prise en compte de la pénibilité. Dans le droit-fil de cette disposition, les partenaires sociaux ont discuté pendant trois ans et sont parvenus à un accord sur la définition de la pénibilité et sur les facteurs de pénibilité ; en revanche, le MEDEF a manifesté son opposition à l’ampleur du dispositif, au financement de celui-ci, aux critères pris en compte et aux conditions d’accès au mécanisme de la pénibilité. Pour autant, une fois cet échec constaté, rien n’empêchait le Gouvernement d’élaborer un projet de loi, qui aurait très bien pu être voté depuis dix-huit mois ou deux ans. Cela n’a pas été le cas et maintenant la question de la pénibilité rejoint celle des retraites.

Il convient donc désormais de se mettre d’accord sur des critères qui puissent faire l’objet d’un consensus. Et, naturellement, sur un tel sujet, le Parlement aura son mot à dire.

Mme Marie-Christine Dalloz. Certes, les avis sont divergents, mais ce qui est sûr, c’est qu’il faut intervenir. Et dans la mesure où l’on aborde maintenant la question du financement des régimes de retraite, il est essentiel d’aborder parallèlement celle des critères de la pénibilité. De nombreuses concertations vont avoir lieu et il sera important d’explorer toutes les pistes : le critère de l’espérance de vie évoqué par Paul Jeanneteau peut être pris en compte, mais ce ne peut pas être le seul.

M. Dominique Tian. La Finlande a été évoquée, mais personne n’a parlé du système de capitalisation finlandais, qui est assez original, ni du système allemand qui est en place depuis quelques années et qui est un système obligatoire cogéré par les syndicats et le patronat allemands.

M. Philippe Morenvillier. J’ai particulièrement apprécié la position très cartésienne de M. Bozio.

Notre régime de retraites, qui est déficitaire, est également trop compliqué. Pour autant, nous devons faire preuve de solidarité intergénérationnelle. Une réforme s’impose donc. Doit-elle être paramétrique ou systémique ? Selon moi, l’un n’empêche pas l’autre. Comme pour une recette de cuisine bien équilibrée, on pourrait légèrement relever le taux de cotisation, légèrement augmenter la durée du travail et introduire des pondérations pour pénibilité. Par ailleurs, je considère moi aussi que l’on pourrait peut-être envisager des recettes issues d’autres sources comme les revenus des fonds d’entreprise, ce qui serait très novateur.

Selon moi, cette réforme doit être à la fois équitable et novatrice, son objectif final étant d’apporter une certaine sérénité aux salariés. Les Français ne doivent pas avoir d’incertitude quant à leur retraite future. Ils doivent aussi considérer leurs cotisations de retraite comme un droit à un revenu différé, et non pas comme un impôt.

(M. le président Pierre Méhaignerie remplace M. Pierre Morange
à la présidence de la séance)

M. Rémi Delatte. L’idée selon laquelle il nous faut trouver aujourd’hui les outils qui nous permettront de sauver le système à terme, tout en sachant que cela devra se faire progressivement, m’a semblé intéressante.

Vos propos, monsieur Sterdyniak, me laissent songeur. Ne nous avez-vous pas dit à la fois qu’il n’est pas possible d’assurer la pérennité du système français – qui est parmi les meilleurs – parce qu’il coûte très cher, mais qu’il ne faut pas le modifier car, pour des raisons culturelles, nous ne serons pas en mesure de changer les choses ?

Messieurs, pensez-vous que la réforme des retraites soit possible, et qu’elle soit possible aujourd’hui ?

M. Henri Sterdyniak. Je ne pense pas possible de faire quelque chose en 2010. Il n’est pas possible d’augmenter les cotisations parce que cela pèserait sur la consommation. On ne va pas non plus diminuer les retraites. Enfin, de toute évidence, ce n’est pas le moment de lancer une grande action en faveur de l’emploi des seniors compte tenu de la situation en matière de chômage.

Dans tous les pays, le système de retraites est coûteux et complexe. Il n’est pas plus complexe en France qu’ailleurs : l’Institute for fiscal studies a publié récemment une étude dans laquelle on peut lire que le système de retraites britannique est le plus complexe du monde. Nous ne sommes donc pas les pires.

Il faut être conscient que, dans tous les pays, les gens vivront vingt-cinq ans en retraite pour une quarantaine d’années de travail. Le système brasse forcément des sommes énormes.

Le système français des retraites serait aujourd’hui équilibré, si nos compatriotes avaient les mêmes taux d’activité que les Suédois. Or, en moyenne, nous arrêtons de travailler à 59 ans, contre 64 pour les Suédois. Si nous gagnions ces cinq années, nous équilibrerions le système jusqu’en 2050. C’est la raison pour laquelle on peut dire que ce n’est pas une question de retraite, mais avant tout une question d’emploi global. D’où les interrogations suivantes : Comment faire en sorte que les seniors aient envie de travailler et qu’ils puissent le faire ? Comment aménager les carrières pour que les gens travaillent plus longtemps, tout en tenant compte des disparités ?

Il est un principe — cher aux économistes – sur lequel il n’est pas possible de transiger : les retraites doivent être financées par des cotisations assises sur les revenus d’activité, sinon on ne peut justifier que les retraites dépendent des revenus passés. Si on veut augmenter les retraites, il convient de relever les cotisations ; et si on ne veut pas d’effet « compétitivité », il faut augmenter les cotisations des salariés.

Certains considèrent que les cotisations famille et les cotisations maladie pourraient être financées autrement : par la CSG ou, s’agissant des cotisations maladie, par la taxe carbone ! Mais, ce n’est pas le même sujet.

M. Nicolas Sarkozy a décidé que le minimum vieillesse serait revalorisé de 25 %. C’est une très bonne mesure. Sans doute faut-il modifier un peu le statut du minimum vieillesse en France, pour qu’il ait davantage de succès et pour qu’on ne le considère pas comme une assistance. La Finlande avait mis au point un système très perfectionné qu’on appelait la « pension nationale », qui consistait en un minimum vieillesse fonctionnant un peu comme le revenu de solidarité active : au-delà d’un certain niveau de retraite, on perdait un peu de sa pension nationale. Ce système pourrait être appliqué en France ; le problème est que, le trouvant trop compliqué, les Finlandais vont l’abandonner pour passer à un système de pension minimale… exactement comme en France !

Je ne pense pas qu’il soit possible à l’heure actuelle de lancer un vaste programme de remplacement du système de répartition par un système de capitalisation. Ce dernier conduit à l’accumulation de sommes fabuleuses, crée de l’instabilité financière et ne garantit pas un rendement. Enfin, la génération qui l’adopte devrait payer deux fois : une fois pour capitaliser pour elle et une fois pour payer la retraite de la génération précédente.

L’Autriche prend en compte la pénibilité : si vous faites un travail pénible, vous pouvez partir plus tôt en retraite. Mais, il faut bien voir que les gens n’exerceront pas forcément un travail pénible toute leur vie de salarié ; on ne peut donc pas dire que tel métier permet automatiquement une retraite précoce. C’est pour cette raison que je suis plutôt favorable à un système de bonifications.

Enfin, j’ai une très grande différence avec M. Bichot. Dans le système qu’il propose, qui fixe la durée pivot de cotisation à 42 ans, le taux de remplacement n’est pas garanti et il diminue en fonction des besoins financiers. Si un tel système était en place actuellement, il serait possible de diminuer de 10 % le niveau des retraites en raison du déficit de la Caisse nationale d’assurance vieillesse ! Pour ma part, je suis très attaché à l’idée qu’il faut garantir aux jeunes générations et aux gens qui cotisent un taux de remplacement de l’ordre de 70/75 %, pour leur assurer une parité de niveau de vie. J’estime aussi qu’il faut faire tous les efforts possibles pour améliorer le taux d’emploi des seniors. Ce n’est qu’une fois que l’on aura consenti à ces efforts, que l’on pourra procéder à des ajustements par le biais des cotisations.

M. Antoine Bozio. Je suis absolument d’accord avec ce que vient de dire Henri Sterdyniak sur la capitalisation. La répartition doit être imaginée comme représentant une dette implicite envers les générations qui ont déjà cotisé et qui ont donc acquis des droits. Si vous voulez que les nouvelles générations cotisent dans un système de capitalisation, il faut, soit leur demander de payer deux fois, soit annoncer aux générations en retraite ou à l’approche de la retraite que les droits qu’ils ont acquis dans le système par répartition ne seront pas honorés.

Le « big bang » est possible avec un système de retraites comme celui du Chili à l’époque, peu développé et ne portant pas sur des montants astronomiques. Dans un cas de ce type, on peut en effet faire basculer cette dette implicite dans la dette du pays.

Même si cela était possible, pourrait-on prendre du temps et procéder à un changement de système sur une centaine d’années par exemple ? Cela vaudrait la peine si le rendement de la capitalisation était nettement supérieur à celui de la répartition. Or, si l’on examine les rendements des marchés financiers et leur volatilité sur une période d’un siècle, et que l’on prend en compte le fait qu’il faut s’assurer pour réduire les risques que présentent ces marchés, on s’aperçoit que le rendement de la capitalisation se rapproche de celui de la répartition. Il y a donc assez peu d’éléments solides pour justifier à un basculement vers la capitalisation totale.

S’agissant des recettes, je suis totalement d’accord avec Henri Sterdyniak : un système contributif financé par la répartition doit être fondé sur les salaires : c’est la raison pour laquelle les pensions peuvent être proportionnelles aux salaires. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il ne soit pas possible de modifier la taxation des revenus du capital : certaines parties non contributives, qui sont aujourd’hui financées par l’impôt, pourraient l’être par une augmentation des taxations portant sur les revenus du capital. Cela dit, la question de l’augmentation de la fiscalité des revenus du capital est totalement différente de celle du financement direct des retraites par une augmentation des taxations des revenus du capital.

M. Jacques Bichot. Avant tout, il faut bien comprendre qu’il n’existe pas de retraite qui ne soit pas par capitalisation. Toutes les retraites sont par capitalisation, pour une raison économique très simple : on ne peut préparer l’avenir qu’en investissant. Simplement, il y a deux catégories de facteurs de production : le capital classique et le capital humain. Dans leur rapport, MM. Stiglitz, Sen et Fitoussi ont fait une répartition entre les deux, qui est de trois quarts pour le capital humain, et d’un quart pour le capital physique. D’autres diraient plutôt deux tiers et un tiers. Ne chipotons pas sur les chiffres, d’autant que l’évaluation monétaire du capital humain pose quelques problèmes. De toute façon, nous avons un capital humain, un facteur de production, qui représente nettement plus que l’autre. D’ailleurs, la répartition de la valeur ajoutée entre ces deux facteurs de production montre qu’il y a grosso modo un tiers pour le capital, deux tiers pour le travail, c’est-à-dire pour le capital humain. Il s’agit de capitalisation et la question est de savoir s’il s’agit de capitalisation humaine ou de capitalisation classique – financière et physique.

A-t-on la possibilité de passer complètement en capitalisation physique ? Non, de manière évidente. À la fin des années 1970, l’Américain Kefitz et les Français Bourgeois-Pichat et Chaperon ont démontré qu’il n’y avait pas sur notre planète suffisamment de capital au sens traditionnel du terme pour faire fonctionner un système de capitalisation classique à l’échelle mondiale ou d’un grand ensemble comme l’Europe ou les États-Unis ; en revanche, des petits pays comme le Chili ou la Suisse peuvent, eux, s’appuyer beaucoup sur la capitalisation. Dans un pays comme la France, il faut obligatoirement s’appuyer pour au moins la moitié, mais plus vraisemblablement pour les deux tiers ou les trois quarts, sur le capital humain.

En France, la répartition est à peu près d’un quart/trois quarts : selon les statistiques de l’INSEE les revenus des retraités sont fournis à 25 % par leurs revenus des capitaux, compte tenu, bien sûr, de leur revenu en nature que représente la possession de leur logement, ce qui est le cas de 70 à 75 % des retraités.

M. le président Pierre Méhaignerie. Et sur ces 25 %, combien représente le logement ou la possession d’une propriété?

M. Jacques Bichot. Une bonne moitié.

Les Français font de la capitalisation comme M. Jourdain faisait de la prose. Ils n’ont pas besoin de fonds de pension. Il ne faut surtout pas assimiler la préparation de la retraite par capitalisation aux seuls fonds de pension. D’autant plus qu’en France, les fonds de pension sont mal vus, car cela signifie « déshériter ses enfants », ce que nos compatriotes n’aiment pas – les Anglo-Saxons acceptent mieux ce genre de chose.

Notre pays se trouve dans une position assez équilibrée. On pourrait certes aller un peu plus loin en matière de capitalisation, mais pas beaucoup plus.

Est-ce qu’en voulant davantage de contributivité, vous voulez passer au système de capitalisation ? m’a-t-on demandé. La réponse est oui si l’on parle de capitalisation humaine. Le problème est que, dans un système de capitalisation, les droits à pension sont proportionnés à l’investissement que l’on a permis de réaliser. Dans un système de répartition, la contributivité, au sens économique du terme, suppose que les droits à pension puissent être fondés sur l’apport qui a été fait en matière de capital humain. Cet apport, nous le faisons de deux manières : premièrement, en payant des impôts qui financent l’Éducation nationale et un certain nombre d’autres éléments qui servent à éduquer les jeunes ; deuxièmement, en éduquant soi-même des enfants – tout au moins pour une proportion importante d’entre nous. Le fait que la contributivité n’ait pas été fondée sur cet apport, qui est la seule manière que nous ayons de préparer les retraites futures, engendre des inégalités considérables. À cet égard, je vous conseille de vous reporter à l’article de Mme Dominique Marcilhacy, paru dans la revue Droit social de juillet-août de l’année dernière : à partir de cas types, sont étudiées les inégalités résultant du fait que ce modèle de contributivité n’ait pas été retenu – d’où la spoliation d’un certain nombre de personnes, spoliation qui va très au-delà de ce que l’on pense habituellement en matière d’inégalités dans les systèmes de retraite.

J’en viens à la question, fort importante, du rapport entre réforme paramétrique et réforme systémique. Je vais être un peu brutal : à mon avis, il n’y a de réforme paramétrique que parce que notre système est mal fichu. On vous fait faire, mesdames, messieurs les parlementaires, le travail d’un conseil d’administration de caisse. Dans un système normalement organisé, les décisions qui peuvent être appelées paramétriques, et qui consistent à changer la valeur du point et son prix d’achat – c’est le cas dans le système ARRCO-AGIRC –, relèvent du conseil d’administration. Il me semble que, dans un État bien organisé, le législateur doit fixer des règles et qu’à l’intérieur de celles-ci, des gestionnaires doivent prendre, année après année, les décisions requises pour que le système marche correctement. Actuellement, vous êtes contraints d’assumer les deux rôles, ce qui ne me semble pas normal. La fonction du législateur est de définir les règles. Ensuite, la gestion peut être confiée aux partenaires sociaux ; ils ne se sont pas si mal débrouillés dans le cadre des régimes complémentaires.

M. Roy a évoqué les faibles retraites. Mais, il ne faut tout de même pas exagérer l’état de pauvreté des personnes âgées : les statistiques de l’INSEE ou de l’OCDE montrent que, en France, leur niveau de vie est, selon la façon dont on le mesure, soit très légèrement inférieur à celui de l’ensemble de la population, soit très légèrement supérieur. Il n’y a pas de différence sensible entre le niveau de vie des retraités et celui de la population.

M. Dominique Dord. Il y a tout de même des disparités !

M. Jacques Bichot. Non, l’écart est moins grand s’agissant des retraités que de l’ensemble de la population.

Si l’on prend le taux de pauvreté, c’est-à-dire les ménages dont le revenu, par unité de consommation, est inférieur à 60 % du revenu médian par unité de consommation, il est aux environs de 8 ou 9 % pour les retraités, alors qu’il est aux environs de 11 ou 12 % pour l’ensemble de la population. Cela signifie que la dispersion des niveaux de vie est légèrement moindre pour les retraités qu’elle ne l’est pour les actifs. En particulier, si l’on compare la situation des retraités à celle des jeunes, il n’y a pas photo : en effet, le taux de pauvreté parmi les jeunes de moins de trente ans est nettement supérieur à la moyenne. Ainsi, dans le système français, la jeunesse est davantage sacrifiée que la vieillesse.

Peut-on modifier la façon dont fonctionne le minimum vieillesse ? Oui, et je pense que l’exemple suédois en la matière est excellent. Il y a une douzaine d’années, les Suédois ont fait en matière de retraite ce que nous avons fait beaucoup plus récemment en passant du revenu minimum d’insertion au revenu de solidarité active. Le premier était une allocation différentielle : une prestation complétait ce que vous gagniez pour atteindre un minimum garanti. Autrement dit si vous aviez un revenu d’activité de 50, la prestation était réduite de 50. Le taux implicite d’imposition des gains professionnels était de 100 %, ce qui n’était pas incitatif. Dans le système suédois, le taux d’imposition implicite est de 50 % ; la garantie de ressources suédoise progresse en fonction du niveau de retraite de façon que les gens, même s’ils ont très peu travaillé et acquis très peu de droits contributifs au cours de leur existence, aient tout de même intérêt à consentir un effort – ce dernier ne fera pas l’objet d’un « vol » complet par le système. Je crois que l’on peut très bien adapter ce type de mécanisme au cas français.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je vous remercie, messieurs, pour vos interventions. À nous de dégager maintenant les priorités qui s’imposent.

La séance est levée à douze heures cinq.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 24 mars 2010 à 9 heures 30

Présents. – M. Élie Aboud, Mme Edwige Antier, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, Mme Valérie Boyer, M. Yves Bur, M. Pierre Cardo, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Gérard Cherpion, M. Jean-François Chossy, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Georges Colombier, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Rémi Delatte, M. Vincent Descoeur, M. Jacques Domergue, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Laurence Dumont, Mme Cécile Dumoulin, Mme Cécile Gallez, Mme Catherine Génisson, M. Jean-Patrick Gille, M. Maxime Gremetz, Mme Anne Grommerch, M. Michel Heinrich, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Christian Hutin, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, M. Paul Jeanneteau, M. Régis Juanico, M. Guy Lefrand, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, M. Jean-Claude Leroy, M. Claude Leteurtre, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, M. Guy Malherbe, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, M. Philippe Morenvillier, Mme Marie-Renée Oget, M. Bernard Perrut, M. Étienne Pinte, M. Jean-Frédéric Poisson, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-Luc Préel, M. Arnaud Robinet, Mme Valérie Rosso-Debord, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian, Mme Marisol Touraine, Mme Isabelle Vasseur, M. Francis Vercamer

Excusé. – M. Jean Bardet

Assistaient également à la réunion. – Mme Michèle Delaunay, Mme Colette Langlade, M. Patrick Roy, M. Lionel Tardy